Catéchèses Paul VI 25370

25 mars 1970 LE PECHE SOURCE DES MAUX DU MONDE ACTUEL

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Chers fils et filles,

C'est aujourd'hui le mercredi saint : il nous semble impossible de parler d'autre chose, en ce prélude du drame pascal, que de notre attitude, comme hommes et comme chrétiens, en face du mystère que ce drame contient, signifie et renouvelle: le mystère de notre salut. Mystère divin et humain ; mystère profond jusque dans les insondables raisons de la justice et de la bonté divine ; mystère du Christ « qui ne connaissait pas le péché, que (Dieu) a fait péché pour nous, afin qu'en Lui nous devenions justice de Dieu » (
2Co 5,21) ; mystère dans lequel la douleur, qui semble une ennemie inutile de notre existence, est transformée en valeur précieuse de notre rachat, mystère de la mort victorieuse et défaite par le triomphe d'une forme de vie nouvelle et supérieure. Dans ce mystère se trouve le noeud dans lequel se lient et se délient toutes les questions sur le destin de l'homme, que nous le sachions ou non, que nous le croyions ou non ; nous y sommes tous impliqués.



Nécessité du salut pour tous


Une affirmation fondamentale s'impose ici : nous avons tous besoin de salut (cf. Lumen Gentium, LG 53 1Tm 2,4) ; en naissant nous sommes plongés dans cette aventure inévitable ; l'oublier est aveuglement ; la refuser est perdition. Nous devons nous sauver.

Et voici une autre conclusion logique : nous devons avoir conscience de ce besoin ; c'est-à-dire, que nous devons avoir conscience du mal, du mal en nous, du mal qui est dans le monde. Ce n'est pas un pessimisme désespéré, c'est du réalisme ; et pour nous, croyant dans le salut qui nous vient du Christ Sauveur, c'est le diagnostic sincère et salutaire qui précède le retour de la santé. Nous ferons bien d'éclairer nos idées sur cet aspect de la vérité humaine ; nos idées souffrent des désordres d'une double confusion, celle qui est engendrée par un optimisme ingénu, à priori, auquel nous a habitués le naturalisme moderne ; et celle d'un pessimisme angoissé, dont le triste maître est un certain existentialisme qui dévoile impitoyablement la misère radicale de l'expérience humaine, sans pouvoir y porter d'autres réconforts que ceux d'un fatalisme résigné ou d'un hédonisme artificiel.

Que ferons-nous pour entrer dans le rayon de lumière du salut chrétien ? Nous accepterons la lumière. Celle-ci, en projetant le regard divin sur nous, nous révèle notre ruine multiforme ; elle nous donne — nous le disions auparavant — une conscience première et salutaire du mal. Notre bien commence par la connaissance de notre mal. Celui-ci est, malheureusement, comme la marée envahissante : « une vague passa sur ma tête ; j'ai dit : je suis perdu ! » c'est la voix de Jérémie que nous entendrons gémir dans les lamentations qui font vibrer les offices de la Semaine sainte d'incomparables émotions ; il serait heureux que leurs frémissements de vérité désolée viennent frapper nos âmes ces jours-ci.



Retrouver le sens du péché


Mais nous allons condenser en deux points cette science du mal, qui nous prépare à participer au mystère du salut pascal. Le premier point nous regarde tous personnellement, c'est celui du mal suprême, le péché ; lui aussi a une histoire extraordinaire. Elle nous transperce tous dans l'hérédité malheureuse du fameux péché originel, cause première de la mort et des déséquilibres psychiques et moraux qui troublent notre vie morale (cf. Rm 5). Le baptême nous a sauvés de ce malheur fatal, mais ne nous a pas complètement guéris de ses conséquences, d'où dérivent tous les autres maux dont nous sommes coupables ; ce sont nos péchés, actuels, ennemis eux aussi mortels de notre vraie vie, qui est l'union avec Dieu, source unique et première de la vie. C'est un discours difficile mais inévitable. Nous autres modernes nous sommes en train de perdre le sens du péché. Pie XII, notre vénéré prédécesseur, déclara que « probablement le plus grand péché du monde d'aujourd'hui est que les hommes ont commencé de perdre le sens du péché » (Disc. VIII, p. 288). Et cela s'explique. En perdant le sens de Dieu et la perception de notre rapport avec Lui, rapport toujours nécessaire (la loi morale) dans le domaine de notre agir et donc dans celui de notre comportement responsable en dépendance de Lui, on perd aussi le sens du péché : l'homme pense en être libéré, mais en réalité il s'est libéré de la boussole qui dirige son propre avenir conscient et vital : il demeure seul et sans principes absolus pour distinguer le bien du mal et pour donner au devoir sa valeur transcendante ; sans Dieu, tout peut être permis (cf. Dostoïevski). Mais un sens obscur et inépuisable d'indignité et d'incapacité se glisse dans l'esprit de celui qui agit sans plus faire référence à Dieu, et cela devrait suffire pour ne pas dédaigner, même pour accueillir, avec une joie ineffable la rencontre avec le Christ, qui donne en même temps la conscience du péché et celle de sa miséricordieuse et victorieuse réparation.

