Discours 2005-2013 296

296 En premier lieu, je voudrais remercier chacun de vous pour cette rencontre, qui me semble très importante comme exercice d'affection collégiale, comme manifestation de notre responsabilité commune envers l'Eglise et envers l'Evangile en ce moment du monde. Merci pour tout! Je suis désolé qu'en raison d'autres engagements, en particulier de visites ad limina (ces jours-ci, c'est au tour des Evêques allemands), je n'ai pas pu être avec vous. J'aurais réellement voulu écouter la voix des Evêques suisses, mais d'autres occasions se présenteront peut-être et, naturellement, j'aurais voulu également écouter le dialogue entre la Curie romaine et les Evêques suisses: dans la Curie romaine, c'est toujours également le Saint-Père qui parle, dans sa responsabilité envers l'Eglise tout entière. Merci, donc, pour cette rencontre qui - me semble-t-il - nous aide tous, car c'est pour tous une expérience de l'unité de l'Eglise, et également une expérience de l'espérance qui nous accompagne dans toutes les difficultés qui nous entourent. Je voudrais demander pardon également pour le fait que déjà, le premier jour, je me suis présenté à vous sans texte écrit: naturellement, j'y avais déjà un peu réfléchi, mais je n'avais pas eu le temps d'écrire. Et de même, en cette occasion également, je me présente dans cette pauvreté: mais sans doute être pauvre dans tous les sens du terme convient également à un Pape en ce moment de l'histoire de l'Eglise. Quoi qu'il en soit, je ne peux offrir à présent un grand discours, comme cela serait juste après une rencontre portant de tels fruits. Je dois dire en effet que j'avais déjà lu la synthèse de vos discussions et à présent, je l'ai écoutée avec une grande attention: ce texte me semble être très réfléchi et riche; il répond réellement aux interrogations essentielles qui nous intéressent, tant en ce qui concerne l'unité de l'Eglise dans son ensemble que les questions spécifiques de l'Eglise en Suisse. Il me semble qu'il trace réellement la voie pour les prochaines années et montre notre volonté commune de servir le Seigneur. Un texte très riche. En le lisant, j'ai pensé: il serait un peu absurde que je me mette à présent à parler de thèmes qui ont déjà fait l'objet de discussions profondes et intenses il y a trois jours. Je vois ici le résultat condensé et riche du travail accompli; ajouter encore quelque chose sur les points particuliers me semble très difficile, notamment parce que je connais le résultat du travail, mais pas la voix individuelle de tous ceux qui sont intervenus au cours des discussions. C'est pourquoi j'ai pensé qu'il était sans doute juste de retourner une fois de plus, dans les conclusions de ce soir, sur les grands thèmes qui nous intéressent et qui sont, en définitive, le fondement de tous les détails - même si chaque détail est évidemment important. Dans l'Eglise, l'institution n'est pas seulement une structure extérieure, tandis que l'Evangile serait purement spirituel. En réalité, Evangile et Institution sont inséparables, car l'Evangile a un corps, le Seigneur a un corps à notre époque. C'est pourquoi les questions qui apparaissent presque uniquement institutionnelles, sont en réalité des questions théologiques et des questions centrales, car il s'agit là de la réalisation et de la concrétisation de l'Evangile de notre temps. C'est pourquoi ce qu'il est juste de faire à présent est de répéter une fois de plus les grandes perspectives dans lesquelles s'accomplit toute notre réflexion. Je me permets, avec l'indulgence et la générosité des membres de la Curie Romaine, de revenir à la langue allemande, car nous disposons d'excellents interprètes qui autrement, n'auraient pas de travail. J'ai pensé à deux thèmes spécifiques, dont j'ai déjà parlé, et que je voudrais à présent approfondir davantage.

Encore une fois, donc, le thème de "Dieu". Il m'est venu à l'esprit la parole de saint Ignace: "Le christianisme n'est pas une oeuvre de persuasion, mais de grandeur" (Epître aux
Rm 3,3). Nous ne devrions pas permettre que notre foi soit rendue vaine par les trop nombreuses discussions sur de multiples détails moins importants, mais avoir au contraire toujours sous les yeux en premier lieu sa grandeur. Je me souviens, dans les années 80-90, lorsque j'allais en Allemagne, on me demandait des entretiens, et je connaissais déjà toujours les questions à l'avance. Il s'agissait de l'ordination des femmes, de la contraception, de l'avortement, et d'autres questions semblables qui reviennent constamment. Si nous nous laissons entraîner dans ces discussions, alors, on identifie l'Eglise avec certains commandements ou interdictions et nous apparaissons comme des moralistes ayant des convictions un peu démodées, et la véritable grandeur de la foi n'apparaît absolument pas. C'est pourquoi je pense que la chose fondamentale est de toujours souligner la grandeur de notre foi - un engagement duquel nous ne pouvons pas permettre que nous éloignent de telles situations.

