
Ars Procès informatif 995
995 (995) Session 110 – 22 septembre 1863 à 8h du matin
(999) Juxta primum Interrogatorium, monitus testis de vi et natura juramenti, et gravitate perjurii, praesertim in causis Beatificationis et Canonizationis, respondit :
Je connais la nature et la force du serment que je viens de faire et la gravité du parjure dont je me rendrais coupable si je ne disais pas toute la vérité.
Juxta secundum Interrogatorium, testis interrogatus respondit :
Je me nomme François Duclos ; je suis né à Dardilly le onze janvier mil sept cent quatre-vingt-six. Mon père s’appelait Jean-Baptiste Duclos et ma mère Etiennette Ravier. Je suis rentier, propriétaire d’une modeste fortune.
Juxta tertium Interrogatorium, testis interrogatus respondit :
Je m’approche régulièrement des sacrements de pénitence et d’Eucharistie selon les lois de l’Eglise. J’ai communié à la mission qui a eu lieu cette année après Pâques.
Juxta quartum Interrogatorium, testis interrogatus respondit :
Je n’ai jamais été traduit en justice.
Juxta quintum Interrogatorium, testis interrogatus respondit :
Je n’ai jamais encouru les censures ou les peines ecclésiastiques.
Juxta sextum Interrogatorium, testis interrogatus respondit :
Je n’ai été instruit par personne de vive voix ou par écrit, de la manière dont je devais faire ma déposition. Je n’ai pas lu les Articles du Postulateur ; je ne dirai que les choses que j’ai vues moi-même ou que j’ai apprises de personnes dignes de foi.
Juxta septimum Interrogatorium, testis interrogatus respondit :
J’avais pour le Serviteur de Dieu une grande amitié et une grande vénération. Depuis sa mort ma vénération n’a point diminué parce que je le regarde comme un saint. Je désire vivement sa béatification pour la gloire de Dieu et l’honneur de l’Eglise.
Juxta octavum Interrogatorium, testis interrogatus respondit :
Le Serviteur de Dieu est né à Dardilly en mil sept cent quatre-vingt-six. Son père se nommait (1000) Matthieu Vianney. Sa mère était très pieuse. La famille de Mr Vianney recevait les pauvres et leur donnait l’hospitalité. La soeur aînée du Serviteur de Dieu, Catherine Vianney, se faisait remarquer pour sa piété ; elle attirait dans la maison paternelle les filles de la paroisse pour leur faire de pieuses lectures. Quant à Jean-Marie Vianney, il était un modèle d’obéissance envers ses parents ; il était plein de bonté, de douceur pour ses compagnons d’enfance, et pour moi en particulier. Sa conduite a toujours été celle d’un enfant pieux. Il fuyait les plaisirs et les divertissements de son âge. Quand nous étions aux champs, il ne prenait point part à nos jeux ; retiré à l’écart, il s’occupait à lire. Jamais il ne se disputait avec les autres ; lorsque quelque discussion s’élevait entre nous, il nous faisait observer qu’il ne fallait pas se fâcher. S’il voyait un d’entre nous frapper fortement une bête, il nous disait qu’il ne fallait pas faire comme cela. En un mot, le Serviteur de Dieu n’a montré, à mon avis, aucun des défauts de son âge ; il s’est toujours fait remarquer par sa piété. Souvent il me disait : « François, viens donc avec moi. – Pourquoi faire ? – Je porterai un bon déjeuner ; tu garderas mes bêtes pendant que j’irai à la messe. » J’ai aussi observé qu’il savait se faire aimer de tout le monde ; il parlait peu, et surtout il ne disait pas ce qu’il faisait. Je n’ai pas de faits particuliers à rappeler.
Juxta nonum Interrogatorium, testis interrogatus respondit :
J’ai déjà répondu en partie à cet interrogatoire. Quand le Serviteur de Dieu put travailler aux champs avec ses frères, il fut ce que nous l’avions vu pendant qu’il était berger, c’est-à-dire un jeune homme modèle en tout.
Juxta decimum Interrogatorium, testis interrogatus respondit :
M. Vianney se décida de lui-même à embrasser la carrière ecclésiastique. Je sais que son père ne voulait rien payer pour lui faire faire ses études. C’est à Ecully qu’il a étudié auprès de Mr Balley, curé de cette paroisse.
Juxta undecimum Interrogatorium, testis interrogatus respondit :
Etant de la même année, nous avons (1001) tiré au sort ensemble ; mais comme j’ai dû partir, j’ai ignoré par quelles circonstances il avait été forcé lui-même de servir. J’ignore donc toutes les circonstances de la désertion. Je sais seulement que son frère cadet le remplaça pour le service militaire.
