Pie XII 1956 - AGENCES DE PRESSE


ALLOCUTION A UN PÈLERINAGE ESPAGNOL D ANCIENS PRISONNIERS DE GUERRE

(27 octobre 1956) 1






Le Saint-Père a reçu en audience spéciale, à la villa pontificale de Castelgandolfo, dans la matinée du 27 octobre, le pèlerinage de l'association espagnole des anciens prisonnniers. Il leur a adressé une allocution en langue espagnole, dont voici la traduction :

Parmi les nombreux groupes, qui viennent à la maison du Père commun pour lui manifester leur affection filiale et pour Nous donner la consolation de les accueillir et de les bénir, Nous pourrions bien dire, très chers fils, que celui qui en ce moment, est présent ici, a quelque chose de particulier tellement est spéciale la raison qui vous unit et qui vous amène devant Nous.

En effet, les uns Nous arrivent unis par un lien commun de famille, de cité ou de patrie, d'autres, par les études auxquelles ils se consacrent, par la profession qui les occupe, par leur état déterminé de vie ou par quelque autre motif semblable. Ce n'est pas votre cas. En des moments bien douloureux, de ceux que la Providence parfois veut ou permet dans ses desseins insondables pour purifier un peuple ou pour faire mieux resplendir ses vertus, ce qui vous unit, ce fut la privation de la liberté, ce qui vous groupa ce fut la lutte ouverte contre votre foi et contre vos convictions les plus saintes, ce qui vous fit sentir frères — et frères de ceux que vous ne connaissiez peut-être pas la veille — ce fut le puissant feu pour fondre les âmes, qui s'appelle la douleur.

Heures terribles, par la séparation d'avec des êtres chers, par les privations et les souffrances qu'elles imposaient, par les ombres d'incertitude qui rendaient encore plus sombre votre avenir ! Heures terribles, par la lenteur avec laquelle elles s'écoulaient, par l'ennui et le dégoût dans lesquels elles submergeaient l'âme, par tout cet ensemble de circonstances si propres à exalter l'imagination, à énerver la volonté et à transformer l'homme le mieux doué en une machine aboulique, mélancolique et douloureuse ! Sans compter, au dehors, les souffrances de la patrie, à» la -société et de l'Eglise !

Ces heures, grâce à la miséricorde infinie du Seigneur, sont loin, maintenant. Quelles leçons ont-elles laissées dans vos esprits ?



Le Saint-Père invite les anciens prisonniers à tirer quatre leçons de leur captipitg : une leçon de foi, d'abord.

Cette leçon d'abord que la foi, et seule la foi, peut servit de consolation, quand tôt** les auiree . secours font défaut. «Nous sommes opprimés, de tfBS&AMMPfegl/ ï&V6- dit l'apôtre des Gentils (fl. Cor,, ff, §), mais non écrasés. » Celui, en effet, qui se sait opprimé pouf u$ ç#*se grande et digne,, non seulement apprend S^fffir^/jjiai^ ^njke ges fouffrances mêmes, en s'appuyant s*»r lç rajeç^ surnaturelle* de sa foi et en se sejç-vanÉ d'elles fipuf ;P^.i.g*s s'égarer dans Jeg obscurités de l'épreuve et la douleur.



...une leçon de reconnaissance. ......

Puis une leçon d'action de grâces, parce; que rien ne rapproche tant du 'divin Maître que la participation à sa croix, en se sentant plus près de Lui et soumis à sa volonté particulière (EeclL, W, %7). N'esMt pas certain que vous ne vous étiez YQUS'taêmes jamais sentis i près dé Dieu, que vous n'aviez jamais recouru à Lui avec tant de, confiance ? N'est-il pas vrai que, pour certains, ce terrible passage fut, pmme un port, qui à travers un terrible défilé, ouvrit, votre chemin vers des horizons plus vastes et plus lumineux, pour toute la vie ?



. . . une pensée et des prières pour les prisonniers défunts.

Troisième leçon : un souvenir, le souvenir de vos frères qui périrent dans l'épreuve et qui, peut-être., attendent de vous un pieux suffrage ;. le souvenir des prisonniers d'aujourd'hui qui,



dans les pays les plus divers et avec des perspectives encore plus sombres, souffrent votre ancienne souffrance et attendent au moins de vous le secours d'une prière ; le souvenir de ceux qui furent pour vous des instruments de la Providence et auxquels vous devez pardonner avec une charité fraternelle, celle qu'un chrétien réserve toujours à son frère égaré.



. surtout le souvenir que la vie présente est un temps d'épreuve.

