Augustin, lettres - LETTRE LV. (Année 400)

LETTRE LVI. (Année 400)

Invitation à l'étude des saintes lettres et au retour à la vraie foi.

AUGUSTIN A SON TRÈS-CHER FILS, L'ÉMINENT ET HONORABLE SEIGNEUR CÉLER (5).

1. Je n'oublie ni ma promesse ni votre désir; mais je suis obligé de partir pour visiter les Eglises confiées à mes soins, et ne puis assez tôt vous payer ma dette par moi-même. Je ne. veux pas cependant vous devoir plus longtemps, du moment que j'ai entre les mains de quoi m'acquitter envers vous. Aussi, j'ai chargé mon très-cher fils le prêtre Optat de vous lire ce que je vous ai promis, aux heures qui vous conviendront le mieux; et lorsqu'il croira pouvoir tout terminer, il s'y portera avec d'autant plus d'ardeur et de plaisir que votre Excellence l'agréera davantage. Du reste, vous comprenez, je crois, combien je vous aime et combien je veux que par d'utiles études vous vous plaisiez et vous avanciez dans la connaissance des choses divines et des choses humaines.

2. Si vous ne dédaignez pas mes soins affectueux, vous ferez, je l'espère, de tels progrès

5. Nous trouvons dans l'année 429 un proconsul en Afrique du nom de Céler. Celui à qui cette lettre est adressée était dans les grands emplois à cette époque, en l'année 400; est-ce le même personnage que le proconsul de 429? Tout porte à le croire. La façon dont saint Augustin parle à Céler dans cette lettre permet de penser que ce. personnage était jeune en 400.

dans la foi chrétienne et dans les meurs qui doivent s'accorder avec la grandeur des charges où vous êtes déjà monté, que vous attendrez, ou avec désir ou avec assurance ou au moins sans les inquiétudes du désespoir, non dans la vanité de l'erreur, mais dans la solidité de la vérité, le dernier jour de cette fumée, de cette fugitive vapeur, appelée la vie humaine, ce dernier jour auquel nul mortel ne saurait se dérober. Car autant il est certain que vous vivez, autant vous devez être assuré par la doctrine du salut, que cette vie passée dans les délices du temps, est une mort plutôt qu'une vie, en comparaison de l'éternelle vie promise par le Christ et dans le Christ. Or si vous attachez à la pureté du christianisme la haute importance que la religion commande, je ne doute pas que votre caractère ne vous tire aisément de vos engagements avec les donatistes. Rien de plus fort que les preuves qui démolissent cette erreur; les plus petits esprits peuvent s'en convaincre pourvu qu'ils écoutent avec patience et attention. Ce qui demande plus de force, c'est de rompre les liens d'une erreur devenue une habitude et une sorte d'intimité de la vie, pour embrasser une doctrine vraie à laquelle on n'est pas accoutumé. Avec l'aide et les inspirations du Seigneur notre Dieu, il n'y aura jamais à désespérer de vous, de votre libre courage, de votre coeur viril. Que la miséricorde de Dieu vous maintienne sain et sauf, éminent et honorable seigneur et fils très-cher!




LETTRE LVII. (Année 400)

AUGUSTIN A SON TRÈS-CHER FILS, L'HONORABLE ET DIGNE SEIGNEUR CELER, SALUT DANS LE SEIGNEUR.

1. Je crois qu'avec un peu de réflexion votre sagesse saisit aisément que le parti de Donat n'a eu aucune bonne raison de se séparer de toute la terre, où s'étend l'Eglise catholique selon les promesses des prophètes et de l'Evangile. S'il était nécessaire d'éclaircir davantage ce point, je me souviens d'avoir donné à votre bienveillance, pour le lire, un écrit que m'avait demandé de votre part mon cher fils Cécilien (1); cet écrit est resté assez longtemps

1. Il y a ici dans le texte, à côté des mots: meus Coecilius, les mots: tuus filius, qui sont sans doute une erreur de copiste; l'évidente jeunesse de Céler, à cette époque, ne permet guère de penser qu'il ait eu alors un fils en état de lui servir d'intermédiaire auprès de saint Augustin. Le sens que nous avons adopté nous parait le plus probable.

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chez vous. Si vous avez eu la volonté ou le loisir de le lire au milieu même de vos occupations, pour vous instruire à cet égard, je ne doute pas que votre sagesse n'ait reconnu que les donatistes n'ont rien de plausible à y répondre. Et si vous gardez quelque doute, peut-être pourrons-nous vous satisfaire, autant que Dieu le permettra, ou en répondant de vive voix à vos questions, ou en vous donnant également quelque chose à lire, cher, honorable, digne seigneur et fils.

