1965 Ad Gentes


PAUL, EVEQUE

SERVITEUR DES SERVITEURS DE DIEU

EN UNION AVEC LES PERES DU SAINT CONCILE

POUR QUE LE SOUVENIR S'EN MAINTIENNE A JAMAIS


DECRET SUR L'ACTIVITE

MISSIONNAIRE DE L'EGLISE


AD GENTES


Préambule

1 Envoyée par Dieu aux païens pour être "le sacrement universel du salut"(1), l'Eglise, en vertu des exigences intimes de sa propre catholicité et obéissant au commandement de son fondateur Mc 16,16, est tendue de tout son effort vers la prédication de l'Evangile à tous les hommes. Les apôtres eux-mêmes, en effet, sur lesquels l'Eglise a été fondée ont suivi les traces du Christ, "prêché la parole de vérité et engendré des églises"(2). Le devoir de leurs successeurs est de perpétuer cette oeuvre, afin que, "la parole de Dieu soit divulguée et glorifiée" 2Th 3,1, le royaume de Dieu annoncé et instauré dans le monde entier.

(1) LG 48. (2) St Augustin, Enar. in Ps. 44, 23 : PL 36, 508 ; CChr 38, 510.


Mais dans l'ordre actuel des choses, dont découlent de nouvelles conditions pour l'humanité, l'Eglise, sel de la terre et lumière du monde Mt 5,13-14, est appelée de façon plus pressante à sauver et à rénover toute créature, afin que tout soit restauré dans le Christ, et qu'en lui les hommes constituent une seule famille et un seul peuple de Dieu.

Aussi le saint Concile, tout en rendant grâce à Dieu pour les oeuvres magnifiques accomplies par le zèle généreux de l'Eglise tout entière, désire-t-il esquisser les principes de l'activité missionnaire et rassembler les forces de tous les fidèles pour que le peuple de Dieu, s'avançant par la porte étroite de la croix, étende partout le règne du Christ Seigneur qui embrasse les siècles de son regard Si 36,19, et qu'il prépare les voies à son avènement.


CHAPITRE PREMIER : PRINCIPES DOCTRINAUX


Le dessein du Père

2 De sa nature, l'Eglise, durant son pèlerinage sur terre, est missionnaire, puisqu'elle-même tire son origine de la mission du Fils et de la mission du Saint-Esprit, selon le dessein de Dieu le Père (1)

Le dessein découle de "l'amour dans sa source", autrement dit de la charité du Père qui, étant le principe sans principe, de qui le Fils est engendré, de qui le Saint-Esprit procède par le Fils, nous a créés librement dans sa trop grande bonté et miséricorde, et nous a de plus appelés gracieusement à partager avec sa vie et sa gloire ; qui a répandu sur nous sans compter sa miséricorde et ne cesse de la répandre, en sorte que lui, qui est le créateur de tous les êtres, devienne enfin "tout en tous"
1Co 15,28 en procurant à la fois sa gloire et notre bonheur. Il a plu à Dieu d'appeler les hommes à participer à sa vie non pas seulement de façon individuelle sans aucun lien les uns avec les autres, mais de les constituer en un peuple dans lequel ses enfants, qui étaient dispersés, seraient rassemblés dans l'unité Jn 11,52.

(1) LG 2.

La mission du Fils

3 Ce dessein universel de Dieu pour le salut du genre humain ne se réalise pas seulement d'une manière pour ainsi dire secrète dans l'âme des hommes, ou encore par des initiatives même religieuses, au moyen desquelles ils cherchent Dieu de bien des manières pour l'atteindre si possible et le trouver ; aussi bien n'est-il pas loin de chacun de nous Ac 17,27 ; car ces initiatives ont besoin d'être éclairées et redressées, bien que, de par un dessein bienveillant de la Providence divine, on puisse parfois les considérer comme une orientation vers le vrai Dieu ou une préparation à l'Evangile (2). Pour affermir la paix, autrement dit la communion avec lui, et pour établir la fraternité entre les hommes, - les hommes qui sont pécheurs - il décida d'entrer dans l'histoire humaine d'une façon nouvelle et définitive, en envoyant son Fils dans notre chair, afin d'arracher par lui les hommes à l'empire des ténèbres et de Satan Col 1,13 Ac 10,38, et de se réconcilier en lui le monde 2Co 5,19. Son Fils, par qui aussi il a fait les siècles (3), il l'a établi héritier de toutes choses, afin de tout restaurer en lui Ep 1,10.

