Catéchèses Paul VI 21170

21 janvier 1970 AVANCER AVEC PRUDENCE, HUMILITE ET CHARITE SUR LE CHEMIN DE L'OECUMENISME

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Chers fils et filles,


Toute l'Eglise dans le monde célèbre actuellement la « semaine de prière pour l'Unité », c'est-à-dire pour la réintégration dans l'unique Eglise voulue par le Christ, de tous les chrétiens qui ont l'honneur et la responsabilité de porter ce nom et qui sont encore aujourd'hui divisés en de nombreuses fractions, séparés entre eux et privés de la communion avec l'Eglise. Quiconque porte le nom de chrétien, est obligé de conserver — comme l'écrit saint Paul, — « l'unité de l'esprit dans le lien de la paix : un seul corps, un seul esprit, comme en une unique espérance vous avez été appelés ; un est le Seigneur, une la foi, un le baptême, un Dieu et Père de tous » (
Ep 4,3-6) : à mesure que croît l'évidence de ce devoir fondamental, croît en même temps la conscience, le désir, le besoin de restaurer ce que l'Eglise est essentiellement, c'est-à-dire une communion (cf. hamer, L'Eglise est une communion, Cerf 1962) ; et croît le malaise, la douleur de la fragmentation insoutenable du nom chrétien ; et croît l'impatience de voir et de jouir des effets de l'oecuménisme. Mais en même temps on se rend compte des difficultés qui se posent pour arriver à une réconciliation sincère et effective entre les Chrétiens. Des siècles sont passés, qui ont cristallisé cette condition historique anormale ; on a discuté et polémiqué sans fin de tous côtés ; des personnalités de grande renommée morale et spirituelle se sont exprimées, ont défendu et illustré leurs positions ; on a fixé des dispositions pratiques, des compromis de type politico-religieux, qui sont évidemment opposés à l'unité chrétienne et à l'autonomie de l'Eglise. Par exemple, on a attribué à certains territoires géographiques des dénominations chrétiennes différentes ; à certains Princes, le pouvoir en matière religieuse (comme il arriva après la guerre de Trente Ans, par le traité de Westphalie, signé à Munster EN 1648, qui établissait le principe absurde : cuius regio, illius religio). Il s'est formé dans les diverses confessions chrétiennes des Eglises séparées une tradition, une mentalité, une bonne foi ; on a écrit des livres et des livres à la défense des différents systèmes théologiques ; chaque Eglise s'est revêtue d'un voile d'orthodoxie intangible ; ou bien on a donné libre cours au principe du libre examen, en autorisant toute interprétation personnelle et arbitraire de la Bible, niant l'autorité du magistère catholique et acceptant celui de maîtres innombrables et contrastants... Où se trouve alors, l'unité de la foi, de la charité, de la communion ecclésiale ?



Tentatives abusives


Les difficultés semblent insurmontables ! L'oecuménisme semble se consumer en un effort illusoire ! Les efforts généreux de l'oecuménisme non catholique, devant reconnaître à chaque dénomination chrétienne sa propre croyance, réveillent, oui, et stimulent le problème de l'unité, mais ils ne peuvent le résoudre sans cette autorité et ce charisme de l'unité, que précisément nous retenons être la prérogative divine de Pierre. Mais Pierre alors, disent certains, ne pourrait-il renoncer à toutes ses exigences ? et les catholiques, et les autres ne pourraient-ils célébrer ensemble l'action la plus haute et la plus définitive de la religion chrétienne, l'Eucharistie ? proclamer que l'unité tant désirée est finalement atteinte ? Il ne peut en être ainsi. Ce n'est pas par cette voie de fait, l'intercommunion, comme on dit aujourd'hui, que l'on peut atteindre l'unité. Comment le pourrait-on sans une même foi, sans un sacerdoce identique et valide ? Ces jours-ci la déclaration, claire et autorisée, du Secrétariat pour l'unité des chrétiens, rappelle la défense d'intercommunion (sauf dans des cas spéciaux et déterminés) et interdit aux catholiques d'y recourir. Ce n'est pas une bonne voie que celle de l'intercommunion, c'est une déviation.

Vous nous demanderez alors si nous ne sommes pas devant un problème insoluble, tant sont nombreuses et graves les difficultés, et tant sont vaines, et parfois dommageables, les tentatives abusives et conformistes pour une unité artificielle.

