Discours 2005-2013 16418

RENCONTRE AVEC LES ÉVÊQUES DES ETATS-UNIS D'AMÉRIQUE - RÉPONSES AUX QUESTIONS DES ÉVÊQUES AMÉRICAINS Sanctuaire de l'Immaculée Conception de Washington, D.C. Mercredi 16 avril 2008

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1. Il est demandé au Saint-Père de présenter son analyse sur le défi du sécularisme en progression dans la vie publique et sur le relativisme dans la vie intellectuelle, tout comme ses suggestions sur la manière de faire face à ces défis du point de vue pastoral, pour pouvoir remplir plus efficacement l'oeuvre d'évangélisation.

J'ai abordé brièvement ce thème dans mon discours. J'estime significatif le fait qu'en Amérique, à la différence de nombreux lieux en Europe, la mentalité séculière ne s'est pas présentée intrinsèquement comme opposée à la religion. A l'intérieur du contexte de la séparation entre l'Eglise et l'Etat, la société américaine a toujours été marquée par un respect fondamental de la religion et de son rôle public et, si on accorde du crédit aux sondages, le peuple américain est profondément religieux. Mais il ne suffit pas de compter sur cette religiosité traditionnelle et se comporter comme si tout était normal, alors que ses fondements s'érodent peu à peu. Un engagement sérieux dans le domaine de l'évangélisation ne peut faire abstraction d'un diagnostic profond des défis réels que doit affronter l'Evangile dans la culture contemporaine américaine.

Naturellement, ce qui est essentiel c'est une correcte compréhension de la juste autonomie de l'ordre séculier, une autonomie qui ne peut être détachée de Dieu Créateur et de son dessein de salut (cf. Gaudium et spes
GS 36). Le type de sécularisme de l'Amérique pose peut-être un problème particulier: alors qu'il permet de croire en Dieu et respecte le rôle public de la religion et des Eglises, il réduit cependant la croyance religieuse au plus petit dénominateur commun. La foi devient l'acceptation passive du fait que certaines choses "là dehors" sont vraies, mais sans importance pratique pour la vie quotidienne. Le résultat est une séparation grandissante de la foi et de la vie: vivre "comme si Dieu n'existait pas". Cela est aggravé par une approche individualiste et éclectique de la foi et de la religion: loin de l'approche catholique du "penser avec l'Eglise", chaque personne croit avoir un droit de déterminer et de choisir, en conservant les liens sociaux mais sans une conversion intégrale, intérieure à la loi du Christ. Par conséquent, plutôt que d'être transformés et renouvelés dans l'âme, les chrétiens sont facilement tentés de se conformer à l'esprit du siècle (cf. Rm 12,3). Nous l'avons constaté de manière aiguë dans le scandale provoqué par les catholiques qui font la promotion d'un prétendu droit à l'avortement.

A un niveau plus profond, le sécularisme défie l'Eglise à réaffirmer et à poursuivre plus activement sa mission dans et au monde. Comme cela a été clarifié par le Concile, les laïcs ont une responsabilité particulière à cet égard. Je suis convaincu que l'on a besoin d'un sens plus grand du rapport intrinsèque entre l'Evangile et la loi naturelle d'une part, et, d'autre part, de la poursuite du bien humain authentique, comme il est incarné dans la loi civile et dans les décisions morales personnelles. Dans une société qui tient à juste titre en haute considération la liberté personnelle, l'Eglise doit promouvoir à tous les niveaux ses enseignements - dans la catéchèse, dans la prédication, dans l'enseignement au séminaire et à l'université -, une apologétique visant à affirmer la vérité de la révélation chrétienne, l'harmonie entre foi et raison, et une saine compréhension de la liberté, vue en termes positifs comme libération aussi bien des limitations du péché qu'en vue d'une vie authentique et pleine. En un mot, l'Evangile doit être prêché et enseigné comme un mode de vie intégral, qui offre une réponse attrayante et véridique, au niveau intellectuel et pratique, aux problèmes humains réels. La "dictature du relativisme", en dernière instance, n'est rien d'autre qu'une menace pour la liberté humaine, qui ne se développe que dans la générosité et dans la fidélité à la vérité.

