Discours 2005-2013 396


VISITE PASTORALE À VIGEVANO ET PAVIE (ITALIE)

BENOÎT XVI

REGINA CAELI Esplanade des "Orti dell’Almo Collegio Borromeo", Pavie III Dimanche de Pâques, 22 avril 2007

Chers frères et soeurs!

Avant de conclure cette célébration, je souhaite remercier tous ceux qui l'ont préparée et animée avec attention et dévotion. J'adresse un salut affectueux aux personnes âgées et aux malades qui ont suivi la Messe à la radio et à la télévision, ainsi qu'aux communautés de clôture et à tous ceux qui, pour différentes raisons, n'ont pas pu être présents et se sont unis à nous spirituellement. Je fais mémoire en particulier des hôtes de la "Casa Circondariale" de Torre di Gallo, qui m'ont écrit une belle lettre. Parmi les personnes présentes, en revanche, je voudrais saluer encore une fois les jeunes, que ce soient ceux de Pavie ou ceux qui proviennent des diocèses voisins. Chers jeunes garçons et jeunes filles, je vous souhaite de découvrir toujours davantage la joie de suivre Jésus et de devenir ses amis. C'est la joie de Pierre et des autres apôtres, des saints et des saintes de tous les temps. Cette joie est également celle qui m'a poussé à écrire le livre Jésus de Nazareth, qui vient d'être publié. Pour les plus jeunes, il est un peu complexe, mais je vous le remets idéalement, pour qu'il accompagne le chemin de foi des nouvelles générations.

En pensant aux jeunes, je suis heureux de rappeler qu'aujourd'hui est célébrée en Italie la Journée pour l'Université catholique du Sacré-Coeur.C'est un rendez-vous significatif, parce que l'Université catholique constitue un point de référence pour la communauté ecclésiale et offre une précieuse contribution scientifique, culturelle et formatrice au pays tout entier. Tournons à présent notre esprit et notre coeur vers la Vierge Marie. Je lui confie tout le diocèse de Pavie, qui la vénère dans de très nombreux sanctuaires et lieux de prière. Je confie à sa protection maternelle chaque communauté particulière, chaque famille, en particulier les situations de plus grande difficulté. Que la Très Sainte Vierge Marie obtienne la paix et le réconfort pour tous. Nous l'invoquons en chantant ensemble l'antienne du Temps de Pâques.

VISITE PASTORALE À VIGEVANO ET À PAVIE

CONCÉLÉBRATION EUCHARISTIQUE

HOMÉLIE Esplanade des "Orti Borromaici", devant le Collège Borromeo de Pavie III Dimanche de Pâques, 22 avril 2007

Chers frères et soeurs!

Hier après-midi, j'ai rencontré la communauté diocésaine de Vigevano et le coeur de ma visite pastorale a été la Concélébration eucharistique sur la "Piazza Ducale"; aujourd'hui, j'ai la joie de visiter votre diocèse et le moment culminant de notre rencontre est, ici aussi, la Messe. Je salue avec affection les Confrères qui célèbrent avec moi: le Cardinal Dionigi Tettamanzi, Archevêque de Milan, le Pasteur de votre diocèse, Monseigneur Giovanni Giudici, l'Evêque émérite, Monseigneur Giovanni Volta, ainsi que les autres prélats de Lombardie. Je remercie de leur présence les représentants du gouvernement et des administrations locales. J'adresse mon salut cordial aux prêtres, aux diacres, aux religieux et aux religieuses, aux responsables des associations de laïcs, aux jeunes, aux malades et à tous les fidèles, et j'étends ma pensée à toute la population de cette antique et noble ville et du diocèse.

397 Au cours du temps pascal, l'Eglise nous présente, dimanche après dimanche, quelques passages de la prédication à travers lesquels les Apôtres, en particulier Pierre, après Pâques, invitaient Israël à la foi en Jésus Christ, le Ressuscité, fondant ainsi l'Eglise. Dans la lecture d'aujourd'hui, les Apôtres se tiennent devant le Sanhédrin - devant l'institution qui, ayant déclaré Jésus coupable de mort, ne pouvait tolérer que ce Jésus, à travers la prédication des Apôtres, commence à présent à agir à nouveau; elle ne pouvait tolérer que sa force de guérison soit à nouveau présente et qu'autour de ce nom se rassemblent des personnes qui croyaient en Lui comme dans le Rédempteur promis. Les Apôtres sont accusés. Le reproche est le suivant: "Vous voulez faire retomber sur nous le sang de cet homme-là". A cette accusation, Pierre répond par une brève catéchèse sur l'essence de la foi chrétienne: "Non, nous ne voulons pas faire retomber son sang sur vous. L'effet de la mort et de la résurrection de Jésus est totalement différent. Dieu a fait de lui "la tête et le sauveur" pour tous, précisément pour vous également, pour son peuple d'Israël". Et où conduit cette "tête", qu'apporte ce "sauveur"? Saint Pierre nous dit qu'il conduit à la conversion - il crée l'espace et la possibilité de reconnaître ses torts, de se repentir, de recommencer. Et Il donne le pardon des péchés - il nous introduit dans une juste relation avec Dieu et ainsi dans une juste relation de chacun avec soi-même et avec les autres.