Non, très chers fils, nous ne devons pas désespérer de l'heureux aboutissement de l'oecuménisme voulu par le récent Concile du Vatican, même s'il est difficile, lent et progressif. Nous vous rappelons que la cause de l'oecuménisme a même beaucoup gagné, ne fût-ce que l'idée, qui nous semble désormais victorieuse, d'un christianisme unique. L'unité est voulue par le Christ. Une Eglise unique doit l'exprimer. La cause de la religion en a besoin. Si tel est le devoir et l'intérêt des Chrétiens, l'unité sera rétablie. D'un mouvement historique et spirituel centrifuge nous sommes déjà passés à une orientation centripète. De grands pas pour que cette orientation devienne un mouvement vers la communion ecclésiale et universelle ont été faits et sont en cours, avec ferveur. La popularité de l'idée oecuménique se répand et gagne les esprits droits et croyants. Le Peuple de Dieu pense, prie, agit, attend et souffre pour son unité pleine et authentique. A Rome, cette année, notre Cardinal Vicaire a organisé une célébration plus intense et plus générale de cette Semaine pour l'Unité de tous les Chrétiens. Au niveau officiel et représentatif, des études sont en cours, des rencontres, des discussions, des propositions pour résoudre les questions multiples et délicates relatives aux divisions qui ne permettent pas encore la réconciliation et la réintégration dans l'unique Eglise. On parle beaucoup de charité entre Chrétiens séparés, et non plus de mépris, de méfiance, d'indifférence. Des initiatives communes dans le domaine culturel, social, caritatif sont déjà l'objet d'une collaboration fraternelle et loyale entre catholiques et non-catholiques. Déjà de tous côtés on cherche à mieux se connaître, à se respecter, à s'aider. La perspective que ce qu'il y a de vrai, de bon et de beau dans les différentes expressions chrétiennes pourra être conservée et intégrée dans la plénitude d'une même confession de foi, de charité, de communion ecclésiale.

On pourrait dire encore autre chose pour prouver qu'il existe un oecuménisme positif et progressif. Mais, répétons-le: le chemin est long, le chemin est difficile ; posons-nous à nous-mêmes, catholiques, une question : que pouvons-nous faire pour abréger et aplanir le chemin ? que chacun se le demande : moi, que puis-je faire pour favoriser la cause évangélique de l'unique bercail et de l'unique Pasteur, qui est le Christ Seigneur ? (cf. Jn 10,16).



Un examen de conscience


C'est un examen de conscience que tous nous devons faire. Réponse générale, et valable pour tous : essayons d'être des catholiques vrais, des catholiques convaincus, des catholiques fermes, des Catholiques bons. Ce ne peut être un catholicisme dilué, approximatif, masqué, et encore moins un catholicisme démenti par les moeurs, qui nous rapprochera de nos Frères séparés. Un mimétisme religieux et moral envers des formes de vie chrétienne facile et discutable n'habilite pas au témoignage ni à l'apostolat, et n'attire pas non plus l'estime, l'exemple, la confiance ; il sert seulement à avilir la cause du Christ et de son Eglise. L'enseignement du Concile vient à propos pour que soit efficace l'attrait de l'unité dans l'Eglise du Christ « tous les Catholiques doivent tendre à la perfection chrétienne (Unitatis redintegratio, UR 4). Nous pourrions ici conclure en mentionnant les vertus qui peuvent, de notre part, aplanir le chemin de la rencontre avec les Frères chrétiens encore séparés de nous : première vertu, l'unité entre nous catholiques : toute division, tout litige, tout séparatisme, tout égoïsme au sein de notre communion catholique atteint la cause oecuménique, retarde et arrête le chemin pour l'heureuse rencontre, démentit l'Eglise où les membres se caractérisent, comme nous l'enseigne le Seigneur, par l'amour réciproque (cf. Jn 13,35). Autres vertus : la fermeté et la simplicité de la foi, alimentée par la Parole de Dieu et par le Pain eucharistique; l'humilité pour le don qui nous a été fait de la recevoir entière et vraie ; la bonté généreuse et ouverte à tous ; l'esprit de service et de sacrifice ; l'amour du Christ, du Christ crucifié et ressuscité !

