Pie XII 1957 - A DES MAITRES CATHOLIQUES ESPAGNOLS


ALLOCUTION AUX MEMBRES DU CHAPITRE GÉNÉRAL DES PÈRES BLANCS

(19 juillet 1957) 1






Le Saint-Père a reçu en audience les participants au Chapitre général des Missionnaires d'Afrique (Pères Blancs), conduits par leur Supérieur général nouvellement élu, le Très Rév. Père Léon Vôlker.

Sa Sainteté leur adressa en français l'allocution suivante :

Nous sommes particulièrement heureux, peu de temps après avoir exprimé, par l'Encyclique Fidei donum, Notre sollicitude pour l'évangélisation du continent africain, de recevoir les membres du 19e Chapitre général des Missionnaires d'Afrique.

Votre présence, Vénérables Frères et chers fils, Nous donne l'occasion de vous manifester de vive voix toute l'affection et l'estime que Nous portons à votre société et au nouveau Supérieur général, que vous avez récemment choisi. Vous pouvez certes remercier le Seigneur de l'extension magnifique qu'a prise votre champ d'apostolat et de l'efflorescence des chrétientés, dont vous avez reçu la charge : signe indubitable des bénédictions de l'Esprit-Saint sur votre société, qui compte le nombre le plus élevé de prêtres parmi toutes les familles religieuses qui travaillent en Afrique.



Fidélité à l'esprit du fondateur.

La stabilité d'une société religieuse et la fécondité de ses entreprises découlent surtout de sa fidélité à l'inspiration première, qui l'a suscitée. Votre illustre fondateur voulait que votre activité apostolique s'appuie sur une vie intérieure sérieuse et profonde et, à cette fin, il vous a donné pour guide un homme eminent dans la contemplation et dans l'action, saint Ignace de Loyola. De lui vous avez appris qu'avant de rechercher les moyens pratiques de toucher les âmes et de les convertir, il faut se donner tout entier à l'humble et fidèle imitation du Christ dans la pauvreté et l'obéissance. Si votre action trahit dans toutes ses modalités la volonté de servir l'Eglise, parce que celle-ci interprète à chaque instant les intentions du Seigneur sur son oeuvre et vous conduit infailliblement à lui, ne craignez pas que les vocations viennent à manquer, ni que s'attiédisse la ferveur de la vie chrétienne chez les fidèles qui vous sont confiés.



L'esprit catholique des Missionnaires d'Afrique.

Il est un autre trait caractéristique de votre société, dont Nous Nous plaisons à souligner l'importance, parce qu'il répond heureusement aux besoins du moment, Nous voulons dire son esprit catholique. Les peuples d'Afrique s'ouvrent maintenant avec avidité aux progrès de la civilisation. Que cette rapide marche en avant suscite des incompréhension, des oppositions, des conflits de susceptibilité ou d'intérêt, c'est là une rançon lamentable de la faiblesse humaine et de la plaie de l'égoïsme, sans cesse ouverte au coeur des hommes de toute nation et de toute race. Pour dissiper les malentendus, prévenir les conflits ou les apaiser, Nous ne voyons qu'une solution valable, celle de la charité chrétienne, héroïque, universelle et désintéressée. Votre vie de commuanuté fidèlement pratique, l'union étroite entre tous les membres de la société, quelle que soit leur nationalité, l'esprit de collaboration entre les « Pères » et les « Frères », tous livrés sans réserve à l'oeuvre commune, voilà, un exemple de charité concret et expressif, qui conférera à vos enseignements une grande force de persuasion.



Collaboration fraternelle dans l'apostolat.

Et puisque vous avez la joie de recueillir le fruit de vos efforts pour créer un clergé autochtone dans les territoires que vous évangélisez, vous saurez entretenir avec lui, Nous n'en doutons pas, une collaboration féconde dans une fraternité toujours plus étroite.



Ainsi, portés par un amour sans limites du Seigneur et le désir d'étendre son Règne, vous aborderez avec confiance les problèmes délicats, que pose l'apostolat dans un continent en pleine évolution, et vous défierez les entreprises de ceux, qui voudraient saper l'édifice que vous avez courageusement et patiemment construit.

Soyez certains, Vénérables Frères et chers fils, que Nous suivons avec une grande attention les succès, dont le Seigneur couronne vos labeurs. Nous Nous en réjouissons avec vous et implorons avec insistance la protection divine sur les peuples, dont vous avez la charge et auxquels vous voulez apporter l'Evangile du salut.

Pour l'heureux déroulement des travaux de votre Chapitre et comme gage des faveurs célestes, Nous vous accordons bien volontiers à vous-mêmes, à tous les « Pères » et « Frères » de votre société et à tous ceux qui collaborent à votre apostolat, Notre Bénédiction apostolique.


ALLOCUTION AUX COMITÉS ITALIENS D'ÉMIGRATION

(23 juillet 1957)1






Le Saint-Père a reçu en audience les participants au premier Congrès national italien des Délégués diocésains pour Y émigration, organisé à l'occasion du Ve anniversaire de la Constitution Apostolique « Exsul Familia ». Son Em. le cardinal Piazza, secrétaire de la Sacrée Congrégation Consistoriale assistait à l'audience, au cours de laquelle Sa Sainteté prononça en italien un important discours, dont voici la traduction :

1 D'après le texte italien des A. A. S., XXXXIX, 1957, p. 730 ; traduction française de l'Osservatore Romano, du 2 août 1957.

