Pie XII 1957 - AUX PARLEMENTAIRES DE LA C. E. C. A.


DISCOURS AU CONGRÈS DES ARCHIVISTES ECCLÉSIASTIQUES D'ITALIE

(5 novembre 1957) 1






Le premier Congrès des archivistes ecclésiastiques d'Italie a réuni à Rome de nombreuses personnalités des divers diocèses italiens. Avant de commencer leurs travaux, les congressistes ont tenu à se rendre à Castelgandolfo où ils ont été reçus en audience le mardi 5 novembre. Voici la traduction du discours que le Saint-Père adressa à l'assemblée, en italien :

Combien Nous est agréable votre visite, Vénérable Frère et chers fils, venus à la ville éternelle pour tenir le premier Congrès des Archivistes ecclésiastiques d'Italie, organisé par la méritante « Associazione archivista ecclesiastica », sous le haut patronage du très digne et très savant cardinal Eugène Tisserant, bibliothécaire et archiviste de la S.E.R., vous pouvez facilement le déduire de la constante sollicitude nourrie par Nous pour la bonne organisation, la conservation et l'administration de ces trésors inestimables, que sont les archives ecclésiastiques. Dès les premières années de Notre pontificat, Nous avons eu le réconfort d'obtenir des Ordinaires d'Italie leur premier recensement régulier et la collection de leurs inventaires-sommaires ; Nous avons ensuite éprouvé de vives inquiétudes pour leur sort à cause des événements de guerre ; et Nous Nous sommes employé avec sollicitude auprès des autorités civiles et d'occupation afin de préserver les archives ecclésiastiques ou autres des destructions et dommages, mais l'on ne put empêcher qu'un certain nombre d'entre elles, à Notre profond regret, fussent dispersées.

En vous voyant donc en Notre présence, nombreux et animés de ferventes intentions pour chercher à perfectionner votre oeuvre, par des études communes et l'échange fraternel d'informations, d'expériences et de règles, Notre coeur se réjouit et vous exprime satisfaction et reconnaissance.



Evocation de l'oeuvre du cardinal Jean Mercati et de son frère Ange Mercati.

Dans la première annonce, votre congrès était encore présenté comme placé « sous le haut patronage de Son Eminence le cardinal Jean Mercati » ; mais la divine Providence a décidé entre temps d'appeler à la récompense des justes l'âme d'élite de l'humble et vigoureux vieillard, après toute une vie consacrée aux études. Il est juste et c'est un devoir d'évoquer en cette circonstance son nom et son oeuvre, en même temps que son frère Ange, mort il y a deux ans et comme lui passionné pour les trésors du passé. Le grand mérite d'Ange Mercati, durant les trente années où il dirigea la préfecture des Archives secrètes du Vatican, peut se mesurer à l'immense travail de conservation et de mise en ordre de cette mare magnum d'actes et documents de tout genre qui s'y trouvent et qu'on a défini « le centre de recherches historiques le plus important du monde » non seulement en raison de l'imposante masse de ses collections et de l'importance de celles-ci, mais aussi parce qu'il est une aide pour toute recherche sérieuse, mine inépuisable de découvertes et comme un pôle d'attraction de tout erudit dans le domaine des archives ecclésiastiques.

Il est notoire que dans ces mérites à l'égard des Archives et de la Bibliothèque vaticanes, son frère, le cardinal Jean Mercati, se distingua particulièrement, spécialement depuis l'année 1936, où il fut désigné pour la charge de bibliothécaire et archiviste de la S.E.R. On peut à juste titre dire de lui qu'il était né pour exercer l'une et l'autre charge, doué comme il l'était, à un degré remarquable, de toutes les qualités que réclament ces hautes fonctions. Il fut un savant dans le plein sens du mot et conformément à la glorieuse tradition du Siège apostolique. La tendance innée à l'érudition était accompagnée chez lui de la passion de la recherche, de l'heureuse intuition de la découverte, du sens sévère de la critique, de la patience dans la vérification, de l'ordre dans la documentation, de la



perspicacité dans la coordination. Son caractère scrupuleux de savant, qui cultivait au plus haut degré le respect envers la vérité historique, le préservait de ces erreurs souvent causées par la hâte, par les flatteries ou par la polémique. Un éloquent témoignage de tous ces dons est offert par le fameux palimpseste des « Esapla », découvert par lui à l'Ambrosienne en 1893, mais qui, plus de soixante ans après, était encore, trois jours avant sa mort, sur sa table de travail, soumis au crible de sa critique « jamais satisfaite ». Cette oeuvre ne l'avait toutefois pas empêché de s'employer à enrichir sans cesse son imposant patrimoine d'érudition et de publier plus de 420 monographies ou articles sur les questions les plus variées. Le cardinal Mercati s'est, en un mot, révélé un digne successeur de ces célébrités, qui l'avaient précédé, compris et formé, comme le cardinal François Ehrle, Achille Ratti, qui fut ensuite Notre glorieux prédécesseur dans le pontificat, le bienheureux Contardo Ferrini, Antoine Ceriani et d'autres.

