Pie XII 1958 - LETTRE ENCYCLIQUE « MEMINISSE JUVAT » PRESCRIVANT DES PRIÈRES POUR LA PAIX DU MONDE ET LA LIBERTÉ DE L'ÉGLISE


II



La prière pour l'Eglise persécutée, pendant la neuvaine préparatoire à l'Assomption.

A l'époque apostolique, quand les chrétiens subissaient des persécutions particulières, tous les autres, unis par les liens de la charité, faisaient monter de ferventes prières vers Dieu, Père des miséricordes, avec une unanimité fraternelle afin qu'il daigne les fortifier et faire luire au plus tôt de meilleurs temps pour l'Eglise. De même maintenant, vénérables Frères, Nous voulons qu'aucun de ceux qui depuis si longtemps endurent en Europe et en Asie orientale une situation hostile et douloureuse, ne soit privé du secours et des réconforts divins implorés par leurs frères.

4 Saint Ignace, Ad Pol. VI, 2 ; P. G. 5, 723-726.

5 Saint Ambroise, Ep. 2 ; P. L. 16, 917.




Dans Notre grande confiance en l'intercession de la Vierge Marie, Nous désirons vivement que, pendant la sainte neuvaine préparatoire à la fête de l'Assomption de l'auguste Mère de Dieu, le monde catholique tout entier fasse monter vers le ciel des prières publiques spéciales en faveur de l'Eglise persécutée.

Au cours de l'Année Sainte 1950 Nous avons défini, non sans inspiration d'en haut, que la Vierge a été élevée au ciel avec son âme et son corps 6 ; Nous l'avons déclarée solennellement Reine du monde et l'avons proposée sous ce titre à la vénération de tous7 ; un siècle après que, dans la grotte de Lourdes, elle se fut montrée à une innocente enfant avec toute la richesse de ses grâces, Nous avons invité la foule des pèlerins à profiter de ses bienfaits maternels8. Aussi avons-Nous la ferme confiance qu'elle ne repoussera pas Nos prières ni celles de tous les catholiques.

« Bulle dogmatique Munificentissimus Deus ; A. A. S., 1950, pp. 753 et suiv. ; cf. Documents Pontificaux 1950, pp. 480 et suiv.

7 Encyclique Ai Cceli Reginam ; A. A. S., 1954, pp. 625 et suiv. ; cf. Documents Pontificaux 1954, pp. 418 et suiv.

8 Const. apost. Primo exacta saeculo, A. A. S., 1957, pp. 1051 et suiv. et Lettre encyclique Le pèlerinage de Lourdes, A. A. S., 1957, p. 605 et suiv. ; cf. Documents Pontificaux 1957, pp. 628 et suiv., resp. pp. 348 et suiv.

9 Saint Irénée, Contr. Haeres. 3, 22 ; P. C, 7, 959.




Employez-vous donc, Vénérables Frères, par vos exhortations et vos exemples à ce que, durant cette neuvaine, les fidèles qui vous sont confiés entourent en grand nombre de leurs prières les autels de la Mère de Dieu. Qu'ils supplient d'une seule voix et d'un seul coeur, celle qui fut « pour tout le genre humain cause de salut » 9, que soit enfin accordée à l'Eglise une légitime liberté. Cette liberté ne lui est pas seulement utile pour procurer aux hommes le salut éternel, mais également pour renforcer les lois justes par une obligation de conscience et consolider ainsi les fondements de la société civile. Qu'ils demandent de façon spéciale à sa maternelle protection que les évêques tenus loin de leurs troupeaux ou empêchés d'exercer librement leur ministère soient, comme il est juste, rendus au plus vite à leurs fonctions : que les fidèles, troublés par l'embûche, l'erreur, le schisme, soient pénétrés de la pleine lumière de la vérité et trouvent la concorde et la charité entière, que ceux qui doutent ou faiblissent soient confirmés par la grâce divine, qu'ils soient prêts à tout endurer plutôt que de se détacher de la foi chrétienne et de l'unité catholique.

Que chaque diocèse puisse avoir son propre et légitime Pasteur — comme Nous le désirons ardemment — et que celui-ci puisse répandre librement les préceptes chrétiens en tout lieu et dans toutes les catégories sociales. Que dans les écoles primaires et supérieures, dans les usines et aux champs, les jeunes ne soient pas séduits par les idéologies du marxisme, de l'athéisme, de l'hédonisme, qui entravent l'essor de l'esprit et énervent la vertu, mais qu'au contraire ils soient éclairés par la lumière de la sagesse évangélique qui les incite au meilleur et les y porte. Que la vérité trouve partout un accès ; que personne n'y mette d'obstacles injustes et que tous comprennent que rien ne peut résister à la longue à la vérité et à la charité.

Qu'enfin les missionnaires puissent de nouveau retrouver au plus tôt les peuples qu'ils ont gagnés au Christ par leur zèle apostolique et leurs peines et qu'ils désirent ardemment faire avancer dans la civilisation chrétienne même au prix de leurs peines, de leurs sacrifices et de leurs souffrances.

Tel est l'objet des prières qu'adresseront tous les chrétiens à la divine Mère. Mais qu'ils n'omettent pas de demander pardon pour les persécuteurs de la religion chrétienne, selon cette charité qui faisait dire à l'Apôtre des Gentils : « Bienheureux ceux qui vous persécutent » (Rm 12,14). Qu'ils ne cessent d'implorer pour eux la grâce divine et les lumières célestes qui peuvent ensemble dissiper les ténèbres et placer les consciences dans la justice.






III



Unir, à la prière, le renouveau moral.

Mais à ces prières publiques il faut, vous le savez, Vénérables Frères, joindre la réforme chrétienne des moeurs, sans laquelle nos supplications ne sont que paroles vaines, incapables de plaire à Dieu. Dans leur amour tendre et ardent pour l'Eglise catholique, que tous les chrétiens fassent donc monter vers le ciel de ferventes prières, mais qu'ils offrent aussi des sentiments de pénitence, des actes de vertu, des sacrifices, des peines et toutes leurs douleurs et amertumes : celles qui sont inhérentes à cette vie mortelle et celles même auxquelles il convient parfois de nous soumettre librement et avec générosité.

En unissant cette (rénovation morale à leurs prières les chrétiens rendront Dieu propice non seulement à eux-mêmes, mais aussi à la sainte Eglise qu'il leur faut chérir comme une mère très aimée. Qu'entre eux ils reproduisent, chaque fois que les circonstances l'exigent, le spectacle décrit de façon si merveilleuse, si expressive et si belle dans la Lettre à Diognete : « Les chrétiens sont dans la chair... mais ne vivent pas selon la chair. Ils habitent sur la terre, mais ils ont leur cité dans le ciel. Ils obéissent aux lois promulguées et par leur genre de vie ils surpassent les lois elles-mêmes. Ils aiment tout le monde, et tous les persécutent. Ils sont méconnus et condamnés, ils sont mis à mort et ils se sentent vivifiés... Ils sont raillés, et dans les ignominies ils acquièrent la gloire. Leur réputation est brisée et l'on rend témoignage à leur justice... Ils se comportent comme des gens honnêtes et ils sont punis comme des malfaiteurs ; et, tandis qu'ils sont punis, ils se réjouissent comme s'ils se sentaient vivifiés » 10. « En somme, pour exprimer tout cela en peu de mots, ce qu'est l'âme dans le corps, les chrétiens le sont dans le monde ", »

Si les moeurs chrétiennes fleurissent comme au temps des Apôtres et des Martyrs, alors avec une parfaite assurance nous pouvons espérer être exaucés avec grande bonté par la Bienheureuse Vierge Marie, elle qui n'a pas de plus grand désir que de voir tous ses enfants retracer en eux-mêmes ses propres vertus ; et, dans la puissante intercession de celle qui est invoquée par tant de voix suppliantes, nous pouvons également espérer des temps plus paisibles et plus heureux pour l'Eglise de son divin Fils et pour l'humanité entière.

Ces voeux, ces exhortations, Vénérables Frères, Nous désirons que, de la façon que vous estimerez la meilleure, vous les fassiez connaître en Notre nom aux fidèles confiés à vos soins.

10 Ep. ad Diogn. V ; P. G. II, 1174-1175.

11 Ibid. VI ; P. G. IV, 1175.




En gage des célestes faveurs et comme témoignage de Notre bienveillance, Nous accordons de tout coeur la Bénédiction apostolique à vos personnes, à vos fidèles et tout spécialement a ceux qui, pour défendre les droits de l'Eglise et par amour pour elle, souffrent persécution.




TRIPLE

RADIOMESSAGE AUX RELIGIEUSES CLOÎTRÉES DU MONDE ENTIER

(19 juillet 1958) 1






Le Saint-Père a commencé le samedi 19 juillet, ce qui a été appelé « une audience invisible », en adressant, au moyen de la Radio vaticane, une précieuse exhortation aux religieuses de clôture du monde entier. Ce radiomessage a été poursuivi par le Souverain Pontife le samedi suivant, 26 juillet, et terminé une semaine plus tard, le 2 août.

Les moniales de tous les Ordres, dans toutes les nations, étaient à l'écoute. La Sacrée Congrégation des Religieux avait informé les différents monastères de cette audience invisible du Vicaire de Jésus-Christ.

Voici le texte original français, de ce triple message :

Cédant volontiers à vos instances, Nous sommes heureux, chères filles, d'adresser aujourd'hui la parole à toutes les moniales du monde catholique et de leur parler du sujet qui leur tient le plus à coeur : leur vocation à la vie contemplative.

Tant de fois, peut-être, vous avez envié le bonheur des pèlerins, qui se pressaient dans l'ample vaisseau de la basilique Saint-Pierre ou dans les salles du Vatican, pour Nous manifester leur fierté d'appartenir à l'Eglise catholique romaine et leur joie d'accueillir la parole de son Chef. Maintenant, Nous évoquons vos trois mille deux cents monastères, dispersés dans le monde entier et, dans chacun d'eux, vos groupes recueillis, audience invisible et silencieuse, mais toute vibrante de la charité qui vous unit. Comment ne seriez-vous pas présentes à Notre pensée et à Notre coeur, vous qui constituez dans l'Eglise une part choisie et appelée à participer plus étroitement au mystère de la Rédemption ? C'est donc avec toute Notre affection paternelle que Nous voudrions vous entretenir de votre vie religieuse, identique pour toutes dans ses éléments essentiels, mais prenant, dans les différents ordres, des aspects variés suivant l'inspiration des fondateurs et les circonstances historiques que leur oeuvre a traversées.

La vie contemplative canonique est un chemin vers Dieu, une montée souvent austère et rude, mais où le labeur quotidien, appuyé sur les promesses divines, s'illumine déjà de la possession, obscure encore mais certaine, de Celui vers qui vous tendez de toutes vos forces, Dieu. Pour mieux répondre à votre vocation, vous attendez de Nous les paroles qui vous aideront à la comprendre davantage, à l'aimer d'un amour plus pur et plus généreux, à la réaliser plus parfaitement dans le détail de vos activités.