Je sais encore qu’après son ordination à la prêtrise, il fut placé comme vicaire à Ecully, puis il fut nommé curé à Ars. J’ai entendu parler d’une manière générale de la vie sainte qu’il a menée, mais je n’ai aucun détail précis à mentionner.
Qua responsione accepta, omissis coeteris Interrogatoriis completum esse examen praedicti testis, qui aliunde ut circa primos annos Servi Dei deponeret inductus fuerat, Rmi Judices Delegati decreverunt, et per me Notarium Actuarium, de mandato Dominationum suarum Rmarum perlecta fuit eidem testi integra depositio ab ipso emissa a principio usque ad finem, qua per ipsum bene audita et intellecta, in eadem perseveravit, illamque in omnibus confirmavit, ac postea propria manu se subscripsit ut sequitur.
Ita pro veritate deposui.
Duclos François
(995) Suite de la session 110 – 22 septembre 1863 à 8h du matin
1001 (1001) Juxta primum Interrogatorium, monitus testis de vi et natura juramenti et gravitate perjurii, praesertim in causis Beatificationis et Canonizationis, respondit :
Je connais la nature et la force du serment que je viens de prêter, et la gravité du parjure dont je me rendrais coupable si je ne disais pas toute la vérité.
(1002) Juxta secundum Interrogatorium, testis interrogatus respondit :
Je me nomme André Provin ; je suis âgé de soixante-treize ans ; mon père s’appelait Gaspard Provin et ma mère Marie Tisseur. Je suis depuis fort longtemps sacristain de la paroisse de Dardilly ; je vis tout doucement des honoraires de ma charge.
Juxta tertium Interrogatorium, testis interrogatus respondit :
Je m’approche régulièrement des sacrements de pénitence et d’Eucharistie quatre fois par an. J’ai communié pour la dernière fois le jour de l’Assomption.
Juxta quartum Interrogatorium, testis interrogatus respondit :
Je n’ai point été traduit en justice.
Juxta quintum Interrogatorium, testis interrogatus respondit :
Je n’ai encouru ni peines ni censures ecclésiastiques.
Juxta sextum Interrogatorium, testis interrogatus respondit :
Personne de vive voix ou par écrit ne m’a dit ce que je devais déposer. Je n’ai pas lu les Articles du Postulateur. Je ne dirai donc que ce que j’ai vu par moi-même, ou ce que j’ai appris de personnes dignes de foi.
Juxta septimum Interrogatorium, testis interrogatus respondit :
J’ai toujours eu une grande affection pour le Serviteur de Dieu. Je désire sa béatification pour la gloire de Dieu et l’honneur de l’Eglise.
Juxta octavum Interrogatorium, testis interrogatus respondit :
Le Serviteur de Dieu est né à Dardilly. Je ne sais pas bien en quelle année. Sa mère se nommait Marie Béluse et son père Mathieu Vianney. Ils étaient tous les deux très bons chrétiens. Leur maison était l’asile des pauvres ; j’en ai vu quelquefois jusqu’à dix réunis autour du foyer. Les parents de Mr Vianney ont élevé leurs enfants d’une manière très chrétienne.
Depuis que j’ai eu le bonheur de connaître le Serviteur de Dieu, j’ai remarqué en lui les plus heureuses dispositions pour la piété. Il aimait très peu les amusements auxquels nous nous livrions ; s’il prenait part à nos jeux, ce n’était que pour un moment. Il était très adroit au jeu du palet et nous gagnait facilement. Lorsque nous avions perdu, nous étions ordinairement tristes. En voyant notre peine, (1003) il nous disait : « Il ne fallait pas jouer. » Et puis pour nous rendre la joie et le contentement, il nous rendait ce qu’il avait gagné sur nous, et nous donnait toujours un sou de plus.
J’ai été confirmé avec Mr Vianney ; c’est dans l’église d’Ecully que nous avons reçu ce sacrement des mains de son Eminence le Cardinal Fesch, archevêque de Lyon.