Mais tout en se consacrant aux études, il remplissait avec une diligence et une ferveur égales les devoirs pratiques qui lui étaient imposés par ces fonctions, veillant tout spécialement à la bonne marche et à l'heureux développement des cours de paléographie et diplomatie, comme de ceux d'archives et de bibliothéconomie. En outre, c'est à lui que Nous devons l'heureux résultat de Notre désir de recenser les archives ecclésiastiques d'Italie. Il s'appliqua à cette tâche, qui lui avait été confiée en 1942, avec une grande diligence et avec une fermeté patiente pour surmonter les obstacles posés par les événements de la guerre. Le fichier de ce recensement est déposé aux Archives vaticanes ; non seulement il donne de précieuses informations sur le contenu des différentes archives episcopales, capi-tulaires, paroissiales, de sanctuaires, monastères, couvents et instituts religieux, mais il parle également de l'actif dévouement et des sérieuses méthodes du cardinal Mercati et aussi de la coopération efficace de ses insignes collaborateurs, ainsi que des evêques, des supérieurs religieux et de leurs archivistes, entraînés par son exemple.

C'est pourquoi il est juste que le dévouement des deux frères Mercati, Jean et Ange, à la Bibliothèque et aux Archives du Siège apostolique, soit perpétuellement rappelé dans les annales de ces insignes Instituts pontificaux.

Evocation de l'oeuvre des Souverains Pontifes qui s'employèrent particulièrement à encourager la conservation et Vorganisation des archives ecclésiastiques.

Et comme les mérites récents ne sont que les anneaux les plus proches d'une véritable chaîne d'or dans la tradition des Archives du Saint-Siège, il Nous semble opportun, en la présente circonstance, de porter le regard plus en arrière pour commémorer, voire en de rapides allusions, Nos prédécesseurs qui s'employèrent le plus à encourager la conservation et l'organisation des archives ecclésiastiques, spécialement italiennes.

Pie V, le Pape saint parmi les Papes du XVIe siècle, mérite d'être cité avant tout. Aux brèves dispositions du Concile de Trente sur l'obligation de conserver les documents ecclésiastiques 2, saint Charles Borromée avait donné pour toute la province milanaise une exécution très minutieuse 3 ; elle concernait les questions à noter, les registres à tenir, les inventaires à faire en trois copies, dont une toujours pour les archives episcopales, même en ce qui concernait les monastères féminins, où, entre autres, l'obligation était imposée à la Supérieure de rappeler aux parents de la postulante l'excommunication disposée par le Concile de Trente4 contre ceux qui contraignent une jeune fille opposée à embrasser l'état religieux5. A ce propos, on pourrait être tenté de penser au célèbre récit dans lequel Alexandre Manzoni, dans les « Promessi Sposi », a mis en lumière certains aspects, en vérité fort tristes, de la civilisation du XVIIe siècle. Pie V 8 confirma les règlements et statuts du saint archevêque de Milan.

2 Sess. XXIV de reform. matrim., cap. l et 2.

8 Acta Ecclesiae Mediolanensis ab eius initus usque ad nostram aetatem, opera et studio presb. Achillis Ratti, vol. II, Mediolani 1890, col. 112-113, 263-265, 275-276, 1710 et suiv. i Sess. XXV de reform., cap. 18.

5 Acta Eccl. Mediol. ecc, col. 133.

6 Par le Bref Inter omnes du 6 juin 1566 ; cf. Bullar. Rom., t. IV, p. 2, Romae 1745, pp. 299-301.




Son successeur, non immédiat, Sixte V, donne l'impression, avec son idée d'Archives ecclésiastiques générales ou centrales pour toute l'Italie, d'être, pour ainsi dire, de notre temps. De toute façon, il restera dans l'histoire des archives et de la bibliothéconomie comme un réformateur de la conservation des archives ecclésiastiques en Italie et des archives notariales dans les territoires de l'Etat pontifical.

C'est aux sages et prévoyantes prescriptions de ces deux Souverains Pontifes que l'on doit attribuer la richesse et la valeur relativement élevée des archives ecclésiastiques en Italie qui font de cette terre comme un écrin de trésors historiques à l'avantage de la religion et de la culture.

11 y a deux Papes qu'il convient pour notre question de nommer ensemble, Clément VIII et Paul V, qui dirigèrent l'Eglise entre la fin du XVIe siècle et le commencement du XVIIe. Au premier revient le mérite d'avoir tenté la fondation d'Archives pontificales secrètes ; au second, celui de les avoir réalisées. Déjà, dès le début du XVe siècle, des documents d'importance spéciale furent conservés au Château Saint-Ange. Sixte IV y fit transporter les plus précieux « privilèges de l'Eglise romaine ». Clément VIII mit à la disposition de cette collection de documents une belle salle de l'étage supérieur du château. Il pensa y installer tous les trésors d'archives du Saint-Siège et l'on sait que pour le développement de la Bibliothèque vaticane, comme pour ses tentatives dans les archives, il eut des collaborateurs de premier ordre, tels que Baronius et Dominique Rainaldi.

Ce que Clément VIII avait conçu, c'est-à-dire la fusion des trésors d'archives du Saint-Siège en des Archives secrètes uniques, Paul V l'accomplit, non pas au Château Saint-Ange, mais à côté de la Bibliothèque vaticane, dans la longue aile parallèle aux jardins du Vatican. De nombreux volumes des fameux « Registres », de grands fonds des archives de la Chambre apostolique et la plus grande partie du matériel d'archives qui se trouvait dans la garde-robe papale, c'est-à-dire là où, par la suite, furent installées les archives de la Secrétairerie d'Etat, enfin une partie des archives du Château Saint-Ange : tout cela formait le contenu des Archives secrètes du Vatican. Mais leur véritable grandeur fut révélée par l'acte généreux et de large vue, par lequel Léon XIII ouvrit en 1881 les Archives secrètes du Vatican à la recherche scientifique. Mais, avant de parler, voire brièvement, de cet événement historique, Nous désirons attirer votre attention sur un autre de Nos prédécesseurs, un Pape très pieux et saint, dont l'action, précisément en ce qui intéresse votre Congrès, est spécialement un exemple et un stimulant : Nous entendons parler de Benoît XIII.