2 Cf. Conc. Vatic.f sess. III, chap. i ; DS 1782.




Cette montée vers Dieu n'est pas le simple mouvement de la création inanimée, ni le seul élan des êtres doués de raison, qui le reconnaissent pour leur Créateur et l'adorent comme l'Etre infini, qui transcende sans mesure tout ce qui existe de grand, de vrai, de beau et de bon2. C'est plus que l'ascension de la vie chrétienne ordinaire, ou même que la tendance à la perfection en général ; c'est un idéal de vie fixé par les lois de l'Eglise, et qui s'appelle pour cela vie contemplative canonique. Cependant, loin de ne réaliser qu'un type rigidement déterminé, elle revêt des formes variées suivant le caractère et les traits propres aux diverses familles contemplatives, telles, parmi les ordres féminins, les Carmélites, les Clarisses, les Cisterciennes, les Chartreuses, les Bénédictines, les Dominicaines, les Ursulines. Cette vie contemplative, diversifiée suivant les familles religieuses — et même, en chacune d'elles, suivant les sujets — est un chemin qui conduit vers Dieu ; c'est Dieu qui en constitue le principe et la fin, qui en soutient l'élan et qui la remplit toute.



I. CONNAITRE LA VIE CONTEMPLATIVE



La connaissance de la vie contemplative comme voie conduisant Dieu.

Nous voulons d'abord vous parler de la connaissance de la vie contemplative, comme voie conduisant à Dieu. Pour vivre en plénitude l'idéal que vous vous proposez, il importe que vous sachiez ce que vous êtes et ce que vous poursuivez.

La Constitution apostolique Sponsa Christi, du 1er novembre 1950, renferme dans sa première partie3 un exposé de l'état des « vierges consacrées à Dieu » depuis les origines du christianisme jusqu'aux formes récentes de l'institution des moniales. Sans répéter ce que Nous écrivions alors, Nous attirons votre attention sur l'intérêt que présente pour vous la connaissance, au moins sommaire, de l'évolution de la vie religieuse féminine et des différents aspects qu'elle prit au cours des temps. Ainsi serez-vous mieux à même d'apprécier la dignité de votre état, l'originalité de l'ordre auquel vous appartenez et ses attaches à toute la tradition catholique.



Quelques principes généraux sur la nature de la vie contemplative.

3 A. A. S., XXXXIII, 1951, pp. 5-10 ; cf. Documents Pontificaux ig;o, pp. 538 ei 6Uiv.

4 S. Thomas, 2a 2ae p. q. 179, a. 1 ad 2 ; a. 2 in c.




Nous Nous arrêterons uniquement ici aux principes généraux qui permettent de préciser, au regard des autres genres de vie, la nature de celle que vous menez. Arrêtons-Nous pour cela à la doctrine si sobre et si ferme de saint Thomas. Selon ce maître de la théologie catholique, l'activité humaine peut se distinguer en vie active et vie contemplative, de la même manière que l'intelligence, qui constitue le propre de l'homme, peut être considérée sous deux aspects, actif ou passif. Elle est ordonnée, en effet, soit à la connaissance de la vérité, oeuvre de l'intelligence contemplative, soit à l'action extérieure, qui relève de l'intellect pratique ou actif4. Mais pour saint Thomas la vie contemplative, loin de se resserrer dans un intellectualisme sans âme et borné à la spéculation abstraite, met aussi en jeu l'affectivité, le coeur. Et il en voit le motif dans la nature même de l'homme ; car c'est la volonté qui fait agir les autres facultés humaines ; c'est elle donc qui poussera l'intelligence à poser ses actes. La volonté appartient au domaine de l'affectivité ; aussi est-ce l'amour qui meut l'intelligence dans son exercice : qu'il soit amour de la connaissance elle-même, ou amour de la chose connue. Citant un texte de saint Grégoire, saint Thomas montre le rôle de l'amour de Dieu dans la vie contemplative : in quantum scilicet aliquis ex dilectione Dei inardescit ad eius pulchritudinem conspiciendam : « en tant que, par amour de Dieu, l'on s'enflamme du désir de contempler sa beauté ». L'amour de Dieu que saint Thomas place au principe de la contemplation, il le met aussi en son terme : elle s'achève dans la joie et le repos qu'elle goûte, lorsqu'elle possède l'objet aimé5. Ainsi la vie contemplative est-elle pénétrée tout entière de la charité divine qui inspire ses démarches et récompense ses efforts.

L'objet de la contemplation, pour saint Thomas, c'est principalement la vérité divine, fin dernière de toute la vie humaine ; comme dispositions préparatoires, elle requiert dans le sujet l'exercice des vertus morales ; dans ses progrès, elle se sert des autres actes de l'intelligence ; avant d'arriver au terme de ses recherches, elle prend appui sur les oeuvres visibles de la création, reflet des réalités invisibles (Rm 1,20) ; mais sa perfection ultime, elle ne la trouve que dans la contemplation de la vérité divine, béatitude suprême de l'esprit humain 6. Que d'incompréhensions, d'étroitesses de vues, de jugements erronés on éviterait si, lorsqu'on parle de la vie contemplative, on prenait soin de rappeler la doctrine du docteur angélique, dont Nous venons d'évoquer les traits essentiels.



La nature de la vie contemplative selon la Constitution « Sponsa Christi ».

5 S. Thomas, 2a 2ae p. q. 180, a. 1 in c. 8 S. Thomas, 2a 2ae p. q. 180, a. 4 in c.




Nous devons maintenant déterminer en quoi consiste la vie contemplative canonique que vous pratiquez. Nous en prenons la définition dans la Constitution apostolique Sponsa Christi, à l'article 2, § 2, des « Statuts généraux des moniales » : « Sous le nom de vie contemplative canonique, on entend non pas cette vie intérieure et théologale à laquelle toutes les âmes vivant en religion, et même dans le monde, sont appelées et que chacune peut mener partout en soi-même ; mais la profession externe de vie religieuse qui, soit par la clôture, soit par les exercices de piété, d'oraison et de mortification, soit enfin par les travaux auxquels les moniales doivent vaquer, est ordonnée à la contemplation intérieure de telle sorte que toute la vie et toute l'activité puissent facilement et doivent efficacement être pénétrées de sa recherche »7. Les articles suivants énurnèrent une série d'autres éléments de l'état des moniales : les voeux solennels de religion, la clôture pontificale, l'office divin, l'autonomie des monastères de moniales, la fédération et la confédération des monastères, le travail monastique et enfin l'apostolat. Notre intention n'est pas de détailler chacun de ces points, mais de faire une brève exégèse de la définition citée plus haut.



Ce que la vie contemplative n'est pas.

Précisons d'abord ce que la vie contemplative canonique n'est pas. Elle n'est pas, dit le texte, « cette vie intérieure et théologale, à laquelle toutes les âmes vivant en religion, et même dans le monde, sont appelées et que chacune peut mener partout en soi-même » 8.

7 A. A. S., XXXXIII, 1951, pp. 15-16 ; cf. Documents Pontificaux 1950, pp. 555-556.

8 Ibid.

9 A. A. S., 50, 1958, pp. 34-43 ; cf. Documents Pontificaux 1957, pp. 716-726.




La Constitution Sponsa Christi n'ajoute à cette partie négative aucune distinction ultérieure : elle fait entendre clairement qu'elle ne traitera pas cet aspect de la vie religieuse et qu'elle ne s'adresse donc pas à ceux qui le pratiquent exclusivement. Elle précise d'ailleurs que tous y sont invités par le Christ, même ceux qui vivent dans le monde, donc quel que soit l'état auquel ils appartiennent, fussent-ils mariés. Mais, parce qu'elle n'en parle pas, Nous voudrions signaler l'existence d'une forme de vie contemplative pratiquée en secret par un petit nombre de personnes qui vivent dans le monde. Dans Notre allocution du 9 décembre 1957 au IIe Congrès international des Etats de perfection °, Nous disions qu'on trouve aujourd'hui des chrétiens qui « s'engagent à la pratique des conseils évangéliques par des voeux privés et secrets, connus de Dieu seul, et se font guider, pour ce qui regarde la soumission de l'obéissance et de la pauvreté, par des personnes que l'Eglise a jugées aptes à cette fin et à qui elle a confié la charge de diriger les autres dans l'exercice de la perfection ». Elles mènent une vie de perfection chrétienne authentique, mais en dehors de toute forme canonique des « Etats de perfection ». Et Nous formulions Notre conclusion en ces termes : « Aucun des éléments constitutifs de la perfection chrétienne et d'une tendance effective à son acquisition ne fait défaut chez ces hommes et ces femmes ; ils y participent donc vraiment, bien qu'ils ne soient engagés dans aucun état juridique ou canonique de perfection » 10. Cette constatation, Nous pouvons la renouveler maintenant au sujet d'un genre de vie où l'on tend à la perfection par les trois voeux et d'une manière privée, indépendante des formes canoniques prévues dans la Constitution apostolique Sponsa Christi, mais dans la vie contemplative. Les conditions extérieures nécessaires à ce genre de vie sont plus difficiles sans doute à réaliser que pour la vie active, mais toutefois il est possible de les rencontrer. Ces personnes ne sont protégées par aucune clôture canonique et pratiquent la solitude et le recueillement d'une manière héroïque. Nous en trouvons dans l'évangile de saint Luc un bel exemple : celui de la prophétesse Anne, veuve après sept ans de mariage, et qui s'était retirée dans le temple, où elle servait le Seigneur nuit et jour dans la prière et le jeûne (Lc 2,37). Une telle forme privée de la vie contemplative n'est pas ignorée de l'Eglise, qui lui accorde son approbation de principe.



Primauté de la contemplation dans la vie contemplative canonique.