2 Cf. Documents Pontificaux 1952, pp. 337 et suiv.




En accueillant en Notre présence avec une paternelle affection, les délégués épiscopaux dans les comités diocésains d'émigration de l'Italie, réunis à Rome pour leur Ier Congrès national, Nous sommes heureux de vous manifester la vive confiance que Nous mettons dans votre zèle en faveur des émigrants, qui sont d'autant plus près de Notre coeur qu'ils se trouvent plus loin de leur patrie et ont, par conséquent, davantage besoin des sollicitudes de l'Eglise. On sait avec quel soin le Saint-Siège — en particulier la S. Congrégation consistoriale et son eminent et très zélé cardinal secrétaire, dont Nous sommes heureux de saluer ici la présence — s'est occupé du grave et délicat problème de l'émigration, et avec quel zèle il s'est employé, spécialement par la Constitution apostolique Exsul Familia 2, à assurer aux émigrants une assistance efficace au moyen de règles pratiques, grâce auxquelles, partout, où ils se trouvent, ils puissent facilement reconnaître le visage de leur Mère l'Eglise, penché avec amour sur eux, sentir les battements de son coeur et se laisser guider par sa main maternelle au milieu des dangers et des nécessités de leur condition anormale.



Mais ce que Nous désirions et désirions encore par-dessus tout chez ceux qui, directement ou indirectement, sont appelés à consacrer leur vie sacerdotale au service des émigrants, c'est l'authentique esprit d'apostolat, fondé sur la charité divine et inspirateur inépuisable d'énergies et d'ceuvres. En lisant, sous le titre premier de la constitution mentionnée, l'action admirable accomplie par l'Eglise au cours des siècles — des plus récents surtout — à l'avantage de ceux qui furent contraints, pour divers motifs, à vivre en terre étrangère, vous vous serez certainement demandé de quelle source secrète émane cette lumineuse histoire de bonté humaine et civile, qui n'a pas d'équivalent, où que l'on regarde, dans le monde et dans le temps. La réponse se trouve déjà indiquée dans le document cité : elle dérive de l'intense amour pour les âmes, puisé par l'Eglise à la source de la charité, Jésus-Christ.

Aussi désirons-Nous que vous graviez dans vos esprits la ferme persuasion que si un tel « esprit » faisait défaut au principe de toutes vos activités, ni l'inlassable dynamisme extérieur, ni non plus les lois elles-mêmes ne serviraient à rien, parce que, lorsqu'il s'agit d'âmes, c'est seulement la chaleur de la charité surnaturelle qui peut susciter l'épanouissement de la vie et faire mûrir des fruits de salut durables. Votre visite Nous est donc agréable parce qu'elle Nous offre l'occasion de vous entretenir brièvement de 1'« esprit qui doit animer votre activité, et de vous montrer que c'est de lui que dérivent les énergies intérieures et les critères régulateurs de vos entreprises et que c'est seulement cet « esprit », qui imprime à votre coeur le sceau d'un apostolat pur et méritoire.





I La sublime parabole du « bon pasteur » s'applique par plusieurs traits, d'une façon émouvante, à ceux qui s'occupent des émigrants.



Quel doit être l'esprit qui anime ceux qui sont désignés par l'Autorité ecclésiastique pour l'assistance des émigrants, apprenez-le de la sublime parabole du « bon pasteur » (Jean x), dans laquelle — comme dans d'autres enseignements inspirés par la même comparaison (Mt 18, ii ; Luc xv, 3 et suiv.) — le divin Rédempteur, « Pasteur de nos âmes » et « Prince des pasteurs » (I Pierre n, 25 ; v, 4), semble vouloir pour ainsi dire faire son propre portrait intime. Bien que la comparaison concerne en général quiconque a le mandat de gouverner les âmes et qu'elle exprime spécialement l'unité de l'Eglise et la volonté de salut du Christ à l'égard de tous les hommes, elle n'en offre pas moins à votre attention quelques traits qui s'appliquent de façon émouvante à votre tâche. Ce sont, entre autres, la connaissance mutuelle, individuelle entre le pasteur et ses brebis, le zèle pour chacune d'elles, la sollicitude sans repos pour celles que l'éloignement du bercail met en danger, l'intérêt que porte le pasteur, à l'inverse du mercenaire, à les suivre et à veiller sur elles, en leur procurant des pâturages salutaires. Vous vous rappellerez que « c'est la volonté de votre Père qui est dans les cieux, qu'il ne se perde pas un seul de ces petits » (Mt 18,14) et qu'en conséquence il est indispensable que le bon pasteur soit prêt à la fatigue, au renoncement et à l'héroïsme.



Regarder avec les yeux du bon pasteur les problèmes complexes de l'émigrant.

Regardez donc avec un esprit de pasteur votre troupeau, dispersé partout sur la terre, au-delà des montagnes et des océans. Ce n'est pas la soif de l'aventure ni la violence d'autrui, qui les ont poussés à parcourir à la sueur de leur front les routes du monde ; mais presque toujours le sens de la dignité personnelle, résolue à conquérir par le travail le droit aux biens nécessaires de la vie, ou bien la charge, acceptée avec amour, d'un père et d'un fils vis-à-vis de sa famille. Le doux rêve, si légitime, de revenir un jour au cher pays natal avec une indépendance économique suffisante pour assurer l'avenir, a souvent prévalu chez l'émigré sur l'amertume de laisser « toutes les choses les plus chères » et trempe son esprit pour affronter « cette épreuve décochée par l'arc de l'exil » et pour éprouver « combien a le goût du sel le pain d'autrui et combien c'est un dur chemin de descendre et de monter l'escalier d'autrui » 3.