Nous sommes dans le christianisme le plus authentique, nous sommes dans la première phase de la célébration de la Pâque : la pénitence, le repentir, la douloureuse mais bénéfique sincérité avec soi-même, avec Dieu, la confession sacramentelle ; nous sommes, avec l'enfant prodigue à la porte de la maison familiale : « Père, j'ai péché contre le ciel et contre toi, je ne suis pas digne d'être appelé ton fils » (Lc 15,19 Lc 15,21). Voilà une science du mal qui ouvre la porte de la reconquête du bien. Que de choses il y aurait à dire, mais vous les savez déjà !



Lucidité sur les maux et les besoins du monde


Second point de cette sagesse douloureuse : la connaissance, et avec elle le regret et, dans la mesure du possible, la réparation des maux qui sont dans le monde. Qui pourrait jamais en faire la liste ? Qui pourrait en mesurer l'extension ? Qui peut se dire innocent ? « Nous savons, écrit l'apôtre St Jean, que le monde entier est au pouvoir du mauvais » (1Jn 5,19). Nous ne devons pas être ignorants, non plus, de ce mal aux mille faces. Comme nous ne pouvons être d'accord avec ceux qui dénoncent fièrement seulement les maux qui existent en dehors de leurs personnes et de leur responsabilité, et oublient le « mea culpa » pour leurs propres péchés et leur propre coresponsabilité (aujourd'hui cette attitude est si fréquente), ainsi nous ne pouvons approuver ceux qui restreignent leur sensibilité morale au domaine de leur conscience personnelle et se désintéressent des maux, des douleurs, des besoins, dont souffre la société, même si ces éléments négatifs sont du domaine temporel plutôt que religieux. La Pâque nous oblige à regarder aussi cette scène de l'humanité. Ces maux qui ont neutralisé la vie terrestre du Christ : l'impiété, l'hypocrisie, l'injustice, la méchanceté, la délinquance, la cruauté, la lâcheté, la faiblesse humaine, sont encore là; et comme ils furent mis en évidence dans la Passion du Christ crucifié, ils doivent et peuvent recevoir un élan de repentir, de rédemption, de renaissance du mystère pascal.

Et le seul regard que nous sommes obligés de porter sur les désordres et les souffrances qui font partie du panorama historique et social à cette heure de la vie moderne, nous remplit d'une douleur immense qui devient ensuite amour immense pour nos frères et confiance immense dans les charismes rédempteurs de la mort et de la résurrection de Notre Seigneur Jésus.