De ce point de vue, je voudrais à présent poursuivre en complétant nos réflexions de mardi dernier et insister une fois de plus: il est important avant tout de soigner le rapport personnel avec Dieu, avec ce Dieu qui s'est montré à nous dans le Christ. Augustin a souligné à plusieurs reprise les deux aspects du concept chrétien de Dieu: Dieu est Logos, et Dieu est Amor - jusqu'au point de se faire tout petit, d'assumer un corps humain et à la fin, de se donner comme pain entre nos mains. Nous devrions toujours garder à l'esprit et transmettre ces deux aspects du concept chrétien de Dieu. Dieu est Spiritus creator, il est Logos, il est raison. C'est pourquoi notre foi est une chose qui a à voir avec la raison, elle peut être transmise à travers la raison et ne doit pas se cacher devant la raison, même celle de notre temps. Mais cette raison éternelle et incommensurable, précisément, n'est pas seulement une mathématique de l'univers et encore moins une cause première qui, après avoir provoqué le Big Bang, a disparu. Au contraire, cette raison a un coeur, au point qu'elle peut renoncer à son immensité et se faire chair. C'est uniquement là, selon moi, que se trouve la véritable grandeur de notre conception de Dieu. Nous le savons: Dieu n'est pas une hypothèse philosophique, il n'est pas quelque chose qui existe peut-être, mais nous Le connaissons et Il nous connaît. Et nous pouvons Le connaître toujours mieux, si nous demeurons en dialogue avec Lui.

C'est pourquoi un devoir fondamental de la pastorale est d'enseigner à prier et de l'apprendre personnellement toujours plus. Il existe aujourd'hui des écoles de prière, des groupes de prière; on voit que les personnes le désirent. De nombreuses personnes recherchent la méditation ailleurs, car elles pensent ne pas pouvoir trouver dans le christianisme la dimension spirituelle. Nous devons à nouveau leur montrer que cette dimension spirituelle non seulement existe, mais qu'elle est la source de tout. Dans ce but, nous devons multiplier ces écoles de prière, de la prière commune, où l'on peut apprendre la prière personnelle dans toutes ses dimensions: comme une écoute silencieuse de Dieu, comme une écoute qui pénètre dans Sa Parole, pénètre dans Son silence, sonde son action dans l'histoire et dans ma personne; comprendre également son langage dans ma vie, puis apprendre à répondre en priant à travers les grandes prières des Psaumes de l'Ancien et du Nouveau Testament. Nous-mêmes ne possédons pas les paroles pour Dieu, mais des paroles nous ont été données: l'Esprit Saint lui-même a déjà formulé des paroles de prière pour nous; nous pouvons y pénétrer, prier avec elles et ainsi, apprendre ensuite également la prière personnelle, "apprendre" Dieu toujours plus et devenir ainsi sûrs de Lui, même s'il se tait - devenir joyeux en Dieu. Cette relation intime avec Dieu et donc l'expérience de la présence de Dieu est ce qui nous fait toujours à nouveau, pour ainsi dire, ressentir la grandeur du christianisme et nous aide ensuite également à traverser toutes les particularités à travers lesquelles il doit certainement être vécu ensuite, et - jour après jour, en souffrant et en aimant, dans la joie et dans la peine - être réalisé.

C'est dans cette perspective qu'apparaît, selon moi, la signification de la Liturgie également comme école, précisément, de prière, dans laquelle le Seigneur lui-même nous enseigne à prier, dans laquelle nous prions avec l'Eglise, que ce soit dans la célébration simple et humble avec quelques fidèles uniquement, ou aussi dans la fête de la foi. J'ai perçu cela à nouveau, précisément maintenant, dans les divers entretiens: combien est important, pour les fidèles, d'une part, le silence dans le contact avec Dieu, et, d'autre part, la fête de la foi, combien il est important de pouvoir vivre cette fête. Le monde aussi a ses fêtes. Nietzsche est allé jusqu'à dire: ce n'est que si Dieu n'existe pas que nous pouvons célébrer la fête. Mais il s'agit d'une absurdité: ce n'est que si Dieu existe et qu'il nous touche qu'il peut y avoir une véritable fête. Et nous savons que ces fêtes de la foi ouvrent le coeur des personnes et produisent des sentiments qui aident à l'avenir. Je l'ai constaté à nouveau dans mes visites pastorales en Allemagne, en Pologne, en Espagne, où la foi est vécu comme une fête et où elle accompagne et guide également les personnes.