3 Dante, Paradis, 17, 56-60.




Mais que de fois, surtout au début de la nouvelle vie, le poids des sacrifices et des renoncements dépasse les courageuses prévisions ! Le pays, les personnes et les choses qui l'entourent, le genre de travail, tout et tous semblent se coaliser contre l'émigré, déterminant une crise intime de nostalgie et d'abattement ! Le climat lui apparaît hostile, la langue ignorée semble l'enfermer dans une pénible prison ; le regard indifférent, et parfois peut-être méprisant, des habitants l'offense ; la faible connaissance des lois et des moeurs l'empêche de se mouvoir à son aise ; dans une sorte de cauchemar il se voit lui-même comme un naufragé sur une île déserte. Plus d'une fois la plupart de ces souffrances ne cessent même pas quand il a trouvé du travail et la stabilité dans une colonie de compatriotes. De telles conditions matérielles et morales doivent éveiller dans les âmes sacerdotales la même immense pitié que Jésus éprouva en regardant, un jour, autour de lui les foules affamées « lasses et abattues comme des brebis sans pasteur » (Mt 9,36). Et lorsque le prêtre, qui en a le mandat légitime, laisse en sûreté les quatre-vingt-dix-neuf brebis et part pour des terres étrangères afin d'en sauver même une seule, qui s'y trouve égarée, il connaîtra cette joie intime que le Christ fait partager à ses apôtres (Luc xv, 3 et suiv.).



amour surnaturel pour les âmes.

Un amour surnaturel pour les âmes, semblable autant que possible par son étendue, son intensité, son désintéressement, à celui du divin Pasteur, qui n'hésite pas à immoler sa vie pour tous, doit donc se trouver à la base de toutes vos pensées et inspirer vos résolutions. Cet amour, qui ne fait pour ainsi dire qu'un avec celui que vous nourrissez pour le Rédempteur, consacrera, en les élevant, le sentiment naturel de sympathie envers vos compatriotes, l'inclination spontanée ou le devoir d'obéissance dans ce genre d'apostolat, toute action d'assistance qui n'est pas strictement spirituelle. A cette même source de la charité vous puiserez la lumière pour le choix des moyens, la persévérance dans les fatigues, la prudence dans les rapports avec les autorités locales, tant religieuses que civiles et patronales, bref la façon d'agir qui assure une efficacité stable à tout organisme sérieux. En un mot, une conscience de « bons pasteurs » sur le modèle de Jésus : tel est I'« esprit » qui doit régner dans vos comités et dans vos pensées.


II - La charité du vrai pasteur est à la fois contemplative et concrètement active.

Mais toute charité authentique, selon les enseignements répétés du Saint-Esprit, ne peut pas demeurer inactive dans les régions de la pure contemplation, ni se réduire à des sentiments stériles ; elle est au contraire impatiente d'aboutir à l'action concrète, en conservant sa caractéristique divine, c'est-à-dire l'universalité envers tous et par tous les moyens. C'est ainsi que l'Apôtre des Gentils, auquel sa sublime union à l'esprit du Christ dicta l'incomparable hymne à la charité (1Co 13), put dire de lui-même « Je me suis fait faible avec les faibles... Je me suis fait tout à tous, afin de les sauver tous » (1Co 9,22).

Se faire tout à tous : voilà la règle pratique et quotidienne de tout apostolat, en particulier du vôtre, qui a comme objet, dans la plupart des cas, des personnes à qui tout manque et qui attendent l'aide en tout. Nous avons appris avec une intime satisfaction que les programmes de la Direction des oeuvres d'émigration pour l'Italie et des Comités diocésains se sont laissés guider par ce principe. Ces derniers, en particulier, veulent être des centres d'études des problèmes locaux de l'émigration, préparer spirituellement, socialement et techniquement les émigrants, les aider dans l'accomplissement des démarches nécessaires à l'expatriation, en se servant également de la généreuse collaboration d'autres associations de valeur, telles que l'Action catholique, les ACLI, l'OEuvre pontificale d'assistance, l'ONARMO, la Protection de la jeune fille.


La préparation spirituelle et technique de l'émigrant.

La préparation spirituelle et technique de l'émigrant est certainement un précieux service que l'Eglise, par votre intermédiaire, rend à ses fils. Instruire les émigrants de la langue, de l'organisation et des usages des pays où ils iront, leur aplanir la route et les suivre, c'est là non seulement une oeuvre de charité délicate, mais un moyen pour unir, par le lien indestructible de l'affection, les fils à leur Mère, l'Eglise. Et comment pourrait-elle tolérer la répétition du triste et déprimant spectacle, généralement offert, le siècle dernier, par des foules d'émigrants, jetés sur les navires comme des esclaves, privés de toute assistance élémentaire, négligés et méprisés à leur arrivée, souvent décimés par les privations et par les maladies ? Grâce en soient rendues à Dieu ! voici qu'à présent s'est transformée en ferveur stable et ordonnée l'étincelle de la charité, allumée pour la première fois en leur faveur par d'héroïques missionnaires, comme l'infatigable évêque Jean-Baptiste Scalabrini, avec ses fils, les Missionnaires de saint Charles, et spécialement par sainte Françoise-Xavier Cabrini, digne pionnière de ce nouvel apostolat.

