
Ars Procès informatif 1485
1485 (1485) Session 164 - 12 septembre 1864 à 8h du matin
(1488) Juxta primum Interrogatorium, monitus testis vi et natura juramenti, et gravitate perjurii, praesertim in causis Beatificationis et Canonizationis, respondit:
Je connais la nature et la force du serment que je viens de faire et la gravité du parjure dont je me rendrais coupable si je ne disais pas toute la vérité.
Juxta secundum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Je m’appelle Gabriel Taborin; je suis né à Belleydoux, diocèse de Belley, le premier novembre mil sept cent quatre vingt dix-neuf. Mon père se nommait Claude Joseph Taborin et ma mère Marie Josephine Poncet. Je suis Supérieur Général et fondateur des Frères de la Ste Famille de Belley, Congrégation approuvée par le St Siège au mois d’août mil huit cent quarante (et) un.
Juxta tertium Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Je m’approche des sacrements de Pénitence et d’Eucharistie tous les jours marqués par les constitutions.
Juxta quartum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Je n’ai jamais été traduit devant aucun tribunal.
Juxta quintum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Je ne sache pas avoir encouru les censures ou les peines ecclésiastiques.
Juxta sextum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Personne ne m’a instruit de vive voix ou par écrit de ce que je devais dire dans cette cause. Je n’ai lu aucun des Articles du Postulateur. Je ne dirai que l’exacte vérité.
Juxta septimum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
J’ai eu pour le Serviteur de Dieu la (1489) plus grande vénération. Je le regarde comme un très grand saint. Je l’invoque tous les jours avec grande confiance. Je désire vivement sa Béatification.
Et quoniam praedictus testis accitus fuit ad explicanda quae spectant fundationem scholae puerorum parochiae Ars, omissis coeteris Interrogatoriis, statim Interrogatus fuit super Interrogatorio decimoquinto, super quo respondit:
Mr Perrodin, supérieur du Grand Séminaire m’engagea à aller à Ars pour parler au Serviteur de Dieu et lui recommander la Congrégation naissante. Je suivis ce conseil; j’arrivai à Ars sans me faire connaître en aucune façon et rien à l’extérieur ne pouvait indiquer qui j’étais. Après avoir fait ma prière devant le Saint Sacrement, je me présentai à la sacristie au moment où le Serviteur de Dieu allait se revêtir des ornements pour dire la sainte Messe. Je fus vivement impressionné en voyant sa figure sur laquelle se peignaient les traits de la sainteté. J’ai toujours cru qu’en me saluant il m’avait appelé par mon nom et qu’après avoir demandé de mes nouvelles il s’était informé de l’état de la petite Congrégation de la Ste Famille. “Mais, Mr le Curé, repris-je tout ému, comment me connaissez-vous ? – Oh ! répondit-il avec un sourire gracieux, les amis du bon Dieu doivent bien se connaître.” Il me donna ensuite rendez-vous après la Messe et se revêtit des ornements sacrés. Dans la conversation que j’eus avec le Serviteur de Dieu au moment indiqué, il me témoigna toutes sortes d’intérêt, me félicita d’avoir donné à ma Congrégation le nom de Ste Famille; il m’annonça qu’elle prospérerait, malgré beaucoup d’obstacles et me recommanda de ne jamais me décourager. Il a personnellement tellement aimé la Congrégation qu’il nous a envoyé près de quarante postulants.
Une seconde fois je me rendis à Ars et j’appris de la bouche même de Mr le Curé qu’il venait de faire une fondation pour l’instruction gratuite des enfants de la paroisse d’Ars. Il me manifesta même son étonnement de ce que je n’avais pas encore envoyé de frères: “Je suis fâché contre vous; j’ai (1490) versé pour vous dix huit mille francs dans la caisse diocésaine. » Il me pria d’envoyer les frères le plus tôt qu’il me serait possible. Ce ne fut que quelque temps après que je pus mettre nos frères à la tête de l’école fondée. En preuve de son dévouement le Serviteur de Dieu nous aida puissamment pour l’ameublement de la maison; il en construisit et en orna la chapelle. Notre noviciat de Belley possède comme précieux souvenir de ses libéralités et de son attachement pour nous un ostensoir de grand prix, un riche ciboire, des burettes d’argent avec leur plateau. Il a eu de plus la bonté de fonder à perpétuité une Messe qui doit se dire tous les dimanches de l’année dans notre chapelle pour la conversion des pécheurs. Vingt autres Messes, à des jours libres, y ont été fondées à la même intention.
Dans une circonstance particulière j’avais grandement besoin de la somme de douze cents francs. Ne pouvant la trouver à Belley, j’eus la pensée de m’adresser au Serviteur de Dieu; je lui écrivis pour cela et je fis présenter la lettre par le frère Jérôme. Dès qu’il en eut pris connaissance: “Je regrette bien, dit-il, de ne pouvoir contenter le désir de votre bon supérieur. Tenez, voilà tout ce que j’ai.” Et il présenta au frère Jérôme cinq sous en lui disant : “Il n’y a que pour payer le port de lettre. Nous allons prier pour que le bon Dieu lui vienne en aide et qu’il puisse trouver cette somme. » Il se rendit au confessionnal; admirable Providence de Dieu, la première personne qu’il entendit lui présenta douze cents francs pour ses bonnes oeuvres. Il sortit aussitôt avec un grand contentement et dit au frère Jérôme: “Voyez combien vos prières sont puissantes. Dieu vous a exaucé: voilà la somme dont votre Supérieur a besoin. Ecrivez-lui de la venir chercher.” Je me rendis à l’invitation, et comme je lui témoignais ma reconnaissance et lui exprimais en même temps ma surprise, il me répondit avec une humilité qui m’édifia profondément: “Oh! c’est le bon Dieu qui écoute les prières du frère Jérôme et de tous ceux qui prient de bon coeur. - Mr le Curé, lui dis-je, je vous rendrai cette somme dans quelque temps. - Allez, mon ami, (1491) reprit-il, je ne prête pas; je vous donne cette somme, c’est le bon Dieu qui vous l’envoie. Je vous donnerai bien autre chose si on ne me gêne pas.
J’avais contracté une double hernie depuis trente six ans; j’en parlais au Serviteur de Dieu. Il me répondit: “Eh! mon ami, c’est un présent du bon Dieu; j’ai aussi moi une double hernie; seulement je n’en guérirai pas, mais vous, vous en guérirez pourvu que vous fassiez de suite une neuvaine à Ste Philomène. » Je ne croyais pas guérir: aussi je fis ma neuvaine sans grande confiance. Quelle ne fut pas surprise lorsqu’à la fin de ma neuvaine je me trouvais guéri! Je quittais mon bandage et depuis lors, je n’ai rien ressenti.
Pour favoriser la dévotion des pèlerins d’Ars, j’eus la pensée de faire un petit livre sous ce titre: L’Ange conducteur des pèlerins d’Ars. Avant de le commencer je consultais le Serviteur de Dieu qui accueillit avec empressement ce projet. Il ajouta même: « Faites-le de suite; je me charge de vous en faire vendre soixante exemplaires par jour. » Je composais le livre, le soumis à l’approbation de l’évêque diocésain. Quand il fut imprimé j’en portais six exemplaires à Mr Vianney, qui les reçut avec joie et reconnaissance en me disant que ce livre ferait beaucoup de bien. Dans la préface j’avais eu le malheur de retracer sa vie en quelques traits rapides et de le présenter comme un modèle de vertu et de sainteté. Le lendemain matin m’ayant aperçu à l’église, il me fit signe d’aller à lui, avec un air d’affliction et de sévérité extraordinaires. L’ayant suivi à la sacristie, il ferma la porte et me dit avec animation et en versant des larmes abondantes: “Je ne vous croyais pas capable, mon ami; de faire un mauvais livre. - Comment donc? - C’est un mauvais livre, c’est un mauvais livre! Dites-moi de suite combien il vous a coûté, je vous rembourserai et nous le brûlerons. Je fus saisi d’étonnement et je lui demandais de nouveau en quoi ce livre était mauvais: “C’est un mauvais livre, c’est un mauvais livre! - Mais en quoi, mon Père? - Vous parlez de moi, comme d’un homme vertueux, (1492) comme d’un saint, tandis que je ne suis qu’un pauvre ignorant, le plus misérable des prêtres. - Mais enfin mon père, j’ai communiqué ce livre à des prêtres instruits, Monseigneur Devie en a revu toutes les épreuves, il a donné son approbation: ce ne peut pas être un mauvais livre.” Ses larmes ne faisaient que redoubler: “Eh bien ! retranchez tout ce qui me regarde et alors ce sera un bon livre.” A mon retour d’Ars, je n’eus rien de plus pressé que d’instruire Monseigneur de tout ce qui s’était passé. “Quelle leçon d’humilité nous donne, à vous et à moi ce saint prêtre” me dit le prélat en ajoutant cependant: “Gardez-vous bien de rien retrancher, je vous le défends.” Je suivis le conseil de mon Evêque, mais le Serviteur de Dieu ne voulut jamais apposer sur le livre sa signature, qu’il mettait si facilement sur les livres et les objets de piété qu’on lui présentait.
