Discours 2005-2013 346

À S.E. M. ANTUN SBUTEGA NOUVEL AMBASSADEUR DU MONTENEGRO PRÈS LE SAINT-SIÈGE Lundi 22 janvier 2007


Monsieur l'Ambassadeur,

C'est pour moi un plaisir particulier de recevoir les Lettres par lesquelles S.E. M. Filip Vujanovic, Président de la République du Monténégro, vous accrédite comme premier Ambassadeur près le Saint-Siège. Soyez le bienvenu! Le sentiment du Successeur de Pierre aujourd'hui a des origines anciennes et se nourrit d'une mémoire, qui renoue un dialogue jamais interrompu au cours des siècles entre les peuples monténégrins et l'Evêque de Rome. Par votre intermédiaire, Monsieur l'Ambassadeur, je souhaite exprimer ma vive satisfaction, en premier lieu, à Monsieur le Président de la République, que j'ai eu la joie de rencontrer récemment, ainsi qu'aux autres Autorités de l'Etat et à toute la société civile monténégrine qui, dans sa pluralité ethnique, a voulu instaurer un dialogue direct et cordial avec le Saint-Siège.

347 Comme vous le savez, dès les temps apostoliques, la Bonne Nouvelle est parvenue sur les terres qui forment aujourd'hui la République à laquelle vous appartenez. Ces liens d'ordre spirituel se sont renforcés grâce à l'apostolat des moines bénédictins, jusqu'à la reconnaissance publique, sous le Pontificat du grand Pape Grégoire VII, de l'indépendance du Royaume de Dioclée, lorsque le Siège de Pierre fit parvenir au Prince Mihailo les insignes de la royauté. Au cours des événements qui se sont succédé au fil des siècles, les peuples qui ont vécu dans l'actuel Crna Gora ont toujours entretenu des relations dynamiques et cordiales avec les autres nations voisines, au point d'offrir des contributions intéressantes à la vie des nations européennes, et en particulier à l'Italie à laquelle, au siècle dernier, ils donnèrent même une reine.

Les documents historiques parlent d'un dialogue fructueux entre le Siège apostolique et le Prince Nicolas du Monténégro, qui conduisit en 1886 à la stipulation d'une convention à travers laquelle l'on pourvoyait aux nécessités spirituelles des citoyens catholiques, dépendant de Cetinje, la capitale de l'époque. La clairvoyance des résolutions adoptées par ce chef d'Etat à propos de la reconnaissance des droits d'une partie de ses concitoyens, s'impose encore aujourd'hui à notre admiration, en soulignant la nécessité d'une juste considération des exigences objectives de la pratique religieuse de chacun. Chaque catholique est bien conscient des prérogatives de l'Etat, mais, dans le même temps, il est tout aussi conscient de ses propres devoirs à l'égard des impératifs évangéliques. En réfléchissant, également, sur les siècles passés, lorsque le message évangélique du salut parvint sur les terres du Monténégro, embrassant à la fois la tradition orientale et occidentale, votre Patrie, Monsieur l'Ambassadeur, s'est toujours caractérisée comme un lieu privilégié de la rencontre oecuménique que nous appelons tous de nos voeux. Et la rencontre entre chrétiens et musulmans a elle aussi trouvé au Monténégro des réalisations convaincantes.

Il faut poursuivre cette voie, sur laquelle l'Eglise souhaite que tous convergent dans la tâche d'unir leurs efforts au service de la noblesse originelle de l'être humain. L'Eglise voit en effet en cela une part significative de sa mission au service de l'homme dans l'intégralité de ses pensées, de ses actions, de sa capacité de projet, dans le respect des traditions qui forment l'identité d'une terre. Je suis certain que, dans le cadre européen, le Monténégro ne manquera pas d'apporter sa contribution active autant dans le domaine civil que politique, social, culturel et religieux.

L'une des priorités sur lesquelles assurément la nouvelle République, que vous représentez, est en train de réfléchir est le renforcement de l'Etat de droit dans les divers domaines de la vie publique, à travers l'adoption de mesures qui garantissent la jouissance effective de tous les droits qui sont prévus par les lois fondamentales de l'Etat. Cela favorisera la croissance chez les citoyens de la confiance sociale, en leur permettant de se sentir libres de poursuivre leurs objectifs légitimes à la fois comme individus et comme communautés à l'intérieur desquelles ils ont choisis de se réunir, et cela se traduira par une plus grande maturité de tous dans la culture de la légalité.