(2) cf. St Irénée, Adv. Haer.III, 18, 1: Le Verbe existant auprès de Dieu, par qui tout a été fait, et qui était toujours présent dans le genre humain : PG 7, 932. Ibid. IV, 6,7: depuis le début le Fils, présent dans sa création, révèle le Père à tous ceux à qui le veut, quand le veut et comme le veut le Père ; PG 7, 990. cf. Ibid. IV, 20, 6 et 7: PG 7, 1037. Id. Demonstratio n. 34: PO XII, 773 ; Sources chr. 62, Paris 1958, p.87. Clemens Alex, Protrept. 112,1: GCS Clemens I, 79. Id. Strom. VI, 6,44, 1: GCS Clemens II 453; 13,106, 3- 4: GCS, ibid.485. Pro doctrina ipsa: cf. Pie XII, nuntium radioph. 31/12/52. LG 16.
(3) He 1,2 Jn 1,3 Jn 1,10 1Co 8,6 Col 1,16.


Car le Christ Jésus fut envoyé dans le monde comme le véritable médiateur entre Dieu et les hommes. Puisqu'il est Dieu, toute la plénitude de la divinité habite en lui corporellement Col 2,9 ; dans sa nature humaine, il est le nouvel Adam, il est constitué le chef de l'humanité régénérée, il est rempli de grâce et de vérité Jn 1,14. Aussi par les voies d'une incarnation véritable, le Fils de Dieu est-il venu pour faire participer les hommes à la nature divine ; il s'est fait pauvre alors qu'il était riche afin de nous enrichir par sa pauvreté 2Co 8,9. Le Fils de l'Homme n'est pas venu pour être servi, mais pour servir lui-même et donner sa vie en rançon pour beaucoup, c'est-à-dire pour tous Mc 10,45. Les saints Pères proclament sans cesse que n'est pas guéri ce qui n'a pas été assumé par le Christ (4). Mais il a assumé la nature humaine dans toute sa réalité, telle qu'on la trouve chez nous, malheureux et pauvres, mais elle est chez lui sans péché He 4,15 He 9,28. Parlant de lui-même, le Christ, que le Père a consacré et envoyé dans le monde Jn 10,36 a dit ces paroles : "L'Esprit du Seigneur est sur moi, parce qu'il m'a consacré par son onction ; il m'a envoyé porter la bonne nouvelle aux pauvres, annoncer aux captifs la délivrance et aux aveugles le retour à la vue" Lc 4,18 ; et encore : "Le Fils de l'Homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu" Lc 19,10.

(4) cf. St Athanase, Epit. ad Epictetum 7: PG 26, 1060. St Cyrille Hieros, Catéch. 4,9 ; PG 33, 465. Marius Victorinus, adv. Arium 3,3: PL 8, 1101. St Basile, Epist. 261, 2: PG 32, 969. St Grégoire de Naz. Epist. 101: PG 37, 181. St Grégoire de N. Antirrheticus, adv. Apolin 17: PG 45, 1156. St Ambroise, Epist. 48, 5: PL 16, 1153. St Augustin, in Jn Evang. tr. Jean XXIII 6: PL 35, 1585; CChr 36, 236. en outre, c'est cet argument qui lui sert à démontrer que le Saint Esprit ne nous a pas rachetés puisqu'il ne s'est pas incarné : De agone Christ. 22, 24: PL 40, 302. St Cyrille d'Alex. adv. Nestor I, 1: pg 76, 20. sT Fulgence, epis. 17, 3,5 : pl 65, 454. Id. Ad Trasimumdum III, 21: PL 65, 284: de tristitia et timore.


Ce qui a été une fois prêché par le Seigneur ou accompli en lui pour le salut du genre humain doit être proclamé et répandu jusqu'aux extrémités de la terre Ac 1,8, en commençant par Jérusalem Lc 24,47, de sorte que ce qui a été accompli une fois en vue du salut de tous, obtienne son résultat chez tous au cours des âges.


La mission du Saint-Esprit

4 Mais pour le réaliser pleinement, le Christ a envoyé d'auprès du Père le Saint-Esprit, qui accomplirait son oeuvre porteuse de salut à l'intérieur des âmes et pousserait l'Eglise à s'étendre. Sans l'ombre d'un doute le Saint-Esprit était déjà à l'oeuvre avant la glorification du Christ (5). Pourtant, le jour de la Pentecôte, il descendit sur les disciples pour demeurer avec eux à jamais Jn 14,16 ; l'Eglise se manifesta publiquement devant la multitude, la diffusion de l'Evangile commença avec la prédication ; enfin fut préfigurée l'union des peuples dans la catholicité de la foi, par l'Eglise de la Nouvelle Alliance, qui parle toutes les langues, comprend et embrasse dans sa charité toutes les langues, et triomphe ainsi de la dispersion de Babel (6). Car c'est à la Pentecôte que commencèrent "les actes des apôtres", tout comme c'est lorsque le Saint-Esprit vint sur la Vierge Marie que le Christ fut conçu, et lorsque le même Esprit-Saint descendit sur le Christ pendant sa prière que le Christ fut poussé à commencer son ministère (7). Le Christ Jésus lui-même, avant de donner librement sa vie pour le monde, a de telle sorte organisé le ministère apostolique et promis d'envoyer le Saint-Esprit, que ce ministère et cette mission sont tous deux associés pour mener à bien, toujours et partout, l'oeuvre du salut (8). A travers toutes les époques, c'est le Saint-Esprit qui "unifie l'Eglise tout entière dans la communion et le ministère, qui la munit des divers dons hiérarchiques et charismatiques"(9), vivifiant à la façon d'une âme (10) les institutions ecclésiastiques et insinuant dans les coeurs des fidèles le même esprit missionnaire, qui avait poussé le Christ lui-même. Parfois même il prévient visiblement l'action apostolique (11), tout comme il ne cesse de l'accompagner et de la diriger de diverses manières (12).