2. C'est pourquoi je vous demande de recommander l'unité catholique, dans le pays d'Hippone, à vos hommes, surtout à Paterne et à Mauruse. La vigilance de votre esprit m'est connue; il n'est pas besoin, je crois, d'insister. Lorsque vous le voudrez, vous verrez facilement à quoi s'occupent et ce que préparent les autres (1) dans vos possessions, et ce qui se passe sur vos terres. D'après ce qu'on m'a affirmé, il y a dans vos domaines quelqu'un qui est votre ami et avec lequel je désirerais bien m'entendre; ménagez-moi cet avantage, et vous serez grandement loué devant les. hommes, et grandement récompensé devant Dieu. Déjà il m'avait fait dire par un certain, Carus, notre intermédiaire, que la crainte de gens violents autour de lui l'arrêtait, et que, protégé par vous et sur vos domaines, il cesserait de les redouter: vous ne devez pas aimer en lui ce qui ne serait pas la fermeté, mais l'opiniâtreté. Car s'il est honteux de changer de sentiment quand ce sentiment est vrai et droit; il est louable et utile de le faire, quand il est insensé et nuisible; et comme la fermeté empêche l'homme de se corrompre, l'opiniâtreté l'empêche de se corriger: il faut donc louer l'une et se défaire de l'autre. Le prêtre que je vous ai envoyé vous dira plus en détail le reste. Que la miséricorde de Dieu vous garde sain et sauf et heureux, très-cher, honorable, digne seigneur et fils!

1. Les donatistes.




LETTRE LVIII. (Au commencement de l'année 401)

Saint Augustin exprime avec émotion et profondeur toute la joie que lui ont causée les exemples de foi et de courage donné par Pammachius au milieu de ses gens d'Hippone; il désirerait que les sénateurs catholiques, qui sont dans la même situation que Pammachius, en fissent autant.

AUGUSTIN A L'EXCELLENT ET ILLUSTRE SEIGNEUR PAMMACHIUS (1), SON FILS TRÈS-CHER DANS LES ENTRAILLES DU CHRIST.

1. Vos bonnes oeuvres, qui germent par la grâce du Christ, vous ont fait pleinement connaître, aimer et honorer de nous, dans ses membres. Si chaque jour je voyais votre visage, je ne vous connaîtrais pas mieux que je ne vous connais après avoir vu, dans la splendeur d'un seul acte de votre vie, votre homme intérieur, beau de paix et brillant de vérité; j'ai regardé et j'ai connu, j'ai connu et j'ai aimé; c'est à lui que je parle, à lui que j'écris, à cet ami bien-aimé qui, son corps absent, s'est rendu présent à moi. Et pourtant nous étions déjà ensemble, nous vivions unis sous tan même chef; si vous n'aviez pas pris racine dans sa charité, l'unité catholique ne vous serait pas aussi chère, vous n'adresseriez pas de tels discours à vos fermiers d'Afrique, établis au milieu de la Numidie consulaire, dans cette contrée même d'où s'est levée la fureur des donatistes, vous n'auriez pas enflammé leurs âmes de cette ferveur qui les a fait s'attacher aussitôt à vos exemples, pensant bien qu'un homme comme vous ne pouvait suivre un sentiment qu'après en avoir reconnu la vérité; vous ne les auriez pas remués au point de les faire marcher sous un même chef, malgré les longues distances qui les séparent de vous, et au point de les compter éternellement avec vous parmi les membres de Celui par les commandements de qui ils vous servent pour un temps.

2. C'est par ce fait que je vous ai connu et c'est pourquoi je vous embrasse; dans le tressaillement de ma joie, je vous félicite en Notre-Seigneur Jésus-Christ et je vous envoie cette, lettre comme une preuve de mon amour pour votes; je ne puis rien faire de plus. Mais ne prenez pas ceci, je vous prie, pour la mesure de tout mon amour; après avoir lu cette

1. C'est le sénateur romain Pammachius, gendre de Paula, mari de Pauline, ami de saint Jérome.

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lettre, allez au delà par un mouvement invisible de l'âme, allez par la pensée jusqu'au plus profond de mon coeur, et voyez ce qui s'y passe pour vous; le sanctuaire de la charité s'ouvrira à l'oeil de la charité; c'est ce sanctuaire que nous fermons aux bruyantes frivolités du monde quand nous y adorons Dieu; c'est là (lue vous verrez toutes les douceurs de ma joie pour une oeuvre aussi bonne que la vôtre; je ne puis ni les dire avec la langue ni les exprimer en vous écrivant; chaudes et brûlantes, elles se confondent avec le sacrifice de louanges que j'offre à Celui par l'inspiration de qui vous avez pu le faire. Dieu soit loué de son ineffable don (1)!