Le Monténégro appartient à la famille des nations européennes, auxquelles, malgré ses dimensions réduites, il a donné et entend continuer à offrir sa contribution généreuse. La pleine reconnaissance de la vie et des objectifs de la communauté catholique dans le cadre de la société monténégrine, réalisée il y a plus d'un siècle, s'est révélée utile à la souveraineté de l'Etat et a été appréciée dans le cadre de la mission spécifique de l'Eglise. Dans cette circonstance historique spécifique, comment ne pas souligner l'attitude respectueuse de l'Eglise orthodoxe de l'époque, qui ne s'opposa pas à une entente avec le Siège apostolique? Celle-ci vit même dans cette étape un instrument utile pour mieux subvenir aux besoins spirituels de la population. Il est souhaitable que cette disposition chrétienne puisse encore progresser.

Comme par le passé, le Siège apostolique souhaite réaffirmer aujourd'hui encore son estime, son affection et sa considération pour les nobles peuples qui habitent le Monténégro, en entretenant également un dialogue fraternel avec l'orthodoxie, tellement présente et vivante dans le pays. Les relations millénaires d'estime réciproque témoignent de cette attitude. Aujourd'hui aussi, il faut approfondir cette attitude constructive, pour servir au mieux les personnes que vous représentez ici avec dignité. Avec une grande ouverture d'esprit, celles-ci regardent à la fois vers l'Orient et vers l'Occident, en se plaçant comme un pont entre l'une et l'autre réalité. De manière pleinement cordiale, comme dans les siècles passés, il est possible d'établir ces ententes qui bénéficient au pays et à la communauté catholique, sans léser le moins du monde les droits des autres communautés religieuses. Telle est la voie dans laquelle l'Europe d'aujourd'hui s'est engagée et que votre pays entend parcourir avec une grande espérance.

Monsieur l'Ambassadeur, les Lettres de Créance que vous me présentez aujourd'hui sont le signe d'une volonté positive de contribuer à la vie internationale avec votre identité spécifique. En ce sens, vous trouverez avec le Saint-Siège un interlocuteur qui connaît bien l'histoire, la situation présente et les aspirations de votre peuple. Auprès de moi et de mes collaborateurs, vous trouverez une attention et une considération fondées sur nos relations réciproques millénaires cordiales. Tout en vous demandant de vous faire l'interprète auprès des Autorités qui vous accréditent de mon estime et de ma gratitude, je vous prie de transmettre l'expression de mes voeux les plus profonds de prospérité, de paix et de progrès pour tous les habitants du Monténégro, sur lesquels j'invoque les abondantes Bénédictions du Très-Haut.


AUX MEMBRES DU CONSEIL ORDINAIRE DU SECRÉTARIAT GÉNÉRAL DU SYNODE DES ÉVÊQUES Salle des Papes Jeudi 25 janvier 2007



Chers et vénérés frères,

Merci de votre visite. Je vous salue tous avec affection, en commençant par le Secrétaire général du Synode des Evêques, que je remercie des paroles qu'il m'a adressées au nom de tous. Vous vous êtes réunis pour la cinquième fois sous sa direction dans le but de veiller à l'application de ce qui a été prévu lors de la onzième Assemblée générale ordinaire et de commencer la préparation de la prochaine Assemblée. Je vous accueille avec le salut de l'Apôtre des Nations, dont nous commémorons aujourd'hui l'extraordinaire conversion: "Grâce et paix de par Dieu, notre Père, et le Seigneur Jésus Christ" (1Co 1,3). Jésus est le Pasteur suprême de l'Eglise et c'est en son nom et sur son mandat que nous avons la charge de garder son troupeau avec une pleine disponibilité, jusqu'au don total de nos existences.

348 La prochaine Assemblée générale du Synode des Evêques, la douzième, aura comme thème: La Parole de Dieu dans la vie et dans la mission de l'Eglise. Il n'échappe à personne l'importance d'un tel thème, qui est d'ailleurs apparu comme le plus demandé lors la consultation des Pasteurs des Eglises particulières. Il s'agit d'un thème désiré depuis déjà longtemps. Et cela se comprend facilement, car l'action spirituelle qui exprime et alimente la vie et la mission de l'Eglise, se fonde nécessairement sur la Parole de Dieu. En outre, étant destinée à tous les disciples du Seigneur - comme nous l'a rappelé la Semaine de prière pour l'unité des chrétiens -, celle-ci exige une vénération et une obéissance particulières, afin que soit également accueilli l'appel urgent à la pleine communion entre les croyants dans le Christ.