(5) C'est l'Esprit-Saint qui a parlé par les prophètes : Symb. Constantin.: DS 150. St Léon le grand, sermon 76: PL 54, 405-406: Quand au jour de la Pentecôte l'Esprit-Saint remplit les disciples du Seigneur, ce ne fut pas le début d'un don mais une largesse surajoutée à d'autres: les patriarches, les prophètes, les prêtres, les saints qui vécurent aux temps anciens ont été nourris du même Esprit sanctifiant ... bien que la mesure des dons ait été différente . Etiam sermo 77, 1: PL 54, 412. Léon XIII, encyc. Divinum illud: ASS 1897, 650-51. Etiam St Jean Chrysostome bien qu'il insiste sur la nouveauté de la mission du St Esprit au jour de la Pentecôte : In Eph. c. 4, hom. 10,1.
(6) De Babel et Pentec. saepe loquuntur Ss. Patres: Origènes, In Genesim, c. 1 : PG 12, 112. St Grégoire de Naz. Oratio 41, 16: PG 26, 449. St Jean Chrysost. Hom. 2 in Pentec. 2, PG 5O, 467. Id Act. Apost. PG 60, 44. St Augustin, En. in Ps. 54, 11 : PL 36, 636 ; CChr.39, 664 s. ID. Sermo 271 : PL 38, 1245. St Cyrille d'Alex. Glaphyra in Genesim II: PG 699, 79. St Grégoire M.Hom. in Evang., lib. II, hom.30, 4: PL 76, 1222. st Bède, in Hexaem. lib. III: PL 91,125. L'Eglise parle toutes les langues et ainsi rassemble tous les hommes dans la catholicité de la foi St Augustin sermons 266, 267, 268, 269: PL 65, 743-744. sur la Pentecôte comme consécration des apôtres à la mission , cf. J.A.Cramer, Catena in Acta SS. Apostol. Oxford 1838, pp. 24 s.
(7) Lc 3,22 Lc 4,1 Ac 10,38.
(8) Jn 14-17. Paul VI, Alloc. in Concile habita du 14/09/1964: AAS 56 (1964), p. 807.
(9) LG 4.
(10) St Augustin, sermon 267, 4: PL 38, 1231: ce que fait l'âme dans tous les membres d'un même corps, le St Esprit le fait dans l'Eglise tout entière . LG 7, note 8.
(11) Ac 10,44-47 Ac 11,15 Ac 15,8.
(12) Ac 4,8 Ac 5,32 Ac 8,26 Ac 8,29 Ac 8,39 Ac 9,31 Ac 10 Ac 11,24-28 Ac 13,2 Ac 13,4 Ac 13,9 Ac 16,6-7 Ac 20,22-23 Ac 21,11, etc.