Et enfin, nous le savons, comme toujours, il faut la prière. Cette entreprise, nous le disions, est si supérieure à nos forces que la force du Seigneur est indispensable. Nous devons l'invoquer, pieusement, humblement, avec confiance. Tous et toujours.

Que notre Bénédiction Apostolique descende sur ces pensées et ces propos.




28 janvier 1970 L'EGLISE EST UNE OBEISSANCE, UNE OBEISSANCE LIBERATRICE

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Chers fils et filles,



Nous sommes à la recherche, en ces années d'après-concile, du style de notre vie morale, de l'art nouveau de notre activité par rapport à notre foi, de la manière d'interpréter dans la pratique notre profession chrétienne. Nous nous rendons tous compte de deux choses. D'abord que l'Eglise, la théologie de l'Eglise, doit exercer une influence prédominante dans notre conception religieuse, et que de la doctrine de l'Eglise, de l'idée que nous nous faisons de l'Eglise doit dépendre en grande partie notre comportement et notre religiosité. L'Eglise doit donner une empreinte caractéristique nouvelle à notre adhésion au christianisme. Ce que le Concile nous a enseigné marque la forme de notre moralité.

En second lieu, nous nous rendons compte que le Concile a développé l'enseignement de l'Eglise sur divers aspects de la vie humaine, par lesquels la personne est exaltée, grandie, affranchie, mise en un certain sens au centre du système doctrinal et pratique de la religion chrétienne. Le Concile parle de vocation, de conscience, de liberté, de responsabilité, de perfection de l'homme. L'anthropologie est mise en relief et ennoblie, et certainement pas aux dépens de la théologie et de la christologie ; car c'est même de ces doctrines que l'anthropologie tire sa lumière et sa consistance. Mais il est certain que depuis le Concile l'homme est grand et capable de mesurer victorieusement sa grandeur et son efficacité avec celles que l'humanisme profane contemporain attribue à son type idolâtrique d'homme lourd, actif, commerçant, jouisseur, intolérant du monde moderne.

Si tel nous apparaît, dans une synthèse extrêmement simplificatrice mais exacte, l'enseignement moral du Concile, nous osons offrir à votre réflexion une formule : l'Eglise est une obéissance, une obéissance libératrice. Une formule paradoxale, à première vue peu attirante. Mais examinons-la un peu plus.




Pont entre Dieu et l'humanité


Que l'Eglise soit une obéissance, au sens général du terme, c'est clair. Nous savons que l'Eglise est une société, une communion, un peuple organisé et gouverné pastoralement : tout cela implique une adhésion valable, une obéissance. Cela sur le plan, comme on dit aujourd'hui, horizontal. C'est d'autant plus vrai au plan vertical. L'Eglise est un signe, un sacrement, un pont entre Dieu et l'humanité ; entre Dieu qui projette la lumière de sa révélation sur l'humanité laquelle, entrant par la foi dans son rayonnement, revit à la grâce, acquiert un nouveau principe de vie et est appelée et aidée à vivre surnaturellement. C'est-à-dire que l'Eglise, par l'intermédiaire du Christ, est un rapport bien déterminé avec Dieu. La volonté de Dieu, sa volonté nouvelle sur l'homme, la charité, devient un rapport très exigeant. Au « fiat » divin, qui inaugure l'économie du salut, doit répondre le « fiat » humain qui accepte d'entrer dans cette économie sublimante. Marie enseigne : « Qu'il me soit fait selon ta parole » (la parole de l'ange à l'annonciation,
Lc 1,38), Jésus enseigne : « Ce n'est pas en me disant : Seigneur, Seigneur, qu'on entrera dans le Royaume des Cieux, mais en faisant la volonté de mon Père qui est dans les cieux » (Mt 7,21). Faire la volonté du Père, telle est la condition, la norme ; l'obéissance est la vertu morale fondamentale qui est la base de nos relations avec le Christ et Dieu : l'Eglise les fixe, et nous ouvre les lèvres pour nous faire répéter la prière évangélique : « Fiat voluntas Tua ».