Bien des fois je me suis trouvé avec Mr Vianney pendant son enfance et son adolescence. Souvent il me disait : «Viens avec moi ; j’ai un bon goûter, il suffira pour nous deux.» Quand nous étions aux champs, il me disait : « Tu vas garder mes bestiaux, moi je vais faire une commission.» Lorsqu’un autre berger arrivait sur ces entrefaites, il demandait où était Jean-Marie : « Il est allé faire une commission ou plutôt il est allé prier. Allez à tel endroit et vous le trouverez.» Je suis allé un grand nombre de fois examiner à travers un buisson ce qu’il faisait. Je l’ai trouvé à genoux et récitant dévotement son chapelet. Mes camarades l’ont vu aussi plusieurs fois. Ses habitudes de piété nous étaient bien connues. Nous ne l’avons pas contrarié sous ce rapport. Que de fois nous nous sommes dit : «Voyez donc Jean-Marie ; il est occupé à prier.» On voyait presque toujours ses lèvres remuer et il avait presque continuellement son chapelet à la main. Il nous faisait dire assez souvent le chapelet. Quand il entendait sonner l’heure à l’horloge de la paroisse, il se découvrait et récitait un Ave Maria. Il était très exact à nous faire dire l’Angélus. Il ne nous disait rien pour l’Ave Maria des heures ; mais lorsque au son de l’Angélus nous continuions à travailler : «Il y a temps pour travailler et temps pour prier » reprenait-il doucement.
Il allait à la messe le plus souvent qu’il pouvait ; il y assistait avec un air recueilli qui m’a toujours frappé. Il prétextait souvent qu’il allait faire arranger son outil ; c’était pour aller plus facilement à la messe sans qu’on s’en aperçût.
Lorsqu’il entendait quelque parole grossière (1004) sortir de notre bouche, il nous reprenait doucement en nous faisant comprendre que nous devions parler autrement. Il en était de même lorsqu’il y avait quelque dispute entre nous. Il ne voulait pas que l’on frappât les bêtes. Je ne l’ai jamais vu se fâcher ou s’impatienter.
Il était très charitable pour les pauvres ; bien des fois je l’ai vu donner aux mendiants ses petites provisions ou les céder à ses camarades. Je me rappelle l’avoir vu porter du bois aux pauvres ; il chargeait l’âne qui devait le porter autant qu’il le pouvait. Il était heureux lorsque son père après lui avoir dit d’abord : « Mets deux bûches », lui disait ensuite : « Charge l’âne autant que tu pourras. »
J’ai aussi remarqué sa grande politesse ; il saluait tout le monde avec affection.
Juxta nonum Interrogatorium, testis interrogatus respondit :
J’ai déjà répondu à cet Interrogatoire. Je n’ai remarqué en Mr Vianney aucun défaut ; je n’ai jamais entendu dire que les autres en eussent remarqué.
Juxta decimum Interrogatorium, testis interrogatus respondit :
Vers l’âge de dix-huit ans, Mr Vianney voulut étudier pour l’état ecclésiastique. Son père s’y opposa d’abord ; il l’aurait voulu voir travailler aux champs. Quand il connut la volonté arrêtée du jeune homme, il dit : « Il le veut absolument, il ne faut pas le contrarier. » Pendant qu’il étudiait chez Mr Balley, il fut aussi pieux qu’on pouvait le désirer. J’ai remarqué avec quelle dévotion il assistait à la sainte messe et combien il était heureux de pouvoir la servir. Pour s’y rendre, il n’attendait pas que le dernier coup sonnât. Il était le premier à l’église et en sortait le dernier. Je ne sais rien autre de particulier sur le Serviteur de Dieu. Lorsqu’il était Vicaire à Ecully, j’allais quelquefois demander de ses nouvelles à Mr Balley. Il me disait : « Mr Vianney est toujours le même ; il donne tout ce qu’il a. L’autre jour en revenant de Lyon, il a donné ses souliers à un pauvre. » Une autre fois il m’apprit qu’il avait donné ses pantalons de drap neuf.
(1005) Qua responsione accepta, omissis coeteris Interrogatoriis completum esse examen praedicti testis, qui aliunde ut circa primos annos Servi Dei deponeret inductus fuerat, Rmi Judices Delegati decreverunt, et per me Notarium Actuarium, de mandato Dominationum suarum Rmarum perlecta fuit eidem testi integra depositio ab ipso emissa a principio usque ad finem, qua per ipsum bene audita et intellecta, in eadem perseveravit, illamque in omnibus confirmavit.
Quibus peractis, injunctum fuit praedicto testi, ut se subscriberet, prout ille statim, accepto calamo se subscripsit ut immediate sequitur.
Ita pro veritate deposui.
A. Provin
1009 1009 Session 111 - 22 Septembre 1863 à 3h de l'après-midi
1010 Juxta primum Interrogatorium, monitus testis de vi et natura juramenti, et gravitate perjurii, praesertim in causis Beatificationis et Canonizationis, respondit:
Je connais la nature et la force du serment que je viens de premier, et la gravité du parjure dont je me rendrais coupable si je ne disais pas toute la vérité.
