Pie XII 1957 - DISCOURS AUX ÉLÈVES DU LYCÉE « VISCONTI »


DISCOURS A LAUTOMOBILE-CLUB DE ROME

(3 mars 1957) 1






Lors d'une audience accordée aux dirigeants et au personnel de VAutomobile-Club de Rome, le Saint-Père prononça le discours suivant, traduit de l'italien :

Nous répondons avec empressement à votre désir, chers fils, et, en vous accueillant aujourd'hui, Nous vous remercions des assurances de fidélité et de dévotion que vous Nous avez exprimées avec tant de ferveur.

Vous savez combien Nous participons vivement aux souffrances, aux joies, aux travaux de tous Nos fils, de ceux qui vivent dans les régions les plus lointaines comme de ceux qui sont plus près de Nous et que Nous avons la consolation d'avoir, pour ainsi dire, constamment sous les yeux, dans cette ville qui est Nôtre à tant de titres, surtout en vertu de la charge pastorale que le Seigneur a bien voulu Nous confier. Est-il donc nécessaire de vous dire combien Nous apprécions ces rencontres, qui ne sont motivées par aucune circonstance extraordinaire, mais toutes empreintes d'un caractère intime et familial ? Elles entendent être comme un dialogue entre les fils et le Père, qui veille sur vous et saisit volontiers cette occasion pour vous manifester toute son affection et sa bienveillance.



Le Pape reconnaît les bons services de VAutomobile-Club ; il exhorte ses membres à travailler sur la terre pour gagner le ciel.. .

Comme employés du « Registre public de l'automobile de Rome », vous assurez, dans les bureaux de 1'« Automobile-Club d'Italie », pour le compte de l'Etat, certains services d'utilité publique, dans le but de constituer un système de publicité pour les rapports de caractère juridico-patrimonial inhérents aux automobiles, et de pourvoir à la perception des taxes de circulation et de « contrôle » annuel des permis de conduire. Le développement des transports automobiles a conduit à la formation d'un réseau de nouvelles relations juridiques ayant pour objet la propriété de ces véhicules. En 1927 fut institué un bureau spécial d'enregistrement des hypothèques dont ils peuvent être grevés, spécialement dans le cas d'une vente à tempérament ou à paiement partiel différé. Dans ce secteur particulier, vous contribuez à assurer le respect du droit et vous maintenez ainsi les bases nécessaires d'une importante activité commerciale.

Vous remplissez certainement vos fonctions avec conscience et exactitude ; et cela pas seulement pour plaire aux hommes, pour mériter leur estime et la juste compensation de votre travail. Vous voulez plutôt, par le fidèle accomplissement de votre devoir, coopérer, dans la mesure où vous le pouvez, au bien commun, à l'ordre et à la sécurité, à la paix intérieure de la société et de l'Etat. Vous obéissez de la sorte à une pensée plus élevée, à un idéal bien au-dessus des satisfactions terrestres passagères. Parce que vous êtes des membres non seulement d'une société civile, d'une nation à la prospérité de laquelle vous contribuez, mais aussi d'une société spirituelle, l'Eglise, dans laquelle vous êtes entrés par le baptême et qui, à chaque instant, se penche sur vous pour vous aider à imprimer un esprit nouveau dans toutes vos activités, dans votre vie familiale, dans vos relations sociales. Il ne s'agit pas uniquement d'accomplir avec le plus grand soin des actions seulement humaines, mais de les faire tendre au service de Dieu par sa grâce et pour conquérir un royaume qui n'est pas de ce monde.



. en étant des enfants fidèles de Dieu et de l'Eglise . . .

Le souci constant de l'Eglise est de créer dès à présent chez ses fils les dispositions qu'ils devront avoir au moment où ils seront admis à voir le Seigneur face à face et à vivre éternellement devant lui. Pensez-vous quelquefois à tout ce qu'il y a d'extraordinaire dans cela et combien les plus grandes ambitions humaines sont loin d'arriver à la sainte hardiesse de l'Eglise qui vous propose une telle fin ? Et n'éprouvez-vous jamais le juste orgueil d'appartenir à cette courageuse phalange, qui, à travers



les siècles, a tenu tête aux plus violents ouragans du paganisme antique et moderne, pour conserver intact cet idéal, pour le garder pur de toute contamination et de toute perversion et pour transmettre intégralement, d'âge en âge, le message du Christ ?