Voilà tout ce que j’avais à dire au sujet de la Congrégation de la Ste Famille et de ses rapports avec le Curé d’Ars.
Qua responsione accepta, omissis coeteris Interrogatoriis completum esse examen praedicti testis decreverunt Rmi Judices delegati, et per me Notarium Actuarium de mandato Dominationum suarum Rmarum perlecta fuit integra depositio ab ipso emissa, qua per ipsum bene audita et intellecta, illam in omnibus confirmavit et propria manu se subscripsit ut sequitur.
Ita pro veritate deposui.
Gabriel Taborin
1493
(1493) Juxta primum Interrogatorium, monitus testis de vi et natura juramenti, et gravitate perjurii, praesertim in causis Beatificationis et Canonizationis, respondit:
Je connais la nature et la force du serment que je viens de faire et la gravité du parjure dont je me rendrais coupable si je ne disais pas la vérité.
Juxta secundum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Je m’appelle Pierre Cyrille Faivre. Je suis né à Château-des-prés, diocèse de St Claude, le neuf juillet mil huit cent dix. Mon père se nommait Jean Baptiste Faivre et ma mère Anne Marie Colin. Je suis missionnaire du diocèse de St Claude.
Juxta tertium Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Je m’approche régulièrement du sacrement de pénitence et je célèbre tous les jours la Ste messe.
Juxta quartum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Je n’ai jamais été traduit devant aucun tribunal.
Juxta quintum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Je ne sache pas avoir encouru les censures ou les peines ecclésiastiques.
Juxta sextum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Personne de vive voix ou par écrit ne m’a instruit de ce que je devais déposer dans cette cause. Je n’ai lu aucun des Articles du Postulateur. Je ne dirai que ce que je sais très bien.
Juxta septimum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Le vingt-sept du mois d’août mil huit cent quarante trois, j’ai eu le bonheur de faire la connaissance du Serviteur de Dieu. Je fus singulièrement frappé de son air de sainteté. Depuis ce moment j’ai toujours eu pour lui la plus grande estime et la plus grande vénération. Je l’ai regardé pendant sa vie comme un grand saint et depuis sa mort mon opinion n’a pas changé à son égard. Le bonheur de l’avoir connu me (1494) paraît une grâce particulière de Dieu. Je l’invoque tous les jours avec confiance; je l’invoque en particulier toutes les fois que je dois monter en chaire ou que je dois entendre les confessions. Aussi je désire vivement sa Béatification pour la plus grande gloire de Dieu et l’édification des fidèles.
Et quoniam praedictus testis accitus fuit ad explicanda quae spectant virtutes, dona super naturalia et famam sanctitatis, omissis coeteris Interrogatoriis, statim interrogatus fuit super Interrogatorio decimo octavo, super quo respondit:
Je puis affirmer que le Serviteur de Dieu a pratiqué toutes les vertus à un degré héroïque. J’ai vu dans les différentes missions que j’ai faites que cette opinion était partagée par les fidèles qui l’avaient vu et qui en avaient entendu parler. Un jeune homme à son retour d’Ars disait: “Quand on a eu le bonheur de voir cet homme, je ne conçois pas qu’on puisse offenser le bon Dieu. »
Dans mes fréquentes visites à Ars, j’ai toujours été aussi frappé qu’édifié de la vivacité de sa foi qui le portait à verser des larmes chaque fois qu’on lui citait quelques traits de la bonté et de la miséricorde de Dieu. Tous ses conseils étaient empreints d’un profond mépris des choses de la terre. Il ne voyait que Dieu et ne portait à rechercher que le Ciel.
Sa charité était sans bornes. Il accueillait avec un égal empressement toutes les personnes qui se présentaient à lui. J’ai admiré souvent qu’au milieu de la foule qui se pressait autour de lui, l’arrêtait, le foulait au passage il conservait toujours une patience inaltérable, une douceur et une bonté à toute épreuve envers les nombreux pèlerins qui l’assiégeaient. On pourrait citer un grand nombre de personnes assistées par ses aumônes. Il leur offrait généreusement l’argent nécessaire pour payer leurs frais de séjour et de voyage. Je puis attester que toutes les personnes qui à ma connaissance ont eu recours à sa direction et à ses conseils ont été frappées de la promptitude et de la sagesse admirable de ses décisions. (1495) Un prêtre instruit, de ma connaissance, s’étant présenté à lui pour soumettre un cas de théologie des plus embarrassants, m’attesta qu’il ne revenait pas de la facilité et de la justesse avec lesquelles le Serviteur de Dieu lui avait donné des éclaircissements d’une vérité étonnante.
Dès ma première visite à Ars, sa vie mortifiée et pénitente me parut telle que, missionnaire et sachant ce qu’il en est de passer les jours à confesser, à prêcher, à faire le catéchisme, je ne lui donnais pas, humainement parlant pour trois mois de vie. Il a toujours été constant pour moi, qu’avec le peu de nourriture qu’il prenait, l’excès de travail, la privation de sommeil, sans un secours visible de Dieu il n’aurait pas pu vivre.
J’ai remarqué dans mes différentes visites à Ars que le concours des pèlerins devenait chaque année plus nombreux. Parmi cette foule, il y eut quelquefois des esprits exagérés ou des têtes faibles qui cherchèrent à le surprendre. Mme Carlat, à ma connaissance produisait une certaine sensation dans les environs de Lons-le-Saunier par de prétendues révélations et par la confiance qu’elle s’attirait en parlant de ses rapports avec Mr le Curé d’Ars. Les choses en vinrent à un tel point que je crus devoir en écrire au Serviteur de Dieu. Il me répondit la lettre suivante:
Ars, vingt-quatre Septembre
Mon très respectable Monsieur,
Dites bien à Mme Carlat que tout ce qu’elle dit du Curé est tout à fait faux. Jamais je ne l’ai approuvée, mais toujours condamnée. Voilà la première nouvelle qu’elle me fait d’être le dépositaire des révélations de son ange gardien. Comment se peut-il faire qu’un prêtre peut être assez dépourvu de bon sens pour croire toutes ses rêveries.
Mes très humbles respects
Jean Marie Baptiste Vianney, curé d’Ars.
1496 (1496) Cette lettre est de l’année mil huit cent quarante-quatre. Toutes les fois que je suis allé à Ars je n’ai pu surprendre dans le Serviteur de Dieu aucune préoccupation de tout ce qui pouvait l’entourer. Il s’oubliait complètement lui-même.
