Ars Procès informatif 835

Commencement du tome II

835 835 Session 91 - 7 septembre 1863 à 8h du matin

Et prosequendo Decinum octavum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

Mr Vianney, ainsi que je l'ai déposé, a rempli toute sa vie les commandements de Dieu et de l'Eglise, il a pratiqué aussi les conseils évangéliques, et, autant que j'en ai pu juger, il a été très fidèle à suivre les inspirations de la grâce.

836 Le Curé d'Ars, si exact à remplir tous ses devoirs envers Dieu, n'était pas moins fidèle à remplir ceux que les hommes se doivent mutuellement. J'ai déjà assez fait connaître, je le crois, sa grande charité. Il observait toutes les règles de la plus aimable politesse; il n'y avait cependant rien de recherché, mais un grand abandon. Il savait, dans sa politesse, tenir compte du rang et de la position des personnes qu'il voyait ou qu'il recevait. Un jeune homme de Marseille paraissant appartenir à une famille très respectable, s'entretint un jour à la sacristie avec Mr Vianney. En sortant, il vint dans notre maison et me demanda de quelle famille était Mr Vianney, ce qu'il avait fait avant d'être prêtre, et les postes qu'il avait remplis avant d'être curé d'Ars. Étonné de ces questions, je lui demandais pourquoi il m'interrogeait à ce sujet. Il me répondit que c'était parce qu'il avait été frappé de la manière distinguée avec laquelle le Curé d'Ars l'avait accueilli. Je pourrais citer d'autres traits de ce genre: car sa grande politesse était remarquée de tout le monde. Lorsqu'il confessait les hommes à la sacristie, il ouvrait lui-même la porte pour les introduire, les saluait le premier, les faisait mettre à genoux, et ne s'asseyait lui-même que lorsqu'ils étaient ainsi placés au confessionnal. Après la confession, il se levait lui-même le premier, ouvrait la porte, saluait le pénitent qui sortait et en introduisait un autre avec le même cérémonial. Un jour, nous lui faisions la remarque qu'il était bien poli avec ses pénitents en agissant ainsi; ; il nous répondit avec un aimable sourire: Oh! c'est que ça me repose.

Le Curé d'Ars était bon, gracieux avec tout le monde. Il faisait asseoir tous ceux qui se présentaient chez lui; il y mettait même de l'insistance; pour lui, il ne voulait pas s'asseoir. Sa formule en saluant les visiteurs était celle-ci: Je vous présente bien mon respect. Il était plein de soin et d'attention pour les personnes qui l'entouraient, comme j'en ai été témoin bien des fois. 837 Dès qu'il les savait malades, ou simplement indisposées, il allait les visiter, leur recommandait de bien se soigner, leur donnait à ce sujet des conseils vraiment minutieux, leur faisait porter des remèdes et jusqu'à des douceurs. Il offrait le tout avec tant de grâce et de bonté qu'on était obligé d'accepter. Il ne manquait jamais d'accompagner les personnes qu'il recevait chez lui; il donnait même cette marque de politesse à celles qu'il voyait presque continuellement.

Mr Vianney témoignait un grand respect envers les ecclésiastiques; dès qu'ils réclamaient son ministère, il quittait tout. Le soir, très volontiers il introduisait dans sa chambre ceux qui demandaient à le voir, et mettait dans ses conversations une grande simplicité et un grand abandon.

Il semblait avoir pour les pauvres et les malades une plus grande charité qu'envers les autres personnes. Il était pour eux prodigue d'attention, de prévoyance et de condescendance. En un mot, autant il était dur pour lui-même, autant il était bon, sensible, charitable envers les autres. S'il voyait ses collaborateurs un peu fatigués, de suite il leur conseillait le repos, au besoin leur interdisait la chaire ou le confessionnal, et s'offrait à les remplacer.

On ne pouvait lui rendre le moindre service sans qu'il en exprimât sa reconnaissance dans des termes qui indiquaient combien il y était sensible. Il trouvait toujours qu'on en faisait trop pour lui.

Bien souvent il parlait de ses parents et surtout de sa mère, et on voyait combien il était reconnaissant pour les services qu'il en avait reçus. Quand son frère, sa soeur, son beau-frère, ou un autre de ses parents, venaient à Ars, il leur donnait quelques marques particulières d'affection.

Le nom de Mr Balley, son ancien maître, revenait souvent dans ses conversations; l'idée qui lui en était restée, c'était que Mr Balley était un saint et un savant. 838 Lorsqu'il en parlait, les larmes lui venaient souvent aux yeux; il nous disait: Pour aimer le bon Dieu, il suffisait de voir Mr Balley. Je lui ai entendu dire que s'il était peintre, il pourrait encore faire son portrait d'après nature, tant les traits de son ancien maître étaient restés gravés dans son esprit. La veuve Fayot, qui lui avait donné l'hospitalité aux Noës, était l'objet de da reconnaissance spéciale de la part du Curé d'Ars. Je sais qu'il a fait une fondation de plusieurs messes pour ses bienfaiteurs, tant vivants que défunts.



Quoad Obedientiam, testis respondit:

J'ai la conviction que le Serviteur de Dieu a toujours pratiqué l'obéissance; je n'ai cependant rien de particulier à signaler pour la plus grande partie de la vie de Mr Vianney. Pendant mon séjour à Ars, je l'ai vu constamment aimer les règles de l'Église, les suivre avec exactitude et les faire observer. On ne pouvait lui parler de Rome et du Souverain Pontife sans lui procurer un grand bonheur. Entendant les missionnaires s'entretenir quelquefois de la question liturgique, qu'on venait de soulever en France, Mr Vianney témoignait alors sa disposition à prendre le bréviaire romain; il en avait même fait acheter un exemplaire et il l'aurait dit certainement s'il eût vécu plus longtemps.

Il se montra toujours très obéissant envers son évêque. Chaque fois que celui-ci venait à Ars, il lui demandait la permission d'aller dans la solitude, et comme elle lui fût constamment refusée il resta à son poste jusqu'à la mort. Vers la fin de sa vie, étant accablé par les confessions, par ses infirmités, il né pouvait qu'avec peine réciter le soir ses matines. Mgr Chalandon son Évêque, non seulement jugea nécessaire de l'en dispenser, mais encore il ordonna au missionnaire qui servait de compagnon à Mr Vianney de lui commander de s'abstenir de les réciter lorsqu'il remarquerait qu'il serait trop fatigué. 839 Mr Vianney faisait ordinairement quelques observations, en disant qu'il n'était pas aussi fatigué qu'on le pensait, que son bréviaire, du reste, était sa seule consolation. Si le missionnaire insistait et surtout invoquait l'autorité de l'Évêque, il se soumettait comme un enfant.

Il voulait qu'on obéît à l'autorité civile, et lui-même en donnait constamment l'exemple. Jamais je n'ai entendu un seul mot sortir de sa bouche contre les autorités.

J'ai donné les détails qui concernent sa désertion. A mon avis, il n'y a eu dans ce fait aucun acte de désobéissance, au moins dans son-intention. Il a été amené à déserter insensiblement, par suite des circonstances qui se sont succédées naturellement, et il avait si peu l'intention de le faire que, le lendemain de son arrivée aux Noës, il alla trouver le maire de cet endroit pour lui demander ce qu'il avait à faire, en lui présentant sa feuille de route; ce qui indique clairement qu'il avait l'intention de rejoindre son corps. Le magistrat l'en dissuada, en lui faisant observer qu'il était trop en retard, qu'il serait traité comme déserteur, qu'il n'avait rien de mieux à faire que de demeurer aux Noës et de s'y cacher. Il lui offrit même ses bons offices pour lui procurer une retraite; il le conduisit en lieu sûr, chez la veuve Fayot, et lui promit de l'avertir si les gendarmes venaient pour le chercher.



Quoad Religionem, testis respondit:

La vertu de Religion dans Mr Vianney était aussi grande que possible. J'en ai déjà donné des preuves nombreuses en déposant sur la Foi et la charité. Il aimait et recherchait tout ce qui se rapportait au culte de Dieu; tout son plaisir était de s'en occuper. C'était un vrai bonheur pour lui d'avoir des croix, des médailles et surtout des reliques. A son avis, le plus beau cadeau qu'on pouvait faire, était de donner un objet de piété. Il entendait la parole de Dieu toutes les fois qu'on l'annonçait dans son église.

840 Il respectait toutes les pratiques que l'Eglise a approuvées et il les conseillant suivant les différentes circonstances. Il semblait affectionner les confréries. Il avait établi dans sa paroisse le tiers-ordre de St François et lui-même en faisait partie. L'exercice de l'heure sainte, grâce à ses recommandations, se faisait et se fait encore très régulièrement pendant la nuit du Jeudi Saint.

J'ai déjà assez fait connaître sa dévotion envers le Saint Sacrement. Il honorait d'une manière particulière la passion de Notre Seigneur. Il avait distribué les principales scènes de la Passion pour les différentes heures de l'office, et afin sans doute quelle souvenir ne lui échappât pas, il les avait écrites en tête des heures, comme je l'ai vu moi-même sur son bréviaire. Il a fondé un certain nombre de messes en l'honneur de l'agonie de Notre-Seigneur au jardin des olives, pour obtenir la conversion des mourants. D'autres messes ont été fondées en l'honneur des cinq plaies afin d'obtenir la conversion des pécheurs.

En déposant sur la Foi, j'ai fait connaître que Mr Vianney avait montré dès son enfance une grande dévotion envers la Ste Vierge. Lorsqu'il fut prêtre, il ne manquait pas, les samedis, de dire la messe à son autel, et de réciter ses litanies pour la conversion des pécheurs. Les soirs, à la prière, il disait le chapelet de l'Immaculée Conception. Lorsque l'heure sonnait, il s'interrompait pour dire avec les fideles un Ave Maria, suivi d'une invocation à la Vierge immaculée. Il témoigna toujours une grande dévotion pour l'Immaculée Conception. Quand il apprit que ce dogme venait d'être défini, il fit éclater sa joie de la manière la plus vive. Il avait déjà fait faire une magnifique chasuble dont il se servit la première fois le jour même où Pie IX proclamait ce dogme. Il fit ériger une statue dans le clos des frères de la Ste Famille en signe de joie et de reconnaissance.

841 Il avait consacré sa paroisse à la Ste Vierge en mil huit cent trente six. Pour en perpétuer le souvenir, il avait signé et distribué des images de la Ste Vierge, qu'il engagea ses paroissiens à conserver religieusement dans leurs maisons; l'habitude s'en est maintenue.




843 843 Session 92 - 7 Septembre 1863 à 3h de l'après-midi

Et prosequendo decimum octavum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

Mr Vianney a fait plusieurs fondations de messes pour remercier Dieu d'avoir créé la Ste Vierge immaculée dans sa conception. Il a mis sous le vocable de l'Immaculée Conception la chapelle de sa Providence. 844 Parmi les autres fondations de messes qu'il a faites, j'en ai remarqué qui avaient pour but d'honorer les douze privilèges de Marie, afin d'obtenir pour les fidèles sa protection lorsqu'ils vont recevoir le sacrement de pénitence. Il en existe une autre en l'honneur du saint Coeur de Marie au profit spirituel des missionnaires et pour la propagation de la foi. Une autre encore a pour but de réclamer la protection du saint Coeur de Marie pour les prêtres du diocèse de Belley.

Il célébrait les fêtes de la Ste Vierge avec beaucoup de solennité; il engageait les fidèles à s'approcher ces jours-là des sacrements. On remarquait que les pèlerins affluaient en ces circonstances en bien plus grand nombre. Il en profitait pour prêcher sur la Ste Vierge, et il le faisait avec beaucoup d'onction; son bonheur était, en public et en particulier, de parler de Marie. Il recommandait beaucoup les neuvaines à la Ste Vierge pour obtenir la conversion des pécheurs.

Il avait aussi une grande dévotion aux saints, qu'il appelait ses protecteurs auprès de Dieu. Aussi attachait-il une grande importance à tout ce qui tenait à leur culte; il les honorait et les faisait honorer, se procurait leurs reliques, qu'il regardait comme le-plus précieux de tous les trésors, aimait à citer les traits les plus beaux, les plus touchants de leur vie et il en tirait d'utiles enseignements.

Parmi les saints, il en est quelques uns qu'il honorait d'un culte spécial, tels que St Joseph, St Jean-Baptiste, St Jean l'Evangéliste, St François d'Assise, St François Régis, etc. et parmi les saintes, Ste Agnès, Ste Catherine de Sienne et surtout Ste Philomène, qui a été sa sainte de prédilection et qu'il n'appelait que sa petite sainte. Il fut le premier en France à lui faire ériger une chapelle et à propager son culte. C'est par son intercession qu'il réclamait la plupart des grâces qu'il demandait au Ciel; c'est à elle qu'il attribuait tous les prodiges qui s'opéraient à Ars. Dans la crainte qu'il ne lui en revint à lui-même quelque honneur, il la priait familièrement d'opérer ses miracles partout ailleurs qu'à Ars. 845 Un jour, après une guérison qui avait fait assez de bruit, il lui échappa de dire: Ste Philomène aurait bien dû ne pas me manquer de parole. J'ai remarqué qu'il avait fait écrire sur son bréviaire les noms des saints qui revenaient le plus fréquemment dans ses instructions et que sans doute il invoquait plus souvent.

La dévotion aux âmes du purgatoire lui était très chère. Il priait beaucoup pour elles et leur consacrait toutes ses souffrances de la nuit et toutes ses actions du Lundi. Sa dévotion aux âmes du purgatoire était non seulement très tendre, mais encore très éclairée. Ayant un jour entendu un prédicateur peindre très vivement la désolation de ces âmes, répéter leurs cris de douleur, les lamentations qu'il les supposait adresser aux vivants, le Curé d'Ars, après le sermon, le reprit doucement en lui disant qu'il s'était écarté de la vérité, que ces âmes connaissaient la justice de Dieu, y étaient soumises et souffraient avec résignation.



Quoad Orationem, testis respondit:

Je crois que l'esprit d'oraison a constamment été l'âme de toute la vie intérieure de Mr Vianney. Il a avoué lui-même qu'il perdait rarement le souvenir de la présence de Dieu. S'il a si vivement et si souvent désiré quitter sa paroisse et se retirer dans la solitude, je suis convaincu que c'était pour pouvoir y vaquer avec plus de liberté à l'oraison. Son union habituelle avec Dieu ne se trahissait cependant, ordinairement au moins, par aucun signe particulier. Il était au contraire très simple dans sa piété et évitait toute affectation.



Quoad Fortitudinem, testis respondit:.

L'ensemble de la vie de Mr Vianney démontre suffisamment que la force a été l'un des traits les plus saillants de son caractère. Quoiqu'il fût d'une extrême bonté, il savait cependant être ferme lorsque les circonstances l'exigeaient. Il a pratiqué dans une grande perfection les vertus annexes de la Force, la Patience, la confiance en Dieu et la constance. 846 Je ne pense pas que l'exercice de ces vertus ait jamais souffert en lui la moindre altération.



Quoad Patientiam, testis respondit:

A l'époque où Mr Vianney était en état de désertion, il fut obligé, pour se dérober à une perquisition des gendarmes, de se cacher dans un tas de foin récemment accumulé sur une étable à boeufs; la chaleur était étouffante, il y souffrait affreusement; jamais de ma vie, disait-il plus tard, je n'ai tant souffert. C'est alors qu'il promit à Dieu de ne jamais se plaindre, quoi qu'il pût lui arriver. Ma conviction profonde est qu'il a parfaitement tenu parole.

Vers la fin de sa vie, il avait contracté de nombreuses et graves infirmités, une hernie, des douleurs d'entrailles très fréquentes, des maux de tête presque continuels, une toux sèche et violente. Elles étaient le résultat de ses mortifications excessives, surtout de celles de son jeune âge, qu'il appelait quelquefois lui-même, en plaisantant, les folies de sa jeunesse. Ses maux de tête étaient si forts qu'il ne pouvait pas même supporter un bonnet pendant la nuit. C'est à cause de cela qu'il avait l'habitude de se faire couper les cheveux très près sur le devant de la tête. Au milieu de toutes ces souffrances, non seulement il ne se plaignait jamais, mais il en riait et en plaisantait gaiement. C'est ainsi qu'au sujet de sa toux, qui le fatiguait constamment, il disait: C'est dommage, cela me fait perdre du temps. Quelquefois, quand il rentrait le soir dans sa cure, il s'affaissait, n'en pouvant plus, était obligé de s'appuyer contre les murs, et si on lui faisait quelques observations en ayant l'air de le plaindre, il s'en tirait par quelque agréable plaisanterie.

Quelque accablé de fatigue qu'il fût par toute une journée de travail, venait-on l'appeler pour un malade, il y allait aussitôt. Je l'ai souvent accompagné.

847 Je l'ai souvent entendu parler de ses insomnies: Un soir qu'il paraissait très souffrant, Mr Toccanier lui dit en ma présence de rester couché le lendemain matin plus tard que de coutume. Il répondit: On me fait un grand mérite de me lever matin, et je n'en ai point; je souffre tellement la nuit que je n'ai pas une demi heure de bon sommeil; je brûle dans mon lit, et lorsque je veux me reposer un peu, je me lève et je m'appuie contre ce meuble; alors je souffre moins.

Ses souffrances au confessionnal étaient extrêmes. Vers les quatre heures du matin, le sommeil le gagnait. Pour y résister, la lutte était terrible, ainsi que lui-même l'a plusieurs fois avoué. C'est une heure qu'il redoutait. Il lui arrivait parfois d'être tellement fatigué qu'il était obligé de sortir quelques instants. Son confessionnal était dans une petite chapelle; pendant l'été, la chaleur y était étouffante, l'air y manquait; on y respirait aussi fréquemment les plus mauvaises odeurs; Mr Vianney, qui était naturellement très délicat, était extrêmement sensible à ces inconvénients; il lui arrivait même parfois de se trouver mal et de s'évanouir. C'est pourquoi les personnes qui le soignaient tenaient du vinaigre à sa disposition et lui-même le demandait et le respirait.

On remarquait que s'il était un jour très abattu, il arrivait facilement que le lendemain il avait repris toutes ses forces. Plus il avait de besogne, plus il montrait de courage. Il parlait de l'époque où il avait eu des contradictions à supporter comme d'un vrai temps de bonheur. Ce qui paraît avoir été, dans ces épreuves, la cause de sa joie, c'est qu'il se flattait que le mal qu'on disait de lui, les accusations dont on le chargeait, finiraient par le faire chasser de sa paroisse et lui donneraient la liberté de se retirer dans la solitude. Je lui ai entendu raconter qu'il avait reçu deux lettres anonymes, dont l'une le comblait de louanges et l'autre l'accablait d'injures. Voyez, disait-il à ce sujet, ce que c'est que les hommes; les uns vous envoient au Ciel et les autres en enfer, il faut faire peu de cas de leurs jugements.