Il en est aujourd'hui comme dans le passé. A vous, comme aux chrétiens d'autrefois, héros de sainteté, témoins du royaume de Dieu auquel ils aspiraient et qu'ils avaient conquis par leur sang et par la pureté de leur vie, revient le même devoir : être des enfants fidèles de Dieu et de l'Eglise dans le monde présent tel qu'il est avec tout ce qu'il contient de bien et de mal, de vrai et de faux, au milieu de la séduction des admirables progrès de la science, mais aussi des vaines promesses de doctrines philosophiques et politiques, qui prétendent assurer la paix en méprisant toute religion, alors qu'elles ne réussissent qu'à imposer à des peuples entiers l'esclavage complet et le tribut du sang.



. . . et en gardant la patience du Christ au milieu des contradictions de ce monde.

Jésus-Christ a prévu les inquiétudes des siens. Il les a exhortés à la patience, en soulignant ses desseins divins dans une parabole bien connue, celle du froment et de l'ivraie. « Maître, n'avez-vous pas semé de bonne semence dans votre champ ? » demande les serviteurs au maître de maison. « Comment se fait-il donc qu'il y ait de l'ivraie ? Il leur dit : « C'est un ennemi qui a fait cela. » Les serviteurs ajoutent : « Voulez-vous que nous allions la ramasser ? Non », répond-il, « de peur qu'en ramassant l'ivraie, vous n'arrachiez aussi le froment. Laissez croître ensemble l'un et l'autre jusqu'à la moisson... » (Mt 13,27-30), c'est-à-dire jusqu'au jour où Dieu appellera les hommes pour leur demander compte de leur vie. En attendant, malgré les nombreuses injustices, divisions, souffrances, il s'agit de faire triompher en vous-mêmes et autour de vous la bonté, l'humilité, la douceur, la patience (Col. ni, 12) et toutes les vertus chrétiennes qui éclairent de leur lumière tranquille et pénétrante les foyers, les groupes, les sociétés qui ont accueilli le message de l'Evangile et veulent le faire fructifier. L'Eglise s'emploie, par l'enseignement de ses pasteurs, par les sacrements, par les instructions et par toutes les oeuvres qu'elle inspire, à unir plus étroitement ses fils entre eux et avec le Christ ; elle les encourage à poursuivre une action longue et ardue, une lutte constante contre les erreurs et les méchancetés, un effort tenace pour que déjà sur cette terre, apparaisse un rayon de la charité divine, de sa puissance de rédemption et de sa victoire sur le mal.

Il vous appartient, chers fils, de vous montrer tels dans votre famille, dans le secteur de la société où vous exercez vos activités professionnelles, dans tous les milieux où vous jouissez de quelque influence. Que la profondeur de votre vie chrétienne, la sincérité de votre union avec Dieu, l'obéissance et la fidélité envers ses représentants, votre sens de fraternité humaine et chrétienne fassent de vous, en toute circonstance, dans la prospérité et l'adversité, dans la joie et la peine, les témoins convaincus de la foi qui est votre force et votre consolation.

Nous avons confiance que Notre exhortation trouvera dans vos coeurs un profond écho et que, suivant Notre invitation, en connaissant plus clairement ce que Jésus-Christ et l'Eglise attendent de vous, vous vous appliquerez à le réaliser avec un courage accru et avec un élan plus généreux.


DISCOURS

AUX PRÉDICATEURS DE CARÊME DE ROME

(5 mars 1957)1






Lors de l'audience traditionnelle accordée aux curés et prédicateurs de Carême de Rome, le Pape prononça un important discours en italien, dont voici la traduction :

C'est avec une affection paternelle que Nous vous souhaitons la bienvenue, chers fils, curés de Rome et prédicateurs de Carême, qui, guidés par Notre Vénérable Frère, le très cher Cardinal Vicaire et par les dévoués vice-gérants, êtes venus rendre visite au Père Commun pour le faire participer à vos anxiétés, à vos douleurs, à vos joies, à vos espérances. Nous avons l'habitude de répondre, chaque année, à votre geste filial par des paroles de félicitation pour le travail accompli, de réconfort et d'encouragement pour les oeuvres qui vous attendent.