Juxta vigesimum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Je sais et j’ai entendu dire très souvent que le Serviteur de Dieu a été comblé de dons surnaturels ou de grâces données gratuitement. Voici ce que je sais personnellement: Une personne m’avait parlé d’une bonne oeuvre et m’avait pris pour son confident. Etant à Ars je dis à Mr le Curé: “J’aurais à vous consulter sur un secret qui m’a été confié.” Il me répondit à l’instant sans hésitation: “Je le sais bien.”. J’ajoutai: “Puis-je m’en occuper ?” et sans me demander aucune explication, il me dit: “Vous ferez très bien de vous en occuper.” Il ne pouvait pas connaître la personne, qui n’était pas venue à Ars; elle n’avait confié son projet qu’à moi. Mr Vianney ne pouvait donc pas le connaître naturellement. J’ai ouï dire à beaucoup de personnes qu’elles avaient consulté le Serviteur de Dieu, sur leur vocation, sur des positions et des embarras de famille, sur des procès, sur des maladies, enfin sur des déterminations à prendre et qu’il avait toujours répondu avec une justesse et une prudence admirables. Il a prédit à quelques personnes des faits qui leur sont arrivés plus tard. Il a connu la conscience et les dispositions de l’âme d’un grand nombre de personnes de manière à les étonner. L’opinion publique qui lui attribuait des dons surnaturels était tellement formée qu’on croyait toujours sans hésitation à sa parole. Je ne connais rien qui puisse faire révoquer en doute les dons surnaturels que Mr Vianney avait reçus de Dieu. Tout ce que je sais, au contraire, tout ce que j’ai ouï dire me confirme dans l’opinion qu’il en avait été comblé. Mr l’abbé Cornu, supérieur du petit Séminaire de Nozeroy, m’a raconté ce qui lui était arrivé lors de sa première visite à Ars. Il a eu la bonté de me le dire dans une lettre.
Hic testis exhibuit epistolam cujus tenorem inseri mandarum Judices delegati.
Juxta vigesimum quintum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:
Le Serviteur de Dieu a joui pendant sa vie d’une grande réputation de sainteté, comme j’ai pu le constater dans les nombreuses missions que j’ai faites. Cette réputation va en grandissant. Comme on sait que je vais à (1497) Ars de temps en temps, on me prie de vouloir bien lui demander des grâces, des guérisons, etc. La nouvelle de sa mort fut un deuil général. On sentit toute la perte que l’on venait de faire et aujourd’hui encore un grand nombre de personnes ne peuvent se consoler de n’être pas allées à Ars pour le voir et le consulter.
Qua responsione accepta completum esse examen decreverunt Judices delegati et per me Notarium Actuorum de mandato Dominationum suarum Rmarum perlecta fuit eidem testi integra depositio ab ipso emissa, qua per ipsum bene audita et intellecta illam in omnibus confirmavit.
Quibus peractis, injunctum fuit praedicto testi, ut se subscriberet, prout ille statim, accepto calamo se subscripsit ut immediate sequitur.
Ita pro veritate deposui.
Petrus Cyrillus Faivre
1499
(1499) Tenor epistolae exhibitae de qua supra, sic est videlicet :
Petit Séminaire de Nozeroy, 1er Septembre 1864.
Mon bien cher ami,
Je vais, conformément à votre désir, vous raconter simplement ce qui m’a le plus frappé dans ma première rencontre avec le grand Serviteur de Dieu Jean Marie Baptiste Vianney, Curé d’Ars.
J’étais arrivé en octobre 1848, le mercredi au soir en compagnie d’un confrère que vous connaissez. Je (1500) vous avoue qu’en allant à Ars, je m’attendais à trouver un homme extraordinaire; je me sentais tout disposé à voir en lui un saint, mais je n’avais à cet égard aucune opinion préconçue, et je me réservais d’observer de près cet homme et de ne le juger que sur ses oeuvres.
Je vis pour la première fois Mr Vianney au moment où il sortait de l’église après la prière du soir. En passant près de moi, il s’arrêta, me prit les mains et m’adressa des paroles que je ne pus saisir: ce contact, ces paroles me firent éprouver quelque chose d’indéfinissable, je me sentis comme pénétré d’un fluide magnétique surnaturel et mon coeur s’ouvrit, sans que je pusse m’expliquer pourquoi, à la confiance la plus absolue... “Mon Père, lui dis-je, voulez-vous bien permettre à mon confrère et à moi de dire demain la sainte Messe dans votre église? - Ah! tant que vous voudrez”, me répondit-il. Cette fois je ne perdis pas une de ses syllabes. Nous l’accompagnâmes jusqu’à la maison de la Providence. Chemin faisant, je lui demandais s’il pourrait, dès le lendemain matin entendre en confession le Général de ... “Ah! bonne dame, bonne dame, dit-il en m’interrompant, oui, dites-lui que je l’entendrai demain matin à 6 heures.”
J’avais effectivement rencontré dans l’omnibus de Lyon à Ars une dame qui m’avait recommandé, si je pouvais voir le soir même Mr le Curé d’Ars, de le prier instamment d’entendre son mari le Général de ... le plus tôt possible. Quand je rendis à cette dame la réponse du Curé d’Ars, elle fut ravie de joie, mais elle ne revenait pas de la surprise que lui causait la connaissance que semblait avoir d’elle un homme avec qui jusque là elle n’avait pas eu le moindre rapport.
Le lendemain jeudi le brave Général était aux pieds du saint homme. Je passais après lui: “Mon Père, lui dis-je, mon intention n’est pas de me confesser; je l’ai fait hier à Fourvière. Je voudrais vous consulter sur trois choses.” Je propose la première. Le Curé d’Ars m’arrête: “Mais vous ne me dites pas... - Oh! mon père, c’est vrai; j’aurais dû commencer par là; mais je n’y ai pas pensé.” Il me révélait une disposition intérieure que j’aperçus en moi sur-le-champ et que j’aurais dû lui signaler tout d’abord. Je compris dès lors que sans avoir extérieurement connaissance de mon nom, de mon diocèse, de mon genre de vie et d’occupation, il lisait au fond de mon âme.
A cette question que je lui adressai: “Mon Père, dois-je nourrir en moi ce désir de la vie religieuse que je ressens si vivement depuis la seconde année de mon séminaire il y aura bientôt 20 ans ? » il répondit sans détour: “Oui, (1501) cette pensée vient de Dieu, il faut la nourrir en vous. - En ce cas, mon Père, répliquai-je, vous me permettriez de quitter la position où je suis (j’étais professeur de classe élémentaire dans un petit séminaire) et d’entrer dans un ordre religieux: lequel, s’il vous plaît? - Oh! pas si vite. Restez où vous êtes. Voyez, mon ami, le bon Dieu envoie quelquefois des désirs dont il ne demande pas la réalisation en ce monde.” Il me fit comprendre que le mien était de ce genre, et que soigneusement entretenu dans mon coeur il me serait à la fois un préservatif contre les dangers du monde, et un stimulant aux vertus sacerdotales.
Trois ans plus tard j’avais été transféré de ce petit séminaire dans un collège catholique. Je retournai au Curé d’Ars... “Et maintenant, mon père, que me conseillez-vous?” Il me dit en souriant: “Mais c’est la même chose... » puis il ajouta: « Ne soyez jamais curé. La plus belle oeuvre que l’on puisse faire dans le siècle où nous vivons, c’est de s’occuper de l’éducation chrétienne de la jeunesse!...” Il savait donc que je m’en occupais...Comment le savait-il?
Je comprends mieux que jamais, depuis quelques mois, toute l’étendue de signification de ce Restez où vous êtes, articulé en 1848. Je devais être envoyé, et je le fus effectivement, par Mgr de Chamon au Collège catholique de Monteil en Mai 1851, être envoyé en 1852 par Mgr Mabile, au collège catholique de Poligny, et , après cette année scolaire, retourner, par une nouvelle mission de Mgr Mabile, au poste premier, au Petit Séminaire de Nozeroy, où vient de me fixer, à dater du 16 Juin 1864, la volonté expresse de mon évêque actuel Mgr Nogret. Qu’en dites vous?