Son pontificat, du reste relativement bref, ne laissa pas de traces larges ou profondes en vérité ; mais il fut un fervent défenseur et un promoteur exemplaire des archives ecclésiastiques.

Déjà comme évêque de Manfredonia (Siponto) et de Cesena et comme archevêque de Bénévent, Vincent-Marie Orsini, le futur Benoît XIII, avait apporté une grande sollicitude dans la fondation, dans l'organisation et dans la visite régulière des archives episcopales ou du diocèse, des chapitres et des paroisses. Il les effectua lui-même avec d'excellents résultats : il réunit aux archives episcopales de Bénévent non moins de 13.837 parchemins en 908 volumes. L'attention de l'érudit est éveillée par le fait qu'à Bénévent (et certainement ailleurs aussi), déjà au XIVe siècle l'excommunication menaçait ceux qui prélèveraient des documents dans les Curies episcopales ; plus tard, sous l'archevêque Orsini, le quinzième concile provincial déplorait que non defuisse qui, cathedrali suo viduata pastore, in episcopale archivum, conniventibus qui custodire tenebantur, manus iniecisse(nt) ; et ne delictorum cognitio vel vindicta uspiam consequatur, processus surripuisse(nt) et occultasse(nt) et décidait d'agir contre les coupables, en appliquant les peines déjà prévues pour de semblables cas par le précédent concile de 1693 7.

7 Constit. I, c. 2 — Synodicon Diocesanum S. Beneventanae Ecclesiae, 2, Beneventi 1723,

p. 48.

8 Bullar. Rom., t. XII, Romae 1736, pp. 221-225.




A cela correspond une série de dispositions, aussi minutieuses que sages, publiées par Benoît XIII, avec la Constitution Maxima vigilantia du 14 juin 1727 8, qui visait à la sauvegarde des archives episcopales également durant les vacances du Siège. En effet, elle prescrivait (n. 6) « un catalogue, inventaire et sommaire des écritures enfermées dans les archives », également (n. 8) pour les « églises conventuelles, collèges, séminaires, communautés, congrégations, confréries, hôpitaux, monts de piété et autres lieux sacrés ». « Dans les monastères féminins, prescrivait le n. 7, et dans les conservatoires, l'inventaire et le catalogue seront composés et signés par une personne mandatée par l'évêque ou l'ordinaire, devant le confesseur et l'abbesse ou prieure, supérieure et vicaire du monastère. » De ces inventaires et catalogues, ajoutait-il, il doit être fait « deux copies égales », dont une sera conservée aux archives episcopales et l'autre auprès du prélat, supérieur ou supérieure intéressés (n. 9). Pour prévenir des abus et détournements, les archives seront fermées « avec deux clefs différentes » qui seront conservées par deux personnes distinctes (n. 10). La Constitution donnait en outre des règles exactes, entre autres, sur la visite des archives (n. 13-15), l'élection d'archivistes (n. 16), et sur des documents ou livres à conserver dans ces archives (n. 17-18).

Cet important document, ainsi que le reconnaissaient explicitement les historiens, eut un très bon effet sur les archives ecclésiastiques et, même en des temps récents, l'Etat italien manifesta sa reconnaissance pour les indications contenues dans les livres paroissiaux et dans les « registres de catholicité », parce que très utiles au progrès des études démographiques modernes 9.

» Cf. Lettre du Cardinal Mercati du ier novembre 1942, chap. L'uno è che presen-temente.

10 Lettre de Léon XIII du 18 août 1883 ; Ep. ad Principes, Registre 1882-83.




Nous avons déjà fait allusion à l'acte de l'immortel Pontife Léon XIII, par lequel il ouvrit les Archives vaticanes aux recherches des érudits. Ce fut là un acte courageux, inspiré par la conscience tranquille de l'Eglise au sujet du passé, par la certitude que « l'histoire étudiée dans ses vraies sources avec un esprit exempt de passion et de préjugés se révèle spontanément, par elle-même, comme la plus splendide apologie de l'Eglise et de la papauté » 10. En vérité, étant donné l'ampleur des fonds des Archives, non seulement dans leur ensemble mais également à cause des pontificats distincts, spécialement des plus longs, personne, humainement parlant, ne savait ni peut encore savoir à l'avance si peut-être s'y trouvait ou s'y trouve quelque chose qui ne convienne pas à la dignité et à l'honneur de l'Eglise. Mais les faits ont entièrement justifié la magnanimité et la certitude confiante de ce grand Pape. Les recherches dans les Archives et les publications consécutives n'ont pas diminué, mais ont au contraire augmenté, et nettement, le respect et l'autorité morale des Souverains Pontifes, du Saint-Siège et de l'Eglise. Souvent ces publications ont provoqué une agréable surprise, spécialement auprès des non-catholiques. Ces Archives faisaient écho à la parole du Seigneur : Et ecce ego vobiscum sum omnibus diebus usque ad consummationem saeculi (Mt 28,20).