La « sollicitude de toutes les églises » (II Cor. xi, 28) ne Nous empêche pas de considérer Rome comme l'Eglise qui nous est particulièrement confiée par le Seigneur ; elle est au sommet de Nos pensées, comme elle est au centre de Nos affections, de Nos soucis. Aussi suivons-Nous personnellement votre travail, Nous réjouissant des fruits abondants recueillis, examinant les difficultés que vous avez rencontrées, vous indiquant aussi — autant que possible — les buts à atteindre et les moyens à employer.



Reconnaissance des efforts accomplis pour une Rome plus chrétienne.

Il y a cette année cinq ans que Nous avons adressé une fervente exhortation aux fidèles de Rome et, avec elle, de toute la terre 2. Rome, vous le savez, est une cité unique au monde non seulement parce que s'y trouve le siège de la papauté et le centre de la chrétienté, mais aussi à cause des problèmes qu'elle présente, de leur variété, de leur ampleur et surtout de leur complexité. Mais Nous ne doutions pas, chers fils, que vous répondriez promptement à Notre appel et que vous vous mettriez à l'oeuvre avec un dévouement généreux. Nous étions certain que Nous n'aurions pas fait entendre en vain Notre « cri de réveil » et que toute lumière qui s'allumerait à Rome brillerait sur le monde et que tout exemple parti de l'Urbs entraînerait d'autres cités et d'autres diocèses dans toutes les régions du globe.

Aujourd'hui, à cinq ans de distance, Nous devons vous exprimer, à vous tous, Notre vive satisfaction, Notre gratitude paternelle. Car il n'est pas possible de compter les larmes que vous avez essuyées, les espoirs que vous avez fait renaître, les harmonies que vous avez rétablies ; il n'est guère facile de connaître les obstacles que chacun de vous a dû surmonter, quand le découragement tentait de vous vaincre, que l'insensibilité de tant de fidèles vous opprimait, que les attaques des méchants vous fatiguaient. Cependant, chers fils, il a été fait beaucoup. Les églises, les paroisses se sont multipliées ; de nombreuses chapelles ont été construites là où les fidèles n'ont pas encore un curé, mais veulent tout de même se réunir pour le catéchisme, pour assister à la sainte messe du dimanche, pour recevoir les sacrements. De nombreux terrains de sport ont été aménagés, le nombre des écoles élémentaires et secondaires a augmenté ; des centres locaux de culture religieuse fonctionnent dans diverses parties de Rome ; et il y a l'action prometteuse et dynamique de ceux qui consacrent leurs soins à la jeunesse étudiante romaine, à l'école et hors de l'école. Nous avons éprouvé une immense joie en apprenant, par exemple, l'ardeur avec laquelle les jeunes participent nombreux au concours Veritas ; signe que les maîtres de religion, soigneusement choisis et assidûment surveillés, ont su obtenir de la jeunesse ce qui était, il y a quelque temps encore, absolument imprévisible.

Reste le douloureux scandale des mauvais chrétiens.

Naturellement Notre reconnaissance particulière va à ceux qui ont donné les normes pour l'orientation du travail, à celui

* A. A. S., XXXXIV, 1952, pp. 159 et suiv. ; cf. Documents Pontificaux 1952, pp. 45 et suivantes.



qui a donné l'impulsion pour leur exécution, à qui a su paternellement vous guider, afin que, dans le respect de l'obéissance, vous puissiez prendre toutes les initiatives utiles pour le bien de Rome. Et de même qu'il serait injuste d'ignorer les bons effets obtenus et de méconnaître les généreux efforts accomplis pour les atteindre, de même serait-il dangereux de se contenter de ce qui a été fait et de ne pas accepter volontiers les observations et conseils donnés dans une bonne intention et dans un esprit paternel et fraternel. Rome est encore loin d'être telle que Dieu la veut, telle que Nous et vous la désirons. Regardez, par exemple, le tableau qu'elle offre aux regards de tous, avec une crudité impressionnante : des milliers de Romains continuent à se dire chrétiens et s'étonnent que l'Eglise se refuse à les traiter comme de vrais fidèles. Ils ont été baptisés et ils professent la foi en Jésus-Christ, mais ils n'obéissent pas aux pasteurs établis par Lui et n'observent pas ses commandements. En effet, malgré les condamnations explicites de l'Eglise, les avertissements multiples et les exhortations pressantes, ils continuent à soutenir qu'on peut servir en même temps Dieu et l'ennemi de Dieu ; parfois même, mis dans la nécessité de choisir, ils préfèrent abandonner l'Eglise, demeurer sans sacrements, durant leur vie et même sur le point de mourir, préférant continuer à exalter et à soutenir des mouvements qui veulent la destruction du christianisme et menacent l'existence même de la civilisation humaine. Vous savez le nombre de ces malheureux frères éloignés ; Nous aussi, Nous les connaissons, et leurs noms sont comme écrits en caractères de feu dans Notre coeur angoissé.