Reprenons. Le Curé d’Ars me donna plus d’une preuve encore de cette étrange pénétration de mon intérieur dans la durée de mon premier séjour à Ars. Le lendemain de mon arrivée, le jeudi au soir, nous étions allés, mon confrère et moi, faire visite à Mr l’abbé Raymond, collaborateur de Mr le Curé. Je laissai percer l’intention que j’avais de séjourner trois ou quatre jours à Ars. Il me sollicita vivement alors de le remplacer le dimanche suivant pour la grand-messe et l’instruction. J’eus beau résister. Il fallut promettre au moins que je dirais deux mots. J’allai, dès le vendredi matin, chercher quelque inspiration dans la chapelle de Ste Philomène, et il me vint à ses pieds deux idées que je me promis de développer.
(1502) J’y pensai dans les moments libres de la journée. Le lendemain samedi, vers six heures du matin, au moment où j’allais me revêtir des ornements sacrés pour la célébration du saint sacrifice, Mr le Curé vint à moi et me dit: “C’est donc vous qui nous évangéliserez demain. Si Mr Raymond n’est pas revenu pour dire la grand-messe, je la dirai... Pour votre instruction, ne vous tourmentez pas, ajouta-il vous pourrez dire...ceci...et cela.” Il mit le doigt sur les deux idées qui m’étaient venues à l’esprit dans la chapelle de Ste Philomène.
Autre circonstance du même jour.
J’étais allé dans l’après midi, dire mon office dans la chapelle de l’Ecce Homo, et, pendant que je le récitais, je ne pouvais m’abstraire de cette pensée: Ce serait une témérité à moi d’improviser ici demain; mieux vaut me remettre en mémoire une instruction que j’ai écrite et élaborée jadis, celle par exemple; sur le saint sacrifice de la messe.
A ce projet semblait s’opposer la parole que m’avait dite le matin Mr le Curé d’Ars. Je voulus donc le lui soumettre et m’en tenir à ce qu’il déciderait. Au sortir de l’église, je cherche à l’aborder : impossible. Il me discerne dans la foule, fixe un regard sur moi, et à cette question que j’avais sur les lèvres mais qui ne pouvait arriver jusqu’à lui: “Approuvez-vous, mon père, que je prêche sur le Saint Sacrifice de la Messe ?» il répond par un signe affirmatif.
Cette réponse toutefois ne me satisfaisait qu’à demi. J’attends encore. Le flot du peuple croissait toujours et rendait l’accès de plus en plus impraticable. Le Curé d’Ars se tourne de nouveau vers moi et me congédie par ces paroles qu’il accompagne d’un gracieux sourire : “Bonsoir, mon cher Monsieur.” Je ne demande rien de plus. Je me retire et prépare, sans arrière pensée et comme je le puis mon instruction sur le sujet indiqué. Que je vous conte encore ce petit incident. Je m’étais dit et redit: “A telle phrase de mon exorde j’adapterai délicatement ceci: Cet autre Jean Baptiste par l’austérité de sa vie et son zèle apostolique à préparer les âmes au second avènement du Fils de l’homme... C’était tout ce que je voulais dire à la louange du Curé d’Ars; mais je voulais le dire. Avant que la grand-messe ne fût commencée, je me recommandai de tout coeur au saint homme qui me dit me mettant la main sur le bras: “Allez.” Je montai, je parlai avec une aisance qui ne m’était pas habituelle, mais j’oubliai complètement ce que j’avais stéréotypé dans mon esprit pour le Curé d’Ars. Je ne pris même garde à cette omission que sur la fin de l’instruction où je pus à peine placer un « votre cher et vénéré pasteur. » Comme je descendais de chaire, mes yeux rencontrèrent les siens qui semblaient m’exprimer une évidente satisfaction. Quand je le vis le soir au sortir de l’église, il me dit en me serrant la main: “Oh! que vous avez bien fait de prendre ce sujet, je vous en remercie. »
Je ne m’étonne donc nullement que la Ste Eglise songe sérieusement à lui assigner une place dans ses sacrés diptyques.
Je prie avec vous Celui qui est admirable dans ses saints, d’accélérer le jour et l’heure où il sera donné au monde catholique de rendre à ce grand Serviteur de Dieu publiquement et solennellement ce culte que tant d’âmes sentent le besoin de lui rendre déjà dans le secret du coeur.
Votre tout dévoué serviteur et ami.
Cornu, prêtre
1503
Abbé Alexis Tailhades
(1503) Session 165 – 13 septembre 1864 à 3h de l’après-midi
(1504) Juxta primum Interrogatorium, monitus testis de vi et natura juramenti, et gravitate perjurii, praesertim in causis Beatificationis et Canonizationis, respondit :
Je connais l’étendue et la force du serment que je viens de prêter.
Juxta secundum Interrogatorium, testis interrogatus respondit :
Je m’appelle Alexis Tailhades ; je suis né à St Pons de Thomières, diocèse de Montpellier le vingt (et) un février mil huit cent. Mes parents étaient catholiques. Mon père s’appelait Pierre Tailhades et ma mère Suzanne Cros. Je suis chanoine honoraire de Montpellier et curé de la paroisse de Montblanc.
Juxta tertium Interrogatorium, testis interrogatus respondit :
Je me confesse environ tous les quinze jours ; je dis la Messe tous les jours et j’ai eu le bonheur de la dire ce matin.
Juxta quartum Interrogatorium, testis interrogatus respondit :
Je n’ai jamais été traduit en justice.
Juxta quintum Interrogatorium, testis interrogatus respondit :
Je ne sache pas avoir encouru les censures ecclésiastiques.
Juxta sextum Interrogatorium, testis interrogatus respondit :
Personne ne m’a instruit de vive voix ou par écrit de ce que je devais déposer et je n’ai pas lu les Articles proposés par le Postulateur.
Juxta septimum Interrogatorium, testis interrogatus respondit :
J’ai toujours eu une très grande affection pour le Serviteur de Dieu depuis que j’ai eu le bonheur de le connaître. Je désire vivement sa béatification dans le seul motif de la gloire de Dieu.
Et quoniam praedictus testis accitus fuit ad (1505) explicanda quae spectant virtutes et dona supernaturalia, omissis coeteris Interrogatoriis, statim interrogatus fuit super Interrogatorio decimo octavo, super quo ei lecto respondit :
Avec l’agrément de mon Evêque sollicité pendant de longues années, je quittai le ministère ordinaire des paroisses pour entrer dans un corps religieux. Je vins à Ars pour y faire une retraite vers le mois de mai mil huit cent trente-neuf. Cette retraite ne devait être que de huit jours, mais comme j’attendais à Ars les correspondances qui devaient m’arriver de divers endroits, mon séjour s’y prolongea, contre mon attente, pendant deux mois et demi environ. Je m’absentai pendant deux ou trois mois, je revins à Ars et y passai environ un mois. C’est pendant ces deux séjours que j’ai connu les faits dont je vais parler.
J’ai remarqué que le Serviteur de Dieu pratiquait à un haut degré toutes les vertus chrétiennes et sacerdotales.
J’ai mis par écrit en mil huit cent trente-neuf et mil huit cent quarante ce qui m’avait frappé dans la vie éminemment sainte du Serviteur de Dieu. Voici quel était l’ordre de sa journée : il se levait à deux heures du matin en été, à trois ou quatre heures le plus tard en hiver ; il allait à l’église, prenait son surplis, faisait ses prières, récitait son office à genoux, sans jamais s’appuyer, avec une très grande ferveur ; il considérait, avant de commencer son office, un instant les images qu’il avait collées sur son bréviaire pour qu’on ne les enlevât pas. La première de ces images représentait Jésus-Christ sur la Croix ; la seconde la Très Sainte Trinité ; la troisième la Ste Famille ; la quatrième la Ste Vierge Immaculée ; la cinquième la descente de la Croix ; la sixième St Jean-Baptiste son patron. En priant, en disant son office, il tournait fréquemment ses regards enflammés vers le Saint Sacrement, parfois avec un sourire qui donnait quelque chose de céleste à sa figure. Il avait le corps droit, la tête modestement inclinée et les mains jointes quand il priait sans livre. Pour soutenir son attention, il se figurait les trois Personnes de la Ste Trinité, ou Notre Seigneur présent dans la sainte Eucharistie avec la Ste Vierge à sa droite (1506) et son ange gardien à sa gauche. Relativement à la récitation de l’office, voici ce que j’ai copié sur son bréviaire, écrit de sa main. A matines : Jésus-Christ en prière au jardin des Olives ; à Laudes : Jésus-Christ en agonie ; à Prime : J.-C. outragé, battu chez Caïphe ; à Tierce : J.-C. condamné à mort ; à Sexte : J.-C. crucifié ; à None : J.-C. meurt, on lui perce le coeur ; à Vêpres : J.-C. descendu de la Croix ; à Complies : J.-C. dans le tombeau.