10 Ibid. p. 36, resp. p. 719.




La partie positive du paragraphe 2 de la Constitution Sponsa Christi définit la vie contemplative canonique comme « une profession externe de vie religieuse qui... est ordonnée à la contemplation intérieure de telle sorte que toute la vie et toute l'activité puissent facilement et doivent efficacement être pénétrées de sa recherche ». Parmi les prescriptions de la discipline religieuse, le texte énumère la clôture, les exercices de pieté, d'oraison, de mortification, et enfin les travaux manuels, auxquels ces moniales doivent vaquer. Mais ces points particuliers ne sont invoqués que comme des moyens au service d'une réalité essentielle : la contemplation intérieure. Ce qu'on exige en premier lieu, c'est que par la prière, la méditation, la contemplation, la moniale s'unisse à Dieu, que toutes ses pensées et ses actions soient pénétrées de sa présence et ordonnées à son service. Si cela venait à manquer, l'âme de la vie contemplative ferait défaut, et aucune prescription canonique ne pourrait y suppléer. Assurément, la vie contemplative ne comprend pas seulement la contemplation ; eUe comporte encore bien d'autres éléments ; mais la contemplation y occupe la première place ; disons même qu'elle la remplit tout entière ; non pas en ce sens qu'elle ne permette de penser ni de faire autre chose ; mais parce que c'est elle, en dernière analyse, qui lui donne sa signification, sa valeur, son orientation. La prépondérance de la méditation et de la contemplation de Dieu et des vérités divines sur tous les autres moyens de perfection, sur toutes les pratiques, sur toutes les formes d'organisation et de fédération ; voilà ce que Nous voulons souligner et appuyer de toute Notre autorité. Si votre être n'est pas ancré en Dieu, si votre esprit ne revient pas sans cesse vers lui comme vers un pôle d'attraction irrésistible, il faudrait dire de votre vie contemplative ce que saint Paul, dans sa première épître aux Corinthiens, disait de certains chrétiens qui appréciaient faussement les dons spirituels et négligeaient de mettre la charité en première place : « Si je n'ai pas la charité, je ne suis plus qu'airain qui sonne ou cymbale qui retentit... Si je n'ai pas la charité, cela ne me sert de rien » (1Co 13, 1, 3). Sans aucun doute, une « vie contemplative » sans véritable contemplation, mériterait elle aussi qu'on dise d'elle : « cela ne sert de rien ».

De même que le corps humain muni de tous ses organes, mais privé d'âme, n'est pas un homme, ainsi toutes les règles et tous les exercices d'un ordre religieux ne constituent pas la vie contemplative, lorsque fait défaut la contemplation elle-même, qui en est le principe vital.



Formation des religieuses à la vie contemplative.

Si des commentaires théoriques, comme celui que Nous venons d'esquisser, peuvent contribuer à enrichir votre connaissance de la vie contemplative, la pratique quotidienne de votre vocation vous apporte de son côté des enseignements variés et abondants. Depuis des siècles, de saintes femmes sont parvenues par une observance fidèle de leurs .règles et constitutions — qu'elles fussent Carmélites, Cisterciennes, Chartreuses, Bénédictines, Clarisses, Dominicaines ou Ursulines — à une intelligence profonde de la nature et des exigences de la vie contemplative canonique. Dès l'entrée au cloître, les candidates sont instruites des règles et des usages propres à leur ordre, et cette formation de l'esprit et de la volonté, commencée au noviciat, se poursuit durant toute la vie religieuse. Tel est le but des instructions et de la direction spirituelle qui sont données par les Supérieures de l'ordre ou par des prêtres, confesseurs, directeurs d'âmes, prédicateurs de retraites. Les moniales, qui vivent d'une spiritualité propre, reçoivent la plupart du temps direction et conseils de prêtres appartenant à la branche masculine de l'ordre et qui possèdent la même spiritualité. D'ailleurs, depuis des siècles, l'Eglise cultive particulièrement la théologie mystique, qui s'avère non seulement utile, mais nécessaire pour la direction des contemplatives ; elle leur donne des orientations sûres et rend de grands services pour 'dépister les illusions et discerner le surnaturel authentique des états pathologiques. Sur ce terrain délicat, même des femmes ont rendu des services signalés à la théologie et aux directeurs d'âmes. Qu'il suffise de mentionner ici les écrits de la grande Thérèse d'Avila, qui, on le sait, pour trancher les questions difficiles de la vie contemplative, préférait les avis d'un théologien expérimenté à ceux d'un mystique dépourvu d'une claire et sûre science théologique.

Pour approfondir par le moyen de la pratique quotidienne le sens de la vie contemplative, il importe de rester ouvert à l'enseignement donné, de le recevoir avec attention et avec le désir de le pénétrer, -chacune selon son degré de formation antérieure et ses capacités. Il serait également erroné de vouloir en cela viser trop haut ou trop bas, de prétendre ne suivre qu'une seule voie, identique pour toutes, et d'exiger de toutes les mêmes efforts. Les Supérieures responsables de la formation de leurs sujets sauront tenir un juste milieu ; elles n'exigeront pas trop des natures simples, ne les contraindront pas à dépasser les limites de leurs capacités. De même on n'obligera pas une Asiatique ou une Africaine à prendre des attitudes religieuses en tout point semblables à -celles que prendra naturellement une Européenne. Une jeune fille d'éducation soignée et munie d'une culture étendue ne sera pas maintenue dans une forme de contemplation suffisant à celles qui ne possèdent point les mêmes dons.

Il arrive parfois que l'on cite les invectives de saint Paul contre la sagesse du monde, dans sa première Epître aux Corinthiens, pour contrecarrer le désir légitime des moniales d'accéder à un degré de vie contemplative conforme à leurs aptitudes. On leur répète le mot de l'apôtre : « Nous prêchons un Christ crucifié » (1Co 1,23), et cet autre : « Je n'ai rien voulu savoir parmi vous, sinon Jésus-Christ et Jésus-Christ crucifié » (Ibid. 11, 2). Mais c'est mal comprendre les intentions de saint Paul, qui dénonce les vaines prétentions du savoir humain. Le désir de posséder une formation spirituelle adéquate n'a rien de répréhensible et ne s'oppose en rien à l'esprit d'humilité et de renoncement qu'exige l'amour sincère de la croix du Christ.

Nous terminons ici, chères filles, la première partie de Notre exposé et appelons sur vous les lumières du Saint-Esprit, pour qu'il vous aide à comprendre la splendeur de votre vocation et à la vivre en plénitude. En gage de ces faveurs, Nous vous accordons de grand coeur Notre paternelle Bénédiction apostolique.










II. AIMER LA VIE CONTEMPLATIVE

(26 juillet 1958) 1






Si Nous avons pu résumer la première partie de Notre allocution, en vous disant : « Sachez ce que vous êtes ! », Nous intitulerons cette seconde partie : «Aimez ce que vous êtes ! » Cet amour vous conduira, par la voie qui vous est propre, vers Dieu qui vous (adresse un appel personnel. Nous examinerons successivement les principaux motifs que vous avez d'aimer la vie contemplative, l'attitude que vous devez prendre à son égard, et les traits particuliers qui distinguent cet attachement.

Motifs et sources de l'amour pour la vie contemplative

1. - L'amour n'a de valeur que si son objet est aimable au sens plénier du mot, c'est-à-dire s'il est bon en lui-même et capable de communiquer cette bonté. Or Dieu n'est-il pas le bien suprême, tant en lui-même, que dans l'oeuvre de la création et surtout dans celle de la Rédemption qui révèle l'amour du Père envers les hommes ? « Voici comment s'est manifesté l'amour de Dieu pour nous », dit saint Jean, « Dieu a envoyé son Fils unique dans le monde, afin que nous vivions par lui» (1Jn 4,9). Comment l'homme pourra-t-il répondre à cette preuve inouïe de l'amour divin, sinon en l'acceptant humblement, totalement ? « Nous avons reconnu l'amour que Dieu a pour nous », dit encore saint Jean, « et nous y avons cru. Dieu est amour : qui demeure dans l'amour, demeure en Dieu, et Dieu demeure en lui » (Ibid. v, 16). Telle est l'essence de la vie contemplative : demeurer en Dieu par la charité, afin que Dieu demeure en vous. Et vos efforts quotidiens n'ont d'autre but que celui de mettre votre esprit et votre coeur toujours plus étroitement en contact avec le Seigneur, qui se révèle et qui vous invite à prendre part à son oeuvre de rédemption, à sa croix, et à l'extension de son Eglise. Ceci vaut pour n'importe quel chrétien, mais, en premier lieu, pour ceux qui sont engagés dans un état de perfection. Et ici encore les voies de Dieu seront différentes : votre profession religieuse et la vie contemplative, que vous avez choisie, vous consacrent plus exclusivement à rechercher l'union divine, selon l'esprit particulier de votre ordre et selon les grâces personnelles que le Seigneur vous accorde. Aimez donc la vie contemplative telle qu'elle se présente à vous avec ses exigences propres, et en tant qu'elle vous conduit à la perfection de la charité divine et vous maintient sous son rayonnement. Tel est votre motif principal d'aimer la vie contemplative.

Les autres motifs, sans avoir la même importance, peuvent contribuer cependant à justifier et à renforcer votre conviction intérieure. On les trouve dans la sainte Ecriture, dans l'attitude de l'Eglise à l'égard de la vie contemplative, et -dans les fruits produits par celle-ci. Sans aucun doute, les indications des textes et les faits que Nous allons alléguer ont une portée, qui dépasse le domaine de la vie contemplative ; mais ils valent pour eille d'une manière toute spéciale, et contribueront certainement à purifier et à consolider l'amour, que vous portez à votre vocation.

L'Ecriture contient beaucoup de textes, qui parlent de la consécration de l'homme à Dieu et au Christ. Ces paroles, tellement lourdes de sens, ne révéleront leur contenu caché qu'à ceux qui sauront prendre la peine de les méditer et de les approfondir dans la prière. A travers elles, le Saint-Esprit lui-même, qui les a inspirées, continue à faire sentir à chaque moniale l'intensité de l'appel à la vie contemplative et les richesses qu'elle comporte.

« Tu aimeras le Seigneur ton Dieu... : voilà le plus grand et le premier commandement » (Mt 22,37-38).

« La femme sans mari et la vierge ont souci des affaires du Seigneur » (1Co 7,34).

« Ils suivent l'Agneau partout où il va » (Ap 14,4).

« La vie éternelle c'est qu'ils te connaissent, toi, le seul véritable Dieu et ton envoyé, Jésus-Christ » (Jn 17,3).

Ailleurs, l'Ecriture évoque les richesses cachées en Jésus-Christ, notre Dieu et Seigneur, celles de son amour pour nous, que la contemplative assidue peu à peu dévoile.

« Le Verbe était Dieu, ...le Verbe s'est fait chair... et nous avons vu sa gloire » (Jn 1,1 Jn 1,14).

« Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant » (Mt 16,17).

« Mon Seigneur et mon Dieu » (Jn 20,28).

La moniale contemplative connaît bien le Seigneur crucifié et la signification de la croix, que, chaque jour, elle prend entre ses doigts. Elle se rappellera souvent les exclamations de saint Paul : « Je suis crucifié avec le Christ... le Christ vit en moi... qui m'a aimé et s'est livré pour moi » (Ga 11,19-20). « Qui nous séparera de l'amour du Christ ?... Je suis certain que ni la mort, ni la vie., ni aucune autre créature, ne pourra nous séparer de l'amour de Dieu, manifesté dans le Christ Jésus Notre Seigneur » (Rm 8, 35, 38-39).

Les oeuvres de pénitence et de mortification, qui font partie de la vie contemplative, vérifient le mot de saint Paul : « Je complète en ma chair ce qui manque aux épreuves du Christ pour son corps qui est l'Eglise » (Col 1,24).

