Augustin, du Baptême - CHAPITRE XXXVII.OPINION DE LUCIUS D'AUSAFA.

CHAPITRE XXXVII.OPINION DE LUCIUS D'AUSAFA.

72. «Puisque, selon ma conviction fondée sur les oracles du Saint-Esprit, il y a un seul Dieu, Père de Notre-Seigneur Jésus-Christ, un seul Christ, une seule espérance, un seul Esprit, une seule Eglise, il ne doit non plus y avoir qu'un seul baptême. Voilà pourquoi je déclare que tout ce qui se fait ou se donne par les hérétiques doit être regardé comme nul de plein droit, et par conséquent il est absolument nécessaire de baptiser dans l'Eglise ceux des hérétiques qui demandent à y entrer».

73. On doit donc annuler également le baptême conféré par ceux qui entendent la parole de Jésus-Christ sans l'accomplir, lorsqu'ils renoncent à l'iniquité pour revenir à la justice, c'est-à-dire lorsqu'ils se séparent du (183) sable pour venir s'établir sur la pierre. Pourtant leur baptême n'est point invalidé, parce qu'on reconnaît que c'est le baptême de Jésus-Christ et qu'il ne saurait être violé par l'iniquité de ceux qui le possèdent. On doit en dire autant du baptême des hérétiques. Sans doute l'espérance n'est pas absolument la même pour ceux qui demeurent sur le sable, que pour ceux qui demeurent sur la pierre; cependant pour les uns et pour les autres le baptême est absolument le même, quoiqu'en principe on n'admette qu'un seul baptême comme on n'admet qu'une seule espérance.


CHAPITRE XXXVIII.OPINION DE FÉLIX DE GURGITE.

74. «Appuyé sur les oracles de la sainte Ecriture, je déclare que tous ceux qui ont été baptisés illicitement par des hérétiques hors de l'Eglise, ont besoin, s'ils veulent entrer dans l'Eglise, d'y recevoir la grâce du baptême, car ce n'est que dans l'Eglise qu'elle est donnée licitement».
75. Je vais plus loin et je dis qu'ils doivent commencer à posséder licitement pour leur salut ce qu'ils possédaient illicitement pour leur condamnation. En effet, lorsqu'un pécheur revient à Dieu dans toute la sincérité de son âme, il se trouve pleinement justifié par ce même baptême qui n'était pour lui jusque-là qu'un titre de condamnation, parce qu'en le recevant il n'avait renoncé au siècle que du bout des lèvres et non point par ses oeuvres.


CHAPITRE XXXIX.OPINION DE PUSILLUS DE LAMASBA.

76. «Je crois que le baptême salutaire ne se trouve que dans l'Eglise catholique. En dehors de l'Eglise, ce sacrement n'est plus qu'une feinte et un simulacre».
77. Il est très exact de dire que «le baptême salutaire ne se trouve que dans l'Eglise catholique». Il peut se trouver hors de l'Eglise, mais il n'y est point salutaire, car il n'y opère pas le salut. De même, si la bonne odeur de Jésus-Christ n'est point salutaire dans ceux qui périssent (2Co 2,15), la faute en est, non point à cette odeur, mais aux coupables eux-mêmes. «Tout ce qui se fait hors de l'Eglise catholique n'est que feinte et simulacre», en tant du moins qu'il n'est pas catholique. Or, il peut y avoir quelque chose de catholique hors de l'Eglise catholique, comme le nom de Jésus-Christ a pu être invoqué hors de l'assemblée des disciples, puisque c'est par la vertu seule de ce nom que pouvait chasser les démons celui qui ne marchait pas avec les disciples à la suite de Jésus-Christ (Mc 9,37). D'un autre côté, la dissimulation peut exister jusque dans l'Eglise catholique; elle existe en effet de la part de tous ceux qui ne renoncent au siècle que du bout des lèvres et non point par leurs oeuvres; et pourtant cette dissimulation n'est point catholique, quoiqu'elle se fasse dans J'Eglise catholique. De même donc qu'il peut y avoir dans l'Eglise catholique quelque chose qui ne soit pas catholique, de même peut-il y avoir quelque chose de catholique hors de l'Eglise catholique.


CHAPITRE XL.OPINION DE SALVIANUS DE GAZAUFALA.