848 848 Il était d'un caractère naturellement très vif et je crois que si la vertu ne l'eût pas complètement dominé, il se fût facilement emporté. Aussi était-t-il obligé, pour se contenir, de se faire des violences extrêmes. J'ai pu m'en convaincre moi-même par quelques signes presque imperceptibles. En certaines circonstances, lorsque des personnes très impatientantes l'agaçaient, il tordait avec une certaine violence le mouchoir qu'il avait l'habitude de tenir dans sa main, et je voyais au mouvement de ses lèvres quels efforts il faisait pour réprimer l'impatience. Du reste, il fallait être très familier avec lui pour s'en apercevoir; rien ne paraissait sur sa figure. Un jour, comme il sortait de l’église, quelques personnes étaient indignées des importunités sans nombre auxquelles il venait d'être en butte; l'une d'entre elles lui dit: Mr le Curé, vous devriez bien envoyer promener tout ce monde; - à votre place, je me fâcherais tout rouge. - Eh! mon Dieu! répondit-il, il y a trente-six ans que je suis curé à Ars; je ne me suis jamais fâché; je suis trop vieux pour commencer.

Rien n'égalait, comme je l'ai dit plus haut, sa patience au confessionnal. Il lui arrivait cependant parfois de se débarrasser momentanément des importuns par une petite ruse de guerre. Il faisait semblant de se rendre dans un confessionnal; les pénitents s'y précipitaient; il avait même soin quelquefois de faire approcher de la grille les plus bruyants; alors il disparaissait tout d'un coup et allait confesser ailleurs.



Quoad Temperantiam, testis respondit:

Mr Vianney a pratiqué la mortification toute sa vie. Vicaire à Ecully, il mena avec Mr Balley une vie très dure et très austère. Lui-même m'a avoué que Mr Balley avait été son maître dans l'exercice de cette vertu. Je sais par ouï-dire que dès son arrivée dans la paroisse d'Ars, il mit tout en oeuvre pour se mortifier de toutes les manières. Il vivait du pain des pauvres, couchait sur des fagots, se contentait pour nourriture de quelques matefaims qu'il faisait lui-même, de quelques pommes de terre. Il ne s'inquiétait ni du boire ni du manger, ni du vêtement; les personnes qui le soignaient devaient pourvoir à tout; encore n'arrivaient-elles à lui faire accepter la moindre chose qu'à force de sollicitations et d'industries.

Je vais dire maintenant ce que j'ai vu moi-même ou entendu de sa bouche.

Il m'a avoué qu'il aimait beaucoup les fruits et cependant je ne l'ai jamais vu en manger. Je tiens de lui que c'était par suite d'une promesse. Deux fois il reçut une corbeille d'abricots; il me les donna en disant: Voilà pour vos enfants. 849 - J'ai beaucoup de plaisir à recevoir, disait-il, quand on lui faisait remarquer qu'il ne gardait rien pour lui; mais j'en ai plus encore à donner.

Il prenait si peu de nourriture qu'il souffrait beaucoup de la faim. Il y a pour moi deux heures terribles dans la journée, disait-il, sept heures du matin et sept heures du soir. Il lui est arrivé plusieurs fois d'être obligé de se lever pendant la nuit pour prendre quelque chose. Il a avoué avoir essayé de ne faire qu'un repas tous les deux jours, mais n'avoir pas pu réussir à s'y habituer. Le plus que j'ai fait, disait-il un jour qu'on le poussait sur ce chapitre, c'est d'avoir passé une semaine avec trois repas. Il me semble lui avoir vu faire les deux carêmes de mil huit cent quarante-neuf et cinquante, et peut-être même encore celui de mil huit cent cinquante et un, avec un seul repas par jour. Dans tout le cours de l'année, il ne prenait rien le soir. Il ne se reprochait pas moins sa gourmandise et son hypocrisie. Tout lui était bon, il trouvait que tout était toujours trop bien pour lui, que l'on prenait pour lui trop de peine. Lorsqu'on lui apportait quelque chose à manger avec son pain, il disait: c'est dommage, le pain est si bon. On peut bien vivre avec une livre de pain par semaine.

Il adoucissait cependant cette sévérité de régime lorsqu'il devait recevoir ses confrères et ses parents. Quand il recevait les premiers, c'est-à-dire ses confrères, il était très honorable. A la dernière conférence qui se tint à Ars avant sa mort, plusieurs des ecclésiastiques qui y avaient assisté m'en parlèrent et me, dirent: Nous avons eu le plus beau dîner du canton. Le soir, Mr Toccanier témoigna à Mr Vianney, qui avait lui-même commandé le repas, la satisfaction de MMrs les Curés. - Tant mieux, dit Mr Vianney, c'est toujours comme cela qu'il faut faire. Quand on reçoit ses confrères, il faut le faire noblement. C'est comme cela qu'agissait Mr Balley. Lorsque nous n'étions que nous deux, nous vivions de ce qu'il y avait, tout était bon; mais si quelqu'un venait, il était sûr d'être bien traité. Ah! Mr Balley, il avait tant de bonté...

Dans d'autres circonstances au contraire, Mr Vianney ajoutait à ses mortifications ordinaires, s'il s'agissait d'obtenir quelques grâces spéciales. J'ai remarqué qu'il agissait ainsi lorsqu'il devait recevoir la visite de son évêque. 850 Son intention était d'obtenir de Dieu qu'il disposât le prélat à lui accorder la permission de se retirer dans la solitude.

Pendant les cinq dernières années de sa vie, il apporta quelques adoucissements à ses austérités. Ce fut sur l'ordre de ses supérieurs; il obéit avec simplicité. Il permit dès lors qu'on lui servît un plat de légumes à son repas, quelquefois même un peu de viande, mais jamais deux jours de suite. Il prit aussi quelques gouttes de vin.

J'ai vu longtemps dans sa chambre une discipline pendue contre le mur, derrière le rideau, à la tête de son lit. Elle était composée de deux chaînes de fil de fer de moyenne grosseur, longues d'à peu près vingt ou vingt-cinq centimètres chacune, attachées au bout d'une ficelle de chanvre, noircie par un long usage; les chaînes au contraire étaient brillantes. J'ai vu vers mil huit cent cinquante, dans un tiroir d'armoire de la chambre de Mr Vianney, une ceinture faite de mailles de fil de fer mince, large de quatre ou cinq centimètres, hérissée d'un côté de pointes aiguës de deux millimètres. J'ai vu aussi des débris de son cilice, qui était en crin, et en laine. Il y avait à la tête de son lit, une planche qui était cachée et que le frottement avait rendue lisse. Je n'ai pu qu'en soupçonner l'usage. Je crois que Mr Vianney couchait dessus.

Il avait l'art de si bien arranger la paillasse de son lit, où il y avait quelques feuilles de maïs, qu'il trouvait le moyen de coucher à peu près sur les planches.

Au confessionnal, il n'acceptait ni coussin pour s'asseoir, ni bouillotte pour se tenir les pieds au chaud. La porte de sa chambre fermait mal et donnait passage à l'air; on l'avait fait doubler d'une autre fermant mieux; il l'enleva lui-même.


855 853 Session 93 - 9 Septembre 1863 à 8h du matin

Et prosequendo decimum octavum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

Ma conviction profonde est que Mr Vianney a constamment pratiqué la pauvreté dans sa plus haute perfection, qu'il ne faisait aucun cas des richesses, ni d'aucun bien de ce monde. S'il aimait à recevoir de l'argent, c'était uniquement pour le consacrer en bonnes oeuvres. Il en a reçu en effet beaucoup, surtout dans les dernières années de sa vie; 854 mais il l'a presque entièrement employé en aumônes, en fondations de missions, en fondations de messes, en achat d'ornements, de vases sacrés pour son église, ou pour d'autres, etc. Il faisait volontiers appel à la générosité des fidèles, toutefois sans importunité.

Il déplorait beaucoup le matérialisme de notre temps, et dans ses instructions, il revenait souvent sur ce sujet: les hommes, disait-il, ressemblent à des taupes, qui creusent la terre et qui s'élèvent rarement jusqu'à la lumière du jour.

Je puis dire qu'il a vécu toute sa vie d'aumônes; car on était obligé de pourvoir à tous ses besoins et de tout lui fournir, nourriture, vêtements, bois de chauffage, etc.; pour lui, il ne s'en inquiétait en aucune façon. Rien n'égalait la pauvreté de sa chambre et de son ameublement. Ce dernier fait est de notoriété publique, je n'entre pas dans les détails. Sa chambre était même dans un état de délabrement plus complet qu'elle n'est aujourd'hui. Elle était en partie décarrelée, et il s'est refusé à toute réparation.

Son mobilier ne lui appartenait pas; il l'avait vendu pour les pauvres et il ne le tenait plus que d'emprunt. Après que son lit eût brûlé, je lui ai entendu dire en riant: Grâce à Dieu, je suis maintenant le plus pauvre de la paroisse; chacun y a au moins son lit, et moi je n'en ai point. Et il ne s'inquiéta en aucune manière pour s'en procurer un autre. Des personnes charitables se hâtèrent de lui en offrir plusieurs; il choisit pour le lit et l'ameublement tout ce qu'il y avait de plus pauvre.

Il ne pratiquait pas moins la pauvreté dans la manière de se vêtir. Pendant les premières années de son ministère à Ars, il portait ses soutanes jusqu'à ce qu'elles fussent entièrement usées; il les raccommodait lui-même; j'en ai encore vu qui étaient dans cet état. Plus tard, son vêtement était un peu mieux, quoique toujours simple et pauvre, parce qu'on avait soin de le changer, et qu'il arrivait même fréquemment que par un sentiment de vénération, on lui enlevait quelques uns de ses habillements. Lui arrivait-il d'avoir plusieurs soutanes, il se hâtait de se réduire au strict nécessaire. C'est ainsi que moi-même j'en ai reçu trois.

Son traitement de curé était presque toujours engagé d'avance pour de bonnes oeuvres. Afin de trouver de l'argent, disait-il, il faut savoir tout donner. - Il lui est arrivé une fois de jeter au feu par mégarde six cents francs en billets de banque. Je lui ai entendu dire immédiatement après: "Je viens de faire des cendres un peu chères; mais il y a moins de mal qu'à un péché véniel. Le bon Dieu du reste peut bien les remplacer." C'est ce qui arriva le jour même.

Deux jours avant sa mort, je me trouvais seul avec lui dans sa chambre. Il me dit: Il me reste trente-six francs; priez Catherine Lassagne de les prendre et de les donner au médecin qui m'a soigné; c'est tout ce qui me reste. Je crois que c'est à peu près ce qui lui revient; et qu'elle lui dise ensuite de ne plus revenir me voir, parce que je ne pourrais pas le payer.



Quoad Humilitatem, simplicitatem et modestiam, testis respondit:

L'un des traits les plus caractéristiques de la vie de Mr Vianney, c'est son humilité accompagnée de la plus grande simplicité et de la plus exquise modestie. En lui, rien d'affecté; rien qui annonçât le moindre retour sur lui-même. Tout était simple, naturel; il s'oubliait totalement; le moi était entièrement mort.

Je ferai ici deux remarques importantes. La première, c'est que lorsque nous voulions savoir quelque chose qui le concernait et qui était à son éloge, il fallait user d'industrie et l'amener insensiblement et sans qu'il s'en aperçût, à parler; aussitôt qu'il remarquait où nous en voulions venir, il s'arrêtait subitement en disant, si nous voulions continuer: C'est assez; j'en ai déjà trop dit; la seconde, c'est qu'il lui arrivait assez souvent à lui-même de raconter ce qui pouvait avoir trait à quelque point de sa vie; mais c'était dans la familiarité de la conversation et par suite de la simplicité et de l'abandon de son caractère. 856 Il était manifeste alors qu'il n'y avait aucun retour sur lui-même, qu'aucun principe d'amour propre n'était en jeu et qu'il parlait même des choses qui pouvaient lui être favorables, absolument comme si elles avaient concerné une personne étrangère. J'ajoute qu'il y avait chez lui un grand besoin de communication et qu'à la suite de ses longues séances au confessionnal, il se laissait aller facilement, le soir surtout, à des épanchements de coeur avec les missionnaires ou les autres personnes qui vivaient familièrement avec lui.

Aussi personne n'a-t-il été plus éloigné que lui de ce qu'il avait coutume d'appeler humilité à crochet. S'il parlait de son ignorance, de son indignité, de ses misères, c'était naturellement et sans y mettre jamais aucune affectation.

Au milieu de la vénération publique dont il était l'objet, je l'ai toujours vu complètement insensible. J'en étais étonné. Quelqu'un lui dit un jour en ma présence que tous ces témoignages devaient être de nature à lui inspirer quelque vanité: Eh! mon ami, répondit-il, s'il y a des coups d'encensoir, il y a bien aussi des coups de pied; je connais ma profonde misère; comment voulez-vous que je sois tenté d'orgueil? Si seulement je n'étais pas tenté de désespoir!... - Il avait en effet, ainsi que je l'ai dit déjà, demandé à Dieu de se connaître lui-même et cette vue l'avait tellement abattu qu'il avait prié le Seigneur d'en affaiblir le sentiment. Dans d'autres circonstances, je lui ai entendu dire: Si le bon Dieu avait trouvé un prêtre plus ignorant et plus indigne que moi, il l'aurait mis à ma place, afin de mieux faire voir la grandeur de ses miséricordes pour les pauvres pécheurs.

Si on lui faisait des compliments, il n'avait pas l'air de s’en offenser. Il était facile de voir cependant que ce genre de conversation ne lui plaisait pas, car il passait adroitement à un autre sujet. Quelquefois cependant il manifestait assez vivement sa répugnance. Nous allions chaque année avec nos élèves, la veille de St Jean Baptiste, lui souhaiter sa fête, et lui demander sa bénédiction. Lorsque nous nous y rendîmes pour la première fois, un élève devait lui débiter un compliment. 857 Lorsqu'il vit l'enfant s'approcher de lui un papier à la main, il comprit de quoi il s'agissait; il se précipita sur lui et lui arracha le papier des mains en disant: Va-t-en réciter un Ave Maria pour moi, ça vaudra mieux. – Le même jour, un fait du même genre arriva chez les soeurs.

Lorsqu'on commença à exposer et à vendre son portrait à Ars, j'ignore s'il en fut vivement affecté; mais pendant tout le temps que je l'ai vu, j'ai toujours remarqué qu'il en riait et en plaisantait de mille manières, quelquefois très amusantes. Un jour il me demandait, en tenant à la main son portrait, qu'il appelait son carnaval: Est-ce que j'ai bien l'air aussi niais que ça? - Il s'en consolait cependant parfois en pensant que la vue de ses traits pourrait contribuer à rappeler à quelques pèlerins les bons conseils qu'il leur avait donnés. On avait moulé une fois une petite statuette qui le représentait en pied. Cette statuette était exposée dans une boutique et se vendait dix-huit francs. Elle resta longtemps sans être vendue. Le bon curé, qui l'avait vue plusieurs fois en passant, finit un jour par demander à la marchande: Combien vendez-vous cela? - Dix-huit francs, Mr le Curé. - Je ne suis pas étonné alors que vous ne puissiez pas vous en débarrasser; tant que vous vendrez le Curé d'Ars plus de deux sous, vous n'en tirerez rien; c'est déjà bien trop.

Un statuaire distingué, Mr Cabuchet, avait entrepris de mouler aussi exactement que possible les traits du Curé d'Ars. Personne n'ayant jamais pu obtenir de le faire poser, il avait été réduit à le suivre et à l’observer à l'église ou ailleurs, pendant ses catéchismes, ses instructions, etc. Mr Vianney s'en aperçut et lui fit des observations sévères. L'artiste n'en continua pas moins. Un jour, pendant son catéchisme, Mr Vianney le remarqua modelant avec ses doigts une statuette de cire. Le Curé s'interrompit brusquement et l'apostrophant avec vivacité, il lui dit: Restez tranquille, Monsieur, vous distrayez tout le monde et vous me troublez moi-même. 858 - Quelques temps après, s'étant trouvé seul avec Mr Cabuchet, il lui défendit de continuer son travail et lui ordonna de le briser; il ajouta même: Vous me faites de la peine. - L'artiste déconcerté se disposait à obéir; Mr Toccanier et moi, nous l'en dissuadâmes. La statuette achevée, il nous la remit. Nous la portâmes dans la maison des missionnaires et la plaçâmes sur la fenêtre de la salle à manger. Mr Cabuchet était avec nous, tout tremblant, en attendant l'arrivée du curé. Celui-ci vint, comme il avait coutume de faire après son repas. Mr Toccanier le prit par la main en lui disant: Mr le Curé, venez voir, je veux vous montrer quelque chose; et il lui fit voir la statue. L'ayant regardée, Mr Vianney dit: Oh! c'est le Curé d'Ars, et il ajouta d'un ton sévère: Qui a fait cela? - Mr Cabuchet se jeta à ses pieds en lui demandant pardon. Mr Vianney le gronda sévèrement de sa désobéissance; il parut même hésiter un instant à lui accorder sa grâce; sur nos vives instances il s'y résigna; mais il exigea de Mr Cabuchet la promesse de ne pas livrer ce buste au public avant sa mort.

Mr le Curé d'Ars refusa constamment de signer ses portraits. Un Monsieur de Lyon avait fait sa biographie. On la présenta un jour au Curé d'Ars pour qu'il y mît sa signature; il répondit: Jetez cela au feu, c'est un mauvais livre.

Le Serviteur de Dieu avait une telle estime de l'humilité, qu'il en parlait constamment, surtout dans ses instructions. Il me disait fréquemment au sujet de notre Pensionnat: Restez dans la simplicité; plus vous resterez dans la simplicité, plus vous ferez de bien.

Il avait la plus grande estime et il éprouvait une véritable reconnaissance pour tous ceux qui l'humiliaient. Eux seuls le connaissaient bien, disait-il. - Un prêtre du voisinage lui écrivit un jour une lettre dans laquelle on lui reprochait son ignorance. Mr Vianney répondit par la lettre la plus aimable et la plus affectueuse; 859 il lui exposait les raisons qu'il avait de l'aimer, puisque lui seul l'avait bien connu et qu'il avait eu la charité de l'avertir et de s'intéresser au salut de son âme. Il le conjurait à la fin de se joindre à lui pour obtenir de son Évêque la permission de quitter sa paroisse et de se retirer dans la solitude pour y pleurer sa pauvre vie. Je tiens ce fait de Mr Vianney lui-même. L'ecclésiastique fut tellement touché qu'il vint aussitôt lui faire ses excuses et que chaque année dans la suite il amena ses enfants de la première communion à Ars pour les faire bénir par Mr le Curé.

A l'époque où il fut en butte à toutes sortes de persécutions, il s'attendait à tout instant à être chassé ignominieusement. Je lui demandais un jour si ces persécutions lui faisaient de la peine: Non, répondit-il, c'était au contraire le bon temps de ma vie.