Ces quelques citations de l'Ecriture remplissent l'âme contemplative, qui les médite, d'une joie profonde, et l'attachent davantage à Dieu et au Christ. Elles l'invitent à comprendre et à pratiquer avec amour une vocation, qui la conduit sans détours à l'amour de Dieu et de son Fils incarné.

Lorsque l'Eglise déclare que la vie contemplative est éminemment estimable, quand elle l'approuve de toute son autorité et lui confère des privilèges, quand elle l'inaugure par une liturgie solennelle, et entoure sa réalisation d'abondantes mesures de protection, on peut certes voir en tout cela une preuve de l'estime qu'elle lui porte, et donc un motif sérieux pour s'y consacrer. Parmi les nombreux documents ecclésiastiques qui en parlent, Nous en choisirons trois : la Constitution apostolique Sponsa Christi, la Bénédiction et la Consécration solennelle des vierges dans le Pontifical Romain (dont les formules solennelles anciennes sont réservées aux moniales par l'article in § 3 de la Constitution apostolique Sponsa Christi), l'encyclique Sacra Virginitas, du 23 mars 1954 2.

La Constitution apostolique Sponsa Christi, dans sa partie historique, montre la haute estime que l'Eglise professe pour l'institution des vierges et des moniales. Elle rappelle « les sentiments d'estime et d'amour maternel que l'Eglise nourrissait à l'égard des vierges consacrées à Dieu », dès le début de leur existence. Elle insiste ensuite, comme Nous l'avons montré, sur l'importance de la contemplation, à laquelle tous les autres exercices monastiques sont subordonnés.

De la consécration des vierges, retenons les paroles que l'évêque leur adresse en leur remettant l'habit et les insignes de leur état : « Je t'unis comme épouse à Jésus-Christ, Fils du Père souverain, pour qu'il te garde sans faute ! — Reçois donc l'anneau de la foi, sceau du Saint-Esprit, pour être appelée Epouse de Dieu, et si tu le sers fidèlement, être couronnée pour l'éternité » 3.

2 A. A. S., XXXXVI, 1954, pp. 161-191 ; cf. Documents Pontificaux iç;4, pp. 79"118-

3 Pontifical Romain, De bened, et consecr. Virginum.




L'encyclique Sacra Virginitas dans sa première partie traite de l'excellence de la virginité. Elle prouve cette excellence d'abord par les textes de l'Evangile et les paroles mêmes du Christ ; puis par les déclarations de l'apôtre des Gentils sur la virginité choisie pour Dieu ; elle cite saint Cyprien et saint Augustin, qui mettent en évidence la puissance de ses effets ; elle souligne l'importance du voeu qui confère à la virginité la fermeté de la vertu ; elle démontre sa supériorité sur le mariage ; elle illustre toutes les bénédictions divines qu'elle attire et les fruits admirables qu'elle produit.

Ce dernier point, traité aussi dans la Constitution apostolique Sponsa Christi, mérite une considération particulière, parce qu'il suscitera en vous une adhésion encore plus profonde et plus convaincue à votre vie contemplative. Nous pourrions Nous étendre sur le détail de la vie des grands saints contemplatifs, sainte Thérèse d'Avila, par exemple, ou sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus, toutes deux Carmélites ; mais Nous préférons en appeler à votre expérience personnelle et à celle de votre vie de communauté.

La moniale, qui se donne entièrement et sincèrement à sa tâche, ne manque pas de goûter en elle-même les fruits de ses efforts et de les apprécier. Sa vie se déroule extérieurement dans un cadre fixé par l'ordre du jour et les exercices de règle ; intérieurement, elle mûrit et s'approfondit, en traversant des phases de consolation et d'épreuve, de lumière et d'obscurité, qui laissent intacte l'adhésion intime à Dieu. Ainsi, en dépit des obstacles du dedans et du dehors, et malgré les manquements et les faiblesses, elle avance, sûre de l'aide divine, jusqu'à l'heure, parfois inattendue, où il lui est dit : « Voici que vient l'Epoux ; allez à sa rencontre » (Mt 25,6).

Nous vous exhortons, chacune en particulier, à vous appliquer de toutes vos forces aux devoirs de votre état de contemplative ; alors vous en expérimenterez toujours davantage les effets et vous trouverez en cela un nouveau motif de vous y attacher. Ainsi voudrions-Nous vous mettre en garde contre le découragement et la pusillanimité. Sans doute, devez-vous apporter une entière collaboration à la grâce, combattre vos défauts et vous exercer à la vertu ; mais laissez à Dieu le soin de faire croître et fructifier. C'est lui qui, au moment opportun, « vous affermira, vous fortifiera, vous rendra inébranlables » (1P 5,10). Si telles sont vos dispositions, vous irez de l'avant, appuyées sur la force divine et remplies de la joie d'avoir été choisies pour cette vie.

Cette expérience personnelle s'enrichira des observations que vous ferez dans votre communauté. Si, au lieu d'arrêter vos regards sur les défauts et les faiblesses humaines inévitables, vous considérez surtout les efforts sincères des autres pour ne point manquer à leur idéal religieux, vous éprouverez sans peine le rayonnement de leur vie intérieure et de leur union à Dieu ; vous admirerez aussi dans les détails les plus menus de la vie commune, la délicatesse d'une charité fraternelle, qui découle immédiatement de leur amour du Christ, aperçu en ses membres. La splendeur de cette charité, souvent voilée durant la vie même, se révèle parfois brusquement avec éclat, dès que la mort y appose son sceau ; alors vous répéterez avec le Psalmiste : « Certes, le juste trouve sa récompense » (Ps., lvii, 12).



Attitude à prendre à l'égard de la vie contemplative

2. - Après avoir considéré les motifs qui vous poussent à aimer la vie contemplative, Nous vous parlerons de l'attitude, que vous devez prendre par fidélité à cet amour. Déjà dans la première partie de ce discours Nous avons mis en relief l'importance de la « contemplation intérieure », et sa supériorité sur les autres éléments qui l'entourent comme des moyens nécessaires : la clôture, les exercices de piété, d'oraison, de mortification et le travail. Nous considérons ici comment la moniale se comporte devant cet ensemble d'obligations.

D'abord, il est évident qu'une adhésion sincère à la vie religieuse exclut tout « légalisme », c'est-à-dire la tentation de s'en tenir à la lettre de la loi, sans en accepter pleinement l'esprit : ce serait indigne de celles, qui portent le nom de « Sponsa Christi » et veulent le servir avant tout par amour désintéressé.

Aussi peu acceptable serait une sorte d'« éclectisme », un choix tout subjectif entre certaines obligations que l'on admet et d'autres que l'on n'admet pas. Aucun ordre sérieux ne recevra une candidate, qui prétendrait n'observer qu'une partie des Règles et des Constitutions.

La vie contemplative est austère ; la sensibilité ne l'accepte pas sans résistance, mais le désir de se donner à Dieu embrasse volontiers les oeuvres de pénitence et le renoncement continuel à soi-même. La moniale enflammée d'ardeur pour sa vocation peut s'appliquer les paroles que l'apôtre des Gentils disait de la communauté chrétienne : « Je vous ai fiancés à un époux unique, comme une vierge pure à présenter au Christ (2Co 11,2). Nous pouvons ajouter : « Au Christ crucifié ». La moniale attachée à sa vocation, prendra toujours comme règle de sa vie intérieure le mot de saint Paul : « J'achève en ma chair ce qui manque aux souffrances du Christ pour son corps, qui est l'Eglise » (Col 1,24). Telle est la loi de l'amour véritable, auquel s'applique d'ailleurs le texte de saint Augustin : « Celui qui aime n'a point de peine ; mais toute peine est dure pour celui qui n'aime pas » 4.

Le travail fait partie de la vie contemplative. La loi du monachisme ancien : « Ora et labora » : « prie et travaille », n'a rien perdu de sa sagesse et de sa nécessité. Travailler est d'ailleurs un impératif de la nature elle-même, qui a donné à l'homme les forces du corps et de l'esprit, le met dans l'obligation de pourvoir à sa subsistance, l'incite à améliorer ses conditions de vie et à accroître ses moyens de connaissance et d'action. Le Seigneur, pendant trente ans, a mené à Nazareth une vie de travail, et son ministère apostolique lui imposa de lourdes fatigues. Saint Paul à sa manière incisive écrit aux Thessalonieiens : « Si quelqu'un ne peut pas travailler, qu'il ne mange pas. Nous avons appris qu'il y en a parmi vous qui ne font rien... » (2Th 3,10-11). Et lui-même affirme qu'il a travaillé de ses mains, pour gagner son pain et ne pas être à charge aux chrétiens (Ac 20, 34, 18, 3). La Constitution apostolique Sponsa Christi souligne plusieurs fois le devoir qu'ont les moniales de travailler pour gagner leur pain ; il s'ensuit que quiconque s'adonne à la vie contemplative et l'embrasse sans réserve accepte aussi pleinement la loi du travail.

Les déterminations positives du droit ecclésiastique concernant la vie contemplative canonique sont nombreuses ; même si certaines d'entre elles n'ont pas une importance considérable, il faut cependant les observer toutes. Le Seigneur a dit clairement : « Celui qui n'observera pas l'un de ces petits préceptes et enseignera aux hommes à faire de même, sera considéré comme tout petit dans le Royaume des Cieux ; mais celui qui les exécutera et les enseignera, sera reconnu grand dans le Royaume des Cieux » (Mt 5,19). « Je ne suis pas venu abolir la loi, mais l'accomplir » (Ibid. 17). Quiconque aime la vie contemplative, considérera cette délicatesse de conscience et cette fidélité dans les moindres détails comme un de ses devoirs les plus chers.