Et voici enfin la principale de ces leçons. C'est à cause d'expériences si douloureuses, quand les esprits sont mieux préparés pour comprendre, que ne manqueront peut-être pas dans ce monde les heures douces et claires, où le soleil resplendit et la nature sourit ; il faut retenir, que tant que « nous habitons dans ce corps, et sommes loin du Seigneur » (2Co 5,6), il restera toujours certain « que c'est par beaucoup de tribulations qu'il nous faut entrer dans le royaume de Dieu » (Ac 14,22).

Soyez donc les bienvenus, très chers fils, et mille fois merci pour le précieux présent de cette terre imbibée d'un sang versé au service des idéals les plus élevés ; Nous ne manquons pas d'en apprécier la haute valeur symbolique. Nous levons les yeux vers la Mère de miséricorde et votre patronne, Notre-Dame de la Merci, et Nous lui demandons, de tout coeur, avec la prière de l'Eglise, que vous puissiez par ses mérites et son intercession vous voir toujours libérés de tout péché et de la captivité du démon 2.

Que Notre Bénédiction s'étende sur tous vos frères anciens captifs, et plus spécialement sur vous tous, ici présents, en vous souhaitant toutes sortes de biens et de prospérité ; et, comme vous formez une association nationale, une Bénédiction pour toute la chère Espagne à laquelle Nous souhaitons comme au monde entier le triomphe de la justice et de la vérité dans la paix la plus complète des esprits.











Orat. in fest. B. M. V. de Mercede, 24 septembre.


LETTRE ENCYCLIQUE « LUCTUOSISSIMI EVENTUS » A L'OCCASION DES SANGLANTS ÉVÉNEMENTS

DE HONGRIE

(28 octobre 1956) 1






Après avoir exprimé sa profonde douleur et l'indignation de tout le monde civilisé devant les atroces souffrances de la Hongrie, le Saint-Père déclare que ce n'est pas par la violence qu'on éteint l'aspiration à une légitime liberté.

Les événements très douloureux qui frappent les peuples de l'Europe orientale, et surtout la si chère nation hongroise qui est actuellement ensanglantée par un terrible massacre, émeuvent profondément Notre coeur paternel ; et non seulement le Nôtre, mais encore le coeur de tous ceux qui sont attachés aux droits de la civilisation, de la dignité humaine et de la liberté due aux personnes et aux nations.

Aussi, en raison du devoir de Notre charge apostolique, Nous ne pouvons pas Nous empêcher de lancer un appel pressant à vous, vénérables frères, ainsi qu'aux troupeaux confiés à vos soins, afin que, poussés par une charité fraternelle, vous vous unissiez à Nous dans une prière suppliante à Dieu. Qu'elle fasse violence à Celui qui tient entre ses mains le sort des peuples et non seulement la puissance, mais la vie même de leurs chefs, pour qu'il soit mis fin au carnage et que resplendisse enfin la paix véritable fondée sur la justice, la charité et la liberté. Que tous comprennent que ce n'est pas par la force des armes qui porte la mort aux hommes, ni par l'oppression des


ENCYCLIQUE « LUCTUOSISSIMI EVENTUS »



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citoyens, qui ne saurait étouffer leurs sentiments profonds, ni enfin par de fallacieuses propagandes qui corrompent les esprits et violent les droits de la conscience civile et chrétienne et ceux de l'Eglise, que peut être affermi l'ordre troublé des peuples, et que ce n'est pas par la violence extérieure qu'on peut éteindre l'aspiration à une juste liberté.



Il évoque l'heureux souvenir du congrès eucharistique international de Budapest et proclame sa conviction que les catholiques hongrois demeureront fidèles à leur foi malgré la persécution.

Dans la si grave conjoncture actuelle, qui étreint une portion aimée du peuple chrétien, un souvenir agréable se présente à Notre esprit. Lorsqu'il y a de nombreuses années, Nous Nous rendîmes à Budapest, en qualité de légat de Notre prédécesseur Pie XI, pour participer au congrès eucharistique international, ce Nous fut une joie et une consolation de voir les bien-aimés chrétiens de Hongrie accompagner avec une piété enflammée et un si profond respect l'Auguste Sacrement de l'autel porté à travers la ville au cours d'une solennelle cérémonie. Nous ne doutons pas qu'une même foi et un même amour pour le divin Rédempteur n'animent encore ce peuple, malgré tous les efforts des partisans du communisme athée pour arracher des coeurs la religion ancestrale. Aussi avons-Nous pleine confiance que cette très noble nation, même dans la situation critique où elle se trouve, adressera à Dieu des prières pressantes pour obtenir la paix tant désirée, inséparable de l'ordre fondé sur la justice. Et Nous espérons bien que tous les vrais chrétiens du monde entier, en témoignage de la commune charité, joindront leurs supplications à celles de leurs frères broyés par tant d'injustes malheurs. Mais Nous exhortons particulièrement à un tel effort ceux qu'à l'exemple du divin Rédempteur, Nous, qui tenons sa place sur terre, embrassons avec un tendre amour : Nous voulons dire ceux qui, dans la fleur de leur jeunesse, brillent d'innocence, de douceur et de grâce. Nous avons grande confiance dans leurs prières, car ils sont, peut-on dire, les anges de ce monde souillé par tant de crimes et de péchés. Qu'avec eux tous les chrétiens invoquent le puissant patronage de la Bienheureuse Vierge Marie, si efficace en notre faveur auprès de Dieu, puisqu'elle est la Mère très aimante du divin Rédempteur et la nôtre.