Il lui est arrivé assez souvent de recevoir des personnes de distinction; il les accueillait avec respect mais avec simplicité et je n'ai jamais remarqué qu'il parût flatté de l'honneur de ces visites. Un jour qu'il avait reçu Mr le Préfet de l'Ain et Mr le Général commandant le département, Mr des Garets félicitait Mr le Curé d'Ars: Ce sont des corps et des âmes, se contenta-t-il de répondre.

Lorsque Mgr Chalandon lui donna le camail, il en fut très attristé. J'aurais mieux aimé, m'a-t-il dit, qu'il m'eût donné des coups de bâton et surtout qu'il m'eût accordé mon changement. - Après que son Évêque l'eût revêtu, à la porte de l'église, des insignes de chanoine, il éprouva un embarras extrême. Au lieu de Soumettre à sa place ordinaire, il se retira dans l'embrasure de la porte de la sacristie, tout honteux comme s'il eût voulu se cacher. Je lui dis: Mr le Curé, sortez donc de là, vous êtes au courant d'air. - Je suis bien là, laissez-moi, reprit-il. Je lui fis observer un jour qu'il était le dernier chanoine nommé. 860 Je crois bien, me répondit-il, Mgr s'est trompé une fois, il ne veut pas y revenir. Jamais, malgré les plus pressantes sollicitations, il n'a voulu porter le camail, même en présence de l’Evêque.

Il éprouva la même humiliation lorsqu'on lui donna la croix d'honneur. C'est bien la première fois, dit-il, que l'on décore un déserteur. - Il ne porta jamais cette croix et il la donna à Mr Toccanier.



Quoad Castitatem, testis respondit:

Le Serviteur de Dieu m'a raconté plusieurs fois que dans le commencement de son séjour à Ars, on avait affiché à sa porte des placards infâmes, et il ajoutait que de toutes les calomnies dont il avait été l'objet, c'était la seule qui lui eût fait de la peine. Les personnes qui l'avaient calomnié sur ce point ayant reconnu plus tard leur erreur, ont été du nombre de celles qui lui ont témoigné le plus de vénération. Pour mon compte, je n'ai jamais rien entendu dire, et je suis convaincu qu'il a pratiqué la Chasteté de la manière la plus parfaite.



Interrogatus demum an aliquid sciret quod aliquo modo sit contrarium virtutibus supradictis, testis respondit:

Je ne connais absolument rien qui puisse ternir l'éclat des vertus sur lesquelles je viens de déposer.



Juxta decimum nonum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

Ma conviction profonde est que le Serviteur de Dieu a pratiqué toutes les vertus au degré héroïque. J'entends par degré héroïque non seulement le degré dans lequel les bons et même les très bons chrétiens pratiquent la vertu, mais un degré supérieur. Ma raison pour croire que le Curé d'Ars a pratiqué la vertu dans un degré héroïque, c'est qu'il l'a pratiquée constamment, sans interruption, jusqu'à sa mort, et qu'il l'a pratiquée avec des sacrifices continuellement au-dessus des forces communes de la nature. Ma déposition, du reste, contient des preuves plus que suffisantes de cette allégation.




863 863 Session 94 - 9 Septembre 1863 à 3h de l'après-midi



Juxta vigesimum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

Ma conviction est que le Serviteur de Dieu avait reçu plusieurs dons extraordinaires.

1° Il avait très certainement le don des larmes; on le voyait pleurer très souvent, comme je l'ai déjà indiqué, lorsqu'il-parlait de l'amour de Dieu, de la Ste Eucharistie, etc. ou lorsqu'il disait la messe.

864 864 2° D'après l'opinion publique, le Curé d'Ars lisait souvent au fond des coeurs et annonçait des choses qu'il ne pouvait pas connaître naturellement. J'ai entendu citer un grand nombre de faits. Je puis attester les suivants:

Le fondateur de notre Société m'a raconté qu'il vint à Ars recommander aux prières de Mr Vianney sa Congrégation naissante. Le Curé d'Ars, en le voyant entrer, le salua par son nom et lui demanda où il en était par rapport à son oeuvre. Notre Supérieur n'en revenait pas: Mais comment me connaissez-vous, Mr le Curé, c'est la première fois que j'ai l'honneur de vous voir. - Oh! reprit celui-ci, les amis du bon Dieu se reconnaissent partout.

J'introduisis un jour auprès de Mr Vianney un notaire accompagné de ses deux filles. La plus âgée de celles-ci voulait se faire religieuse. Elle avait une soeur aînée qui l'était déjà; le père redoutait ce second sacrifice; il venait cependant consulter le Curé d'Ars, résolu à faire ce qu'il lui conseillerait. Le père exposa l'objet de sa visite, mais sans faire connaître celle de ses filles qui avait l'intention d'embrasser la vie religieuse. Mr Vianney se recueillit un instant, et sans hésiter, s'adressant à la plus âgée des deux soeurs: Vous, vous vous ferez religieuse, et vous (à la seconde), vous vous marierez et vous soutiendrez votre père. - Et le père s'étant mis à pleurer: Vous, lui dit-il, vous porterez votre croix, et si vous la portez courageusement, elle vous portera au Ciel.

Un pèlerin de la Bourgogne que je connais particulièrement, m'a raconté qu'il avait dit à Mr le Curé d'Ars: Je manque souvent les Vêpres le Dimanche, parce que ma maison est éloignée de l'église. - Un quart d'heure n'est pourtant pas bien loin, reprit Mr Vianney, qui ne pouvait pas connaître la distance. Ce pèlerin avait avec lui sa fille, qui était impatiente de finir sa confession. 865 Vous devez passer quinze jours ici, lui dit Mr Vianney, vous n'êtes donc pas aussi pressée que vous voulez bien le dire. - Il était tombé juste pour les deux faits.

Un homme de Rive-de-Gier ayant demandé au Curé d'Ars s'il devait vendre une propriété dont on lui offrait un prix très modique, celui-ci répondit sans hésiter: Ne vendez pas. Quelque temps après, on découvrit dans ce terrain un riche filon de houille, qui assura au propriétaire un revenu considérable.

Un inspecteur des mines de la Loire demanda à Mr Vianney s'il devait abandonner la place qu'il occupait et qui consistait dans l’inspection de cinq puits, pour en accepter un autre, qui lui donnerait les mêmes appointements et où il n'aurait cependant qu'un seul puits à surveiller. Mr le Curé lui dit de refuser. Quelques jours après, l'eau envahit ce dernier puits et causa la mort de plusieurs personnes. Je tiens ces détails de l'inspecteur lui-même.

Quatre ecclésiastiques du canton de Thoissey vinrent un jour à Ars. Deux de ces messieurs avaient des préventions contre Mr Vianney. Une instruction sur l'amour de Dieu à laquelle ils assistèrent, commença à les ébranler. Mais ce fut bien autre chose lorsque, dans une entrevue avec Mr le Curé à la sacristie, l'un de ces messieurs recommandant une association de jeunes personnes qu'il formait dans sa paroisse, Mr Vianney lui dit sans lui laisser le temps d'achever: "Et pour laquelle vous avez beaucoup d'embarras. Mais prenez courage, vous réussirez." L'autre ecclésiastique recommanda aux prières de Mr le Curé la même association qu'il formait aussi dans sa paroisse. Toujours sans laisser achever, Mr Vianney répondit: "Vous n'en avez pas besoin, tout va bien." Il avait dit juste pour l'un et pour l'autre. L'un de ces messieurs vint dans notre maison après l'entrevue, et me prenant par la main il me dit d'un ton très ému: Mon frère, vénérez bien votre curé, c'est un saint.

Une femme de l'Auvergne avait tenté inutilement, après avoir déjà passé la nuit sous le clocher, de parler à Mr Vianney. 866 C'était un dimanche. A la fin du jour, voyant que toutes ses démarches avaient été infructueuses, elle alla se mettre dans un confessionnal où Mr le Curé ne devait pas revenir de la journée, et elle fit cette prière: Mon Dieu, si vous voulez que je me confesse, faites-le venir. Or, Mr Vianney, au moment où il allait monter en chaire, sans avoir été prévenu par personne, se détourna pour entendre sa confession. Il fit ensuite son instruction comme d'habitude.

Lorsque nous faisions à Mr Vianney quelques observations sur ces faits et d'autres semblables, et que nous lui demandions comment il avait pu les connaître, il répondait: Je ne sais pas, c'est une idée qui m'est venue par la tête; je suis un prophète d'almanach.

Le Serviteur de Dieu m'a dit à moi-même, au sujet de l'un de mes frères, militaire dans l'armée sarde, plusieurs choses qui m'ont singulièrement étonné, qui se sont vérifiées, mais qui ne me paraissent pas cependant avoir un caractère assez surnaturel pour que je croie devoir entrer dans le détail.



3° Mr Vianney a opéré un certain nombre de guérisons extraordinaires pendant sa vie. On en a cité beaucoup; je puis attester les suivantes:

Un jeune homme presque paralysé de ses jambes à la suite d'une chute de cheval, vint à Ars; il fut porté sur les bras par un de mes confrères, depuis l'hôtel Pertinand jusqu'à la sacristie. Après son entrevue d'une dizaine de minutes avec Mr le Curé, il sortit seul, s'aidant péniblement d'un bâton. Le lendemain vers une heure, il vint dans notre maison. Il monta seul avec le secours de son bâton un escalier qui conduit au premier étage. Sa soeur, qui l'accompagnait, en était stupéfaite. Il y a deux ans, disait-elle, qu'il n'en a pas fait autant. - Ce jeune homme me raconta que dans l'entrevue de la veille, Mr Vianney lui avait dit: Ayez bon courage, mon ami, vous quitterez votre bâton; 867 mais commençons par guérir l'âme. - Il alla de mieux en mieux, fit sa confession, communia et partit d'Ars parfaitement guéri.

Une femme avait besoin de béquilles pour pouvoir marcher. Elle avait déjà fait plusieurs neuvaines, sans que son état se fût amélioré. Avant d'en faire une nouvelle, elle voulut savoir ce qu'en pensait Mr Vianney: Faites bien votre neuvaine à Ste Philomène, lui dit celui-ci; je crois que cette fois vous allez laisser vos béquilles a Ste Philomène. En effet, le jour où elle termina sa neuvaine, elle se servit de ses béquilles pour aller à la sainte Table, mais là, après avoir communié, elle les quitta et retourna à sa place, marchant comme les autres. C'était Mr Vianney qui donnait la communion. Il y avait alors à Ars quatorze ou quinze de nos frères et un grand nombre d'étrangers. Beaucoup de personnes furent-témoins de ce fait. Il fut remarqué particulièrement par les deux frères qui servaient la messe de Mr Vianney et qui s'empressèrent de me le rapporter. J'ai vu moi-même, le même jour, un prêtre dire la messe en action de grâces pour cette guérison.

Une femme de Pommiers, près Villefranche, était sujette à des crises si étranges, qu'on ne l'appelait plus que la possédée. Elle vint à Ars se recommander aux prières de Mr le Curé. Je la vis presque à son arrivée, et je fus témoin d'une ou deux crises. C'était des grimaces, des contorsions horribles, des cris effrayants. Après une visite ou deux à Mr Vianney, elle fut parfaitement guérie. Son mari fut si touché de cette guérison qu'il vint à Ars quelques jours après et fit une bonne confession; il avait oublié ses devoirs religieux depuis plusieurs années. La guérison a persévéré.

Un Monsieur atteint d'une affection cancéreuse très grave depuis six années, fut amené à Ars par une de ses parentes. Mr le Curé lui dit en l'abordant: Mon ami, guérissons vite l'âme, vous irez ensuite à Lyon vous faire opérer. Ste Philomène bénira l'opération, tout ira pour le mieux; vous guérirez certainement. - 868 L'opération, que le malade redoutait tant et qu'il aurait voulu éviter, se fit sans peine et quelques jours après, la guérison était complète. J'ai vu ce Monsieur à l'hôpital de Lyon le lendemain de l'opération; il était très calme. Une des soeurs qui le soignait m'en parla avec étonnement; lui-même me dit que le chirurgien lui avait exprimé sa surprise par ces paroles: Je ne comprends pas comment vous êtes bâti; cent autres, à votre place, auraient une fièvre de cheval. - Le malade, pour toute réponse, lui avait montré une médaille qu'avant son départ pour Lyon Mr Vianney lui avait remise.

J'ai été témoin de la guérison d'un jeune homme de Cébasas (Puy de Dôme) nommé Charles Blasy. Ce jeune homme, privé de l'usage de ses jambes depuis plus de trois ans, se fit apporter à Ars en mil huit cent cinquante-huit, au commencement du mois d'Août. Il fit une neuvaine à Ste Philomène, comme Mr Vianney le lui conseilla. Le soir de l'Assomption, appuyé sur ses béquilles, il se rendit à la sacristie, où se trouvait Mr le Curé, et lui dit: Est-ce cette fois que je dois porter mes béquilles à Ste Philomène? - Oui, mon ami, lui répondit-il. - A l'instant, le jeune homme sortit et levant ses béquilles en l'air, traversa ainsi l'église à la vue d'une grande foule et les porta à la chapelle de Ste Philomène. Il ne s'en est plus servi depuis. Ce fait s'est passé sous mes yeux.

Un soir, Mr Vianney nous montra une lettre venant de Belgique et renfermant un billet de cent francs. Voici ce qu'il nous dit en riant: Savez-vous qu'on me fait faire des miracles sans que je le sache? Tenez, voici un monsieur de Belgique, qui avait ses deux enfants bien malades; il les a recommandés à mes prières; puis ils ont été guéris tout de suite. Il m'envoie ce billet pour me remercier; mais je n'y ai rien fait. Ce que c'est que d'avoir la foi! - On a su depuis que ce monsieur était un médecin et que ses deux enfants, atteints de la petite vérole, étaient à l'extrémité.

869 Un jour, j'entendis raconter que le Curé d'Ars venait de guérir par un simple attouchement une loupe qu'un enfant avait au-dessous de l'oeil. J'allais le soir passer quelques Instants à la cure; Mr Vianney nous dit en riant: Il m'est arrivé aujourd'hui une drôle de farce. Puis prenant un air plus sérieux, il ajouta: Le bon Dieu fait bien encore des miracles. Une dame m'a présenté son enfant; il avait un gros mal là (il montrait la place où était la loupe); elle m'a prié de le toucher; je l'ai fait et ça a tout fondu.



4° J’ai dit précédemment que Mr Vianney était dans l'habitude de prier pour la conversion des pécheurs. Un jour qu'il se livrait à ce pieux exercice, Dieu lui fit comprendre combien cela lui était agréable; car un soir que j'étais chez lui, il dit: Le bon Dieu m'a fait voir combien il aime que je prie pour les pauvres pécheurs. Un soir, je lisais un papier; ma discipline s'est mise à marcher sur ma table comme un serpent; je l'ai ramenée à l'autre bout, elle s'est remise à marcher comme la première fois. Et comme on le questionnait pour savoir ce que contenait ce papier, il répondit: Je vous en ai déjà trop dit.

Il m'a avoué qu'il y avait eu au grenier de la cure une multiplication considérable de blé; il s'étonnait même que la poutre qui se trouvait au-dessous de l'appartement n'eût pas été brisée sous le poids. Cette poutre en effet était en mauvais état. Il a eu soin de me dire qu'auparavant il n'y avait presque point de blé dans le grenier.



5° Mr Vianney avait reçu de Dieu un don particulier pour la conversion des pécheurs; il est impossible de dire le nombre considérable d'entre eux qu'il a ramenés à Dieu. Un prêtre disait un jour à Ars: Tous ceux de mes paroissiens qui viennent ici sont convertis et deviennent des modèles. 870 Je voudrais pouvoir y amener toute ma paroisse. - Un autre prêtre disait en parlant de ses paroissiens: J'ai dans ma paroisse dix convertis du Curé d'Ars.- Un autre disait encore: Ma paroisse fait exception au milieu de celles qui l'entourent, depuis que je suis venu la recommander aux prières du Curé d'Ars.

Ces miracles de conversion, il les opérait souvent d'un mot, d'un regard, d’autres fois en versant des larmes abondantes.

Un Monsieur nommé Morin, venu à Ars par complaisance pour sa femme, consentit, à sa sollicitation, à voir Mr le Curé, se présenta à lui à la sacristie, et, après un instant de conversation, il se disposait à sortir lorsque Mr Vianney, le retenant, lui dit: Vous partez, mon ami, mais vous avez encore quelque chose à me dire. - Rien, Mr le Curé, j'étais venu pour vous présenter mon respect. - Mettez-vous là, reprit le Curé, en montrant son confessionnal. - Je ne suis pas venu pour me confesser; je n'y ai pas songé. - Le Curé insista vivement; Mr Morin se mit à genoux et commença sa confession. Le lendemain, nouvelle séance; mais au bout de quelques minutes il se leva brusquement, quitta la sacristie et déclara à sa femme qu'il voulait absolument partir. Celle-ci ne le retint qu'à grand peine. Le lendemain, il consentit à entendre la messe du Curé d'Ars; il ne l'eut pas plutôt vu à l'autel que son coeur fut changé. Spontanément il retourna à la sacristie et reprit sa confession. Sa conversion fut complète. Il édifia pendant plusieurs jours à Ars par son recueillement et sa piété. Je tiens tous ces détails de Mr Morin lui-même. Il m'a avoué que le motif qui l'avait fait abandonner si brusquement le confessionnal, c'est qu'il appartenait à une société secrète et qu'il ne voulait pas se rendre aux justes exigences de Mr le Curé. La conversion a persévéré; Mr Morin a fait ériger par reconnaissance un oratoire dans sa maison; 871 j'y ai prié moi-même. Le père du converti était au comble de la joie du changement survenu en son fils. Celui-ci est mort après deux ans d'une pénitence si rigoureuse que son directeur était obligé de le modérer. Dieu l'avait aussi visité par des souffrances très grandes, qu'il supporta avec une patience exemplaire. Je tiens ces derniers détails du directeur lui-même.

En mil huit cent cinquante-six, j'ai été témoin de la conversion d'un vieillard octogénaire impie, blasphémateur, ennemi acharné des prêtres. Comme il était impossible de l'amener à l'église, vu surtout qu'étant aveugle il avait été amené à Ars par surprise, et qu'informé de cette ruse pieuse il était entré en fureur, Mr. Vianney, prévenu à. temps, alla le voir à l'hôtel, le visita plusieurs fois, sans pouvoir le calmer; mais à la fin il se jeta à ses pieds en pleurant et en lui disant: Sauvez votre âme, sauvez votre pauvre âme; et il lui serrait les mains avec la plus tendre affection. Le vieillard se mit à son tour à pleurer; puis il récita l'Ave Maria, qu'il n'a presque plus cessé de dire jusqu'à l'heure de son départ. Mr le Curé le confessa plusieurs fois et mit le sceau à sa conversion par une communion fervente. La famille du converti a donné par reconnaissance à la chapelle de notre établissement une statue de la Ste Vierge. J'ai revu plusieurs fois ce vieillard, qui est mort saintement, il y a deux ans et demi environ.