Mais d'autre part, il ne faut, en aucune manière, tomber dans l'étroitesse de l'esprit et du coeur. La liberté de l'homme



In Ioann, Evang., Tract. 48 cap. X n. 1 ; Migne P. L., lib. 35, col. 1741.

intérieur est voulue et donnée par Dieu : « Vous avez été appelés à la liberté ; seulement, que cette liberté ne tourne pas en prétexte pour la chair» (Ga 5,13). «C'est pour que nous restions libres, que le Christ nous a libérés » (Ibid. v, x). La liberté du Christ, que l'apôtre décrit ici, consiste à pouvoir accomplir les oeuvres de l'Esprit, opposées à celles de la chair : charité, joie, paix, longanimité, serviabilité, bonté, confiance dans les autres, douceur, maîtrise de soi : « ces attitudes, il n'est aucune loi qui s'y oppose » (Ga 5,23). Déjà avant saint Paul, le Christ avait précisé d'une façon encore plus incisive, à propos de l'observation du sabbat, le sens de la liberté chrétienne : « Le sabbat a été fait pour l'homme, et non l'homme pour le sabbat » (Mc 11,28). Puisque le Seigneur n'a pas hésité à s'exprimer de la sorte, on peut affirmer d'une manière générale que la loi est pour l'homme, et non l'homme pour la loi. Ce qui ne supprime pas l'obligation d'observer la loi, mais sauvegarde la liberté et l'aisance de l'homme intérieur. La portée de chaque loi doit être appréciée exactement, selon qu'elle est de droit divin ou humain, essentielle ou non. Mettre la loi au-dessus de l'homme, comme un absolu et non comme un moyen pour lui d'atteindre sa fin, est une erreur. Jésus avait dit des pharisiens : « Ils attachent aux épaules des gens des fardeaux pesants et insupportables » (Mt 23,4). Nous sommes persuadé qu'une moniale, adonnée sincèrement à la vie contemplative, n'aura aucune difficulté à concilier la délicatesse de conscience, dans l'observation de ses devoirs et des prescriptions de règle, avec la paix qui résulte de l'aisance et de la liberté de l'homme intérieur. Vous serez soumises aux règles en les observant ; mais, en vivant unies à l'Esprit de Dieu et à son amour, vous serez au-dessus d'elles.



Physionomie caractéristique de cette attitude

3. - Nous voudrions enfin ajouter un mot sur la physionomie, l'empreinte caractéristique, qui doit marquer votre attitude intérieure.

On s'attend à trouver en premier lieu chez une moniale la simplicité et l'humilité ; l'amour de la vie contemplative doit écarter tout désir de se faire remarquer, d'être admiré, mis en évidence. Etre vu par autrui, tel était le désir des pharisiens, que Notre-Seigneur réprimande vivement dans le sermon sur la montagne (Mt 6,1-6 Mt 16-18). En restant cachées, vous éviterez aussi certaines déviations psychologiques, qui sont plus fréquentes chez la femme et tiennent à son tempérament.

Nous avons considéré la vie contemplative comme une montée vers Dieu, pour lui offrir votre esprit et votre coeur. Ce don, inspiré par des motifs surnaturels, s'alimente aux vertus théologales de foi, d'espérance et de charité. L'amour de la contemplation ne sera authentique que s'il s'appuie constamment sur elles. Il aura par là un caractère typiquement chrétien, et n'apparaîtra pas seulement comme un phénomène psychologique d'ordre religieux, ainsi que l'histoire comparée des religions en relève à toutes les époques et chez les peuples les plus divers.

Pour vérifier la sincérité et la pureté de votre charité, il vous suffira de vous rappeler la description célèbre, que saint Paul en donne au chapitre 13 de sa première épître aux Corinthiens, que souvent déjà vous avez dû méditer. Que votre comportement quotidien puisse se rapprocher toujours davantage de l'idéal décrit dans cette page célèbre !

Le dévouement généreux ne s'accommode pas d'une tension constante, de contrainte, d'une lutte continuelle avec des obligations péniblement supportées et qu'on rejetterait, si on le pouvait. Il se peut que Dieu permette pendant quelque temps une épreuve de ce genre pour purifier l'âme ; mais il arrive aussi qu'elle aboutisse à l'écroulement, à la catastrophe intérieure ou extérieure.

Nous ne considérons pas les cas, où interviennent des facteurs de névrose ou de psychose. Nous n'envisageons que celui de personnes normales, de moniales, chez lesquelles cet écroulement se prépare ou s'est déjà produit. Il ne peut être question d'entrer dans l'étude du diagnostic, de la thérapeutique et du pronostic de ces cas. Mais Nous venons d'indiquer un facteur psychique, un trait caractéristique de la pratique fervente de la contemplation, qui est capable de prévenir de telles catastrophes. C'est l'acceptation consciente, sans cesse répétée et joyeuse par la moniale de la vie de chaque jour. C'est l'optimisme indestructible, non point exalté, mais tranquille et ferme de Notre-Seigneur qui a dit : « Je ne suis pas seul, mais le Père est avec moi » (Jn 16,32), la confiance inébranlable de la moniale dans Celui qui a dit : « Vous tous qui peinez et ployez sous le fardeau, venez à moi et je vous soulagerai »

(Mt 11,28). Ces considérations et ces sentiments déterminent son attitude intérieure. Elle sait par expérience ce qu'elle doit porter, mais elle veut ordonner sa vie selon le mot de l'apôtre : « Dieu aime qui donne avec joie » (2Co 9,7). Ce que Paul écrivait aux Corinthiens concernant les dons matériels destinés aux pauvres de Jérusalem, elle le comprend et veut le comprendre de quelque chose de beaucoup plus vaste : du don de tout son être et de toute son action extérieure. La joie et la gaieté constante sont des traits typiques d'un don sincère de soi. On les sent aussi au début de la première Epître de saint Pierre ; il les présuppose et les observe chez les chrétiens, auxquels il s'adresse et qui se sont déjà tournés vers le Christ : « Jésus-Christ, vous l'aimez sans l'avoir vu... ; sans le voir encore, mais en croyant, vous tressaillez d'une joie indicible et pleine de gloire, sûrs d'obtenir l'objet de votre foi, le salut des âmes » (1P 1,8-9).

A chacune de vous Nous disons : puissent la foi, l'espérance et l'amour du Christ vous donner quelque chose de la jubilation, que Pierre devine chez les chrétiens auxquels il écrit. A la fin de sa lettre, il revient sur la même pensée ; il exhorte les chrétiens à considérer les tristesses de ce monde comme inséparables de la condition terrestre et comme un moyen d'arriver à la gloire : « Déchargez-vous sur lui de tous vos soucis », dit-il ; « quand vous aurez un peu souffert, lui-même vous affermira, vous fortifiera, vous rendra inébranlables » (1P 5,7-10). C'est encore la même idée que saint Augustin exprime vers la fin de sa Cité de Dieu ; la vie terrestre avec toutes ses amertumes prendra fin, et nous irons alors vers Dieu, et notre joie de le posséder n'aura pas de fin ! Ibi vacabimus, et videbimus ; videbimus, et amabimus ; amabimus, et laudabimus. Ecce quod erit in fine sine fine 5.

Tel est le ressort qui doit soutenir votre vie et vous donner la force de la mener avec courage jusqu'au bout, sans vous lasser, sans vous reprendre, et d'en faire ainsi pour Dieu une offrande parfaite.









5 S. Augustin, De Civitate Dei, lib. 22, chap. 30, n. 5 ; Migne P. L., t. 41, col. 804.

III. VIVRE LA VIE CONTEMPLATIVE (2 août 1958) 1



La réalisation de la vie contemplative dans ses rapports avec la connaissance et l'amour de la contemplation.

I. - Lorsque Nous avons traité de la connaissance et de l'amour de la vie contemplative, dans les deux premières parties de cette allocution, Nous n'avons pas manqué de relever les points d'application pratiques des principes que Nous évoquions. Pour faciliter l'intelligence de Notre exposé, il importait en effet de ne point se limiter aux aspects théoriques et abstraits, mais d'envisager aussi les répercussions concrètes, qu'une connaissance plus profonde et un amour plus pur et plus ardent de la vie contemplative pouvaient avoir sur sa pratique même.

H ne sera donc pas nécessaire de répéter dans cette troisième partie ce que déjà Nous avons expliqué. Après avoir rappelé la nécessité de traduire en actes ce que l'on connaît mieux et ce que l'on aime davantage, Nous envisagerons la réalisation de la vie contemplative, tant dans son élément essentiel, la contemplation elle-même, que dans ses éléments secondaires, en particulier le travail monastique.

Ainsi que Nous l'avons relevé dans la première partie de Notre allocution, la connaissance de la vie contemplative s'enrichit et s'approfondit par la pratique quotidienne de ses obligations. L'amour de la vie contemplative entraîne nécessairement des attitudes, par lesquelles il se traduit et sans lesquelles il ne serait qu'un leurre. Dans cette interaction incessante, qui conditionne normalement le progrès régulier d'une vie religieuse, l'élément prédominant sera toujours la vie intérieure, qui confère aux gestes extérieurs leur sens et leur valeur. C'est du coeur de l'homme que sortent les desseins bons ou mauvais (Marc, vil, 21) ; c'est l'intention qui explique ses actes et leur confère une valeur morale. Mais cette intention seule ne suffit pas ; il faut encore qu'elle soit réellement exécutée :

« Celui qui a mes commandements et qui les garde, voilà celui qui m'aime » (Jn 14,21), disait Jésus. Et encore : « Vous serez mes amis, si vous faites ce que j'ordonne » (Jn 15,14). Par contre celui qui néglige l'accomplissement effectif des préceptes divins, se voit exclu du Royaume : « Ce n'est pas celui qui dit „ Seigneur ! Seigneur ! ", qui entrera dans le Royaume des Cieux, mais celui qui fait la volonté de mon Père » (Mt 7,21).



La réalisation de l'élément propre et essentiel de la vie contemplative, c'est-à-dire la contemplation intérieure.

2 A. A. S., XXXXVIII, 1956, p. 520, n. 41 a ; cf. Documents Pontificaux iç;6, p. 785.

3 Ibid., n. 41 b.

4 Ibid., n. 41 c.




2. - Ces principes s'appliquent aussi à la vie contemplative ; il ne suffit point de la désirer, même ardemment ; il faut encore s'y appliquer en fait et consentir pour cela à tous les renoncements nécessaires. Or, la contemplation, entendue comme l'adhésion de l'esprit et du cceur à Dieu, est l'élément essentiel de la vie contemplative ; Nous l'avons établi dans la première partie de Notre allocution et avons cité les principaux textes qui le prouvent. Mentionnons-en encore deux autres, tirés de l'Instruction Inter caetera, du 25 mars 1956, qui rappellent, à propos d'un point pratique, la précellence de la contemplation dans votre vie. « La clôture mineure ne permet pas n'importe quels ministères, mais ceux-là seuls qui sont compatibles avec la vie contemplative, soit de toute la communauté, soit de chacune des moniales » 2. « Ces ministères qu'on les entreprenne avec discernement et modération, en respectant le caractère et l'esprit de chaque ordre, de telle sorte qu'au lieu de troubler et de gêner la vie authentiquement contemplative, ils l'entretiennent plutôt et la renforcent »3. « Tels sont : l'enseignement de la doctrine chrétienne, l'instruction religieuse, l'éducation des jeunes filles et des enfants, les retraites et exercices spirituels pour les femmes, la préparation à la première communion, les oeuvres de charité pour le soulagement des malades, des pauvres » 4 La vie contemplative ne consiste pas essentiellement dans la profession extérieure d'une discipline religieuse ; celle-ci en effet n'est que le cadre de la contemplation, elle la soutient, l'encourage, la préserve, mais ne la constitue pas. Aussi, répétant ce que Nous avons dit plus haut, Nous vous exhortons avec instance à vous adonner de tout coeur à la prière contemplative, votre tâche essentielle pour laquelle vous avez renoncé au monde.