La seule vue de ce saint homme était une prédication muette qui touchait et arrachait des larmes. Après avoir récité les petites Heures, il entrait au confessionnal ou entendait les hommes à la sacristie. A six heures, il sonnait le catéchisme des enfants, et récitait la prière qui le précédait, à genoux et sans s’appuyer. Il commençait par exciter l’attention des enfants par quelques fortes réflexions, ordinairement si attendrissantes qu’elles émouvaient les assistants et leur arrachaient des larmes. Après la récitation du catéchisme, une explication courte, simple, facile et pleine d’onction. A six heures trois quarts, courte préparation à la sainte Messe, car tout ce qui avait précédé pouvait être considéré comme une excellente préparation. Dès qu’il était entré à la sacristie, on venait lui parler, son accueil était plein de douceur et de gravité ; jamais une parole ou un mouvement d’impatience ; il répondait un mot ou deux et tout le monde se retirait content. A l’autel il impressionnait tellement les assistants qu’ils se sentaient pénétrés de respect et d’une sainte frayeur. On ne pouvait s’empêcher de dire : « Comme ce saint prêtre dit bien la Messe. » Il ne mettait pas plus de temps que les autres prêtres pieux, c’est-à-dire vingt-cinq minutes. Son action de grâces était courte à cause des confessions ; il se réservait de la compléter au premier moment libre. Il bénissait avec empressement les chapelets, les médailles qu’on lui présentait et mettait sa signature sur des images pour faire plaisir aux pèlerins. Quand il avait terminé une bénédiction il fallait souvent en recommencer une autre sans qu’il fît aucune observation. Il recevait de la confrérie du scapulaire (1507) les personnes qui désiraient y être agrégées. Souvent, il en recevait une seule à la fois. Il était au confessionnal toute la matinée. A midi, il sortait et sonnait lui-même l’Angélus, puis se rendait à la Providence et prenait debout une tasse de lait ou de chocolat. Il passait dans la salle de la grande classe des jeunes filles de la Providence, où étaient réunis beaucoup d’étrangers ; là, il expliquait les commandements de Dieu, de l’Eglise, les péchés capitaux, en un mot tout le catéchisme ; il instruisait, édifiait et portait tour à tour à la crainte des jugements de Dieu, à l’espérance, à la confiance et à l’amour. Très souvent des larmes coulaient des yeux des pèlerins. Ce que l’on remarquait avec étonnement, c’est que les paroissiens, les étrangers qui entraient après le catéchisme commencé, prenaient avec respect de l’eau bénite, se mettaient à genoux sans respect humain, récitaient un Pater et un Ave et se relevaient ensuite pour écouter attentivement comme s’ils eussent été dans une église. La demi-heure, ou l’heure qui suivait le catéchisme était employée à écouter brièvement ceux qui avaient à lui parler et à lire en tout ou en partie les lettres qui lui étaient envoyées. Il ne répondait que lorsque la réponse était absolument nécessaire et presque jamais par lui-même, parce que le temps lui manquait ; il prenait quelques jours avant de répondre pour consulter Dieu. Ensuite, il visitait les malades ; sa conversation avec eux était douce, polie, courte et édifiante. Par quelques paroles brûlantes d’amour, il les consolait, les encourageait et ranimait leur confiance ; ils étaient heureux de mourir entre ses mains. J’ai eu le bonheur d’assister deux fois à une administration de sacrements ; en toute vérité je n’ai jamais entendu parler des choses de l’autre vie avec une telle conviction, une telle foi. On eût dit qu’il voyait des yeux du corps les choses dont il parlait et ses paroles enflammées pénétraient dans l’âme des pauvres malades.
En sortant du confessionnal, il trouvait auprès de sa porte des pauvres qu’il traitait avec bonté, il donnait à chacun une aumône abondante. Il récitait Vêpres et Complies vers une heure, devant le Saint Sacrement, puis confessait (1508) les hommes à la sacristie, ou les femmes à sa chapelle. Il n’entrait jamais au confessionnal sans implorer les lumières du Saint-Esprit, sans offrir le Sang et les mérites de Notre Seigneur au Père Eternel pour la réconciliation des pauvres pécheurs. Il invoquait la Ste Vierge par les prières suivantes : « Marie, ne me quittez pas un instant, soyez toujours à mes cotés. Marie, chassez le démon qui tient asservie sous son empire cette personne, qui la tente, ou qui s’efforce de l’empêcher de faire une bonne confession. ». Assis au confessionnal, il se représentait la Ste Vierge à sa droite et son ange gardien à sa gauche. Il portait constamment dans sa poche un grand reliquaire en argent qui renfermait plusieurs reliques de la Passion et, je crois, de quelques saints. Dans les moments pénibles, il priait Notre Seigneur avec ferveur et avec larmes pour les pauvres pénitents en tenant ce reliquaire dans ses mains. Il fixait de temps en temps ses regards sur la médaille miraculeuse suspendue à son confessionnal, sur l’image de l’Ecce Homo, de St Jean Baptiste, de Ste Philomène. Les pénitents, les pénitentes se retiraient du saint tribunal les yeux baignés de larmes ; quelques-uns pleuraient tout haut et poussaient des cris.
A l’heure de matines, il sortait du confessionnal et récitait l’office à genoux. « Quel bonheur, me disait-il, de pouvoir se délasser un peu des fatigues de la journée en récitant le saint office ; quelle consolation de pouvoir prier le bon Dieu ; sans cela la vie ne serait pas supportable.» Il aimait tellement le bréviaire qu’il le portait sous son bras en allant de l’église au presbytère. Je lui en demandai la raison, il me répondit : « Le bréviaire c’est ma fidèle compagne, je ne saurais aller nulle part sans lui. N’y a-t-il pas des grâces particulières attachées à l’Ecriture Sainte ? le bréviaire est composé en partie des plus beaux morceaux de l’Ecriture Sainte et des plus belles prières. »
A la nuit, Mr le Curé sonnait le chapelet et la prière du soir ; il récitait le chapelet lui-même avec les assistants. Sa voix fatiguée était si faible qu’il ne semblait pas pouvoir le terminer et cependant il disait encore la prière.
(1509) Après avoir adoré le Saint Sacrement, il déposait son surplis à la sacristie où le suivaient quelques personnes qui avaient à lui parler. Il leur répondait en quelques mots, se rendait à la chapelle de la Ste Vierge où il faisait une petite prière ; il priait ensuite quelques instants dans la chapelle de l’Ecce Homo et se retirait dans son presbytère.
Il était heureux de se trouver seul avec son Dieu après les occupations de la journée. Après ses lectures et ses prières, il lisait encore dans son lit jusqu’à ce qu’il fût vaincu par le sommeil, on me l’a dit du moins. Il se reposait sur une paillasse, ou plutôt sur une planche qui était cachée à la tête de son lit.
Le dimanche, il faisait le prône ; le catéchisme avait lieu à une heure ; l’Esprit de Dieu lui fournissait toujours les moyens d’instruire, d’édifier et de convertir ; on voyait avec peine arriver la fin du catéchisme. Après les Vêpres, il faisait le chemin de la Croix, ou récitait le chapelet. Une heure avant la nuit, il appelait de nouveau les paroissiens à l’église ; il entonnait le Veni Creator, puis pendant une demi-heure environ il parlait sur l’évangile du dimanche et faisait très souvent couler des larmes. L’instruction terminée, il faisait la prière du soir.