Le Saint-Père termine par une fervente exhortation à une croisade universelle de prières.

Noois ne doutons pas que dans les villes, dans les bourgs et jusque dans les hameaux les plus reculés, partout où a lui la lumière de l'Evangile, tous les chrétiens, à commencer par les enfants, répondront avec empressement à Nos exhortations, auxquelles viendront s'ajouter les vôtres. Qu'ainsi, sous l'inspiration et avec l'aide de Dieu, prié par tant de voix suppliantes, et par l'intercession de la Vierge Marie, la très chère nation hongroise, tourmentée par tant de douleurs et ruisselante de tant de sang, et avec elle les autres peuples de l'Europe orientale, privés de la liberté religieuse et civile, puissent heureusement jouir à nouveau de la justice, de l'ordre et de la paix, dans le respect des droits de Dieu et du Christ-Roi, auquel appartient « le règne de la vérité et de la vie, le règne de la sainteté et de la grâce, le règne de la justice, de l'amour et de la paix » 2.

2 Préface de la fête du Christ-Roi.




Animé par cette espérance, Nous vous accordons avec amour dans le Seigneur, vénérables frères, ainsi qu'à vos fidèles, ceux surtout qui, en Hongrie et dans les autres nations de l'Europe orientale, sont si durement éprouvés et opprimés par de si graves calamités — et nommément aux évêques de ces nations, détenus en prison ou en résidence surveillée, ou envoyés en exil — en gage des grâces célestes et en témoignage de Notre bienveillance, la Bénédiction apostolique.




152 DISCOURS

AUX TRAVAILLEURS ITALIENS DE PRATO

(28 octobre 1956) 1






Le dimanche 28 octobre, le Souverain Pontife a reçu dans la cour de la villa pontificale de Castelgandolfo, un imposant pèlerinage de travailleurs de Prato.

Il adressa à l'assemblée un admirable discours, dont nous donnons la traduction :

En vous souhaitant la bienvenue, chers fils, et en vous accueillant dans Notre maison avec toute la tendresse de Notre coeur, Nous avons pour ainsi dire devant Nos yeux votre Prato, une des plus importantes cités de Toscane par le nombre de ses habitants, l'ancienneté millénaire de sa culture florissante, la splendeur de ses arts, ainsi que par ses ensembles industriels, l'imposant réseau de ses activités commerciales, la multitude des entreprises artisanales et agricoles. Il Nous a été rapporté — et Nous en sommes très heureux — qu'il y a à Prato plus de 45.000 travailleurs occupés dans les diverses branches de l'économie : signe que beaucoup ont au moins le pain quotidien, base de la sereine tranquillité que l'homme désire pour lui-même et pour sa famille. Nous en remercions du fond du coeur notre Père des cieux, qui pourvoit avec une largesse suffisante aux besoins de ses fils de la terre de Prato ; et Nous le supplions de vouloir bien conserver et accroître votre bien-être, en l'étendant également à tous ceux qui en sont privés et qui vivent dans l'incertitude pour leur avenir.





Le Saint-Père exhorte les ouvriers italiens à travailler à l'avènement du règne du Christ-Roi en conformant toujours davantage leur vie aux enseignements de l'Evangile.