On pourrait dire bien d'autres choses, naturellement, sur ce sujet: laissez-moi cependant conclure en disant que je crois que l'Eglise en Amérique, en ce moment précis de son histoire, a face à elle le défi de retrouver la vision catholique de la réalité et la présenter de manière captivante et avec imagination à une société qui fournit tous types de remèdes pour la propre réalisation humaine. Je pense en particulier à notre besoin de parler au coeur des jeunes, qui, malgré l'exposition permanente à des messages contraires à l'Evangile, continuent à avoir soif d'authenticité, de bonté et de vérité. Il reste encore beaucoup à faire au niveau de la prédication et de la catéchèse dans les paroisses et dans les écoles, si on veut que l'évangélisation donne du fruit pour le renouvellement de la vie de l'Eglise en Amérique.



2. Le Saint-Père est interrogé au sujet d'"un certain processus silencieux" par lequel les catholiques abandonnent la pratique de la foi, parfois par une décision explicite, mais plus souvent silencieusement et graduellement en s'éloignant de la participation à la messe et de l'identification avec l'Eglise.

Tout cela dépend en grande partie de la diminution progressive d'une culture religieuse, parfois comparée de manière méprisante à un "ghetto", qui pourrait renforcer la participation et l'identification avec l'Eglise. Comme je viens à peine de le dire, l'un des grands défis que l'Eglise doit affronter dans ce pays est celui de cultiver une identité catholique qui n'est pas principalement basée sur des éléments externes, mais plutôt sur une manière de penser et d'agir enracinée dans l'Evangile et enrichie sur la base de la tradition vivante de l'Eglise.

Le sujet concerne clairement des facteurs comme l'individualisme religieux et le scandale. Mais allons au coeur de la question: la foi ne peut survivre si elle n'est pas nourrie, si elle "n'opère pas par la charité" (Ga 5,6). Les gens ont-ils aujourd'hui des difficultés à rencontrer Dieu dans nos églises? Peut-être notre prédication a-t-elle perdu de son sel? Ne pourrait-ce être dû au fait que beaucoup ont oublié, ou même n'ont jamais appris, à prier dans et avec l'Eglise?

Je ne parle pas ici des personnes qui quittent l'Eglise à la recherche d'"expériences" religieuses subjectives; c'est un sujet pastoral qu'il faut affronter dans ses propres termes. Je pense que nous parlons de personnes qui ont quitté la route sans avoir consciemment rejeté la foi dans le Christ, mais qui, pour une raison quelconque, n'ont pas reçu la force vitale de la liturgie, des sacrements, et de la prédication. Et pourtant la foi chrétienne, comme nous le savons bien, est essentiellement ecclésiale, et sans un lien vivant avec la communauté, la foi de l'individu ne grandira jamais jusqu'à maturité. Pour revenir à la question que nous venons de traiter: le résultat peut être une apostasie silencieuse.

Laissez-moi donc faire deux brèves observations sur la question du "processus de l'abandon", qui, je l'espère, feront naître de futures réflexions.

En premier lieu, comme vous le savez, il est de plus en plus difficile dans les sociétés occidentales de parler de manière sensée de "salut". Et pourtant le salut - la libération de la réalité du mal et le don d'une vie nouvelle et libre dans le Christ - est au coeur même de l'Evangile. Nous devons redécouvrir, comme je l'ai déjà dit, de nouvelles et captivantes manières de proclamer ce message et réveiller une soif de cette plénitude que seul le Christ peut donner. C'est dans la liturgie de l'Eglise, et surtout dans le sacrement de l'Eucharistie, que ces réalités se manifestent de la manière la plus puissante et sont vécues dans l'existence des croyants; nous avons peut-être encore fort à faire pour réaliser la vision du Concile sur la liturgie, comme exercice du sacerdoce commun et comme élan pour un apostolat fructueux dans le monde.

En deuxième lieu, nous devons reconnaître avec préoccupation l'éclipse presque totale d'un sens eschatologique dans beaucoup de nos sociétés de tradition chrétienne. Comme vous le savez, j'ai soulevé cette question dans l'Encyclique Spe salvi. Qu'il suffise de dire que foi et espérance ne sont pas limitées à ce monde: en tant que vertus théologales elles nous unissent au Seigneur et nous mènent vers l'accomplissement non seulement de notre destin mais aussi de celui de toute la Création. La foi et l'espérance sont l'inspiration et la base de nos efforts pour nous préparer à la venue du Règne de Dieu. Il ne peut y avoir de place dans le christianisme pour une religion purement privée: le Christ est le Sauveur du monde et, en tant que membres de son Corps et participants de ses munira prophétique, sacerdotal et royal, nous ne pouvons séparer notre amour pour Lui de l'engagement de l'édification de son Eglise et de l'élargissement de son Royaume. Dans la mesure où la religion devient une affaire purement privée, elle perd son âme même.