Le Serviteur de Dieu aimait singulièrement la pauvreté, elle brillait dans tout ce qui était à son usage. Il portait toujours le même chapeau, il prenait plaisir à le raccommoder quand il avait des trous ; la vétusté en avait changé la couleur. Son rabat était grossièrement confectionné et presque toujours de travers tant il s’occupait peu de son extérieur. Il avait la même soutane en hiver et en été, il la portait jusqu’à ce qu’elle tombât en lambeaux ; alors il la faisait rapiécer. L’aumône lui en procurait une autre et encore aurait-il préféré qu’on lui en remît l’argent pour le donner aux pauvres. Ses bas étaient d’une laine grossière , ils étaient très mal tricotés. Sa chaussure (1510) était plus que négligée, c’était des souliers d’une forme peu élégante ; ils étaient souvent percés et quand il marchait dans la boue, ils se remplissaient d’eau. Pendant l’hiver, il éprouvait un froid insupportable et par suite, des coliques affreuses, sans jamais se plaindre. Il fallait le tourmenter pour lui faire accepter une chaussure neuve.
J’ai eu très souvent occasion d’admirer la patience et la douceur du Serviteur de Dieu. Je l’ai observé de très près pour surprendre quelque mouvement d’impatience et jamais je n’ai pu réussir. Je l’ai vu accablé par la foule, les uns lui demandant une chose, les autres une autre ; quelques personnes allaient même jusqu’à le tirer par sa soutane ou son surplis afin d’obtenir les premières la réponse à leurs questions ou à leurs demandes. Je l’ai vu alors toujours doux, toujours riant, toujours inaltérable. Sur l’observation que je lui fis à ce sujet, il me répondit : « Que voulez-vous ? Il faudrait accorder ce qu’on me demande, que gagnerais-je à m’impatienter ? Oh ! qu’un prêtre fait donc bien de s’offrir à Dieu en sacrifice tous les matins. »
Il avait à souffrir fréquemment de violentes coliques. Quelquefois, après avoir passé la journée au confessionnal, il ne pouvait plus se tenir debout ; il s’appuyait contre les chaises et contre les murs, se tenant courbé ou portant ses deux mains sur son ventre. Malgré ses souffrances il ne voulait accepter aucun soulagement. Un jour, le voyant dans cet état, je lui offris mes services. « Oh ! vous souffrez beaucoup, lui dis-je? Vous devriez vous reposer. – Oh ! dans le Ciel, reprit-il aussitôt, nous aurons bien le temps de nous reposer. Que voulez-vous ? Il faut bien souffrir quelque chose pour l’amour de Dieu. »
(1511) Dans une autre circonstance, il m’a dit qu’il souffrait de ne pas assez souffrir, et qu’il avait demandé au bon Dieu de n’être jamais sans souffrances.
(1513) Session 166 – 14 septembre 1864 à 8h du matin
Abbé Alexis Tailhades
Et prosequendo decimum octavum Interrogatorium, testis interrogatus respondit :
Je trouve dans mes notes un beau trait de charité et d’humilité. Un des confrères du Serviteur de Dieu jouissant d’une certaine considération, de concert avec d’autres, crut devoir lui écrire pour lui faire des observations (1514) peu propres à flatter l’amour propre. « On trouve assez mal, lui disait-il dans sa lettre, que vous receviez indistinctement et souvent contre le gré des curés respectifs, toutes sortes de personnes. On dit que vous êtes un saint. Et cependant toutes les personnes qui vont vous trouver ne nous reviennent pas converties. Vous feriez bien de modérer votre zèle mal entendu ; sinon nous nous verrions forcés, quoique à regret, d’en donner avis à Mgr. » Cette lettre portait bien le nom de la ville d’où elle avait été écrite, mais elle n’était pas signée. Le Curé d’Ars reconnut l’écriture et s’empressa de répondre à l’exécuteur de la lettre de la manière suivante : « Monsieur le Curé , je vous remercie bien sincèrement des avis charitables que vous voulez bien me donner. J’avoue mon ignorance profonde et ma complète incapacité. Si toutefois quelques personnes des paroisses voisines sont venues me trouver, croyez bien que je n’ai pas été les chercher ; et si après avoir reçu de moi les sacrements, elles n’ont point été converties, j’en suis profondément affligé. Si vous le trouvez bon, vous pouvez écrire à Mgr, qui, je l’espère aura la charité de me redresser. Priez Dieu, s’il vous plaît, Monsieur le Curé, pour que je fasse moins de mal et plus de bien. » L’auteur de la lettre s’empressa d’en écrire une seconde pour s’excuser, et il ne manqua pas cette fois de la signer.
Il me dit une fois : « Oh ! que l’on doit peu faire de cas du blâme ou l’estime des hommes. Ce matin, j’ai reçu une lettre pleine d’injures. Je n’en ai pas été ému le moins du monde. Et voilà que cet après-midi, j’en ai reçu une autre pleine de louanges. Je n’ai pas fait plus de cas de l’une que de l’autre. »
Il était plein de charité pour tous les pécheurs ; il les accueillait avec une grande bonté. Il semblait cependant témoigner plus de compassion et de charité erga sacerdotes lapsos.
Il répétait très souvent qu’il n’était qu’un ignorant et le plus misérable des prêtres.
(1515) Persuadé qu’il pratiquait en secret la mortification corporelle, je voulus m’en assurer moi-même. Accompagné de Catherine Lassagne, je visitai scrupuleusement sa chambre ; je finis par découvrir une discipline en fil de fer très fort, suspendue par un clou à la tête du lit et cachée par un rideau. J’en détachai deux anneaux que j’ai conservés précieusement. Mademoiselle Lassagne me dit qu’elle avait quelquefois trouvé, en faisant la chambre, des fragments de discipline et qu’elle pensait que pour rendre cet instrument plus lourd il attachait de petites clefs à l’extrémité. Je possède une des chemises du Serviteur de Dieu ; elle est déchirée sur les épaules ; j’attribue ces déchirures, de concert avec des personnes qui le connaissaient intimement, aux coups de discipline.
Me parlant un jour de ses fatigues de la nuit et du jour, il me dit : « Mon cher ami, je ne pourrais pas les soutenir, en travaillant comme je le fais et en prenant si peu de nourriture, sans une grâce particulière. Ce ne serait rien, mais si vous saviez ce que je souffre, on ne peut pas le concevoir. Des coliques affreuses me prennent très souvent, et à présent presque tous les jours, mais si douloureuses que je ne puis les supporter ; mon corps enfle et je tomberais évanoui si je ne sortais promptement et n’avais recours à quelques adoucissements. »
Pendant l’hiver, il souffrait beaucoup du froid. « Il y a un an ou deux, me dit-il un jour, mes pieds gelèrent. La peau de mes talons tomba et resta dans mes bas quand je les quittai. Lorsque je sors du confessionnal, il faut que des mains je cherche mes jambes pour savoir si j’en ai. Je sors quelquefois de l’église en m’appuyant contre les chaises et contre les murailles. J’ai peine à me tenir. Je ne sais pas quelquefois où je suis ; de grandes douleurs me prennent à la tête et me font bien souffrir. Je ne sais pas, vraiment, comment je puis y résister. Le bon Dieu est bien bon. Bah ! au Ciel nous serons bien dédommagés ; nous ne penserons plus à tout cela. Mon cher ami, en général, on n’a pas assez l’esprit de foi et voilà pourquoi on pense si peu aux choses de l’autre (1516) vie. Ah ! si l’on connaissait combien le bon Dieu est bon ! Ah ! si l’on aimait le bon Dieu ! » Et en prononçant ces paroles, des larmes coulaient de ses yeux.