Ce matin, dans le colloque matinal avec Dieu, Nous avions comme toujours dans Notre coeur la « sollicitude pour toutes les Eglises » (2Co 2,28). Mais Notre pensée allait spécialement à vous, à qui Nous devions adresser des paroles de réconfort et d'exhortation. Et, comme pour venir en pèlerinage, vous aviez choisi la fête solennelle du Christ-Roi, c'est dans la liturgie sacrée que Nous avons jugé devoir chercher quelque pensée à proposer à votre méditation pour vous inciter à affirmer de nouveau, ouvertement, votre foi dans la royauté divine de Jésus, en démontrant en même temps, votre volonté d'être pour Lui de fidèles sujets. Et ainsi, tandis que la liturgie chante les louanges de ce sublime souverain, réunissant toute l'Eglise et, avec elle, toute la création, dans un acte d'hommage universel, vous ne vous contenterez pas d'honorer en paroles le « Roi des rois et Seigneur des seigneurs » (Ap 19,16) ; vous accompagnerez cette manifestation extérieure de louange d'une soumission réelle de votre vie et vous vous engagerez avec Lui à travailler généreusement, méthodiquement, afin que son royaume soit reconnu et accueilli parmi les hommes. C'est là le vif et constant désir de Notre âme, le but visé par toute Notre sollicitude pastorale, alors que Nous avons la sensation de plus en plus vive que les hommes attendent — voire souvent inconsciemment — l'avènement du règne du Christ. Il suffit de savoir regarder, il suffit de réfléchir sérieusement pour se rendre compte que, parmi tant de sceptres misérablement brisés, parmi tant de palais royaux demeurés déserts, Jésus seul voit s'étendre sa souveraineté et se confirmer la fidélité de ses sujets ; Lui seul voit ses ennemis se disperser ; tandis que son trône divin est toujours solide, toujours ferme son sceptre pacifique. « Son règne n'aura jamais de fin », chante l'Eglise avec une confiance indestructible, se faisant l'écho des paroles de l'archange Gabriel, qui l'annonçait à Marie : Et regni ejus non erit finis (Lc 1,33).

Prato devra se distinguer dans la prière pour appeler son règne, dans les efforts pour préparer les voies et l'accueillir avec joie ; Prato doit s'engager aujourd'hui solennellement à mener une action constante de défense, de conquête, de construction positive ; vous devez tous vous y engager, fidèles, associations catholiques, clergé, congrégations religieuses, sous la conduite éclairée de l'insigne prélat, que Nous vous avons Nous-même donné, voici deux ans, en raison de l'importance toujours croissante de votre cité et de son développement démographique et économique prévisible.



Le Saint-Père paraphrase quelques paroles de la préface de la messe du jour.

Reprenant donc en les paraphrasant avec de légères variations les paroles de la préface d'aujourd'hui, Nous vous dirons : Priez afin qu'arrive le règne du Christ : dans vos esprits, le règne de la vérité ; dans vos coeurs, le règne de la grâce et de la vie ; dans vos entreprises, le règne de la justice ; dans votre cité et dans tout le diocèse, le règne de l'amour et de la paix.
1. Que la vérité règne dans vos esprits




Il vous suffit de regarder autour de vous, chers fils, pour vous rendre compte que beaucoup de ceux qui vivent à côté de vous sont dans une effrayante ignorance des vérités les plus élémentaires de la foi. Certains ignorent tout de leur origine, de leur destin ; ils savent confusément qu'il y a un Dieu, mais ils ne sauraient à peu près rien dire de ses attributs, de la signification de l'Incarnation et de la mort du Rédempteur ; ils connaissent l'existence de l'Eglise, mais ils n'entrevoient même pas le mystère de sa grandeur et de sa mission.

D'autres qui ont atteint un niveau assez élevé dans le domaine des sciences profanes, en sont restés, pour la science religieuse aux premières notions du catéchisme ; il suffit alors d'un obstacle, d'une difficulté quelconque, pour ébranler leur foi, pour les rendre incertains, par exemple sur la réalité de la providence de Dieu, sur sa sollicitude dans le gouvernement des choses créées ; pour les désorienter par rapport au sens de la vie et de la mort, à la valeur de la souffrance, à la finalité de la douleur. Les voici donc dans le doute devant l'éternité des peines, déconcertés devant la compatibilité de la souveraineté suprême de Dieu avec le libre arbitre humain ; les voici incapables de trouver une réponse sûre à toutes les questions pressantes qui se posent ; les voici pratiquement sceptiques, dépourvus d'enthousiasme dans l'exercice de la vie chrétienne.

Il est urgent de porter remède à Cette situation, chers fils ; commencez vous-mêmes et mettez-vous à Y<&awïe, afin que les autres vous suivent et vous imitent Le règne de Jésus est un règne de lumière : Il est, en effet, la lumière du monde : Lux mundi (Jn 8,12) ; faites donc que sa lumière illumine tout homme qui vient dans le monde (Jn 1,9).



2. Que la grâce et la vie régnent dans vos coeurs

C'est pour nous donner la grâces pour nous dtmJier la vie et nous la donner en abondance (Jéaft, 10, io) que Jésus vint dans le monde. Et qu'est-ce donc que cette vie possédée par Jésus et qu'il vêtit nous donner pour en faire l'âme de notre âme ? Que se passe-t-il en rious quand nous naissons à cette vie ?