L'Eglise envoyée par le Christ

5 Dés le début de son ministère, le Seigneur Jésus "appela à lui ceux qu'il voulut, et en institua douze pour être ses compagnons et pour les envoyer prêcher" Mc 3,13 Mt 10,1-42. Les apôtres furent ainsi les germes du Nouvel Israël et en même temps l'origine de la hiérarchie sacrée. Puis, une fois qu'il eut par sa mort et sa résurrection accompli en lui les mystères de notre salut et de la restauration du monde, le Seigneur, qui avait reçu tout pouvoir au ciel et sur la terre Mt 28,18, fonda son Eglise comme le sacrement du salut, avant d'être enlevé au ciel Ac 1,11 ; tout comme il avait été lui-même envoyé par le Père Jn 20,21, il envoya ses apôtres dans le monde entier en leur donnant cet ordre : "Allez donc, de toutes les nations faites des disciples, les baptisant au nom du Père et du Fils et du St Esprit, et leur apprenant observer tout ce que je vous ai prescrit" Mt 28,19 ; "Allez par le monde entier proclamer la bonne nouvelle à toute la création. Celui qui croira et sera baptisé sera sauvé, celui qui ne croira pas sera condamné" Mc 16,154. C'est de là que découle pour l'Eglise le devoir de propager la foi et le salut apportés par le Christ, d'une part en vertu du mandat exprès qu'a hérité des apôtres l'Ordre des évêques, assisté par les prêtres en union avec le successeur de Pierre, pasteur suprême de l'Eglise, et d'autre part en vertu de l'influx vital que le Christ communique à ses membres : le Christ "dont le Corps tout entier reçoit concorde et cohésion, par toutes sortes de jointures qui le nourrissent et l'actionnent selon le rôle de chaque partie, opérant ainsi sa croissance et se construisant lui-même dans la charité" Ep 4,16. La mission de l'Eglise s'accomplit donc par l'opération au moyen de laquelle, obéissant à l'ordre du Christ et mue par la grâce de l'esprit-Saint et la charité, elle devient en acte plénier présente à tous les hommes et à tous les peuples, pour les amener par l'exemple de sa vie, par la prédication, par les sacrements et les autres moyens de grâce, à la foi, à la liberté, à la paix du Christ, de telle sorte qu'elle leur soit ouverte comme la voie libre et sûre pour participer pleinement au mystère du Christ.

Cette mission continue et développe au cours de l'histoire la mission du Christ lui-même, qui fut envoyé pour annoncer aux pauvres la bonne nouvelle ; c'est donc par la même route qu'a suivie le Christ lui-même que, sous la poussée de l'Esprit du Christ, l'Eglise doit marcher, c'est-à-dire par la route de la pauvreté, de l'obéissance, du service et de l'immolation de soi jusqu'à la mort, dont il est sorti victorieux par sa résurrection. Car c'est ainsi dans l'espérance qu'ont marché tous les apôtres, qui ont achevé par leurs multiples tribulations et souffrances ce qui manque à la passion du Christ au profit de son Corps, l'Eglise Col 1,24; souvent aussi le sang des chrétiens fut une semence (13).

(13) Tertullien, Apologeticum 50, 13: PL 1, 534, CChr 1, 171.


L'activité missionnaire

6 Cette tâche, c'est par l'Ordre des évêques, à la tête duquel se trouve le successeur de Pierre, qu'elle doit être accomplie, avec la prière et la collaboration de toute l'Eglise ; elle est unique et la même, partout, en toute situation, bien qu'elle ne soit pas menée de la même manière du fait des circonstances. Par conséquent, les différences qu'il faut reconnaître dans cette activité de l'Eglise ne dérivent pas de la nature intime de la mission mais des conditions dans lesquelles elle est menée.

Ces conditions dépendent soit de l'Eglise, soit même des peuples, des groupes humains ou des hommes à qui s'adresse la mission. Car l'Eglise, bien que de soi elle contienne la totalité ou la plénitude des moyens de salut, n'agit pas ni ne peut agir toujours et immédiatement selon tous ses moyens ; elle connaît des commencements et des degrés dans l'action par laquelle elle s'efforce de conduire à son effet le dessein de Dieu ; bien plus, elle est parfois contrainte, après des débuts heureux, de déplorer de nouveau un recul, ou tout au moins de demeurer dans un état de semi-plénitude et d'insuffisance. En ce qui concerne les hommes, les groupes humains et les peuples, elle ne les atteint et ne les pénètre que progressivement, et les assume ainsi dans la plénitude catholique. Les actes propres, les moyens adaptés doivent s'accorder avec chaque condition ou état.

Les initiatives particulières par lesquelles les prédicateurs de l'Evangile envoyés par l'Eglise et allant dans le monde entier s'acquittent de la charge de prêcher l'Evangile et d'implanter l'Eglise parmi les peuples ou les groupes humains qui ne croient pas encore au Christ, sont communément appelées "missions" ; elles s'accomplissent par l'activité missionnaire et sont menées d'ordinaire dans des territoires déterminés reconnus par le Saint-Siège. La fin propre de cette activité missionnaire, c'est l'évangélisation et l'implantation de l'Eglise dans les peuples ou les groupes humains dans lesquels elle n'a pas encore été enracinée (14). Il faut que, nées de la parole de Dieu, des églises particulières autochtones suffisamment établies croissent partout dans le monde, jouissent de leurs ressources propres et d'une certaine maturité ; il faut que, pourvues de leur hiérarchie propre unie à un peuple fidèle et des moyens accordés à leur génie, nécessaire pour mener une vie pleinement chrétienne, elles contribuent au bien de toute l'Eglise. Mais le moyen principal de cette implantation, c'est la prédication de l'Evangile de Jésus-Christ ; c'est pour annoncer l'Evangile que le Seigneur a envoyé ses disciples dans le monde entier, afin que les hommes, ayant acquis une nouvelle naissance par la parole de Dieu
1P 1,23, soient agrégés par le baptême à l'Eglise qui, en tant que Corps du Verbe incarné, est nourrie et vit de la parole de Dieu et du pain eucharistique Ac 2,42.