78. «II est certain que les hérétiques sont privés de tout; voilà pourquoi ils viennent à nous afin de recevoir ce qu'ils n'avaient pas».
79. Je réponds: On ne saurait donc regarder comme hérétiques ceux qui ont établi les hérésies, car en se séparant de l'Eglise ils possédaient ce qu'ils y avaient reçu. S'il est absurde de nier le titre d'hérétique à ceux qui rendent les autres hérétiques, on doit conclure qu'un hérétique peut posséder tel ou tel bien, en ajoutant que l'abus qu'il en fait devient pour lui une cause de damnation.


CHAPITRE XLI.OPINION D'HONORATUS DE TUCCA.

80. «Puisque Jésus-Christ est la vérité, nous devons suivre la vérité plutôt que la coutume, et par conséquent donner le baptême de l'Eglise à ceux des hérétiques qui viennent à nous, car hors de l'Eglise ils n'ont rien pu recevoir».
81. Nouveau témoignage sur l'existence de cette antique coutume, car tout ce que l'on peut dire contre cette coutume prouve réellement en notre faveur. Les hérétiques ne viennent point à nous parce qu'ils n'ont rien reçu hors de l'Eglise; ils y viennent pour que les (184)sacrements qu'ils ont reçus leur profitent, car autrement ils ne leur seraient d'aucune utilité.


CHAPITRE XLII.OPINION DE VICTOR D'OCTAVE.

82. «Vous le savez vous-mêmes, je viens à peine de recevoir l'onction épiscopale, et j'attendais la décision de mes prédécesseurs. Je déclare donc que l'on doit baptiser tous ceux qui viennent de l'hérésie».
83. Il peut donc aussi s'appliquer à lui-même la réponse que j'ai faite à ceux dont il attendait la décision.


CHAPITRE XLIII.OPINION DE CLARUS DE MASCULA.

84. «Rien de plus formel que la mission confiée aux Apôtres par Notre-Seigneur Jésus-Christ, leur conférant à eux seuls la puissance qu'il avait reçue de son Père. Or, nous sommes les successeurs des Apôtres, gouvernant l'Eglise de Dieu avec la même puissance, et baptisant la foi de ceux qui croient. Par conséquent les hérétiques n'ont aucune puissance au dehors, n'appartiennent pas à l'Eglise de Jésus-Christ, et dès lors ne peuvent conférer à personne le baptême du Sauveur».
85. Les impies homicides sont-ils donc les successeurs des Apôtres? Pourquoi dès lors donnent-ils le baptême? Est-ce parce qu'ils ne seraient pas hors de l'Eglise? Mais ils sont hors de cette pierre à laquelle le Seigneur a confié les clefs du royaume des cieux, et sur laquelle il avait promis de bâtir son Eglise (Mt 16,18-19).


CHAPITRE XLIV.OPINION DE SÉCUNDIANUS DE THAMBÉE.

86. «Gardons-nous bien de tromper les hérétiques par notre présomption; car n'ayant point été baptisés dans l'Eglise de Notre-Seigneur Jésus-Christ, et n'ayant point obtenu la rémission de leurs péchés, ils pourraient bien, lorsque viendra le jour du jugement, nous faire un crime de ne pas leur avoir donné le baptême et de les avoir privés de l'indulgence de la grâce divine. Ainsi donc, puisqu'il n'y a qu'une seule Eglise et un seul baptême, empressons-nous, quand ils se convertissent, de leur «procurer l'Eglise et le baptême de l'Eglise».
87. Quand ils seront revenus à la pierre et associés à la colombe, qu'ils reçoivent cette rémission des péchés, à laquelle ils ne pouvaient prétendre hors de la pierre et hors de la colombe, soit qu'ils fussent publiquement séparés, comme sont les hérétiques, soit qu'ils fussent dans l'unité, comme sont les mauvais catholiques. Toutefois, s'ils n'avaient pas la rémission des péchés, il est certain qu'ils avaient et conféraient le baptême, car ils baptisent en général tous ces pécheurs endurcis dans leur iniquité et honorant Dieu du bout des lèvres, tandis que leur coeur était loin de lui (Is 19,13) «. Ainsi donc, quoiqu'il n'y ait qu'un seul baptême comme il n'y a qu'une seule colombe, cependant le baptême est commun aux catholiques et aux hérétiques, tandis que la colombe ne reconnaît pour membres que les justes et les élus.