Permettez-moi de conclure en affirmant une évidence. Les champs sont à ce jour prêts pour la moisson (cf. Jn 4,35); Dieu continue à faire croître la moisson (cf. 1Co 3,6). Nous pouvons et nous devons croire, avec le défunt Pape Jean-Paul II, que Dieu prépare un nouveau printemps pour la chrétienté (cf. Redemptoris missio RMi 86). Ce dont on a le plus besoin, en ce moment spécifique de l'histoire de l'Eglise en Amérique, c'est du renouvellement de ce zèle apostolique qui inspire ses pasteurs de manière active pour chercher les brebis égarées, soigner celles qui ont été blessées et renforcer les faibles (cf. Ez Ez 34,16). Et cela, comme je l'ai dit, exige de nouvelles manières de penser basées sur un diagnostic sain des défis contemporains et un engagement pour l'unité dans le service à la mission de l'Eglise envers les générations présentes.



3. Il est demandé au Saint-Père d'exprimer son jugement sur le déclin des vocations, malgré la croissance de la population catholique, et sur les raisons de l'espérance offerte par les qualités personnelles et par la soif de sainteté qui caractérisent les candidats qui décident de poursuivre.

Soyons sincères: la capacité de cultiver les vocations au sacerdoce et à la vie religieuse est un signe sûr de la santé d'une Eglise locale. Il n'y a pas lieu de se réjouir à ce sujet. Dieu continue à appeler les jeunes, mais il nous revient d'encourager une réponse généreuse et libre à cet appel. D'autre part, personne ne peut prendre cette grâce comme quelque chose d'acquis.

Dans l'Evangile, Jésus nous dit de prier afin que le Seigneur de la moisson nous envoie des ouvriers; il admet même que les ouvriers sont peu nombreux face à l'abondance de la moisson (cf. Mt 9,37-38). Cela vous semblera étrange, mais je pense souvent que la prière - l'unum necessarium - est le seul aspect des vocations qui soit efficace et nous tendons souvent à l'oublier ou à le sous-évaluer!

Je ne parle pas seulement de prière pour les vocations. La prière même, née dans les familles catholiques, nourrie par des programmes de formation chrétienne, renforcée par la grâce des sacrements, est le moyen principal par lequel nous parvenons à connaître la volonté de Dieu pour notre vie. Dans la mesure où nous enseignons aux jeunes à prier, et à bien prier, nous coopérons à l'appel de Dieu. Les programmes, les plans et les projets ont leur place, mais le discernement d'une vocation est avant tout le fruit du dialogue intime entre le Seigneur et ses disciples. Les jeunes, s'ils savent prier, peuvent être assurés de savoir quoi faire de l'appel de Dieu.

On a remarqué qu'il y a une soif grandissante de sainteté chez beaucoup de jeunes aujourd'hui et, même si leur nombre est toujours plus faible, ceux qui vont de l'avant font preuve d'un grand idéalisme et sont très prometteurs. Il est important de les écouter, de comprendre leur expérience et de les encourager à aider leurs contemporains à voir le besoin de prêtres, de religieux et de religieuses engagés, tout comme à voir la beauté d'une vie de sacrifice et de service au Seigneur et à son Eglise. A mon avis, on demande beaucoup aux directeurs et aux formateurs des vocations: il faut aujourd'hui plus que jamais offrir aux candidats une formation intellectuelle et humaine saine qui les mette en mesure non seulement de répondre aux demandes réelles et aux besoins de leurs contemporains, mais aussi de mûrir dans leur conversion et de persévérer dans la vocation à travers un engagement qui dure toute la vie. En tant qu'évêques, soyez conscients du sacrifice qui est demandé quand ils vous demandent de relever un de vos meilleurs prêtres de ses engagements pour travailler au séminaire. Je vous exhorte à répondre avec générosité pour le bien de l'Eglise tout entière.