But et fonctions appliqués aux Archives secrètes du Vatican.

Il convient d'ajouter ici une observation de principe. Les Souverains Pontifes, même après l'ouverture de leurs Archives, ont toujours été conscients de pouvoir en disposer en Souverains. Les Archives secrètes du Vatican ont avant tout un but exprimé 11 par les fameuses paroles : elles « servent avant tout et principalement au Pontife romain et à sa Curie, c'est-à-dire au Saint-Siège » pour administrer l'Eglise universelle. On ne peut parler d'une obligation de rendre compte de cette administration au public et aux générations futures. La suprema ratio, valable également ici, sera le bonum commune, celui de l'Eglise et aussi celui des Etats et des autorités civiles, avec qui l'Eglise était ou est en rapports. Dans ce bonum commune peut entrer et souvent entrera l'intention des Souverains Pontifes d'expliquer à l'égard de la postérité leur mode de penser et d'agir.

Cet acte de Léon XIII avait également un autre effet : pour les études et les recherches et du reste aussi pour l'usage administratif, il était recommandable de réunir tous les fonds d'archives pontificales dans des Archives centrales. Ainsi, durant les dizaines d'années qui ont suivi l'ouverture des Archives secrètes du Vatican, presque tous ces divers fonds, du Latran, des Congrégations Romaines, des Bureaux et Tribunaux Pontificaux, des Nonciatures, de fonds particuliers et d'archives adjointes, comme ceux des familles pontificales Borghèse, Rospi-gliosi, Boncompagni et autres, acquis entre temps par le Saint-Siège, ont été insérés dans les Archives secrètes du Vatican existant déjà.

n Dans le règlement de 1927 (n. 1) approuvé par le Pape Pie XI.




De la sorte — qu'une comparaison simple Nous soit permise — comme les ruisseaux jaillis des hauteurs montagneuses et ignorants l'un de l'autre, s'ils sont abandonnés à leur cours,, se dispersent souvent inutilement dans des déserts arides, alors qu'au contraire, recueillis et dirigés adroitement là où il y en a la nécessité, ils apportent fécondité et fraîcheur à des régions entières ; de même les archives distinctes, après des siècles de sollicitudes et de travail inlassable de la part des Souverains Pontifes et d'excellents archivistes, pour les préserver d'abord des prélèvements et ensuite les acheminer vers le centre des Archives secrètes du Vatican, sont maintenant des sources d'éruditiori universelle. En effet, par l'immensité et la valeur de leurs collections, ces Archives peuvent, tout en offrant une aide aux autres archives ecclésiastiques, être désignées comme leur modèle, et il en sera ainsi chaque jour davantage parce que le Siège apostolique a fait et fait tout le possible d'une part pour conserver et ordonner ses fonds et, d'autre part, pour rendre leur usage, autant que possible, facile et commode.

C'est ce même but que se fixèrent les instructions publiées par le Saint-Siège pour le développement des autres archives ecclésiastiques, particulièrement avec la Lettre circulaire du Cardinal secrétaire d'Etat aux evêques d'Italie, du 15 avril 1923. Selon l'esprit de ces prescriptions et recommandations, Nous vous exhortons aussi à publier, lorsque c'est opportun et possible, par vos propres moyens ou par d'autres, tout ce qu'il vous est donné de trouver dans vos archives ayant un véritable intérêt historique ou d'utilité, spécialement pour la théologie pastorale et pour le ministère des âmes.

Laissez-vous aussi entraîner à effectuer des recherches dans vos archives non seulement par le noble élan d'explorateurs de l'érudition, dirions-Nous, mais aussi par le zèle pour la gloire de Dieu et l'honneur de l'Epouse du Christ, parce qu'il est permis de supposer que beaucoup de vrai, de beau, de religieux, reste encore caché parmi les feuilles jaunies par le temps, qui sauraient encore aujourd'hui, si elles étaient interrogées, rendre un éclatant témoignage à celle qui vit et vivra éternellement dans l'histoire du monde, la sainte Eglise.

Afin que votre premier congrès soit de la sorte riche et fécond en fruits spirituels, Nous donnons de tout coeur à vous ici présents et à vos études Notre paternelle Bénédiction apostolique.


ALLOCUTION À L'OEUVRE MONDIALE DE LA « LAMPE DE LA FRATERNITÉ »

(6 novembre 1957) 1






Les participants au IIe Congrès de l'OEuvre mondiale de la « Lampe de la Fraternité »2 ont été reçus en audience spéciale, au cours de laquelle le Saint-Père prononça, en français, Vallocution suivante.

L'OEuvre mondiale de la Lampe de la Fraternité, qui tient actuellement son second congrès, Nous offre en vos personnes, Messieurs, une image vivante des aspirations du monde après les grands conflits internationaux qui l'ont ensanglanté. Votre groupe comporte en effet, autour de son illustre président, cinq vice-présidents qui représentent chacun un continent. Quel signe plus expressif de la volonté de paix, qui gagne en profondeur, Nous voulons l'espérer, malgré les trop nombreux foyers de guerre latente ou déclarée qui subsistent encore sur cette terre.

1 D'après le texte français' de l'Osservatore Romano quotidien, du 8 novembre 1957.

2 Cette Organisation a pour but l'entretien, dans chaque pays, des cimetières des' victimes militaires et civiles de la dernière guerre : geste charitable qui développe les relations fraternelles entre les peuples.