affiches et les spectacles immoraux.

Sur un autre terrain aussi le visage de Rome Nous apparaît altéré dans ses lignes les plus pures. Comme vous le savez bien, le Concordat entre le Saint-Siège et l'Italie (art. 1er, par. 2) établit que « en considération du caractère sacré de la Ville Eternelle, siège épiscopal du Souverain Pontife, centre du monde catholique et but de pèlerinages, le gouvernement italien aura soin d'empêcher à Rome tout ce qui pourrait être en opposition avec ce caractère ». Peut-on dire qu'il en est bien ainsi actuellement ? Nous regrettons d'avoir à répondre que non. Pour citer un seul exemple : récemment encore, un grand quotidien, qui n'est pas suspect de « cléricalisme », décrivait avec de vives couleurs, dans une correspondance de Rome, deux grandes affiches murales vulgairement pornographiques qui, ces jours-là, tapissaient les principales rues de Rome ; il donnait même les mesures de l'une d'elles, large d'environ sept mètres et haute de trois mètres, sa base partant du sol. Qui pourrait dire quelles ruines de telles images provoquent dans les âmes, spécialement des jeunes gens ; quelles pensées et sentiments impurs elles peuvent susciter ; combien elles contribuent à la corruption du peuple, avec de graves préjudices pour la prospérité même de la nation, qui a besoin d'une jeunesse saine, forte, éduquée aux plus nobles aspirations de la vertu ! Ajoutez les revues pornographiques exposées dans les kiosques, le cinéma immoral et aussi la télévision, qui pénètre jusque dans l'intimité des maisons où elle a apporté plus d'une fois — comme cela Nous a été signalé — des spectacles audacieux, propres à troubler profondément les consciences. Aussi, vu le faible espoir de trouver ailleurs une défense vraiment efficace, principalement après que certaines normes précédentes ont été taxées d'illégitimité constitutionnelle — il faut que, dans de tels cas, les catholiques défendent eux-mêmes les droits de la religion et des bonnes moeurs et, en union avec les autres personnes honnêtes de toutes tendances, mais soucieuses de la moralité du peuple, ils suscitent une énergique protestation de l'opinion publique, dont la réaction, démontrant quel est vraiment le « sentiment commun », impose aux autorités compétentes les mesures nécessaires. C'est une tâche que Nous confions particulièrement à vous, prédicateurs et ministres d'âmes, et qui vous méritera la gratitude de tous ceux qui veulent le vrai bien du bon peuple romain.



Le manque de vocations sacerdotales et religieuses.

Pour passer à un autre sujet, Nous ne pouvons vous cacher Notre souci au sujet de la pénurie de prêtres à Rome. Il faut faire une distinction entre le clergé de la Rome universelle et celui de la Rome diocésaine. Dans la première, centre du monde catholique, il y a les dicastères sacrés, les instituts pontificaux nationaux et internationaux, les curies généralices. L'aide qui peut être apportée au diocèse de Rome par le nombre important de prêtres appartenant aux oeuvres citées est nécessairement réduite et n'est pas continue, en raison de leurs devoirs de service et d'étude. La réalité est que Rome a un besoin urgent de prêtres, et, tandis que l'accroissement démographique et d'immigration se font de plus en plus rapides et qu'augmentent les exigences des âmes, le total des jeunes gens qui entrent au séminaire et montent à l'autel n'est pas en proportion.

C'est un grand travail qui vous attend, chers fils, et Nous vous exhortons à ne pas vous décourager. Nous vous invitons de même à considérer l'urgence de votre action ordonnée et coordonnée.