La règle de la foi


La démonstration que l'obéissance est loi constitutionnelle de l'Eglise, repérable dans tout catéchisme et dans tout livre de spiritualité et de morale catholique, s'appuie sur d'innombrables textes même quand l'obéissance est considérée comme une vertu particulière, c'est-à-dire comme soumission d'hommes à d'autres hommes, daris l'exercice de l'autorité ; car, comme dans toute société, l'autorité existe, l'autorité est indispensable ; avec ce double caractère : l'autorité dans l'Eglise ne naît pas de la base, ni du nombre, mais de l'institution originelle et immuable du Christ, comme tous le savent ; et l'autorité dans l'Eglise a pour objet non seulement les actions extérieures de qui en accepte la conduite mais, dans une certaine mesure, aussi des actions intérieures non sans importance, comme, par exemple, la règle de la foi : l'adhésion à la foi est libre, mais ensuite oblige la norme de la foi elle-même, norme dont l'Eglise est garante et tutrice. S. Paul dit : « ... les armes de notre combat sont... puissantes en Dieu... nous détruisons les sophismes, ... et nous faisons toute pensée captive pour l'amener à obéir au Christ, et nous sommes prêts à châtier toute désobéissance, dès que votre obéissance à vous sera parfaite » (2Co 10,4-6). Ainsi parlait l'apôtre de la liberté : « de cette liberté avec laquelle le Christ nous a libérés » (Ga 5,1) ; parce que, il le répète aux premiers chrétiens : « vous avez été appelés à la liberté... » (ib. Ga 5,13).

D'où cette question : comment s'explique cette double manière de parler ? quel est le sens de ces paroles : obéissance et liberté ? Quelle est leur valeur pratique ? Il faudrait en réalité faire ici une leçon d'exégèse, d'explication des termes de l'Ecriture qui nous intéressent maintenant, et spécialement sur deux termes qui dans les textes bibliques ont des sens différents : la loi et la liberté.

Mais il nous suffit maintenant de vous faire remarquer que la formule que nous vous avons énoncée : l'Eglise est une obéissance libératrice, n'est pas contradictoire. Le fait d'être associé à un ordre constitue le détachement d'un autre ordre, et, dans le cas de l'homme, d'un désordre grave et fatal ; ainsi le fait d'appartenir à l'ordre de l'Eglise exige, bien sûr, une adhésion uniforme consciente et virile, mais il confère en même temps une libération des chaînes les plus lourdes : celles de l'ignorance quant à Dieu et à notre destin, celles du péché, de la solitude, de la caducité et de la mort ; libération qui met en mouvement intensif, libre et responsable, les capacités de l'homme : intelligence, volonté et aussi richesses de son esprit et de sa capacité de se former lui-même, et donc son aptitude dans le domaine du bien, de la justice, de l'amour et de l'art.

Il s'agit de comprendre vraiment ce qu'est l'Eglise, l'éducation qu'elle veut nous donner, la chance que nous avons d'être ses fils, l'exigence que nous avons de lui être fidèles.

La grande tentation de notre génération est la fatigue devant les vérités que nous avons le privilège de posséder. Beaucoup d'hommes qui sentent la gravité et l'utilité des changements enregistrés dans le domaine scientifique, instrumental et social, perdent la confiance dans la pensée spéculative, dans la tradition, dans le magistère de l'Eglise ; ils se méfient de la doctrine catholique ; ils pensent s'affranchir de son caractère dogmatique ; ils ne voudraient plus des définitions pour tous et qui engagent pour toujours; ils se donnent l'illusion de retrouver une autre liberté, et n'apprécient plus celle dont ils jouissent, altèrent les termes de la doctrine sanctionnée par l'Eglise, ou leur donnent une nouvelle interprétation arbitraire, faisant étalage d'érudition et d'intolérance psychologique ; ils rêvent peut-être de modeler un nouveau type d'Eglise qui réponde à leurs intentions nobles et hautes parfois, mais un type d'Eglise non plus authentique comme le Christ l'a voulue, l'a développée dans l'histoire et l'a faite mûrir. Il survient alors que l'obéissance se relâche, et avec elle la liberté, caractéristique du fidèle croyant et agissant dans, avec et pour l'Eglise, qu'elle diminue et est substituée par l'observance inconsciente d'autres obéissances, qui peuvent devenir lourdes et contraires à la vraie liberté du fils de l'Eglise.

Newman, le grand Newman, à la fin de sa fameuse « apologie pro vita sua », nous parle de sa paix dans son adhésion à l'Eglise catholique : c'est un exemple à se rappeler.