Cette brève catéchèse de Pierre ne valait pas seulement pour le Sanhédrin. Elle nous parle à tous. Parce que Jésus, le Ressuscité, vit également aujourd'hui. Et pour toutes les générations, pour tous les hommes, Il est la "tête" qui précède sur le chemin, qui montre la voie et le "sauveur" qui rend notre vie juste. Les deux paroles "conversion" et "pardon des péchés" correspondent aux deux titres du Christ "tête" archegòs en grec, et "sauveur", il s'agit des deux paroles-clés de la catéchèse de Pierre, paroles qui en cet instant, veulent atteindre également notre coeur. Et que veulent-elles dire? Le chemin que nous devons accomplir - le chemin que Jésus nous indique, s'appelle "conversion". Mais quel est-il? Que faut-il faire? Dans chaque vie, la conversion possède sa propre forme, car chaque homme est quelque chose de nouveau et personne n'est uniquement la copie d'un autre. Mais au cours de l'histoire de la chrétienté, le Seigneur nous a envoyé des modèles de conversion qui, si nous tournons notre regard vers eux, peuvent nous orienter. Nous pourrions pour cela regarder Pierre lui-même, auquel le Seigneur avait dit au Cénacle: "Toi donc, quand tu seras revenu, affermis tes frères" (
Lc 22,32). Nous pourrions nous tourner vers Paul comme vers un grand converti. La ville de Pavie parle de l'un des plus grands convertis de l'histoire de l'Eglise: saint Aurélien Augustin. Il mourut le 28 août 430 dans la ville portuaire d'Hippone, en Afrique, alors encerclée et assiégée par les Vandales. Après la grande confusion d'une histoire agitée, le roi des Lombards fit l'acquisition de sa dépouille pour la ville de Pavie, de sorte qu'aujourd'hui, il appartient de façon particulière à cette ville, et en elle et d'elle, il nous parle à tous, à l'humanité, mais en particulier à nous tous, et ici spécialement.

Dans son livre "Les Confessions", Augustin a illustré de façon touchante le chemin de sa conversion, qui, avec le Baptême qui lui a été administré par l'Evêque Ambroise dans la Cathédrale de Milan, avait atteint son but. Celui qui lit Les Confessions, peut partager le chemin qu'Augustin, dans une longue lutte intérieure, dut parcourir pour recevoir finalement sur les fonts baptismaux, dans la nuit de Pâques 387, le Sacrement qui marqua le grand tournant de sa vie. En suivant attentivement le cours de la vie de saint Augustin, on peut voir que la conversion ne fut pas seulement un événement d'un moment unique, mais précisément un chemin. Et l'on peut voir que ce chemin ne s'est pas arrêté sur les fonts baptismaux. Comme avant le Baptême, de même après celui-ci, la vie d'Augustin est demeurée, bien que de façon diverse, un chemin de conversion - jusque dans la dernière étape de sa maladie, lorsqu'il fit accrocher sur les murs les Psaumes pénitentiels pour qu'il les ait toujours sous les yeux; lorsqu'il s'exclut lui-même du sacrement de l'Eucharistie pour reparcourir encore une fois la voie de la pénitence et recevoir le salut des mains du Christ comme don des miséricordes de Dieu. Ainsi, nous pouvons à juste titre parler des "conversions" d'Augustin qui, de fait, ont été une unique grande conversion dans la recherche du Visage du Christ, puis dans le chemin parcouru avec Lui.