3. O qu'il y a de sénateurs comme vous, et comme vous enfants de la sainte Église; que nous voudrions voir faire en Afrique ce qui de votre part nous a tant réjoui! Il serait dangereux de les exhorter, il y a sécurité à vous féliciter. Car peut-être ne feraient-ils rien; et les ennemis de l'Église, comme s'ils noirs avaient vaincus dans leur esprit, s'en prévaudraient habilement pour séduire les faibles. Mais vous, par ce que vous avez déjà fait, vous avez confondu ces ennemis de l'Église en délivrant les faibles. Aussi me semble-t-il suffire que vous lisiez cette lettre à ceux du sénat que vous pouvez aborder avec la confiance de l'amitié et avec la liberté autorisée par une foi commune. Ils verront par votre exemple qu'on peut faire en Afrique ce que peut-être ils négligent d'entreprendre parce qu'ils le croient impossible. Je n'ai rien voulu vous dire des piéges que préparent les hérétiques dans les tourments de leurs coeurs, car j'ai ri de leur prétention de pouvoir quelque chose sur une âme comme la vôtre, qui appartient au Christ. Cependant vous entendrez raconter tout cela à mes frères, que je recommande beaucoup à votre Excellence; pardonnez à leurs craintes, mêmes vaines, dans cette grande affaire du salut inopiné de tant d'hommes, qui est votre ouvrage, et dont se réjouit l'Église catholique notre mère.

1. 2Co 9,15.




LETTRE LIX. (Année 401)

Sur la convocation d'un concile.

AUGUSTIN A SON BIENHEUREUX ET VÉNÉRABLE PÈRE VICTORIN, SON COLLÈGUE DANS L'ÉPISCOPAT, SALUT DANS LE SEIGNEUR.

1. Votre invitation m'est arrivée le cinq des ides de novembre, à la nuit; elle m'a trouvé mal disposé à me rendre au concile, et vraiment il me serait impossible d'y aller. Toutefois, il appartient à votre sainteté -et à votre gravité de juger si je comprends mal, ou si mes susceptibilités sont légitimes. J'ai vu dans cette lettre qu'on avait écrit aussi aux deux Mauritanies, et nous savons que ces provinces ont leurs primats. Si l'on voulait convoquer aussi les évêques de ces deux provinces à un concile en Numidie, on aurait dû mettre dans la lettre les noms de quelques-uns d'entre eux, qui sont les premiers; n'y trouvant pas ces noms, j'ai été fort étonné. Et quant à ce qui est des évêques numides, on à si peu tenu compte de l'ordre et du rang en écrivant, que j'ai trouvé mon nom le troisième, et cependant beaucoup d'évêques sont mes anciens. Cela est une injure pour les autres, et cela m'est odieux. De plus, notre vénérable frère et collègue Xantippe, évêque de Tagose, dit que la primatie lui est due; il passe pour primat aux yeux de plusieurs, et envoie des lettres à ce titre. Si votre sainteté est en mesure de le débouter facilement de ses prétentions à cet égard, vous auriez dû au moins ne pas omettre son nom dans votre lettre. J'aurais été étonné que ce nom fût confondu avec les autres et n'occupât point le premier rang; mais combien plus il est surprenant qu'il ne soit fait aucune mention de cet évêque, particulièrement intéressé à se trouver au concile, où devrait se régler, en premier lieu, la question de la primatie, devant tous les évêques de la Numidie!

2. Pour tous ces motifs, j'hésite à me rendre au concile; je crains que la lettre de convocation ne soit fausse, tant elle est irrégulière. Du reste, le trop peu de temps que j'ai m'empêcherait d'y aller, sans compter beaucoup d'autres pressantes affaires qui me retiennent. Je prie donc votre béatitude de m'excuser, et de vouloir bien insister avant tout, pour qu'il soit (75) décidé pacifiquement, entre votre sainteté et le vénérable Xantippe, à qui appartient la convocation du concile. Ou bien, ce qui vaudrait encore mieux, convoquez tous les deux, sans préjudice pour l'un ni pour l'autre, convoquez nos collègues, ceux surtout qui se rapprochent de vous par âge d'épiscopat, et ils prononceront aisément sur vos droits; la question sera ainsi résolue avant toute autre, entre vous en petit nombre.; une fais l'affaire jugée, on convoquera les autres évêques qui, en pareille matière, ne peuvent ni ne doivent s'en rapporter qu'au témoignage de leurs anciens, et qui, maintenant, ignorent lequel de vous deux ils doivent croire. Cette lettre, que je vous envoie, sera scellée avec un anneau représentant la face d'un homme qui regarde par côté.




LETTRE LX. (401)

Sur une affaire de discipline.