(14) déjà St Thomas parle de la charge apostolique de planter l'Eglise : cf. Sent. lib.1, dist.16,q.1, a. 2 et ad 4 ; a.3 sol. Id. Summa théol. I 43,7 ad 6: I-II 106,4 ad 4. Cf. Benoit XV, Maximum illud. 30/11/19: AAS 11 (1919)pp. 445 et 453. Pie XI, Rerum Ecclesiae, 28/02/1926: AAS 18 (1926), p.74. Pie XII, 30/04/1939, ad Directores OO PP MM.; id. 24/06:44, ad Direct. OO PP MM. AAS 38 (1944)n p. 210, rursus in AAS 42 (1950), p. 727 et 43.(1951), p. 508. id. 29/06/48 ad clerum indigenum : AAS 40 (1948), p. 374. Id. Evangelii Praecones, 2/06/1951: AAS 43 (1951), p. 507. id. Fidei donum 15/01/57 : AAS 47 (1957), p. 236. Jean XXIII Princeps pastorum, 28/11/59: AAS 51 (1959), p. 835. Paul VI, hom. 18/10/64: AAS 56 (1964), p. 911. les papes aussi bien que les Pères et mes scolastiques parlent souvent de l'expansion de l'Eglise : St Thomas, Comm. in Matth. 16,28. Léon XIII, encycl. Sancta Dei Civitasq: ASS (1880), p.241.. Benoit XV, encycl. Maximum illud: AAS 11 (1919), p. 442. Pie XI, encycl. Rerum Eccle. AAS 18 (1926), p. 65.


Dans cette activité missionnaire de l'Eglise, diverses situations se présentent parfois mêlées les unes aux autres : situation d'abord de début ou de plantation, puis de nouveauté ou de jeunesse. Quand tout cela est accompli, l'action missionnaire de l'Eglise ne cesse pas pour autant : le devoir incombe aux églises particulières déjà formées de la continuer et de prêcher l'Evangile à tous ceux qui sont encore au-dehors.

En outre, il n'est pas rare que les groupes humains parmi lesquels l'Eglise existe, ne soient complètement transformés pour des raisons diverses ; des situations nouvelles peuvent en résulter. L'Eglise doit alors examiner si ces situations exigent de nouveau une activité missionnaire. De plus les circonstances sont parfois telles que manque pour un temps la possibilité de proposer directement et immédiatement le message évangélique ; c'est alors que les missionnaires peuvent et doivent donner avec patience et prudence, avec une grande confiance en même temps, au moins le témoignage de la charité et de la bienfaisance du Christ, préparer ainsi les voies au Seigneur et le rendre présent d'une certaine manière.

Ainsi il est clair que l'activité missionnaire découle profondément de la nature même de l'Eglise ; elle en propage la foi qui sauve, elle en réalise l'unité catholique en la répandant, l'apostolicité de l'Eglise lui donne sa vigueur, elle met en oeuvre le sens collégial de sa hiérarchie, elle en atteste, répand et procure la sainteté. Ainsi l'activité missionnaire au milieu des nations diffère tant de l'activité pastorale à mener à l'égard des fidèles que des initiatives à prendre pour rétablir l'unité des chrétiens. Cependant ces deux domaines sont très étroitement liés avec l'activité missionnaire de l'Eglise (15) : la division des chrétiens, en effet, nuit (16) à la cause très sacrée de la prédication de l'Evangile à toute créature, et pour beaucoup elle ferme l'accès à la foi. Ainsi de par la nécessité de la mission, tous les baptisés sont appelés à s'assembler en un seul troupeau, afin de pouvoir ainsi de façon unanime rendre témoignage du Christ leur Seigneur devant les nations. S'ils sont encore incapables de donner le témoignage d'une foi unique, il faut au moins qu'ils soient animés par une estime et une charité réciproques.

(15) dans cette notion de l'activité missionnaire sont incluses en toute réalité, comme il est évident, même ces parties de l'Amérique latine dans lesquelles n'existe pas d'hiérarchie propre, et où ne se trouvent ni une maturité de vie chrétienne ni une prédication suffisante de l'Evangile. La question de savoir si ces territoires sont reconnus de fait par le Saint Siège comme des territoires missionnaires, n'est pas du ressort du Concile. C'est pourquoi relativement au lien entre la notion de l'activité missionnaire et certains territoires déterminés, on dit à juste titre que cette activité s'exerce "d'ordinaire" dans des territoires déterminés reconnus par le Saint-Siège .
(16) UR 1.