Vous avez travaillé avec application sur le thème susmentionné, et vous êtes déjà parvenus au stade final de la rédaction des Lineamenta, un document qui veut répondre à l'exigence, profondément ressentie par les pasteurs de favoriser toujours plus le contact avec la Parole de Dieu dans la méditation et la prière. Je vous suis reconnaissant pour votre travail apprécié que, avec le Secrétariat général du Synode des Evêques et un précieux groupe d'experts, vous êtes en train de mener à bien. Et j'ai trouvé très intéressante la brève présentation que vous avez faite et qui m'a permis de constater combien vous avez travaillé. Je suis certain que lorsque les Lineamenta seront publiés, ils serviront d'instrument précieux afin que toute l'Eglise puisse approfondir le thème de la prochaine Assemblée synodale. Je forme de tout coeur le souhait que cela aide à redécouvrir l'importance de la Parole de Dieu dans la vie de chaque chrétien, de chaque communauté ecclésiale et également civile, et à redécouvrir également le dynamisme missionnaire qui est contenu dans la Parole de Dieu. Celle-ci, comme le rappelle la Lettre aux Hébreux, est vivante et efficace (cf. 4, 12), et illumine notre chemin dans le pèlerinage terrestre vers le plein accomplissement du Royaume de Dieu.

Merci encore, chers frères, de votre visite d'aujourd'hui. Je vous assure de mon souvenir spécial dans la prière pour vos intentions, en invoquant sur vous la protection maternelle de la Bienheureuse Vierge Marie, qui donna au monde Jésus Christ, la parole vivante faite chair. En signe de gratitude et comme voeu de l'assistance de l'Esprit Saint sur la prochaine rencontre de l'Eglise universelle, je vous donne à tous la Bénédiction apostolique, en l'étendant à tous ceux qui sont confiés à vos soins pastoraux.


AU TRIBUNAL DE LA ROTE ROMAINE À L'OCCASION DE L’INAUGURATION DE L’ANNÉE JUDICIAIRE Salle Clémentine Samedi 27 janvier 2007





Très chers Prélats-auditeurs,
Officiaux et collaborateurs du Tribunal de la Rote romaine!

Je suis particulièrement heureux de vous rencontrer à nouveau, à l'occasion de l'inauguration de l'Année judiciaire. Je salue cordialement le Collège des Prélats-auditeurs, à commencer par le Doyen, Mgr Antoni Stankiewicz, que je remercie des paroles avec lesquelles il a introduit notre rencontre. Je salue ensuite les Officiaux, les avocats et les autres collaborateurs de ce Tribunal, ainsi que les membres du "Studio rotale" et toutes les personnes présentes. Je saisis volontiers l'occasion pour renouveler l'expression de mon estime et pour réaffirmer, dans le même temps, l'importance de votre ministère ecclésial dans un secteur aussi vital que l'activité judiciaire. J'ai bien à l'esprit le travail précieux que vous êtes appelés à accomplir avec diligence et zèle, au nom de ce Siège apostolique et sur son mandat. Votre tâche délicate de service à la vérité dans la justice est soutenue par les éminentes traditions de ce Tribunal, que chacun d'entre vous doit se sentir personnellement engagé à faire respecter.

L'année dernière, lors de ma première rencontre avec vous, j'ai cherché à explorer les voies pour surmonter l'opposition apparente entre l'institution du procès en nullité de mariage et l'authentique sens pastoral. Dans cette perspective, l'amour pour la vérité apparaissait comme le point de convergence entre la recherche juridique et le service pastoral aux personnes. Nous ne devons cependant pas oublier que, dans les causes de nullité de mariage, la vérité juridique présuppose la "vérité du mariage" lui-même. L'expression "vérité du mariage" perd cependant de son importance existentielle dans un contexte culturel marqué par le relativisme et le positivisme juridique, qui considèrent le mariage comme une pure reconnaissance sociale des liens affectifs. En conséquence, celui-ci devient non seulement contingent, comme peuvent l'être les sentiments humains, mais il se présente comme une superstructure juridique que la volonté humaine peut manipuler à sa convenance, la privant même de sa nature hétérosexuelle.