La préparation de l'émigrant, comme elle est prévue par les programmes des Comités diocésains, mérite bien la dépense de forces et le dévouement de personnes parmi les plus actives, soustraites dans la mesure du possible à d'autres charges et travaux, surtout dans les diocèses où l'émigration est plus répandue. Il est clair qu'il ne sera pas toujours facile d'improviser des rapports amicaux avec l'émigré, qu'on rencontre pour la première fois en terre étrangère et peut-être après qu'il a connu les sollicitations de gens intéressés à sa ruine spirituelle.

Mais si l'émigré, déjà avant son départ, a senti battre pour lui le coeur maternel de l'Eglise, il saura reconnaître partout son visage et il ne s'écartera pas des genoux de Celle qui l'a protégé aux jours de tristesse.

Il conservera jalousement dans son coeur le souvenir de la journée où, tandis que parents et amis lui disaient adieu, la Mère commune adoucissait près de l'autel, par le réconfort divin, l'amertume de la séparation et lui assurait une protection indéfectible. Et quand, le long du dur chemin de l'exil, son regard triste, souvent humide de larmes secrètes, rencontrera le symbole de la Croix ou un édifice sacré ou le profil léger d'un clocher, dressé comme une sentinelle de la maison de Dieu, sans doute sa pensée s'envolera-t-elle avec une amère nostalgie vers sa lointaine petite église, dépositaire de tant de souvenirs et de sentiments tendres et pieux, mais en même temps son coeur sera rempli d'une vague de sérénité et de confiance, comme si, à l'impro-viste, il avait rencontré sa mère.


rôle des Comités d'émigration.

Etablissez solidement vos comités, chers fils, les rendant de plus en plus actifs, généreux et surtout aptes à la réalisation de leurs fins, et cela grâce à une étroite collaboration entre le Centre directeur et les Comités locaux distincts, et entre votre organisation et les organismes et associations qui travaillent dans le même sillon, de façon à gagner la bienveillante considération des Autorités civiles de la nation et des Instituts internationaux chargés des problèmes de l'émigration. Pour obtenir plus facilement leur appui, il faut renforcer les entreprises propres à créer une opinion publique en faveur des émigrants, de leurs besoins et de leur protection. La « Journée nationale de l'émigrant », célébrée depuis quelques années en Italie, y contribue notablement et est un instrument efficace pour raviver chez les fidèles l'intérêt et l'affection envers tant de fils lointains. Faites qu'aucun émigrant ne se trouve quitter le sol de la patrie sans avoir auparavant connu et aimé l'Eglise. Il vous appartiendra, à vous qui la représentez au milieu du peuple, de vous donner entièrement à tous, en étudiant leurs problèmes, en les orientant vers les travaux les plus appropriés, les instruisant et les aidant, vous faisant pour ainsi dire les intermédiaires entre les émigrés et leurs familles demeurées dans la patrie, pour adoucir leurs peines et conjurer les dangers des séparations prolongées.




III



Les prêtres émigrés au service de leurs compatriotes.

L'esprit du « bon pasteur », qui élève l'assistance charitable à la dignité d'apostolat, se trouve principalement chez le prêtre qui vit et travaille parmi les émigrés, s'étant fait lui-même un émigré pour le Christ. Nous désirons vous indiquer quelques considérations à ce sujet, parce que l'activité des missionnaires de l'émigration, complétant et pour ainsi dire couronnant la vôtre, contribuera à mieux l'éclairer.

L'importance que l'Eglise attache aux missions parmi les émigrés peut être indiquée par le nombre sans cesse croissant des prêtres qui y sont affectés. Jamais comme à présent des phalanges aussi nombreuses ne partagèrent l'exil, aussi bien forcé que volontaire, de leurs fidèles. Ils méritent la reconnaissance et l'appui de l'Eglise, que Nous n'hésitons pas à confirmer de nouveau, car Nous sommes le premier à être débiteur envers le Christ de la charge de bon pasteur. Nous Nous rendons compte combien leur vie est remplie de difficultés et de désagréments et combien chaque heure de leur journée est par elle-même un holocauste offert à Dieu.

Les vertus particulières du missionnaire, hors de sa patrie : culte de l'intention droite et de la prière...

Afin que tant de générosité aboutisse efficacement au but que l'Eglise en attend, le missionnaire de l'émigration doit s'appliquer à compléter son propre trésor de vertus sacerdotales par celles qui correspondent à sa tâche ; Nous voudrions en mentionner quelques-unes et, en premier lieu, l'intention droite et l'assiduité à la prière.

La première l'empêchera de confondre sa mission sacerdotale avec une quelconque assistance « altruiste », qui, tout en étant inspirée par de nobles motifs, tels l'amour de la patrie, demeure inférieure à la dignité de l'apostolat et n'arrive pas à communiquer l'élan d'un dévouement constant, total et désintéressé pour le prochain. Le troupeau, de son côté, se trompe rarement en jugeant la rectitude d'intention de son pasteur, sachant bien faire distinguer un missionnaire d'un mercenaire ou de celui qui est chargé de promouvoir les intérêts de son pays, voire en harmonie avec ceux des émigrés. Les missionnaires, comme le dit le mot lui-même, sont envoyés par Dieu et par l'Eglise pour le soin spirituel des âmes.