En mil huit cent cinquante-cinq, j'ai vu à Ars un jeune, homme du département de l'Hérault, nommé Sylvain Louis François Dutheil. Soldat à seize ans, il avait contracté, par suite de ses excès, une maladie de poitrine qui l'avait forcé de rentrer dans sa famille. 872 Passant un jour dans une rue de Montpellier, il aperçut le portrait du Curé d'Ars et s'en moqua. Sa soeur l'en reprit en lui disant que s'il avait confiance en ce saint homme, il pourrait peut-être obtenir sa guérison. Nouvelles moqueries de la part du jeune militaire. Mais pendant la nuit, le Curé d'Ars lui apparut en-songe, tenant à la main une pomme plus qu'à moitié pourrie, mais conservant encore quelques parties saines. Frappé de ce rêve, le jeune homme demanda à voir le Curé d'Ars. Sa mère l'amena. Mr Vianney allait chaque jour le visiter à l'hôtel où il était logé et s'entretenait avec lui. Le samedi matin, il fit sa communion à l'église. A la sacristie, il s'écriait: Que je suis heureux! Je n'ai jamais de ma vie éprouvé un pareil bonheur. Reconduit à l'hôtel, il se jeta dans les bras de sa mère et lui dit en pleurant: La joie de cette communion me fait oublier toutes mes souffrances; je ne veux plus quitter ce saint homme, je veux mourir ici. Il mourut en effet la nuit suivante. Je tiens ces détails du jeune homme lui-même et j'ai été témoin oculaire.




875 875 Session 95-10 Septembre 1863 à 8h du matin



Juxta vigesimum primum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

Je n'ai entre les mains aucun écrit du Serviteur de Dieu, et je ne connais qu'un sermon, qui est entre les mains de Catherine Lassagne, et qu'une lettre, que Mr Ballet, missionnaire des Chartreux à Lyon, m'a dit conserver religieusement.



876 Juxta vigesimum secundum Interrogaiorium, testis interrogatus respondit:

Le Serviteur de Dieu est mort à Ars à deux heures du matin le quatre Août mil huit cent cinquante-neuf. Depuis quelque temps, Mr Vianney s'affaiblissait à vue d'oeil. Les grandes chaleurs de Juillet l'éprouvèrent cruellement. Une toux aiguë, dont il souffrait depuis longtemps, devenait chaque jour plus pénible et plus continue. Le vendredi, vingt-neuf Juillet, après une journée écrasante, il rentra chez lui, n'en pouvant plus. Lorsque, le lendemain matin, à une heure, il se fut levé comme d'habitude pour aller à l'église, il s'aperçut en descendant l'escalier que les forces lui manquaient. Il appela; on arriva aussitôt. Vous êtes fatigué, Mr le Curé? - Oui, répondit-il, je crois que c'est ma pauvre fin. - Nous allons chercher le médecin. - C'est inutile, il n'y pourra rien faire. Il est impossible de peindre la douleur et la consternation qui régnèrent dans la paroisse et parmi les pèlerins, lorsque l'on ne vit plus le-bon Curé paraître à l'église selon ses habitudes. Plusieurs paroles qu'il avait dites ne firent que trop craindre que réellement il avait fourni sa carrière. Quand au milieu de Juillet, on lui présenta son mandat de Curé, il le remit à son vicaire en disant: Ce sera pour payer mon enterrement. On lui avait donné pour la procession du St Sacrement un magnifique ruban pour soutenir l'ostensoir: Je ne m'en servirai qu'une fois, avait-il dit en l'acceptant. Au mois de mai de la même année, une personne dit à Mr Vianney en le quittant: Je reviendrai vous voir au mois d'Août. - Si vous ne venez qu'au mois d'Août, reprit le Curé, vous viendrez à mon enterrement.

Malgré ses souffrances, augmentées encore par une chaleur excessive, Mr Vianney fut constamment d'une douceur, d'un calme, d'une résignation et d'une patience admirables. Il acceptait tout ce qu'on lui présentait; il ne refusa que le matelas qu'on voulait lui donner. 877 Les craintes si vives de la mort qu'il avait manifestées dans d'autres circonstances, disparurent complètement dans cette dernière maladie.

Le mardi soir, il demanda à recevoir les derniers sacrements; toute la paroisse, les étrangers en grand nombre se pressèrent autour du presbytère pendant cette cérémonie, à laquelle assistèrent des prêtres venus de fort loin. J'ai déjà dit qu'il pleura en entendant sonner la cloche qui lui annonçait la visite du divin Maître. Le lendemain, le bon Curé eut la consolation de recevoir une dernière visite et une dernière bénédiction de son Évêque, accouru en toute hâte. La nuit qui suivit cette touchante entrevue, à 2 heures du matin, le Serviteur de Dieu rendit le dernier soupir, sans violence et sans agonie.



Juxta vigesimum tertium Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

Le corps de Mr Vianney fut descendu dans un appartement, au rez-de-chaussée, converti en chapelle funéraire. On accourut de toutes parts pour contempler les restes vénérés du Curé d'Ars. Pendant les deux jours que le corps resta exposé, l'appartement où il était ne désemplit pas. Deux frères de la Ste Famille se tenaient auprès du lit de parade, protégé par une forte barrière, et leurs bras se lassaient de présenter les objets que l'on voulait faire toucher au corps du Serviteur de Dieu. Les funérailles eurent lieu le samedi matin et furent présidées par Mgr l'Évêque du diocèse. Plus de trois cents prêtres étaient venus pour assister à cette cérémonie, quoique la circonstance du samedi en eût retenu un grand nombre. Il y avait environ six mille fidèles. On fut obligé de prendre les précautions les plus sévères pour préserver du pillage les objets qui avaient appartenu à Mr Vianney ou dont il s'était servi. Malgré ces mesures, il y eut plusieurs larcins pieux à regretter.



Juxta vigesimum quartum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

Après la cérémonie des funérailles, le corps du Serviteur de Dieu fut déposé provisoirement dans la chapelle de St Jean-Baptiste, pendant, qu'on creusait au milieu de la nef le caveau où on devait le descendre. 878 Le seize Août, après une messe célébrée pour le repos de son âme, on déposa le corps dans le caveau préparé. Un procès verbal que j'ai entre les mains indique d'une manière précise la forme du tombeau et les autres particularités concernant cet objet. Sur la pierre tumulaire, on lit cette inscription: Jean-Marie Baptiste Vianney, Curé d'Ars. Les fidèles en grand nombre viennent prier sur cette tombe; mais je n'ai jamais rien vu qui ressemblât à un culte public.



Juxta vigesimum quintum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

Le Serviteur de Dieu a joui pendant sa vie d'une grande réputation de sainteté; on ne l'appelait que le saint Curé. Cette réputation n'avait d'autres causes que la vie extraordinaire, les vertus et les dons surnaturels de Mr Vianney. Par réputation, j'entends l'opinion qu'on a d'une personne. Cette réputation de sainteté était générale; elle était partagée par les personnes de toutes les classes, de tous les pays. On voyait accourir à Ars des personnages très haut placés. On y a vu un bon nombre d'évêques. L'ambition des pèlerins, que sa réputation de sainteté lui amenait de toutes les parties du monde, ne se bornait pas à le voir, à lui parler, à recevoir sa bénédiction; elle allait encore à vouloir posséder un souvenir de lui, un objet qu'il avait béni, une image ou un livre qu'il avait signé. Son nom se trouvait sur toutes les bouches; son portrait se trouvait partout. Un grand nombre de pèlerins désiraient avoir quelque objet qui eût appartenu au Curé d'Ars; on nous en réclamait continuellement. Plusieurs ne pouvant être satisfaits, coupaient des morceaux de sa soutane, de son surplis, de son chapeau; lui enlevaient des feuillets de son bréviaire, prenaient son catéchisme. On était obligé de faire la garde autour du bon Curé.

Les habitants de Dardilly, sa paroisse natale, enviaient à celle d'Ars le trésor qu'elle possédait. Ils firent faire à Mr Vianney un testament par lequel il demandait à être enterré à Dardilly. Quand on le sut à Ars, ce fut une véritable consternation; l’Évêque dut intervenir pour faire changer le testament. 879 Quand Mgr lui en fit la proposition, Mr Vianney, tout confus, répondit: Pourvu que mon âme soit auprès du bon Dieu, peu m'importe le lieu où sera mon cadavre. Il fit le testament comme Mgr le désirait. Il le refit dans sa dernière maladie, à la demande de Mr Toccanier, de Mr des Garets. Après la mort, les habitants de Dardilly réclamèrent avec instances une partie du corps du Serviteur de Dieu. On ne put les satisfaire.

Cette réputation de sainteté n'a jamais été interrompue; jamais personne, à ma connaissance, ne l'a attaquée. Elle semble, depuis la mort, aller en augmentant; j'en juge par l'affluence très considérable des pèlerins, qui viennent de tous les cotés.

Quant à moi, je regarde le Serviteur de Dieu comme un grand saint.



Juxta vigesimum sextum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

Ce que je viens de dire à l'interrogatoire précédent répond à celui-ci.



Juxta vigesimum septimum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

Une personne de Rive-de-Cier, atteinte d'un mal très grave à un pied, arriva à Ars la veille de la mort de Mr le Curé. Elle fit toucher des bandelettes de toile au corps de Mr Vianney, lorsqu'il était exposé, après sa mort; puis elle s'en enveloppa le pied; le lendemain, elle fut complètement guérie. Je l'ai vue à la sacristie, elle frappait du pied et marchait comme si elle n'avait jamais eu aucun mal, et cela en présence de plusieurs personnes.

Le premier Mai mil huit cent soixante-deux, un enfant de St Laurent-les-Mâcon, perclus de tous ses membres, ayant par jour dix-huit à vingt crises d'épilepsie, fut apporté à Ars par ses parents. Le trois Mai, Mr le Curé de Si Laurent écrivit à Mr Toccanier pour lui annoncer que l'enfant était guéri. Je l'ai vu moi-même à la fin de la neuvaine marcher parfaitement, courir et sauter sur les fondations de la nouvelle église. Sur la recommandation de Mgr de Belley, une neuvaine en l'honneur du Curé d'Ars avait été faite dans la famille de l'enfant. J'ai revu plusieurs fois l'enfant; il était toujours bien portant.

J'ai entendu citer un certain nombre de faits; mais je ne connais pas assez les détails pour les donner ici.

Voici ce qui m'est arrivé à moi-même: l'année même de la mort de Mr Vianney, au mois de Novembre, je tombai malade et je gardai le lit pendant cinq semaines. 880 La dernière surtout fut très mauvaise. Comme je transpirais beaucoup, on était obligé de changer mon linge plusieurs fois par jour. Un soir, le Frère qui voulut me rendre ce service, ne trouvant pas la clef de l'armoire du linge, alla me chercher dans une malle une des quelques chemises que nous avons du Curé d'Ars. Je la pris sans le savoir. Un quart d'heure après, me trouvant très bien, je demandais à me lever: ce que je fis sans peine. Je restai levé assez longtemps. On venait de terminer une neuvaine faite pour moi en l'honneur de Ste Philomène et du Curé d'Ars. Le médecin vint me voir le lendemain matin et fut étonné de me trouver si bien; néanmoins il m'ordonna de prendre encore quelques remèdes, mais je ne pus le faire: ces remèdes me fatiguaient au lieu de me soulager.

Je possède une fiole renfermant du sang de Mr Vianney, provenant d'une saignée qu'on lui fit le trente Décembre mil huit cent, cinquante-trois. Ce sang est toujours resté liquide. Le sang que d'autres personnes ont gardé, quoique ne provenant pas de la même saignée, est pareillement resté liquide.



Juxta vigesimum octavum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

En parlant de la Patience, j'ai oublié le fait suivant: Mr Vianney eut beaucoup à souffrir du caractère d'un prêtre auxiliaire, d'ailleurs plein de dévouement pour lui. Ayant entendu un jour une scène pénible, j'en exprimai ma douleur à Mr le Curé: Vous l'avez donc entendu? me dit-il; tant pis. Il n'y a point de mal quand personne, ne s'en aperçoit. J'y suis bien habitué. Puis il se mit à excuser son confrère. Mr le Curé, un mercredi saint, je crois, me fit appeler et me pria d'écrire une lettre dont il me dicta le sens et presque les paroles. Cette lettre devait mettre fin à tout en amenant l'éloignement de l'ecclésiastique en question. La lettre était du reste pleine de charité. Quand je la présentai à Mr le Curé pour la faire signer, il la lut et la déchira en disant: J'ai pensé : que le bon Dieu avait porté sa croix cette semaine. Je puis bien porter aussi la mienne à mon tour.



881 Et expleto examine super Interrogatoriis, deventum est ad Articulos, super quibus testi lectis, dixit, se tantum scire, quantum supra deposuit ad Interrogatoria, ad quae se retulit.

Sic completo examine, integra depositio jussu Rmarum Dominationum : suarum perlecta fuit a me Notario a principio ad finem testi supradicto alta et intelligibile voce. Qua per ipsum bene audita et intellecta respondit se in eamdem perseverare, et illam iterum confirmavit.



883 883 Session 96-10 Septembre 1863 à 3h de l'après-midi



Et prosequendo decimum octavum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

La Prudence et la patience ont été les deux vertus qui m'ont le plus frappée dans le Serviteur de Dieu. Jamais une démarche imprudente, jamais une parole dont il ait eu à se repentir, malgré les nombreuses questions qu'on lui adressait de tous les cotés.

884 Mr Vianney cherchait en tout à fuir la singularité; il était simple dans ses paroles, dans ses actions et jusque dans sa piété. Il semblait redouter singulièrement qu'on pût penser qu'il se donnait pour modèle. Il faisait chaque chose comme il devait le faire, sans contrainte et sans ostentation; on voyait qu'il ne se proposait pas de plaire aux hommes mais uniquement de plaire à Dieu.

La Prudence chrétienne lui fit toujours rechercher pour lui-même les moyens les plus propres pour atteindre sa fin surnaturelle. J'ignore, il est vrai, pour le commencement de sa vie, les principaux détails, mais le genre extraordinaire, la vie mortifiée que je l'ai vu suivre à Ars me fait assez croire qu'il n'a pas attendu son arrivée dans cette paroisse pour pratiquer la vertu comme il le faisait. Ma conviction est donc que Mr Vianney n'a rien négligé de ce qui pouvait procurer son salut et le conduire à la perfection.

Cette prudence qu'il s'était efforcé d'acquérir, avec le secours de la grâce, il tâchait de l'inspirer aux autres. On le vit donc, comme je l'ai rappelé en parlant de la Foi, de l'Espérance et de la Charité, remplir tous ses devoirs de pasteur, détruire les abus et faire refleurir la piété en se servant pour cela de tous les moyen que le zèle conduit par la Prudence sait faire prendre. Il lui arriva plus d'une fois de parler d'une manière forte et je pourrais dire presque sévère, mais il évitait avec soin tout ce qui pouvait blesser et indisposer ses paroissiens. Il n'y avait jamais aucune personnalité dans ses instructions. Il sut d'ailleurs s'attirer l'estime et la bienveillance de ses paroissiens, qui lui donnèrent des preuves nombreuses de leur affection.

885 885 Le Curé d'Ars se proposait uniquement, dans les exercices de son ministère qui concernaient ses paroissiens, de les amener à Dieu. Il y réussit autant qu'on pouvait le désirer. La paroisse d'Ars devint une paroisse modèle.

Lorsque le Serviteur de Dieu se trouvait en face de quelques difficultés plus considérables, il redoublait ses prières, ses jeûnes et ses macérations, afin d'attirer la bénédiction du Ciel sur son entreprise. Plusieurs fois même, il a demandé au Seigneur de lui faire connaître par quelque signe si l'oeuvre qu'il méditait lui était agréable, et Dieu n'a pas dédaigné d'exaucer le désir de son Serviteur.

La Prudence me paraît avoir brillé dans toutes les actions du Curé d'Ars. J'en rappellerai ici quelques unes. Je n'ai pas vu les commencements de la Providence; mais j'ai su avec quelle Prudence il avait créé et dirigé cet établissement. Quand, plus tard, il comprit que l'autorité diocésaine désirait voir à la tête une Congrégation religieuse, il sacrifia ses goûts particuliers et consentit à appeler les soeurs de St Joseph, afin de donner la stabilité à cette oeuvre, qui lui avait coûté tant de peines.

Lorsqu'il fut question d'établir l'école gratuite des jeunes gens, je sais que Mr le Curé eut de fréquents entretiens à ce sujet avec Mr des Garets.

Mr Béranger de la Drôme éprouvait une très grande difficulté au sujet d'un testament; il ne savait comment se tirer d'une affaire, qui lui paraissait inextricable. 886 Il vint à Ars, exposa ses perplexités à Mr Vianney, qui aussitôt lui donna une solution si claire, si précise et si lumineuse qu'il en fut stupéfait. Il revint plusieurs fois à Ars par un sentiment de vénération et de reconnaissance.

On avait une très grande confiance aux lumières du Serviteur de Dieu. On venait de tous côtés le consulter sur toutes sortes d'affaires, sur toutes sortes d'entreprises. On lui écrivait de tous les pays pour avoir son avis sur des questions les plus variées. A ma connaissance, personne n'a eu à se repentir d'avoir suivi ses conseils. Il entrait parfois, au sujet des affaires temporelles, dans des détails vraiment extraordinaires.

Sans cesse sollicité par les pèlerins de se prononcer sur les événements politiques, il ne répondait pas et cependant on le faisait parler, on citait même des prédictions qu'il aurait faites; aussi dit-il un jour: Pauvre curé d'Ars, comme on le fait parler, lui qui ne dit rien... Les choses allèrent si loin, qu'un agent de police vint de Lyon pour prendre auprès de Mr le Maire des renseignements sur certaines paroles prophétiques prêtées au Curé d'Ars et qui avaient causé une grande émotion. Mr le Curé, mis en présence de l'agent de police, donna des réponses si simples et si précises que l'envoyé se retira pleinement satisfait et ravi de ce qu'il avait vu à Ars.

La prudence de Mr Vianney n'éclata pas moins au sujet de ce qu'on a appelé l'incident de la Salette. 887 Lorsqu'il reçut la confidence des dénégations de Maximin sur la vérité de l'apparition de la Ste Vierge, sa première pensée fut de garder le silence vis-à-vis du public et d'en référer seulement à son Évêque. Malheureusement, l'ecclésiastique qui se trouvait avec lui ébruita ce qui s'était passé. L'émoi fut grand ; les faits furent amplifiés, dénaturés, comme il arrive presque toujours en pareille circonstance. On abusa du nom et de l'autorité de Mr le Curé d'Ars. Il en souffrit horriblement et l'on sait que ce fut là l'une des grandes peines de sa vie. Dès lors il s'abstint soigneusement de parler de la Salette, soit en bien, soit en mal; il refusa même de répondre aux plus pressantes demandes qui lui furent adressées à ce sujet; il s'en référa à l'autorité de l’Évêque diocésain. Les peines intérieures avaient accompagné les ennuis extérieurs que lui avait causés ce fâcheux incident. Il eut recours à Dieu dans la prière et le conjura de l'éclairer. Dieu vint à son aide, et lorsqu'il eut prononcé un acte de foi sur ce fait, il fut entièrement délivré de ses inquiétudes et retrouva la paix de l'âme.