Enfin, je pense que vous savez par expérience que beaucoup de vos frères prêtres sont heureux dans leur vocation. Ce que j'ai dit dans mon discours sur l'importance de l'unité et de la collaboration avec le presbyterium s'applique également dans ce domaine. Il est nécessaire pour tout le monde de laisser de côté les divisions stériles, les désaccords et les préjugés et d'écouter ensemble la voix de l'Esprit qui guide l'Eglise vers un avenir d'espérance. Chacun d'entre nous sait combien la fraternité sacerdotale a été importante dans sa vie; elle n'est pas seulement un bien précieux, mais aussi une ressource immense pour le renouvellement du sacerdoce et la croissance de nouvelles vocations. Je souhaite conclure en vous encourageant à créer des opportunités d'un dialogue encore plus grand et de rencontres fraternelles entre vos prêtres, notamment les plus jeunes. Je suis persuadé que cela portera du fruit pour leur enrichissement, pour la croissance de leur amour du sacerdoce et de l'Eglise, tout comme pour l'efficacité de leur apostolat.

Avec ces quelques observations, je vous encourage encore une fois dans votre ministère à l'égard des fidèles qui sont confiés à vos soins pastoraux et je vous confie à l'intercession affectueuse de Marie Immaculée, Mère de l'Eglise.



RENCONTRE AVEC LES ÉVÊQUES USA - PRÉSENTATION DU CALICE À L'ARCHEVÊQUE DE LA NOUVELLE ORLÉANS Sanctuaire de l'Immaculée Conception de Washington, D.C. Mercredi 16 avril 2008

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Avant de prendre congé, je voudrais m'arrêter un instant et évoquer l'immense souffrance endurée par le peuple de Dieu dans l'archidiocèse de Nouvelle-Orléans suite au passage de l'ouragan Katrina, tout comme de son courage pour affronter les travaux de reconstruction. Je voudrais offrir à Mgr Alfred Hughes un calice, dans l'espoir qu'il soit accueilli comme un signe de ma solidarité dans la prière envers les fidèles de l'archidiocèse et de ma reconnaissance personnelle pour l'activité inlassable dont celui-ci a fait preuve, ainsi que NN.SS. Philip Hannan et Francis Schulte, à l'égard du troupeau qui a été confié à leurs soins.




RENCONTRE AVEC LES REPRÉSENTANTS DU MONDE UNIVERSITAIRE CATHOLIQUE Université catholique d'Amérique à Washington Jeudi 17 avril 2008

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Chers cardinaux,
Chers frères évêques,
Illustres professeurs, enseignants et éducateurs,

"Qu'ils sont beaux les pieds des messagers de bonnes nouvelles!" (
Rm 10,15-17). C'est avec ces paroles d'Isaïe, citées par saint Paul, que je salue chaleureusement chacun d'entre vous - porteurs de sagesse - et à travers vous tout le personnel, les étudiants et les familles des nombreuses et diverses institutions de formation que vous représentez. C'est un vrai plaisir pour moi de vous rencontrer et de partager avec vous quelques réflexions autour de la nature et de l'identité de l'éducation catholique aujourd'hui. Je souhaite en particulier remercier le père Davide O'Connell, président et recteur de la Catholic University of America. J'ai beaucoup apprécié, cher président, vos aimables paroles de bienvenue. Je vous prie de transmettre l'expression de ma cordiale gratitude à toute la communauté - facultés, personnel et étudiants - de cette université.

La tâche éducative fait partie intégrante de la mission qu'a l'Eglise de proclamer la Bonne Nouvelle. En premier lieu, principalement, chaque institution éducative catholique est un lieu où rencontrer le Dieu vivant, qui en Jésus Christ révèle la force transformatrice de son amour et de sa vérité (cf. Spe salvi ). Cette relation suscite le désir de grandir dans la connaissance et dans la compréhension du Christ et de son enseignement. De cette manière ceux qui le rencontrent sont portés par la puissance de l'Evangile à mener une nouvelle vie caractérisée par tout ce qui est beau, bon et vrai; une vie de témoignage chrétien nourrie et renforcée au sein de la communauté des disciples de notre Seigneur, l'Eglise.