Un jour, dans une conversation intime, il me disait : « Mon ami, le démon se moque de la discipline et des autres instruments de pénitence ; du moins, s’il ne s’en moque pas il en fait peu de cas et traite doucement ceux qui en font usage. Mais ce qui le met en déroute, c’est la privation dans le boire, le manger et le dormir. Il n’y a rien que le démon redoute comme cela et qui soit par conséquent plus agréable au bon Dieu. Oh ! combien je l’ai éprouvé ! Quand j’étais seul, et je l’ai été pendant cinq à six ans, pouvant me livrer à mon aise à mon attrait, pouvant faire ce que je voulais sans être observé de personne, il m’arrivait de m’abstenir de manger pendant des journées entières ; il m’est arrivé même de m’abstenir de toute nourriture pendant deux jours consécutifs. Oh ! que de grâces le Seigneur m’accordait alors ! J’obtenais du bon Dieu tout ce que je voulais pour moi et pour les autres. » Et des larmes coulaient de ses yeux. Il reprit un instant après : « Maintenant ce n’est pas tout-à-fait de la même manière. Je ne puis pas demeurer autant sans manger ; je viens à ne pouvoir plus parler ; je n’ai plus de voix quand je reste trop longtemps. Oh ! comme j’étais heureux quand j’étais seul. J’achetais aux pauvres les morceaux de pain qu’on leur donnait et je m’en nourrissais. Pour les veilles, je passais une bonne partie de la nuit à l’église ; je n’avais pas alors tout autant de monde que j’en ai à présent. Et le bon Dieu me faisait des grâces extraordinaires. Au saint Autel, j’avais les consolations les plus singulières. Je voyais le bon Dieu, je ne vous dirais pas que ce fût d’une manière sensible ; mais le bon Dieu me faisait bien des grâces. » Cette conversation dont je ne perdrai pas le souvenir eut lieu le quatorze octobre mil huit cent trente-neuf.
Le Curé d’Ars m’a dit plusieurs fois, et m’a répété en particulier le vingt-trois août de la même année, qu’il serait bien aise qu’on le calomniât, que l’on fît des (1517) pétitions contre lui pour le faire partir de sa paroisse ; que si on lui présentait une pétition de ce genre il la signerait lui-même très volontiers ; qu’il irait dans quelque coin ou à la grande Chartreuse pour avoir le temps de penser à lui, parce qu’il redoutait par-dessus tout de mourir curé.
Un soir, je passais une heure avec lui et j’étais heureux de l’entendre parler des bontés
et des miséricordes du Seigneur, des moyens de se sanctifier, de la confiance singulière qu’il faut avoir en Marie, des avantages des souffrances et des trésors inestimables de la pauvreté. « Plus on se rend pauvre, me disait-il, pour l’amour de Dieu et plus on est riche en réalité. Ah ! comme sont à plaindre les pauvres curés dont les presbytères sont ornés et meublés comme des palais, tandis que leurs églises sont si pauvres ! »
Le trois octobre mil huit cent trente-neuf, le Curé d’Ars me fit une confidence très importante. Je lui demandai comment il avait obtenu la délivrance des tentations contre la sainte vertu. Il finit par me dire que c’était par suite d’un voeu qu’il avait fait, il y avait vingt-trois ans. Ce voeu consistait à réciter une fois par jour le Regina Caeli et six fois par jour la prière : ‘Bénie soit la Très Sainte et Immaculée Conception de la Bienheureuse Vierge Marie, Mère de Dieu. A jamais. Ainsi soit-il.’
Une de ses pratiques favorites était de se découvrir quand l’heure sonnait et de réciter dévotement la même prière ‘Bénie soit…’.
Il m’avoua un jour que depuis qu’il avait contracté la louable habitude de réciter tous les jours le petit office de l’Immaculée Conception, Dieu lui avait fait beaucoup de grâces.
Le résultat de mes observations est que je n’ai pas vu de prêtre doué d’une foi pratique plus vive. Il semblait pour ainsi dire vivre constamment en la présence de Dieu.
(1518) En un mot, je lui ai vu pratiquer, pendant mon séjour à Ars, à un degré héroïque, toutes les vertus théologale et cardinales.
Justa vigesimum Interrogatorium, testis interrogatus respondit :
Je puis affirmer que le Serviteur de Dieu avait reçu le don des larmes. Je lui ai vu très souvent verser des larmes en parlant de Dieu, du malheur des pauvres pécheurs et des grâces que Dieu accordait à ceux qui le servaient fidèlement.
Mr Vianney lisait au fond des coeurs. Une personne m’a raconté qu’elle était venue à Ars pour se confesser au Serviteur de Dieu. Avant qu’elle eût commencé sa confession, Mr Vianney lui dit : « J’ai beaucoup souffert cette nuit à votre occasion. – Comment mon Père ? Je ne fais que d’arriver et je ne vous ai rien dit encore. - Soit, mais telle et telle choses ne vous sont-elles pas arrivées en vous rendant à Ars ? – Effectivement, dit la pénitente tout étonnée, les choses se sont bien passées comme vous le dites. »
Un de mes confrères était venu à Ars avec une dame pieuse qui voulait consulter le Serviteur de Dieu sur une bonne oeuvre qu’elle projetait. Cette dame arrivée à Ars ne put, à cause de la foule des pèlerins, avoir un entretien et recevoir les conseils qu’elle désirait. Mon confrère, après s’être confessé au Curé d’Ars, lui dit en prenant congé de lui : « Je suis bien désolé qu’il vous ait été impossible de voir une personne qui m’a accompagné et qui voulait vous consulter sur une affaire importante. - Mais je l’ai vue, répondit Mr Vianney. – Vous me pardonnerez, je viens de la rencontrer et elle m’a assuré qu’elle n’avait pas pu vous voir, à son grand regret. – Mais si, je l’ai vue. » Et alors le Serviteur de Dieu lui dépeignit cette dame d’une manière parfaitement exacte et ajouta : « Qu’elle exécute le projet qu’elle a en vue, Dieu le bénira. » Mon confrère tout stupéfait, rapporta à la dame ce qui venait de se passer et elle se retira contente.
(1521) Session 167 – 14 septembre 1864 à 3h de l’après-midi
Et prosequendo vigesimum Interrogatorium, testis interrogatus respondit :
Je ne sais si le Serviteur de Dieu a eu des visions, des extases ou des révélations, mais ce que je sais pour l’avoir entendu de sa bouche, c’est qu’il a été attaqué d’une manière extérieure par le démon qu’il appelait le Grappin.
(1522) Quelquefois, c’était comme des coups de massue qui frappaient contre la porte de la cour, puis de la chambre. D’autres fois, c’était un tapage dans l’escalier, un bruit contre les rideaux, qui semblaient se déchirer. Il semblait quelquefois que des clous étaient enfoncés dans le plancher à coups de marteau, ou que l’on sciait des planches. Tantôt c’était le bruit d’un cheval tombant de six pieds de haut sur le pavé avec des pieds ferrés à neuf. Tantôt sous la forme d’un gros rat, le démon lui passait sur la figure. Une nuit, le Serviteur de Dieu sentit sous sa tête un coussin extrêmement doux ; il eut recours à la prière et l’illusion disparut. Une autre fois, subitement éveillé, il se sentait enlevé au-dessus de son lit ; il fit le signe de la Croix et le démon le laissa tranquille. Ses luttes avec le démon avaient une violence particulière, quand le lendemain un grand pécheur devait se présenter au Serviteur de Dieu.