AUGUSTIN A SON BIENHEUREUX ET VÉNÉRABLE SEIGNEUR, A SON FRÈRE TRÈS-CHER, SON COLLÈGUE DANS LE SACERDOCE, AU PAPE (1) AURÈLE, SALUT DANS LE SEIGNEUR.

1. Depuis que nous nous sommes quittés, je n'ai reçu aucune lettre de votre sainteté. Je viens de lire votre lettre sur Donat et son frère, et longtemps j'ai hésité sur ce que je répondrais. Mais pourtant, après avoir repassé ce qui pouvait être le plus utile au salut de ceux que nous servons dans la vie spirituelle et chrétienne, je n'ai rien trouvé de meilleur, si ce n'est qu'il ne fallait pas ouvrir cette voie aux serviteurs de Dieu (2) et leur laisser croire trop facilement qu'ils sont choisis pour quelque chose de mieux quand leur vertu s'est altérée. Les chutes deviendront faciles aux moines, en même temps que l'ordre des clercs recevra une grande injure, si les déserteurs des monastères passent dans la milice de la cléricature, tandis que nous n'avons coutume d'y admettre que les moines les plus éprouvés et les meilleurs; on dit vulgairement: «Mauvais joueur de flûte, bon chanteur;» on dirait de même dans le peuple en se moquant de nous: «Mauvais moine, bon clerc.» Il serait déplorable

1. Saint Augustin, écrivant à Aurèle, évêque de Carthage, lui donne le titre de pape, par respect profond pour lui-même et par considération pour son siège. - 2. Les moines.

de pousser les moines à un aussi funeste orgueil; et de juger dignes d'un tel affront les clercs, dans les rangs de qui nous sommes; c'est à peine si un bon moine peut faire un bon clerc lorsque, avec un suffisant esprit de mortification, il manque de l'instruction nécessaire ou qu'il présente dans sa personne quelque irrégularité.

2. Votre béatitude est persuadée, je crois, que c'est par ma volonté que Donat et son frère sont sortis de leur monastère, afin de se rendre plus utiles à ceux de leur pays; mais cela est faux. Ils s'en sont allés d'eux-mêmes, ils ont quitté d'eux-mêmes, malgré nos efforts pour les retenir en vue de leur salut. Et comme Donat a été ordonné avant que nous ayons statué sur ce point dans le concile (1), votre sagesse peut en faire ce qu'elle veut, si par hasard il est corrigé de la perversité de son orgueil. Mais pour ce qui est de son frère, principale cause de la sortie de Donat, vous savez ce que j'en pense, et je n'en dirai rien de plus. Je n'ose contester ni avec votre sagesse, ni avec votre rang, ni avec votre charité; et j'espère que vous ferez ce qui vous paraîtra le plus utile aux membres de l'Église.

1. Ce fut au concile de Carthage, 13 septembre 401, qu'on prit à l'égard des moines la résolution rappelée ici par saint Augustin.




LETTRE LXI. (101)

Conduite de l'Église à l'égard des clercs donatistes revenus à l'unité.

AUGUSTIN, ÉVÈQUE, A SON TRÈS-CHER ET HONORABLE FRÈRE THÉODORE, SALUT DANS LE SEIGNEUR.

1. Votre bienveillance m'avait demandé comment nous recevions les clercs du parti de Donat qui se faisaient catholiques; ce que je vous répondis alors, j'ai voulu le marquer dans cette lettre à votre adresse, afin que, si quelqu'un vous questionnait sur ce point, vous puissiez montrer, écrit de ma main, ce que nous pensons et ce que nous faisons à ce sujet. Sachez donc que nous ne détestons en eux que leur séparation qui les fait schismatiques ou hérétiques, qui les met en dehors de l'unité et de la vérité de l'Église catholique; ils n'ont point la paix avec le peuple de Dieu répandu sur toute la terre et ne reconnaissent point, hors de leurs rangs, le baptême du Christ.

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Tout en condamnant leur erreur, nous reconnaissons, nous respectons et nous aimons le bien qui est en eux, c'est-à-dire le nom de Dieu et son sacrement. Nous gémissons sur les errants, et nous désirons les gagner à Dieu par la charité du Christ, afin que ce grand sacrement qu'ils portent pour leur perte, tandis qu'ils sont hors de l'Église, ils le portent pour leur salut en rentrant dans la paix catholique. Lorsqu'on aura fait disparaître le mal qui vient des hommes pour respecter dans les hommes tous les biens qui viennent de Dieu, il s'établira une fraternelle concorde, une aimable paix, et la charité du Christ vaincra dans les coeurs les inspirations du démon.