Comment demeurer insensible à ce qui se passe aujourd'hui dans le monde ? Ces causes de douleur sont si nombreuses que nous renonçons à en faire la liste ordonnée et complète. Disons seulement que nous sommes frappés en particulier par les conflits armés qui, dans le Proche et l'Extrême Orient, au lieu de se calmer, deviennent toujours plus âpres et se prolongent ; nous sommes impressionnés par les armements toujours plus puissants, phénomènes irrationnels et présages décevants pour l'avenir; ils constituent une très grande partie du commerce entre les grandes puissances industrielles et les nations plus faibles qui auraient besoin d'une tout autre aide; l'intransigeance raciste et les injustes discriminations ethniques et sociales nous semblent d'ignobles restes du passé ; et nous ne croyons pas que des idéaux de liberté et de justice suffisent à justifier la violence, la vengeance, les représailles, les actes de terrorisme et les guérillas, souvent tournées contre l'autorité légitime, ou infligées à des populations désarmées ; nous ne pouvons que déplorer et souhaiter que, pour l'honneur même de Pays qui nous sont chers, les faits démentent ces cas de torture policière qu'on leur attribue, dont on a tant parlé et pour lesquels nous-mêmes, non sans espoir, sommes intervenus. Nous souffrons de manière aiguë de la contrebande intolérable et clandestine, mais malheureusement si organisée, de la drogue, toxique non moins pour la santé physique que pour la santé morale et psychique, répandue surtout parmi la jeunesse. Il nous semble dégradant pour toute société civile que l'on séquestre des personnes pour en faire l'objet de représailles, de rançon, de vengeance ; nous avons toujours sur le coeur les conditions d'insuffisance économique et sociale des pays en voie de développement et de bien des couches sociales ; et nous souffrons toujours, même si nous devons le supporter en silence, du manque de liberté religieuse qui, malgré la proclamation de tant de principes, ne trouve pas, dans certaines régions le droit d'exister, et parfois même pas un minimum pour pouvoir professer la foi chrétienne. Ce sont ces maux qui sont d'autant moins en accord avec le mystère pascal qu'ils sont rendus criminels et déplorables par un acte volontaire. Ce triste « tour d'horizon » devrait aussi embrasser l'immense domaine des douleurs supportées par une grande partie de l'humanité : nous voudrions envoyer aux malades, aux pauvres, aux prisonniers, aux orphelins, aux veuves, ... à ceux qui souffrent et pleurent, ce réconfort que la Croix offre à la douleur humaine : une utilité rédemptrice, une revalorisation.

Mais arrêtons-nous ici : et, l'esprit conscient de nos maux moraux, physiques et matériels, allons vers la « spes unica », la croix du Christ, trophée non plus de mort, mais de résurrection : que celle-ci soit la Pâque, avec notre Bénédiction Apostolique.



Aux pèlerins de langue française


Parmi les très nombreux groupes qui se pressent à cette audience, Nous sommes heureux de saluer tout particulièrement le millier d'étudiants qui participent à la troisième rencontre universitaire européenne, organisée par l'Institut pour la coopération universitaire. Ensemble, vous réfléchissez au problème si important de « la démocratisation de l'Université en Europe : sélection scolaire et sélection sociale ». C'est là une question fort importante, pour vous tout d'abord, bien sûr, mais aussi pour l'avenir de l'Europe. De tout coeur, chers jeunes, nous vous encourageons dans vos recherches, et nous vous félicitons de cette rencontre.

Nous sommes sûr que ce séjour de travail à Rome pendant la Semaine Sainte vous sera fort profitable. Vous découvrez ici les racines d'une civilisation dont nous sommes les fils, vous vous émerveillez devant des trésors d'art et d'histoire, vous découvrez aussi que la même foi anime les croyants d'aujourd'hui, la même foi que celle des apôtres Pierre et Paul, aussi pleine de promesses qu'hier, aussi riche de dévouement et de générosité, aussi enthousiaste. Chers fils, que cette Pâque romaine vous aide à mieux découvrir, à mieux aimer le Christ, toujours jeune, toujours présent, toujours agissant au fond des coeurs.

C'est Lui qui suscite en vous le désir de faire de votre vie quelque chose de grand, la volonté de suivre un idéal, le refus de vous laisser enliser dans les médiocrités de la vie qui sont trop souvent le partage des adultes, le courage de vous engager dans des actions patientes et continues pour améliorer la société, la rendre plus humaine, plus fraternelle. Dans cette oeuvre difficile, mais si exaltante, nous vous encourageons de tout coeur, pour qu'à travers les inévitables tâtonnements, se construise un monde plus évangélique, se bâtisse une cité fraternelle, accueillante à tous, et fondée sur l'amour du Christ, source, pour tous, de vie, de lumière, de paix, de joie.