Le Pape énonce les trois points de sa méditation : le champ qui est le monde, la semence qui est la parole de Dieu, le cultivateur qui est Dieu lui-même.

Dans le champ de Dieu qui est le monde, vous récolterez des fruits abondants si vous savez préparer le terrain, si la semence est jetée en abondance et à bon escient, si le travail est zélé et constant, si la récolte est faite en temps opportun et avec diligence. Pour apporter notre conseil paternel à ce lourd travail, méditons ensemble, quelques instants, sur le champ qui est le monde, sur la semence qui est la parole de Dieu, sur le cultivateur qui est Dieu lui-même.

I. Ager est mundus.
Le champ, c'est le monde (Mt 13,38).

Il y a un monde corrompu et corrupteur, parce que pétri de mal : in maligno positus (1Jn 5,19). Ce monde a été condamné par Jésus : nunc iudicium est mundi (Jn 12,31), mais il est vaincu par sa force toute puissante : ego vici mundum (Jn 16,33). Vous n'appartenez pas à ce monde et c'est pour cela qu'il vous hait : quia... de mundo non estis, sed ego elegi vos de mundo, propterea odit vos mundus (Jn 15,19). Vous ne devez pas vous mélanger et encore moins vous confondre avec ce monde ; vous ne pouvez entamer de dialogues, arriver à des pactes, chercher des compromis ; son prince est Satan : princeps mundi hujus (Jn 14,30) et avec Satan il ne peut y avoir d'accord.

Mais il est un autre monde ; le monde que Dieu a aimé : Sic... Deus dilexit mundum (Jn 3,16) ; le monde dans lequel Jésus, fils de Dieu, fut envoyé, non pour le condamner, mais afin qu'il soit sauvé par lui ; non enim misit Deus filium suum in mundum, ut iudicet mundum, sed ut salvetur mundus per ipsum (Jn 3,17). Le monde dont Jésus est la lumière : quamdiu sum in mundo, lux sum mundi (Jn 9,5) ; le monde dont le pain, qui est la chair de Jésus, donne la vie : panis, quem ego dabo, caro mea est pro mundi vita (Jn 6,51).

Dans ce monde, dans ce champ, il y a des pousses qui attendent d'être cultivées ; des plantes qui veulent croître et se multiplier ; des fruits qui doivent être récoltés. Il y a surtout un terrain qui attend d'être ensemencé. Les sillons sont prêts, tracés et creusés en profondeur par les désillusions subies, par les larmes versées, par la volonté impérieuse de faire refleurir la foi et fructifier l'espérance, Nous voudrions, chers fils, que vous fassiez abstraction en ce moment du chemin qui borne le terrain, des cailloux que l'on peut rencontrer dans le champ ; Nous voudrions que pour le moment vous ne considériez point les buissons et les ronces qui s'y trouvent çà et là, mais seulement le bon terrain : il y en a beaucoup, chers fils, et il attend, peut-être même inconsciemment, une semence abondante.

II. Semen est verbum Dei.
La semence, c'est la parole de Dieu (Lc 8,11).

C'est la parole qui guide, qui illumine, qui donne la vie. Conscient du besoin urgent de notre époque, Nous cherchons à Nous prodiguer selon Nos faibles forces, afin que tout homme qui vient à Nous retourne à sa maison, à son atelier, à son école, à sa science, emportant dans le coeur la certitude que seul Jésus peut finalement faire renaître dans le monde les fleurs de l'espérance et les fruits de la charité.