2. Ainsi quand ils reviennent à nous du parti de Donat, nous ne recevons pas ce qui est mauvais en eux, c'est-à-dire la séparation et l'erreur, mais ces mauvaises choses tombent comme les obstacles de la concorde; nous embrassons nos frères et nous demeurons avec eux, comme dit l'Apôtre, «dans l'unité de l'esprit, dans le lien de la paix (1);» nous reconnaissons en eux les biens de Dieu, le saint baptême, l'ordination, la profession de continence, le voeu de virginité, la foi de la Trinité; mais ces choses, et d'autres encore, ne servaient de rien tant que la charité y manquait. Qui peut dire qu'il a la charité du Christ, quand il n'en embrasse pas l'unité? Lors donc qu'ils reviennent à l'Église catholique, ils n'y reçoivent point ce qu'ils avaient; mais ils reçoivent ce qu'ils n'avaient pas, afin que ce qu'ils possédaient auparavant commence à leur profiter. C'est ici qu'ils reçoivent la racine de la charité dans le lien de la paix et dans la société de l'unité, pour que tous les sacrements de vérité servent à leur délivrance et non pas à leur damnation. Les sarments ne doivent point se glorifier de ne pas être du bois des épines, mais du bois de 1a vigne; car s'ils restent séparés du cep, ils seront, malgré leur belle apparence, jetés au feu. Mais l'Apôtre a dit de ces branches brisées que Dieu est assez puissant pour les enter une seconde fois (2).

C'est pourquoi, très-cher frère, montrez cette lettre, dont l'écriture vous est bien connue, à tous les donatistes qui vous témoigneront des inquiétudes sur le rang qu'ils occuperaient au milieu de nous; et s'ils veulent la garder, donnez-la leur; je prends Dieu à témoin sur mon âme, qu'en rentrant parmi nous,

1. Ep 4,3. - 2. Rm 11,23.

non-seulement ils conserveront le baptême du Christ, qu'ils ont reçu, mais encore la place qui est due à l'ordination et à la continence (1).

1. Le clergé donatiste qui revenait à l'Église catholique fut traité diversement selon les époques; saint Augustin, dans cette question, s'inspira toujours des sentiments les plus larges et les plus conciliants.




LETTRE LXII. (A la fin de l'année 394)

Sur une question de serment.

ALYPE, AUGUSTIN ET SAMSUCIUS (2), ET LES FRÈRES QUI SONT AVEC NOUS, AU BIENHEUREUX SEIGNEUR, AU TRÈS-CHER ET VÉNÉRABLE FRÈRE SÉVÈRE (3), NOTRE COLLÈGUE DANS L'ÉPISCOPAT, ET AUX FRÈRES QUI SONT AVEC VOUS.

1. Lorsque nous sommes allés à Sousane pour nous y informer de ce qu'on y a fait en notre absence et contre notre volonté, nous avons reconnu que certaines choses s'étaient passées comme nous l'avions entendu dire, et que d'autres s'étaient passées autrement; mais tout ce que nous avons appris nous a paru déplorable: nous avons, dans la mesure du secours divin, remédié à ces misères en employant tour à tour les reproches, les avertissements, les prières. Ce qui nous a le plus contristés après le départ de votre sainteté, c'est qu'on ait laissé partir nos frères sans leur donner un guide pour leur retour; veuillez le pardonner et sachez que cela a été fait plus par crainte que par mauvaise intention. Comme on croyait que notre fils Timothée les avait surtout envoyés pour vous exciter contre nous, on ne voulait rien entamer jusqu'à notre arrivée qu'on espérait en même temps que la vôtre, et on ne pensait pas qu'ils partiraient sans guide. Mais cela est mal, qui en doute? Il avait été même dit à Fossor que Timothée était déjà parti avec ces mêmes frères, et c'était faux; cela pourtant n'a pas été dit par le prêtre; et il nous a été manifestement déclaré, autant que ces choses puissent l'être, que notre frère Carcédonius a tout ignoré.

2. Mais pourquoi tous ces détails? notre fils Timothée,bouleversé de cette situation douteuse où il se trouvait malgré lui, nous fit savoir que,

2. Samsucius, évêque de Tours en Numidie, assista au concile de Carthage, en 407. - 3. Nous avons parlé, dans l'Histoire de saint Augustin, de la tendre et profonde amitié qui unissait l'évêque d'Hippone et Sévère, évêque de Milève.