La dynamique entre rencontre personnelle, connaissance et témoignage chrétien fait partie intégrante de la diakonia de la vérité que l'Eglise exerce au sein de l'humanité. La révélation de Dieu offre à chaque génération la possibilité de découvrir la vérité ultime sur sa propre vie et sur la fin de l'histoire. Cette tâche n'est jamais facile: elle implique toute la communauté chrétienne et motive chaque génération d'éducateurs chrétiens pour garantir que le pouvoir de la vérité de Dieu imprègne toutes les dimensions des institutions qu'ils servent. De cette manière, la Bonne Nouvelle du Christ est mise en condition d'agir, guidant autant l'enseignant que l'étudiant vers la vérité objective qui, en transcendant le particulier et le subjectif, renvoie à l'universel et à l'absolu qui nous permet de proclamer avec confiance l'espérance qui ne déçoit pas (cf. Rm 5,5). Contre les conflits personnels, la confusion morale et la fragmentation de la connaissance, les nobles buts de la formation académique et de l'éducation, basés sur l'unité de la vérité et sur le service à la personne et à la communauté, deviennent un puissant instrument d'espérance.

Chers amis, l'histoire de cette nation offre de nombreux exemples de l'engagement de l'Eglise à cet égard. De fait la communauté catholique dans ce pays a fait de l'éducation une des ses priorités les plus importantes. La réalisation de cette entreprise a nécessité de grands sacrifices. Des personnages éminents comme sainte Elizabeth Ann Seton et d'autres fondateurs et fondatrices, avec une grande ténacité et une grande prévoyance, ont conduit l'institution de ce qui constitue aujourd'hui un important réseau d'écoles paroissiales qui contribuent au bien-être de l'Eglise et de la nation. Certains, comme sainte Katharine Drexel, ont voué leur vie à l'éducation de ceux que d'autres avaient négligés - dans son cas, des Afro-américains et des Américains natifs. D'innombrables religieuses, religieux, prêtres, et parents altruistes, ont aidé, à travers les écoles catholiques, des générations d'immigrés à échapper à la misère et à trouver leur place dans la société d'aujourd'hui.

Ce sacrifice se poursuit aujourd'hui également. C'est un excellent apostolat de l'espérance que de chercher à prendre en charge les nécessités matérielles, intellectuelles et spirituelles de plus de trois millions de jeunes et d'étudiants. Cela offre aussi à l'ensemble de la Communauté catholique une opportunité hautement digne d'éloges de contribuer généreusement au besoin économique de nos institutions. Il convient de leur assurer la possibilité de perdurer dans le temps. En effet, tout le possible doit être fait, en collaboration avec la communauté dans son ensemble, pour assurer qu'elles soient accessibles à des personnes de tous niveaux sociaux et économiques. Le droit à une éducation dans la foi, qui en retour nourrit l'esprit de la nation, ne doit être nié à aucun enfant, garçon ou fille.

Certains aujourd'hui remettent en question l'engagement de l'Eglise dans l'éducation, en se demandant si ses ressources ne pourraient pas être mieux employées ailleurs. Certes, dans une nation comme celle-ci, l'Etat offre de larges possibilités d'éducation et attire des femmes et des hommes dévoués et généreux vers cette honorable profession. Il convient, donc, de réfléchir sur ce qui est spécifique à nos institutions catholiques. Comment peuvent-elles contribuer au bien de la société à travers la mission première de l'Eglise qui est l'évangélisation?

Toutes les activités de l'Eglise naissent de sa conscience d'être porteuse d'un message qui a son origine en Dieu même: dans sa bonté et sa sagesse, Dieu a choisi de se révéler lui-même et de faire connaître le dessein caché de sa volonté (cf. Ep Ep 1,9 Dei Verbum DV 2). Le désir de Dieu de se faire connaître et le désir inné de tout être humain de connaître la vérité fournissent le contexte de la recherche humaine sur le sens de la vie. Cette rencontre unique est soutenue dans la communauté chrétienne: qui cherche la vérité devient un homme qui vit de foi (cf. Fides et ratio FR 31). Cela peut être décrit comme un mouvement du "moi" au "nous", qui conduit l'individu à venir faire partie du peuple de Dieu.