Juxta secundum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Je me nomme Marguerite Vianney; je suis la soeur du Serviteur de Dieu; je suis née à Dardilly dix-huit mois après mon frère, dans l'année mil sept cent quatre-vingt-sept. Je suis veuve et sans fortune; je vis chez ma fille à Lissieux.
Juxta tertium Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Je m'approche assez fréquemment des sacrements de pénitence et d'eucharistie; j'ai communié il y a à peu près un mois.
Juxta quartum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Je n'ai jamais été traduite en justice.
Juxta quintum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Je n'ai encouru aucune censure ou peine ecclésiastique.
Juxta sextum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Personne, de vive voix ou par écrit, ne m'a instruite de ce que je devais déposer dans cette cause. Je n'ai point lu les Articles du Postulateur. Je ne dirai que ce que j'ai vu par moi-même ou ce que j'ai appris de personnes bien informées.
Juxta septimum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
1011 J'ai toujours eu pour mon frère l'amitié, le respect et la vénération qu'il méritait. Aujourd'hui, je désire vivement sa Béatification; mais en cela je me soumets entièrement au jugement de l'Église et je ne me propose que la gloire de Dieu et l'honneur de la sainte Eglise.
Juxta octavum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Je ne pourrais pas dire l'année précise de la naissance de mon frère. Je sais qu'il est né au mois de Mai, qu'il a été baptisé. Quand il a reçu le sacrement de confirmation, il était déjà assez âgé, et faisait ses études chez Mr Balley. J'ai eu le bonheur d'être confirmée avec lui; il y avait déjà longtemps que, par suite de la grande Révolution, le sacrement de confirmation n'avait pas été administré dans le pays. C'est dans l'église d'Ecully que nous ayons reçu la confirmation.
Mes parents étaient très pieux; ma mère surtout se faisait remarquer sous ce rapport. Dans la maison paternelle, on ne voyait que des prêtres, des religieuses et des pauvres. On cachait les prêtres pendant la grande Révolution; ils venaient quelquefois dire la messe chez nous.
Nos parents nous aimaient tous; les voisins disaient quelquefois à ma mère: Oh! que vous êtes heureuse d'avoir de tels enfants!... Je me rappelle en effet que jamais nous ne nous sommes contrariés. Je me rappelle pareillement que Jean Marie nous édifiait; il priait presque continuellement.
Mon frère Jean Marie vint au monde vers minuit. La sage-femme sortit dehors, et en rentrant, elle dit: Oh! mon Dieu! cet enfant sera un grand saint ou un grand scélérat. Ma mère fut troublée de ces paroles et mon père réprimanda vivement l'imprudente sage-femme qui, en prononçant ces paroles, n'avait pas assez fait attention à l'état où se trouvait ma mère. Je tiens cette particularité de mon père et de ma mère, qui me l'ont répétée bien des fois.
Juxta nonum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Jean Marie n'avait encore que six mois; ma mère, avant de lui donner sa soupe, avait soin de lui faire faire le signe de la croix. 1012 Un jour, elle l'oublia; l'enfant ne voulut pas manger, et il caressait les mains de sa mère, comme pour lui demander quelque chose. Elle comprit à la fin, lui fit faire le signe de la croix, et il mangea sa soupe de bon coeur. Ma mère nous a mille fois raconté ce trait.
Il avait à peu près trois ans lorsqu'un soir, il disparut, sans qu'on pût savoir ce qu'il était devenu. Comme il y avait une pièce d'eau à coté de la maison, ma mère craignit un malheur et fit même rechercher si l'enfant ne se serait pas noyé. Lorsqu'elle alla à l'étable, elle entendit le chuchotement de quelqu'un qui prie. C'était Jean Marie qui, caché entre deux vaches et à genoux, faisait dévotement sa prière. Ma mère le gronda et lui dit: Comment? Tu vas te cacher pour prier? Tu sais bien que nous faisons nos prières ensemble. Pourquoi te cacher et me donner une si grande inquiétude? - Jean Marie, tout confus de la peine qu'il lui avait causée, se jeta dans ses bras et l'embrassa avec affection en lui disant: Mère, pardonnez-moi, je n'ai pas voulu vous faire de la peine; je n'y retournerai plus. Je me rappelle que plusieurs fois ma mère a fait allusion à ce trait et lui a dit en notre présence: Tu m'as causé beaucoup d'inquiétude quand tu t'es caché. C'est de ma mère que je tiens tout cela.