CHAPITRE XLV.OPINION D'AURÉLIUS DE CHULLABI.

88. «Nous lisons dans l'épître de saint Jean: Si quelqu'un vient vers vous et ne fait pas profession de cette doctrine de Jésus-Christ, ne le recevez pas dans votre maison et ne le saluez pas. Car celui qui le salue participe à ses mauvaises actions (2Jn 10,11). Comment donc peut-on pousser la témérité jusqu'à recevoir dans la maison de Dieu ceux à qui nous refuserions l'entrée de notre propre demeure? Ou bien comment pouvons-nous rester en communion avec ces hommes privés du baptême de l'Eglise, quand ce serait nous rendre participants de leurs mauvaises actions, s'il nous arrivait seulement de les saluer?»
89. Nous n'avons pas besoin de discuter longtemps ces paroles de l'apôtre saint Jean, car elles n'ont aucun rapport avec la question du baptême que nous traitons en ce moment. ««Si quelqu'un vient vers vous et ne fait pas profession de cette doctrine», dit l'Apôtre. Or, nous parlons d'hérétiques qui renoncent à leur erreur et embrassent la doctrine de Jésus-Christ, afin de se faire incorporer à l'Eglise et d'appartenir à cette colombe, dont ils possèdent déjà le sacrement. Par ce moyen, ils reçoivent ce qu'ils n'avaient pas encore, c'est-à-dire la paix et la charité procédant d'un (185) coeur pur, d'une bonne conscience et d'une foi véritable (1Tm 1,5). Ce qu'ils ont reçu de l'Eglise, nous le ratifions sans crainte et sans hésitation; c'est ainsi que Dieu lui-même reconnaît ses propres dons dans une âme adultère, alors même qu'elle se précipite sur les traces de ses complices; et quand elle a renoncé à ses honteuses fornications, quand elle est revenue à la chasteté, Dieu s'empresse, non pas d'incriminer ses dons, mais de les purifier de toutes les souillures dont ils étaient environnés (Os 2). La réponse que Cyprien pouvait faire à ceux qui lui opposaient ces paroles de l'Apôtre et lui reprochaient de rester en communion avec les pécheurs, conserve toute sa force pour justifier ceux à qui l'on oppose la même difficulté. Car, je l'ai déjà dit, ce passage n'a nullement trait à la question du baptême. En effet, saint Jean défend même de saluer ceux qui professent une doctrine opposée à celle de Jésus-Christ; de son côté, l'apôtre saint Paul va jusqu'à s'écrier: «Si l'un de vos frères est avare, ivrogne, etc., gardez-vous de manger avec lui (1Co 5,11)»; et cependant, à l'égard de ses collègues, usuriers, trompeurs, fraudeurs, voleurs, Cyprien partageait avec eux, non point sa propre table, mais l'autel du Seigneur. Quant à ses moyens de justification, nous les avons développés suffisamment dans d'autres livres précédents.

CHAPITRE XLVI.OPINION DE LITTEUS DE GÉMELLE.

90. «Si un aveugle conduit un aveugle, ils tomberont tous deux dans la fosse (Mt 15,14). Il est certain que les hérétiques ne peuvent éclairer personne, puisqu'ils sont aveugles; par conséquent leur baptême est invalide».
91. Nous aussi nous disons que leur baptême ne leur procure pas le salut tant qu'ils restent hérétiques, pas plus qu'il ne peut le procurer aux homicides tant qu'ils nourrissent de la haine contre leurs frères. Ils sont dans les ténèbres et ne peuvent que tomber dans la fosse avec ceux qu'ils conduisent. Et cependant il ne suit pas de ]à qu'ils ne possèdent pas le baptême ou qu'ils ne puissent le donner.


CHAPITRE XLVII.OPINION DE NOEL D'OËA.