Je voudrais parler brièvement de trois grandes étapes dans ce chemin de conversion, de trois "conversions". La première conversion fondamentale fut le chemin intérieur vers le christianisme, vers le "oui" de la foi et du Baptême. Quel fut l'aspect essentiel de ce chemin? Augustin, d'une part, était le fils de son temps, profondément conditionné par les habitudes et par les passions qui dominaient en lui, ainsi que par toutes les questions et les problèmes d'un jeune homme. Il vivait comme tous les autres et toutefois, il y avait quelque chose de différent en lui: il demeura toujours une personne en recherche. Il ne se contenta jamais de la vie telle qu'elle se présentait et comme tous la vivaient. Il était toujours tourmenté par la question de la vérité. Il voulait trouver la vérité. Il voulait réussir à savoir ce qu'est l'homme; d'où provient le monde; d'où nous venons nous-mêmes, où nous allons et comment nous pouvons trouver la vie véritable. Il voulait trouver une vie droite et pas seulement vivre aveuglément sans sens, ni but. La passion pour la vérité est la véritable parole-clé de sa vie. La passion pour la vérité l'a véritablement guidé. Et il y a encore une particularité. Tout ce qui ne portait pas le nom du Christ ne lui suffisait pas. L'amour pour ce nom - nous dit-il - avait été bu avec le lait même de sa mère (cf. Conf. 3, 4, 8). Et il avait toujours cru, parfois plutôt vaguement, parfois plus clairement - que Dieu existe et qu'il prend soin de nous (cf. Conf. 6, 5, 8). Mais connaître véritablement ce Dieu, se familiariser véritablement avec Jésus Christ et arriver à Lui dire "oui" avec toutes les conséquences que cela comporte - telle était la grande lutte intérieure de ses années de jeunesse. Il nous raconte qu'à travers la philosophie platonicienne, il avait appris et reconnu qu'"au commencement était le Verbe" - le Logos, la raison créatrice. Mais la philosophie, qui lui montrait que le principe de tout est la raison créatrice, cette même philosophie ne lui indiquait aucune voie pour l'atteindre; ce Logos demeurait lointain et intangible. Ce n'est que dans la foi de l'Eglise qu'il trouva ensuite la seconde vérité essentielle: le Verbe, le Logos, s'est fait chair. Et ainsi, il nous touche, nous le touchons. A l'humilité de l'incarnation de Dieu doit correspondre - tel est le grand pas - l'humilité de notre foi, qui abandonne l'orgueil pédant et qui s'incline en entrant dans la communauté du corps du Christ; qui vit avec l'Eglise et seulement ainsi entre dans la communion concrète, et même corporelle, avec le Dieu vivant. Je n'ai pas besoin de dire combien tout cela nous concerne: demeurer des personnes qui cherchent, ne pas se contenter de ce que tous disent et font. Ne pas détacher son regard de Dieu éternel et de Jésus Christ. Apprendre l'humilité de la foi dans l'Eglise corporelle de Jésus Christ, du Logos incarné.

Augustin nous décrit sa deuxième conversion à la fin du livre X de ses Confessions à travers ces paroles: "Plié sous la crainte de mes péchés et le fardeau de ma misère, j'avais délibéré dans mon coeur et presque résolu de fuir au désert; mais vous m'en avez empêché, me rassurant par cette parole: "Le Christ est mort pour tous, afin que ceux qui vivent ne vivent plus à eux-mêmes, mais à celui qui est mort pour eux"" (2Co 5,15 Conf 2Co 10, 43, 2Co 70). Que s'était-il passé? Après son Baptême, Augustin s'était décidé à retourner en Afrique, et là, il avait fondé avec ses amis un petit monastère. A présent, sa vie devait être consacrée entièrement au dialogue avec Dieu, à la réflexion et à la contemplation de la beauté et de la vérité de sa Parole. Ainsi, il vécut trois années de bonheur, croyant avoir atteint le but de sa vie; à cette époque vit le jour une série de précieuses oeuvres philosophiques et théologiques. En 391, quatre ans après son baptême, il alla rendre visite dans la ville portuaire d'Hippone à un ami, qu'il voulait gagner à son monastère. Mais au cours de la liturgie du dimanche, à laquelle il participait dans la cathédrale, on le reconnut. L'Evêque de la ville, un homme d'origine grecque, qui ne parlait pas bien le latin et qui avait des difficultés à prêcher, dit, non par hasard, dans son homélie, qu'il avait l'intention de choisir un prêtre auquel confier la charge de la prédication. Immédiatement, la foule se saisit d'Augustin et le conduisit de force à l'avant, afin qu'il fût consacré prêtre au service de la ville. Immédiatement après sa consécration forcée, Augustin écrivit à l'Evêque Valerio: "Je me sentais comme quelqu'un à qui on a donné la seconde place au gouvernail, à moi qui ne savais pas même tenir un aviron... Voilà pourquoi, au temps de mon ordination, quelques-uns de mes frères me virent, dans la ville, verser des larmes" (cf. Lettres 21, 1sq). Le beau rêve de la vie contemplative avait disparu, la vie d'Augustin s'en trouva fondamentalement transformée. A présent, il ne pouvait plus s'adonner à la méditation dans la solitude. Il devait vivre avec le Christ pour tous. Il devait traduire ses connaissances et ses pensées sublimes dans la pensée et le langage des personnes simples de sa ville. La grande oeuvre philosophique de toute une vie, qu'il avait rêvée, demeura non écrite. A sa place, nous fut donné quelque chose de plus précieux: l'Evangile traduit dans le langage de la vie quotidienne et de ses souffrances. Il a décrit ainsi ce qui constituait désormais son quotidien: "Réprimer les orgueilleux, consoler les pusillanimes, soutenir les faibles, réfuter les contradicteurs... exciter les paresseux, apaiser le disputeurs, aider les indigents, délivrer les opprimés, encourager les bons, tolérer les méchants, aimer tout le monde" (cf. Serm 340, 3). "Prêcher, reprendre, corriger, édifier, s'inquiéter pour chacun, quelle charge, quel poids, quel travail" (Serm 339, 4). Telle fut la deuxième conversion que cet homme, en luttant et en souffrant, dut continuellement réaliser: être toujours à nouveau là pour tous, non pas pour sa propre perfection; toujours à nouveau, avec le Christ, donner sa vie, afin que les autres puissent le trouver, Lui, la véritable Vie.