Que vous réconforte dans votre fidélité notre Bénédiction Apostolique.



4 février 1970 SE FORMER A LA BONNE VOLONTE DANS LE STYLE ET L'ESPRIT DU CONCILE

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Chers fils et filles,



Nous continuons à méditer sur les enseignements que le Concile a définis comme un événement qui constitue pour notre temps une « summa », un résumé très riche et autorisé de doctrines et de normes pour les besoins de notre époque, et marque un moment caractéristique et décisif dans le cours de la tradition catholique par les trésors de vérité qu'il garde du passé et ceux qu'il ouvre pour l'avenir.

De ce bref moment de réflexion générale sur l'orientation morale qui nous vient du Concile, nous pouvons recevoir une impression très féconde et instructive d'optimisme. Qu'entendons-nous par optimisme ? Il nous semble qu'on peut le comprendre avant tout comme un sens de bonté, de sérénité, de confiance, d'espérance, d'animation, suscité en général dans celui qui reconnaît l'inspiration pastorale, l'intention consolatrice, l'ouverture confiante, qui parcourent les documents et les actes du Concile. Le Concile est une grande leçon, une infusion bienfaisante de bonne volonté. Qui l'accepte, qui l'étudié, qui le suit, sent en lui-même un stimulant à croire, à espérer, à aimer ; une charge de bonne volonté, une poussée au renouveau et au progrès, un attrait à l'action ; disons-le : un charisme de vivacité chrétienne.



Pédagogie de Vatican II


Pourquoi ? parce que dans tout ce dont le Concile traite, il considère le côté positif, le bien : il le voit et le cherche. Il n'est pas aveugle sur les aspects négatifs de ce qu'il considère comme l'obscurité des profondeurs divines, soit dans le cadre des desseins de l'humanité, le malheur que le péché a infligé à la vie humaine, les pièges permanents de Satan dans le jeu des événements de notre vie sociale et personnelle, et ainsi de suite ; soit dans le cadre de l'histoire de l'Eglise, quant à la caducité de ses membres et de certaines de ses institutions ; soit encore à l'intérieur du coeur humain, où l'erreur et la malice peuvent porter tant de ruines. Mais, alors que dans le passé les enseignements conciliaires se terminaient régulièrement par l'exposition, le regret et la condamnation de quelque erreur, avec le classique « anathema sit », la pédagogie de Vatican II tend au contraire à mettre en lumière ce qu'il convient de louer, apprécier, faire et espérer.

Le Concile, disions-nous, est tourné vers le bien, vers celui qui existe pour le reconnaître, pour en jouir en Dieu et pour le célébrer, dirons-nous, d'une manière franciscaine et évangélique ; vers celui qui n'existe pas, pour le désirer, pour le récupérer s'il est perdu, pour le développer si c'est possible. Les valeurs positives sont toujours présentes à son regard pénétrant, toujours exposées dans son langage très sage. Dans toute chose, dans tout événement, le Concile révèle un reflet réel ou possible de la Bonté divine, et éduque et pousse ses disciples à le découvrir et à y accrocher leur bonne volonté.



Le bon Esprit


Nous devrions ici faire une étude de la « bonne volonté », laquelle nous porterait à la rechercher au-dessus de nous, c'est-à-dire dans la bienveillance de Dieu qui nous a mystérieusement élus comme objet de son amour (cf.
Lc 2,14 Rm 8,28), mettant en nous la vertu surnaturelle de la charité, cette nouvelle capacité d'aimer, de tendre au Bien (cf. S. françois de sales, Théotime, II, IX). Mais, même en nous limitant à la psychologie naturelle de l'homme, nous aurions beaucoup à réfléchir sur la bonne volonté, car elle dépend de la droiture morale, de l'art pédagogique, de l'art oratoire politique; nous verrions qu'elle dépend encore de la rationalité, de la conception que nous avons du bien, et qu'il est donc de première importance de connaître ce qui mérite vraiment cette appellation souveraine de bien, autant en général qu'en particulier, en soi que pour notre usage.