92. «Pour ce qui me regarde moi-même, et en ce qui concerne Pompeius de Sabrata, et Dioga de Leptimagnum dont je suis le mandataire, et qui sont absents de corps, mais présents d'esprit, je déclare que nous partageons la doctrine de nos collègues et que nous soutenons avec eux que les hérétiques ne peuvent entrer en communion avec nous qu'à la condition de recevoir le baptême ecclésiastique».
93. Je suppose que cet évêque entend parler de la communion dans la société de la colombe. Car s'il s'agit de la participation aux sacrements, cette communion existait, puisqu' «ils ne jugeaient personne et s'abstenaient de priver du droit de communion celui qui partageait une opinion contraire». D'ailleurs, quelque sens qu'il ait voulu donner à ses paroles, la réfutation nous en devient des plus faciles. Non certes, un hérétique ne doit pas être admis dans la communion de l'Eglise, à moins qu'il n'ait reçu le baptême ecclésiastique. Or, il est certain que le baptême des hérétiques est bien le baptême ecclésiastique, dès qu'il est conféré dans la forme évangélique; l'Evangile, de son côté, est toujours l'Evangile ecclésiastique, absolument indépendant de la perversité des hérétiques, et toujours orné de la sainteté qui lui est essentielle.


CHAPITRE XLVIII.OPINION DE JUNIUS DE NÉAPOLIS.

94. «Je persévère dans l'opinion que nous avons émise, et je déclare que nous devons baptiser les hérétiques qui reviennent à l'Eglise».
95. Nous n'avons pas à nous arrêter plus longtemps à ces paroles, puisqu'elles n'énoncent aucune raison ni aucun texte de l'Ecriture.

CHAPITRE XLIX.OPINION DE CYPRIEN DE CARTHAGE.


96. «J'ai complètement formulé mon opinion dans ma lettre à notre collègue Jubaianus; parlant des hérétiques qui nous sont désignés dans l'Evangile et dans les écrits des Apôtres sous le nom d'adversaires du Sauveur et d'antéchrists, j'ai déclaré que ceux (186) qui demandent à entrer dans l'Eglise doivent recevoir l'unique baptême de l'Eglise, afin que d'adversaires qu'ils étaient, ils deviennent des amis, et que d'antéchrists ils deviennent des chrétiens».
97. Je n'ai pas à discuter cette doctrine, puisque j'ai réfuté avec tout le soin possible cette lettre à Jubaianus, dont elle n'est que le résumé. Ce raisonnement de Cyprien, nous nous souvenons qu'on peut l'appliquer à tous ces pécheurs dont il nous signalait la présence dans l'Eglise et qui cependant, personne n'en doute, possédaient le baptême et pouvaient le conférer validement. Eux aussi, ces pécheurs, reviennent à l'Eglise, ils quittent le parti du démon pour passer dans le camp de Jésus-Christ, ils bâtissent sur la pierre, ils sont incorporés à la colombe, ils trouvent un abri assuré dans le jardin fermé, dans la fontaine scellée. Or, ce n'est pas là que se trouvent ceux qui vivent en opposition avec les préceptes de Jésus-Christ, à quelque drapeau qu'ils appartiennent.Dans sa lettre à Magnus et traitant le même sujet, Cyprien nous désigne clairement de quelle société se compose l'Eglise. En effet, voici comme il s'exprime sur la personne de tel pécheur: «Qu'il soit regardé comme un étranger et un profanateur de la paix du Seigneur, comme l'ennemi de l'unité divine, et n'habitant pas dans la maison de Dieu, c'est-à-dire dans l'Eglise de Jésus-Christ qui ne compte dans son sein que des hommes pacifiques et amis de la concorde ( Cyp., Lettre LXIX. )». Ces paroles méritent la plus sérieuse attention de la part de ceux qui voudraient nous imposer leur opinion sur la foi seule de Cyprien. Si l'Eglise ne compte dans son sein que des hommes pacifiques et amis de la concorde, peut-on regarder comme habitant dans cette Eglise, quoique extérieurement ils paraissent appartenir à l'unité, ceux qui annonçaient Jésus-Christ sans charité, par esprit de contention et de jalousie; ceux que Cyprien lui-même regardait, après l'apôtre saint Paul, non pas comme des hérétiques ou des schismatiques, mais comme de faux frères appartenant comme lui à l'unité (Ph 1,15-17)? De tels ministres ne devaient assurément pas baptiser, puisqu'ils n'habitaient pas dans l'Eglise, dans laquelle n'habitent, selon Cyprien, que ceux qui aiment la concorde et la paix; je ne suppose pas, en effet, que l'on porte l'absurdité jusqu'à dire que des hommes jaloux, malveillants, disputeurs obstinés, aiment la concorde et la paix; et cependant ces ministres jaloux et malveillants donnaient le baptême, et quelle que fût leur perversité, elle ne portait atteinte ni à l'intégrité ni à la sainteté essentielles du sacrement dont ils étaient les dispensateurs.