Il est clair qu'on n'arrive à la rectitude effective d'intention que par la prière assidue, nécessaire à tous et toujours, mais particulièrement indispensable au missionnaire. Dans un genre de vie, comme le sien, poursuivi dans l'isolement même physique de ses confrères, sous le poids d'innombrables tâches, qui tendent à stériliser l'esprit, la prière est le repos, la compagnie, l'aliment de l'âme sacerdotale.



... vigilance, prudence et patience.

Avec ces vertus intérieures, sources secrètes d'énergies, le missionnaire cultivera également les vertus extérieures, régulatrices des rapports avec les fidèles et avec les personnes et les choses qui l'entourent. Il sera un pasteur vigilant, prudent et patient. Il veillera avec un vif esprit d'observation pour empêcher que de fausses doctrines et des moeurs perverses ne soient adoptées par les émigrés sous prétexte d'adaptation aux circonstances locales. Si le pays d'accueil entendait promouvoir ce qu'on appelle l'assimilation des étrangers, le missionnaire s'emploiera afin que cela ne se fasse pas aux dépens des droits naturels et au détriment des valeurs religieuses et morales, souvent étroitement unies aux traditions de la patrie. Il veillera aussi à ce que les travailleurs ne deviennent pas l'objet de profits illicites et il les exhortera à observer les normes établies par les lois. D'autre part, il prendra soin d'inculquer aux émigrés la conscience de ce qu'ils doivent au peuple qui les accueille et qui cherche à faciliter leur adaptation progressive à leur nouvelle forme de vie, spécialement lorsqu'il s'agit de familles entières qui entendent s'établir sur cette terre.

Un sens aigu de la prudence sera en outre nécessaire au missionnaire dans ses rapports avec les autorités religieuses et civiles, de manière à coordonner les intérêts des fidèles avec les exigences particulières des lois et, si possible, avec les justes désirs des personnes investies du pouvoir. Il y a parfois des éléments de friction, dont le règlement échappe à ses possibilités, mais dans bien des cas, la prudente modération des actes et des paroles suffit à établir un mode de vivre satisfaisant pour les deux parties.

Dans ses relations directes avec les fidèles, le missionnaire sera un homme d'une patience inaltérable. On lui demande les services les plus disparates et les plus humbles, aux heures les moins opportunes, pas toujours de la façon la plus appropriée. Mais la charité ne mesure pas les degrés du dévouement. Il sera prêt à s'improviser maître, infirmier, rédacteur, procureur auprès des administrations civiles, promoteur d'honnêtes divertissements, en goûtant la joie intime de l'apôtre à se faire tout à tous. Ce sont précisément ces petits services, rendus avec un esprit joyeux, qui font reconnaître à l'émigré la présence maternelle de l'Eglise.



L'émigration au service de la catholicité de l'Eglise.

A la communauté des fidèles du lieu et, avant tout, à leurs pasteurs l'occasion s'offre aussi de montrer que l'unité et la catholicité de l'Eglise, notre Mère à tous, sont encore aujourd'hui des « notes » vivantes et efficaces. Une tolérance courtoise a l'égard des émigrés ne suffirait donc pas, ni non plus un sentiment de compassion ou de sympathie plutôt stériles ; mais il faut un amour agissant, semblable à celui qui distinguait les ferventes communautés chrétiennes des premiers siècles. A beaucoup de catholiques, prêtres et laïcs, la Providence donne aujourd'hui l'occasion de renouveler dans leurs paroisses cette gloire antique et permanente du nom chrétien et de manifester au monde qui les entoure, divisé par tant d'oppositions nationales, combien est profond dans l'Eglise le sens de l'universalité. A aucun membre du Corps mystique l'Eglise ne demande quel est son passeport, avant de se résoudre à l'insérer dans la vie de la communauté et à le faire participer à ses propres biens spirituels et à son affection.

Chers fils ! En concluant ces considérations pastorales, est-il nécessaire de vous répéter combien est digne et élevé le rôle que l'Eglise vous a confié en vous désignant comme délégués dans les comités d'émigration ? Consacrez-vous de bon coeur à continuer la splendide tradition de charité et d'apostolat, qui dans les desseins de la Providence ne vise pas seulement — croyons-Nous — à l'avantage immédiat des individus. Les voies des conquêtes de salut du Christ sont indéfinies, comme le montre l'histoire. Le phénomène de l'émigration moderne suit indubitablement ses lois ; mais c'est le propre de la Sagesse divine de se servir des faits humains, tristes même parfois, pour réaliser ses desseins de salut pour le bien de l'humanité entière. C'est ainsi que d'humbles colonies de travailleurs chrétiens peuvent se transformer en pépinières du christianisme, là où il n'avait jamais pénétré ou encore là où le sens s'en était perdu. Votre oeuvre s'insère ainsi — croyons-Nous et espérons-Nous — dans le plan de la rédemption universelle. Avec cette vaste et réconfortante vision devant les yeux, employez-vous à rendre de plus en plus efficients vos comités, en les mettant au service de Dieu et des âmes.

Afin que Notre souhait se réalise, Nous élevons vers Dieu Nos prières, en même temps que Nous vous donnons à tous Notre paternelle Bénédiction apostolique.