Là où la prudence de Mr Vianney brilla avec le plus d'éclat, ce fut dans la direction des âmes. Il avait reçu de Dieu un don tout particulier pour consoler, éclairer et diriger les nombreux fidèles que la réputation de ses vertus lui amenait de tous les côtés. C'était à première vue qu'il indiquait d'une manière claire et précise ce que l'on avait à faire. Un certain nombre de faits démontrent que réellement il lisait quelquefois au fond des coeurs. J'en pourrai citer quelques uns en parlant des dons surnaturels.



Quoad Justitiam, testis respondit:

888 J'ai déjà déposé que le Serviteur de Dieu avait rempli tous les devoirs que la religion nous impose. Il pratiquait encore les conseils évangéliques et correspondait, autant que j'en ai pu juger, aux bons mouvements et aux inspirations de la grâce.

Il a été toujours très exact à remplir tous les devoirs que les hommes se doivent mutuellement. Ce qui distinguait le Curé d'Ars, c'était une politesse simple, franche, cordiale. On pourrait citer des mots charmants de grâce et d'affabilité. Il accueillait tout le monde avec bonté et savait témoigner à chacun les égards qui lui étaient dus. Il était plein de compassion pour les personnes qui étaient affligées; il avait alors de ces mots qui portaient avec eux la consolation, et qui rendaient la force et le courage. On avait peine à comprendre comment il pouvait produire un si puissant effet sur le coeur affligé.

Il aimait les témoignages d'amitié et y répondait souvent avec effusion. Il a souvent exprimé à Mr des Garets, par ses paroles ou dans ses lettres, l'affection particulière qu'il avait pour lui. Lors de sa première fuite, en mil huit cent quarante-trois, il laissa une lettre dans laquelle il appelait toutes les bénédictions du Ciel sur Mr des Garets et sa famille. Il lui donna encore des marques particulières de son affection et de son dévouement dans sa dernière maladie.

Mr Vianney respectait tout le monde; il ne voulait pas s'asseoir, et lui ne voulait pas permettre qu'on restât debout. En saluant les visiteurs, il avait coutume de dire: Je vous présente bien mon respect. - S'il avait connu une formule plus respectueuse, il l'eût employée.





891 Session 97-11 Septembre 1863 à 8h du matin



Et prosequendo decimum octavum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

Le Serviteur de Dieu donnait aux ecclésiastiques de grandes marques de respect. Après les ecclésiastiques, les religieux étaient l'objet de sa prédilection. Il aimait beaucoup les Jésuites et avait grande confiance dans la durée de cet Ordre; 892 il me l'a dit après sa première maladie. Il avait accordé aux ecclésiastiques le même privilège qu'aux malades, aux infirmes et à ses paroissiens, celui de les entendre dès qu'ils réclamaient son ministère. Il les recevait aussi lorsqu'ils désiraient de lui parler. On l'a vu, après des journées extrêmement fatigantes, recevoir plusieurs soirs de suite un pauvre ecclésiastique scrupuleux. Il savait donner aux personnes haut placées dans l'Eglise les marques d'estime, de respect et de vénération qui leur sont dues. Il y avait cependant dans ces démonstrations un grand abandon. Nous avons remarqué combien fut touchante son entrevue avec son Éminence le Cardinal de Bonald, auquel Mr Vianney tendit les bras, n'étant pas plus embarrassé avec lui qu’avec un simple curé, ainsi que lui-même nous l'a dit.

Les grands et les puissants de la terre, il les honorait comme ils le méritaient; il les accueillait avec une exquise politesse. Lorsqu'il reçut la visite du préfet du département, les marques de politesse qu'il lui donna frappèrent ce magistrat. Mais au confessionnal, on remarquait qu'il ne faisait de préférence pour personne. Là, chacun passait à son tour; il aurait dit une fois: Si l'impératrice elle-même se présentait, elle serait obligée de faire comme les autres. Il faisait cependant exception, comme je l'ai indiqué, pour les malades, les infirmes, ses paroissiens ou d'autres personnes qui ne pouvaient pas attendre.

Mr Vianney était pour les malades d'une très grande bonté; il courait auprès d'eux dès qu'on l'appelait; il les visitait souvent; il avait un talent merveilleux pour compatir à leurs peines, pour les consoler par quelques bonnes paroles, qui allaient droit au coeur: aussi obtenait-il d'eux tout ce qu'il désirait et les disposait-il parfaitement à recevoir les derniers sacrements, si la maladie était grave, et à paraître devant Dieu. Un de mes fils était dangereusement malade et craignait presque Mr le Curé, de peur qu'il ne lui parlât de la mort. 893 Je remarquais avec quelle adresse il savait s'introduire auprès de lui, lui parler de ce qu'il voulait lui dire; il lui rappelait surtout les guérisons qui s'opéraient à Ars. Par là, il faisait renaître l'espérance au coeur du jeune homme, tout en le disposant à recevoir les derniers sacrements, qu'il lui administra lorsque le moment fut venu. J'ai pareillement remarqué l'affection qu'il a toujours témoignée à ma famille. Elle se traduisait chez lui de mille manières. Il s'informait de tout ce qui pouvait nous intéresser. S'il y avait quelqu'un de malade, ou de fatigué, il s'inquiétait, comme s'il avait été un des membres de la famille; il redoublait ses visites, compatissait à nos peines, savait toujours dire quelques mots aimables, qui donnaient à l'âme le courage dont elle avait besoin; il excellait surtout à montrer le mérite des souffrances. Il disait: On souffre, mais on mérite. Un jour, il parla à Mr des Garets des joies du Ciel avec des expressions qui l'impressionnèrent fortement. Que faut-il faire pour y avoir part? demanda Mr des Garets. - Deux choses, répondit le Curé: des croix et la grâce. Je n'oublierai jamais pour moi les grandes marques d'affection et de sensibilité qu'il m'a toujours témoignées, et particulièrement lorsque j'ai eu le malheur de perdre quelqu'un de mes enfants. Il ne craignait pas de m'appeler la mère de douleur et de pleurer avec moi sur la mort de mes fils. Il y avait dans le Serviteur de Dieu, non seulement une grande bonté, jointe à une aimable simplicité, mais encore une grande sensibilité, et je dirais même une effusion de sensibilité.

Il était pour ses collaborateurs plein de condescendance. Il s'efforçait de leur épargner la plus légère contrariété; il s'offrait à les remplacer dès qu'il les voyait un peu indisposés. Oh! qu'il aimait les missions et ses chers missionnaires! Le soir, quoique la journée eût été extrêmement pénible et qu'il parût si abattu qu'il ne pouvait se soutenir, on le voyait s'entretenir avec ses collaborateurs ou d'autres personnes qu'il recevait en ce moment, avec une grâce, une bonté, un abandon qui frappaient tout le monde. 894 Il savait aussi mettre alors le mot pour rire. On aurait dit qu'il n'était en aucune façon fatigué. Lorsqu'il apercevait qu'un de ses collaborateurs manquait de quelque chose, il s'empressait de le lui procurer. Il était très reconnaissant pour les moindres services qu'on pouvait lui rendre, et il ne perdait pas le souvenir des bienfaits qu'il avait reçus. Il a longtemps pleuré Mademoiselle d'Ars. Il nous disait qu'après avoir perdu Mr Balley et sa mère, il ne s'était attaché à rien sur la terre. Je me rappellerai toujours un catéchisme où il nous fit l'éloge de Mr Balley; il s'appliqua surtout à nous montrer sa mortification, son amour pour Dieu et ses grandes connaissances. Il nous envoya une fois raccommoder une vieille couverture, qu'il tenait de Mr Balley et qu'il conservait comme une espèce de relique.

Je viens de parler de la gracieuse expression de sa reconnaissance, toutes les fois qu'il en avait l'occasion. Il en donna un dernier témoignage bien précieux à ses paroissiens peu de mois avant sa mort, en les remerciant de la belle souscription qu'ils avaient faite pour la construction de la nouvelle église.



Quoad Obedientiam, testis respondit:

La vie de Mr Vianney a été une vie d'obéissance. La preuve la plus forte que j'en puisse donner, c'est que, malgré les plus vives répugnances, il ait consenti à rester jusqu'à sa mort dans la paroisse d'Ars. Deux fois, il est vrai, il a tenté de fuir; mais chaque fois il avait prévenu, immédiatement avant son départ, son Évêque, comme j'en puis juger par les lettres de Mgr Devie et par une lettre du bon Curé lui-même. Nous possédons ces lettres dans notre famille. Ce sacrifice lui coûta extrêmement. A la suite de sa maladie de mil huit cent quarante-trois, mon mari, Mr des Garets, étant allé lui rendre visite, le trouva assis sur son lit et versant des larmes abondantes; et comme il lui en demandait la cause, il en reçut cette réponse: On ne sait pas toutes les larmes que j'ai répandues sur ce pauvre grabat; depuis l'âge de onze ans, je cherche la solitude; on me l'a toujours refusée.

895 Je ne puis donner aucun détail sur le fait de sa désertion. Toutefois, je sais qu'il ne s'en est jamais repenti. Lorsque, dans ses instructions ou ses catéchismes, il disait: Quand j'étais déserteur, il n'y avait point de contrition dans son langage.

Son obéissance à l'Église et au Souverain Pontife était sans bornes. Il ne parlait et n'entendait parler de Rome et du Souverain Pontife qu'avec des tressaillements de joie. Un prélat romain étant un jour passé à Ars, et lui ayant dit qu'il retournait à Rome, qu'il y verrait le Saint Père, il témoigna par les expressions les plus touchantes combien il enviait son bonheur et il le chargea de prier pour lui sur le tombeau des Apôtres.

Je ne sais rien de direct sur l'obéissance qu'il a eue pour ses parents pendant qu'il était chez lui, ni pour ses supérieurs ecclésiastiques dans les séminaires; mais tout ce que j'ai vu et entendu du bon Curé, me fait juger que cette obéissance a toujours été exemplaire. Il n'y a pas eu d'observateur plus exact et plus rigoureux que lui de la discipline ecclésiastique et de toutes les lois de l'Eglise.



Quoad Religionem, testis respondit:

La vertu de religion se manifestait en Mr Vianney de mille manières différentes, en tout temps, en tous lieux, en toutes circonstances. Il avait une dévotion singulière pour les croix, les images, les statues, les reliques des saints. Lorsqu'on lui présenta l'écrin qui contenait sa croix d'honneur, il eut une grande joie, croyant que c'était des reliques. En mil huit cent vingt-sept, j'ai visité sa chambre; elle était toute tapissée de vieilles et grossières images. Mr le Curé, lui dis-je, vous avez là bien des images. - Oui, répliqua-t-il, je suis en la compagnie des saints. La nuit, quand je me réveille, il me semble qu'ils me regardent et me disent: Paresseux, tu dors; et nous, nous passions nos nuits à veiller et à prier le bon Dieu.

Un jour, on lui présenta l'image d'un Ecce homo, le corps tout déchiré et couvert de gouttes de sang. Il en fut profondément ému et dit: Ah! si l'on avait la Foi, comme l'on serait touché... Et il y avait des larmes dans sa voix.

Rien n'égala son zèle pour le culte divin, pour acheter de beaux ornements, pour embellir, son église.

896 Lorsqu'il céda aux soeurs de St Joseph sa maison de la Providence, il voulut que la chapelle fût dans l'état le plus brillant, ornée de statues, de tableaux, etc.

L'un de ses plus grands bonheurs était d'entendre des prédications. On voyait qu'il les écoutait et se les appliquait. Il ne pouvait souffrir à ce sujet la moindre critique. Nous trouvions un jour qu'un prédicateur avait été trop long, et nous lui en faisions la remarque. A la bonne heure, répliqua-t-il, mais ce qu'il disait était si bon. Les compliments qu'on lui adressait quelquefois du haut de la chaire le peinaient sensiblement. Il s'enfonçait alors dans sa stalle avec un air si affligé que nous-mêmes, nous souffrions pour lui. A la fin d'une station, un prédicateur s'étant permis de faire son éloge, il lui dit: Mon ami, vous avez très bien prêché pendant tout le temps, mais la fin a tout gâté.

Je n'en pourrais jamais assez dire sur sa dévotion au Saint Sacrement; inutile de revenir sur les détails que j'ai donnés. Lorsqu'il était à genoux devant l'autel, ou qu'il parlait en chaire de la divine Eucharistie, on aurait dit une extase. Je lui ai entendu dire: Si l'on savait ce que c'est que de communier, on serait tellement saisi qu'on ne pourrait pas aller à la table sainte. - Il disait encore: Si l'on savait bien ce que c'est que la communion, on ne voudrait presque pas aller au Ciel, parce qu'on n'y communie pas. Il citait volontiers le trait de Ste Françoise qui aimait à se trouver auprès de sa mère pendant la journée toute entière, lorsqu'elle avait communié. Pendant l'octave du St Sacrement, ses prédications n'étaient qu'un long cri d'amour. L'attitude du Serviteur de Dieu devant le St Sacrement était telle, qu'il me semble que je le vois encore et qu'il m'en est resté un souvenir ineffaçable.

Il avait un grand respect pour toutes les pratiques extérieures de piété; il s'attachait néanmoins de préférence aux pratiques communes et universellement acceptées par l'Église. Il aimait beaucoup l'exercice du chemin de la croix. Il le faisait publiquement tous les dimanches de Carême et tous les jours de l'octave des morts. Aux dernières stations, il était tellement ému, ses larmes étaient tellement abondantes, qu'il pouvait à peine terminer cet exercice. Il recommandait de ne jamais passer devant une croix sans la saluer. J'ai vu un homme du monde se découvrir passant devant une croix; je ne l'aurais pas fait, me dit-il, si je n'avais pas entendu le Curé d'Ars.

897 Il était du tiers-ordre de St François; lorsque la nouvelle s'en répandit dans la paroisse, on eut de vives inquiétudes, on crut qu'il allait se faire capucin. Je ne sais rien sur ses dévotions privées, sinon qu'il disait la messe le samedi en l'honneur de la Sainte Vierge et pour des intentions personnelles. Lorsque ce jour-là quelqu'un lui demandait une messe, il paraissait contrarié; il condescendait cependant quelquefois à la demande; mais alors il disait: Aujourd'hui, vous serez bien près de moi.





899 Session 98-11 Septembre 1863 à 3h de l'après-midi



Et prosequendo decimum octavum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

Pendant sa maladie de mil huit cent quarante-trois, l'une de ses plus grandes privations fut de ne pouvoir pas célébrer le saint sacrifice de la messe; aussi, à peine alla-t-il un peu mieux, qu'il voulut se procurer ce bonheur. Ne pouvant pas rester longtemps sans prendre quelque chose, il se leva à deux heures du matin, se rendit à l'église, célébra le saint sacrifice. 900 Malgré l'heure matinale, toute la paroisse était réunie à l'église. A la fin de la messe, la figure du bon Curé était toute baignée de larmes. L'une de mes filles qui y assistait fut tellement impressionnée qu'elle n'en parle encore qu'avec une vive émotion. Il lui semblait avoir assisté à une messe des catacombes.

Le Serviteur de Dieu fut toujours très dévot envers la Sainte Vierge. Il fit placer à Ars une horloge afin de bénir l'heure, disait-il. Lorsqu'elle sonnait, il récitait un Ave Maria avec une invocation; il tenait beaucoup à cette pratique, et il s'efforça de l'introduire parmi les fidèles de sa paroisse. Il eut toujours une tendre dévotion à Marie invoquée sous le titre d'Immaculée. Chaque soir à la prière publique, il récitait le chapelet de l'Immaculée Conception. Il vénérait d'une manière particulière la médaille miraculeuse, comme on l'a appelée; il m'a dit avoir vu la personne à laquelle la révélation avait été faite. Dès l'année mil huit cent trente-six, il consacra sa paroisse d'une manière solennelle à la Vierge Immaculée. Au moment où l'on parlait de la définition du dogme de l'Immaculée Conception, comme il avait déjà fait ériger une statue sur le frontispice de son église, il engagea ses paroissiens à acheter une magnifique chasuble. Les fidèles répondirent à son appel. Le jour où l'on apprit la définition du dogme, il y eut dans la paroisse de grandes démonstrations de joie; le bon Curé ne resta pas en arrière, ou plutôt c'était lui qui était à la tête et il dit à cette occasion: Il semblait qu'il ne manquait que cela à la religion. Le très saint Coeur de Marie était l'objet d'un culte particulier de la part du Serviteur de Dieu. Il faisait faire un grand nombre de neuvaines en l'honneur de ce Coeur immaculé.

Le Curé d'Ars prêchait souvent sur la dévotion à la Sainte Vierge. Il le faisait avec beaucoup d'onction. Je trouve sans cesse dans les lettres que j'ai encore des impressions que ses prédications produisaient. Je me rappelle en particulier qu'un jour de l'Assomption, il entra dans des détails très circonstanciés sur l'entrée de la Ste Vierge dans le Ciel et sur la réception dont elle fut l'objet. A entendre le bon Curé, on aurait dit que lui-même y avait assisté.

Il honorait les saints d'une manière particulière; il lisait leur vie et dans ses instructions il savait agréablement rappeler une multitude de traits qui intéressaient et édifiaient. Il aimait beaucoup St Joseph parce que, disait-il, il a bien soigné l'Enfant-Jésus. 901 Il recommandait souvent la dévotion aux saints anges gardiens; il leur a fait ériger une chapelle dans son église; il a fait placer plusieurs statues en leur honneur; il avait au sujet de la dévotion aux anges gardiens des traits charmants. Comme, dans le pays, on se salue en ajoutant ces mots: et la compagnie, il disait que cet usage venait de ce que chacun, étant accompagné de son bon ange, ne se trouvait ainsi jamais seul.

Les noms de Ste Agnès, de Ste Colette, de St Jean-Baptiste, de St François Régis et d'autres revenaient fréquemment dans ses instructions. Je l'ai vu pleurer d'amour devant un tableau de St François d'Assise.

Ste Philomène, qu'il ne nommait que sa chère petite sainte, était l'objet d'un culte spécial de la part du Curé d'Ars. Il lui fit construire une chapelle, qu'il décora autant qu'il le put, et il rappelait avec bonheur qu'il avait été le premier en France à lui dédier une chapelle. Il conseillait souvent des neuvaines en l'honneur de cette sainte, surtout lorsque l'on voulait obtenir quelque guérison.