Dans la maison paternelle, il y avait une petite chapelle; c'était Jean Marie qui se chargeait de l'arranger. C'était là que se faisait la prière du soir. On disait plusieurs prières pour les âmes du purgatoire. Une de nos tantes vint à mourir; nous nous disions entre nous: Nous aurions bien mieux aimé qu'elle eût encore vécu; il faudra encore ajouter un pater et un ave Maria; il y en a déjà bien assez... Jean Marie, qui avait alors environ sept ans, reprit aussitôt: Eh! mon Dieu, qu'est-ce que c'est qu'un pater et un ave Maria; c'est si tôt dit.
1013 Mon frère Jean Marie ne se faisait pas prier pour dire avant les repas le benedicite et après le repas les grâces. Quand l'heure sonnait, il ne manquait pas de dire la prière que notre mère nous avait apprise: Dieu soit béni! Courage, mon âme: le temps se passe et l'éternité s'avance; vivons comme nous devons mourir. Puis on disait un Ave Maria. Dès que l’Angelus sonnait, mon frère se découvrait et se mettait en devoir de le réciter; si nous n'y faisions pas attention, il nous disait: Allons, c'est l'angelus; disons vite l'angelus.
Nos parents avaient coutume de nous envoyer tous aux champs pendant les beaux jours; nous avions à garder deux brebis et un âne, qui servait à porter et à ramener ceux qui étaient trop jeunes. Ma mère n'aimait pas à nous envoyer avec les autres enfants. Quand nous étions dans un pré, où il y avait de la terre grasse, Jean Marie s'occupait à faire de petites effigies de prêtre, etc. Il construisait de petites chapelles, de petites églises. Il avait alors de cinq à six ans. Dès qu'il entendait sonner la messe, il nous disait: Voici la messe qui sonne, gardez l'âne et les deux brebis. Nous ne voulions pas le lui promettre, s'il ne nous donnait tout ce qu'il avait fait. Il en faisait volontiers l'abandon et courait à la messe. Il y allait presque tous les jours. Il était presque continuellement occupé à prier.
Vers l'âge de huit ans, mon frère commença à travailler avec les autres. Un jour, il avait voulu tenir tête à son frère François, plus âgé que lui. Le soir, il était exténué et dit à ma mère: Ah! Ma mère, j'ai bien pioché toute la journée; je me suis fatigué à vouloir suivre mon frère. Ma mère recommanda à mon frère François d'aller moins vite. Celui-ci répondit que son frère, plus jeune, n'était pas obligé d'en faire autant que lui: Que dirait-on si l'aîné n'avançait pas plus que le cadet? 1014 Le lendemain matin, une soeur des Antiquailles de Lyon vint à la maison paternelle; elle donna à chacun de nous une image. Elle avait une petite statue de la Ste Vierge, renfermée dans un étui. Nous la voulions tous, cette statue; mais elle la donna à Jean Marie. Le surlendemain, François et Jean Marie allèrent travailler ensemble. Jean Marie, avant de se mettre à l'ouvrage, baisa dévotement le pied de la Ste Vierge, puis il la jeta devant lui, aussi loin qu'il put. Quand il l'eut atteinte, il la prit avec respect, la baisa dévotement et la jeta devant lui comme la première fois. Il fit ainsi toute la journée. Le soir venu, il dit à ma mère: Ayez toujours bien confiance en la Sainte Vierge; je l'ai bien invoquée tout le jour; elle m'a bien aidé aujourd'hui; j'ai pu suivre mon frère et je ne suis point fatigué.
Je dois dire que mon frère Jean Marie priait en allant travailler et en revenant des champs; il faisait de même pendant le travail. Quand j'étais avec lui pour garder nos bestiaux, il me disait quelquefois: Fais donc mon bas; il faut que j'aille prier vers la rivière. Il m'a dit plusieurs fois: Vois-tu, quand tu es à l'église, il faut bien te tenir modestement et prier le bon Dieu et il m'indiquait comment il fallait faire.
Lorsqu'il allait à l'école, son maître, nommé Mr, Dumas, était très content de lui et il disait souvent aux autres enfants: 1015 Voyez, si vous faisiez comme le jeune Vianney. Mon frère s'occupait à la maison à repasser son catéchisme. Il nous l'apprenait. Il nous faisait aussi de petites prédications: Oh! mes enfants, disait-il, soyez bien sages et le bon Dieu vous bénira.
1017 Session 112 - 23 Septembre 1863 à 8h du matin
Et prosequendo nonum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Mon frère Jean Marie était très obéissant à ses parents. Il nous disait souvent: Oh!, il faut bien obéir à notre mère. Nos parents nous disaient quelquefois, lorsque nous ne nous empressions pas assez de faire ce qu'ils nous commandaient: Voyez comme Jean Marie est obéissant; quand on lui a commandé quelque chose, voyez comme il court. 1018 D'autres fois, ils ajoutaient: Nous n'avons pas à nous plaindre de vous; mais vous n'êtes pas sages comme Jean Marie.