Qu'on ne confonde point cette position de principe avec la question de la fréquence et de la durée des exercices de piété. L'intensité d'un exercice n'est pas nécessairement proportionnelle à sa durée. Les ministères permis aux moniales ne leur permettent pas de consacrer chaque jour de longues heures à la prière contemplative : il leur reste toutefois assez de temps libre pour satisfaire à cette obligation essentielle.



La réalisation des éléments accessoires qui la complètent.

3. — A côté des « éléments propres et nécessaires qui affectent directement la vie contemplative canonique des moniales comme leur fin première et principale », la Constitution apostolique Sponsa Christi en distingue d'autres non nécessaires, mais qui la complètent et concourent à l'assurer, comme la clôture, les exercices de piété, d'oraison, de mortification5. Dans les articles VI et VII, la même Constitution s'occupe de la nature et de la structure juridique des monastères de moniales, de leur autonomie et de la possibilité de former des Fédérations et des Confédérations 6. Sur certains de ces points, l'Eglise pose des exigences précises qu'il faut satisfaire ; sur d'autres elle n'exprime qu'une invitation et désire qu'on y réfléchisse et qu'on les considère avec bienveillance. Que les monastères et les ordres de moniales estiment leur caractère propre, le protègent et y restent fidèles ; c'est leur droit, et il serait injuste de ne pas en tenir compte ; mais ils doivent le défendre sans étroitesse d'esprit ni raideur, pour ne pas dire sans un certain entêtement qui s'opposerait à toute évolution opportune et ne se prêterait à aucune adaptation, même lorsque le bien commun l'exige.

5 A. A. S., XXXXIII, 1951, p. 10 ; cf. Documents Pontificaux ig;o, pp. 547-548.

6 Ibid., pp. 17-19, resp. 559-560.




Il peut arriver qu'on invite une moniale à quitter son monastère et à s'établir ailleurs, dans l'intérêt d'un bien supérieur ou pour un motif sérieux. Personne certes ne peut imposer à une religieuse, contre sa volonté, des obligations qui dépassent l'engagement de ses voeux ; mais on peut précisément se demander dans quelle mesure la stabilité constitue un point du droit des moniales. Le Saint-Siège a le droit de modifier les Constitutions d'un ordre et leurs prescriptions concernant la stabilité ; mais si ces changements touchent des points essentiels du droit en vigueur, les membres ne sont pas tenus en vertu de leurs voeux, à accepter les nouvelles Constitutions 0 il faut leur donner la possibilité de se séparer des ordres qui subissent des modifications de ce genre. Toutefois une moniale peut renoncer spontanément à faire valoir ses droits et consentir à la demande qui lui est faite et que le Saint-Siège approuve '. Nous n'ignorons pas oe que représente une telle démarche et ce qu'elle coûte à la religieuse ; mais Nous l'exhortons à accepter le sacrifice, à moins que des raisons plus graves encore ne s'y opposent.

Quand il s'agit de points secondaires qui ne jouent dans la vie religieuse qu'un rôle de complément, les monastères et les moniales doivent être prêts à accepter les échanges d'idées et la collaboration que le Saint-Siège leur proposerait. En particulier, ils chercheront à établir des relations aussi respectueuses que confiantes avec la Sacrée Congrégation des Religieux, d'autant que celle-ci n'entend aucunement passer outre aux droits acquis, mais désire tenir compte de l'avis des monastères et des ordres de moniales. Cette collaboration est particulièrement souhaitable, lorsqu'il s'agit de former des Fédérations de monastères ou d'ordres, ou même une Confédération de Fédérations.

Les textes de Sponsa Christi montrent qu'il s'agit non point de faire violence en ces questions à la juste indépendance des particuliers, mais de la protéger et de l'assurer. Efforcez-vous donc de collaborer avec l'autorité ecclésiastique compétente, afin de favoriser l'adaptation et l'évolution salutaire que l'Eglise souhaite.



La réalisation d'un élément particulier, le travail.

7 Cf. Const. apost. Sponsa Christi, art. VII, g 8, n. 3 ; A. A. S., XXXXIII, 1051- P- 19 Documenta Pontificaux 1950, p. 560.




4. — L'application des normes concernant le travail Nous tient fort à cceur, parce qu'elle concerne l'intérêt des monastères contemplatifs et de tous les ordres contemplatifs féminins, comme aussi celui de toute l'Eglise qui, en beaucoup d'endroits, attend le concours de toutes les forces disponibles.

Puisque Nous avons déjà parlé plus haut de la nécessité du travail en général et de sa convenance pour les ordres contemplatifs, Nous nous arrêterons maintenant à l'application des dispositions de la Constitution Sponsa Christi.

Dans la première partie de la Constitution, Nous disions en effet : « Nous sommes amenés, et même pressés, d'apporter ces ajustements raisonnables à l'institution des moniales par les renseignements que Nous recevons de toutes les parties du monde et qui Nous font connaître la détresse dans laquelle se trouvent souvent les moniales. Oui, il y a des monastères qui, hélas ! meurent presque de faim, de misère, de privation ; il y en a d'autres qui, par suite de difficultés matérielles, mènent une vie fort pénible. Il y a en outre des monastères qui, sans vivre dans le besoin, souvent dépérissent parce qu'ils sont séparés et isolés de tous les autres. De plus, les lois parfois trop strictes de la clôture provoquent souvent de grandes difficultés » 8. Pour remédier à cette détresse, le moyen normal et le plus immédiat est le travail des moniales elles-mêmes. Aussi les invitons-Nous à s'y adonner pour qu'elles puissent se procurer elles-mêmes les moyens de vivre et ne songent pas d'abord à recourir à la bonté et aux secours d'autrui. Cet appel s'adresse même à celles qui ne sont pas dans le besoin et ne sont donc pas obligées de se procurer le pain quotidien par le travail de leurs mains. Vous pourrez aussi, de la sorte, gagner les ressources nécessaires pour satisfaire au précepte de la charité chrétienne à l'égard des pauvres. Nous vous invitons également à développer vos aptitudes manuelles et à les perfectionner, ainsi qu'à vous adapter aux circonstances actuelles, comme il est dit à l'article 8, § 3, n. 2 de la Constitution Sponsa Christi9. Le même article résumait d'ailleurs les normes concernant le travail en précisant d'abord que « le travail monastique, auquel les moniales de vie contemplative doivent aussi s'adonner, doit être, autant que possible conforme à la Règle, aux Constitutions, aux traditions de chaque ordre » 10. Certaines Constitutions prévoient des travaux déterminés, pour la plupart de caractère apostolique ; d'autres au contraire ne précisent rien à ce sujet. Ce travail « doit être organisé de telle sorte que, s'ajoutant aux



A. A. S., 1. c, pp. 10-11, Documents Pontificaux ig;o, p. 548. Ibid., p. i9j resp. j6l Ibid., art. 8. 1.

une subsis-


autres sources de revenus, il assure aux moniales

tance certaine et convenable » ". Les Ordinaires des lieux les Supérieurs sont tenus de veiller « à ce que le travail ' pensable, convenable et rémunérateur ne manque jamais S" moniales » 12. Enfin l'article souligne l'obligation de conscient qu'ont les moniales non seulement de gagner leur pain à la sueur de leur front, mais encore de se perfectionner cha jour davantage, comme les circonstances l'exigent, pour les divers travaux 13.

Ne permettez pas que Notre appel au travail reste vain mais utilisez tous les moyens mis à votre disposition et toutes' les possibilités de vous former davantage, pour votre profit d'abord, ou du moins, si vous n'en avez pas un besoin immédiat pour soulager la détresse d'autrui. D'ailleurs une occupation sérieuse, adaptée à vos forces, est un moyen efficace pour conserver l'équilibre intérieur ou pour le rétablir, s'il avait subi quelque dommage. Ainsi vous éviterez les effets nuisibles que pourraient exercer sur certains tempéraments la réclusion totale et la monotonie relative de la vie quotidienne du cloître.





Conclusion.

Nous achevons Notre allocution en vous renouvelant l'invitation à l'apostolat qui termine aussi la Constitution Sponsa Christi et qui se fonde sur le grand commandement de l'amour de Dieu et du prochain et sur la volonté de l'Eglise.

n Ibid., § 2.

12 Ibid., § 3, n. i

13 Ibid., § j, n. 2.




La charité envers le prochain embrasse tous les hommes, tous leurs besoins, toutes leurs souffrances, et s'occupe spécialement d'assurer leur salut éternel. Cet apostolat, dont elles sont chargées par l'Eglise, les moniales l'exercent de trois manières : par l'exemple de la perfection chrétienne, qui sans paroles attire les fidèles au Christ, par la prière publique et privée, par le zèle à assumer, outre les pénitences prescrites par la Règle, celles que suggère l'amour généreux du Seigneur. Dans sa partie dispositive, la Constitution Sponsa Christi distingue diverses formes d'apostolat suivant les diverses formes de vie contemplative. Certaines moniales, en vertu de leurs Constitutions, s'adonnent à des oeuvres d'apostolat extérieur ; cet apostolat elles le continueront ; d'autres ne sont destinées par leurs Constitutions qu'à la seule vie contemplative, mais exercent en fait certaines formes d'apostolat extérieur ou l'exerçaient anciennement ; elles les continueront ou les reprendront, en les adaptant aux circonstances actuelles ; d'autres encore, ne vivent, en droit et en fait, que la vie contemplative. Elles s'y tiendront, à moins qu'elles ne doivent, par nécessité et pour un temps limité, accepter certaines activités apostoliques. Il est clair que ces moniales exclusivement contemplatives participent à l'apostolat de l'amour du prochain sous ses trois formes de l'exemple, de la prière et de la pénitence.

Nous voudrions, toutefois, pour conclure, évoquer un apostolat plus vaste et plus haut encore, celui de l'Eglise, Epouse du Christ, au sens de l'apôtre des Gentils (2Co 11,2) et de saint Jean (Jn 20,21-23 > XXI/ 16-17 ; Apoc, xxi).

L'apostolat de l'Eglise est fondé sur sa mission à l'égard du monde entier, c'est-à-dire envers les hommes de tous les peuples et de tous les temps, chrétiens et païens, croyants et incroyants. Cette mission vient du Père : « Dieu a tant aimé le monde, qu'il a donné son Fils unique, pour que tous ceux qui croient en lui ne périssent pas, mais aient la vie éternelle. Car Dieu n'a pas envoyé son Fils dans le monde pour juger le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui » (Jn 3,16-17). La mission est transmise par le Christ : « Comme mon Père m'a envoyé, je vous envoie » (Jn 20,21). « Toute puissance m'a été donnée au ciel et sur terre. Allez donc et enseignez tous las peuples et baptisez-les... ! Je suis avec vous pour toujours jusqu'à la fin du monde » (Mt 28,18-20). La mission se fait dans le Saint-Esprit : « Vous recevrez la force du Saint-Esprit qui descendra sur vous, et vous serez mes témoins... jusqu'aux extrémités de la terre» (Ac 1,8). Cette mission apostolique de l'Eglise procède donc primordiale-ment de la sainte Trinité, Père, Fils et Esprit-Saint et nul ne peut en concevoir de plus haute, de plus sainte, de plus universelle, dans son origine comme dans son objet.