LETTRE DE LA SECRÉTAIRERIE D'ÉTAT AU PREMIER CONGRÈS DE L'ASSOCIATION CATHOLIQUE DES CHEFS D'ENTREPRISE DE L'ARGENTINE

(30 juillet 1957)1






A l'occasion du premier Congrès de VAssociation catholique des chefs d'entreprise de la République argentine, qui a eu lieu à la fin du mois d'août et dont le thème était : « La promotion de l'ouvrier sur le plan économique, professionnel et social », Son Exc. Mgr Dell'Aequa, Substitut de la Secrêtairerie d'Etat, a fait part des directives du Souverain Pontife aux congressistes, en une lettre adressée au Dr Hernando Campos Menendez, président de VAssociation :

Voici la traduction du document rédigé en espagnol :

Le Souverain Pontife a été informé que cette Association catholique des chefs d'entreprise va tenir dans la capitale fédérale son premier Congrès pour étudier le thème de la promotion de l'ouvrier dans l'entreprise sous les trois aspects : économique, professionnel et social.

Se réjouissant vivement de votre désir de tenir cette assemblée en étant animés des meilleures dispositions pour connaître et appliquer la doctrine de l'Eglise en cette matière, Sa Sainteté a volontiers accédé au désir que vous avez manifesté et vous adresse avec plaisir quelques paroles d'encouragement et de bénédiction, afin que le succès couronne vos travaux.

1 Traduction française de la Documentation Catholique, LIV, col. 1461, d'après le texte espagnol paru dans Ecclesia, du 14 septembre 1957.




L'entreprise est actuellement le système de production quasi normal de la vie moderne. Dans l'entreprise, les facteurs capital et travail sont en relation sous deux aspects : l'organisation économique de l'entreprise et l'organisation du travail. Il est par conséquent extrêmement important que ces relations s'exercent d'une manière normale et dans l'entente mutuelle, pour éviter que la production et la paix sociale soient troublées.



Comment comprendre et réaliser la promotion de l'ouvrier :

a) sur le plan économique.

Parlant de ces relations, le Saint-Père a dit que « dans le domaine économique, il y a communauté d'activités et d'intérêts entre chefs d'entreprise et ouvriers », car « chefs d'entreprise et ouvriers ne sont pas antagonistes inconciliables, ils sont coopérateurs dans une oeuvre commune » 2. Il y a là un principe clair et fondamental qui doit régir tout ce qui concerne l'entreprise.

Si, dans cette oeuvre commune, la coopération entre patrons et ouvriers doit avoir une valeur efficace, elle doit tendre à une juste promotion ou élévation des ouvriers pour obtenir d'eux un concours effectif aux fins de l'entreprise. Un premier aspect de ceci est la promotion économique. Le salaire de l'ouvrier doit être un salaire juste3, « la justice exige que les salaires des ouvriers soient tels qu'ils suffisent à leur subsistance et à celle de leur famille ». Mais, en supposant payé ce salaire, qui doit être égal pour tous les ouvriers, l'entreprise peut stimuler le travailleur avec des salaires supplémentaires, soit en raison de sa plus grande compétence ou de sa plus grande capacité, soit en raison de son initiative ou de son rendement. Par ailleurs, il est également juste que les ouvriers aient une certaine participation aux bénéfices de l'entreprise, ce qui est très conforme à la nature de celle-ci, qui est une communauté d'activités et d'intérêts, et ce qui occasionnerait entre patrons et ouvriers un rapprochement non seulement économique, mais grandement humain.



b) sur le plan professionnel.

2 Discours à l'Union internationale des Associations patronales catholiques, 7 mai, 1949 ; cf. Documents Pontificaux 194g, p. 156.

S Sa Sainteté Pie XII, Encyclique Sertum Laetitiae, ier novembre 1939.




Le problème de la production est intimement lié à celui de la capacité professionnelle du travailleur, parce qu'à une



plus grande technique de l'ouvrier correspond logiquement une augmentation de production et de qualité. Ce nouveau rendement de l'ouvrier a deux aspects : technique et moral. La technique exige de lui une préparation progressive qui le rende apte au maniement des nouvelles machines, et la responsabilité de son travail dans l'entreprise requiert de lui une recherche sérieuse et rationnelle de l'amélioration du travail pour être à la hauteur des circonstances ; c'est pourquoi il faut donner à l'ouvrier « une formation professionnelle adéquate qui le rende conscient de la contribution spécifique qu'il apporte à la réalisation du bien produit » 4.



c) sur le plan social.

Ces relations entre patrons et ouvriers ont été parfois troublées, du fait de fausses théories, pour le plus grand mal des deux parties. C'est ce qui explique les nombreux projets sur la réforme de l'entreprise, mais la plupart ont oublié que le remède idéal serait de faire que l'entreprise soit pénétrée « de sentiments humains dans la plus large et la plus haute conception du terme. Ce sentiment humain, il faut qu'il pénètre, comme la goutte d'huile, dans l'engrenage, dans tous les membres, tous les organes de l'entreprise »6. Le défaut de ce sentiment dans les relations au sein de l'entreprise a occasionné cette grande misère que l'ordre social « n'est pas profondément chrétien ou réellement humain, mais uniquement technique et économique » 6.

4 Lettre de la Secrétairerie d'Etat de la XXVe Semaine sociale d'Italie, 21 septembre 1952 ; cf. Documents Pontificaux 1952, p. 477.