Nous aurions ici un fil conducteur pour avancer dans le diagnostic des phénomènes volontaristes contemporains, qui impressionnent tant et si justement l'opinion publique : la notion du bien, motrice de la volonté, conduit le jeu, qui devient habitude, mode, mouvement. Nous avons besoin de rendre claire et attrayante cette notion, de la rendre surtout vraie et authentique, pour donner à la volonté cette attitude qui la définit comme bonne.

Nous pensons que la doctrine que le Concile nous offre est apte à nous éduquer à la bonne volonté : d'abord par les valeurs, c'est-à-dire les biens qu'elle illustre, comme le salut dans le Christ, l'homme, le monde, le progrès, la liberté, la justice, la paix, etc. ; ensuite par l'aptitude qu'elle nous confère à reconnaître et à aimer ces autres valeurs: espérance, vivacité, sérénité, bon « Esprit ».



Critères féconds


Le bon « Esprit » est le coeur de l'optimisme sain, tel qu'il nous semble transparaître du style moral de tout le Concile. Cet optimisme voit d'abord tout sous un jour serein (qui est d'ailleurs celui de l'économie divine dans le destin humain). Donc, le sain optimisme n'est pas défiant, susceptible, irrité, acide ; il ne s'amuse pas à souligner les défauts qui se découvrent facilement en tout homme; plus celui-ci occupe une situation élevée, plus il les montre ; il ne se spécialise pas dans la pure satire et la démolition ; il ne soulève pas des questions pour se mettre en valeur par leur dénonciation et aggravation et par leur transformation en agitations ennuyeuses et dommageables ; il ne « se sert pas de la liberté comme voile de la malice » (comme il est écrit dans la 1° Epître de Saint Pierre 1P 2,16) ; il ne tire pas sa force de la haine et du désespoir érigé en système. Non. Le bon optimisme sait juger franchement le mal (qui souvent croît justement avec le progrès du développement moderne), cependant, « il ne se laisse pas déprimer par le mal, mais essaie de le dépasser par le bien » (cf. Rm 12,21) ; il ne se spécialise pas dans la volonté de rendre insolubles les problèmes pour en tirer prétexte à des attitudes de violence ou de révolution ; il s'efforce de résoudre les problèmes, non en gonflant ses désirs jusqu'à l'impossible, mais, avec un sain réalisme social, il sait aussi « se contenter de peu » ; il ne dédaigne pas l'humble effort, graduel et constant vers le bien cherché dans les petites comme dans les grandes choses ; il cherche en somme toujours à construire, non à démolir ; et dans chaque situation il cherche les tracés de la Providence, en espérant et en priant.

On peut donc répéter, à propos de la formation morale et spirituelle que le Concile nous enseigne, la célèbre exhortation de Saint Paul : « Frères, tout ce qu'il y a de vrai, de noble, de juste, de pur, d'aimable, d'honorable, tout ce qu'il peut y avoir de bon dans la vertu et la louange humaines, voilà ce qui doit vous préoccuper... » (Ph 4,8-9).

Il nous semble que cette citation peut se référer au Concile, et être comme la louange magnifique du renouveau moral et chrétien que nous cherchons, comme une sage orientation pour l'entraînement des jeunes à la vie moderne, comme un critère fécond pour la définition des rapports de distinction et de compénétration de la conception chrétienne du monde par rapport à celle du monde profane, une habilitation à jouir de la vie présente, de sa beauté, de sa richesse, de son évolution sans perdre le secret profond de la « bonne volonté », qui se trouve dans la Croix du Christ. A vous ce souhait, avec notre Bénédiction Apostolique.






11 février 1970 UN OPPORTUN RAPPEL DU SENS DE LA PENITENCE ANNIVERSAIRE DES ACCORDS DE LATRAN

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Chers fils et filles,


En ce premier jour de carême, quel est le rite que nous avons accompli ?