Dans le concert des voix qui s'élèvent pour imposer enfin l'entente fraternelle entre les nations, ceux qui ont dû combattre au nom de chacune d'elles ont un titre particulier à se faire entendre et à être écoutés. Leurs vaillants compagnons morts pour l'honneur de la patrie parlent en quelque sorte par leur bouche ; eux-mêmes ont éprouvé plus intensément les horreurs de la guerre ; c'est pourquoi ils veulent maintenant rester sur le front d'un combat pacifique et remporter la victoire sur la haine qui divise les peuples, sur la défiance qui empêche les accords, sur l'égoïsme et la cupidité qui subordonnent le bien

commun profond et durable à des intérêts personnels ou nationaux trop étroits.

Aussi formons-Nous pour votre OEuvre mondiale les meilleurs voeux de succès et implorons-Nous de grand coeur sur vos personnes, vos familles et vos pays les grâces du Très-Haut, en gage desquelles Nous vous accordons à tous Notre paternelle Bénédiction apostolique.


PRIÈRE POUR LES VOCATIONS SACERDOTALES

(6 novembre 1957) 1






Voici la traduction française d'une prière pour les vocations sacerdotales composée en italien par le Saint-Père :

Seigneur Jésus, Souverain Prêtre et Pasteur universel, qui nous avez enseigné à prier en disant : « Priez donc le maître de la moisson d'envoyer des ouvriers à sa moisson » (Mt 9,38), écoutez avec bienveillance nos supplications et suscitez en grand nombre des âmes généreuses, qui, animées par votre exemple et soutenues par votre grâce, aspirent à être les ministres et les continuateurs de votre vrai et unique sacerdoce.

Faites que les embûches et les calomnies de l'ennemi mauvais, aidé par l'esprit indifférent et matérialiste de ce siècle, n'obscurcissent pas chez les fidèles la sublime splendeur et la profonde estime reconnues à la mission de ceux qui, sans être du monde, vivent dans le monde pour être les dispensateurs des divins mystères. Faites que pour préparer de bonnes vocations, on continue toujours à donner à la jeunesse l'instruction religieuse, une formation à une piété sincère, à la pureté des moeurs et au culte du plus haut idéal. Faites que pour collaborer à cette oeuvre la famille chrétienne ne cesse jamais d'être une pépinière d'âmes pures et ferventes, consciente de l'honneur de donner au Seigneur quelques-uns de ses nombreux rejetons. Faites que votre Eglise ait dans toutes les parties du monde les moyens nécessaires pour accueillir, favoriser, former et conduire à terme les bonnes vocations qui s'offrent à elle. Et pour que tout cela devienne une réalité, ô Jésus, qui désirez tant le bien et le salut de tous, faites que la puissance irrésistible de votre





grâce ne cesse de descendre du ciel jusqu'à être dans de nombreux esprits tout d'abord un appel silencieux, puis une généreuse réponse, et, enfin, une persévérance dans votre service.

Ne souffrez-vous pas, Seigneur, de voir tant de multitudes, telles des troupeaux sans pasteur, sans personne qui rompe pour elles le pain de votre parole, qui leur présente l'eau de votre grâce, risquer ainsi d'être à la merci des loups rapaces qui les menacent continuellement ? Ne souffrez-vous pas de contempler tant de champs où ne s'est pas encore enfoncé le soc de la charrue, où croissent, sans que quelqu'un leur dispute le terrain, les chardons et les ronces ? N'éprouvez-vous pas de la peine à considérer tant de vos jardins, hier verts et touffus, près de jaunir et devenir incultes ? Permettrez-vous que tant de moissons déjà mûres s'égrènent et se perdent, faute de bras qui les récoltent ?

2 Notre Saint-Père le Pape Pie XII a daigné accorder une indulgence de dix ans aux fidèles, chaque fois qu'ils réciteront pieusement cette prière, et une indulgence plênière à gagner aux conditions habituelles, pourvu que l'on ait récité cette prière chaque jour durant un mois entier.




O Marie, Mère toute pure, dont les mains pleines de pitié nous ont donné le plus saint de tous les prêtres ; ô glorieux Patriarche saint Joseph, exemple parfait de réponse aux appels divins ; ô saints prêtres, qui formez au ciel autour de l'Agneau de Dieu un choeur privilégié ; obtenez-nous en grand nombre de bonnes vocations, afin que le troupeau du Seigneur, soutenu et guidé par des pasteurs vigilants, puisse arriver aux très doux pâturages de la félicité éternelle. Ainsi soit-il !2.


ALLOCUTION AU « NATO DEFENSE COLLEGE »

(7 novembre 1957) 1






Le Saint-Père reçut en audience spéciale les participants à la XIIe session du NATO Défense Collège et prononça, à cette occasion, l'allocution suivante, traduite de l'anglais :

Vous Nous offrez ce matin, Messieurs, la satisfaction d'accueillir et de bénir les praticiens d'un art ancien et noble et cependant, si étrange que ce soit, quelquefois pas apprécié. La bienvenue que Nous vous souhaitons est la plus cordiale du fait que vous représentez un groupe de nations-soeurs — qui Nous sont toutes chères — dont la politique, même sous ses aspects militaires, se présente comme celle de l'amour et de la défense de la paix.

En dehors de toute considération de compétence et d'efficacité techniques — qui doivent évidemment demeurer importantes — c'est sûrement sur votre fidélité au plus haut idéal possible de « service public » que la communauté des nations doit être encouragée à compter avec confiance.