L'une des dévotions qui lui tenaient le plus à coeur, était la dévotion aux âmes du purgatoire. Elle était en lui tendre et continuelle. Avait-il une messe à dire pour un malade ou pour les âmes du purgatoire, il préférait les âmes du purgatoire. Ce que je vais ajouter n'est que le résultat de mes impressions et de ma conviction personnelle, sans que je songe à rien préjuger sur le fond et la réalité des faits. Ma conviction est donc qu'il était en relation directe avec les âmes du purgatoire, et que le purgatoire était un lieu où il savait ce qui se passait.

J'ai eu un fils qui est mort à l'expédition de Crimée. Lorsque nous eûmes appris cette triste nouvelle, il nous rassura et nous consola grandement sur son salut. A quelques jours de là, dans un catéchisme, il lui échappa de dire, faisant allusion à notre fils: C'est comme ce pauvre enfant; il est en purgatoire; mais il n'y est pas pour longtemps. Nous ne laissions pas cependant d'être encore dans une certaine inquiétude: car nous ignorions si avant de mourir il avait pu voir un prêtre. Au bout de six mois, nous reçûmes d'un officier une lettre qui nous assurait positivement que notre fils s'était confessé, et avait fait une mort édifiante. 902 Mon mari se hâta d'en porter la nouvelle à Mr le Curé, qui se contenta de lui répondre: J'en suis bien aise pour la mère; mais pour moi, cela ne change rien à ce que je croyais.

Une demoiselle de Bourg, Melle d'Ecrivieux, avait avec elle son vieux père, qui avait été rebelle toute sa vie aux influences religieuses et qui mourut subitement. La bonne demoiselle était très inquiète sur son salut. Afin de se rassurer, elle consulta Mr le Curé qui, sans hésiter, répondit: Il est sauvé, mais il est en purgatoire pour un temps indéfini.

Ma mère, qui était une personne très pieuse, venait de mourir. Il me semblait que je n'avais presque pas besoin de prier pour elle; j'en parlais à Mr le Curé. Priez, me répondit-il, priez au contraire beaucoup pour elle. Ma soeur, de son coté, s'en ouvrit à Mr le Curé. Soyez tranquille, mon enfant, lui dit-il, votre mère est bien placée. - Comment, Mr le Curé? Elle est en paradis? - Je ne vous dis pas cela, mon enfant; je vous dis qu'elle est bien placée. Nous comprîmes qu'il voulait dire qu'elle n'était pas pour longtemps en purgatoire.

Melle Adèle de Murinais, après avoir consacré toute sa vie à l'exercice des bonnes oeuvres, s'était éteinte à la suite d'une longue et douloureuse maladie. Je la recommandais aux prières de Mr le Curé. Il est inutile, mon enfant, de prier pour elle, me répondit-il. La belle-soeur de Mademoiselle de Murinais lui apporta des messes à dire pour le repos de son âme; il les refusa en disant: Elle n'en a pas besoin.

Melle de Bar, qui est notre parente, avait perdu sa mère, dont la vie avait été semée de bien des épreuves; elle vint à Ars et comme elle entrait à la sacristie, Mr le Curé l'aborda et lui dit: Mademoiselle, vous avez donc perdu votre mère... Elle est au ciel. - Je l'espère, Mr le Curé. - Oh! oui, elle est au Ciel. Et comme Melle de Bar présentait à Mr Vianney le chapelet de sa mère pour le faire bénir, il le prit et le baisa avec respect.

J'ai remarqué beaucoup d'autres choses de ce genre et ce qui a mis en moi la conviction dont j'ai parlé plus haut.

Il a été l'un des plus ardents propagateurs de l'oeuvre des Dames Auxiliatrices, pour le soulagement des âmes du purgatoire. On peut même dire que c'est l'appui qu'il a accordé à cette oeuvre intéressante qui lui a donné la solidité. Lorsqu'il en eut la première communication, il dit: Ah! qu'il y a longtemps que j'attendais cela...



903 Quoad Orationem, testis respondit:

A mon avis, l'oraison du Curé d'Ars était continuelle; son âme paraissait sans cesse unie à Dieu. Sa pensée revenait continuellement dans ses paroles. Revoyant un de mes enfants, il lui dit: Bonjour, mon enfant; comment va votre âme? Me rencontrant avec mes filles: Faites-en des saintes. Le premier jour de l'année, il nous dit: Si j'avais la clef du Ciel, je vous la donnerais pour étrennes. En revoyant Mr Toccanier, qui avait fait une absence, il lui dit: Ah! mon ami, que les damnés sont malheureux: ils ne verront jamais Dieu, et le retour d'un ami fait tant de bien. Le Curé d'Ars savait ainsi toujours entremêler une pensée de Dieu aux choses qui paraissaient les plus indifférentes.

Un jour, je disais à Mgr Devie: On regarde généralement le Curé d'Ars comme peu instruit. - Je ne sais s'il est instruit, me répondit Mgr, mais ce que je sais, c'est que le St Esprit se charge de l'éclairer. Il m'en donna comme preuve la solution des cas difficiles que Mr Vianney lui avait soumis: Sur plus de deux cents cas sur lesquels il m'avait demandé mon avis, tout en me faisant humblement connaître là-dessus sa pensée, ajouta Mgr, je n'en ai trouvé que deux, sur lesquels nous avons différé de sentiment.



Quoad Fortitudinem, testis respondit:

Le Serviteur de Dieu a montré toute sa vie une force vraiment extraordinaire. Les épreuves, les contradictions, les souffrances ne lui ont pas manqué; elles n'ont jamais pu cependant diminuer sa confiance en Dieu; elles l'ont même augmentée, car elles ne servaient qu'à le détacher complètement des choses de ce monde. J'ai toujours beaucoup admiré son inébranlable constance. On l'a vu, sans jamais se démentir, poursuivre le genre de vie si extraordinaire que l'amour de Dieu lui avait fait entreprendre.

J'ai déjà dit que la patience du Serviteur de Dieu était une des vertus qui m'avaient le plus frappée en lui. Je ne sais s'il avait promis à Dieu de ne jamais se plaindre, mais ce que je sais, c'est qu'il ne se plaignait pas. Il avouait cependant la souffrance, l'on voyait souvent sur sa figure l'empreinte de la douleur, mais jamais de sa bouche ne s'échappait une parole de plainte.

On a toujours admiré sa patience à supporter les douleurs et les souffrances. 904 Il était sujet à plusieurs infirmités. Dans le temps même où son pauvre cadavre, comme il l'appelait, souffrait horriblement, son esprit était toujours libre; rien dans son humeur ou dans sa conversation ne faisait soupçonner les vives douleurs qu'il ressentait. Un jour qu'il était venu bénir nos constructions, il souffrait horriblement. Je lui offris de prendre quelque chose: Ah! dit-il en souriant, il y aurait trop à faire, si l'on prenait quelque chose toutes les fois qu'on souffre... Vous souffrez bien, lui dis-je un jour en le voyant sortir de l'église, tout courbé, et se traînant avec peine. - Oui, répondit-il, je souffre bien. Plus d'une fois, à la prière du soir, on l'a vu, comme vaincu par la douleur, s'affaisser et disparaître dans sa chaire, puis se relever avec courage, prêcher avec le même feu que s'il n'avait rien ressenti.

Vers la fin de sa vie, ses nuits étaient très mauvaises et il avoua à Mr des Garets qu'il ne pouvait dormir une heure d'un bon sommeil; qu'il était obligé de se lever plusieurs fois.

Il me serait difficile de dire tout ce que le Curé d'Ars a eu à souffrir dans ses longues séances au confessionnal. L'hiver, il craignait bien le froid, et cependant il ne voulait prendre aucune précaution pour s'en garantir; il n'avait point de manteau. Quand il sortait du confessionnal, on le voyait pâle, frissonnant; ses jambes engourdies ne pouvaient plus le soutenir. Il a avoué quelquefois que pour réchauffer un peu ses doigts avant la messe, il avait dû faire brûler un peu de papier à la sacristie. L'été, c'étaient de nouvelles souffrances, provenant de la chaleur, de l'air vicié par une foule considérable de pèlerins réunis autour de lui, par les mauvaises odeurs que répandaient des infirmes ayant toutes sortes de maladies. Il craignait beaucoup les mauvaises odeurs, et plus d'une fois il a failli s'évanouir par suite de celles qu'il respirait. Malgré ses souffrances, le Curé d'Ars n'a pas cessé un seul jour de continuer ce pénible ministère, sans accorder à la nature ce qu'il aurait pu lui accorder très légitimement. 905 La seule chose qu'il se permettait l'hiver, c'était d'allumer un bon feu dans sa chambre lorsqu'il y était rentré à la fin de sa journée. Il a souffert aussi beaucoup de toutes les importunités de la foule, ainsi que je l'ai déjà suffisamment indiqué. Il a dit au Frère Jérôme que s'il avait su d'avance tout ce qu'il aurait à souffrir étant curé, il serait mort de chagrin.





907 Session 99-12 Septembre 1803 à 8h du matin



Et prosequendo decimum octavum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

Le Curé d'Ars eut bien à souffrir, dans le commencement de son ministère à Ars, de la part de plusieurs de ses confrères, ainsi que je l'ai déjà indiqué en répondant au dix-septième Interrogatoire. J'ai aussi au même endroit rappelé d'autres sujets de peine. J'ai déjà dit combien il eut à souffrir au sujet de l'affaire de la Salette. 908 La transformation de sa Providence fut aussi pour lui un sujet de peine. Il avait sans doute l'intention de confier cet établissement, pour lui donner de la stabilité, à une congrégation religieuse; il avait même jeté les yeux sur celle des soeurs de St Joseph. Il avait plusieurs fois manifesté à Mr des Garets ses intentions à ce sujet. Cependant il eut beaucoup à souffrir lorsque la transmission à la Congrégation des soeurs eut lieu sur l'invitation de l'autorité diocésaine, soit peut-être parce qu'elle se fit avant le temps qu'il avait fixé, soit peut-être qu'on ne garda pas tous les ménagements désirables, soit parce que cet établissement ne devenait plus qu'une simple école, soit enfin parce que ce changement brisait ses habitudes ordinaires; c'était, à la Providence en effet qu'il allait prendre ses repas, etc. Il disait un jour à Mr des Garets: On a reproché bien des choses à ma Providence; les enfants, disait-on, étaient mal tenues, etc.; et cependant Dieu faisait en sa faveur des miracles, et rien n'y a jamais manqué.

Mr Vianney souffrit de voir apparaître sa biographie; il souffrit pareillement de la publicité de certains livres que l'on publiait sous son patronage.

Le caractère d'un prêtre, qu'on lui avait donné pour auxiliaire, fut pour lui l'occasion plus d'une fois de vives peines.

Le Curé d'Ars souffrait tout avec une très grande patience, comme j'ai pu le remarquer bien des fois. Quand une mesure le contrariait, il souffrait mais on le voyait parfaitement soumis à l'autorité; il ne se plaignait et ne murmurait en aucune façon.

La patience n'était pas cependant une vertu naturelle au Serviteur de Dieu, car il était d'un tempérament vif, comme nous en avons fait mille fois la remarque. Je tiens d'une personne en qui Mr le Curé avait assez de confiance qu'il lui en coûtait beaucoup pour réprimer toute impatience et toute vivacité: Souvent il me semble, disait-il, que j'ai la fièvre; mon sang bouillonne dans mes veines, et j'ai de la peine à me contenir. Mr des Garets l'a entendu dire un jour qu'une heure de patience valait mieux que plusieurs jours de jeûne.

Un ecclésiastique du diocèse de Paris ayant été chassé de sa paroisse en mil huit cent trente vint à Ars; il raconta à Mr Vianney tous les outrages, toutes les injures dont il avait été l'objet. Oh! que vous auriez été heureux d'être tué, lui répondit Mr Vianney, vous seriez allé droit en paradis.

909 Mr Renard, prêtre originaire de la paroisse d'Ars, eut en mil huit cent quarante-huit le même sort que l'ecclésiastique dont je viens de parler. Comme il en parla à Mr le Curé d'Ars, il en reçut une réponse analogue à celle que je viens de rapporter.

Il nous disait un jour: L'union avec le Coeur de Jésus et avec la croix, voilà le salut.

Je me crois obligée de revenir sur ce que j'ai dit précédemment au sujet de Mr Raymond qui, pendant sept ans, a été le prêtre auxiliaire de Mr Vianney. Avant d'être appelé à cet emploi, il était curé à Savigneux, paroisse voisine d'Ars, et il fut l'un des premiers à reconnaître son mérite et sa sainteté; il lui rendait même quelques services de ministère. Le pèlerinage ayant pris une grande importance et Mr Vianney ne pouvant plus suffire au travail, Mgr Devie, évêque de Belley, songea à lui donner un aide et, sur la demande de Mr le Curé lui-même, il désigna Mr Raymond. Celui-ci était un prêtre excellent, animé des meilleures intentions, mais ayant des vues toutes différentes; il était du reste d'un caractère difficile et manquait en beaucoup de choses de tact et de prudence. A peine fut-il auprès de Mr le Curé que, sous prétexte d'un plus grand bien, il le contraria de mille manières; Mr Vianney ne fut presque plus maître dans sa cure, dans son église; il était quelquefois réduit à se cacher pour ses bonnes oeuvres, pour les sommes d'argent qu'il recevait, etc. Quelquefois Mr Raymond lui adressait des paroles dures; d'autres fois il rudoyait les pèlerins d'une façon qui contrastait étrangement avec la douceur et la patience de Mr Vianney. Cette société a été l'une des plus grandes croix du bon curé. Il l'a portée avec une admirable patience et sans jamais se plaindre. Lorsqu'il parlait de lui, il n'avait que des éloges; il avait pour lui les attentions les plus délicates et les plus tendres. Un jour, Mr Raymond lui avait fait une scène pénible; le bon Curé, qui avait tout enduré avec sa sérénité ordinaire, se rendit chez lui à dix heures du soir, une lanterne à la main, afin de lui souhaiter le bonsoir le plus affectueux. Mon mari obtint de lui une fois, à force d'instance, la permission d'informer Mgr Devie et de demander le changement de Mr Raymond; il se rendit à Bourg pour s'acquitter de cette commission; mais dans l'intervalle, le bon Curé avait prévenu l’Évêque et l'avait conjuré de lui laisser son compagnon. Lorsque nous faisions de nouvelles instances auprès de lui, il nous répondait: Que dirait-on, si l'on voyait que deux prêtres n'ont pas pu s'accorder? Un jour, Mgr Chalandon lui faisait des questions sur la manière dont Mr Raymond l'avait traité: Il ne m'a pas battu, répliqua-t-il. Il a dit: Si je n'avais pas eu cette épreuve, je n'aurais pas su si j'aimais le bon Dieu.



910 Quoad Temperantiam, testis respondit:

Je connais par ouï dire quelques traits relatifs à la mortification de Mr Vianney antérieurs à son séjour à Ars. Sa cousine a raconté que lorsqu'elle faisait sa soupe, il ne voulait pas qu'on y mît du beurre. J'ai entendu parler de ses pénitences et de ses macérations à Ecully, de la pieuse émulation qui existait à ce sujet entre lui et Mr Balley, et de la crainte que chacun d'eux avait de voir son compagnon en faire trop.

Je sais peu de chose de positif sur les premiers temps de son séjour à Ars. Voici cependant ce que j'ai entendu dire. Mr Desgeorges, prêtre du diocèse de Lyon, m'a raconté que quelques jeunes gens vinrent un jour visiter Mr Vianney. Ils se dirent les uns aux autres: Il faut qu'aujourd'hui, nous fassions faire un bon déjeuner à Mr le Curé d'Ars. Ils avaient en effet apporté un panier de provisions, qu'ils déposèrent à la cure en l'absence de Mr Vianney; celui-ci rentra, trouva les provisions, et les distribua incontinent à des pauvres. Les pèlerins étant rentrés, après un court séjour à l'église, furent fort étonnés de trouver le panier vide; ils s'en plaignirent. Que voulez-vous? leur répondit Mr Vianney; je ne savais pas que ces provisions fussent à vous, je les ai données aux pauvres.

On n'exposera jamais d'une manière suffisante quelle a été la vie de mortification du Serviteur de Dieu pendant tout son séjour à Ars. Je crois qu'il y a eu différentes périodes, pendant lesquelles son régime a quelque peu varié. Au commencement, étant seul à la cure et préparant lui-même sa misérable nourriture, il a pu suivre en toute liberté son goût pour la pénitence. J'ai su qu'il a vécu de pommes de terre qu'il faisait bouillir dans une marmite et qu'il conservait longtemps. Lorsque le besoin le pressait trop vivement, il en mangeait. Un jour, en ayant mangé une, il se disposait à en prendre une autre. Non, dit-il, en s'arrêtant tout à coup; la première était pour le besoin, la seconde serait pour le plaisir. Ses paroissiens remarquèrent dès lors les progrès qu'il faisait chaque jour dans la mortification. Ils trouvaient que leur curé ne mangeait plus rien. Moi-même, je puis suivre, en revoyant ma correspondance, les impressions que j'éprouvais à ce sujet.

A l'époque où le pèlerinage fut établi, il prenait un misérable repas à la Providence, vers midi. Ce repas consistait en une tasse de lait, où l'on mettait quelquefois un peu de chocolat et où lui-même jetait quelques miettes de pain.

911 Il lui en avait horriblement coûté pour arriver à cette sobriété excessive; lui-même en a fait l'aveu à une personne. Il ajoutait à ce sujet: Je suis bien content d'être débarrassé du soin de ma nourriture, et quand je vois la peine qu'on se donne pour préparer des repas, je me trouve bien heureux. Rien à ses yeux n'était plus humiliant que la nécessité de nourrir son corps. Il en parlait quelquefois dans ses catéchismes d'une manière fort plaisante.

Un jour, Catherine Lassagne, le voyant plus exténué que de coutume, le pressait de manger. Il lui répondit: J'ai une autre nourriture, qui est la volonté de mon Père qui m'a envoyé.

Nous avons remarqué que ses jeûnes étaient plus rigoureux la veille des fêtes, ou lorsqu'il avait à demander à Dieu quelque grâce particulière. Il a essayé de ne rien manger pendant une semaine sainte toute entière. Mais, interrogé adroitement, il a avoué avoir été obligé de prendre deux fois de la nourriture.

Pendant les cinq ou six dernières années de sa vie, il apporta, sur l'ordre exprès de son évêque, quelques adoucissements à son régime.

Dans les privations qu'il s'imposait, Mr Vianney était cependant éloigné de toute affectation. Je l'ai vu, dans les dîners de conférence, qui avaient lieu chez nous, manger passablement. Ce n'était pas toujours sans inconvénients pour lui; car un jour que Mgr Devie l'avait contraint à manger plus que de coutume, son estomac affaibli par les jeûnes, en fut horriblement fatigué.

Je puis affirmer que Mr Vianney a constamment traité son corps avec une sévérité tellement excessive que la prolongation de son existence peut être considérée comme un miracle. Cette opinion n'est pas seulement la mienne, mais celle des personnes les plus graves qui l'ont vu de près. Je l'ai entendu énoncer per plusieurs et entres autres par Mr Guerre, curé de Mizérieux, paroisse qui confine à Ars.