Il y a encore une troisième étape décisive sur le chemin de conversion de saint Augustin. Après son ordination sacerdotale, il avait demandé une période de congé pour pouvoir étudier plus à fond les Ecritures Saintes. Son premier cycle d'homélies, après cette pause de réflexions, concerna le Discours de la montagne; il y expliquait la voie menant à une vie droite, "à la vie parfaite" indiquée de façon nouvelle par le Christ - il la présentait comme un pèlerinage sur le mont saint de la Parole de Dieu. Dans ces homélies, on peut encore percevoir tout l'enthousiasme d'une foi venant d'être trouvée et vécue: la ferme conviction selon laquelle le baptisé, vivant totalement selon le message du Christ, peut être, précisément, "parfait" selon le Sermon de la montagne. Une vingtaine d'années plus tard, Augustin écrivit un livre intitulé Les Rétractations, dans lequel il passait en revue de façon critique ses oeuvres rédigées jusqu'alors, apportant des corrections là où, entre temps, il avait appris de nouvelles choses. En ce qui concerne l'idéal de la perfection dans ses homélies sur le Discours de la montagne, il souligne: "Entre temps, j'ai compris qu'une seule personne est véritablement parfaite et que les paroles du Discours de la montagne ne trouvent leur pleine réalisation qu'en une seule personne: en Jésus Christ lui-même. En revanche, toute l'Eglise - nous tous, y compris les Apôtres - devons prier chaque jour: pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés" (cf. Retract. I, 19, 1-3). Augustin avait appris un dernier degré d'humilité - non seulement l'humilité d'inscrire sa grande pensée dans l'humble foi de l'Eglise, non seulement l'humilité de traduire ses grandes connaissances dans la simplicité de l'annonce, mais également l'humilité de reconnaître qu'à lui-même et à toute l'Eglise en pèlerinage, était et demeure continuellement nécessaire la bonté miséricordieuse d'un Dieu qui pardonne chaque jour. Et nous - ajoutait-il - nous nous rendons semblables au Christ, l'unique Parfait, dans la plus grande mesure possible, lorsque nous devenons comme Lui des personnes de miséricorde.

En cette heure, rendons grâce à Dieu pour la grande lumière qui rayonne de la sagesse et de l'humilité de saint Augustin et prions le Seigneur afin qu'il nous donne à tous, jour après jour, la conversion nécessaire et qu'il nous conduise ainsi vers la véritable vie. Amen.



VISITE PASTORALE À VIGEVANO ET À PAVIE

CONCÉLÉBRATION EUCHARISTIQUE

HOMÉLIE "Piazza Ducale" à Vigevano Samedi 21 avril 2007

Chers frères et soeurs,

"Jetez le filet... et vous trouverez" (Jn 21,6).

398 Nous avons écouté à nouveau ces paroles de Jésus dans le passage évangélique qui vient d'être proclamé. Elles s'inscrivent dans le récit de la troisième apparition du Ressuscité aux disciples sur les rives du lac de Tibériade, qui raconte la pêche miraculeuse. Après le "scandale" de la Croix, ceux-ci étaient retournés dans leur terre et à leur travail de pêcheurs, c'est-à-dire aux activités qu'ils accomplissaient avant de rencontrer Jésus. Ils étaient retournés à leur vie d'avant et cela laisse percevoir le climat de dispersion et d'égarement qui régnait dans leur communauté (cf. Mc 14,27 Mt 26,31). Il était difficile pour les disciples de comprendre ce qui s'était passé. Mais, alors que tout semblait fini, à nouveau, comme sur le chemin d'Emmaüs, c'est encore Jésus qui va vers ses amis. Cette fois, il les rencontre sur la mer, lieu qui rappelle à l'esprit les difficultés et les tribulations de la vie; il les rencontre à la pointe du jour, après toute une nuit de vains efforts. Leur filet est vide. D'une certaine façon, cela apparaît comme le bilan de leur expérience avec Jésus: ils l'avaient connu, ils étaient demeurés à ses côtés, et Lui leur avait promis tant de choses. Et pourtant, à présent, ils se retrouvaient avec leur filet sans poisson.