Quel est en effet l'objet de cette mission, sinon de faire connaître aux hommes le vrai Dieu, un dans la Trinité des personnes, le dessein de la Rédemption qu'il a opérée par son Fils, et l'Eglise fondée par le Christ pour continuer son oeuvre ? L'Eglise a reçu dans sa totalité le dépôt de la foi et celui de la grâce, toute la vérité révélée et tous les moyens de salut légués par le Rédempteur : le baptême (Mt 28,19), l'Eucharistie, et le Sacerdoce : « Faites ceci en mémoire de moi » (Lc 22,19) ; la communication du Saint-Esprit par l'imposition des mains des apôtres (Ac 8,17) ; la rémission des péchés : « Recevez le Saint-Esprit. Ceux à qui vous remettrez les péchés, ils leur seront remis » (Jn 20,23) ; le gouvernement des fidèles par le pouvoir de juridiction, exercé au nom du Christ et avec l'assistance permanente du Saint-Esprit (Jn 21,16 et 17). Voilà évoquées en quelques mots les richesses divines, dont le Seigneur a doté son Eglise, pour qu'elle puisse accomplir ses tâches apostoliques parmi les vicissitudes de la vie terrestre et traverser ainsi les siècles, sans que jamais les portes de l'enfer ne prévalent contre elle (Mt 16,16-18).

Laissez la force invincible, qui anime l'apostolat de l'Eglise, s'emparer de votre esprit et de votre coeur ! Elle vous remplira de paix et de joie ! « Ayez confiance, j'ai vaincu le monde » (Jn 16,33). En montant toujours plus haut, toujours plus près de Dieu, vous étendez vos horizons et devenez d'autant plus aptes à vous orienter sur cette terre. Loin de vous enfermer étroitement en vous-mêmes entre les murs du monastère, votre union à Dieu vous élargit l'esprit et le coeur aux dimensions du monde et de l'oeuvre rédemptrice du Christ, qui se prolonge dans l'Eglise ; voilà ce qui vous guide, soutient vos efforts et les rend féconds en tout bien.

Nous prions le Seigneur de daigner vous combler de ses dons et achever l'oeuvre qu'il a commencée en vous pour sa plus grande gloire ; comme gage de ses bienfaits, Nous vous accordons de tout coeur Notre paternelle Bénédiction apostolique.







f MESSAGE A DES PÈLERINS DE LACTION CATHOLIQUE OUVRIÈRE A LOURDES
(21 juillet 1958) 1






Un pèlerinage organisé dans le cadre de l'annnée mariale par l'Action catholique ouvrière a réuni à Lourdes pour la fête de l'Assomption plus de 15000 travailleurs et travailleuses de différents pays. A cette occasion le Saint-Père leur a fait remettre le message suivant, en langue française :

Chers fils et chères filles, travailleurs et travailleuses catholiques réunis par milliers à Lourdes en la fête de l'Assomption de la Bienheureuse Vierge Marie, vous avez répondu de toutes les régions de France à l'appel de l'Action catholique ouvrière, vous êtes venus nombreux aussi de divers pays d'Europe et certains même de plus loin encore. Soyez-en félicités ! Nous savons le sens profondément religieux et apostolique que vous donnez à votre pèlerinage international : il fut préparé de longue date dans les familles ouvrières, au prix de durs sacrifices et grâce à une généreuse entraide ; il fut encouragé par vos évêques, dont plusieurs ont tenu à venir le présider ; et, dans vos paroisses, on prie pour son succès spirituel. Par ce message personnel, Nous voici Nous-même présent au milieu de vous tous pour vous dire Notre confiance et Notre espérance.



Lourdes : une grande leçon de fraternité

Depuis le temps où la Vierge Immaculée apparaissait à Bernadette, une enfant pauvre du peuple de France, bien des pro-

grès ont été réalisés dans la voie de la justice sociale. Et récemment encore, Nous observions « les heureux changements qui se sont accomplis durant les cent dernières années au sein du monde du travail pour l'avantage évident des travailleurs eux-mêmes et de toute la société »2. A Lourdes, vous remercierez Dieu et, pensant aux tâches d'avenir, vous les regarderez en chrétiens. Emportez surtout de votre pèlerinage la grande leçon de fraternité que donne le spectacle de tant d'hommes de toutes conditions sociales unis comme des fils autour d'une même Mère. Quelles possibilités n'offrirait pas en effet aujourd'hui une collaboration loyale et sincère entre catholiques que leurs tâches professionnelles, diverses mais complémentaires, mettent en rapports constants dans la vie de travail ?



La belle tâche des militants catholiques

Depuis un siècle aussi des efforts apostoliques ont été poursuivis avec persévérance pour que, dans les milieux ouvriers, Jésus soit davantage connu et aimé comme seul Sauveur, véritable espoir de ceux qui souffrent (cf. Matth. Mt 11,28), source de vérité et de vie, présent et agissant dans l'Eglise qu'il anime. La tâche est immense, mais combien belle ! Grâce à vos aînés, grâce à vous, militants catholiques, grâce à tant de familles populaires profondément chrétiennes, les liens qu'on aurait voulu briser entre le monde ouvrier et l'Eglise de Jésus-Christ demeurent toujours étroits et forts.



La Vierge de l'Assomption : modèle d'espérance

En cette fête de l'Assomption, les regards chrétiens se tournent vers la Mère de Dieu, Immaculée et toujours Vierge, élevée dans le ciel en corps et en âme. Et vous-mêmes, laissant un instant les soucis du métier ou du pain quotidien, levez les yeux et redites avec l'Apôtre ces paroles de foi : « Nous croyons, nous aussi, et c'est pourquoi nous parlons, sachant bien que Celui qui a ressuscité le Seigneur Jésus nous ressuscitera nous aussi avec Jésus... Oui, la légère tribulation d'un moment nous prépare, au-delà de toute mesure, une masse éternelle de gloire. » (2Co 4,13-14). Chers fils et chères filles de la classe ouvrière, on a voulu cacher à vos regards ce but suprême de votre vie de chrétien ; on a prétendu faussement que ce n'était que vaine illusion vous détournant des objectifs immédiats d'action. Et Nous vous disons : regardez Marie ; contemplez-la dans la gloire qu'elle reçoit de son divin fils, et dont il lui a plu de révéler les célestes clartés à l'enfant privilégiée de Massa-bielle. Engagez-vous sur la route qu'elle vous trace. Gagnez vos frères à votre espérance. Et vous serez plus forts pour construire le monde plus juste et plus fraternel que vous désirez légitimement. Ayez confiance ; vous avez pour vous la vérité garantie par Dieu même ; vous avez comme maître et modèle Celui qui, en donnant sa vie, a vaincu le monde (cf. Jean, Jn 16,33) ; vous avez une doctrine sociale que vous apprécierez d'autant plus que vous la connaîtrez davantage. Apôtres de la Sainte Eglise dans le monde du travail, vous triompherez du mal par le bien ! (Cf. Rom. Rm 12,21 Rom. )

Puisse votre rassemblement de Lourdes accroître votre foi, renouveler votre espérance, étendre à tous votre charité : Nous le demandons à Dieu avec vous tous, chers fils et chères filles, et vous en accordons pour gage Notre paternelle Bénédiction apostolique.

RADIOMESSAGE À LA Ir« CONFÉRENCE MONDIALE CATHOLIQUE DE LA SANTÉ
(27 juillet 1958) 1






Voici le texte du radiomessage que le Souverain Pontife adressa en français, pour Y ouverture de la première Conférence mondiale catholique de la Santé, organisée à Bruxelles, dans le cadre de l'Exposition universelle 1958, sous les auspices du Commissariat général de la « Civitas Dei » :

Nous vous adressons Notre salut le plus cordial, chers fils et chères filles, réunis à Bruxelles pour tenir la « Première Conférence mondiale catholique de la Santé ». La messe solennelle, à laquelle vous venez d'assister dans la Basilique du Sacré-Coeur a rassemblé vos intentions et vos prières en une seule supplication, appelant du ciel la grâce qui transforme et vivifie, afin que les travaux, auxquels vous allez participer, manifestent avec éclat, à vos yeux et aux yeux de tous, l'audace et la grandeur de l'idéal qui vous guide.



Le soin des malades, mission éminemment sociale.

En vérité, cette première « Conférence mondiale catholique de la Santé » apparaît comme un événement bien significatif du rôle, qui vous revient dans la société d'aujourd'hui. Déjà son cadre merveilleux, ce déploiement de ressources matérielles et culturelles des nations dans une émulation, où chacun s'efforce de mettre en valeur ce qu'il possède de meilleur et de plus original, suggère et symbolise en quelque sorte les lignes maîtresses de vos réflexions. Au cours de ces dernières années, la profession médicale et toutes celles qui, avec elle, assument la protection de la santé, ont tiré parti des progrès rapides de la science et de ses applications et participé à l'évolution des institutions sociales. La fondation et le développement de vos diverses Fédérations répondent au besoin de conjuguer les efforts des catholiques dans un secteur si important. Rien d'étonnant si, dans le thème général de la Conférence : « Christianisme et Santé » s'insère l'étude de la collaboration dans l'équipe sanitaire et dans la communauté des responsables de la santé. Nous souhaitons le meilleur succès au 8e Congrès des médecins catholiques, au 5e Congrès de la Fédération internationale des pharmaciens catholiques, au 6e Congrès du Comité international catholique des infirmières et assistantes médico-sociales, au ier Congrès de la Fédération internationale des institutions hospitalières, ainsi qu'au 4e Congrès international des aumôniers d'hôpitaux.

Même si vos travaux n'embrassent qu'une partie de la matière si vaste que vous vous proposez d'examiner, le seul fait d'avoir tenté cette confrontation marquera une étape importante dans l'action sanitaire des catholiques. Vous prenez en effet maintenant conscience des dimensions réelles de votre communauté et de l'étendue de ses responsabilités sur le plan humain, comme sur le plan religieux.

On pouvait jadis entreprendre l'étude de la morale médicale, en n'accordant qu'un regard rapide à tout ce qui dépasse les relations individuelles du malade avec le médecin ou avec l'infirmière. Le développement considérable des services hospitaliers, la spécialisation croissante des techniques de soins, l'existence de puissantes institutions d'assistance sociale, l'appel des pays sous-développés ; voilà autant de facteurs, qui ont élargi considérablement les perspectives anciennes et requièrent une mise au point et un approfondissement du sens des « relations humaines » entre le malade et sa famille d'une part, les responsables de la santé et les organismes sociaux d'autre part.