La même dynamique d'identité communautaire - à qui appartiens-je? - vivifie l'ethos de nos institutions catholiques. L'identité d'une université ou d'une école catholique n'est pas simplement une question de nombre des étudiants catholiques. C'est une question de conviction - croyons-nous vraiment que le mystère de l'homme ne devient clair que dans le mystère du Verbe incarné (cf. Gaudium et spes GS 22)? Sommes-nous vraiment prêts à confier tout notre "moi" - intellect et volonté, esprit et coeur - à Dieu? Acceptons-nous la vérité que le Christ révèle? Le foi est-elle "tangible" dans nos universités et nos écoles? Lui donne-t-on une expression fervente dans la liturgie, dans les sacrements, à travers la prière, les actes de charité, la sollicitude pour la justice et le respect de la création de Dieu? Ce n'est que de cette manière que nous témoignons réellement du sens de qui nous sommes et de ce que nous soutenons.

C'est dans cette perspective qu'on peut reconnaître que la "crise de la vérité" contemporaine est enracinée dans une "crise de la foi". Ce n'est qu'à travers la foi que nous pouvons donner librement notre assentiment au témoignage de Dieu et le reconnaître comme le garant transcendant de la vérité qu'il nous révèle. Encore une fois, nous voyons pourquoi la promotion de l'intimité personnelle avec Jésus Christ et le témoignage communautaire de sa vérité qui est amour est indispensable dans les institutions de formation catholiques. De fait, nous voyons tous et nous observons avec inquiétude, la difficulté ou la réticence que beaucoup de personnes ont aujourd'hui à se confier eux-mêmes à Dieu. C'est un phénomène complexe, auquel je réfléchis constamment. Alors que nous avons cherché avec diligence d'impliquer l'intelligence de nos jeunes, nous avons peut-être négligé leur volonté. En conséquence, nous observons avec angoisse que la notion de liberté est déformée. La liberté n'est pas une faculté de désengagement de; elle est une faculté d'engagement pour - une participation à l'Etre même. Par conséquent, l'authentique liberté ne peut jamais être atteinte en s'éloignant de Dieu. Un choix semblable signifierait en dernier ressort négliger la vérité authentique dont nous avons besoin pour nous comprendre nous-mêmes. C'est pourquoi une responsabilité particulière pour chacun d'entre vous, et pour vos collègues, est de susciter parmi vos jeunes le souhait d'un acte de foi, en les encourageant à se confier à la vie ecclésiale qui découle de cet acte de foi. C'est ici que la liberté rejoint la certitude de la vérité. En choisissant de vivre selon cette vérité, nous embrassons la plénitude de la vie de foi qui nous est donnée dans l'Eglise.

Cependant, il est clair que l'identité catholique ne dépend pas des statistiques. Elle ne peut pas non plus être simplement comparée à l'orthodoxie qu'elle contient par nature. Cela exige et inspire bien davantage: il faut que tous les aspects de vos communautés d'étude se reflètent dans la vie ecclésiale de foi. Ce n'est que dans la foi que la vérité peut s'incarner et que la raison peut s'humaniser, en étant capable de diriger la volonté le long du sentier de la liberté (cf. Spe salvi ). De cette manière, nos institutions offrent une contribution vitale à la mission de l'Eglise et servent efficacement la société. Elles deviennent des lieux où la présence active de Dieu dans les affaires humaines est reconnue et où tous les jeunes gens découvrent la joie d'entrer dans l'"être pour les autres" du Christ (cf. ibid., n. 28).

La mission première d'évangélisation de l'Eglise, dans laquelle les institutions éducatives jouent un rôle crucial, est à l'unisson de l'aspiration fondamentale de la nation à développer une société vraiment digne de la dignité de la personne humaine. Parfois, cependant, la valeur de la contribution de l'Eglise au débat public est remis en question. C'est pourquoi il est important de rappeler que la vérité de la foi et celle de la raison ne se contredisent jamais entre elles (cf. Concile oecuménique Vatican I, Constitution dogmatique sur la foi catholique Dei filius, IV: DS 3017; Saint Augustin, Contra Academicos, III, 20, 43). De fait, la mission de l'Eglise l'engage dans la lutte que l'humanité mène pour atteindre la vérité. En exprimant la vérité révélée, elle sert tous les membres de la société en purifiant la raison, en assurant qu'elle demeure ouverte à la considération des vérités dernières. En puisant à la sagesse divine, elle fait la lumière sur l'établissement de la moralité et de l'éthique humaine, et rappelle à tous les groupes dans la société que ce n'est pas la pratique qui donne naissance à la vérité mais que c'est la vérité qui doit servir de base à la pratique. Loin de menacer la tolérance de la diversité légitime, une contribution semblable éclaire la vérité même qui rend le consensus possible, et aide à garder le débat public raisonnable, honnête et fiable. De la même manière, l'Eglise ne se lasse jamais de soutenir les catégories morales essentielles du juste et de l'injuste, sans lesquelles l'espérance ne peut que se flétrir, ouvrant la voie à de froids et pragmatiques calculs utilitaristes qui réduisent la personne à n'être au plus qu'un pion sur un échiquier idéal.