Lorsqu'il se trouvait aux champs avec d'autres bergers, ce qui arrivait cependant assez rarement, il faisait comme lorsqu'il était avec nous. De plus, il avait coutume de porter un gros morceau de pain et il en donnait aux autres bergers plus pauvres. Nos parents le savaient et le laissaient faire. Il était assez habile au jeu du palet et quand, sur l'invitation de ses compagnons d'enfance, il consentait à jouer, il les gagnait facilement; mais en les voyant tristes d'avoir perdu, il leur rendait ce qu'il avait gagné, en ajoutant un sou de plus.
Dans notre maison, on recevait beaucoup de pauvres; il y en avait quelquefois jusqu'à vingt. C'était Jean Marie qui se chargeait de les soigner. Comme on se contentait de tremper la soupe à ceux qui avaient du pain, il demandait du pain à ma mère pour ceux qui n'en avaient pas. Avant de les envoyer coucher, il apportait l'hiver un gros fagot, y mettait le feu et faisait approcher les pauvres. Quand ils s'étaient retirés, nous trouvions souvent de la vermine. Jean Marie imagina une petite claie, sur laquelle il mettait leurs habits; il la glissait dans le four; la chaleur détruisait la vermine et réchauffait les habits. Il les prenait alors et les portait aux pauvres en leur disant: Prenez vite, ils sont bien chauds. Mon frère avait aussi soin de leur faire faire une petite prière et pour les y engager plus facilement, il leur disait: Allons, un pater, un Ave Maria, c'est bien vite dit.
Je me rappelle très bien quand mon frère fit sa première communion; j'y assistais moi-même. Ce fut dans une chambre de la maison du comte Pingeon d'Ecully. Il était dans cette paroisse depuis près d'une année, chez notre tante Imbert. Il fit sa première communion des mains de Mr l'abbé Groboz. Mon frère était si content qu'il ne voulait pas sortir de la chambre où il avait eu le bonheur de faire sa première communion. 1019
Ses habitudes de piété étaient si connues de nos voisins qu'ils disaient à nos parents: Jean Marie va être un prêtre ou un frère; il est trop sage.
Juxta decimum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Mon frère, après sa première communion, revint à Dardilly et travailla aux champs avec ses frères. Il continua à mener la vie pieuse et édifiante dont j'ai parlé. Il désirait beaucoup étudier pour embrasser l'état ecclésiastique. Il en parla plusieurs fois à mon père, qui n'objectait qu'une chose, les dépenses que ces études entraîneraient. Quand il vit que mon frère persistait dans sa résolution, il donna son consentement, et pour que les dépenses fussent moins considérables, on proposa de le faire étudier chez Mr Balley, curé d'Ecully. C'est ma mère qui se chargea d'aller faire la proposition; elle fut agréée de Mr Balley. Mon frère commença donc chez lui ses études. Tous les samedis, j'allais à Ecully et je portais ce dont il avait besoin pour la semaine. Mr Balley était très content de lui; il lui disait souvent: Vois-tu, mon ami, il faut bien prier, mais il faut aussi se nourrir et il ne faut pas ruiner sa santé. Mon frère me demanda un jour une petite corde. Quand je la lui portai, il était dans le jardin de la cure; il en fit l'essai autour de son corps et me dit qu'elle irait très bien. Je crus alors qu'il avait l'intention de la porter sur la chair comme une ceinture. Ce n'est cependant qu'une conjecture de ma part; j'eus cette pensée, parce que je savais que mon frère était très sage.
J'ai su qu'il est allé en pèlerinage à la Louvesc, au tombeau de Saint Jean François Régis, pendant qu'il faisait ses études; je ne me rappelle plus les détails du pèlerinage.