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pendant que vous le pressiez de servir Dieu à Sousane, il éclata et jura qu'il ne se séparerait jamais de vous. Comme nous lui demandions ce qu'il voulait, il répondit que ce serment l'empêchait d'être là où nous désirions qu'il fût auparavant, surtout lorsqu'il pouvait en sûreté faire usage de sa liberté. Nous lui expliquâmes qu'il ne serait point coupable de parjure si, pour éviter un scandale, il arrivait, non par son fait, mais par le vôtre, qu'il ne pût pas être avec nous, car son serment regarde sa volonté et non la vôtre, et il a avoué que vous ne lui aviez rien juré vous-même; il finit par dire, comme il convenait à un serviteur de Dieu, à un fils de l'Eglise, qu'il se conformerait sans hésitation à ce que nous aurions décidé sur son compte avec votre sainteté. C'est pourquoi nous vous demandons, nous conjurons votre sagesse, par la charité, du Christ de vous souvenir de tout ce que nous avons dit et de nous réjouir par votre réponse; car nous qui sommes plus forts, si toutefois on peut oser prononcer un tel mot au milieu de tant de tentations qui nous assiégent, nous devons, comme dit l'Apôtre: «supporter les faiblesses des infirmes (1).» Notre frère Timothée n'a point écrit à votre sainteté parce que votre saint frère a dû vous dire tout ce qui s'est passé. Souvenez-vous de nous, glorifiez-vous dans le Seigneur, bienheureux, vénérable et cher seigneur et frère.

1. Rm 15,1.




LETTRE LXIII. (Fin de l'année 401)

Saint Augustin se plaint auprès de son ami et collègue sévère qu'il ait ordonné sous-diacre, pour le retenir dans son diocèse, un ecclésiastique qui avait rempli dans le diocèse d'Hippone les fonctions de lecteur.

AUGUSTIN ET LES FRÈRES QUI SONT AVEC MOI AU BIENHEUREUX ET VÉNÉRABLE SEIGNEUR SÉVÈRE, SON BIEN-AIMÉ FRÈRE ET COLLÈGUE DANS LE SACERDOCE, AINSI QU'AUX FRÈRES QUI SONT AVEC LUI,SALUT DANS LE SEIGNEUR.

1. Si je dis tout ce que l'intérêt de ma cause me force à dire, que deviendra la charité? Si je me tais, où sera la liberté de l'amitié? Après avoir hésité, je me suis décidé à vous adresser non point des reproches, mais ma justification. D'après une de vos lettres, vous vous étonnez que nous ayons voulu supporter avec douleur ce qu'une réprimande aurait pu faire cesser, comme si le mal déjà fait ne restait pas déplorable, même après qu'on y a remédié autant qu'on l'a pu, et comme s'il ne fallait pas surtout supporter ce qui une fuis reconnu mal fait ne peut pas être défait. Cessez donc de vous étonner, mon très-cher frère. Timothée a été ordonné sous-diacre à Sousane, contre mon avis et ma volonté, tandis que nous délibérions encore sur le parti qu'il fallait prendre à son égard. Je m'en afflige toujours, quoiqu'il soit retourné auprès de vous, et, en ceci, je ne me repens point d'avoir accédé à votre volonté.

2. Ecoutez ce que nous avons fait par nos reproches, nos avertissements, nos prières, avant même qu'il fût parti d'ici, afin que vous ne pensiez plus que rien n'a été blâmé avant son retour auprès de vous. D'abord, nous lui avons reproché de ne pas vous avoir obéi et d'être parti pour aller vers votre sainteté, sans avoir consulté notre frère Carcédonius, ce qui a été le commencement de notre tribulation; nous avons repris ensuite le prêtre et Vérin, parce que nous avons découvert que ce sont eux qui ont fait ordonner Timothée. A la suite de ces reproches, ils ont confessé que toutes ces choses avaient été faites mal à propos, et ont demandé leur pardon; nous aurions été dès lors impitoyables, si nous n'avions pas cru à leur repentir. Ils ne pouvaient pas faire que ce qui a été ne fût pas; le seul but de notre réprimande était de les amener à reconnaître et à déplorer leurs torts. Personne n'a échappé à nos avertissements, pour que de telles choses ne se reproduisent point, et qu'on ne s'expose pas à encourir la colère de Dieu; ensuite et principalement nous avons repris Timothée, qui se disait forcé par son serment d'aller vers vous; nous lui avons dit, et nous espérions que, prenant en considération nos entretiens à ce sujet, votre sainteté pourrait bien ne pas vouloir admettre auprès de vous quelqu'un qui était déjà lecteur ici, de peur de scandaliser les faibles, pour lesquels le Christ est mort, et de peur de blesser la discipline de l'Eglise, dont malheureusement on s'occupe si peu: ainsi dégagé de son serment, il aurait tranquillement servi Dieu, à qui nous devons rendre compte de nos actions. Nos avis ont amené notre frère Garcédonius à accepter patiemment tout ce qui sera décidé sur Timothée, (78) pour le maintien nécessaire de la discipline ecclésiastique. La correction par les prières nous touche nous-mêmes; nous recommandons à la miséricorde de Dieu notre administration et nos conseils, et si quelque indignation a mordu notre coeur, nous prions Dieu de nous guérir de sa main droite comme avec un remède souverain. Voilà comment nous avons beaucoup corrigé, soit par les reproches, soit par les avertissements, soit par la prière.