Faites qu'elles soient disposées à reconnaître en vous, non pas simplement les manipulateurs experts des engins de destruction, mais des apôtres de paix convaincus et pieux ; non pas simplement des « forces » armées, mais d'authentiques « services » armés, voués à la défense de ces valeurs divines et humaines — incluses de façon si simple et sublime dans la loi naturelle et dans le plan chrétien de vie pour la famille, l'Eglise et l'Etat — pour lesquelles les hommes doivent vivre, pour lesquelles ils sont contents, et même fiers, de mourir.

Que vous puissiez faire, Messieurs, de « votre » service de Dieu et de la communauté une puissante contribution à la prédication de l'Evangile de paix parmi les hommes, c'est là Notre plus fervente prière paternelle, tandis que Nous invoquons pour vous tous, pour votre personnel, pour vos familles et ceux qui vous sont chers, la Bénédiction apostolique.


DISCOURS AU CONGRÈS DE L'UNION LATINE DE HAUTE COUTURE

(8 novembre 1957) 1






Répondant à leur désir, le Souverain Pontife a reçu en audience spéciale, les participants au premier Congrès international de l'Union latine de haute couture et leur a donné des directives précises en un long discours en italien, dont voici la traduction :

C'est de grand coeur, que Nous vous souhaitons parternelle-ment la bienvenue, chers fils et filles, promoteurs et membres de 1'« Union latine de haute couture ». Vous avez désiré venir en Notre présence pour Nous rendre témoignage de votre filiale dévotion et, en même temps, pour implorer les faveurs célestes sur votre Union, en la plaçant dès sa naissance sous les auspices de Celui, à la gloire de qui doit tendre toute activité humaine, même celles apparemment profanes, selon le précepte de l'apôtre des Gentils : « Soit que vous mangiez, soit que vous buviez on quelque autre chose que vous fassiez, faites tout pour la gloire de Dieu » (1Co 10,31).

Vous vous proposez d'affronter avec des vues et intentions chrétiennes un problème, aussi délicat que complexe, dont les inéluctables répercussions morales furent de tout temps un objet d'attention et d'anxiété chez ceux à qui il appartient par fonction, dans la famille, dans la société et dans l'Eglise, de s'employer à préserver les âmes des embûches de la corruption et toute la communauté de la décadence des moeurs : c'est-à-dire le problème de la mode, spécialement féminine.

Il est juste qu'à vos généreux desseins répondent Notre gratitude et celle de l'Eglise ; et Nous formons le voeu fervent que





votre Union, née et inspirée d'une saine conscience religieuse et civile, obtienne, grâce à l'auto-discipline éclairée des artisans mêmes de la mode, le double but déclaré dans vos statuts : moraliser cet important secteur de la vie publique et contribuer à élever la mode au rang d'instrument et d'expression d'une véritable civilisation.

Désireux d'encourager une entreprise aussi louable, Nous accédons volontiers au désir qui Nous a été exprimé de vous exposer quelques pensées, en particulier sur la vraie façon de poser le problème et sur ses aspects moraux, en vous indiquant d'autre part certaines suggestions pratiques, propres à assurer à l'Union une autorité bien accueillie dans un domaine souvent si discuté.


I CERTAINS ASPECTS GÉNÉRAUX DE LA MODE

Suivant le conseil de la sagesse antique qui indique dans la finalité des choses le critère suprême de tout jugement théorique et la sûreté des normes morales, il sera utile de se rappeler les buts que l'homme s'est toujours fixés en recourant au vêtement. Sans aucun doute, il obéit aux trois exigences bien connues de l'hygiène, de la pudeur et de la bienséance. Ce sont trois nécessités si profondément enracinées dans la nature, qu'elles ne peuvent être ignorées ni contrariées sans provoquer répulsion et préjudice. Elles conservent leur caractère de nécessité aujourd'hui comme hier ; elles se trouvent chez presque toutes les races ; elles se révèlent sous toutes les formes de la vaste gamme, dans laquelle la nécessité naturelle du vêtement s'est concrétisée historiquement et ethnologiquement. Il est important de noter l'interdépendance étroite et solidaire entre les trois exigences, bien qu'elles résultent de sources diverses : l'une du côté physique, l'autre du côté spirituel, la troisième de l'ensemble psychologique et artistique.



Trois exigences commandent la nécessité du vêtement : l'hygiène . . .

L'exigence hygiénique du vêtement concerne principalement le climat, ses variations et d'autres agents extérieurs, comme causes possibles d'inconvénient ou de maladie. II résulte de l'interdépendance évoquée plus haut que le motif ou, mieux, le pretexte hygiénique n'est pas valable pour justifier une licence déplorable, particulièrement en public et hors des cas exceptionnels de réelle nécessité ; dans ces cas, d'ailleurs, un esprit bien né ne saura pas se soustraire à la gêne d'un trouble spontané, exprimé à l'extérieur par une rougeur naturelle. De même, une manière de se vêtir nuisible pour la santé, — dont plus d'un exemple est cité par l'histoire de la mode —, ne peut être légitimé sous prétexte d'esthétique ; comme, d'autre part, les règles communes de la pudeur doivent céder devant les exigences d'une cure médicale, qui, si elle semble les violer, les respecte au contraire lorsqu'on adopte les précautions morales voulues.