Juxta undecimum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
1020 Lorsque le moment de la conscription fut venu, on voulut le faire inscrire comme élève ecclésiastique, inscription qui l'exemptait du service militaire. On oublia de porter son nom et celui de trois autres sur les registres. Il reçut donc sa feuille de route; mon père voulut lui faire un remplaçant. Le marché fut conclu moyennant la somme de trois mille francs, deux cents francs d'étrennes et un petit trousseau. Deux ou trois jours après, le jeune homme vint déposer sur le seuil de la maison paternelle le sac et les deux cents francs qu'il avait reçus. Mon frère fut donc obligé de partir. Il resta quelques jours à l'hôpital de Lyon, puis à celui de Roanne. J'allai pour le voir dans cette dernière ville, mais il était parti le jour même; c'était le six janvier. Il ne rejoignit pas de fait son corps. Voici, autant que je puis me le rappeler, comment la chose s'est passée. Mon frère, à peine rétabli, s'était mis en route. Fatigué de la route, il s'était assis sur son sac à quelques pas de la route. Un jeune homme se présente, à lui et le voyant si fatigué, lui propose de prendre son sac et de le conduire. Ils marchèrent ensemble environ une heure; ils arrivèrent à une maison; le jeune homme le fit entrer. C'était chez le maire de la commune. Le père aurait un peu grondé son fils de lui avoir amené un nouveau déserteur, attendu qu'ils en avaient déjà deux. Enfin, tout s'arrangea pour le mieux et mon frère, le lendemain, fut placé chez une bonne veuve qui en eut bien soin. L'hiver, il s'occupait à faire la classe aux enfants de la localité et l'été il travaillait aux champs. Il est resté dans cette commune environ seize mois. Mon frère cadet, arrivé à l'âge de la conscription et ayant eu un bon numéro, s'offrit à remplacer Jean Marie; ce qui fut accepté; Jean Marie put ainsi reprendre le cours de ses études.
Juxta duodecimum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
1021 Je ne sais rien de particulier sur le séjour de mon frère au petit et au grand séminaire. Je sais qu'il a été ordonné prêtre à Grenoble. Je ne me rappelle plus l'année.
Juxta decimum tertium Interrogatorium, testis interrogatus respondit: .
Après son ordination à la prêtrise, mon frère fut nommé vicaire de la paroisse d'Ecully. Il se fit aimer de tout le monde. Son confessionnal fut bientôt entouré d'une foule nombreuse. Les malades ne demandaient presque plus que lui. Il ne prêchait pas encore bien, à mon avis, et cependant, quand c'était son tour, on courait à l'église. Mr Balley m'a raconté qu'un jour il lui avait dit: Vous allez voir Mme une telle à Lyon; il faut bien vous arranger et prendre les pantalons qu'on vous a donnés. Il revint le soir avec de très mauvais pantalons. Son curé lui demanda ce qu'il avait fait des autres; il répondit qu'ayant trouvé un pauvre transi de froid, il en avait eu pitié et avait échangé ses pantalons neufs contre les vieux du pauvre. Mr Balley m'a aussi raconté que mon frère donnait ses souliers neufs. Je sais que mon père lui en a fait plusieurs fois le reproche. Mon frère était tellement aimé à Ecully, que tout le monde aurait désiré le voir curé de la paroisse.
Juxta decimum quartum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Mon frère fut nommé curé de la petite paroisse d'Ars. Quinze jours après son installation, je voulus aller le voir. J'étais accompagnée de la veuve Bibot d'Ecully, personne très pieuse. Craignant de trouver fort peu de provisions chez mon frère, nous achetâmes en passant à Trévoux du pain, de la viande. Quand il nous vit arriver, il nous reçut avec cordialité, mais il nous dit: Oh! mes enfants, qu'est-ce que je vais vous donner? Je n'ai rien... Après un moment de réflexion, il songea à un panier, où se trouvaient des pommes de terre cuites depuis plusieurs jours; elles commençaient à moisir. 1022 Jamais nous n'aurions eu le courage de les manger. Pour lui, il en prit deux ou trois, les mangea devant nous et nous dit: Elles sont encore bonnes, et elles ne sont pas gâtées. Puis il ajouta: On m'attend à l'église, il faut que j'y aille; tâchez de vous arranger comme vous pourrez.
Nous cherchâmes partout; nous ne trouvâmes qu'un peu de farine qu'une personne lui avait donné, quelques oeufs et du beurre. Nous résolûmes alors de faire cuire des matefaims, parce que nous savions qu'il les aimait. Pour compléter le dîner, nous allâmes prendre deux pigeonneaux. Quand il revint de l'église, en voyant sur table les deux pigeons, il nous dit: Oh! ces pauvres bêtes, vous les avez donc tuées! Je voulais m'en défaire parce qu'elles font du mal aux voisins; mais il ne fallait pas les faire cuire... Il ne voulut jamais y toucher; il se contenta de prendre un matefaim.