Un rite qui tire son origine de l'antiquité ; l'Ancien Testament nous l'a enseigné, les origines chrétiennes l'ont pratiqué, la liturgie, dès le moyen-âge, l'a fait sien, l'esprit religieux chrétien de notre temps l'a conservé ; c'est le rite de l'imposition des cendres sur la tête des membres de la communauté ecclésiale, qu'ils soient ministres ou fidèles. Il parle de lui-même : un langage impressionnant et très significatif quant à la précarité de notre vie, inéluctable vérité qui détruit notre opinion habituelle et illusoire de sa stabilité ; et ceci, qu'il s'agisse de la conscience très réaliste que nous devons avoir de notre misère morale, ou du besoin de confronter cette inanité de notre être avec le mystère de Dieu, qui dans cette vision objective mais unilatérale de notre condition fragile et coupable nous apparaît avec son caractère terrible et inexorable ; ou de la nécessité impérieuse de surmonter le désespoir qui semblerait être la conclusion fatale de notre bilan humain désastreux, si une autre voie ne nous était offerte; cette voie est une possibilité, que nous sentons proche et providentielle : la pénitence. Une parole très sévère, mais, au fond, très réconfortante, une parole de Jésus frappe à la porte de notre conscience : « Si vous ne faites pénitence, vous périrez tous » (
Lc 13,5).



Pénitence et civilisation du bien-être


Quelle pensée inhabituelle pour notre génération qu'on appelle l’ère du bien-être ! Nous ferions bien de réfléchir sur cette définition de la vie moderne, qui semble renfermer la synthèse de la sagesse pratique et qui guide la philosophie populaire et la politique sociale de notre temps : le bien-être, c'est-à-dire la satisfaction pour l'homme non seulement de tous ses besoins fondamentaux, mais aussi l'attribution des facilités, des commodités, des loisirs, des divertissements, des plaisirs, qui voudraient rendre la vie heureuse. Cela semble être la conception idéale de la civilisation, le but du progrès, la fin à laquelle tous aspirent : le bien-être, le bonheur présent ; un état dont sont absents la pauvreté, la douleur, la fatigue, l'obéissance, le renoncement, l'abnégation et finalement la pénitence. Vivre à son aise, avoir des moyens, être libres, jouir de la vie..., voilà ce que désormais tous cherchent, et obtiennent de plus en plus. Comment se fait-il que l'Eglise vient encore nous parler de pénitence ?

La perspective devient large et la scène intéressante. Il faut la méditer. Tout d'abord pour justifier l'Eglise, ou plutôt le Christ par rapport à l'accusation de rendre notre existence triste, de la priver de ce dont elle a besoin ; pour la disculper en mettant parmi les besoins humains tout sain progrès. L'Eglise non seulement ne s'opposera pas au bien-être légitime et moderne, mais elle le favorisera. Cependant elle trahirait sa mission, tournée vers le vrai bien de l'homme, si elle le laissait dans l'illusion que le bien-être suffit à le rendre heureux ; et que le bonheur du bien-être, même s'il est accessible, est suffisant au destin vers lequel est tournée la vie de l'homme ; l'illusion que cette vie ne comporte d'autres exigences que celles que le bien-être culturel et économique moderne peut satisfaire. Nous ne le prouverons pas maintenant ; ce serait facile mais long : nous savons tous que l'hédonisme porte l'homme à s'arrêter à ses propres limites, à ne pas se dépasser — comme le voudrait son destin —, et donc à faire croître sans fin ses désirs, et même à les satisfaire à des niveaux proportionnellement inférieurs à sa nature rationnelle, élevée vers une mystérieuse transcendance religieuse ; à en chercher l'accomplissement insatiable dans les passions dégradantes, dans l'oubli des fins supérieures, dans le vice et dans l'angoisse.



Réveiller la conscience et choisir une voie de dignité chrétienne


L'Eglise ne renonce pas à faire comprendre à l'homme qui se cherche seulement lui-même, sa propre tromperie, sa bassesse, sa nécessité de purification et d'élévation. Voici le premier chapitre de la pénitence : le réveil de la conscience ; comme on le lit dans la parabole de l'enfant prodigue : « in se reversus », rentré en lui-même (Lc 15,17). Puis vient le chapitre des choix : l'homme est un être très compliqué ; il ne peut se développer sans choisir un plan à la fois libre et logique, celui de la raison, de la vérité. Et cela comporte abnégation et effort ; l’abstine et sustine, de la sagesse stoïque : il faut une maîtrise de soi, une hiérarchie dans les actions, une modération dans certains actes, et le développement dans d'autres actes, c'est-à-dire qu'il faut suivre un dessein, une loi, un modèle d'homme vrai et complet, que nous savons être le Christ, le vrai Fils de l'homme. Dans son immense estime pour l'homme, et dans son immense amour, il nous dira deux choses : que dans l'homme il y a un désordre mortel, le péché; et que seul Lui, le Christ, peut le réparer. Et alors la réponse de l'homme, connaissant ce diagnostic indiscutable, sera de se mettre dans une attitude marquée par un double sentiment : douleur intrinsèque et amour implorant. Tout cela est la pénitence.