. la pudeur ... C

Tout aussi évidente, comme origine et but du vêtement, est l'exigence naturelle de la pudeur, entendue soit dans sa signification la plus large, qui comprend également la juste considération pour la sensibilité d'autrui envers des objets répugnants à la vue ; soit surtout comme protection de l'honnêteté morale et bouclier contre la sensualité désordonnée. La singulière opinion qui attribue à la relativité de telle ou telle éducation le sens de la pudeur ; qui même le considère comme une déformation conceptuelle de l'innocente réalité, comme un faux produit de la civilisation et même comme un stimulant à la malhonnêteté et une source d'hypocrisie, cette opinion n'est appuyée par aucune raison sérieuse ; elle trouve, au contraire, une condamnation explicite dans la répugnance qui se produit chez ceux qui, parfois, osèrent l'adopter comme système de vie, confirmant ainsi la rectitude du sens commun, tel qu'il se manifeste dans les usages universels. La pudeur, étant donné sa signification strictement morale, quelle que soit son origine, se fonde sur la tendance innée et plus ou moins consciente de chacun à défendre contre la cupidité générale d'autrui un bien physique personnel, afin de le réserver, avec un prudent choix de circonstances, aux sages buts du Créateur, placés par lui sous la protection de la chasteté et de la pudicité. Cette seconde vertu, la pudicité, dont le synonyme « modestie » (de modus, mesure, limite) exprime peut-être mieux la fonction de gouverner et de dominer les passions, particulièrement sensuelles, est le rempart naturel de la chasteté, sa muraille efficace, parce qu'elle modère les actes étroitement connexes avec l'objet même de la chasteté.

Comme sa sentinelle avancée, la pudicité fait entendre à l'homme son avertissement dès qu'il acquiert l'âge de la raison, avant même qu'il apprenne la notion de chasteté et de son objet, et elle l'accompagne pendant toute la vie, en exigeant que des actes déterminés, honnêtes en eux-mêmes, parce que disposés divinement, soient protégés par le voile discret de l'ombre et par la réserve du silence, comme pour leur concilier le respect dû à la dignité de leurs fins élevées.

Il est donc juste que la pudicité, en tant que dépositaire de biens si précieux, revendique pour elle une autorité prépondérante sur toute autre tendance ou tout autre caprice et préside à la détermination des manières de se vêtir.



.. .la dignité de la personne.

Et voici la troisième finalité du vêtement, dont la mode tire plus directement son origine ; elle répond à l'exigence innée, sentie surtout chez la femme, de donner du relief à la beauté et à la dignité de la personne, avec les moyens mêmes qui pourvoient à satisfaire les deux autres. Pour éviter de restreindre l'ampleur de cette troisième exigence à la seule beauté physique et, plus encore, pour soustraire le phénomène de la mode à l'ardent désir de séduction comme sa première et unique cause, le terme dignité est préférable à celui d'embellissement. Le souci de la dignité de sa propre personne provient manifestement de la nature et est par conséquent légitime.

En faisant abstraction du recours au vêtement pour cacher les imperfections physiques, ce que la jeunesse lui demande, c'est ce relief de splendeur, qui chante le joyeux thème du printemps de la vie et facilite, en harmonie avec les préceptes de la pudicité, les prémisses psychologiques nécessaires à la formation de nouvelles familles ; tandis que l'âge mûr entend obtenir du vêtement approprié un aspect de dignité, de sérieux et de joie sereine. Dans tous les cas où l'on cherche à accentuer la beauté morale de la personne, la coupe du vêtement sera de nature à éclipser presque la beauté physique dans l'ombre austère où elle se cache, pour détourner d'elle l'attention des sens et concentrer au contraire la réflexion sur l'esprit.

Le vêtement, interprète des sentiments et des moeurs.

Le vêtement, considéré sous cet aspect plus vaste, a son propre langage multiforme et efficace, parfois spontané, et par conséquent fidèle interprète de sentiments et de moeurs, d'autres fois conventionnel et artificiel et par conséquent bien peu sincère. De toute façon, il est donné au vêtement d'exprimer la joie et le deuil, l'autorité et la puissance, l'orgueil et la simplicité, la richesse et la pauvreté, le sacré et le profane. Le caractère concret des formes d'expression dépend des traditions et de la culture de tel ou tel peuple, tandis que leur variation est d'autant plus lente que les institutions, les caractères et les sentiments interprétés par ces modes sont plus stables.



Raisons de l'instabilité de la mode.