Cette crise de sens du mariage se fait également ressentir dans la façon de penser de nombreux fidèles. Les effets pratiques de ce que j'ai appelé l'"herméneutique de la discontinuité et de la rupture" à propos de l'enseignement du Concile Vatican II (cf. Discours à la Curie romaine, 22 décembre 2005) se ressentent de manière particulièrement intense dans le domaine du mariage et de la famille. En effet, il semble à certaines personnes que la doctrine conciliaire sur le mariage, et concrètement la description de cette institution comme "intima communitas vitae et amoris" (Const. past. Gaudium et spes GS 48), doive conduire à nier l'existence d'un lien conjugal indissoluble, car il s'agirait d'un "idéal" auquel ne peuvent pas être "obligés" les "chrétiens normaux". De fait, s'est également diffusée dans certains milieux ecclésiaux la conviction selon laquelle le bien pastoral des personnes en situation matrimoniale irrégulière exigerait une sorte de régularisation canonique, indépendamment de la validité ou de la nullité de leur mariage, c'est-à-dire indépendamment de la "vérité" à propos de leur condition personnelle. La voie de la déclaration de nullité matrimoniale est de fait considérée comme un instrument juridique pour atteindre cet objectif, selon une logique dans laquelle le droit devient la reconnaissance des prétentions subjectives. A ce propos, il faut tout d'abord souligner que le Concile décrit bien évidemment le mariage comme intima communitas vitae et amoris, mais cette communauté doit être déterminée, suivant la tradition de l'Eglise, par un ensemble de principes de droit divin, qui fixent son véritable sens anthropologique permanent (cf. ibid.).

Par la suite, le magistère de Paul VI et de Jean Paul II s'est développé en fidèle continuité herméneutique avec le Concile, ainsi que l'oeuvre législative des Codes, tant latin qu'oriental. En effet, c'est par ces Instances qu'a été conduit, également en ce qui concerne la doctrine et la discipline matrimoniale, l'effort de la "réforme" ou du "renouveau dans la continuité" (cf. Discours à la Curie romaine, cit.). Cet effort s'est développé à partir du présupposé indiscutable que le mariage contient une vérité, à la découverte et à l'approfondissement de laquelle concourent de manière harmonieuse la raison et la foi, c'est-à-dire la connaissance humaine, éclairée par la Parole de Dieu, sur la réalité sexuellement différenciée de l'homme et de la femme, avec leurs profondes exigences de complémentarité, de don définitif et d'exclusivité.

349 La vérité anthropologique et salvifique du mariage - également dans sa dimension juridique - est déjà présentée dans l'Ecriture Sainte. La réponse de Jésus aux Pharisiens, qui lui demandaient son avis à propos de la licéité de la répudiation, est célèbre: "N'avez-vous pas lu l'Ecriture? Au commencement, le Créateur les fit homme et femme, et il leur dit: "Voilà pourquoi l'homme quittera son père et sa mère, il s'attachera à sa femme, et tous deux ne feront plus qu'un". A cause de cela, ils ne sont plus deux, mais un seul. Donc, ce que Dieu a uni, que l'homme ne le sépare pas" (Mt 19,4-6). Les citations de la Genèse (1, 27; 2, 24) reproposent la vérité matrimoniale du "principe", cette vérité dont la plénitude se trouve en relation avec l'union du Christ avec l'Eglise (cf. Ep Ep 5,30-31), et qui a fait l'objet de réflexions vastes et profondes de la part du Pape Jean-Paul II dans ses cycles de catéchèse sur l'amour humain dans le dessein divin. A partir de cette unité duelle du couple humain, on peut élaborer une authentique anthropologie juridique du mariage. Dans ce sens, les paroles de conclusion de Jésus sont particulièrement éclairantes: "Donc, ce que Dieu a uni, que l'homme ne le sépare pas!". Chaque mariage est bien sûr le fruit du libre consentement de l'homme et de la femme, mais leur liberté traduit en acte la capacité naturelle inhérente à leur masculinité et féminité. L'union a lieu en vertu du dessein de Dieu lui-même, qui les a créés homme et femme et qui leur donne le pouvoir d'unir pour toujours ces dimensions naturelles et complémentaires de leurs personnes. L'indissolubilité du mariage ne dérive pas de l'engagement définitif des contractants, mais elle est intrinsèque à la nature du "puissant lien établi par le Créateur" (Jean-Paul II, catéchèse du 21 novembre 1979, n. 2). Les contractants doivent s'engager de façon définitive parce que le mariage est précisément tel dans le dessein de la création et de la rédemption. Et le caractère juridique essentiel du mariage réside précisément dans ce lien, qui pour l'homme et la femme représente une exigence de justice et d'amour auquel, pour leur bien et pour celui de tous, ils ne peuvent pas se soustraire sans contredire ce que Dieu lui-même a accompli en eux.