Si nous n'avions pas l'aide des paroles mêmes de Dieu, nous n'oJWriens pas en parler, tant est grand l'égarement qui nous assaille chaque fois que nous tentons de pénétrer dans les profondeurs mystérieuses de la grâx>. Voilà : « Nos membres sont un temple du Saint-Esprit... Nous ne nous appartenons pas... nous portons Dieu dans notre corps... » (1Co 6, 19, 20). Qu'advient-il donc de notjs ? Nous devenons des pierres vivantes dans l'édifice qu'est le Christ, nous devenons des branches de la vigne qu'il est Lui-même (Jn 15, fe nous devenons des membres de son* Corps mystique (I Ccbf., 12, 27), nous nous transformons en Lui, nous existons" ef» Lut (Ac 17,28). Il vit en nous (Ga 2,20). Tou9, nous recelons toutes choses de sa plénitude (Jn 1,16), pafee qu'il est l'aliieur de notre foi et le but de notre vie (He 12,2).

Et maintenant, chers fils, réfléchissez : dans k;> diocèse de Prato, combien sont en possession permanente de- cette vie ? Combien parmi vous qui êtç» ici présent ? Combien parmi ceux qui n'ont pas pu ou n'dnt pas voulu venir ? Et lp bien-être — quel que soit son niveau — vous serait-il donc utile si la vie divine faisait défaut à vos âmes ? Si votis étiez comblés de tout, mais aviez le vide de Dieu ? A quoi vous servirait la vie du corps si votre âme était dans la mort ? Qu'importerait la vigueur de la nature, si la grâce languissait ? Voici donc pour vous un autre but,- clair et précis, chers fils. Faites que Jésus règne chez tous par sa grâce, pae sa Vie.

3. Que la justice règne dans vos usines



Nous parlons d'une justice spéciale, de la justice sociale, dont la faim et la soif agitent plus que jamais les hommes du monde moderne. Il serait superflu de répéter ici tout ce que Nous avons dit, en diverses occasions, avec une franchise paternelle, pour la juste solution du problème social ; mais il est nécessaire d'affirmer de nouveau qu'il n'y aura pas de justice dans les lieux de travail si Jésus n'y règne pas : l'espérer serait vain pour ceux qui demeurent loin de Lui ; le tenter vain aussi pour ceux qui le nient. C'est seulement en son nom, seulement en appliquant ses commandements, que l'on pourra attribuer et donner à chacun ce qui lui revient. Nous le rappelons aux employeurs : si elle condamne toute violation injuste du droit de propriété, l'Eglise avertit cependant que ce dernier n'est pas illimité ni absolu, parce qu'il a des devoirs sociaux précis. Les méconnaître serait agir contre la justice ; ce serait lutter contre le règne du Christ. Mais il ne vous sera pas difficile de remplir ces devoirs, si vous considérez l'ouvrier comme on regarde un frère, égal à vous par nature même s'il est appelé à exercer une fonction diverse.

Aux travailleurs, Nous disons : l'Eglise est avec vous quand vous vous défendez contre des contrats injustes ou exigez l'observation de justes engagements ; elle sera encore avec vous, quand vous rechercherez par des moyens légitimes l'amélioration de vos conditions ; mais l'Eglise ne pourrait être avec vous, si ce que vous demandez était injuste ou si le moyen que vous voudriez employer pour l'obtenir était illicite ; elle ne pourrait être avec vous si vous vous rangiez avec des ennemis de Dieu, en sacrifiant âme, liberté, paix, patrie et famille ; si, poussés par ceux qui feignent de vous aimer, vous semiez la haine ou pratiquiez la violence.

Oh ! puissions-Nous voir à Prato la justice de Jésus s'affirmer dans tous les domaines ! Nous aurions ces exemples manifestes capables d'entraîner les indécis et les paresseux ; l'Eglise vous en serait reconnaissante, comme vous seraient reconnaissants tous ceux qui attendent avec anxiété le règne de la justice parmi les hommes.