Nous vous exhortons, chers fils, à ne vous accorder ni trêve ni repos : que chacun de vous prêche la parole sacrée ; que chacun de vous insiste, avec constance et hardiesse, même quand une fausse prudence conseillerait le silence ; que chacun de vous se fasse pressant, et persiste, au besoin, avec patience. Nous voyons — et les hommes voient — ce qu'il est arrivé, ce qu'il arrive, parce qu'ils se sont éloignés de la saine doctrine, parce qu'ils ont demandé, au hasard, à des maîtres selon leurs propres passions, les vérités à croire et les normes à suivre (2Tm 4,3). Adressez-vous aux enfants, aux adolescents, aux jeunes gens, aux adultes : ne négligez aucun moyen, ne méprisez aucune méthode. Aujourd'hui, comme aux premiers temps, non est aequum nos derelinquere verbum Dei (Ac 6,2). Nous devons proclamer bien haut, nous devons faire entendre avec force l'avertissement de saint Paul : Fundamentum enim aliud nemo potest ponere praeter id quod positum est, quod est Christus Iesus (1Co 3,11). Donner d'autres fondements à la construction du monde signifierait en préparer la ruine ; jeter dans le terrain une semence qui ne serait pas Jésus-Christ, signifierait transformer en désert le champ qui appartient à Dieu ; cela signifierait voir croître à côté du bon grain l'ivraie : qui semble être amour et n'est que haine, qui semble être paix et est guerre ; qui semble liberté et n'est que licence ; justice et n'est qu'oppression ; qui passe pour être prudence et s'appelle peur ; courage et ce n'est qu'imprudence ; qui enfin semble être prévoyance et n'est que méfiance.

Et ici Nous voudrions ajouter une recommandation particulière pour la prédication assidue de la parole de Dieu durant la célébration de la sainte messe, les dimanches. Nous ne méconnaissons pas, certes, la valeur de la grande, solennelle prédication en des circonstances particulières, et une preuve évidente en est l'heureuse présence ici, que Nous saluons volontiers, des prédicateurs de carême. Sans nul doute, cette prédication-là conserve toute son importance, mais, par sa nature même, elle est extraordinaire ou exceptionnelle. Les fidèles, quand ils peuvent s'attendre à une parole brève, mais bien pesée, dite avec une profonde conviction et qui édifie et enrichit les esprits, s'habituent à l'écouter volontiers, les dimanches et les jours de fête ; ce qui n'exclut pas qu'ils viennent également, en ces circonstances exceptionnelles auxquelles nous avons fait allusion, et, plus d'une fois, même en grand nombre. Mais, outre cet accueil empressé de la part des fidèles, la prédication courante du dimanche présente deux notes caractéristiques qui en augmentent la valeur : elle est à la fois une conversation en famille et toute confiante du curé avec le troupeau qui lui est confié ; de plus, elle a lieu régulièrement chaque semaine et à chaque retour de fête. Cette régularité donne à la parole — toujours en supposant qu'elle vienne du coeur et aille aux coeurs — une force qui, lentement et pour ainsi dire insensiblement, mais infailliblement, exerce son efficacité.

III. Ager est mundus, Semen est verbum Dei, Pater... agricola est (Jn 15,1). Le cultivateur, c'est Dieu.

Notre invitation, Notre insistance pour ainsi dire attendrie ne doit pas vous induire en erreur, comme si dépendaient complètement de Nous et de vous — ou, au moins principalement — la floraison et la fructification de la vigne du Seigneur. Nous sommes une culture de Dieu, Dei agricultura (1Co 3,9), de la même manière que, pierres vivantes de son Eglise, nous sommes une construction divine : Dei aedificatio (ibid.). Celui qui se limite à observer les apparences, qui ne pénètre pas dans la profondeur des réalités surnaturelles peut être induit à croire que tout ce qui fleurit dans le jardin de l'Eglise et tout ce qui fructifie dans le monde est l'oeuvre des hommes : les hommes sèment, arrosent, taillent, les hommes cultivent. En réalité c'est Dieu qui véritablement sème et arrose, Lui qui taille, Lui qui cultive. Pater meus agricola est, proclame Jésus. Et saint Paul précise : Ego plantavi, Apollo rigavit ; sed Deus incrementum dedit. Itaque neque qui plantat est aliquid, neque qui rigat ; sed qui incrementum dat Deus (1Co 3,6-7). Que sont donc les hommes ? Que sommes-nous, nous tous ? Que faisons-nous par nous-mêmes ? Sans Jésus, nous ne sommes rien ; sans Lui nous ne pouvons rien faire : sine me nihil potestis facere (Jn 15,5). En revanche, que sommes-nous avec Lui ? Que pouvons-nous faire unis à Lui, ayant en nous Jésus vivant, présent, agissant ? Tout. Omnia possum in eo, qui me confortat (Ph 4,13). Nous ne sommes donc pas les auteurs des oeuvres apostoliques, mais des instruments de Dieu, des cultivateurs de son champ, des dispensateurs de sa parole et de sa grâce : dispensatores mysteriorum Dei (1Co 4,1).