Parmi ces jeunes européens, nous avons un plaisir particulier à saluer les Français de Strasbourg, conduits par l'abbé Ramp. Chers fils, vous êtes venus à Rome témoigner de votre attachement au Pape et de votre fidélité à l'Eglise : merci de cette affection, nous avons la même pour vous et pour vos professeurs. Dans les tensions qui secouent aujourd'hui et affrontent professeurs et étudiants, quelle joie de vous voir tous ici, fraternellement unis, dans une même recherche des beautés de l'art romain, dans un même amour du successeur de Pierre, dans une même volonté ardente de vivre à plein votre vie de baptisés, de membres du peuple de Dieu, en un mot, de catholiques. Demain, rentrés à Strasbourg, vous pourrez témoigner de cette vitalité de l'Eglise, de cette jeunesse de la foi que vous avez rencontrées ici, dans cette ville où tous les catholiques du monde entier se sentent vraiment chez eux, comme les membres d'une même famille. Oui, soyez pleinement, généreusement catholiques, enracinés dans la foi des apôtres, débordants d'espérance, et animés de cette charité qui demeure toujours la marque des vrais chrétiens.

Un mot enfin pour le pèlerinage à Rome du Vicariat aux Armées françaises : chers fils, à Rome, puis à Assise, que ces journées de la Semaine Sainte soient pour vous riches de grâces de foi, et source d'un renouveau de vie chrétienne et de témoignage apostolique dans l'accomplissement du devoir quotidien. A vous, à vos épouses, à vos familles, de grand coeur, notre paternelle Bénédiction Apostolique.




1° avril 1970 REALITE DU MYSTERE PASCAL

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Chers fils et filles,

Tous ceux qui sont aujourd'hui ici, tous nous sommes encore remplis du souvenir, de l'émotion et de la grâce — que Dieu le veuille — de la célébration du mystère pascal.

Mystère pascal : voilà une expression théologique moderne et heureuse, dont le Concile s'est souvent servi pour résumer l'oeuvre de la rédemption accomplie par le Seigneur moyennant son sacrifice et sa résurrection, moyennant la diffusion de sa grâce et moyennant la distribution de cette grâce aux âmes par la voie des sacrements. La célébration liturgique rappelle et renouvelle le prodige de cette économie rédemptrice, spécialement dans la Sainte Messe (cf. Sacrosanctum Concilium,
SC 5). Mystère pascal : c'est une expression très dense de signification, qui devra alimenter en nous le concept synthétique des événements, des enseignements, des grâces et des devoirs, qui se réfèrent à l'histoire de notre salut et à l'actualité constante qu'elle conserve pour chacun de nous.

Nous ferons bien d'accorder la plus grande attention à ce qui se réfère au Christ dans le mystère pascal ; c'est le thème central biblique, théologique, spirituel de notre foi ; nous l'avons médité pendant la Semaine Sainte dans cette vision captivante de la figure divine et humaine de Jésus, comme Saint Paul, qui ne voulait rien savoir d'autre que le Christ crucifié (cf. 1Co 2,2) ; ou comme Saint Ignace d'Antioche : « C'est Lui que je cherche, qui est mort pour nous ; c'est Lui que je veux, qui est ressuscité pour nous » (Ad Rom. 6, 1) ; ou comme Saint François à l'Averne ; ou comme le peuple fidèle dans la Via Crucis, ou dans la Liturgie de la nuit sainte ; toujours dans une recherche et une dévotion qui fixent sur Lui, Jésus-Christ, toute l'attention.