Mon mari, Mr le Comte des Garets, étant un jour allé le visiter à la cure, à la suite d'une maladie, le trouva couché sur un peu de paille recouverte d'un drap. Il lui fit quelques reproches, que le bon Curé accepta, et aussitôt il consentit à se coucher sur un matelas.

Il a mis en usage tous les moyens possibles pour macérer son corps, les haires, les disciplines, les cilices, les chaînes de fer. Mr l'abbé Tailhades m'a montré un morceau de chaîne de fer poli qui avait servi au bon Curé. Celui-ci avait commandé à un maréchal de la paroisse une grosse chaîne de fer, que le brave homme n'a confectionnée qu'avec peine, parce qu'il devinait facilement à quoi elle devait servir. 912 Il chargeait ordinairement de l'achat de ses instruments de pénitence un jeune homme fort simple. Le pauvre garçon lui disait quelquefois: Oh! Mr le Curé, il y en a trop... Une pieuse femme qui a habité pendant quelque temps une chambre très voisine de la Cure, l'a entendu plusieurs fois se donner la discipline pendant si longtemps qu'elle se disait à elle-même: Il ne finira donc jamais...

A la gêne de ses mouvements, à son air raide et embarrassé, à la manière dont il se remuait tout d'une pièce, en chaire, à l'autel, etc., il était facile de voir que son corps était couvert de cilices ou autres instruments de pénitence.

Les mortifications de Mr le Curé l’avaient excessivement affaibli. A tous moments, nous le voyions pâle, chancelant, pouvant à peine se soutenir. On aurait dit que chacun de ses mouvements était une souffrance. Il avait un cautère au bras; quelquefois les pèlerins le pressaient, le serraient, de manière à le faire horriblement souffrir. Il lui échappait quelquefois de dire: Doucement, vous me faites mal.

Il arrachait lui-même la paille de son lit, afin de pouvoir coucher sur les planches. Il ne mangeait pas de fruits; je crois que c'est par suite d'un voeu, ou tout au moins d'une promesse. Jamais il ne respirait l'odeur d'une fleur. Quelquefois néanmoins, il tenait au confessionnal une petite fiole dans laquelle il y avait de l'eau de Cologne ou du vinaigre, je ne sais.

L'une de mes filles de service a souvent lavé de ses chemises ensanglantées.

Il ne s'accordait et ne voulait pas qu'on lui procurât aucun adoucissement. La veille de sa mort, quelqu'un écartait les mouches de son visage. Laissez-moi, dit-il, avec mes mouches.

En un mot, sa mortification a été constante, extrême, universelle; elle a embrassé toute sa vie, tous les instants de sa vie, toutes ses actions, sa nourriture, son vêtement, etc. La vie d'un trappiste n'est rien en comparaison de la sienne. Je ne pense pas que la pénitence chrétienne puisse être poussée plus loin. Le Curé d'Ars nous a fait croire ce que l'on raconte de plus extraordinaire dans la vie des pères du désert.



Quoad Paupertatem, testis respondit:

Il ne se peut rien concevoir de plus pauvre que la chambre et l'ameublement du Curé d'Ars. Les misérables meubles qui la garnissaient ne lui appartenaient même pas. Lorsque son lit eut brûlé, j'eus toutes les peines du monde à lui faire accepter des rideaux, et il ne les reçut que lorsqu'il les vit vieux et usés. 913 Avant cet incendie, sa chambre était dans un état plus délabré encore qu'elle n'a été dans la suite et qu'elle n'est aujourd'hui. Tout ce qu'il y possédait de richesses consistait en quelques reliquaires d'une certaine valeur. Mr des Garets possède encore un couteau qui lui a servi pendant longtemps; c'est le couteau d'un pauvre.





915 Session 100 - 12 Septembre 1863 à 3h de l'après-midi



Et prosequendo decimum octavum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

Avant le pèlerinage, Mr Vianney ne portait guère que des vêtements usés, râpés, raccommodés; après l'établissement du pèlerinage, sa mise, quoique pauvre et simple, fut un peu mieux, parce que des personnes charitables en prenaient soin et que d'autres changeaient fréquemment ses vêtements vieux, qu'elles s'appropriaient par dévotion, et qu'elles remplaçaient par de nouveaux.

916 Quoiqu'il craignît extrêmement le froid, il n'était pas habillé différemment en hiver qu'en été. Il ne portait habituellement point de chapeau. Il n'avait pas même de calotte sur la tête. Ses cheveux étaient ras par devant et longs par derrière.

Il a reçu beaucoup d'argent dans sa vie, jamais pour lui, toujours pour ses bonnes oeuvres. Assurément, il n'aurait eu qu'à le vouloir, pour recueillir à son profit des sommes très considérables. Il demandait quelquefois, mais toujours avec délicatesse et sans importunité. Il y avait en lui sous ce rapport une noblesse et une dignité singulières. Il avait de la répugnance pour tout cadeau personnel. Un jour, à la suite de la première communion de l'un de mes enfants, mon mari lui offrit une paire de burettes en argent; il les repoussa avec une certaine vivacité. Mr le Curé, lui dit Mr des Garets, ce n'est pas pour vous, c'est pour l'église. - A la bonne heure, répliqua-t-il.

Il n'aimait pas à avoir des dettes et il payait exactement toutes celles qu'il avait contractées. On a remarqué cela surtout pendant qu'il avait l'administration de sa Providence. Lorsque les ressources lui manquaient, il passait une nuit en prière à l'église et se mettait, comme il le disait si pittoresquement, à casser la tête à ses saints.

Quoiqu'il fût complètement indifférent à tous les intérêts matériels, il avait cependant une intelligence singulière des affaires. Un notaire en fut, dans une circonstance, étrangement surpris.



Quoad Humilitatem, simplicitatem et modestiam, testis respondit:

L'humilité, la simplicité et la modestie ont brillé d'un éclat extraordinaire en Mr Vianney; elles ont été l'un des traits les plus saillants de son caractère; en lui, point d'ostentation, point de mise en scène; rien de contraint ni d'affecté, rien de l'homme qui veut paraître; au contraire beaucoup de naturel, d'abandon; une simplicité d'enfant, une naïveté charmante, et en même temps un tact fin et délicat. On peut tout dire en un mot: il s'oubliait complètement.

Les nombreux hommages, la vénération publique, l'affluence des pèlerins, rien n'a pu lui inspirer le moindre retour sur lui-même. Il en était étonné, il s'en regardait comme indigne. Il pensait même qu'il fallait bien qu'il y-eût en lui quelque chose qui fût de nature à tromper le public; et c'est précisément à cause de cela qu'il se regardait et s'accusait hautement comme hypocrite.

917 L'humilité du Curé d'Ars avait frappé Mgr de Ségur plus qu'aucune autre vertu. Elle lui semblait, nous disait-il, un véritable prodige, en face de cette affluence exceptionnelle, qui devait être pour le bon curé une perpétuelle tentation d'amour-propre. Les compliments le désolaient. Néanmoins, comme il aimait mieux être humble que de le paraître, lorsqu'ils lui étaient adressés dans les conversations ordinaires, il ne les repoussait pas directement; il se contentait de les repousser par une répartie spirituelle, ou en détournant adroitement la conversation. Son humilité portait un certain caractère d'onction et de dignité; nul n'a mieux pratiqué que lui ce qu'il répétait si souvent, qu'il ne fallait parler de soi ni en bien, ni en mal.

Son portrait lui causa un grand chagrin; il finit cependant par prendre la chose en plaisanterie et par la tourner lui-même en ridicule; il était alors d'une verve intarissable. Un jour, causant avec mon mari près de l'église, il le conduisit devant les devantures de boutiques et lui montra ce qu'il appelait son carnaval. Mr des Garets m'a raconté qu'il lui avait tenu à ce sujet la conversation la plus amusante et la plus comique qui se puisse imaginer, accompagnée des observations les plus originales. Aucune sollicitation, aucun ordre n'a jamais pu le déterminer à poser. On lui disait un jour que saint Vincent de Paul avait consenti à laisser faire son portrait au profit des galériens. Pour moi, répondit-il, j'aimerais mieux aller en galère. Lorsqu'il s'aperçut à l'église que Mr Cabuchet, artiste distingué, s'occupait à modeler ses traits, il l'apostropha vivement en disant: Vous scandalisez les gens et vous me dérangez. Il exigea même qu'il brisât son ébauche; heureusement l'artiste n'en fit rien.

Il éprouvait une véritable désolation lorsqu'il s'apercevait que l'on recherchait quelque objet lui ayant appartenu, que l'on coupait ses habits, ses cheveux pour en faire des reliques. C'est même à cause de cela que chaque fois qu'on lui coupait les cheveux, il les recueillait soigneusement et les jetait au feu. Il s'exprimait parfois sur cette vénération dont il était l'objet avec beaucoup de vivacité et une certaine indignation. C'est une dévotion bien mal entendue, disait-il. Il ne devinait cependant pas toujours la cause des pieux larcins qu'on lui faisait; à la suite d'une mission, il remarqua que son chandelier avait disparu. C'est étonnant, dit-il, je pensais que tout le monde était converti, et voilà qu'on m'a volé.

Il s'est toujours plu dans les humiliations et les persécutions et il regardait le temps où il y avait été en butte comme le plus heureux de sa vie.

918 Un prêtre qui avait été fort persécuté et humilié m'a raconté en avoir parlé au Curé d'Ars. Celui-ci, pour toute réponse, lui dit qu'il avait reçu le jour même deux lettres, dont l'une le traitait de saint et l'autre d'hypocrite; que cette différence de jugement lui indiquait bien le cas qu'il fallait faire de toutes ces choses.

Mr Vianney n'éprouvait aucun embarras devant les personnages les plus considérables qui venaient le visiter; on voyait qu'il ne pensait en aucune façon à lui et qu'il ne cherchait pas à faire contenance. Je l'ai entendu prêcher devant le Père Lacordaire avec son aisance et son abandon accoutumé. La visite du célèbre Dominicain fit éclater d'une manière admirable l'humilité du Curé d'Ars. Savez-vous, dit-il ensuite à Mr des Garets, quelle réflexion m'a frappé? Ce qu'il y a de plus élevé dans la science a visité ce qu'il y a de plus petit dans l'ignorance; les deux extrêmes se sont rapprochés. Je n'ose plus monter en chaire après le Père Lacordaire. Je suis comme ce roi qui, ayant rencontré le Pape, le fit monter sur son cheval et n'osa plus s'en servir.

Lorsque Mgr Chalandon le revêtit du camail, ce fut la scène la plus amusante qui se puisse imaginer. Le pauvre curé, son camail sur les épaules, ressemblait à un supplicié que l'on mène à l'échafaud la corde au cou. Il se réfugia dans la sacristie. Mr des Garets l'y suivit; il le trouva occupé à arracher de son dos le malheureux camail; il ne put le déterminer à le garder qu'en lui représentant que s'en dépouiller serait faire injure à Mgr. Depuis il ne l'a jamais porté.

Lorsqu'on lui annonça qu'il devait recevoir la croix d'honneur, il fut d'abord content, parce qu'il croyait qu'une pension devait l'accompagner. Il y voyait un heureux supplément pour ses pauvres. Mais grand fut son désappointement lorsqu'il apprit qu'il n'en était pas ainsi.

Dans la suite, lorsqu'il parlait de son camail et de sa croix d'Honneur, il disait: Je crains bien que lorsque je me présenterai à la porte du paradis avec ces bagatelles, le bon Dieu ne me dise: Va-t-en, tu as reçu ta récompense.



Quoad Castitatem, testis respondit:

Ma conviction est que Mr Vianney a pratiqué toute sa vie la chasteté de la manière la plus parfaite. Jamais il n'a eu de servantes. Dans ses maladies, il n'admettait point de femmes à le soigner. Ma fille toute enfant voulut un jour lui prendre la main; il la retira.

Il n'y avait néanmoins en lui ni affectation, ni ce qu'on pourrait appeler de la pruderie. Il était d'une grande sévérité pour ce qui concerne la mise des femmes.

La Chasteté de Mr Vianney a toujours été considérée comme une vertu hors ligne. 919 Je sais néanmoins que dans une circonstance, sa réputation a été violemment attaquée. C'était dans un cabaret, à Trévoux. Un médecin, qui était alors esprit fort, et qui depuis est devenu excellent chrétien, Mr Thiébaut, prit hautement et avec beaucoup d'énergie la défense de Mr Vianney. Il ferma la bouche aux calomniateurs.



Interrogatus an aliquid sciat quod aliquo modo sit contrarium virtutibus supradictis, testis respondit:

Je ne sais rien qui puisse infirmer ou affaiblir en quoi que ce soit le témoignage que je viens de faire sur les vertus du Serviteur de Dieu. Je dois même ajouter que les membres de ma famille et moi nous nous sommes appliqués à découvrir en Mr Vianney quelque imperfection et que nous n'avons jamais rien remarqué.



Juxta decimum nonum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

Je suis pleinement convaincue que le Serviteur de Dieu a pratiqué au degré héroïque les vertus sur lesquelles je viens de déposer. J'entends par vertu héroïque la vertu poussée à sa dernière et plus haute expression. Pour preuve de ma conviction de l’héroïcité des vertus de Mr Vianney, je ne puis rien faire de mieux que d'invoquer sa vie toute entière. Jamais il ne s'est démenti; jamais la vertu en lui n'a subi d'affaiblissement, et il y a persévéré jusqu'à la mort avec la fidélité la plus surprenante. Mes réponses à l'Interrogatoire sur les vertus en disent assez à ce sujet.



Juxta vigesimum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

Il n'est pas douteux que le Serviteur de Dieu n'ait été comblé de dons surnaturels.

1° Il avait à un degré tout à fait extraordinaire le don des larmes. Il pleurait à tout instant, quand il parlait de l'amour de Dieu, du malheur des pécheurs, quand il s'apitoyait sur quelque misère ou sur quelque affliction; il pleurait à l'autel; il pleurait au confessionnal; là, quelquefois les pénitents avaient de la peine à l'entendre parce que sa voix était étouffée par ses larmes; ses larmes étaient quelquefois toute son exhortation; il pleurait en chaire, et parfois ses larmes y étaient si abondantes qu'il semblait, disaient ses auditeurs, les prendre à poignée quand il s'essuyait les yeux. Les larmes qu'il répandait avaient une vertu singulière pour opérer la conversion des pécheurs; les plus endurcis n'y résistaient pas. On a vu un vieillard impénitent résister à ses supplications les plus touchantes; 920 mais lorsque le bon curé se jeta à ses pieds, lui prit les deux mains et les arrosa de ses larmes, en le conjurant de sauver son âme, tout à coup il fut ému et se rendit à une si touchante charité.

2° L'opinion publique est qu'il lisait fréquemment au fond des coeurs, qu'il annonçait des choses futures ou qu'il indiquait des choses présentes qu'il ne pouvait pas connaître naturellement.

Une jeune personne s'était adressée en confession à un missionnaire, Mr l'abbé Descôtes. Mr Vianney ne la connaissait pas et ne pouvait rien savoir sur son compte ni sur celui de sa famille. Néanmoins, passant près d'elle, il lui adressa la parole et lui dit: Mon enfant, hâtez-vous de vous en retourner au plus vite. La jeune fille, alarmée, courut à son confesseur, acheva sa confession et demanda ce qu'elle devait faire: Suivre le conseil de Mr le Curé, répondit Mr Descôtes; puis, quand vous serez arrivée, vous m'écrirez. En rentrant chez elle, la jeune personne trouva son père, ou sa mère (je ne sais lequel des deux) à toute extrémité.

Mr le Curé d'Ars m'annonça en mil huit cent quarante-quatre que j'éprouverais de grands malheurs. Je lui demandais si telle chose, que j'eus soin de préciser, me menaçait. - Non, me dit-il, ce n'est pas ce que Dieu vous réserve. A quelques jours de là, il me répéta ce qu'il m'avait dit la première fois. Lorsque mon fils aîné tomba malade en mil huit cent quarante-six, je pensais que c'était le moment de l'épreuve. Mr le Curé dit au jeune homme que cette maladie n'irait pas à la mort, mais qu'elle servirait à lui montrer la pauvreté de la vie. Huit ans plus tard, le même jeune homme étant retombé malade, Mr le Curé ne dit pas un mot d'espérance; mais il ne cessa de me plaindre et de répéter: Pauvre enfant, pauvre mère de douleur!... Mon fils mourut en effet. Le départ de mon second fils pour la Crimée lui fut douloureux; jamais il n'a parlé de retour. J'ai dit plus haut que ce jeune homme, grièvement blessé, est mort loin de la maison paternelle.





923 Session 101 - 14 Septembre 1863 à Sh du matin



Et prosequendo vigesimum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

En mil huit cent cinquante-quatre, une demoiselle des environs de Montpellier se rendit à Avignon, pour faire une retraite chez les dames du Sacré-Coeur. La mort récente du dernier de ses proches la rendait maîtresse d'une fortune considérable et de son avenir. Elle avait à prendre un parti définitif sur l'usage qu'elle avait à faire de ses biens; 924 car elle était fixée sur sa vocation. Ne pouvant obtenir de son directeur une réponse catégorique sur l'emploi de sa fortune, il lui vint en pensée de consulter le Curé d'Ars, et, avec l'agrément de son confesseur, elle partit immédiatement.

A peine arrivée à Ars, où elle n'était jamais allée et où elle ne connaissait personne, ni n'était aucunement connue, elle se mit dans la chapelle de Ste Philomène, chapelle qui n'était pas celle où confessait le Curé, et où, par conséquent, elle ne pouvait pas être aperçue de Mr Vianney, qui confessait ailleurs. Il était tard.