Il faut approfondir cet aspect, non seulement en considération de votre rôle de canonistes, mais également parce que la compréhension globale de l'institution du mariage ne peut pas manquer d'inclure la clarté à propos de sa dimension juridique. Toutefois, les conceptions à propos de la nature de ce rapport peuvent diverger de manière radicale. Pour le positivisme, le caractère juridique du rapport conjugal serait uniquement le résultat de l'application d'une norme humaine formellement valable et efficace. De cette façon, la réalité humaine de la vie et de l'amour conjugal reste extrinsèque à l'institution "juridique" du mariage. Il se crée un hiatus entre droit et existence humaine, qui nie radicalement la possibilité d'un fondement anthropologique du droit.

La voie traditionnelle de l'Eglise dans la compréhension de la dimension juridique de l'union conjugale, dans le sillage des enseignements de Jésus, des Apôtres et des saints Pères, est totalement différente. Saint Augustin, par exemple, en citant saint Paul affirme avec force "Cui fidei [coniugali] tantum iuris tribuit Apostolus, ut eam potestatem appellaret, dicens: Mulier non habet potestatem corporis sui, sed vir; similiter autem et vir non habet potestatem corporis sui, sed mulier (1Co 7,4)" (De bono coniugali, 4, 4). Saint Paul, qui expose de manière aussi profonde dans la Lettre aux Ephésiens le "mystérion mega" de l'amour conjugal en relation à l'union du Christ avec l'Eglise (5, 22-31), n'hésite pas à appliquer au mariage les termes les plus forts du droit pour désigner le lien juridique avec lesquels les conjoints sont unis entre eux, dans leur dimension sexuelle. De même, pour saint Augustin, le caractère juridique est essentiel dans chacun des trois biens (proles, fides, sacramentum), qui constituent les pivots de l'exposition de sa doctrine sur le mariage.

Face à la relativisation subjectiviste et libertaire de l'expérience sexuelle, la tradition de l'Eglise affirme avec clarté le caractère naturellement juridique du mariage, c'est-à-dire son appartenance par nature au domaine de la justice dans les relations interpersonnelles. Dans cette optique, le droit est véritablement mêlé à la vie et à l'amour, comme il doit intrinsèquement l'être. C'est pourquoi, comme je l'ai écrit dans ma première Encyclique, "selon une orientation qui a son origine dans la création, l'eros renvoie l'homme au mariage, à un lien caractérisé par l'unicité et le définitif; ainsi, et seulement ainsi, se réalise sa destinée profonde" (Deus caritas est ). Amour et droit peuvent ainsi s'unir, au point d'avoir pour effet que le mari et la femme se doivent réciproquement l'amour qu'ils éprouvent spontanément: l'amour est en eux le fruit de leur libre désir du bien de l'autre et des enfants; ce qui, du reste, est également l'exigence de l'amour envers le propre bien véritable.

Toute l'oeuvre de l'Eglise et des fidèles dans le domaine familial doit se fonder sur cette vérité à propos du mariage et de sa dimension juridique intrinsèque. Malgré cela, comme je l'ai déjà rappelé, la mentalité relativiste, sous des formes plus ou moins ouvertes ou insidieuses, peut également s'insinuer dans la communauté ecclésiale. Vous êtes bien conscients de l'actualité de ce risque, qui se manifeste parfois à travers une interprétation erronée des normes canoniques en vigueur. Il faut réagir contre cette tendance avec courage et confiance, en appliquant constamment l'herméneutique du renouveau dans la continuité et en ne se laissant pas séduire par des possibilités d'interprétation qui impliquent une rupture avec la tradition de l'Eglise. Ces voies s'éloignent de la véritable essence du mariage, ainsi que de sa dimension juridique intrinsèque et, sous divers noms plus ou moins attrayants, tentent de dissimuler une contrefaçon de la réalité conjugale. On en vient ainsi à soutenir que rien ne serait juste ou injuste dans les relations de couple, mais répondrait uniquement, ou non, à la réalisation des aspirations subjectives de chacune des parties. Dans cette optique, l'idée du "mariage in facto esse" oscille entre une relation purement factuelle et une façade juridique et positiviste, négligeant son essence de lien intrinsèque entre les personnes de l'homme et de la femme.