Par rapport au débat éducatif, la diakonia de la vérité assume une haute signification dans les sociétés au sein desquelles l'idéologie séculariste creuse un fossé entre vérité et foi. Cette division a encouragé la tendance à confondre vérité et connaissance et à adopter une mentalité positiviste qui, par son rejet de la métaphysique, nie les fondements de la foi et rejette la nécessité d'une vision morale. La vérité signifie plus que la connaissance: connaître la vérité nous amène à découvrir le bien. La vérité parle à l'individu dans son intégralité, en nous invitant à répondre avec tout notre être. Cette vision optimiste est fondée dans notre foi chrétienne, parce que dans cette foi nous est donnée la vision du Logos, la Raison créatrice de Dieu, qui s'est révélée elle-même comme divinité dans l'incarnation. Loin d'être une communication de données factuelles - d'"informations" - la vérité aimante de l'Evangile est créative et capable de changer la vie - elle est "performative" (cf. Spe salvi ). Les éducateurs chrétiens peuvent en toute confiance libérer les jeunes des limites du positivisme et réveiller leur réceptivité à la vérité, à Dieu et à sa bonté. De cette manière, vous aiderez également à former leur conscience qui, enrichie par la foi, ouvre un chemin sûr vers la paix intérieure et le respect des autres.

Il n'est pas surprenant, toutefois, qu'outre nos communautés ecclésiales, la société en général demande intensément des éducateurs catholiques. Cela vous confère une responsabilité et vous offre une opportunité. Un nombre toujours croissant de personnes - en particulier de parents - reconnait le besoin d'excellence dans la formation humaine de leurs enfants. Comme Mater et Magistra, l'Eglise partage leur préoccupation. Quand rien au-delà de la personne n'est reconnu comme définitif, l'ultime critère de jugement devient le "moi" et la satisfaction des désirs immédiats de l'individu. L'objectivité et la perspective, qui ne découlent que de la dimension transcendante essentielle de la personne humaine, peuvent se perdre. Dans un tel horizon relativiste les buts de l'éducation sont irrémédiablement réduits. Lentement, un abaissement des niveaux s'affirme. Nous observons aujourd'hui une certaine timidité face à la catégorie du bien et une chasse inconsidérée à l'étalage de nouveautés comme réalisation de la liberté. Nous sommes témoins de la conviction que toutes les expériences seraient d'une égale valeur et de la réticence à admettre imperfections et erreurs. Il est également particulièrement inquiétant de voir le précieux et délicat domaine de l'éducation sexuelle réduit à la gestion des "risques" et privé de toute référence à la beauté de l'amour conjugal.

Quelles réponses les éducateurs chrétiens peuvent-ils apporter? Ces développements dangereux mettent en évidence l'urgence particulière de ce que nous pourrions appeler la "charité intellectuelle". Cet aspect de la charité demande à l'éducateur de reconnaître que sa profonde responsabilité de guider les jeunes à la vérité est tout simplement un acte d'amour. En vérité, la dignité de l'éducation réside dans la promotion de la vraie perfection et de la joie de ceux qui doivent être guidés. En pratique, la "charité intellectuelle" soutient l'unité essentielle de la connaissance contre la fragmentation qui s'ensuit quand la raison est détachée de la recherche de la vérité. Cela guide les jeunes vers la satisfaction profonde d'exercer la liberté en relation à la vérité, et cela nous pousse à formuler la relation entre la foi et les divers aspects de la vie familiale et civile. Une fois que la passion pour la plénitude et l'unité de la vérité a été réveillée, les jeunes goûteront assurément la découverte que la question sur ce qu'ils peuvent connaître les conduit à la grande aventure de ce qu'ils devraient faire. Ils font ici l'expérience de "en qui" et de "en quelle chose" il est possible d'espérer et ils seront inspirés pour apporter leur contribution à la société qui fait naître l'espérance chez les autres.