Mais voici qu'à l'aube, Jésus va à leur rencontre; toutefois, ils ne le reconnaissent pas immédiatement (cf. v. 4). L'"aube" dans la Bible indique souvent le moment des interventions extraordinaires de Dieu. Dans le Livre de l'Exode, par exemple, "à la veille du matin" le Seigneur intervient "de la colonne de feu et de nuée" pour sauver son peuple qui fuyait l'Egypte (cf. Ex Ex 14,24). Et de même, c'est à l'aube que Marie Madeleine et les autres femmes accourues au sépulcre rencontrèrent le Seigneur ressuscité. Dans le passage évangélique que nous méditons également, la nuit s'est désormais écoulée et aux disciples, déçus de n'avoir rien pêché, le Seigneur dit: "Jetez le filet à droite du bateau et vous trouverez" (v. 6). Normalement, les poissons tombent dans le filet pendant la nuit, lorsqu'il fait sombre, et pas le matin, lorsque l'eau est désormais transparente. Mais les disciples eurent confiance en Jésus et le résultat fut une pêche miraculeusement abondante, au point qu'ils n'avaient plus la force de remonter le filet, tant il était rempli de poissons (cf. v. 6). A ce point, Jean, illuminé par l'amour, s'adresse à Pierre et dit: "C'est le Seigneur!" (v. 7). Le regard perspicace du disciple que Jésus aimait - icône du croyant - reconnaît le Maître présent sur la rive du lac. "C'est le Seigneur!": cette profession de foi spontanée est également pour nous une invitation à proclamer que le Christ ressuscité est le Seigneur de notre vie.

Chers frères et soeurs, puisse l'Eglise qui est à Vigevano répéter ce soir avec l'enthousiasme de Jean: Jésus Christ "est le Seigneur!". Et puisse votre communauté diocésaine écouter le Seigneur qui, par ma bouche, vous répète: "Jette le filet, Eglise de Vigevano, et tu trouveras!". En effet, je suis venu parmi vous surtout pour vous encourager à être des témoins hardis du Christ. C'est l'adhésion confiante à sa parole qui rendra fructueux vos efforts pastoraux. Lorsque le travail dans la vigne du Seigneur semble être vain, comme les efforts nocturnes des Apôtres, il ne faut pas oublier que Jésus est en mesure de tout transformer en un instant. La page évangélique que nous avons écoutée nous rappelle, d'une part, que nous devons nous engager dans les activités pastorales comme si le résultat dépendait totalement de nos efforts. D'autre part, elle nous fait toutefois comprendre que le véritable succès de notre mission est le don total de la Grâce. Dans les mystérieux desseins de sa sagesse, Dieu sait quand il est temps d'intervenir. Et alors, de même que l'adhésion docile à la parole du Seigneur fait que le filet des disciples se remplit, à chaque époque, et également à la nôtre, l'Esprit du Seigneur peut rendre efficace la mission de l'Eglise dans le monde.

Chers frères et soeurs, c'est avec une grande joie que je suis parmi vous: je vous remercie et je vous salue tous cordialement. Je vous salue en tant que représentants du Peuple de Dieu réuni dans cette Eglise particulière qui a son centre spirituel dans la Cathédrale, sur le parvis de laquelle nous célébrons l'Eucharistie. Je salue avec affection votre Evêque, Mgr Claudio Baggini, et je le remercie pour les paroles cordiales qu'il m'a adressées au début de la célébration; avec lui, je salue l'Archevêque métropolitain, Dionigi Tettamanzi, les Evêques lombards et les autres Prélats. J'adresse un salut spécial et chaleureux aux prêtres, en les félicitant de la générosité avec laquelle ils accomplissent leur service ecclésial, sans s'épargner face aux efforts et aux difficultés. J'étends mon salut aux personnes consacrées, aux agents de la pastorale et à tous les fidèles laïcs, dont la précieuse collaboration est indispensable pour la vie des diverses communautés. Je ne peux manquer d'adresser une pensée affectueuse aux séminaristes, qui sont l'espérance du diocèse. J'adresse également un salut respectueux aux Autorités civiles, auxquelles je suis reconnaissant pour le message important de courtoisie que leur présence exprime. Ma pensée s'adresse enfin aux fidèles réunis dans les diverses paroisses pour suivre cette rencontre à travers la télévision et à ceux qui participent à cette assemblée eucharistique sur les places et dans les rues adjacentes à cette suggestive "Piazza Ducale", avec en toile de fond la façade artistique de la Cathédrale. Celle-ci a été conçue par l'illustre Evêque de Vigevano, Mgr Juan Caramuel, scientifique de renommée européenne, dont vous avez commémoré solennellement au cours des derniers mois le IV centenaire de la naissance. Cette façade, à l'architecture particulière, unit de façon harmonieuse le temple à la place et au château avec sa tour, symbolisant ainsi la synthèse admirable d'une tradition dans laquelle se mêlent les deux dimensions essentielles de votre ville: la dimension civile et la dimension religieuse.