Le plan rédempteur


Mais le mystère pascal requiert de nous une attention plus complète : nous ne pouvons considérer le drame personnel de Jésus comme s'il ne concernait que lui et était étranger aux hommes, à nous. Car le mystère pascal n'est pas un événement isolé, mais un événement lié à notre destin, à notre salut. L'ampleur de cette vision qui décèle dans la vie, la mort et la résurrection du Christ l'oeuvre de la rédemption, nous oblige à voir aussitôt l'économie, c'est-à-dire le dessein agissant de son universalité et spécialement de son application à chaque homme. Cette pensée offre une trame à notre spiritualité après la célébration de la fête de Pâques ; est-ce la fête du Christ ressuscité, ou est-ce aussi notre fête, à nous, mortels ? Est-ce la sienne ou est-ce aussi la nôtre ? La réflexion devient plus profonde quant à la compréhension du plan de la rédemption, et plus joyeuse si nous pouvons vraiment l'étendre non seulement à la passion et à la mort du Seigneur, mais aussi à sa bienheureuse résurrection. Que la résurrection soit le complément nécessaire du mystère pascal, saint Paul nous le dit dans ses multiples enseignements qu'une phrase incisive résume : « Le Christ a été immolé à cause de nos fautes et est ressuscité en vue de notre justification » (Rm 4,25). Un commentateur connu dit : « La résurrection de Jésus n'est pas un luxe surnaturel offert à l'admiration des élus, ni une simple récompense accordée à ses mérites, ni seulement un soutien de notre foi et un gage de notre espérance; elle est un complément essentiel et une partie intégrante de la rédemption elle-même » (PRAT, La théol. de Saint Paul, II, 256).



Relation entre le Christ et nous


Le mystère pascal du Seigneur étant ainsi rétabli dans son intégrité, un grand principe théologique s'insère dans le cadre de notre foi, principe auquel nous devrons attribuer la plus grande attention et la plus grande admiration ; c'est celui de la communion, celui de la solidarité, celui de l'extension, celui qui constitue justement la rédemption, c'est-à-dire le principe qui reconnaît la représentation, la récapitulation de toute l'humanité du Christ, de telle manière que nous pouvons devenir participants de ce qui s'est accompli en lui. Son sort peut devenir le nôtre ; sa passion, la nôtre ; sa résurrection, la nôtre.

Dans ce plan de salut du genre humain, tout réside dans la relation vitale que nous pouvons établir entre Lui et nous. Cette relation se fait-elle toute seule ? Survient-elle collectivement ou personnellement ? Dieu peut donner à sa miséricorde une telle ampleur que celle-ci transcende le dessein de salut que lui-même a établi; mais pour nous ce dessein nous indique que la relation salvatrice avec le Christ exige la réponse de notre liberté, de notre foi, de notre amour, exige quelques conditions qui rendent possibles les causalités salvatrices du Christ. Cet aspect du mystère pascal nous montre que notre salut survient en phases successives, qui forment l'histoire de notre rédemption personnelle ; elles forment notre vie chrétienne.

Notre vie chrétienne, nous le savons, commence par le baptême, le sacrement de l'initiation, de la renaissance ; le sacrement qui reproduit mystiquement dans tout croyant (la foi personnelle, c'est-à-dire la foi de l'Eglise qui présente le néophyte, précède le baptême), la mort et la résurrection du Seigneur. « Ignorez-vous — écrit encore Saint Paul — que, baptisés dans le Christ Jésus, c'est dans sa mort que tous nous avons été baptisés ? Nous avons donc été ensevelis avec lui par le baptême dans la mort, afin que, comme le Christ est ressuscité des morts par la gloire du Père, nous vivions nous aussi dans une vie nouvelle » (Rm 6,3-4 Col 2,12).



Penser et sentir avec le Christ


Et voici la seconde phase de notre régénération chrétienne, qui est liée au déroulement de notre existence dans le temps : la vie nouvelle, la vie dans le Christ, la vie dans la grâce, c'est-à-dire dans l'Esprit Saint répandu par le Christ en nous (cf. Jn 14,26 Jn 15,26 Jn 16,7), la bonne, la sainte vie chrétienne. Pouvons-nous dire : la nôtre ? vivons-nous nous, comme nous disons dans le canon de la Messe, Per Ipsum, et cum Ipso, et in Ipso, c'est-à-dire pour Lui, et avec Lui, et en Lui ? Nous rendons-nous compte de la nouveauté, de l'originalité, du sérieux de la vie chrétienne ? de l'exigence de son authenticité mystique et morale ? Nous rendons-nous compte vraiment que « faire la Pâque », avoir participé au mystère pascal requiert de nous une fidélité, une cohérence, un perfectionnement de notre manière de penser, de sentir, de vivre ? Vivons-nous notre baptême ? Vivons-nous la communion du Christ que nous avons reçu dans l'Eucharistie pascale ? Vivons-nous et vivrons-nous notre Pâque ? Nous avons souvent dilué et vidé de son sens notre appellation de chrétien jusqu'à lui enlever sa force et son engagement.