3. Et maintenant, pour ne pas rompre le lien de la charité, et pour ne pas être possédé par Satan, dont nous connaissons les desseins, que devons-nous faire, si ce n'est de vous obéir, à vous, qui avez cru qu'il était impossible de réparer ce qui s'est passé autrement qu'en rendant à votre juridiction celui en qui vous vous plaignez qu'elle ait été blessée. Notre frère Carcédonius lui-même, après un vif mouvement de dépit, pour lequel je vous demande de prier pour lui, a consenti de bonne grâce à ce parti, parce qu'il a vu le Christ dans votre personne; et, tandis que je me demandais s'il ne fallait pas retenir Timothée jusqu'à ce que je vous eusse envoyé une nouvelle lettre, c'est lui-même qui, craignant pour vous une nouvelle peine, a coupé court à ma discussion, et a non-seulement permis, mais demandé instamment que Timothée vous fût rendu.

4. Pour moi, frère Sévèxe, je remets ma cause à votre jugement, car je sais que le Christ habite dans votre coeur, et par le Christ, je vous demande de le consulter lui-même, lui qui gouverne votre âme qui lui est soumise; demandez-lui si un homme qui avait commencé à lire dans mon église, non pas une fois, mais une seconde et une troisième fois, à Sousane où il accompagnait le prêtre de ce lieu, à Tours. à Cizan, à Verbal, ne peut pas, ne doit pas être regardé comme lecteur (1). De même que nous avons réparé, comme Dieu le voulait, ce qui s'est fait malgré nous, ainsi réparez vous-même ce qui a été fait à votre insu: Dieu le veut également. Je ne crains pas que vous compreniez peu la brèche qui serait faite à la discipline ecclésiastique, si l'évêque d'une autre Eglise, qu'un clerc aurait juré de ne jamais quitter, lui permettait de rester avec lui, par la raison qu'il ne veut pas le rendre parjure. Assurément celui qui ne le souffrira

1. Le concile de Milève trancha cette question le 27 août 402. Quiconque aura lu, même une seule fois, dans une église, ne doit pas être retenu par une autre église.

point, qui ne permettra point à ce clerc de demeurer auprès de lui parce que son serment n'a pu engager que lui-même, gardera la règle de paix, sans blâme possible de personne.




LETTRE LXIV. (401)

Saint Augustin répond à un prêtre accusé et qui se plaignait de n'être pas encore jugé; il l'exhorte à ne pas lire aux fidèles dans l'église des Ecritures non canoniques, afin de ne pas donner des armes aux hérétiques et surtout aux manichéens. - On ne doit pas s'imposer par la force au troupeau dont on a cessé d'être le pasteur.

AUGUSTIN A QUINTIEN, SON CHER FRERE ET COLLÈGUE DANS LE SACERDOCE, SALUT DANS LE SEIGNEUR.

1. Nous. ne dédaignons pas de regarder les corps de moindre beauté, surtout quand nos âmes elles-mêmes n'ont pas encore atteint la beauté qu'elles auront plus tard; nous l'espérons, lorsque celui qui est beau d'une manière ineffable et en qui nous croyons maintenant sans le voir, nous apparaîtra; car nous serons semblables à lui lorsque nous le verrons comme il est (1). Si vous voulez m'écouter de bon coeur et comme un frère, je vous exhorterai à entrer dans ces sentiments et à ne pas croire votre âme assez belle; mais, selon le précepte de l'Apôtre, réjouissez-vous dans votre espérance et faites ce qu'il ajoute: «Réjouissez-vous dans votre espérance, dit-il, soyez patients dans les tribulations (2). Nous ne sommes sauvés qu'en espérance.» Et il dit encore: «L'espérance qui se voit n'est pas une espérance; ce qui se voit, qui l'espère?.. Si donc nous espérons ce que nous ne voyons pas, nous l'attendons par la patience. (3)» Que cette patience ne défaille point en vous, attendez le Seigneur dans une bonne conscience. Agissez avec courage, que votre coeur prenne une nouvelle force, et soyez ferme dans l'attente du Seigneur (4).

2. Il est bien clair que si vous veniez vers nous, sans être encore en communion avec le vénérable évêque Aurèle, vous ne pourriez pas non plus être en communion avec nous; nous garderions dans cette conduite la même charité qu'il garde certainement lui-même. Votre arrivée ici ne nous serait pas pour cela incommode;

1. 1Jn 3,2. - 2. Rm 12,12. - 3. Rm 8,24-25. - 4. Ps 32,20.