La contribution des tribunaux ecclésiastiques pour surmonter la crise sur le sens du mariage dans l'Eglise et dans la société civile, pourrait sembler plutôt secondaire et d'arrière-garde à certains. Toutefois, précisément parce que le mariage possède une dimension intrinsèquement juridique, être des serviteurs sages et convaincus de la justice dans ce domaine délicat et très important possède une valeur de témoignage profondément significative et d'un grand soutien pour tous. Chers Prélats-auditeurs, vous êtes engagés sur un front dans lequel la responsabilité pour la vérité est ressentie de manière particulière à notre époque. En restant fidèles à votre tâche, faites en sorte que votre action s'insère harmonieusement dans une redécouverte totale de la beauté de cette "vérité sur le mariage" - la vérité du "principe" - que Jésus nous a pleinement enseignée et que l'Esprit Saint nous rappelle sans cesse dans l'aujourd'hui de l'Eglise.

Chers Prélats-auditeurs, Officiaux et collaborateurs, telles sont les considérations que je tenais à soumettre à votre attention, avec la certitude de trouver en vous des juges et des magistrats prêts à partager et à faire leur une doctrine d'une aussi grande importance et gravité. J'exprime à tous, et à chacun en particulier, ma satisfaction, avec la certitude que le Tribunal apostolique de la Rote romaine, manifestation efficace et faisant autorité de la sagesse juridique de l'Eglise, continuera à exercer avec cohérence son difficile munus au service du dessein divin, poursuivi par le Créateur et par le Rédempteur à travers l'institution du mariage. En invoquant l'assistance divine sur votre travail, je donne de tout coeur à tous une Bénédiction apostolique spéciale.

                                                          Février 2007


AUX MEMBRES FONDATEURS DE LA FONDATION POUR LA RECHERCHE ET LE DIALOGUE INTERRELIGIEUX ET INTERCULTURELS Jeudi 1er février 2007

Chers Amis,

C'est une joie pour moi, après avoir été l'un des membres fondateurs de la Fondation pour la Recherche et le Dialogue interreligieux et interculturels, de vous retrouver et de vous accueillir aujourd'hui au Vatican. Je salue en particulier Son Altesse royale le Prince Hassan de Jordanie, que j’ai le plaisir de rencontrer à cette occasion.

350 Je remercie votre Président, Son Éminence le Métropolite Damaskinos d’Andrinople, qui m'a présenté le premier fruit de votre travail : l'édition conjointe, dans leur langue originale et selon l'ordre chronologique, des trois livres sacrés des trois religions monothéistes. C'était en effet le premier projet que nous avions retenu en créant ensemble cette Fondation, pour «apporter une contribution spécifique et positive au dialogue entre les cultures et entre les religions».

Comme je l'ai rappelé à plusieurs reprises, à la suite de la Déclaration conciliaire Nostra aetate et de mon cher prédécesseur, le Pape Jean-Paul II, nous sommes appelés, Juifs, Chrétiens et Musulmans, à reconnaître et à développer les liens qui nous unissent. C'est bien là l'idée qui nous a conduits à créer cette Fondation, dont le but est de rechercher «le message le plus essentiel et le plus authentique que les trois religions monothéistes, à savoir judaïsme, christianisme et islam, peuvent adresser au monde du XXIe siècle», afin de donner une nouvelle impulsion au dialogue interreligieux et interculturel, par la recherche commune et par la mise en lumière et la diffusion de ce qui, dans nos patrimoines spirituels respectifs, contribue à renforcer les liens fraternels entre nos communautés de croyants. Pour ces raisons, la Fondation se devait, dans un premier temps, d'élaborer un instrument de référence aidant à surmonter les malentendus et les préjugés, et offrant un socle commun aux travaux futurs. C'est ainsi que vous avez réalisé cette belle édition des trois livres qui sont à la source de croyances religieuses, créatrices de cultures qui marquent profondément les peuples et dont nous sommes aujourd'hui tributaires.