Je voudrais à ce sujet évoquer une autre chose encore qui m'a beaucoup frappé et impressionné de façon durable. Dans la dernière oeuvre demeurée inachevée, de saint Thomas d'Aquin, le Compendium Theologiae, qu'il voulait structurer simplement selon les trois vertus théologales de la foi, de l'espérance et de la charité, le grand docteur avait commencé et partiellement développé le chapitre sur l'espérance. Là, il identifie, pour ainsi dire, l'espérance à la prière: le chapitre sur l'espérance est dans le même temps le chapitre sur la prière. La prière est une espérance en cours. Et, de fait, dans la prière est contenue la véritable raison en vertu de laquelle il est possible d'espérer: nous pouvons entrer en contact avec le Seigneur du monde, Il nous écoute et nous pouvons L'écouter. C'est ce à quoi faisait allusion saint Ignace et que je voudrais vous rappeler une fois de plus aujourd'hui: Ou peismones to ergon, alla megethous estin ho Christianismos (Rm 3,3) - la chose véritablement grande dans le christianisme, qui ne dispense pas des petites choses quotidiennes, mais qui ne doit pas non plus être recouverte par elles, est de pouvoir entrer en contact avec Dieu.

La seconde chose qui m'est revenu précisément à l'esprit ces jours-ci, concerne la morale. J'entends souvent dire qu'il existe une nostalgie de Dieu, de spiritualité et de religion chez les personnes et que l'on recommence également à voir dans l'Eglise un possible interlocuteur, dont on pourrait, à cet égard, recevoir quelque chose (il fut un temps où, au fond, on ne recherchait cela que dans les autres religions). On assiste à un nouvel approfondissement de la conscience selon laquelle l'Eglise est porteuse de l'expérience spirituelle; elle est comme un arbre, dans lequel les oiseaux peuvent faire leur nid, même si ensuite, ils veulent s'envoler à nouveau - mais c'est précisément le lieu où l'on peut se poser pendant un certain temps. Ce qui apparaît au contraire très difficile pour les personnes est la morale que l'Eglise proclame. J'ai réfléchi sur cela - j'y réfléchis déjà depuis très longtemps - et je vois toujours plus clairement que, à notre époque, la morale s'est en quelque sorte divisée en deux parties. La société moderne n'est pas simplement sans morale, mais a pour ainsi dire "découvert" et revendique une autre partie de la morale qui, dans l'annonce de l'Eglise au cours des dernières décennies et même plus, n'a sans doute pas été suffisamment proposée. Ce sont les grands thèmes de la paix, de la non-violence, de la justice pour tous, de la sollicitude pour les pauvres, et du respect de la création. Cela est devenu un ensemble éthique qui, précisément comme force politique, possède un grand pouvoir et constitue pour de nombreuses personnes la substitution ou la succession de la religion. Au lieu de la religion, qui est considérée comme métaphysique et quelque chose de l'au-delà - peut-être même comme une chose individualiste -, entrent en compte les grands thèmes moraux comme l'essentiel qui confère également à l'homme sa dignité et l'engage. Cela est un premier aspect; c'est-à-dire que cette moralité existe et attire également les jeunes, qui s'engagent pour la paix, pour la non-violence, pour la justice, pour les pauvres, pour la création. Et ce sont véritablement de grands thèmes moraux, qui appartiennent d'ailleurs également à la tradition de l'Eglise. Les moyens qui s'offrent pour leur résolution sont également souvent unilatéraux, et ne sont pas toujours crédibles, mais nous ne pouvons pas nous arrêter sur cela à présent. Les grands thèmes sont présents.

L'autre partie de la morale, qui est souvent comprise de façon très controversée par la politique, concerne la vie. En fait partie l'engagement pour la vie, de sa conception à sa mort, c'est-à-dire sa défense contre l'avortement, contre l'euthanasie, contre la manipulation et contre l'auto-légitimation de l'homme à disposer de sa vie. On tente souvent de justifier ces interventions à travers les objectifs apparemment nobles de pouvoir, à travers cela, être utiles aux générations futures et, ainsi, détenir entre ses mains la vie elle-même de l'homme et la manipuler apparaît même moral. Mais, d'autre part, existe également la conscience que la vie humaine est un don qui exige notre respect et notre amour, du premier au dernier moment, même pour les personnes qui souffrent, les porteurs de handicap, et les plus faibles. C'est dans ce contexte que se place également la morale du mariage et de la famille. Le mariage est, pour ainsi dire, toujours plus marginalisé. Nous connaissons l'exemple de certains pays où a été apportée une modification législative, selon laquelle à présent, le mariage n'est plus défini comme un lien entre un homme et une femme, mais comme un lien entre des personnes; cela détruit évidemment l'idée de fond et la société, à partir de ses racines, devient une chose totalement différente. La conscience que sexualité, eros et mariage comme union entre un homme et une femme vont de pair, - "tous deux ne feront qu'une seule chair" dit la Genèse - cette conscience s'atténue toujours plus; toute forme de lien semble absolument normale - le tout présenté comme une sorte de moralité de la non-discrimination et une forme de liberté due à l'homme. A travers cela, naturellement, l'indissolubilité du mariage est devenue une idée presque utopique qui, précisément par de nombreuses personnes de la vie publique également, semble démentie. Ainsi, la famille se désagrège progressivement. Certes, en ce qui concerne le problème de la baisse impressionnante du taux de natalité, il existe de multiples explications, mais un rôle décisif est certainement joué également par le fait que l'on veut avoir la vie pour soi, que l'on a peu confiance en l'avenir et que, précisément, l'on considère presque comme irréalisable la famille comme communauté durable, dans laquelle peut croître la génération future.