4. Avec le règne de la vérité, de la grâce et de la justice, qu'arrive le règne de l'amour et de la paix



Qu'il arrive partout où vivent les enfants de Dieu, où agissent les membres du Corps mystique du Christ. Tandis que la justice donne ce qu'elle doit, l'amour fait davantage : celui qui aime donne ce qu'il a, donne ce qu'il est, se donne lui-même. La science de cet amour complet et permanent fut prêchée et pratiquée par le divin Sauveur. Il proclama que c'est à cet amour mutuel que l'on reconnaîtrait ses disciples (Jn 13,35) et il avertit qu'au dernier jour les vivants et les morts seraient jugés sur l'amour. Lui d'ailleurs, il n'était pas tenu à venir dans le monde, et il vint par amour ; il n'était pas tenu à préférer une vie de privation et de tourments, et il la choisit par amour ; il n'était pas nécessaire que, pour nous racheter, il souffrît et mourût ; mais il souffrit et mourut crucifié par amour. Qui ne comprend pas l'amour ne comprend pas Jésus, l'Amour incarné.

Chers fils ! Voulez-vous que Jésus règne parmi vous ? dans vos familles, dans votre cité et dans votre diocèse ? Faites que l'amour y règne : l'amour qui entend et comprend, qui supporte, qui prévoit, qui pourvoit ; l'amour qui donne, l'amour qui se donne ; l'amour qui unit, l'amour qui unifie. Plus que la justice et que la vérité elle-même, l'amour rendra visible la vie divine, qui est en vous ; parce que vous serez une multitude de croyants, mais vous n'aurez qu'un seul coeur et une seule âme ; vous serez beaucoup, mais vous ne formerez qu'un seul corps (1Co 10,17). On verra alors comme une merveilleuse réalité ce que Jésus implora dans sa prière sacerdotale : « Qu'ils soient tous un, comme vous et moi, ô mon Père, nous ne sommes qu'une seule chose » (Jn 17,22). Alors, le christianisme se lèvera irrésistiblement comme un signe parmi les nations, comme un flambeau sur la montagne. Et les hommes reconnaîtront dans le Christ l'Envoyé du Père, le Souverain absolu, le Juge et le Législateur suprême.

2 Hymn. in Vesp. in fest. Jesu Christi Regis.




Ils chanteront du fond de l'âme : Prince des siècles, Roi des nations, Roi des pensées et des coeurs, nous t'acclamons comme notre unique arbitre, ô Christ2. Et avec la vérité, avec la vie, avec la justice et l'amour, il y aura la paix !

Le Saint-Père termine son magnifique discours en bénissant paternellement les travailleurs et aussi beaucoup d'autres personnes absentes.

Et, maintenant, Nous désirons qu'une grande bénédiction descende sur vous tous, sur les personnes et les choses qui vous sont chères et pour l'accomplissement de vos saintes intentions : pour votre admirable et bien-aimé pasteur, Notre vénérable frère, pour le vénéré chapitre de la cathédrale, pour la sainteté et le zèle du très cher clergé, pour la persévérance et la générosité des jeunes séminaristes et des âmes consacrées au Seigneur dans les congrégations religieuses et dans les instituts séculiers, pour l'augmentation des vocations sacerdotales, pour la vertu et l'ardeur dans le bien des catholiques militants, pour les dévoués dirigeants diocésains de l'Action catholique et des autres oeuvres similaires, pour les intellectuels et les membres du corps enseignant, pour les employeurs — afin que dans leurs activités diligentes, ils se conforment toujours aux principes de la doctrine sociale de l'Eglise — surtout pour les chers et bons travailleurs, pour les candides et innocents garçonnets et fillettes, pour l'heureux achèvement de la grande Maison d'Exercices, dont on attend pour toutes les catégories de personnes des fruits abondants et un grand renouvellement spirituel. Nous bénissons enfin tous les objets de piété et de dévotion que vous avez apportés avec vous.


RADIOMESSAGE A L'OCCASION DE LA CONSÉCRATION DE L'EMILIE AU SACRÉ-COEUR

(28 octobre 1956) 1






A Reggio d'Emilie, le dimanche 28 octobre, fête du Christ-Roi, sur l'initiative de son épiscopat, la province d'Emilie a été consacrée au Sacré-Coeur de Jésus, au cours d'une solennelle cérémonie.

Le Souverain Pontife avait daigné préparer les fidèles à cette consécration par le radiomessage dont voici la traduction :

Vos applaudissements et votre irrésistible cri de joie sont un signe de votre foi, un gage de votre amour et de votre dévotion pour Jésus-Christ. En ce moment, comme illuminée par la douce image du divin Rédempteur, toute l'Emilie catholique est présente ici, avec son histoire millénaire, avec le trafic de ses routes, avec la fécondité de ses champs, avec les élans de ses passions, avec la cordiale urbanité de ses habitants, avec ses martyrs, ses luttes et ses victoires. Nous voudrions que l'écho de votre cri parvînt jusqu'à ceux qui sont demeurés étrangers à une si grande manifestation de piété et au triomphe du Coeur divin de Jésus, tandis que Nous adressons aux présents et aux absents Notre salut et Notre parole paternelle.