La relecture et, pour certains, la découverte des textes que tant de personnes à travers le monde vénèrent comme sacrés obligent au respect mutuel, dans le dialogue confiant. Les hommes d'aujourd'hui attendent de nous un message de concorde et de sérénité, et la manifestation concrète de notre volonté commune de les aider à réaliser leur légitime aspiration à vivre dans la justice et dans la paix. Ils sont en droit d'attendre de nous le signe fort d'une compréhension renouvelée et d'une coopération renforcée, selon l'objectif même de la Fondation, qui se propose d'offrir «ainsi au monde un signe d'espérance et la promesse de la bénédiction divine qui accompagne toujours l'action caritative».

Les travaux de la Fondation contribueront à une prise de conscience croissante de tout ce qui, dans les différentes cultures de notre temps, est conforme à la sagesse divine et sert la dignité de l'homme, pour mieux discerner et pour mieux rejeter tout ce qui est usurpation du nom de Dieu et dénaturation de l'humanité de l'homme. Aussi sommes-nous invités à nous engager dans un travail commun de réflexion, travail de la raison que j'appelle avec vous de tous mes voeux, pour scruter le mystère de Dieu à la lumière de nos traditions religieuses et de nos sagesses respectives, pour en discerner les valeurs aptes à éclairer les hommes et les femmes de tous les peuples de la terre, quelles que soient leur culture et leur religion. C'est pourquoi il est précieux de disposer désormais d'une référence commune grâce à la réalisation de votre travail. Nous pourrons ainsi progresser dans le dialogue interreligieux et interculturel, dialogue aujourd'hui plus nécessaire que jamais : un dialogue vrai, respectueux des différences, courageux, patient et persévérant, qui puise sa force dans la prière et qui se nourrit de l'espérance qui habite tous ceux qui croient en Dieu et qui mettent leur confiance en Lui.

Nos traditions religieuses respectives insistent toutes sur le caractère sacré de la vie et sur la dignité de la personne humaine. Nous le croyons, Dieu bénira nos initiatives si elles concourent au bien de tous ses enfants et si elles leur donnent de se respecter les uns les autres, dans une fraternité aux dimensions du monde. Avec tous les hommes de bonne volonté, nous aspirons à la paix. C'est pourquoi je le redis avec insistance: la recherche et le dialogue interreligieux et interculturels ne sont pas une option, mais une nécessité vitale pour notre temps.

Que le Tout-Puissant bénisse vos travaux et qu’il accorde à vos personnes et à vos proches l’abondance de ses bénédictions !


AUX MEMBRES DE LA COMMISSION POUR LE DIALOGUE THÉOLOGIQUE AVEC LES EGLISES ORTHODOXES ORIENTALES Salle des Papes Jeudi 1 février 2007

Chers frères dans le Christ,
Chers membres de la Commission mixte internationale
pour le Dialogue théologique entre l'Eglise catholique
351 et les Eglises orthodoxes orientales,

C'est avec une grande joie que je vous accueille, à l'occasion de votre IV Assemblée plénière. A travers vous, j'étends avec joie mes salutations fraternelles à mes vénérables frères, les responsables des Eglises orientales orthodoxes: Sa Sainteté le Pape Shenouda III, Sa Sainteté le Patriarche Zak-ka I Iwas, Sa Sainteté le Catholicos Karékine II, Sa Sainteté le Catholicos Aram I, Sa Sainteté le Patriarche Paulus, Sa Sainteté le Patriarche Antonios I et Sa Sainteté Baselios Marthoma Didymus I.

Votre rencontre sur la constitution et la mission de l'Eglise est d'une grande importance pour notre pèlerinage commun vers le rétablissement de la pleine communion. L'Eglise catholique et les Eglises orthodoxes orientales partagent un patrimoine ecclésial qui dérive des temps apostoliques et des premiers siècles du christianisme. Ce "patrimoine d'expérience" devrait façonner notre avenir en orientant "notre cheminement vers le retour à la pleine communion" (Ut unum sint
UUS 56).

Le Seigneur Jésus nous a confié le mandat suivant: "Allez dans le monde entier, proclamez l'Evangile à toute la création" (Mc 16,15). Aujourd'hui, de nombreuses personnes attendent encore de recevoir la vérité sur l'Evangile. Puisse leur soif de la Bonne Nouvelle renforcer notre résolution à oeuvrer et à prier avec zèle pour l'unité demandée à l'Eglise, afin d'exercer sa mission dans le monde, selon la prière de Jésus, "afin qu'ils soient parfaits dans l'unité, et que le monde reconnaisse que tu m'as envoyé et que tu les as aimés comme tu m'as aimé" (Jn 17,23).