Cette adhésion effective au mystère pascal, au fond, est le problème le plus sérieux et le plus ample de notre existence actuelle ; elle se confond avec les événements, les problèmes, les expériences de notre existence naturelle, et lui inculque, après la Pâque, un sentiment d'espérance et de joie.

Ce sentiment est un don, un charisme, dont le chrétien ne devrait jamais être privé (cf. Rm 8,24 2Co 7,4) ; il est le prélude de la dernière phase du mystère pascal, c'est-à-dire de notre salut plénier, l'immersion complète de notre humble vie dans cette infinité de Dieu, dans l'au-delà.

Ce n'est pas un rêve, ce n'est pas un mythe, ce n'est pas de l'idéalisme spirituel. C'est la vérité, la réalité du mystère pascal. Souvenez-vous-en : avec notre Bénédiction Apostolique.


***


Chers fils de Hollande,

C’est pour Nous une grande joie de vous accueillir au lendemain de Pâques, en cette basilique consacrée à l’apôtre Pierre. Nous sommes heureux de saluer parmi vous le pèlerinage de l’Union catholique des professeurs, le groupe d’officiers et cadets de l’Académie militaire royale de Breda, et tout particulièrement les pèlerins venus uniquement pour cette journée à Rome, «afin de voir le Pape et de recevoir sa Bénédiction Apostolique».

Nous vous la donnons de grand coeur, chers fils, pour vous, pour tous ceux que vous aimez, pour vos prêtres, pour vos évêques. Dans la joie du Christ ressuscité, Nous vous donnons la consigne de l’apôtre Paul: «Brillez dans le monde comme des foyers de lumière» (Ph 2,15).

(en flamand)

Un mot aussi de bienvenue pour vous, chers fils du Liban, jeunes gens et jeunes filles de divers rites chrétiens, qui formez la «Chorale oecuménique». Nous savons que votre activité est aussi bénéfique au sein des oeuvres sociales et chrétiennes que dans le domaine liturgique. De grand coeur Nous vous en félicitons. Continuez, chers fils et filles, à donner à un monde divisé cet exemple admirable de la fraternité humaine et chrétienne des disciples du Christ ressuscité.



8 avril 1970 EGLISE ET FOI

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Chefs fils et filles,


L'Eglise sera encore le thème de ces quelques instants de colloque spirituel. C'est le thème de notre temps. C'est le thème du Concile. C'est le thème qui avant tout autre se présente aux personnes qui entrent en méditant dans cette basilique. C'est un thème si vaste et si complexe qu'il semble submerger notre pensée ; mais il devient relativement simple si on réfléchit à ses différents aspects, et si — entre tous — on fixe l'attention sur l'un d'eux en particulier.

Aujourd'hui nous nous rappelons encore les cérémonies pascales qui nous ont persuadés d'une vérité mystérieuse mais bien précise : l'Eglise naît du mystère pascal. C'est-à-dire : l'Eglise est le résultat, toujours en voie de perfectionnement, de la rédemption. Cette idée a son symbole dans l'eau et le sang qui ont jailli de la poitrine du Christ, mort en croix, transpercé par la lance (
Jn 19,34) : « de ipso sanguine et aqua significatur nata Ecclesia », dit Saint Augustin (Sermo V, 3 ; PL 38, 55), parce que «sacramenta Ecclesiae profluxerunt » (Jean 15, IV, 8 ; PL 35, 1513) : par ce sang et cette eau est signifiée la naissance de l'Eglise parce qu'ils font naître les sacrements de l'Eglise. Nous savons que l'Eglise sort du Christ : Il en est le fondateur, Il en est le Chef (cf. Col 1,22 cf. journet, L'Eglise, III, 590-594). C'est clair. Mais maintenant une question particulière nous intéresse : quand naît le chrétien ? Et nous, comment sommes-nous nés à l'Eglise et avons-nous été incorporés en elle, c'est-à-dire dans le Christ ?