CHAPITRE L.UNE LETTRE DE CYPRIEN A MAGNUS.

98. Mais je crois utile d'examiner sérieusement ce passage de la lettre de Cyprien à Magnus. En voici l'enchaînement: «Qu'il soit regardé comme n'habitant pas dans la maison du Seigneur, c'est-à-dire dans l'Eglise de Jésus-Christ, dans laquelle n'habitent que ceux qui aiment la concorde et la paix, selon cette «parole du Saint-Esprit dans les psaumes: Dieu qui fait habiter dans sa maison ceux qui «n'ont entre eux qu'un seul coeur et qu'une seule âme (Ps 67,7) . D'ailleurs les sacrifices mêmes du Seigneur nous font connaître clairement que le caractère propre des chrétiens, c'est l'unanimité, l'union la plus intime dans une charité ferme et inséparable. Ainsi Jésus-Christ donne à son corps le nom de pain (Jn 6,52), pour nous montrer que si le pain est formé du mélange d'un grand nombre de grains, le peuple chrétien ne doit former qu'un seul peuple parfaitement uni, malgré la multiplicité de ses membres. De même le Sauveur donne à son sang le nom de vin (Mt 26,26-29), pour nous montrer que si le vin est formé par le jus d'un grand nombre de raisins, la société chrétienne est également formée par l'union d'une multitude d'hommes en un seul et même troupeau».Ces paroles de Cyprien nous prouvent qu'il a compris et aimé la splendeur de la maison de Dieu, maison exclusivement formée de ceux qui aiment la concorde et la paix, comme le prouvent les oracles des Prophètes, et la signification symbolique des sacrements. Or, dans cette demeure n'habitaient pas ces ministres jaloux, ces malveillants sans charité, qui cependant conféraient le baptême. Il suit de là que le sacrement de Jésus-Christ peut être possédé et conféré par ceux mêmes qui ne sont pas dans l'Eglise de Jésus-Christ, car (187) il n'y a pour l'habiter, dit saint Cyprien, que ceux qui aiment la paix et la concorde. En vain l'on dirait que les pécheurs peuvent baptiser lorsque leurs crimes restent secrets; saint Paul ne connaissait-il pas les crimes de ceux qu'il signale avec tant d'énergie dans son épître? et cependant il proclame qu'il éprouve une grande joie parce qu'il apprend que Jésus-Christ est annoncé, ne fût-ce que par de semblables ministres. «Pourvu», dit-il, «que Jésus-Christ soit annoncé de quelque manière que ce soit, par occasion ou par un vrai zèle, je m'en réjouis et m'en réjouirai toujours (Ph 1,18).


CHAPITRE LI.LES BONS ET LES MÉCHANTS DANS LA MAISON DE DIEU.