5 Sa Sainteté Pie XII, discours à l'Union chrétienne des chefs d'entreprise, 31 Janvier 1952 ; cf. Documents Pontificaux 1952, p. 37-38.

6 Ibid. ; cf. Documents Pontificaux 1952, p. 38.

i Sa Sainteté Pie XII, discours au ier Congrès international de la vie rurale, 2 Juillet 1951 ; cf. Documents Pontificaux 1951, p. 288.




Et quelle en a été la cause ? Le travail, pour ainsi dire, « a perdu son âme, c'est-à-dire le sens personnel et social de la vie humaine » ', et les hommes ont fini par devenir les roues du grand automatisme qu'est devenue la vie humaine dans le monde du travail. L'homme, néanmoins, par sa dignité personnelle, est au-dessus des valeurs techniques, et il faut éviter sa dépersonnalisation pour que les formes fondamentales de l'ordre social puissent créer et développer les relations humaines 8. Si à cette conception de la dignité de la personne humaine de l'ouvrier s'ajoutent des sentiments de fraternité chrétienne en raison de sa condition de fils de Dieu, on trouve la formule complète et le chemin assuré pour établir au sein de l'entreprise et dans tout le monde économique un ordre efficace et solide.

8 Sa Sainteté Pie XII, radiomessage de Noël 1952 ; cf. Documents Pontificaux 2952, P 567.




Sa Sainteté ne peut qu'encourager tous ceux qui font partie de cette Association à travailler avec enthousiasme et un jugement sûr à ce que la doctrine sociale catholique pénètre toujours davantage dans la vie des entreprises, et qu'ainsi s'étende dans cette chère nation la mise en pratique progressive de l'esprit chrétien dans tout l'ordre social, unique moyen de porter aux masses ouvrières le message de Jésus-Christ, la paix et la vraie prospérité. Pour que dans cette tâche vous soyez aidés par le Très-Haut, le Saint-Père vous accorde de tout coeur la Bénédiction apostolique.



LETTRE AU T. R. P. MICHEL BROWNE POUR LE VIIe CENTENAIRE DE LA MORT DE SAINT HYACINTHE
(ier août 1957) 1






A l'occasion du VIIe centenaire de la mort de saint Hyacinthe, gloire de l'Ordre des Frères Prêcheurs, le Souverain Pontife a adressé une lettre en latin au Très Rêv. Père Browne, Maître général des Dominicains. En voici la traduction :

1 D'après le texte latin des A. A. S., XXXXIX, 1957, p. 827 ; traduction française de l'Osservatore Romano du 20 septembre 1957.




Le bien de l'Eglise militante non moins que son honneur demande instamment que souvent et par des rites solennels soit rappelée la mémoire de ceux qu'une vertu éminente a élevés plus haut dans la gloire de l'Eglise triomphante. Par ces marques de considération en effet l'esprit se pénètre du souvenir de la sainteté sublime qui fut atteinte, souvenir certes toujours opportun, mais particulièrement salutaire en des temps hostiles à la foi. C'est pourquoi Nous avons appris avec joie, cher fils, que vous-même et vos religieux allez bientôt célébrer le septième centenaire du jour où saint Hyacinthe, ornement illustre de la catholique Pologne et de votre Ordre, s'envola de cette vie terrestre vers le ciel. La nouvelle Nous est même d'autant plus agréable que cette célébration vous donne l'occasion de réunir en cette ville une assemblée où vous déciderez des moyens et motifs susceptibles de rendre la prédication de la parole de Dieu plus adaptée aux nécessités de notre temps.

Un vrai fils de S. Dominique.

Nous comprenons fort bien que, grâce à un examen en commun salutaire et opportun, un thème d'une telle gravité se trouve être intimement uni à la mémoire de cet homme eminent en sainteté. S'il est vrai qu'au premier âge même de la famille dominicaine a fleuri ce remarquable modèle de perfection qui reflétait avec tant de grâce l'image de votre Père fondateur, il n'est pas possible que vous-mêmes, en regardant le modèle, vous n'ayez pas devant les yeux et placé sous un éclairage plus lumineux le caractère originel du travail apostolique commis à votre Ordre, lequel en effet « est connu pour avoir été dès le début institué spécialement en vue de la prédication et du salut des âmes » 2.

C'est à cela que tendent sans nul doute les liens particuliers qui s'établirent entre saint Hyacinthe et votre Patriarche. Celui-là en effet, tant à Rome où il fut enrôlé dans l'Ordre des Prêcheurs par votre fondateur même qu'à Bologne surtout où longtemps ils menèrent la vie commune, « puisa, comme à la source même du bienheureux Dominique » 3, ces normes saintes de vie et d'action auxquelles jusqu'à la fin de sa vie et de façon admirable il conforma sa conduite. Remarquables furent en lui l'application à prêcher et le souci de la pénitence, la dévotion envers la Mère de Dieu, la suavité des moeurs unie à l'ardeur de la charité.

2 Constitution des Frères du S. Ordre des Prêcheurs, 3,1.

' Vie et miracles de S. Hyacinthe, Monum. Poloniae Hist. IV, Leopoli 1884, p. 849.