Nous voudrions, en guise d'introduction à vos travaux, évoquer brièvement d'abord les obstacles à la collaboration efficace, et enfin les objectifs qu'elle doit se proposer, en particulier, chez les catholiques.



Les obstacles à une collaboration efficace dans le soin dû aux malades.

Les défauts qui empêchent une collaboration harmonietise dans l'équipe sanitaire peuvent venir, soit de ses membres eux-



mêmes, soit du malade et de sa famille, soit des institutions dont dépendent les uns et les autres. Nous n'avons pas l'intention d'analyser en détail les situations concrètes, dans lesquelles ces inconvénients apparaissent ; vos congrès furent préparés par des enquêtes destinées précisément à les relever. Mais, Nous bornant aux causes qui entravent la collaboration chez le personnel sanitaire lui-même, Nous voudrions en signaler deux principales, l'une d'ordre intellectuel, l'autre d'ordre moral. Le plus souvent une certaine étroitesse du jugement, qui, volontairement ou non, refuse d'élargir ses horizons, de tenir compte de tous les éléments d'une situation, empêche l'intéressé d'apercevoir les insuffisances de son action personnelle et la nécessité d'accepter l'intervention d'autrui. Il est difficile en général d'adopter le point de vue des autres, de regarder les événements comme ils les regardent, de ressentir comme eux les inconvénients de tel procédé, de telle attitude, le poids de certaines prestations ; il n'est pas aisé non plus d'admettre qu'un plus jeune, malgré sa moindre expérience, puisse avoir des idées plus fécondes. En outre, les habitudes de travail et les routines rendent pénible toute tentative de changement, toute révision de méthode. Vous signalez, par exemple, qu'une infirmière sera tentée de marquer des réserves, lorsqu'elle voit appliquer dans un hôpital un traitement différent de celui qu'elle a vu pratiquer au cours de ses études par tel grand spécialiste. A côté des obstacles intellectuels, les obstacles moraux tiennent aussi une large place. L'esprit de dévouement et de sacrifice dans l'équipe sanitaire constitue l'un de ses plus beaux titres à la reconnaissance et à l'admiration de tous. Mais qui oserait prétendre que, dans le détail des allées et venues de chaque jour, n'interviennent jamais des mobiles, qui trahissent les faiblesses communes de l'humanité : susceptibilité, impatience, désir de prévaloir, intolérance de la discipline, bref, l'affirmation exagérée de l'individu et de ses commodités au détriment des exigences posées par la cohésion du groupe et des intérêts de la communauté.



Les conditions d'une meilleure collaboration.

Ainsi sommes-Nous amené à considérer les conditions positives d'une collaboration efficace. Puisque certains défauts d'appréciation, peut-être inaperçus d'ailleurs, proviennent de l'ignorance au moins pratique des principes essentiels de la collaboration, il importe de mettre ceux-ci en lumière et d'en faire une étude plus approfondie. C'est l'objet de vos divers Congrès. La complexité croissante de l'organisation sanitaire, rançon d'un progrès incessant, entraîne la nécessité pour chacun de ses membres de mieux définir sa position dans l'ensemble dont il fait partie. Ainsi, Nous trouvons parmi les travaux préliminaires de la commission technique du congrès des infirmières et assistantes médico-sociales, une élaboration détaillée de la notion d'« équipe sanitaire », suivant quatre plans : celui des soins aux malades, en établissement hospitalier ou à domicile, celui des services médico-sociaux locaux ou centraux, celui de la nation et de l'administration de la santé publique, et enfin le secteur spécialisé dans la lutte contre certains fléaux propres à un pays ou à une région. Pour chacun de ces cas, il faut déterminer quelles sont les formes d'équipes sanitaires existant en fait, leur but, leurs moyens d'action, leur autorité, leur composition. Ce cadre ainsi délimité permet de mieux préciser la place, qu'y tiendra l'infirmière, et les conditions auxquelles elle devra satisfaire pour bien y remplir son rôle. Les médecins de leur côté s'appliqueront aux problèmes de collaboration rencontrés dans la pratique quotidienne et dans les institutions de soins, où ils entrent en contact non seulement avec les malades et les infirmières, mais encore avec les aumôniers, les services administratifs, le personnel subalterne, les familles des malades, les organismes d'assurance sociale et les pouvoirs publics. Vous aurez la préoccupation constante de résoudre chacune de ces questions, sans jamais oublier la perspective d'ensemble qui commande les solutions particulières, c'est-à-dire, le but thérapeutique tant individuel que social, inséparable lui-même des impératifs moraux et religieux dont l'Eglise se fait l'interprète.



Une organisation efficace de l'équipe sanitaire.

Le travail de réflexion et d'examen des problèmes portera peu de fruits, s'il n'aboutit sur le plan pratique à une meilleure organisation de l'équipe sanitaire, créant entre ses membres une véritable unité, quant aux principes à suivre et aux moyens concrets de les appliquer. Pour cela il ne suffit pas de se rencontrer au chevet du malade ; il faut encore savoir se retrouver entre soi, se ménager des échanges d'idées fréquents et cordiaux, mettre en commun ses difficultés techniques ou psychologiques. Il importe aussi qu'une hiérarchie des fonctions détermine l'autorité et la responsabilité de chacun. Une discipline de groupe paraît indispensable — quelle que soit la manière dont on l'entende —, mais elle ne sera acceptée et ne portera des fruits que dans la mesure où elle se soutiendra dans une ferveur commune, où elle guidera les énergies de chacun vers la réalisation d'un idéal, que poursuivraient vainement des efforts isolés.

C'est pourquoi, Nous voulons évoquer encore les objectifs essentiels, que se proposent d'atteindre les responsables de la santé par leur collaboration. Le but qui unifie leur activité, c'est évidemment la préservation ou le rétablissement de la santé des individus et des groupes sociaux. Toutefois il n'est pas rare que d'autres fins secondaires, plus proches, plus attirantes, plus utiles immédiatement, peut-être, sollicitent leur intérêt et fassent s'estomper pour quelque temps la prépondérance de la fin principale. Vous n'ignorez pas la possibilité de voir le malade traité, non comme une personne, mais comme un cas, que l'on étudie ou sur lequel on expérimente. Il arrive que des investigations dangereuses soient entreprises pour parfaire le diagnostic, alors qu'elles n'auront pas d'utilité réelle pour l'application du traitement, ou que le malade subisse les conséquences fâcheuses de mesures administratives visant à assurer d'abord la commodité des services. En ces cas, l'élément humain, personnel, est relégué au second plan, malgré son importance déterminante.



A l'imitation du Christ : soulager toute misère.

Ces écueils vous sont suffisamment connus et Nous-même les avons évoqués ailleurs. Nous n'insistons donc pas, mais voudrions souligner encore la caractéristique la plus haute, la plus noble de votre action thérapeutique, celle que manifeste votre Conférence actuelle par son titre de «catholique». N y voyez point une simple dénomination extrinsèque, sans influence sur l'objet propre de vos travaux, comme si le catholicisme n'avait à proposer à ses adhérents qu'un code de déontologie perfectionné, une liste minutieuse d'actions permises ou défendues. 11 s'agit en réalité de bien autre chose. Les chretiens en effet sont porteurs d'un message et d'une vie, qui confèrent à chacune de leurs démarches un sens particulier. Leur caractère de baptisés les fait disciples du Christ et fils de l'Eglise dans l'oeuvre de laquelle ils sont engagés. C'est pourquoi votre travail quotidien, le plus routinier en apparence, ne prend tout son sens que dans la perspective ouverte par le Seigneur aux jours de son existence terrestre : « Le soir venu », raconte saint Marc, « après le coucher du soleil, on lui amenait tous les malades et les possédés, et la ville entière était rassemblée devant la porte. Et il guérit beaucoup de malades affligés de divers maux, et il chassa beaucoup de démons » (Mc 1,32).

A l'imitation du Christ, qui soulageait tant de misères physiques et morales pour inviter les hommes à reconnaître en Lui « la résurrection et la vie » (Jn 11,25), que l'on devine à travers vos gestes l'inspiration dont ils procèdent, votre rattachement à l'Eglise visible et à l'Esprit-Saint, qui l'anime comme une « source d'eau jaillissant pour la vie éternelle » (Jn 4,14).

Pénétrée d'esprit évangélique, votre activité acquerra aussi une extension plus large et vraiment universelle. Il faut le souligner, puisque votre Congrès se situe dans le cadre d'une manifestation, qui veut exprimer les plus nobles aspirations du monde actuel et qui invite à des rapprochements stimulants. Nul ne possède l'esprit du Christ sans partager les soucis de tous ses frères, où qu'ils habitent, de quelque race qu'ils soient, ni sans désirer ardemment leur prodiguer au maximum les bienfaits réservés encore à certains pays privilégiés. A côté de besoins économiques aigus, les pays sous^développés présentent le plus souvent au point de vue sanitaire de cruelles déficiences. Vous savez avec quel zèle, partout où ils sont présents, et principalement dans les territoires les plus démunis, les catholiques s'emploient à soigner les malades dans les hôpitaux, cliniques, dispensaires, maternités ; mais comme il reste encore beaucoup à faire avant que ne soient maîtrisés complètement les problèmes de la santé publique, vos organisations internationales trouvent ici un champ largement ouvert à leurs efforts ; elles ont entre autres à susciter la collaboration des membres du personnel médical des particuliers, des organismes privés, de l'Etat, pour arrêter au plus tôt les maladies épidé-miques et endémiques, qui chaque année frappent tant de victimes impuissantes.

Nous vous souhaitons, chers ¦fils et chères filles, d'éprouver, pendant ces journées d'étude, de réflexion, d'échanges amicaux, le sentiment de ne former au sein de l'Eglise catholique, qu'une même famille unie par l'intérêt commun pour les problèmes sanitaires, et davantage encore par la conscience d'avoir à remplir une mission importante au service de l'Eglise : celle de parfaire l'édification du corps du Christ (Eph., rv, 12), en protégeant la santé de ses membres, pour qu'ils puissent s'acquitter pleinement des tâches que le Seigneur leur confie et découvrir par vous l'un des aspects les plus consolants de la Rédemption.

En témoignage de Notre estime et de Notre affection, et comme gage des faveurs divines que Nous appelons sur vous, sur vos familles, sur les malades, auxquels vous prodiguez vos soins et votre dévouement, Nous vous accordons de grand cceur Notre Bénédiction apostolique.


Pie XII 1958 - LETTRE ENCYCLIQUE « MEMINISSE JUVAT » PRESCRIVANT DES PRIÈRES POUR LA PAIX DU MONDE ET LA LIBERTÉ DE L'ÉGLISE