Le Saint-Père rappelle que la consécration de l'Emilie au Sacré-Coeur doit être le début d'une année entièrement consacrée au développement d'une vraie dévotion au Sacré-Coeur.

Comme cela vous a déjà été enseigné par Nos vénérables frères les archevêques et évêques de la région conciliaire émi-





lienne, dans leur lettre pastorale collective, cette manifestation ne peut être une fin en elle-même ; elle doit plutôt marquer le début d'une année entièrement consacrée à fortifier, dans l'esprit des fidèles, la dévotion au Sacré-Coeur. Nous avons démontré tout récemment encore dans Notre encyclique Haurietis aquas, combien elle Nous est chère, et Nous l'avons présentée comme un symbole d'unité, de salut et de paix, comme une école de charité divine, sur laquelle doit s'appuyer, comme sur une solide base, le règne de Dieu2. Nous vous exhortons donc à l'étude assidue, à la méditation approfondie d'un si doux mystère. Nous vous recommandons surtout la sérieuse et constante pratique de la dévotion pour ce très Sacré-Coeur ; cette dévotion ne doit pas se limiter à des exercices de piété extérieure, mais elle doit se réaliser spécialement dans la consécration et dans la réparation. C'est à cela que vous ont invités vos pasteurs, et, maintenant, vous vous apprêtez à en réciter la formule. Puissiez-vous y être convenablement préparés, en réalisant en vous toutes les conditions que réclame un si grand acte.



Il indique quelques qualités essentielles d'une vraie dévotion au Sacré-Coeur : 1. l'état de grâce, 2. l'offrande totale de soi.

1. Avant tout, celui qui n'est pas en état de grâce ne peut se consacrer à Jésus.

La consécration est un acte d'amour pour Jésus ; comment peut-il la faire celui qui est loin de lui, qui est indifférent à son égard ou même qui l'offense ? La consécration est l'offrande de soi, de ce qu'on est, de ce qu'on a, de ce qu'on est capable de faire. Par elle, l'homme accepte librement le pouvoir absolu de Dieu et se déclare prêt à répondre à tout signe de sa part : comment peut donc accomplir un tel acte celui qui vit dans le péché, qui désobéit à sa loi ?

2 Cf. p. 506 ; A. A. S., XXXXVIII, 1956, p. 351.




Bien que ne connaissant pas le fond de vos âmes, Nous avons confiance, chers fils, qu'en fidèles dévots du Sacré-Coeur, vous possédez en ce moment la grâce sanctifiante. Mais, peut-être — à Dieu ne plaise ! — il se pourrait que l'une ou l'autre des âmes présentes ait commis le péché mortel. Nous voudrions dire à chacune d'elles, au nom de Jésus : ô âme qui écoutes, qui semblés perdue et comme ensevelie au milieu de l'immense multitude, Jésus te voit et t'appelle. Peut-être es-tu inquiète à cause de la haine qui te brûle et qui ne veut pas s'éteindre ? Peut-être es-tu humiliée à cause de l'impureté qui te souille ? Vois comme ton foyer est éteint et triste, parce que la flamme de l'amour fait défaut ! Qui que tu sois, quoi que tu aies fait, écoutes : avant de réciter l'acte de consécration, courbe le front, ploie le genou, abandonne-toi à des larmes de repentir et d'amour. Tu ne peux te consacrer si tu ne te réconcilies auparavant avec ton Dieu. Demain, le prêtre écoutera ta confession ; mais, dès à présent, par la parfaite contrition, tu pourras retrouver la grâce, si tu dis de tout coeur : « Jésus, pardonnez-moi. Vous m'avez tant aimé et je vous ai tant offensé. Je déteste la faute par laquelle j'ai méprisé votre bonté paternelle. Pardonnez-moi ! » Priez ainsi, chers fils, et vous serez de nouveau les amis de Dieu. Ainsi, Jésus est dans votre coeur, apprêtez-vous à réciter, d'un coeur sincère, votre acte de consécration.

2. Mais si, pour se consacrer, il est nécessaire d'être en état de grâce, il faut être prêt à donner davantage, à faire davantage pour vivre la consécration. Il faut s'offrir complètement à Jésus. En vous consacrant à lui et en vivant cette consécration, vous ne serez pas seulement des tabernacles vivants de Jésus, mais vous vous transformerez réellement en lui-même si cela se passe dans le mystère de votre âme. Quand vous lui direz : nous vous offrons notre âme, notre mémoire, notre intelligence, notre volonté, notre liberté, vous proclamerez : tout ce que nous avons est à vous et nous l'offrons à votre volonté divine. Quand vous lui direz : nous vous offrons nos corps, ils seront des membres du Christ (Jn 1,16). Quand vous lui direz : nous vous offrons notre vie, vous continuerez à vivre, et cependant ce n'est plus vous qui vivrez ; c'est le Christ qui vivra en vous (Ga 2,20).