Dans ces domaines, donc, notre annonce se heurte à une conscience contraire de la société, qui possède pour ainsi dire une sorte d'anti-moralité qui s'appuie sur une conception de la liberté considérée comme la faculté de choisir de façon autonome sans orientations prédéfinies, de la liberté considérée comme une non-discrimination, et donc comme une approbation de tout type de possibilités, se présentant ainsi de façon autonome comme éthiquement correcte. Mais l'autre conscience n'a pas disparu. Elle existe, et je pense que nous devons nous engager à unir ces deux parties de la moralité et mettre en évidence le fait qu'elles sont unies entre elles de façon inséparable. Ce n'est que si l'on respecte la vie humaine de sa conception jusqu'à sa mort que l'éthique de la paix est également possible et crédible; ce n'est qu'alors que la non-violence peut s'exprimer dans toutes les directions, ce n'est qu'alors que nous accueillons véritablement la création et ce n'est qu'alors qu'il est possible de parvenir à la véritable justice. Je pense qu'à cet égard, un grand devoir nous attend: d'une part, ne pas faire apparaître le christianisme comme un simple moralisme, mais comme un don dans lequel nous a été donné l'amour qui nous soutient et qui nous donne ensuite la force nécessaire pour savoir "perdre notre vie"; de l'autre, dans ce contexte d'amour donné, progresser également vers les concrétisations, pour lesquelles le fondement nous est toujours offert par le Décalogue qu'avec le Christ et avec l'Eglise, nous devons lire en notre temps de façon progressive et nouvelle.

Tels étaient donc les thèmes que je pensais devoir et pouvoir encore ajouter. Je vous remercie de votre indulgence et de votre patience. Espérons que le Seigneur nous aide tous sur notre chemin!


AUX ÉVÊQUES DE LA CONFÉRENCE ÉPISCOPALE DE LA RÉPUBLIQUE FÉDÉRALE D'ALLEMAGNE EN VISITE "AD LIMINA APOSTOLORUM" Vendredi 10 novembre 2006



297 Messieurs les Cardinaux,
Chers frères dans l'épiscopat!

Bienvenus dans la maison du Successeur de Pierre! Dans la joie de la foi, dont l'annonce est notre service commun de Pasteurs, je vous souhaite la bienvenue à cette rencontre avec le premier groupe d'Evêques allemands, à l'occasion de votre visite ad limina. Après mes visites en Allemagne, à l'occasion de la Journée mondiale de la Jeunesse en 2005, et, plus récemment, au mois de septembre, visites au cours desquelles j'ai pu, du moins brièvement, rencontrer un grand nombre d'entre vous, je suis heureux de vous accueillir ici pour porter ensemble un regard sur la situation de l'Eglise dans notre pays. Je n'ai bien sûr pas besoin de préciser que les catholiques des diocèses allemands et tous les chrétiens de mon pays, en général, me tiennent à coeur. Je prie chaque jour afin que Dieu bénisse le peuple allemand et toutes les personnes qui vivent dans notre patrie. Puisse le grand amour de Dieu toucher et transformer le coeur de tous! Je suis reconnaissant de pouvoir, à travers le dialogue avec chacun de vous, non seulement approfondir notre amitié et notre lien personnel, mais également apprendre beaucoup sur la situation dans vos diocèses. Dans les deux discours par lesquels nous concluons nos rencontres personnelles, je voudrais souligner certains aspects de la vie ecclésiale qui, en ce moment de notre histoire, me tiennent particulièrement à coeur.