"Jetez le filet... Et vous trouverez" (Jn 21,6). Chère communauté ecclésiale de Vigevano, que signifie de façon concrète l'invitation du Christ à "jeter le filet"? Cela signifie en premier lieu, comme pour les disciples, croire en Lui et avoir confiance dans sa Parole. A vous aussi, comme à eux, Jésus demande de le suivre avec une foi sincère et solide. Placez-vous donc à l'écoute de sa parole et méditez-la chaque jour. Cette écoute docile trouve pour vous un accomplissement concret dans les décisions de votre dernier Synode diocésain, qui s'est conclu en 1999. Au terme de ce chemin synodal, le bien-aimé Jean-Paul II, qui vous rencontra le 17 avril 1999, au cours d'une audience spéciale, vous exhorta à "prendre le large et à ne pas avoir peur d'avancer en eau profonde" (Insegnamenti, XXII, 1, 1999, p. 764). Que ne s'éteigne jamais dans votre coeur l'enthousiasme missionnaire suscité dans votre communauté diocésaine par ces assises providentielles, inspirées et voulues par le regretté Evêque, Mgr Giovanni Locatelli, qui avait ardemment souhaité une visite du Pape à Vigevano. En suivant les orientations fondamentales du Synode et les directives de votre Pasteur actuel, demeurez unis entre vous et ouvrez-vous aux vastes horizons de l'évangélisation.

Que ces paroles du Seigneur vous guident constamment: "A ceci tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples: si vous avez de l'amour les uns pour les autres" (Jn 13,35). Porter le poids les uns des autres, partager, collaborer, se sentir coresponsables est l'esprit qui doit constamment animer votre communauté. Ce style de communion exige la contribution de tous: de l'Evêque et des prêtres, des religieux et des religieuses, des fidèles laïcs, des associations et des divers groupes d'engagement apostolique. Les paroisses individuelles, comme les pièces d'une mosaïque, en pleine harmonie entre elles, formeront une Eglise particulière vivante, insérée de façon organique au sein du Peuple de Dieu. Les associations, les communautés et les groupes de laïcs peuvent offrir une contribution indispensable, tant pour la formation que pour l'animation spirituelle, caritative, sociale et culturelle, en oeuvrant toujours en harmonie avec la pastorale diocésaine et selon les indications de l'Evêque. Je vous encourage également à continuer de prendre soin des jeunes, aussi bien les "proches" que ceux que nous appelons "éloignés". Dans cette perspective, ne vous lassez pas de promouvoir de façon organique et capillaire une pastorale des vocations qui aide les jeunes dans la recherche d'un véritable sens à donner à leur existence. Et que dire enfin de la famille? Il s'agit de l'élément porteur de la vie sociale, et c'est pourquoi ce n'est qu'en oeuvrant en faveur des familles que l'on peut renouveler le tissu de la communauté ecclésiale - je vois que nous sommes d'accord - et de la société civile elle-même.

Votre terre est riche de traditions religieuses, de ferments spirituels et de vie chrétienne active. Au cours des siècles, la foi a forgé la pensée, l'art et la culture, en promouvant la solidarité et le respect de la dignité humaine. Une expression profondément éloquente de votre riche patrimoine chrétien sont les figures exemplaires de prêtres et de laïcs qui, à travers une proposition de vie enracinée dans l'Evangile et dans l'enseignement de l'Eglise, ont témoigné, en particulier au cours des tumultes sociaux de la fin du XIX siècle et des premières décennies du XX siècle, des authentiques valeurs évangéliques, en tant que soutien précieux d'une coexistence libre et juste, attentive en particulier aux personnes les plus démunies. Cet héritage spirituel lumineux, redécouvert et alimenté, ne peut manquer de représenter un point de référence sûr pour un service efficace à l'homme de notre temps et pour un chemin de civilisation et de progrès authentique.