Vers huit heures, le Serviteur de Dieu quitta son poste et vint le reprendre, selon son habitude, vers deux heures du matin, sortant et rentrant par la petite porte latérale placée en haut de l'église, et sans passer devant la chapelle de Ste Philomène, où s'était constamment tenue la demoiselle en question. Pour se rendre à son confessionnal, il n'avait pas même à passer devant la chapelle de Ste Philomène. Il s'y rendit néanmoins directement; et, s'approchant de la demoiselle, qui était en prière, et la touchant légèrement sur l'épaule, il lui dit: Mademoiselle, vous êtes pressée, venez, que je vous passe la première. A peine eut-elle exposé l'état très compliqué de ses affaires temporelles et ses projets de bonnes oeuvres et de vocation, que le Curé, l'interrompant brusquement, lui dit: Assez, mon enfant; je vois votre affaire; disposez de votre fortune de telle et telle manière; faites telle et telle bonne oeuvre, et hâtez-vous; car vous n'avez pas de temps à perdre. Et il lui donna les décisions les plus précises et les plus exactes, en entrant dans des détails minutieux et qui supposaient une connaissance parfaite de la fortune et de la position de la demoiselle, connaissance cependant que le bon Curé n'avait pas laissé le temps à la demoiselle de lui donner, et qu'il n'avait pas pu recevoir d'ailleurs, ainsi que je l'ai remarqué plus haut. La demoiselle repartit immédiatement pour Avignon et s'en alla directement à son directeur; en l'abordant elle lui dit: Comment avez-vous fait, mon Père, pour pouvoir informer si tôt Mr le Curé d'Ars sur l'état de mes affaires? Votre lettre lui est arrivée avant moi. Le religieux, qui appartenait à la Compagnie de Jésus, fut, à cette interpellation, tout à fait déconcerté. Il lui fit remarquer qu'alors même qu'il n'eût pas été lié par un secret inviolable, il n'aurait pas eu le temps matériellement nécessaire pour faire parvenir une lettre à Mr le Curé d'Ars. 925 Le directeur et sa pénitente demeurèrent donc convaincus que le saint homme n'avait pu être aussi bien renseigné que par une voie surnaturelle. La demoiselle arrangea tout suivant le conseil du bon Curé; elle revint ensuite à Avignon pour se consacrer à Dieu dans la vie religieuse. A peine arrivée, elle fut saisie d'une attaque de choléra, au sortir d'une messe où elle avait eu le bonheur de faire la sainte communion, et elle mourut le jour même. J'ai puisé ces détails dans une lettre, écrite, à ma demande et à celle de mon mari, par le directeur de la personne, le Père Pacalin, lettre adressée au Père Rion, qui nous l'a remise.

Un homme, qui passait pour un vrai scélérat, était l'effroi de sa paroisse. Il tomba grièvement malade; il avait entendu parler du Curé d'Ars et se figura que par lui il pourrait au moins savoir à quel médecin il devait s'adresser. Il vint à Ars et crut que le préliminaire indispensable de sa consultation était une confession faite au moins pour la forme. Il se confessa; la confession achevée, le Curé lui demanda: Avez-vous tout dit? - Oui, Monsieur. - Vous avez tout dit? Vous rappelez-vous tel lieu, tel chemin, ce qui s'y est passé? Le malheureux homme fut foudroyé et se convertit. Je tiens le fait du Frère Jérôme, qui lui-même l'avait appris par un Curé d'une paroisse voisine de la paroisse d'où était cet homme.

3° Une dame de Bourg, Mme Tiersot, était atteinte d'une ankylose. Elle vint à Ars; un soir, Mr le Curé lui demanda: Quand quittons-nous ces béquilles? - Tout de suite, Mr le Curé, si vous voulez, répondit-elle. - Non, répliqua-t-il; demain matin. Le lendemain, pendant la messe, elle ressentit quelque chose d’extraordinaire, et après la messe elle alla déposer ses béquilles à la chapelle de Ste Philomène; elle était guérie et marchait parfaitement bien. Je l'ai vue deux dimanches de suite à la procession du St Sacrement. 926 Le fait fit beaucoup de bruit à Ars et à Bourg. Un esprit voltairien a cherché ensuite à en étouffer le retentissement. Je n'ai point à me prononcer à ce sujet.

Marguerite Bonnevais, de St Julien-sous-Montmélas (Beaujolais), épouse de Pierre Dumont, vigneron, mère de onze enfants, atteinte depuis neuf ans de crises nerveuses qui parfois faisaient craindre pour ses jours, avait inutilement consulté plusieurs médecins. La pensée lui vint de se faire conduire à Ars. Elle y arriva le trois Mai mil huit cent cinquante-huit et s'installa dans une chambre chez la Veuve Vézens. Ses crises furent très violentes. Le Curé la visita le deuxième jour après son arrivée. Il s'approcha de son lit avec douleur et fit une courte prière, après laquelle la malade reprit la parole. Ses premiers mots furent ceux-ci: Que je souffre! - Ce n'est rien, mon enfant, lui dit le Curé; vous serez bientôt guérie. En effet, dès ce moment, ses cris cessèrent, elle alla communier à l'église; la guérison s'est parfaitement maintenue. Ma belle-soeur a eu beaucoup de relations avec la femme Bonnevais, et elle garantit l'exactitude du fait.

Un jour, j'étais à l'église, et je vis un jeune homme portant des béquilles à la chapelle de Ste Philomène. Je ne donnai à ce fait qu'une attention médiocre. Néanmoins, le soir, à souper, je le rappelais en présence de Mr Toccanier. - Ah! vous l'avez donc vu, me dit-il. L'un de nos domestiques, qui était présent, se mêla aussitôt et spontanément à la conversation. - Je crois bien, Madame, me dit-il; je l'ai vu hier descendre de l'omnibus porté par quatre hommes, et aujourd'hui je l'ai vu repartir marchant parfaitement.

Au mois de Décembre mil huit cent trente-neuf, mon mari, Mr des Garets, fut atteint d'une pleurésie. Au plus fort de la maladie, nous fîmes dire une messe à Mr le Curé. Pendant cette messe, le malade éprouva un très grand soulagement, et le médecin fut très étonné de voir le mal aussi subitement enrayé, quand il croyait qu'il n'arriverait à sa période décroissante que deux jours plus tard. C'est une reconnaissance personnelle qui me fait faire cette déposition.

J'ai entendu parler d'un grand nombre de faits merveilleux, sur lesquels je n'ai pas de détails assez précis pour déposer. 927 Il n'était habituellement bruit que de cela. Mr le Curé s'en inquiétait et il avait pris la résolution de ne plus demander que des grâces spirituelles, puisqu'on lui attribuait les miracles que faisait Ste Philomène.

Je tiens de Mgr Devie les détails sur le miracle de la multiplication des grains dans le grenier de la Cure. Lui-même avait pris toutes les précautions pour s'assurer de l'exactitude du fait.

J'ai aussi entendu raconter la multiplication de la pâte par la personne même entre les mains de laquelle la pâte s'était multipliée.

5° (1) Je puis certifier que Mr le Curé avait un don particulier pour ramener à Dieu les pécheurs les plus endurcis. Un jour, dans un moment d'abandon, plus naïf et plus confiant qu'à l'ordinaire, le bon Curé assurait à mon mari que le pèlerinage arrachait aux griffes de Satan un nombre infini de pécheurs; qu'il recevait continuellement au saint tribunal des gens qui ne s'étaient pas confessés depuis trente ou quarante ans. Il lui racontait très ingénument qu'un soir, un de ces vieux pécheurs était dans la sacristie et ne pouvait se décider à se confesser. Tout à coup, cet homme fond en larmes et commence sa confession, dans un trouble inexprimable. Le Curé lui demande pourquoi il pleure et pourquoi il est si troublé. Le vieux pécheur lui répond qu'en le regardant il a vu sa tête entourée d'un cercle de lumière. Mr Vianney traduisait cela en termes plus simples : Il m'a dit qu'il avait vu de petites chandelles autour de ma tête. - Il parlait encore d'un autre pécheur qui, au milieu de la nuit, entendit une voix qui lui criait: Va trouver le Curé d'Ars. Il vint et se convertit.



(1) sic. Il n'y a pas de 4°) dans l'autographe, et le 3° porte des traces de correction du 4° en 3°.



Les conversions opérées sont innombrables; il faudrait un livre pour les raconter. J'ajoute un fait. Une dame d'une grande position, en proie à d'affreuses peines, s'abandonnait au désespoir et elle avait résolu d'en finir avec la vie en s'empoisonnant. Elle s'ouvrit de son dessein à un ecclésiastique; celui-ci, n'ayant pu l'en dissuader, lui demanda comme une grâce d'aller faire une visite au Curé d'Ars. Elle le fit. A son retour, elle en informa ce même ecclésiastique, le priant de venir la voir. L'ecclésiastique s'y rendit. La dame lui remit la fiole de poison qu'elle gardait pour se donner la mort et elle lui fit connaître que, convertie par le Serviteur de Dieu, elle était résignée à supporter ses maux avec patience.



Juxta vigesimum primum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

Je ne connais aucun écrit du Serviteur de Dieu.



928 Juxta vigesimum secundum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

Mr Vianney est mort à Ars le quatre Août mil huit cent cinquante-neuf, d'une maladie d'épuisement. Je ne sais s'il a prédit sa mort. Sa maladie a duré cinq jours. Il ne se peut rien concevoir de plus simple que sa conduite dans ses derniers jours; rien de moins dramatique; point d'inquiétude; une patience inaltérable. Je l'ai vu trois fois pendant sa maladie; il m'a reçue avec une bonté et une affection toutes paternelles. Il a béni mes enfants, et des médailles que je lui ai présentées. Je ne sais s'il a demandé lui-même, mais je sais qu'il a reçu les derniers sacrements. J'ai entendu dire que lorsqu'on a sonné la cloche pour lui apporter le bon Dieu. On lui demanda pourquoi. - Comment ne pas pleurer quand Notre Seigneur vient nous visiter?... Il a pleuré en voyant les hommes de sa paroisse.



Juxta vigesimum tertium Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

Le corps du Serviteur de Dieu a été déposé dans une petite pièce de la cure, au-dessous de sa chambre et au rez-de-chaussée; il y est resté deux jours. Les fidèles se sont pressés autour de son corps. Les funérailles ont été présidées par Mgr l’Évêque de Belley; environ trois cents prêtres étaient présents; on évalue le nombre des fidèles à près de six mille. Les paroisses voisines ont sonné le glas. Je ne puis attribuer ce concours qu'à la réputation de sainteté de Mr Vianney.



Juxta vigesimum quartum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

Après les funérailles, le corps du Serviteur de Dieu, renfermé dans sa bière, est resté exposé dans la chapelle de St Jean-Baptiste jusqu'au seize Août. Pendant ce temps, on prépara un caveau au milieu de l'église, en face de la chaire. L'affluence des fidèles ne discontinua pas. On demandait comme une insigne faveur de passer la nuit auprès du corps. J'ai vu des personnes pleurer à chaudes larmes pour ne l'avoir pas obtenu. Le seize Août, une messe fut célébrée et le corps fut descendu dans le caveau au milieu d'une émotion générale plus touchante peut-être que celle qui s'était manifestée le jour des funérailles. La tombe est recouverte d'un marbre noir chargé d'une modeste inscription. Elle est à fleur du sol. Aucun culte public ne lui a été rendu. 929 Il y a des manifestations spontanées en très grand nombre, et d'innombrables pèlerins continuent depuis quatre ans à affluer au tombeau du Serviteur de Dieu.





931 Session 102 - 14 Septembre 1863 à 3h de l'après-midi



Juxta vigesimum quintum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

Je puis attester que Mr le Curé d'Ars a joui de la plus haute réputation de sainteté soit pendant sa vie, soit après sa mort. J'entends par réputation l'opinion générale et publique que l'on a sur un fait ou sur une personne. Dès le commencement du ministère de Mr Vianney à Ars, on le regardait comme un saint. 932 C'est ce qui donna naissance au pèlerinage, qui alla se développant d'années en années, d'une manière considérable, au point que l'on comptait jusqu'à deux cents personnes par jour dans le petit village d'Ars. Rien ne donnera jamais une idée suffisante de la vénération dont cette foule entourait le bon curé. C'était un spectacle saisissant lorsqu'il sortait le soir de l'église. Les pèlerins se groupaient devant la porte de l'église. Lorsque le bon curé paraissait, tous se jetaient à genoux et recevaient sa bénédiction avec une émotion profonde. Plusieurs d'entre eux avaient des larmes dans les yeux. J'ai mille fois été témoin de cette scène, jamais sans attendrissement. J'ai vu des personnes peu faites en apparence pour le partager, en subir la contagion. Le général Borelli, commandant le département de l'Ain, vint visiter, en compagnie de Mr le Préfet, le curé d'Ars; c'était en mil huit cent cinquante. Nous le conduisîmes d'abord à la prière du soir. La vue du saint vieillard et de la foule immense qui se pressait dans l'église commença à l'émouvoir. Ce fut bien autre chose lorsque, à la sacristie, nous le mîmes en face de Mr Vianney; mais, lorsqu'au sortir de l'église, nous le plaçâmes sur son passage pour recevoir sa bénédiction, il n'y put pas tenir; il pleurait et il nous disait ensuite avec enthousiasme qu'il voulait amener sa femme, ses enfants, pour leur faire recevoir la bénédiction du saint prêtre. Une dame protestante de ma connaissance, fort attachée à sa religion, a partagé sous mes yeux l'impression commune et elle lui a fait bénir des médailles.

La vénération des pèlerins se traduisait de mille manières différentes, quelquefois fort indiscrètes. On lui dérobait les objets qui lui appartenaient; on coupait sa soutane, ses cheveux, son chapeau; on arrachait les feuillets de son bréviaire. Cette vénération ne venait pas seulement de la foule ignorante, mais des personnages les plus distingués. J'ai vu à Ars des Évêques en grand nombre. Mgr Devie, Mgr Chalandon, Mgr de Langalerie, Évêques de Belley, y sont venus très souvent. Mgr de Bonald, archevêque de Lyon et cardinal, y est venu une fois. Je nommerai parmi les autres MMgrs de Moulins, de Meaux, de Birmingham, Mgr Bataillon, Mgr Dupanloup, l’Évêque d'Autun, etc. Beaucoup de prêtres, beaucoup de religieux, des supérieurs d'Ordres, des hommes distingués, de tout genre et de toute condition. 933 Tous partageaient l'impression commune et s'en allaient ravis.

La paroisse de Chazey en Beaujolais est venue eh procession, bannière en tête, faire bénir au bon curé une belle statue de Ste Philomène. Les Jésuites de Montgré amenaient leurs enfants après la première communion.

Mr le Curé d'Ars n'inspirait pas seulement de la vénération; il inspirait aussi une affection profonde. Des hommes s'étaient fixés à Ars pour se dévouer à son service, pour le défendre contre la foule, pour mettre de la police dans l'église. Mr Thèbre, employé dans les verreries de Rive-de-Gier, employait ses vacances à ce pieux office. Rien de plus dévoué et de plus zélé que quelques braves filles qui se relevaient à l'entrée de sa chapelle, à la porte de son confessionnal, pour empêcher l'encombrement.

Après la mort de Mr Vianney, sa réputation de sainteté n'a fait que grandir et s'étendre. Elle est devenue, je puis dire générale. Le pèlerinage a continué et aujourd'hui encore il va toujours se développant. Cette réputation n'a rencontré, à ma connaissance, aucune contradiction; elle est partagée même par des personnes qui ne sont pas religieuses.

Pour mon compte, je regarde la réputation de sainteté du Serviteur de Dieu comme parfaitement fondée.



Juxta vigesimum sextum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

J'ai parlé des contradictions que Mr le Curé d'Ars a rencontrées, surtout dans le commencement de son ministère. Mais elles n'ont en aucune façon altéré l'idée que les fidèles avaient de sa sainteté. Mgr Devie, juge si éclairé en cette matière, prit un jour hautement la défense de Mr Vianney en présence de nombreux ecclésiastiques. Oui, MMrs, dit-il, avec beaucoup d'énergie; c'est un saint prêtre. Rien autre, à ma connaissance, ne s'est élevé, ni avant ni après sa mort, contre sa réputation de sainteté, qui est aujourd'hui si bien établie qu'il parait impossible de l'attaquer.



Juxta vigesimum septimum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

J'ai été témoin de la guérison vraiment extraordinaire d'un enfant de St Laurent-lès-Macon, attaqué d'épilepsie de manière à avoir jusqu'à quinze crises par jour. 934 Il était perclus de tous ses membres et ne pouvait parler. Les parents de l'enfant l'ont amené à Ars, ont fait une neuvaine à laquelle s'est uni l’Évêque diocésain. L'enfant a été complètement guéri; la guérison persévère. Ce fait a eu lieu au commencement de Mai mil huit cent soixante-deux.

Ayant entendu parler d'une guérison miraculeuse de Mme de Larnage, femme du maire de la ville de Tain, diocèse de Valence, j'ai voulu prendre des informations précises; j'ai reçu la lettre suivante, que je reproduis textuellement:



Madame,

Dieu, dans sa miséricorde, nous a en effet accordé une grande grâce par l'intercession de votre saint Curé d'Ars, et je suis heureux de pouvoir répondre à votre désir et à votre bienveillant intérêt en vous donnant quelques détails sur la guérison vraiment miraculeuse de Mme de Damage.

C'est le seize Novembre dernier qu'à la suite de violentes douleurs causées par une tumeur du ventre qui, depuis cinq ans, déjouait toutes les ressources de la médecine, nous commençâmes une neuvaine au Curé d'Ars; tous les médecins avaient déclaré le mal incurable et n'avaient d'autre espérance que l'atténuation des souffrances et l'éloignement des accidents, grâce à une vie de régime, de soins et de repos absolu.

L'aggravation des douleurs et des symptômes dangereux avaient, au commencement de Novembre, fait perdre presque tout espoir aux médecins, qui redoutaient même une catastrophe prochaine; c'est dans ces conditions que nous avons eu recours d'une manière plus spéciale au suprême médecin.

Mme de Larnage avait passé une mauvaise nuit; elle ne pouvait sans de vives douleurs toucher la partie malade; à huit heures, on dit la première messe de la neuvaine dans ma chapelle; à neuf heures, on appliqua sur le mal un cordon d'un soulier du Curé d'Ars. Mme de Larnage s'endormit alors pendant deux heures et quand elle se réveilla, ne sentant aucune douleur, elle voulut palper la tumeur et ne la trouva plus. Elle avait disparu subitement et sans laisser aucune trace ni aucune sensibilité dans la partie qu'elle occupait! Les médecins qui arrivèrent successivement se livrèrent à toutes les recherches et examens possibles sans pouvoir constater autre chose qu'une complète disparition. A dater de ce moment, Mme de Larnage a été entièrement guérie; le sommeil, l'appétit, les habitudes et cette vie active à laquelle elle avait été forcée de renoncer depuis plusieurs années.



935 Les médecins cherchent maintenant une explication scientifique à ce fait inouï dans les annales de la médecine; un seul reconnaît qu'il n'y a aucun moyen naturel d'expliquer cette guérison en raison de sa spontanéité et surtout de son instantanéité. Il convient que Dieu seul a pu guérir aussi miraculeusement notre chère malade.



Mr de Larnage indique dans le reste de sa lettre les explications que les autres cherchent à donner et il fait voir qu'elles sont inspirées par un esprit ennemi de tout surnaturel, et que pour un vrai chrétien, elles n'ont aucune valeur.

La lettre de Mr de Larnage porte la date du dix-huit Janvier mil huit cent soixante-trois.



Juxta vigesimum octavum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

Je n'ai rien à ajouter à ma déposition; je n'ai rien à y modifier.



Et expleto examine super Interrogatoriis, deventum est ad Articulos, super quibus testi lectis, dixit, se tantum scire, quantum supra deposuit ad Interrogatoria, ad quae se retulit.

Sic completo examine, integra depositio jusau Rmarum Dominationum suarum perlecta fuit a me Notario a principio ad finem testi supradicto alta et intelligibili voce. Qua per ipsum bene audita et intellecta respondit se in eamdem perseverare, et illam iterum confirmavit.




Ars Procès informatif 835