Raison et nécessité de l'activité missionnaire

7 La raison de cette activité missionnaire se tire de la volonté de Dieu, qui "veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité. Car il n'y a qu'un seul Dieu, et un seul médiateur entre Dieu et les hommes, l'homme Jésus-Christ, qui s'est livré en rédemption pour tous" 1Tm 2,4-5 ; "et il n'existe de salut en aucun autre" Ac 4,12. Il faut donc que tous se convertissent au Christ connu par la prédication de l'Eglise, et qu'ils soient eux aussi incorporés par le baptême à l'Eglise, qui est son Corps. Car le Christ lui-même, "en inculquant en termes formels la nécessité de la foi et du baptême Mc 16,16 Jn 3,5, a du même coup confirmé la nécessité de' l'Eglise dans laquelle les hommes entrent par le baptême comme par une porte. C'est pourquoi les hommes ne peuvent être sauvés qui, n'ignorant pas que l'Eglise a été fondée comme nécessaire par Dieu par l'intermédiaire de Jésus-Christ, n'auront cependant pas voulu y entrer ou y persévérer"(17). Bien que Dieu puisse par des voies connues de lui amener à la foi sans laquelle il est impossible de plaire à Dieu He 11,6 des hommes qui, sans faute de leur part, ignorent l'Evangile, la nécessité incombe cependant à l'Eglise 1Co 9,16 - et en même temps elle en a le droit sacré - d'évangéliser, et par conséquent son activité missionnaire garde dans leur intégrité, aujourd'hui comme toujours, sa force et sa nécessité.

(17) LG 14.

C'est par elle que le Corps mystique du Christ rassemble et ordonne sans cesse les forces en vue de son propre accroissement Ep 4,11-16. C'est pour mener à bien cette activité que les membres de l'Eglise sont poussés par la charité, qui les fait aimer Dieu, et les fait désirer partager avec tous les hommes les biens spirituels de la vie future comme ceux de la vie présente.

Par cette activité missionnaire enfin, Dieu est pleinement glorifié, du moment que les hommes accueillent consciemment et pleinement son oeuvre salutaire qu'il a réalisée dans le Christ. C'est ainsi que par elle se réalise le dessein de Dieu, que le Christ a servi par obéissance et par amour pour la gloire du Père qui l'a envoyé (18): que le genre humain tout entier constitue un seul peuple de Dieu, se rassemble dans le corps unique du Christ, soit construit en un seul temple du St Esprit ; ce qui, en évoquant la concorde fraternelle, répond au désir intime de tous les hommes. C'est ainsi qu'enfin s'accomplit vraiment le dessein du Créateur formant l'homme à son image et à sa ressemblance, quand tous ceux qui participent à la nature humaine, une fois qu'ils auront été régénérés dans le Christ par le St Esprit, et reflétant ensemble la gloire de Dieu 2Co 3,18, pourront dire: "Notre Père"(19).

(18) Jn 7,18 Jn 8,30 Jn 8,44 Jn 8,50 Jn 17,1.
(19) sur cette idée synthétique voir la doctrine de St Irénée sur la récapitulation . cf. etiam Hyppolyte, De Antichris. 3: aimant tous les hommes et désirant les sauver tous, voulant les rendre tous fils de Dieu et appelant tous les saints à former un seul homme parfait ... PG 1O 732 ; GCS Hyppol. I,2,p.6. Id. Benedict. Jacob, 7: TU 38-1, p. 18, lin.4 ss. Origène, in Jn, I, n.16: il n'y aurait alors qu'un seul acte de connaître Dieu chez ceux qui seront arrivés à Dieu, sous la conduite due ce Verbe qui est chez Dieu ; en sorte que tous soient formés avec soin pour connaître le Père comme des enfants, comme le Fils est maintenant seul à connaître le Père . PG 14, 49; GCS Orig.IV, 20. ST Augustin, de serm. Domini in monte, I 41: aimons ce qui peut être mené jusqu'à ces royaumes où personne ne dit: mon Père, mais où tous disent à un seul Dieu: notre Père ; PL 34, 1250. St Cyrille d'Alex., in JN car nous sommes tous dans le Christ et la nature commune de notre humanité reprend vie en lui. C'est pour cela qu'il a été appelé le nouvel Adam ... Il a habité parmi nous, celui qui par nature est Fils et Dieu ; aussi nous écrions-nous dans son Esprit : Abba Père ! Le Verbe habite en tous en un seul temple, c'est-à-dire dans ce temple qu'il a pris pour nous et qu'il a emprunté, afin qu'ayant en lui tous les hommes, il réconciliât au Père tous les hommes dans un seul corps, comme le dit Paul : PG 73, 161-164.