Un grand nombre d'entre vous proviennent de pays du Moyen-Orient. La situation difficile à laquelle les personnes et les communautés chrétiennes doivent faire face dans la région est une cause de profonde préoccupation pour nous tous. En effet, les minorités chrétiennes éprouvent des difficultés à survivre dans un climat géopolitique aussi explosif et sont souvent tentées d'émigrer. Dans ces circonstances, les chrétiens de toutes les traditions et les communautés du Moyen-Orient sont appelés à être courageux et déterminés avec la force de l'Esprit du Christ (cf. Message de Noël aux catholiques vivant dans la région du Moyen-Orient, 21 décembre 2006). Puisse l'intercession et l'exemple des nombreux martyrs et saints, qui ont apporté un témoignage courageux du Christ sur ces terres, soutenir et renforcer les communautés chrétiennes dans leur foi!

Merci pour votre présence aujourd'hui et pour votre engagement constant sur le chemin du dialogue et de l'unité. Puisse l'Esprit Saint vous accompagner dans vos débats. Je vous donne à tous de tout coeur ma Bénédiction apostolique.

FÊTE DE LA PRÉSENTATION DU SEIGNEUR XI JOURNÉE MONDIALE DE LA VIE CONSACRÉE


Basilique Vaticane Vendredi 2 février 2007



Chers frères et soeurs,

Je vous rencontre volontiers au terme de la Célébration eucharistique, qui vous a réunis dans cette basilique cette année également, en une occasion très significative pour vous qui, appartenant à des Congrégations, des Instituts, des Sociétés de Vie apostolique et de Nouvelles formes de vie consacrée, constituez une partie particulièrement significative du Corps mystique du Christ. La liturgie d'aujourd'hui rappelle la Présentation du Seigneur au Temple, fête choisie par mon vénéré prédécesseur, Jean-Paul II, comme "Journée de la Vie consacrée". J'adresse avec un vif plaisir mon salut cordial à chacun de vous, ici présents, à commencer par Monsieur le Cardinal Franc Rodé, Préfet de votre dicastère, à qui je suis reconnaissant pour les paroles cordiales qu'il m'a adressées en votre nom. Je salue ensuite le Secrétaire et tous les membres de la Congrégation, qui consacre son attention à un domaine vital de l'Eglise. La fête d'aujourd'hui est plus que jamais opportune pour demander ensemble au Seigneur le don d'une présence toujours plus importante et incisive des religieux, des religieuses et des personnes consacrées dans l'Eglise en marche sur les routes du monde.

Chers frères et soeurs, la fête que nous célébrons aujourd'hui nous rappelle que votre témoignage évangélique, pour être véritablement efficace, doit naître d'une réponse sans réserve à l'initiative de Dieu qui vous a consacrés à lui par un acte d'amour spécial. De même que Siméon et Anne, qui étaient âgés, souhaitaient voir le Messie avant leur mort et parlaient de lui "à ceux qui attendaient la rédemption de Jérusalem" (cf. Lc 2,26 Lc 2,38), à notre époque aussi, est fréquent, en particulier chez les jeunes, le besoin de rencontrer Dieu. Ceux qui sont choisis par Dieu pour la vie consacrée font leur de manière définitive cette aspiration spirituelle. En effet, en eux n'existe qu'une seule attente: celle du Royaume de Dieu; que Dieu règne dans nos volontés, dans nos coeurs, dans le monde. En eux ne brûle qu'une seule soif d'amour, que seul l'Eternel peut étancher. A travers leur exemple, ils proclament à un monde souvent désorienté, mais en réalité toujours plus à la recherche d'un sens, que Dieu est le Seigneur de l'existence, que sa grâce "vaut plus que la vie" (Ps 62,4). En choisissant l'obéissance, la pauvreté et la chasteté pour le Royaume des cieux, ils montrent que tout l'attachement et l'amour pour les choses et les personnes est incapable de combler définitivement notre coeur; que l'existence terrestre est une attente plus ou moins longue de la rencontre "face à face" avec l'Epoux divin, une attente à vivre avec un coeur toujours en éveil, pour être prêts à le reconnaître et à l'accueillir lorsqu'il viendra.


Discours 2005-2013 346