99. Après les considérations qui précèdent, je crois n'être point téméraire quand je soutiens que parmi ceux qui sont dans la maison de Dieu, il en est qui constituent la maison même de Dieu, dont on nous dit qu'elle est bâtie sur la pierre (Mt 16,18); qu'elle est la colombe unique (Ct 6,8);qu'elle est l'épouse belle, sans tache et sans ride (Ep 5,27), le jardin fermé, la fontaine scellée, la source d'eau vive, le paradis aux fruits abondants (Ct 4,12-13); et enfin qu'elle a reçu les clefs et le pouvoir de délier et de lier (Mt 16,19). Que celui qui méprise cette maison quand elle le reprend et le corrige, «soit pour vous comme un païen et un publicain (Mt 18,17)». C'est de cette maison qu'il est dit: «Seigneur, j'ai aimé l'éclat de votre maison, et le lieu de l'habitation de votre gloire (Ps 25,8), Dieu qui fait habiter dans sa maison ceux qui n'ont entre eux qu'une seule âme (Ps 67,7); je me suis réjoui parce qu'il m'a été dit: Nous irons dans la maison du Seigneur (Ps 121,1); bienheureux, Seigneur, ceux qui habitent dans votre maison, ils vous loueront dans les siècles des siècles (Ps 83,5)»; et une multitude d'autres choses semblables. Il est dit également de cette maison qu'elle est le froment qui, par la patience, rapporte du fruit au trentième, au soixantième, voire même au centuple (Mt 23,23 Lc 8,15). Cette maison est enrichie de vases d'or et d'argent (2Tm 2,20), de pierres précieuses et de bois incorruptibles. C'est à elle qu'il est dit: «Vous supportant réciproquement dans la charité; vous appliquant à conserver l'unité d'esprit dans le lien de la paix (Ep 4,2-3); le temple de Dieu est saint, et c'est vous qui êtes ce temple (1Co 3,17)».Cette Eglise est composée des justes et des bons serviteurs de Dieu, dispersés sur toute la terre et unis entre eux spirituellement par la participation aux mêmes sacrements, peu importe d'ailleurs qu'ils se connaissent physiquement ou qu'ils ne se connaissent pas. D'autres habitent la même demeure, mais sans entrer aucunement dans la construction même de la maison, sans faire partie de cette société féconde, pacifique et juste; ils y sont comme la paille se trouve mêlée au froment, et pourtant nous ne pouvons nier leur présence, car l'Apôtre a dit: «Dans une grande maison se trouvent non-seulement des vases d'or ou d'argent, mais encore des vases de bois ou d'argile; les uns sont des vases d'honneur et les autres des vases d'ignominie (2Tm 2,20)». Dans cette innombrable multitude, non seulement le petit nombre des saints se sent accablé par la foule, mais il arrive parfois que les filets se rompent pour laisser un libre passage aux hérésies et aux schismes jusque-là restés extérieurement fidèles à l'unité, et qui étaient plutôt dans la maison qu'ils n'étaient de la maison. N'est-ce pas à eux, en effet, que s'applique cette parole: «Ils nous ont quittés, mais ils n'étaient pas d'avec nous (Jn 2,19)?» La raison en est que, malgré leur union corporelle, ces hérétiques et ces schismatiques sont en réalité plus séparés que ne le sont spirituellement ceux qui dans l'unité s'abandonnent à une vie charnelle et animale.


CHAPITRE LII.LE BAPTÊME DANS SES DIFFÉRENTES CONDITIONS.

100. De toutes ces catégories, la première comprend tous ceux qui, se trouvant dans la maison de Dieu, y forment cette maison elle-même, soit parce qu'ils sont déjà spirituels, soit parce qu'ils ne sont encore que des enfants se nourrissant jusque-là du lait spirituel, mais aspirant généreusement à prendre les habitudes de l'homme spirituel. Or, personne ne doute que les chrétiens qui forment cette première catégorie ne possèdent utilement le baptême et ne le confèrent utile. ment à ceux qui marchent sur leurs traces. La seconde classe renferme ces hypocrites (188) dont l'Esprit-Saint a horreur; ceux-là, pour ce qui les concerne, peuvent conférer utilement le baptême, mais c'est inutilement qu'ils le reçoivent, car ils n'imitent pas les justes qui le leur confèrent. Enfin, la troisième catégorie comprend tous ceux qui ne sont dans la grande maison que comme des vases d'ignominie; ceux-là possèdent inutilement le baptême et le confèrent inutilement à ceux qui les imitent. Cependant le baptême, quoique conféré par eux, ne laisse pas d'être utile à ceux qui s'attachent à la sainte maison et refusent de les imiter dans leurs dispositions et leur conduite.Quant à ceux qui sont entièrement séparés et qui ne sont pas plus dans la maison qu'ils ne sont de la maison, c'est inutilement qu'ils possèdent et qu'ils confèrent le baptême, à moins qu'il n'y ait nécessité de le leur demander, et qu'en le leur demandant on ait la ferme volonté de ne point se séparer de l'unité. Toutefois, ces hérétiques déclarés possèdent le baptême, quoiqu'ils le possèdent inutilement; ils le confèrent validement, quoiqu'en général il soit inutile à ceux qui le reçoivent. Pour que le baptême recouvre son efficacité, ils doivent renoncer au schisme ou à l'hérésie, et s'unir intimement à la maison véritable. Telle est la conduite que doivent suivre, non-seulement les hérétiques et les schismatiques, mais encore tous ceux qui ne sont dans la maison que par leur participation aux sacrements, et qui sont hors de la maison par le désordre de leurs moeurs. Qu'ils se convertissent, s'ils veulent que les sacrements leur soient utiles, autrement ils n'en retireraient aucun fruit.