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vous devriez vous-même supporter tranquillement pour la discipline de l'Eglise la sévérité de notre réserve, quand surtout votre conscience, connue seulement de Dieu et de vous, ne vous reproche rien. C'est le poids de ses affaires et non pas un sentiment contre vous, qui a obligé Aurèle de différer le jugement de votre cause; et si ces affaires vous étaient connues comme les vôtres, vous ne seriez ni étonné ni affligé de ce retard. Je vous demande aussi de croire aux occupations qui m'accablent, parce que vous ne pouvez pas plus les connaître que celles d'Aurèle. Du reste, il y a des évêques de plus ancienne date et de plus d'autorité, et qui sont bien plus vos voisins que moi; vous pourriez plus aisément leur soumettre les causes de l'Eglise dont vous êtes chargé. Toutefois, je n'ai pas omis de parler de vos tribulations et de vos plaintes à mon vénérable et saint frère et collègue Aurèle; j'ai eu soin de lui envoyer la preuve de votre innocence par une copie de votre lettre. Quant à celle oit vous m'avez fait entendre qu'il viendrait à Badesilit (1) et où vous me témoignez des craintes de trouble et de mauvaise influence pour le peuple de Dieu, je l'ai reçue la veille ou l'avant-veille de Noël. Je n'ose m'adresser à votre peuple par une lettre; je pourrais écrire à ceux qui m'écriraient; mais comment m'adresser de mon propre mouvement à ceux qui ne sont pas confiés à mes soins?

3. Cependant ce que je vous dis à vous, qui m'avez écrit, faites-le connaître à ceux qu'il est besoin d'en instruire; et vous-même ne scandalisez pas l'Eglise en lisant au peuple des Ecritures non reçues par le canon ecclésiastique; les hérétiques, et surtout les manichéens qui, d'après ce que j'apprends, aiment à se cacher dans vos campagnes, ont coutume de renverser avec ces livres les cervelles des ignorants. J'admire que vous me demandiez de ne pas laisser admettre dans le monastère ceux des vôtres qui viendraient vers nous, conformément aux décrets du concile; et vous oubliez qu'il a été marqué dans le concile (1) quelles sont les Ëcritures canoniques qu'on doit lire au peuple de Dieu. Repassez donc le concile, et gardez bien le souvenir de tout ce que vous y lirez; vous y trouverez qu'il a été statué, non pas pour les laïques, mais pour les clercs seulement, qu'ils ne doivent pas être indifféremment

1. Concile d'Hippone, année 393, et concile de Carthage, année 91.

reçus dans un monastère. Ce n'est pas qu'il y ait été fait mention de monastère, mais le règlement porce qu'on ne doit pas recevoir des clercs étrangers, et il a été décidé dans un concile récent (1), que ceux qui s'en iraient ou seraient chassés d'un monastère, ne pourraient ni être placés à la tête d'une communauté ni être admis dans la cléricature. Si donc vous avez quelque inquiétude sur Privatien, sachez que nous ne l'avons pas encore reçu dans notre communauté, mais j'ai envoyé sa cause au vénérable Aurèle, et je me conformerai à ce qu'il aura décidé; je m'étonne qu'on puisse être réputé lecteur après avoir, à peine une seule fois, lu des Ecritures qui n'étaient pas même canoniques. Si cela suffit pour être lecteur ecclésiastique, assurément cette Ecriture est aussi ecclésiastique. Mais si cette Ecriture n'est pas ecclésiastique, quiconque l'a lue, même dans une église, n'est pas lecteur ecclésiastique. Toutefois, je m'en tiendrai pour ce jeune homme à ce qui paraîtra bon an pontife dont il a été parlé plus haut.

4. Le peuple de Vigésilis, qui nous est si cher, à vous et à moi, dans les entrailles du Christ, s'il refuse de recevoir un évêque dégradé dans un concile général de l'Afrique, fera sagement; il ne peut ni ne doit être forcé. Et quiconque le contraindra violemment montrera ce qu'il est, et fera comprendre ce qu'il était déjà quand il ne permettait pas qu'on pensât rien de mauvais sur son compté. Nul ne découvre mieux ce qu'il a été que celui qui portant le trouble et la plainte autour de lui, veut employer les puissances séculières ou des violences quelconques pour retrouver la dignité qu'il a perdue; car dès ce moment son dessein n'est pas de servir un Maître qui le veuille pour ministre, mais de dominer des chrétiens qui ne veulent pas de lui. Frère, soyez prudent; le démon est très-rusé, mais le Christ est la sagesse de Dieu.

1. Concile de Carthage, 481.




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Augustin, lettres - LETTRE LV. (Année 400)