"Jetez le filet... Et vous trouverez!". Ce commandement de Jésus a été docilement accueilli par les saints et leur existence a vécu l'expérience du miracle d'une pêche spirituelle abondante. Je pense, en particulier, à vos patrons célestes: saint Ambroise, saint Charles Borromée, le bienheureux Matteo Carreri. Je pense également à deux illustres fils de cette terre, dont est en cours la cause de béatification: le vénérable Francesco Pianzola, prêtre animé par un esprit évangélique ardent, qui sut répondre aux pauvretés spirituelles de son époque par un courageux style missionnaire, attentif aux personnes les plus éloignées et particulièrement aux jeunes; le Serviteur de Dieu Teresio Olivelli, laïc de l'Action catholique, mort alors qu'il n'avait que 29 ans, dans le camp de concentration de Hersbruck, victime sacrificielle d'une violence brutale, à laquelle il opposa avec ténacité l'ardeur de la charité. Ces deux figures exceptionnelles de fidèles disciples du Christ constituent un signe éloquent des merveilles opérées par le Seigneur dans l'Eglise de Vigevano. Reflétez-vous dans ces modèles, qui manifestent l'action de la Grâce et qui sont pour le Peuple de Dieu un encouragement à suivre le Christ sur le sentier exigeant de la sainteté.

Chers frères et soeurs du diocèse de Vigevano! Ma pensée se tourne enfin vers la Mère de Dieu que vous vénérez sous le titre de Madonna della Bozzola. Je lui confie toutes vos communautés, afin qu'elle obtienne une effusion renouvelée de l'Esprit Saint sur ce cher diocèse. La pêche difficile et infructueuse des disciples est un avertissement éternel pour l'Eglise de tous les temps: seuls, sans Jésus nous ne pouvons rien faire! Dans l'engagement apostolique, nos seules forces ne suffisent pas: sans la Grâce divine, notre travail, même bien organisé, est inefficace. Prions ensemble afin que votre communauté diocésaine sache accueillir avec joie le mandat du Christ et, avec une générosité renouvelée, qu'elle soit prête à "jeter" le filet. Elle connaîtra alors certainement une pêche miraculeuse, signe de la puissance dynamique de la parole et de la présence du Seigneur qui confère sans cesse à son peuple une "jeunesse renouvelée de l'Esprit" (Collecte).


AUX MEMBRES DU SYNODE EXTRAORDINAIRE DE L'EGLISE SYRO-CATHOLIQUE Samedi 28 avril 2007



Béatitude,
Frères vénérés!

399 "Que la grâce et la paix soient avec vous, de la part de Dieu notre Père et de Jésus Christ le Seigneur" (1Co 1,3). Par ces paroles que l'Apôtre des nations adresse aux chrétiens de la communauté de Corinthe, je vous accueille et je vous salue tous, au terme de votre rencontre.

Le souci de toutes les Églises, conformément au mandat que le Christ a confié à l'Apôtre Pierre et à ses Successeurs, m'a poussé à convoquer votre Synode extraordinaire, qui a été présidé en mon nom par le Secrétaire d'État, le Cardinal Tarcisio Bertone, que je salue et que je remercie cordialement. Je souhaite remercier également Sa Béatitude et chacun d'entre vous pour votre participation active aux travaux du Synode et pour votre concours généreux à la solution des problèmes et des difficultés que rencontre depuis un certain temps la méritante Église syro-catholique.

En vous convoquant à cette assemblée extraordinaire, ma seule intention était de raviver toujours plus intensément les liens séculaires qui unissent votre Église au Siège apostolique et, en même temps, de vous manifester l'estime et le souci que nourrit l'Évêque de Rome pour chacun d'entre vous, Pasteurs d'une portion du Peuple de Dieu qui n'est pas grande mais qui est ancienne et significative. Mon salut va aussi à vos collaborateurs, en premier lieu aux prêtres et aux diacres, ainsi qu'à tous les membres de l'Église syro-catholique.

La liturgie du temps pascal, que nous sommes en train de vivre, nous invite à tourner notre regard et notre coeur vers l'événement fondamental de la foi chrétienne: la mort et la résurrection du Christ. Les Actes des Apôtres, que nous lisons ces jours-ci, nous présentent le cheminement de l'Église naissante, un cheminement qui n'est pas toujours facile, mais qui est riche de fruits apostoliques. Dès les origines, n'ont manqué ni l'hostilité ni les persécutions venues du dehors, ni les risques de tensions et d'oppositions à l'intérieur même des communautés. En dépit de ces ombres, et des difficultés de différents types auxquelles ont dû être confrontés les premiers chrétiens, la lumière éclatante de la foi de l'Église en Jésus Christ n'a pourtant jamais fait défaut. Dès ses premiers pas, l'Église, guidée par les Apôtres et par leurs collaborateurs, animée par un courage extraordinaire et par une force intérieure, a su con-server et faire grandir le trésor précieux de l'unité et de la communion, au delà des différences de personnes, de langues et de cultures.