Nous avons gardé les deux pigeons pendant deux jours ; mais comme il ne voulait pas les manger, nous avons dû les manger nous-mêmes. Jamais, pendant les huit jours que nous avons passés alors auprès de lui, nous n'avons pu lui faire accepter de la viande. Il ne prenait que son matefaim, ses pommes de terre. Comme il aimait beaucoup le lait, nous avons voulu en mettre dans la soupe; il en paraissait très content; mais il se contentait d'en prendre quelques gouttes. Il ne voulait point boire de vin; sur notre invitation réitérée, il finit par en mettre un peu dans de l'eau. Il n'avait d'autre vin que celui qu'une dame lui avait donné pour la messe.
Quand nous fûmes seules, la veuve Bibot me dit: Je vais faire son lit. Elle trouva sous les draps et les couvertures, au lieu de matelas et de garde-paille, des sarments étendus sur le bois de lit. Il avait pour traversin une petite botte de paille enveloppée du drap sur lequel il reposait. Nous n'avons rien dérangé et nous n'avons rien dit à mon frère. Pour lui, il nous avait dit: Vous n'avez pas besoin de monter là-haut; j'ai tout arrangé. 1023
Nous couchions toutes les deux dans une chambre de la cure, où il y avait un lit et plusieurs matelas sur une chaise. Mon frère se couchait tard, et nous l'avons entendu de très grand matin sortir de sa chambre, sans doute pour aller à l'église.
1025 Session 113 - 23 Septembre 1863 à 3h de l'après-midi
Et prosequendo decimum quartum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Lorsque je suis venue à Ars avant l'établissement de la Providence, j'ai tout trouvé à la cure comme la première fois. Ainsi, étant à peu près sûre que mon frère n'avait aucune provision, j'avais soin d'apporter ce dont j'avais besoin. J'ai vu bien des fois le panier où il mettait ses pommes de terre. Je lui faisais des matefaims avec la farine que j'apportais ou avec celle que je trouvais à la cure. 1026 Une personne lui donnait un peu de lait; je lui en faisais une soupe et il la prenait volontiers. Je crois qu'il ne faisait guère plus de préparatifs lorsque ses autres parents venaient. Quand ma petite fille a voulu se marier, elle est venue à Ars quelques jours avant le mariage. Mon frère a commandé alors à Catherine Lassagne un petit dîner; lui-même s'est mis à table avec ses parents et ce jour-là, il sortit de son austérité habituelle et prit part au dîner.
Après l'établissement de la Providence, j'allais prendre mes repas dans cette maison. Depuis sa suppression, je suis allée chez Jeanne Marie Chanay, en sorte que je n'ai pas vu comment mon frère se traitait.
J'étais un jour couchée à la cure, je ne me rappelle pas exactement l'époque, mais c'était depuis la suppression de la Providence; j'entendis mon frère sortir de sa chambre à minuit et demi pour aller à l'église. Peu d'instants après, j'entendis près de moi, à l'endroit où se trouvaient les ornements, un bruit très violent, comme si cinq ou six hommes eussent frappé à grands coups sur la table ou l'armoire. Je crus que c'était des voleurs; j'eus peur; je me levai, et après avoir allumé une lampe, je vis que tout était parfaitement en ordre. Je pensais que peut-être j'avais rêvé. Je me recouchai, mais à peine étais-je au lit que j'entendis le même bruit. Cette fois, j'eus grandement peur; je me levai et courus à l'église. Quand mon frère rentra à la cure, je lui dis ce que j'avais entendu: Oh! mon enfant, répondit-il, il ne fallait pas avoir peur; c'est le grappin; il ne te peut rien; moi il me tourmente comme ça; il y a des fois qu'il me prend par les pieds et me traîne par la chambre; c'est parce que je convertis des âmes au bon Dieu.
Ma petite fille, nommée comme moi Marguerite, et mariée à André Béluse, avait un polype au larynx. Les médecins qu'on avait consultés n'avaient pu la guérir. On songea à la fin à l'amener à Ars auprès de son oncle. Celui-ci lui fit faire une neuvaine. A la fin de cette neuvaine, il n'y avait pas d'amélioration. Il en fit faire une seconde et se joignit à elle. Dans la nuit du huitième jour, elle se sentit fatiguée, cracha des glaires en abondance et se trouva guérie, sans que le mal ait jamais reparu.
1027 Je ne sais absolument rien autre sur la vie de mon frère.
Qua responsione accepta, omissis caeteris Interrogatoriis completum esse examen praedicti testis, qui aliunde ut circa primos annos Servi Dei deponeret inductus fuerat, Rmi Judices Delegati decreverunt, et per me Notarium Actuarium, de mandato Dominationum suarum Rmarum perlecta fuit eidem testi integra depositio ab ipso emissa a principio usque ad finem, qua per ipsum bene audita et intellecta, in eadem perseveravit, illamque in omnibus confirmavit.
Ars Procès informatif 995