On naît à l'Eglise par la Foi


Cela aussi est bien connu : on naît à l'Eglise et on devient chrétien (les deux choses coïncident et sont inséparables) par le baptême. Mais le baptême exige une condition si importante, qu'elle fait partie de la définition du Chrétien : la foi. Le chrétien est un fidèle, un croyant. Cette condition indispensable, ce principe vital de la nouvelle existence surnaturelle du chrétien, est mise en évidence par la Liturgie du baptême, qui justement s'ouvre au dialogue par la question posée au catéchumène, ou encore à l'enfant porté au baptême, et pour lui au parrain représentant à la fois l'enfant, lui-même et la communauté ecclésiale : « que demandes-tu à l'Eglise de Dieu ? » réponse : « la Foi ».

La foi est la clef pour entrer. C'est le seuil, le premier pas, le premier acte demandé à l'homme qui désire appartenir à ce règne de Dieu. Et ce commencement conduit à la plénitude de la vie éternelle. L'Eglise primitive avait soin d'affirmer l'exigence primordiale de la foi en termes nets ; « Celui qui croit dans le Fils (de Dieu, c'est-à-dire en Jésus-Christ), a la vie éternelle ; celui qui refuse de croire au Fils (de Dieu) ne verra pas la vie » (Jn 3,36), ainsi parle l'évangéliste saint Jean ; et saint Paul (pour donner un de ses nombreux témoignages sur ce sujet), résume sa doctrine en cette affirmation : « Si tes lèvres confessent que Jésus est Seigneur, et si ton coeur croit que Dieu l'a ressuscité des morts, tu seras sauvé » (Rm 10,9).



La Foi est un tout


Faisons attention : la vraie cause du salut est le Christ lui-même, plus précisément c'est l'Esprit Saint, que Jésus, Verbe de Dieu, et comme homme admis dans la gloire du Père, envoie aux hommes et à son Eglise (cf. Jn 16,7), principe de notre vie nouvelle, qui est la vie de la grâce ; Il est l'inspirateur de la foi elle-même. Mais le dessein divin de salut suppose des conditions dont deux très importantes, la première intérieure, la libre adhésion à la foi, l'autre extérieure, l'annonce apostolique de la Parole de Dieu, de la vérité divine qu'il faut croire, l'enseignement authentique de l'Eglise. Ici nous devrions rappeler la multiplicité des problèmes qui se posent à l'homme moderne par rapport à la foi. Quelle complication ! Tous nous en avons quelque idée. La foi aujourd'hui semble devenue difficile, parfois impossible. L'ancien contraste entre raison et foi semble pour quelques-uns renaître et devenir irréductible. La psychologie moderne soulève ensuite une série d'autres difficultés qui compliquent beaucoup le chemin vers la foi, la pédagogie du croyant. Et encore aujourd'hui la résonance des idées à la mode, qu'elles soient spéculatives ou pratiques, est telle qu'elle substitue, dans beaucoup d'esprits, du moins dans certains milieux et à certains moments de la vie, la fonction d'illumination et de certitude de la foi; les idéologies entraînent, l'opinion publique domine. De plus il ne manque pas de personnes qui prennent quelques-unes de leurs opinions personnelles pour la foi ; se parlant en eux-mêmes, intérieurement, elles pensent avoir une foi personnelle suffisante, et sont satisfaites de cette conscience qu'elles se sont élaborée, même si cette conscience reste muette sur les grands problèmes du destin de l'homme et des mystères du monde ; elles essaient de se résigner avec une grandeur stoïque ou angoissée.

D'autres personnes encore, ne voulant pas se détacher totalement de la religion chrétienne, appliquent à la foi une sélection : elles disent croire en certains dogmes, laissant tomber les autres qui leur semblent inadmissibles ou incompréhensibles, ou trop nombreux ; elles se contentent d'une foi à la mesure de leur intelligence; d'autres enfin poussent ce critère d'autonomie dans le jugement des vérités de la foi jusqu'à ce libre examen qui permet à chacun de penser à sa manière, et qui enlève à la foi même sa consistance objective en la privant ainsi d'une prérogative essentielle : celle d'être principe d'unité et de charité.