CHAPITRE LIII.LE BAPTÊME DONNÉ PAR UN INFIDÈLE.

101. On a coutume de demander si l'on doit ratifier le baptême donné par un infidèle qui aurait porté la curiosité jusqu'à apprendre la manière de le conférer. Dans ce cas encore, est-il important de savoir dans quelles dispositions était le sujet? agissait-il avec dissimulation ou sans dissimulation? Supposé qu'il eût agi avec dissimulation, voulait-il tromper l'Eglise ou ce qu'il croyait être l'Eglise? Voulait-il seulement rire, comme-font quelquefois les bouffons? Recevoir, fallacieusement le baptême dans l'Eglise, est-ce un plus grand crime que de le recevoir sérieusement dans le schisme ou l'hérésie? Enfin qu'arriverait-il si, après avoir demandé fallacieusement le baptême à un hérétique ou sérieusement à un bouffon, Dieu permettait que des sentiments de piété sincère survinssent tout à coup pendant la cérémonie? A vrai dire, si nous comparons cet hérétique à celui qui reçoit fallacieusement le baptême dans l'Eglise catholique, je m'étonnerais que l'on doutât auquel des deux on doit donner la préférence, car je ne vois pas que la sincérité du ministre puisse être de quelque utilité à l'hypocrisie du sujet. Mais nous supposons ici l'hypocrisie réciproque de la part du ministre et de la part du sujet dans l'unité catholique, et nous demandons si le baptême donné dans de telles conditions doit être préféré à celui qui serait conféré par un bouffon, en supposant que le sujet subitement converti le reçoive dans de bonnes dispositions. Nous demandons, quant à ce qui concerne les hommes eux-mêmes, s'il y a une grande différence entre celui qui s'en remet à un bouffon, et celui qui tourne en dérision les sacrements de l'Eglise. Pour ce qui regarde l'intégrité du sacrement, elle ne saurait être aucunement compromise. Or, s'il n'importe nullement à l'intégrité du sacrement dans l'Eglise catholique que l'un des deux, le ministre ou le sujet, agisse sérieusement ou par hypocrisie, pourvu que tous deux accomplissent ce qui est essentiellement nécessaire; je ne vois pas pourquoi l'on admettrait une différence quand il s'agit du baptême conféré hors de l'Eglise, en supposant toutefois que le changement subit qui s'opère dans le sujet lui soit inspiré, non point parla dissimulation, mais par un sentiment de piété véritable. Est-ce que la validité du baptême dépend plus de la véracité de ceux dans la société desquels il est conféré, que sa nullité ne dépend de l'hypocrisie de ceux par qui ce sacrement est conféré et dans lesquels il s'accomplit? Et cependant, si plus tard de tels faits viennent à se dévoiler, jamais on ne réitère le baptême, et cette dissimulation sacrilège est punie par l'excommunication ou guérie par une sévère pénitence.
102. Mais pour nous, le parti le plus sûr c'est de ne point nous prononcer sur des questions qui ne furent jamais ni engagées dans un concile provincial catholique, ni résolues dans aucun concile général. Au contraire, nous nous prononçons en toute assurance sur toutes les décisions confirmées par (189) l'autorité de l'Eglise universelle, toujours dirigée par Jésus-Christ notre Sauveur et notre Dieu. Toutefois, si j'assistais à un concile où de semblables questions seraient soulevées, et si je me trouvais pressé de donner mon avis sans avoir à m'en rapporter à des antécédents que je voulusse suivre de préférence; si enfin je persévérais dans les sentiments qui m'ont inspiré jusque-là, je n'hésiterais pas à reconnaître la validité du baptême dans tous ceux qui l'ont reçu, de quelque manière que ce soit, pourvu que ce sacrement leur ait été donné selon la forme évangélique, et pourvu qu'ils s'y soient présentés sans dissimulation de leur part et avec une certaine foi. J'ajouterais néanmoins que ce même sacrement ne leur est d'aucune utilité pour le salut spirituel, si en le recevant ils manquaient de cette charité qui est une condition nécessaire pour appartenir à l'Eglise catholique. «Quand j'aurais», dit l'Apôtre, «toute la foi possible et capable de transporter les montagnes, si je n'ai pas la charité, je ne suis rien (1Co 13,2). Appuyé sur les décrets antérieurs de nos ancêtres, je n'hésite pas à ratifier comme valide le baptême de ceux qui l'ont reçu fallacieusement, mais qui cependant l'ont reçu dans l'Eglise ou dans une secte qu'ils croyaient être l'Eglise, quoiqu'elle ne fût composée que de ceux dont il est dit: «Ils sont sortis de nos rangs (1Jn 2,19).Mais si le baptême a été conféré en dehors de toute société de croyants; si celui qui le recevait, bien loin d'avoir la foi, agissait. par un esprit de moquerie, de bouffonnerie et de raillerie, un tel baptême peut-il être reconnu comme valide? Avant de me prononcer, j'implorerais de Dieu la grâce d'une révélation particulière par des prières ardentes et de très-humbles supplications; je conjurerais humblement ceux qui devraient parler après moi, de me faire connaître tout ce qu'ils peuvent savoir sur ce point. En ce moment donc, peut-on supposer que j'ose me prononcer, sans tenir aucun compte de ce qui pourrait m'être révélé par un examen plus approfondi ou par une plus grave autorité?