Nous comprenons combien elle entre nécessairement dans la psychologie, dans la conscience, dans la vérité de l'homme ; et plus l'homme est en mesure de comprendre le drame qui le touche, plus il appréciera cette sagesse rédemptrice. Faisons en sorte, très chers Fils, de la faire nôtre, spécialement en ce « tempus acceptabile », en ce moment propice qu'est le Carême ; et nous constaterons qu'elle ne provoque ni la tristesse, ni l'amoindrissement de la vie, qu'elle nous conduit par contre à l'espérance et à la joie de la Pâque de Résurrection.




Les Accords de Latran


Avant de conclure par la Bénédiction habituelle ces brèves paroles, il nous semble opportun d'en ajouter une autre, sur un thème bien différent, mais toujours en liaison avec le bien spirituel de ceux qui nous écoutent.

Nous ne pourrions en effet oublier, aujourd'hui, 11 février, une date qui, si elle a une signification particulière pour l'Italie et pour l'Eglise de Dieu qui vit à l'intérieur de ses frontières, a non moins d'importance pour le Saint-Siège, et donc pour toute la grande famille catholique répandue dans le monde entier : nous voulons parler de l'anniversaire de la Conciliation entre l'Etat Italien et le Saint-Siège, c'est-à-dire des Accords de Latran.

Les Accords de Latran — nés à une époque que des esprits sincères et généreux avaient prévue et préparée — mirent fin, il y a maintenant 41 ans, au conflit prolongé et nocif qui avait opposé le Pape au Pays où le Successeur de Pierre, premier Evêque de Rome, par une disposition de la Providence a sa résidence et où se trouve l'ensemble des organes qui lui sont nécessaires pour pouvoir exercer convenablement sa fonction de Vicaire du Christ au service de l'Eglise universelle.

Ils y mirent fin grâce à la renonciation du Saint-Siège à ses droits sur ce qui avait été pendant des siècles les « Etats Pontificaux ». La Papauté se contentait d'un territoire minimum, suffisant pour démontrer et garantir humainement sa souveraineté et son indépendance par rapport à tout pouvoir gouvernemental. D'autre part l'Italie reconnaissait solennellement cette souveraineté et cette indépendance, et sous une forme valable au point de vue international. Grâce au Concordat, la situation de l'Eglise et des catholiques dans l'Etat italien, situation jusque-là incertaine et insuffisante, fut réglée définitivement et d'heureuse manière.

Le Saint-Siège a reconnu plusieurs fois que la concorde ainsi rétablie a été féconde en fruits bons et utiles pour l'Eglise et pour l'Etat. Elle garantit la possibilité d'une harmonie de rapports qui ne confond ni subordonne l'un à l'autre les pouvoirs respectifs, mais souligne et exalte l'indépendance et la souveraineté de chacun dans son propre ordre.

Nous ne pouvons ne pas souhaiter vivement au Saint-Siège et à l'Italie, que cet équilibre ne connaisse pas de secousses et encore moins de fêlures ou de cassures.

Nous avons accédé sans aucune difficulté à la proposition d'une révision bilatérale, c'est-à-dire accomplie dans un travail commun et de commun accord, de ces normes du concordat qui paraîtraient ne plus correspondre à la situation nouvelle. Par amour de la paix, pour l'honneur même de l'Italie et pour le plus grand bien de tout le Peuple Italien, nous croyons sincèrement — et le souhaitons de tout coeur — qu'ainsi sera évité tout ce qui, par une décision unilatérale, pourrait porter atteinte à ce qui a été décidé solennellement de commun accord.

Nous pensons en particulier, vous l'avez bien compris, au point si important du mariage chrétien, que le Concordat a voulu entouré de garanties stables, et que Notre grand prédécesseur Pie XI considérait comme l'un des résultats les plus précieux de cette réconciliation.

C'est par ces souhaits que nous accordons à vous tous et à ceux qui voudront les partager notre Bénédiction Apostolique.




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