Exhortation finale.

S'il en est ainsi, chers fils, vous comprendrez tout à fait la nécessité pour tous ceux qui veulent travailler dans la vigne du Seigneur d'être unis très étroitement à Lui, de s'identifier avec Lui. Il n'est guère difficile d'imaginer ce qu'il adviendrait à Rome, et dans le monde, si tous les prêtres se présentaient aux hommes non in persuasibilibus humanae sapientiae verbis, sed in ostensione spiritus et virtutis (1Co 2,4), de telle sorte que la lumière de la foi, la fermeté de l'espérance et l'ardeur de la charité ne résulteraient pas de la sagesse des hommes, mais de la force de Dieu (ibid. 5). S'il y avait en eux Jésus qui prie, Jésus qui prêche, Jésus qui souffre, Jésus qui agit, qui pourrait décrire l'abondance des eaux qui se répandraient dans le monde, les plantes qui se multiplieraient et l'enchantement des fleurs et la saveur des fruits ? Daigne Jésus faire resplendir en votre pensée l'éclat de cette lumière et vous faire éprouver au coeur la force de cette certitude ! Puisse Jésus devenir le dominateur absolu de vos âmes !




RADIOMESSAGE AUX ÉCOLES CATHOLIQUES DES ÉTATS-UNIS

(6 mars 1957) 1


Suivant une tradition qui remonte à 1945, le Pape adresse un radio-message aux élèves des écoles catholiques des Etats-Unis, le premier jour de carême, pour les exhorter au sacrifice et à la prière en faveur des enfants nécessiteux dans le monde. Voici la traduction de celui qu'il prononça en anglais, le 6 mars 1957 :


Encore une fois Nous venons parler à nos chers enfants des Etats-Unis, de nouveau Nous venons, comme les autres années, passer quelques minutes avec eux afin qu'ils puissent entendre Notre voix et savoir que toutes Nos pensées sont en ce moment pour eux. Nous avons dit : « encore une fois ». Cependant, pour beaucoup d'entre vous, ce sera la première fois qu'ils reçoivent la visite du Saint-Père dans leurs écoles ; et beaucoup de ceux qui Nous écoutèrent les années précédentes ne sont plus avec vous maintenant. Ils sont passés dans les classes supérieures, ils ont avancé dans les études ; peut-être le temps de l'école est-il même terminé pour eux. Il en est ainsi, et il en sera de même pour vous. Vous êtes aujourd'hui des petits garçons et des petites filles, mais bientôt, très bientôt, vous passerez dans de plus hautes classes d'écoles supérieures. Et alors ? Qu'adviendra-t-il ?



La vocation de chacun.

Certains d'entre vous deviendront peut-être médecins, certains seront avocats, certains se lanceront dans les affaires. Certains d'entre vous, beaucoup aimons-Nous à le penser, seront prêtres. Oh ! l'Eglise a besoin de tant de prêtres, de saints prêtres, pour poursuivre l'oeuvre de rédemption du Christ. Et aussi, certaines d'entre vous seront religieuses. Quelle noble vocation ! Qu'en aurait-il été de l'Eglise dans votre pays sans les soeurs, si dévouées, si empressées au sacrifice, si saintes et si compréhen-sives à l'égard des enfants ? Mais leur nombre est trop petit, beaucoup trop petit. Or, quelle que soit la vocation à laquelle vous puissiez être appelés, une chose est certaine pour vous tous : vous serez toujours des enfants de Dieu. Vous êtes devenus tels par le baptême. Et vous voudrez aimer et suivre Jésus qui mourut parce qu'il vous aimait et désirait vous avoir avec lui pour toute l'éternité.



7ésws « passait en faisant le bien ».

Que ne donneriez-vous pas pour avoir une véritable image de Jésus, pour le connaître comme II était, tel que les Apôtres le virent sur cette terre ? Ils connurent les traits de son visage et l'accent de sa voix. Ils l'observèrent dans sa façon d'être avec les enfants et avec les adultes. Ce fut là leur privilège. Mais certains de ceux qui le virent et vécurent avec Lui ont beaucoup parlé de Lui, de ce qu'il a dit et fait. Vous avez entendu parler de saint Pierre, l'Apôtre que Jésus choisit pour être le Chef de son Eglise, le premier d'une longue série de Papes. Laissez-Nous vous raconter quelque chose qu'il dit un jour. C'était quelques années après que Notre-Seigneur était mort et ressuscité et était monté au ciel, et saint Pierre faisait un sermon. Son nouveau troupeau était très désireux d'entendre parler de tout au sujet de Jésus qu'ils voulaient suivre. Et savez-vous comment saint Pierre résuma la vie de Notre-Seigneur ? En cette simple et courte phrase : « Il vécut en faisant le bien » (Act. x, 38).