La République fédérale d'Allemagne partage avec le monde occidental tout entier une culture caractérisée par la sécularisation, dans laquelle Dieu disparaît toujours davantage de la conscience publique, dans laquelle l'unicité de la figure du Christ s'amoindrit et dans laquelle les valeurs formées par la tradition de l'Eglise perdent toujours plus de leur importance. Ainsi, pour la personne également, la foi devient toujours plus difficile: les projets de vie et la façon de vivre sont déterminés par le goût personnel. Telle est la situation que doivent affronter tant les pasteurs de l'Eglise que les fidèles. C'est pourquoi de nombreuses personnes se sont laissées gagner par le découragement et la résignation, des attitudes qui font obstacle au témoignage de l'Evangile libérateur et salvifique du Christ. Le christianisme n'est-il également pas, au fond, que l'une des nombreuses propositions visant à donner un sens à la vie? C'est une question que de nombreuses personnes se posent. Toutefois, dans le même temps, face à la fragilité et à la brièveté de la majorité de ces propositions, de nombreuses personnes se tournent vers le message chrétien, et attendent de nous des réponses convaincantes à leurs questions et à leurs espérances.

Je pense que l'Eglise qui est en Allemagne doit considérer la situation qui vient d'être évoquée comme un défi providentiel et l'affronter avec courage. Nous, chrétiens, ne devons pas craindre la confrontation spirituelle avec une société qui, derrière la supériorité intellectuelle qu'elle affiche, cache sa perplexité face aux questions existentielles fondamentales. En vérité, les réponses que l'Eglise tire de l'Evangile du Logos fait homme se sont révélées valables en ce qui concerne la pensée des deux derniers millénaires; elles ont une valeur durable. Renforcés par cette conscience, nous pouvons rendre compte à tous ceux qui nous demandent raison de l'espérance qui est en nous (cf.
1P 3,15). Cela vaut également pour nos relations avec les fidèles des autres religions, et surtout avec les nombreux musulmans qui vivent en Allemagne, et envers lesquels nous nourrissons des sentiments de respect et de bienveillance. Ce sont précisément eux, qui observent leurs convictions et leurs rites religieux souvent avec un grand sérieux, qui ont le droit de recevoir notre témoignage humble et ferme en faveur de Jésus Christ. Pour pouvoir apporter ce témoignage de façon convaincante, un engagement sérieux est toutefois nécessaire. C'est pourquoi, les lieux où la population musulmane est nombreuse devraient pouvoir disposer d'interlocuteurs catholiques, qui possèdent des connaissances adéquates tant linguistiques qu'en ce qui concerne l'histoire des religions, leur permettant de dialoguer avec les musulmans. Toutefois, ce dialogue suppose avant tout une solide connaissance de sa propre foi catholique.

Avec cela, nous abordons un autre thème très central: celui de l'enseignement de la religion, des écoles catholiques et de la formation catholique des adultes. Ce domaine exige une attention nouvelle et particulière de la part des Evêques. Il faut avant tout se préoccuper des programmes d'étude pour l'enseignement de la religion, qui doivent être inspirés par le Catéchisme de l'Eglise catholique, afin qu'au cours des études soit transmise la totalité de la foi et des traditions de l'Eglise. Par le passé, le contenu de la catéchèse était souvent placé au second plan par rapport aux méthodes didactiques. La présentation intégrale et compréhensible des contenus de la foi représente un aspect décisif pour l'approbation des manuels pour l'enseignement de la religion. La fidélité des enseignants à la foi de l'Eglise et leur participation à la vie liturgique et pastorale des paroisses ou des communautés ecclésiales, sur le territoire desquelles elles accomplissent leur travail, est tout aussi importante. En outre, dans les écoles catholiques, il est important que l'introduction à la vision catholique du monde et à la pratique de la foi, ainsi que la formation catholique intégrale de la personnalité, soient transmises de façon convaincante, non seulement au cours de l'heure de religion, mais également au cours de toute la journée scolaire - et notamment à travers le témoignage personnel des enseignants. Il faut accorder également de l'importance aux multiples institutions et activités dans le domaine de la formation des adultes. Il faut porter ici une attention particulière au choix des thèmes et des formateurs afin que, en abordant des questions superficielles actuelles ou des problèmes marginaux, on ne néglige pas les contenus centraux de la foi et de l'empreinte chrétienne de la vie.

La transmission complète et fidèle de la foi à l'école et dans la formation des adultes dépend, à son tour, de façon déterminante de la formation des candidats au sacerdoce et des enseignants de religion dans les Facultés de théologie et dans les Universités. Nous ne soulignerons jamais assez que la fidélité au Depositum fidei, telle qu'il est présenté par le Magistère de l'Eglise, représente le présupposé par excellence pour une recherche et un enseignement sérieux. Cette fidélité est également une exigence de l'honnêteté intellectuelle pour quiconque est chargé par l'Eglise d'accomplir un devoir d'enseignement académique. Les Evêques ont ici le devoir de donner leur "nihil obstat" en tant que premiers responsables, uniquement après un examen consciencieux. Seule une Faculté de théologie qui se sent obligée de respecter ce principe pourra être en mesure d'apporter une contribution authentique à l'échange sprituel au sein des Universités.