Chers amis, je souhaite conclure en attirant particulièrement votre attention sur l'extrême importance de votre compétence et de votre témoignage au sein de nos universités et nos écoles catholiques. Avant tout, permettez-moi de vous remercier pour votre dévouement et votre générosité. Je sais du temps où j'étais professeur, et je l'ai ensuite entendu de la bouche de vos évêques et des personnes travaillant à la Congrégation pour l'éducation catholique, que la réputation des institutions éducatives dans votre pays vous est largement due ainsi qu'à vos prédécesseurs. Vos contributions désintéressées - de la recherche extérieure au dévouement de ceux qui travaillent au sein des instituts scolaires - servent autant votre pays que l'Eglise. Je vous exprime pour cela ma profonde gratitude.

A propos des membres des facultés dans les collèges universitaires catholiques, je souhaite réaffirmer la grande valeur de la liberté académique. En vertu de cette liberté, vous êtes appelés à chercher la vérité partout où l'analyse attentive de l'évidence vous conduit. Cependant, il faut aussi rappeler que tous les appels au principe de liberté académique pour justifier des positions qui contredisent la foi et l'enseignement de l'Eglise feraient obstacle ou même trahiraient l'identité et la mission de l'université, une mission qui est au coeur du munus docendi de l'Eglise et qui n'est en aucune manière autonome ou indépendante d'elle.

Enseignants et administrateurs, des universités autant que des écoles, ont le devoir et le privilège d'assurer que les étudiants reçoivent une instruction dans la doctrine et dans la pratique catholiques. Cela exige que le témoignage public rendu à la manière d'être du Christ, telle qu'elle ressort de l'Evangile et qu'elle est proposée par le magistère de l'Eglise, modèle tous les aspects de la vie institutionnelle autant à l'intérieur qu'à l'extérieur des salles de classe. Prendre de la distance par rapport à cette vision affaiblit l'identité catholique et, loin de faire avancer la liberté, conduit inévitablement à la confusion autant morale qu'intellectuelle et spirituelle.

Je souhaite également adresser une parole particulière d'encouragement aux enseignants de catéchèse, qu'ils soient laïcs ou religieux, qui se battent pour assurer que les jeunes deviennent quotidiennement plus aptes à apprécier le don de la foi. L'éducation religieuse est un apostolat stimulant et il y a de nombreux signes d'un désir parmi les jeunes de mieux connaître la foi et de la pratiquer avec détermination. Si l'on veut que ce renouveau grandisse, il est nécessaire que les enseignants aient une compréhension claire et précise de la nature spécifique et du rôle de l'éducation catholique. Ils doivent aussi être prêts à diriger l'engagement pris par toute la communauté scolaire pour aider nos jeunes et leurs familles à faire l'expérience de l'harmonie entre foi, vie et culture.

Je désire ici lancer un appel spécifique aux religieux, aux religieuses et aux prêtres: n'abandonnez pas l'apostolat scolaire; au contraire, renouvelez votre engagement dans les écoles, notamment celles qui sont dans les zones les plus pauvres. Dans les lieux où de nombreuses promesses fallacieuses attirent les jeunes loin du sentier de la vérité et de la liberté authentique, le témoignage des conseils évangéliques apporté par la personne consacrée est un don irremplaçable. J'encourage les religieux présents à se consacrer avec un enthousiasme renouvelé à la promotion des vocations. Sachez que votre témoignage en faveur de l'idéal de la consécration et de la mission au milieu des jeunes est une source de grande inspiration dans la foi pour eux et pour leurs familles.

A tous je vous dis: soyez des témoins d'espérance! Nourrissez votre témoignage par la prière. Rendez compte de l'espérance qui caractérise vos vies (cf. 1P 3,15), en vivant la vérité que vous proposez à vos étudiants. Aidez-les à connaître et à aimer cet Un que vous avez rencontré, dont vous avez éprouvé avec joie la vérité et la bonté. Avec saint Augustin nous disons: "Nous qui parlons et vous qui écoutez, nous nous reconnaissons comme des disciples fidèles d'un Maître unique" (Serm., 23, 2). Avec ces sentiments de communion je vous donne volontiers à vous, à vos collègues, à vos étudiants et à vos familles la Bénédiction apostolique.



Discours 2005-2013 16418