C'est à donner un relief à la beauté physique que s'applique expressément la mode, art antique, aux origines incertaines, complexe par les facteurs psychologiques et sociaux qui s'y mêlent, et qui a atteint maintenant une importance indiscutable dans la vie publique, soit comme expression esthétique des moeurs, soit comme désir du public et convergence de notables intérêts économiques. Il résulte de l'observation approfondie du phénomène que la mode n'est pas seulement une bizarrerie de formes, mais un point de rencontre de divers facteurs psychologiques et moraux, tels que le goût du beau, la soif de la nouveauté, l'affirmation de la personnalité, le refus de la monotonie, non moins que le luxe, l'ambition, la vanité. La mode c'est l'élégance, certes, mais conditionnée par un changement continu, de telle sorte que son instabilité même lui confère la marque la plus évidente. La raison de son changement perpétuel, plus lent dans les lignes fondamentales, très rapide en revanche dans les variations secondaires, devenues à présent saisonnières, semble devoir être recherchée dans la préoccupation de rompre le passé, facilitée par le caractère frénétique de l'époque contemporaine, qui a le terrible pouvoir de brûler en peu de temps tout ce qui est destiné à la satisfaction de l'imagination et des sens. Il est compréhensible que les nouvelles générations, tendues vers leur propre avenir, — qu'elles rêvent différent et meilleur que celui de leurs pères —, éprouvent le besoin de se détacher de ces formes non seulement d'habillement, mais d'objets et d'ornements, qui rappellent avec plus d'évidence une manière de vivre que l'on veut dépasser. Mais l'instabilité extrême de la mode présente est surtout déterminée par la volonté de ses artisans et guides, qui ont à leur disposition des moyens inconnus dans le passé, comme la production textile énorme et variée, la fertilité inventive des « modélistes », la facilité des moyens d'information et de « lancement » dans la presse, dans le cinéma, dans la télévision et dans les expositions et « défilés ». La rapidité des changements est en outre favorisée par une sorte d'émulation mutuelle qui d'ailleurs n'est pas neuve — entre les « élites », désireuses d'affirmer leur personnalité par des formes originales d'habillement, et le public, qui se les approprie immédiatement, avec des imitations plus ou moins heureuses. On ne doit pas négliger non plus l'autre motif subtil et décadent : l'étude des « modélistes » qui pour assurer le succès à leurs « créations », misent sur le facteur de la séduction, conscients de l'effet que provoquent la surprise et le caprice continuellement renouvelés.



Le facteur économique.

Une autre caractéristique de la mode d'aujourd'hui est que, tout en restant principalement un fait esthétique, elle a acquis d'autre part la propriété d'un élément économique de grandes proportions. Aux quelques anciennes maisons de couture de haute mode, qui, de telle ou telle métropole, dictaient sans contestation les lois de l'élégance au monde de culture européenne, se sont substituées de nombreuses organisations, puissantes par leurs moyens financiers, qui, tout en satisfaisant les besoins de l'habillement, forment le goût des populations, en stimulant les désirs dans le but de se constituer des marchés toujours plus vastes. Les causes de ce changement doivent être recherchées, d'une part, dans ce qu'on appelle la « démocratisation » de la mode, par laquelle un nombre sans cesse plus large d'individus cède à l'attrait impérieux de l'élégance, et, d'autre part, dans le progrès technique qui permet la production en série de modèles, coûteux sans cela, mais rendus maintenant d'acquisition facile sur le marché de ce qu'on appelle les « confections ». De la sorte s'est créé le monde de la mode qui englobe des artistes et des artisans, des industriels et des commerçants, des éditeurs et des critiques et, en outre, toute une catégorie d'humbles travailleurs et travailleuses, qui tirent de la mode leurs moyens d'existence.

influence sociale du « modéliste ».

Bien que le facteur économique soit la force motrice de cette activité, l'âme en est toujours le « modéliste », c'est-à-dire celui qui, par un choix génial des tissus, des couleurs, de la coupe, de la ligne et des ornements accessoires, donne naissance à un nouveau modèle expressif et qui plaît au grand public. Il n'est pas nécessaire de dire combien est difficile cet art, fruit d'ingéniosité et d'adresse et, bien plus, de sensibilité à l'égard du goût du moment. Un modèle, dont on est certain de voir le succès, acquiert l'importance d'une invention ; on l'entoure du secret dans l'attente du « lancement » ; par la suite, une fois mis en vente, il obtient des prix élevés, tandis que les moyens d'information lui donnent une large diffusion, en en parlant comme s'il s'agissait d'un événement d'intérêt national. L'influence des « modélistes » est si décisive que l'industrie textile se fait elle-même guider par eux dans l'organisation de sa propre production, aussi bien pour la qualité que pour la quantité. Grande aussi est leur influence sociale par le rôle qui leur revient d'interpréter les moeurs publiques ; car si la mode a toujours été l'expression des usages d'un peuple, elle l'est aujourd'hui encore plus que lorsque le phénomène s'accomplissait comme fruit de réflexion et d'étude.

Mais la formation du goût et des préférences dans le peuple et l'orientation de la société vers le sérieux ou le décadent ne dépendent pas seulement des modélistes, mais bien de toute l'organisation complexe de la mode, spécialement des ateliers de couture et de la critique, dans ce secteur plus raffiné qui a comme clientèle les classes sociales les plus élevées, en prenant le nom de « haute couture », comme pour désigner l'origine des courants que le peuple suivra ensuite, presque aveuglément et comme par une obligation magique.

Or, en présence de valeurs si nombreuses et si élevées, que Nous avons énumérées ici en de rapides allusions, et qui sont mises en cause par la mode et parfois mises en danger, l'oeuvre apparaît providentielle de personnes préparées techniquement et chrétiennement, qui se proposent de contribuer à affranchir la mode de tendances non recommandables ; de personnes qui voient en elle avant tout l'art de savoir habiller, dont le but est bien, quoique partiellement, de mettre en un relief modéré la beauté du corps humain, chef-d'oeuvre de la création divine, de manière, toutefois, que ne se trouve pas offusquée, mais que soit au contraire exaltée — comme s'exprime le prince des apôtres — « la pureté incorruptible d'un esprit doux et tranquille, ce qui est d'un grand prix aux yeux de Dieu » (1P 3,4).




Pie XII 1957 - AUX PARLEMENTAIRES DE LA C. E. C. A.