Permettez-moi, vénérés confrères, de parler également de la formation dans les grands séminaires. A cet égard, le Concile Vatican II, dans son décret Optatam totius, a établi des normes importantes qui, malheureusement, n'ont pas encore été pleinement appliquées. Cela vaut en particulier pour l'institution de ce que l'on appelle le cours d'introduction avant le début des études à proprement parler. Celui-ci ne devrait pas seulement transmettre une solide connaissance des langues classiques, qu'il faut expressément exiger pour l'étude de la philosophie et de la théologie, mais également la familiarité avec le catéchisme, avec la pratique religieuse, liturgique et sacramentelle de l'Eglise. Face au nombre croissant de personnes intéressées et de candidats qui ne proviennent plus d'une formation catholique traditionnelle, une telle année d'introduction est urgente et nécessaire. En outre, au cours de cette année, l'étudiant peut parvenir à une plus grande lucidité en ce qui concerne sa vocation au sacerdoce. D'autre part, les personnes responsables de la formation sacerdotale ont la possibilité de se faire une idée du candidat, de sa maturité humaine et de sa vie de foi. Ce que l'on appelle les jeux de rôle avec une dynamique de groupe, les groupes d'autoconscience et d'autres expériences psychologiques sont en revanche moins adaptés à ce but et risquent de susciter la confusion et l'incertitude.

Chers frères dans l'épiscopat, dans ce contexte plus vaste, je désire vous recommander de façon particulière, l'Université catholique d'Eichstätt-Ingolstadt. Avec elle, l'Allemagne catholique dispose d'un lieu d'excellence pour une confrontation de haut niveau académique, et à la lumière de la foi catholique, avec les courants spirituels et les problèmes, et en vue de la formation d'une élite spirituelle qui puisse affronter les défis du présent et de l'avenir dans l'esprit de l'Evangile. Le soutien économique de l'unique Université catholique en Allemagne devrait être reconnu comme un engagement commun de tous les diocèses allemands, car à l'avenir, les coûts liés à son activité ne pourront plus être soutenus uniquement par les diocèses bavarois qui, toutefois, continuent à avoir une responsabilité particulière à l'égard de cette Université.

Enfin, je voudrais m'arrêter une fois de plus sur une question aussi urgente que chargée de sentiments: la relation entre prêtres et laïcs dans l'accomplissement de la mission de l'Eglise. Dans notre culture séculière, nous découvrons toujours plus combien la collaboration active des laïcs est importante pour la vie de l'Eglise. Je désire remercier de tout coeur tous les laïcs qui, en vertu de la force du baptême, soutiennent de façon vivante l'Eglise. C'est précisément parce que le témoignage actif des laïcs est si important, qu'il est tout aussi important que les profils spécifiques des diverses missions ne soient pas confondus. L'homélie au cours de la Messe est un devoir lié au ministère ordonné; lorsqu'un nombre suffisant de prêtres et de diacres est présent, c'est à eux que revient la distribution de la Communion. En outre, on continue à demander que les laïcs puissent accomplir des fonctions de direction pastorale. A cet égard, nous ne pouvons pas débattre des questions qui y sont liées uniquement d'un point de vue de l'utilité pastorale, car il s'agit de vérités de la foi, c'est-à-dire de la structure sacramentelle et hiérarchique voulue par Jésus Christ pour son Eglise. Etant donné que celle-ci se base sur sa volonté, de même que la transmission apostolique s'appuie sur son mandat, celles-ci doivent être privées de toute intervention humaine. Seul le Sacrement de l'Ordination autorise celui qui le reçoit à parler et à agir in persona Christi. C'est cela, chers confrères, qu'il faut inculquer toujours à nouveau avec une grande patience et une grande sagesse, en en tirant ensuite les conséquences nécessaires.