L'activité missionnaire dans la vie et l'histoire humaine

8 L'activité missionnaire possède un lien intime avec la nature humaine elle-même et ses aspirations. Car en manifestant le Christ, l'Eglise révèle aux hommes par le fait même la vérité authentique de leur condition et de leur vocation intégrale, le Christ étant le principe et le modèle de cette humanité rénovée, pénétrée d'amour fraternel, de sincérité, d'esprit pacifique, à laquelle tout le monde aspire. Le Christ, et l'Eglise qui rend témoignage à son sujet par la prédication évangélique, transcendent tout particularisme de race ou de nation, et par conséquent ils ne peuvent jamais être considérés, ni lui ni elle, comme étrangers nulle part ni à l'égard de qui que ce soit (20). Le Christ lui-même est la vérité et la voie que la prédication évangélique découvre à tous, en portant aux oreilles de tous ces paroles du même Christ : "Faites pénitence et croyez à l'évangile" Mc 1,15. Puisque celui qui ne croit pas est déjà jugé Jn 3,18, les paroles du Christ sont des paroles à la fois de jugement et de grâce, de mort et de vie. Car c'est seulement en faisant mourir ce qui est vieux que nous pouvons parvenir à la nouveauté de vie : cela vaut d'abord des personnes ; mais cela vaut aussi des divers biens de ce monde, qui sont marqués en même temps par le péché de l'homme et la bénédiction de Dieu : "Car tous ont péché et sont privés de la gloire de Dieu" Rm 3,23. Personne n'est délivré du péché par lui-même et ou par ses propres efforts, personne n'est entièrement libéré de sa faiblesse ni de sa solitude ni de son esclavage (21), mais tous ont besoin du Christ le modèle, le maître, le libérateur, le sauveur, celui qui donne la vie. En toute vérité, dans l'histoire humaine, même au point de vue temporel, l'Evangile fut un ferment de liberté et de progrès, et il se présente toujours comme un ferment de fraternité, d'unité et de paix. Ce n'est donc pas sans raison que le Christ est honoré par les fidèles comme "l'attente des nations et leur Sauveur (22).

(20) Benoit XV, encyc. Maximum illud: AAS 11 (1919), p. 445: car de même que l'Eglise de Dieu est catholique et qu'elle n'est étrangère en aucune race ni aucune nation ... cf. Jean XXIII, encyc. Mater et Mag. de droit divin l'Eglise s'étend à toutes les nations ... lorsqu'elle a injecté dans ce qu'on eut appeler les veines d'un peuple, sa puissance, elle n'est pas, elle ne se considère pas une institution quelconque, imposée de l'extérieur à ce peuple ... Aussi tout ce qui lui paraît bon et honnête, ils (c'est-à-dire ceux qui sont renés dans le Christ) le confirment et le mènent à la perfection : AAS 53 (1961), p.444.
(21) cf. St Irénée, adv. Haer.III,15,3: PG 7, 919: ils furent les prédicateurs de la vérité et les apôtres de la liberté .
(22) Ant. O diei 23 Décembre


Caractère eschatologique de l'activité missionnaire

9 Aussi le temps de l'activité missionnaire se situe-t-il entre le premier avènement du Seigneur et le second, dans lequel, des 4 vents, telle une moisson, l'Eglise sera rassemblée dans le royaume de Dieu (22). Car avant la venue du Seigneur, il faut que la bonne nouvelle soit proclamée parmi toutes les nations Mc 13,10.

L'activité missionnaire n'est rien d'autre, elle n'est rien de moins que la manifestation du dessein de Dieu, son épiphanie et sa réalisation dans le monde et son histoire, dans laquelle Dieu conduit clairement à son terme, au moyen de la mission, l'histoire du salut. Par la parole de la prédication et par la célébration des sacrements dont la sainte Eucharistie est le centre et le sommet, elle rend présent le Christ auteur du salut. Tout ce qui se trouvait déjà de vérité et de" grâce chez les nations comme par une secrète présence de Dieu, elle le délivre des contacts mauvais et le rend au Christ son auteur, qui détruit l'empire du diable et arrête la malice infiniment diverses des crimes. Aussi tout ce qu'on découvre de bon semé dans le coeur et l'âme des hommes ou dans les rites particuliers et les civilisations particulières des peuples, non seulement ne périt pas, mais est purifié, élevé et porté à sa perfection pour la gloire de Dieu, la confusion du démon et le bonheur de l'homme (24). Ainsi l'activité missionnaire tend vers la plénitude eschatologique (25): c'est par elle en effet que jusqu'à la mesure et à l'époque que le Père a fixées dans son autorité Ac 1,7, se développe le peuple de Dieu, en vue de qui il a été dit de manière prophétique: "Elargis l'espace de la tente, déploie les tentures sans contrainte" Is 54,2 (26) ; c'est par elle que s'accroît le Corps mystique jusqu'à la mesure de l'âge de la plénitude du Christ Ep 4,13, et que le temple spirituel où Dieu est adoré en esprit et en vérité Jn 4,23, grandit et se construit sur le fondement des apôtres et des prophètes, le Christ Jésus étant lui-même la pierre d'angle Ep 2,20.