CHAPITRE LIV.CONCLUSION.

103. Mais il est temps, je crois, de clore ces livres sur la question du baptême. Dans la personne de l'évêque Cyprien et de ses collègues au concile, Notre-Seigneur nous a montré de quel amour nous devons entourer l'unité catholique, car plutôt que de se séparer et de se jeter dans un schisme sacrilège, ils ont préféré vivre en communion avec ceux qui partageaient une opinion contraire, en attendant que Dieu leur révélât ce qu'ils devaient en croire (Ph 3,15). Des faits de cette importance réduisent les Donatistes à un honteux silence, lors même que nous ne parlerions pas des Maximianistes. En effet, si les méchants souillent les bons dans l'unité, Cyprien lui-même ne dut trouver aucune Eglise à laquelle il pût s'associer. Et si les méchants ne souillent pas les bons dans l'unité, le Donatiste sacrilège n'a plus aucun motif à faire valoir pour excuser sa séparation. D'un autre côté, si le baptême peut être possédé et conféré validement par ces nombreux ministres qui s'abandonnent à ces oeuvres de la chair dont les auteurs ne posséderont pas le royaume de Dieu (Ga 5,19-21), j'en conclus que ce sacrement est également possédé et conféré par les hérétiques, car l'hérésie est comptée au nombre des oeuvres de la chair, et ensuite les hérétiques, en se séparant de l'Eglise, n'ont pas perdu le baptême, et puisqu'ils le possèdent, ils peuvent le donner. Cependant ce sacrement est inutile pour ceux qui le reçoivent dans l'hérésie comme pour ceux qui le reçoivent avec l'amour des oeuvres de la chair; ni les uns ni les autres ne posséderont le royaume de Dieu. Pour les pécheurs, quand ils se convertissent, le baptême qui existait en eux commence seulement à produire ses précieux effets; il en est de même pour les hérétiques. Telles sont, en résumé, les raisons pour lesquelles ni Cyprien, ni ses collègues, attachés du fond du coeur à l'unité catholique, n'ont pu faire prévaloir leur opinion dans l'Eglise universelle. Qu'ils se soient trompés, pourquoi nous en étonner, quand nous voyons saint Pierre lui-même se tromper au sujet de la circoncision? Mais qu'ils aient persévéré dans l'unité, c'est ce qui fait l'objet de notre joie la plus vive, car avec eux nous sommes édifiés sur la pierre inébranlable contre laquelle les portes de l'enfer ne prévaudront jamais. (190)

Traduction de M. l'abbé BURLERAUX.


Augustin, du Baptême - CHAPITRE XXXVII.OPINION DE LUCIUS D'AUSAFA.