Heureusement il ne manque pas de littérature où toute personne le désirant peut trouver des considérations et des enseignements pour reprendre le 'chemin de la foi, ouvert encore aujourd'hui et peut-être plus que jamais aux hommes de notre époque. Ce n'est d'ailleurs pas le moment de s'arrêter à cette masse de problèmes. Nous voulons rappeler maintenant l'importance du rapport qui existe entre Eglise et foi. La foi, comme chacun le sait, est la réponse libre et entière à Dieu qui parle, à Dieu qui révèle. « A Dieu qui révèle — dit le Concile — est due l'obéissance de la foi (cf. Rm 16,26 Rm 1,5 2Co 10,5-6), par laquelle l'homme s'abandonne à Dieu tout entier... » (Dei Verbum, DV 5). Ceci, qui semble un acte illogique et difficile, est en réalité, quand nous voulons seulement la vérité, et que l'Esprit insuffle dans nos coeurs un témoignage ineffable (cf. Jn 15,26), un acte rempli de lumière et de réconfort, et qui ne demande rien d'autre que d'être plénier et authentique et immédiatement avide d'effusion et de communion.



L'Eglise école de la Foi


Ainsi naît l'Eglise. L'Eglise est l'école des disciples du Christ (cf. Jn 6,45). L'Eglise est la société des croyants. L'Eglise est la communauté, la communion même des vrais fidèles. La foi est le présupposé vital de l'insertion dans le Corps Mystique du Christ qui est l'Eglise ; et la foi entière et parfaite dans la doctrine révélée est la garantie bienheureuse et caractéristique de l'appartenance à l'unique et vraie Eglise du Christ.

Avons-nous l'immense privilège d'avoir la foi, la foi du Seigneur, la foi des Apôtres, la foi de l'Eglise « mère et éducatrice » ?

Si nous sommes ici, c'est le signe que le Seigneur nous a offert ce don premier et incomparable ; prenons conscience en ce moment de sa valeur inestimable et précieuse ; et demandons-lui qu'il nous le conserve comme saint Paul : « fidem servavi » (2Tm 4,7) et que, comme nous y exhortait saint Pierre, nous soyons toujours « fortes in fide » (1P 5,9). Avec notre Bénédiction Apostolique.


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Nous voulons saluer d’une façon toute particulière les membres du sixième Colloque international, organisé à Rome par la Commission spécialisée du Bureau international catholique de l’enfance, sur «le devenir des institutions pour enfants privés de milieu familial normal». Chers Fils et chères Filles, est-il besoin de vous le dire, le travail de telles institutions mérite la plus profonde estime et les plus vifs encouragements de l’Eglise, comme de toute la société. Les chrétiens, laïcs, religieux, religieuses et prêtres, et les organismes chrétiens trouvent là un engagement de choix, eux qui défendent la place privilégiée de la famille et qui proclament au plus haut point la dignité de l’enfant et de l’adolescent, son droit à être aimé, à recevoir une éducation plénière, à être préparé à une profession, à être intégré à part entière dans la société; à être initié aux meilleurs valeurs de la vie, à la connaissance de Dieu et aux mystères de la foi, dans le respect de sa personne qui s’éveille progressivement à une pleine conscience et à une entière responsabilité.

Aujourd’hui les sciences humaines peuvent vous éclairer sur les vrais besoins psychologiques de l’enfant, sur les racines de son comportement, sur la mutation rapide des mentalités. Et vous avez raison de réfléchir aux meilleures conditions de prise en charge des enfants, aux structures plus adaptées de vos institutions, à la qualité surtout des relations éducateurs-enfants, en un moment où la crise de la jeunesse se fait plus aiguë et déconcerte tant d’éducateurs. Mais que votre témoignage spécifique soit toujours à la hauteur de votre foi chrétienne: vous serez les témoins actifs de cet amour que les parents devraient, par nature, être les premiers à prodiguer; vous avez la délicate mission de les substituer en partie ou du moins de les aider. Cet amour, vous le savez, trouve sa source en Dieu le Père et dans son Fils bien aimé qui nous a aimés jusqu’à l’extrême (Cfr. Jn 13,1). En son nom, Nous vous donnons de tout coeur, avec nos paternels encouragements, Notre Bénédiction Apostolique.




Catéchèses Paul VI 25370