(22) Mt 24,31, Didaché, 10,5 : Funk I, 32.
(24) LG 17. St Augustin, de civ.Dei, 19,17: PL 41, 646. S.C.propag. de la foi, Inst.: Collect. I, n.135, p.42.
(25) selon Origène l'Evangile doit être prêché avant la consommation de ce monde : Hom.in Lc XXI: GCS Orig. IX, 136, 21 ss. Id. Matth. comm. ser. 39: ibid. XI,75, 25 ss. 76, 4 ss. Id. Hom. in Ierem.III, 2: ibid.VIII 3O8, 29 ss. St Thomas, Summa theol. I-II 106,4 ad 4.
(26) St Hilaire, in Ps. 14: PL 9, 301. Eusebius Caes, In Isalam,54,2-3 ; PG 24: 462-43. St Cyrille Alex. In Isalam V, cap.54, 1-3: PG 7O, 1193..



CHAPITRE II : L'OEUVRE MISSIONNAIRE ELLE-MEME


Introduction

10 L'Eglise, envoyée par le Christ pour manifester et communiquer la charité de Dieu à tous les hommes et à toutes les nations, comprend qu'elle a à faire une oeuvre missionnaire énorme. Car deux milliards d'hommes, dont le nombre s'accroît de jour en jour, qui sont rassemblés en des groupements importants et déterminés par les rapports stables de la vie culturelle, par les antiques traditions religieuses, par les liens solides des relations sociales, n'ont pas encore entendu le message évangélique ou l'ont à peine entendu ; les uns suivent l'une des grandes religions, les autres demeurent étrangers à la connaissance de Dieu lui-même, d'autres nient expressément son existence, parfois même l'attaquent. L'Eglise, afin de pouvoir présenter à tous le mystère du salut et la vie apportée par Dieu, doit s'insérer dans tous ces groupes humains du même mouvement dont le Christ lui-même, par son incarnation, s'est lié aux conditions sociales et culturelles déterminées des hommes avec lesquels il a vécu.


ART. PREMIER : LE TEMOIGNAGE CHRETIEN


Le témoignage de la vie et le dialogue

11 Il faut que l'Eglise soit présente dans ces groupements humains par ses enfants, qui y vivent ou sont envoyés vers eux. Car tous les chrétiens, partout où ils vivent, sont tenus de manifester de telle manière, par l'exemple de leur vie et le témoignage de leur parole, l'homme nouveau qu'ils ont revêtu par le baptême et la force du St Esprit qui les a fortifiés au moyen de la confirmation, que les autres, considèrent leurs bonnes oeuvres, glorifient le Père Mt 5,16 et perçoivent plus pleinement le sens authentique et le lien universel de communion des hommes.

Pour qu'ils puissent donner avec fruit ce témoignage du Christ, ils doivent se joindre à ces hommes par l'estime et la charité, se reconnaître comme des membres du groupement humain dans lequel ils vivent, avoir une part dans la vie cultuelle et sociale au moyen des divers échanges et des diverses affaires humaines ; ils doivent être familiers avec leurs traditions nationales et religieuses, découvrir avec joie et respect les semences du Verbe qui s'y trouvent cachées ; ils doivent en même temps faire attention à la transformation profonde qui s'opère parmi les nations, et travailler à ce que les hommes de notre temps, trop attentifs à la science et à la technique du monde moderne, ne soient pas détournées des choses divines ; bien au contraire, à ce qu'ils soient éveillés à un désir plus ardent de la vérité et de la charité révélées par Dieu. Le Christ lui-même a scruté le coeur des hommes et les amenés par un dialogue vraiment humain à la lumière divine ; de même ses disciples, profondément pénétrés de l'Esprit du Christ, doivent connaître les hommes au milieu desquels ils vivent, engager conversation avec eux, afin qu'eux aussi apprennent dans un dialogue sincère et patient, quelles richesses Dieu, dans sa munificence, a dispensées aux nations ; ils doivent en même temps s'efforcer d'éclairer ces richesses de la lumière évangélique, de les libérer, de les ramener sous l'autorité du Dieu Sauveur.



1965 Ad Gentes