Ainsi qu'il convenait à un membre de la famille dominicaine, la flamme de l'apostolat en vue de procurer le salut d'autrui dévorait son âme. De ce zèle apostolique votre Ordre, dont il fut le propagateur infatigable, perçut les fruits les plus abondants ; et il en fut de même pour la Pologne, et ces régions orientales limitrophes, non encore unies au peuple chrétien, auprès desquelles il se rendit, héraut de la doctrine évangélique. Il est trop long de suivre dans le détail ce que cet ouvrier du Christ, passé maître dans l'éloquence sacrée, brillant de l'éclat de la sainteté, illustre aussi par la multitude de ses miracles, a réalisé dans les divers domaines du divin ministère ; de dire les voyages ardus qu'il entreprit, combien nombreux les travaux que d'un coeur vaillant il mena à bonne fin, et la multitude de difficultés graves qu'il



surmonta. Nous ne pouvons toutefois omettre, chers fils, d'orienter vos pensées vers la source et l'origine d'où est née une puissance d'apostolat aussi considérable, une moisson tellement féconde pour l'Eglise grâce aux sueurs de saint Hyacinthe. Nous disons que c'est son éminente sainteté qui était cause de ce que lui-même, marchant sur les traces de saint Dominique, nourrissait son esprit, comme d'un aliment divin, de la contemplation des choses d'en haut et d'une prière constante. Assurément, c'était cette sainteté qui ajoutait à son autorité, lui gagnait les coeurs de ses auditeurs et lui conférait une éloquence souple et conquérante.



Pour une ¦prédication fructueuse de la parole de Dieu.

C'est le souvenir de cet illustre membre de la famille dominicaine qui a engagé à évoquer ces choses ; et non certes pour que vous soyez instruits de ce que vous connaissez fort bien, mais afin qu'à la lumière des exemples de saint Hyacinthe vous voyiez clairement ce qui nuit, et ce qui est utile à l'éloquence sacrée pour qu'elle puisse porter des fruits. Dans une affaire aussi importante il y a lieu de déplorer que plusieurs entrent dans une voie qui ne répond ni à la dignité de la parole de Dieu ni à l'unité des auditeurs ; ceux-là certes peuvent à juste titre être blâmés par les paroles de l'apôtre, comme éprouvant une vive démangeaison aux oreilles et cherchant leurs intérêts et non les intérêts de Jésus-Christ (II Tim. iv, 3 ; Ph 11,21).

Que votre raison de prêcher, chers fils, n'ait en vue que ceci : la gloire de Dieu et le salut de ceux qui écoutent ; c'est pourquoi il vous faut considérer comme un devoir suprême d'expliquer de façon à être compris du peuple les mystères qu'il est nécessaire de connaître, d'enseigner les préceptes des moeurs, de réfuter les vices. Rien n'est aussi discordant, chez les hérauts de l'Evangile, que de rechercher, en prêchant, la popularité et de choisir une matière à traiter de peu d'importance ou oiseuse ou encore étrangère au sujet : car c'est là faire du bruit, un moment, qui frappe les oreilles, mais la foule est renvoyée tout aussi affamée qu'elle l'était en venant. A ce propos saint Jérôme écrit justement : « Quand tu enseignes dans l'église, que l'on entende non point les applaudissements, mais les gémissements du peuple. Que les larmes des auditeurs soient ton éloge. Je ne veux pas que tu sois déclamateur, ni que tu te rendes habile dans la connaissance des mystères et des sacrements de ton Dieu » 4.

Nul ne peut en rien obtenir ce résultat sans une préparation diligente. A ceux-là donc, et à chacun d'entre eux, qui ont à coeur de s'acquitter de cette charge, il est absolument nécessaire, avant d'aborder la chaire, de se pourvoir des moyens indispensables, par l'étude des choses et des hommes, par la connaissance de la doctrine sacrée, par l'art de bien dire et, ce qui est capital, grâce à des sentiments de piété chrétienne et à la probité de vie ; celui-là en effet est l'orateur parfait dans l'Eglise qui, à l'exemple de l'apôtre des Gentils, ne s'exprime pas « en paroles seulement, mais par des oeuvres de puissance et avec l'Esprit-Saint et une grande plénitude de ses dons » (1Th 1,5). Si cela fait défaut, si les paroles n'apportent quasi que ce qui est de l'humaine science et de l'humaine prudence, si certain souffle d'en haut ne pénètre l'âme de l'orateur sacré, son éloquence, combien brillante, doit nécessairement s'émousser et demeurer sans résultats, vu qu'elle est fort éloignée de cette force dont jouit la parole divine : « Vivante, en effet, est la parole de Dieu, énergique et bien plus tranchante qu'aucun glaive à deux tranchants, et pénétrant jusqu'au point de division de l'âme et de l'esprit » (Hebr. iv, 12).

Courage donc, chers fils, et soyez félicités pour le zèle remarquable d'apostolat dont vos âmes débordent ; et faites en sorte que par ces fêtes commémoratives les actions accomplies par saint Hyacinthe revivent, pour la gloire sans doute du saint que vous honorez grandement, mais aussi au bénéfice de la prédication sacrée.

< Ep. 52, P. L., 22, 334.




Nous-même avec vous, Nous demandons au Dieu Tout-Puissant, par des prières suppliantes et par l'intercession de saint Hyacinthe, que tout cela se réalise de façon heureuse, et en gage des dons célestes et comme témoignage de Notre bienveillance paternelle, à vous ainsi qu'à tous vos religieux Nous donnons très affectueusement dans le Seigneur la Bénédiction apostolique.




Pie XII 1957 - A DES MAITRES CATHOLIQUES ESPAGNOLS