Oh ! si Nous pouvions vous faire comprendre, de quelque manière, le mystère de notre transformation en Jésus-Christ ! Qui pourra entrevoir les sommets auxquels vous appelle Jésus, quand il vous demande de lui donner votre coeur ? Il semble que c'est lui qui demande, alors que c'est nous, au contraire, qui recevons de sa plénitude (Jn 1,16). Si vous pouviez éprouver, voire quelques instants, la joie de l'union parfaite avec lui ! Il donne et se donne, vous lui donnez et avec une générosité qui ne connaît plus de limites, vous êtes à lui, comme il est à vous. L'influx de sa vie atteint les profondeurs de votre âme.

Ecoutez, chers fils et filles : il Nous semble que Jésus est descendu parmi vous et qu'il vous demande : Donnez-moi votre coeur, tout votre coeur, pour toujours. J'ai besoin de ceux qui aspirent à l'offrande totale d'eux-mêmes, tout en demeurant au milieu de l'agitation du monde. J'ai besoin de jeunes héros, d'enfants innocents, d'époux fidèles, de jeunes filles immaculées. Tous peuvent s'offrir, tous peuvent se consacrer et vivre leur consécration. Jésus passe au milieu de la foule, dont Nous ne voyons pas le visage, mais dont Nous sentons, pour ainsi dire, les frémissements. Jésus passe et tous et toutes répondent : Me voici, Seigneur.



L'Emilie est une terre plus particulièrement exposée aux attaques des ennemis de Dieu.

3. Invoqué par de telles âmes, Jésus sera au milieu de vous et régnera en souverain dans votre région.

Personne n'ignore que votre terre s'est trouvée et se trouve encore des plus exposées aux assauts des ennemis de Dieu, qui ont tenté d'y détruire la foi dans les pensées et la grâce dans les coeurs. La haine y a été semée, l'indifférence répandue, le soupçon insinué à l'égard des choses saintes et des ministres de Dieu. Dans aucune région peut-être n'a-t-on pas fait davantage de massacres de prêtres que dans la vôtre, et l'enfance elle-même a vu menacées son innocence et sa candeur. A côté d'une magnifique floraison d'âmes et d'ceuvres, il y a encore des zones où régnent la dévastation et le désert. C'est le moment d'agir, chers fils ; c'est le moment d'une action des plus urgentes. Celui qui, ce soir, se consacre au divin Coeur de Jésus, s'enrôle dans une pacifique et sainte armée, une milice qui n'aura pas de pause ni de repos tant que Jésus ne régnera pas dans tous les coeurs, dans toutes les familles, dans toutes les institutions.



Le Saint-Père termine en soulignant que le matérialisme est incapable de procurer à la société la paix sociale. Le Christ seul peut le faire.

Vos pasteurs ne se cachent pas la gravité des choses ni la complexité des problèmes ; le clergé diocésain, en une sainte émulation avec le clergé régulier, compte les forces et étudie un plan organique pour leur emploi raisonnable et rationnel. Ce soir, devant Jésus, Nous Nous adressons Nous-même aux



âmes les plus généreuses. En avant, chers fils et filles ! Vos ennemis ne sont pas en mesure de créer ce à quoi tout le monde aspire : l'ordre social et la paix sociale. Ces biens ne peuvent être édifiés sur le matérialisme et l'athéisme. C'est seulement dans le Christ qu'ils ont consistance et valeur. L'Eglise, depuis longtemps déjà, longuement et sous tous les aspects, a indiqué la base de cette paix et la structure de cet ordre. Il vous appartient d'aplanir le chemin. Et si vous supportez vous-mêmes les sacrifices qu'exige la réalisation d'un but si élevé, tout le monde devra reconnaître combien est sincère votre consécration au Christ et combien est fécond votre amour pour lui. Chers fils et filles !

Puisse la journée d'aujourd'hui compter parmi les plus décisives de votre histoire ! Puisse toute l'Emilie, par votre oeuvre, par votre exemple d'une vie vraiment chrétienne et votre fervente action religieuse et sociale, être gagnée à Dieu, au Christ et à son Eglise, à la paix et au salut temporel et éternel de ses habitants ! Et, maintenant, que sur tous, pasteurs et fidèles, descende avec abondance — comme une protection et une illumination — Notre paternelle Bénédiction.


Pie XII 1956 - AGENCES DE PRESSE