Chers confrères dans l'épiscopat! L'Eglise qui est en Allemagne possède de profondes racines spirituelles et des moyens exceptionnels pour la promotion de la foi et pour le soutien des personnes dans le besoin, dans le pays lui-même ainsi qu'à l'étranger. Le nombre de fidèles engagés et également la qualité de leur travail pour le bien de l'Eglise sont véritablement significatifs. La réalisation de la mission de l'Eglise a également besoin de la collaboration, généralement positive, entre l'Etat et l'Eglise pour le bien des personnes en Allemagne. Pour pouvoir affronter de façon adéquate les défis dus à la persistance du processus de sécularisation, dont nous avons parlé au début, l'Eglise qui est en Allemagne doit surtout rendre à nouveau visible la force et la beauté de la foi catholique: pour pouvoir le faire, elle doit croître dans la communion avec le Christ. L'unité des Evêques, du clergé et des laïcs entre eux et également avec l'Eglise universelle, en particulier avec le Successeur de Pierre, est en cela d'une importance fondamentale. Que la puissante intercession de la Vierge Marie, Mère de Dieu, qui, dans notre patrie allemande, possède de nombreux et merveilleux sanctuaires, ainsi que l'intercession de saint Boniface et de tous les saints de notre pays, puissent obtenir pour vous et pour tous les fidèles la force et la persévérance de poursuivre avec courage et confiance la grande oeuvre de renouveau authentique de la vie de foi dans l'adhésion fidèle aux indications de l'Eglise universelle! A vous tous, dans les devoirs de votre service de pasteurs, ainsi qu'à tous les fidèles d'Allemagne, je donne de tout coeur la Bénédiction apostolique.


À LA "FONDATION DE LA SAINTE FAMILLE DE NAZARETH" ET À L’ASSOCIATION LAÏQUE "COMMUNAUTÉ DOMENICO TARDINI" Salle Paul VI Samedi 11 novembre 2006

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Monsieur le Cardinal,
vénérés Frères dans l'Episcopat,
chers frères et soeurs!

C'est avec joie que je suis aujourd'hui parmi vous pour célébrer le soixantième anniversaire des origines de l'Institution, née de la sage intuition de Mgr Domenico Tardini, et par la suite guidée par le regretté Cardinal Antonio Samorè, puis par notre Cardinal Silvestrini, avec la contribution d'amis du monde de l'école, de la culture et du travail, ainsi que de bienfaiteurs italiens et américains. Je vous salue tous avec affection, étudiants, anciens élèves, amis, ainsi que toutes vos familles, et je vous remercie pour votre accueil chaleureux. Je salue, en particulier, le Cardinal Achille Silvestrini, Président de la "Fondation de la Sainte Famille de Nazareth" et je lui suis reconnaissant pour les paroles à travers lesquelles il m'a présenté cette oeuvre éducative et ecclésiale, à laquelle il consacre tant d'intelligence et d'amour. Je salue le Vice-président, Mme Angela Groppelli, psychologue qui, depuis plus de cinquante ans, se prodigue pour Villa Nazareth, ainsi que Mgr Claudio Maria Celli et les Evêques et les prêtres qui y ont apporté et continuent d'apporter les dons de la vie spirituelle, les membres du Conseil de la Fondation et de l'Association laïque "Communauté Domenico Tardini", avec le Vice-président, Pier Silverio Pozzi et tous les membres de l'association. Villa Nazareth est une réalité riche qui continue de se développer grâce à l'engagement des étudiants au cours de la période de formation et, ensuite, grâce à l'insertion professionnelle et aux nouvelles familles qui naissent. C'est cette grande famille tout entière que je désire saluer avec une affection paternelle particulière.

Villa Nazareth, qui a accueilli au cours des soixante dernières années, plusieurs générations d'enfants et de jeunes, se propose de valoriser l'intelligence de ses élèves dans le respect de la liberté de la personne, afin de leur faire voir dans le service aux autres l'authentique expression de l'amour chrétien. Villa Nazareth veut former ses jeunes au courage de prendre des décisions, dans une attitude d'ouverture au dialogue, en référence à la raison purifiée dans le creuset de la foi. En effet, la foi est en mesure d'offrir des perspectives d'espérance à tout projet ayant à coeur le destin de l'homme. La foi scrute l'invisible et elle est donc amie de la raison qui se pose les questions essentielles dont tire son sens notre chemin ici-bas.

A cet égard, il peut être éclairant d'écouter la question que, d'après le récit de Luc dans les Actes des Apôtres, le diacre Philippe pose à l'Ethiopien rencontré sur la route de Jérusalem à Gaza: "Comprends-tu donc ce que tu lis?" (
Ac 8,30). L'Ethiopien répond: "Et comment le pourrais-je, si personne ne me guide?" (Ac 8,31). Philippe lui parle alors du Christ. L'Ethiopien découvre ainsi la réponse à ses interrogations dans la personne du Christ annoncé à travers des paroles voilées par le prophète Isaïe. Il est donc important que quelqu'un s'approche d'une personne qui est en chemin et lui annonce "la bonne nouvelle de Jésus", comme le fit Philippe. C'est ici que se trouve la "diaconie" que la culture chrétienne peut accomplir, en aidant les personnes qui sont en quête, à découvrir Celui qui est caché dans les pages de la Bible comme dans les événements de la vie de chacun. Mais l'on ne doit pas oublier que le Seigneur dit qu'on lui a donné à manger, à boire, qu'il a été accueilli, vêtu et visité dans chaque personne dans le besoin (cf. Mt 25,31-46). Il est donc également "caché" dans ces personnes et ces événements. Je sais que vous avez l'habitude de réfléchir sur ces textes et d'autres textes semblables de la Bible. Ce sont des paroles qui vous accompagnent au cours de vos journées. En unissant ces images et ces avertissements, vous pouvez clairement comprendre combien la vérité et l'amour sont inséparables. Aucune culture ne peut être satisfaite d'elle-même si elle ne découvre pas qu'elle doit faire attention aux nécessités réelles et profondes de l'homme, de tout homme.