C'était là ce que saint Pierre se rappelait le plus vivement au sujet de son Maître. Il vécut en faisant le bien. Cela n'est-il pas beau et saisissant ? Notre-Seigneur vécut au milieu de toutes sortes de souffrances et misères humaines. Le peuple l'assiégeait de tous côtés. « De grandes foules, dit saint Matthieu, vinrent à Lui, amenant des boîteux, des aveugles, des sourds, des estropiés et autres, qu'elles conduisaient à Ses pieds, et II les guérit tous » (Mt 21,14 Luc vi, Lc 17-19). Quelle joyeuse multitude c'était là ! — Un jour, passait une procession funèbre ; on conduisait au cimetière le fils unique d'une mère veuve. Ne pleure pas, lui



dit Jésus. Mais, Seigneur, son coeur est brisé de douleur. Ne pleure pas ! Et II ressuscita l'enfant et le rendit à sa mère. — Les lépreux non plus ne redoutaient pas de s'approcher de Lui. En réalité, Il pouvait les guérir de loin ; mais, voyez-vous, ils touchent Sa robe et II s'en montre satisfait. Il met Sa main sur les plaies de la lèpre et le terrible mal disparaît. Il est prêt à tout signe, à tout appel. Vous pouvez le trouver toujours, bien que douloureux et fatigué, comme le rappelait saint Pierre, passant pour faire du bien à l'humanité souffrante et dans le besoin.



Par vos prières et vos sacrifices, venez en aide aux enfants pauvres partout dans le monde.

Chers enfants, personne n'attend de vous que vous accomplissiez les choses merveilleuses et extraordinaires que fit Notre divin Seigneur ; mais Nous Nous attendons, avec vos parents, avec vos maîtres, à ce que, dans votre petit monde, chez vous, à l'école, sur les terrains de jeu, vous viviez en faisant le bien. En ce moment même, vos évêques dévoués vous demandent de faire le bien d'une façon précise et pratique. Ils vous demandent d'apporter votre contribution à l'immense bien qu'ils se proposent de faire à quantité de gens dans toutes les parties du monde, où des hommes, des femmes et des enfants se trouvent dans la misère, sans toit, sans nourriture, sans remède et sans vêtements suffisants pour les protéger et les maintenir en santé. Et vous qu'entendez-vous faire pour y contribuer ?

Avant tout, vos prières, des prières spéciales durant tout le carême, afin que Dieu puisse accorder à toutes les nations la paix et la prospérité qui les aidera à avoir un plus grand amour pour Lui et pour leurs semblables. Ensuite, durant le carême, vous ferez beaucoup de petits sacrifices en vous privant de certaines choses que vous aimez avoir ; et vous serez heureux de donner vos petites économies aux enfants pauvres qui ont bien moins que vous en bien-être, en soins et en joies. Chaque année, chers enfants, vous avez été si généreux. Cette année, Nous en sommes sûrs, vous battrez tous les records. Et Notre-Seigneur Jésus, votre ami intime, qui vous aime si tendrement, jettera un regard sur les écoles catholiques d'Amérique ; Il reconnaîtra les enfants comme les siens, quand II verra qu'ils ont décidé — et ils sont en train d'en prendre la résolution — d'accomplir le bien. Et vous prierez pour le Saint-Père, n'est-ce pas ?

Et maintenant, Nous vous donnerons Notre Bénédiction apostolique. Nous la donnons à vous-mêmes, à vos chers parents, à vos maîtres ; Nous la donnons avec toute l'affection de Notre coeur ; et, à travers l'immense miséricorde de Dieu, elle vous apportera, Nous en sommes certain, sa grâce et ses abondantes bénédictions.


Pie XII 1957 - DISCOURS AUX ÉLÈVES DU LYCÉE « VISCONTI »