Frères vénérés, alors que se termine le Synode extraordinaire auquel vous avez pris part, conscient des difficultés qui vous ont préoccupés durant toutes ces années et que vous cherchez à surmonter, je pense avec gratitude à mon vénéré Prédécesseur, le Pape Jean-Paul II, qui vous était proche de tant de manières. Il vous a écoutés, il vous a rencontrés et, sans se lasser, il vous a exhortés à plusieurs reprises, notamment par sa lettre d'août 2003, à rechercher l'unité et la réconciliation, avec le concours de tous. Quant à moi, j'ai également poursuivi l'oeuvre qu'il avait entreprise, par ma lettre d'octobre 2005, puisque je suis profondément convaincu qu'aujourd'hui, comme à l'aube du christianisme, chaque communauté est appelée à offrir un témoignage clair de fraternité. Il est émouvant de lire dans les Actes des Apôtres que "la multitude de ceux qui avaient adhéré à la foi avait un seul coeur et une seule âme" (4, 32). C'est là, dans cet amour partagé qui est don de l'Esprit Saint, que se trouve le secret de l'efficacité apostolique.

En ces jours, chers et vénérés Frères, vous avez réfléchi aux moyens de surmonter les obstacles qui empêchent le déroulement normal de votre vie ecclésiale. Vous êtes bien conscients de ce qui est nécessaire et même indispensable. C'est le ministère que le Seigneur vous a confié dans son troupeau qui l'exige ; c'est le bien de l'Église syro-catholique qui l'exige. L'exigent aussi la situation particulière que vit le Moyen-Orient et le témoignage que dans leur unité les Églises catholiques peuvent donner. Que résonne dans vos coeurs l'exhortation empreinte de tristesse de Paul aux fidèles de Corinthe: "Frères, je vous exhorte au nom de notre Seigneur Jésus Christ à être tous vraiment d'accord; qu'il n'y ait pas de division entre vous, soyez en parfaite harmonie de pensée et de sentiments" (1Co 1,10).

À notre époque, il y a tant de défis que doivent affronter les communautés chrétiennes dans toutes les parties du monde, alors que des dangers et des pièges nombreux risquent de masquer les valeurs de l'Évangile. En ce qui concerne votre Église, les violences et les conflits qui marquent une partie du troupeau qui vous est confié constituent des difficultés supplémentaires qui mettent encore plus en danger non seulement le fait de vivre ensemble en paix, mais la vie même des personnes. Dans ces situations, il importe que la Communauté ecclésiale syro-catholique puisse annoncer l'Évangile avec vigueur, promouvoir une pastorale adaptée aux défis de la post-modernité et offrir un exemple lumineux d'unité dans un monde morcelé et divisé.

Frères vénérés, le Concile oecuménique Vatican II souligne que les Églises orientales catholiques, en réponse à la prière du Christ ut unum sint, sont appelées à jouer un rôle particulier dans la promotion du chemin oecuménique, "par la prière avant tout, par l'exemple de leur vie, par leur religieuse fidélité aux antiques traditions orientales, par une meilleure connaissance mutuelle, par la collaboration et l'estime fraternelle des choses et des hommes" (Décret Orientalium Ecclesiarum OE 24). Voilà un dernier élément qui, avec les exigences dictées par le dialogue interreligieux, ne peut que vous pousser à exercer avec confiance la mission apostolique que le Seigneur a confiée à votre Église. Hier précisément, la liturgie latine nous a donné à entendre l'émouvant épisode de la conversion de Paul sur le chemin de Damas. Vous aussi, vous êtes appelés aujourd'hui à poursuivre avec enthousiasme, avec confiance et avec persévérance l'action missionnaire de l'Apôtre Paul, suivant les traces de saint Ignace d'Antioche, de saint Éphrem et de vos autres saints Patrons.

Que Marie intercède toujours pour vous et qu'elle vous protège, elle que vous vénérez sous le titre de Notre-Dame de la Délivrance. Dans ces sentiments, je vous assure de mon plein soutien et de celui de mes collaborateurs, et je vous accorde, à vous qui êtes présents ici, Patriarche et membres de votre Saint-Synode, une particulière Bénédiction apostolique, ainsi qu'à tous les fidèles de rite syro-catholique.

                                                  Mai 2007





Discours 2005-2013 396