A Villa Nazareth, il vous est donné de ressentir que la parole de Dieu exige une écoute attentive et un coeur généreux et mûr pour être vécue en plénitude. Les contenus de la révélation de Jésus sont concrets et un intellectuel inspiré par la foi chrétienne doit toujours être prêt à les communiquer lorsqu'il dialogue avec ceux qui sont à la recherche de solutions capables d'améliorer l'existence et de répondre à l'inquiétude qui tenaille chaque coeur humain. Il faut montrer avant tout la correspondance profonde qui existe entre les instances qui sont issues de la réflexion sur les événements humain et le Logos divin qui "s'est fait chair" et qui est venu "habiter parmi nous" (cf. Jn 1,14). C'est ainsi que se crée une convergence féconde entre les postulats de la raison et les réponses de la Révélation et c'est précisément de là que jaillit une lumière qui illumine le chemin sur lequel orienter son engagement.

C'est dans le contact quotidien avec l'Ecriture et les enseignements de l'Eglise que se développe votre maturité sur le plan humain, professionnel et spirituel et que vous pouvez ainsi entrer toujours plus dans le mystère de la Raison créatrice qui continue d'aimer le monde et de dialoguer avec la liberté des créatures. Un intellectuel chrétien - et c'est certainement ce que souhaitent être les personnes qui sortent de Villa Nazareth - doit toujours cultiver en lui l'émerveillement pour cette vérité fondamentale. Cela facilite l'adhésion docile à l'Esprit de Dieu et, dans le même temps, pousse à servir les frères avec une prompte disponibilité.

Vous pouvez déduire le "style" de votre engagement d'une parole de saint Paul à la communauté chrétienne qui vivait à Philippes: "Enfin, frères, tout ce qu'il y a de vrai, de noble, de juste, de pur, d'aimable, d'honorable, tout ce qu'il peut y avoir de bon dans la vertu et la louange humaines, voilà ce qui doit vous préoccuper" (Ph 4,8). C'est précisément dans cette perspective que vous pouvez tisser un dialogue fécond avec la culture, et apporter votre contribution pour faire en sorte que de nombreuses personnes trouvent la réponse en Jésus Christ. Sentez-vous vous aussi poussés par l'Esprit de Jésus, comme il advint au diacre Philippe, qui s'entendit dire: "Pars et vas-t'en, à l'heure de midi, sur la route qui descend de Jérusalem à Gaza; elle est déserte" (Ac 8,26). Aujourd'hui aussi, chers jeunes, nombreuses sont les "routes désertes" sur lesquelles vous marcherez dans votre existence de croyants: c'est précisément le long de celles-ci que vous pourrez vous approcher de celui qui recherche le sens de la vie. Préparez-vous à être vous aussi au service d'une culture qui favorise la rencontre de fraternité de l'homme avec l'homme et la découverte du salut qui nous vient de Dieu.

Chers frères et soeurs, Villa Nazareth a toujours fait l'objet, dès le début, d'une bienveillance particulière de la part de mes vénérés prédécesseurs: du serviteur de Dieu Pie XII, qui la vit naître, au serviteur de Dieu Jean-Paul II qui la visita il y a dix ans, à l'occasion du 50 anniversaire de sa fondation. Cette bienveillance de la part des Papes a alimenté et doit continuer d'alimenter votre lien spirituel avec le Saint-Siège. Dans le même temps, ce lien d'estime et d'affection vous engage à marcher fidèlement sur les traces de ce grand "homme de Dieu" que fut le Cardinal Domenico Tardini. A travers ses paroles et son exemple, il vous exhorte à être particulièrement sensibles, attentifs et réceptifs à l'égard des enseignements de l'Eglise. Avec ces sentiments, tandis que j'invoque sur vous la protection spéciale de la Madone "Mater Ecclesiae", j'assure à chacun de vous mon souvenir dans la prière et je vous bénis tous avec affection, en commençant par vos nombreux enfants.



Discours 2005-2013 296