J’ai entendu parler de beaucoup de faits miraculeux arrivés à Ars. Les faits suivants ont eu lieu pendant que j’y étais. Il avait l’intention d’établir dans son église une fondation en l’honneur du Saint Coeur de Marie pour obtenir le don de la foi et le don de la sainte pureté pour les prêtres du diocèse. Il demanda à la Ste Vierge, si cette oeuvre lui était agréable, de lui procurer des fonds. Le mercredi trente octobre mil huit cent trente-neuf, il me dit : « J’ai trouvé deux cents francs dans mon tiroir. Oh ! comme le bon Dieu est bon ; je voulais établir la fondation dont je vous ai parlé et voilà qu’il m’envoie de l’argent. » Les directrices de la Providence me dirent que Mr le Curé avait été inspiré de regarder dans le tiroir de son armoire et qu’il y avait trouvé deux cents francs. « Puisque c’est de l’argent miraculeux, dit Jeanne Marie Chanay, il faut garder quelques écus, peut-être qu’ils en feront venir d’autres. – Oui, répondit le Serviteur de Dieu, c’est de l’argent céleste. » Elle prit en effet quatre pièces de cinq francs qu’elle remplaça par d’autres ; elle eut la bonté de m’en remettre une. (1523) Ces deux cents francs, avec le trimestre de Mr le Curé et quatre cents francs d’ailleurs, furent remis au Sieur Antoine Mandy pour acheter quarante francs de rente dont vingt francs pour Messes en l’honneur du Saint Coeur de Marie et vingt pour demander à Dieu les deux vertus dont nous avons parlé. Je revis le même soir Mr Vianney : « Ne serait-ce pas quelqu’un, lui dis-je, qui aurait déposé à votre insu l’argent que vous avez trouvé ? – Qui voulez-vous, répondit-il, qui ait mis de l’argent dans le tiroir de mon armoire, il était fermé à clef et la clef était dans le tiroir de ma table. Du reste, ajouta-t-il, ce n’est pas la première fois. Il a multiplié le blé dans mon grenier, et combien de fois !… J’ai trouvé une bareille de vin dans ma cave et cependant ce n’est pas moi qui l’y ait mise, ni qui l’y ait fait porter. »
Quant à l’argent miraculeusement trouvé, je dois ajouter le fait suivant. Le Serviteur de Dieu me dit un jour : « Je suis un peu peiné ; je suis endetté ; je dois plus de trois mille francs. - Vous n’êtes pas bien en peine, lui dis-je - Dieu arrangera tout cela, répondit-il. Vous Marie Filliat, vous irez d’un côté et moi de l’autre. » Il y avait encore trois jours pour arriver à la fin d’une neuvaine qu’il faisait faire par les enfants de la Providence. Le lendemain matin, mardi huit octobre mil huit cent trente-neuf, Marie Filliat revint de chez Mr de Cibeins rapportant neuf cents francs environ, et Mr le Curé arriva à la Providence avec ses deux poches pleines d’argent en disant : « Vite, vite une corbeille. » Mlle Ricottier accourut pour me dire que Mr le Curé avait trouvé cette nuit une pleine corbeille d’argent. Je me rendis à la Providence pour voir cet argent, mais Mr le Curé venait d’en prendre une bonne partie pour payer deux cents mesures de blé à Mr Antoine Mandy et venait d’envoyer Mlle Catherine Lassagne pour en payer deux cents à Mme Lacôte. Quelques minutes après, Mr le Curé vint me voir, il me dit : « Nous avons trouvé de l’argent, mais beaucoup, en louis d’or et en pièces de cinq francs. (1524) Oh ! comme le bon Dieu est bon, nous avons beaucoup à le remercier. - Vous voyez bien que le bon Dieu vous veut ici, puisqu’il fait des miracles pour venir à votre secours. – Oh ! ce qu’il fait ici, il pourrait bien le faire ailleurs. Quand St Vincent de Paul allait faire de côté et d’autre ses fondations, la Divine Providence le suivait partout. » Je l’accompagnai dans sa chambre : « Mais enfin, où avez-vous trouvé cet argent ? Est-ce dans le tiroir de cette table ? – Je l’ai bien trouvé quelque part, répondit-il. Tenez, encore ce matin, une dame m’a donné une poignée d’écus. » Je dressai un procès verbal que je fis signer par les directrices de la Providence. Mr le Curé dit à Catherine Lassagne de se le procurer et de le brûler. Elle exécuta sa volonté.
Le soir du jour où cette pièce avait été brûlée, j’en parlai à Mr le Curé qui me dit : « Je suis sûr que vous avez fait un sacrifice en cédant cette pièce ? – Oui, lui répondis-je. – Bah ! ce n’est rien, ajouta-t-il, c’est bien arrivé d’autres fois. Et comment pourrais-je me glorifier de ces choses-là, moi qui crains tant de me damner. » Dans une autre circonstance, il me dit : « Un pauvre curé comme moi n’aurait pas pu nourrir tant de personnes, si le bon Dieu n’était pas venu à mon secours à mesure que le besoin se faisait sentir. » Je tiens ceci de sa bouche. Un jour, il s’inquiétait et ne savait comment nourrir tant de personnes ; il entendit une voix qui lui disait : « Que t’a-t-il manqué jusqu’à ce jour ? »
Témoin de tous ces faits, et prévoyant qu’un jour l’église aurait à s’occuper de la béatification et de la canonisation du saint Curé, j’engageai fortement les directrices de la Providence et Catherine Lassagne en particulier à tenir note des faits remarquables qu’elles voyaient avec toutes les circonstances de lieu, de temps et de personnes nécessaires. J’ajoutai que leur témoignage pourrait être un jour d’une grande valeur. Jeanne Marie Chanay répondit : « Nous aurions donc bien à faire ! »
(1525) J’avais été tellement frappé pendant mon séjour à Ars des conversations que j’avais eues avec le saint Curé, des paroles que j’avais entendues et des choses que j’avais vues, que j’avais mis par écrit ses pensées, en me servant autant que possible des mêmes expressions et des pratiques de piété qu’il suivait et qu’il recommandait. J’eus l’intention de faire imprimer mon travail. Je vins à Belley pour le communiquer à Mgr Devie. Le prélat, profitant de cette circonstance pour avoir mon opinion sur Mr Vianney, me dit : « Que pensez-vous du Curé d’Ars ? – Je le crois un saint, répondis-je. » Mgr ajouta : « Je pense comme vous. »
Avant de quitter Ars, lors de mon dernier séjour, je voulus une dernière fois me confesser au saint Curé. Il me donna pour pénitence de ne rien dire de ce que j’avais vu ou entendu à Ars le concernant. Je fus très étonné de cette pénitence, car j’avais mis par écrit tout ce que j’avais vu et je désirais en faire usage dans l’intérêt de la gloire de Dieu. Je me permis à cet égard de lui faire une observation. Il répondit : « Eh ! bien pactisons, vous ne parlerez pas de moi dans le diocèse de Belley et de Lyon où je suis connu. Quant aux autres diocèses peu importe, on ne me connaît pas. »
Il me communiqua une pensée, féconde en bons résultats pour le soulagement des âmes du purgatoire. C’était d’avoir dans chaque famille un tableau où seraient inscrits les noms des ancêtres, des parents et des amis défunts, afin qu’on pensât à prier pour eux en ayant sous les yeux leurs noms et par-là même leur souvenir.
Voilà ce que j’avais à déposer.
Qua responsione accepta, omissis coeteris Interrogatoriis, completum esse examen praedicti testis decreverunt Rmi Judices delegati, et per me Notarium Actuarium de mandato
Abbé Alexis Tailhades
Dominationum suarum Rmarum perlecta fuit integra depositio ab ipso emissa, qua per ipsum bene audita et intellecta, illam in omnibus confirmavit, addeindo tamen eaque sequntur et que (1526) ad dictamen Rmi Vicarii Generalis ego Notarius Actuarius scripsi de verbo ad verbum :
Il y avait parmi les pièces de monnaie que Mr le Curé d’Ars avait apportées à la Providence dans la circonstance dont j’ai parlé plus haut, une pièce de quarante francs en or. Je me l’étais procurée en donnant une somme égale en argent. Je dis à Mr le Curé : « Mais il y avait une pièce d’or parmi les pièces de cinq francs que la Providence vous a envoyées. Je la garde plus précieusement qu’une relique de saint, parce qu’on peut facilement se procurer des reliques, mais il est difficile de se procurer de l’argent céleste. - Ah ! pour le coup, répliqua-t-il, vous pouvez bien l’appeler argent céleste .» Cette réponse, sortant d’une bouche aussi vénérable, confirma en moi la pensée du miracle.
(1527) Quibus peractis, injunctum fuit praedicto testi, ut se subscriberet, prout ille statim, accepto calamo se subscripsit ut immediate sequitur.
Ita pro veritate deposui
Alexius Tailhades
Ars Procès informatif 1485