Augustin, du libre arbitre 336

CHAPITRE XIII. LA CORRUPTION MÊME DE LA CRÉATURE ET LE BLAME JETÉ SUR SES VICES EN FONT ÉCLATER LA BONTÉ.

Toute nature est bonne quand elle peut le devenir moins et c'est en se corrompant qu'elle perd de sa bonté. Car la corruption l'atteint ou ne l'atteint pas: si elle ne l'atteint pas, cette nature ne se corrompt point; elle se corrompt au contraire si la corruption l'atteint. Or si elle l'atteint c'est en lui ôtant de sa bonté, c'est en la rendant moins bonne.

En effet si la corruption ne laissait plus rien de bon en elle, ce qui pourrait y rester ne pourrait plus se corrompre, puisqu'il n'y aurait plus aucun bien qui pût donner prise à la corruption; et conséquemment cette nature ne [377] se corromprait pas. Dira-t-on que ce qui ne se corrompt pas étant incorruptible, on verra ainsi une nature devenue incorruptible par sa corruption même? Ce serait la plus grande absurdité.

Il est donc indubitablement vrai que toute nature est bonne, en tant que nature. Car si elle est incorruptible, elle vaut mieux que si elle pouvait se corrompre, et si elle est corruptible, c'est un témoignage certain qu'elle est bonne, puisqu'elle ne se corrompt qu'en perdant de sa bonté. Et comme toute nature est nécessairement corruptible ou incorruptible, il s'ensuit que toute nature est bonne. J'appelle ici nature ce qu'ordinairement on nomme substance. Par conséquent toute substance comprend Dieu lui-même et tout ce qui vient de Dieu, parce qu'il n'y a de bon que Dieu et ce qu'il a fait.

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37. Ces principes une fois établis et prouvés, sois aussi attentif que si nous commencions à argumenter. On doit assurément louer toute nature raisonnable créée avec le libre arbitre, si elle demeure attachée à jouir du bien souverain et immuable, ou si elle fait effort pour y parvenir:,on doit au contraire blâmer celle qui n'y est pas attachée en la considérant comme n'y étant pas attachée, et celle qui ne poursuit pas ce but en la considérant comme ne le poursuivant pas. Si donc on loue une créature raisonnable, qui douce qu'on ne doive louer aussi son Auteur? Et si on la blâme, qui ne voit que dans ce blâme même il y a une louange pour Celui qui l'a faite?

Pourquoi effectivement la blâmons-nous? Parce qu'elle ne veut point jouir de son bien suprême et immuable, c'est-à-dire de son Créateur. N'est-ce donc pas louer celui-ci? Et combien il est bon, combien toutes les langues et toutes les pensées devraient louer et bénir, même dans le silence, ce Dieu qui a tout créé et qu'on ne peut se dispenser de louer, soit en nous louant, soit en nous blâmant? Comment en effet nous reprocher de rie lui être pas unis, sinon parce que dans cette union même consiste notre grand, notre souverain et notre premier bien? Or cette union aurait-elle ces caractères si Dieu n'était le bien ineffable? Comment alors la censure de nos péchés rejaillirait-elle sur lui, puisqu'on ne peut les condamner sans le louer?

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38. Et si nous considérions que dans tout ce qu'on blâme on ne blâme que le vice, et qu'on ne peut blâmer le vice sans louer la nature? En effet, ou bien ce que tu condamnes est conforme à la nature; ta censure alors n'est pas méritée, et c'est toi qu'il faut corriger plutôt que ce que tu as tort de blâmer; ou bien si c'est un vice et qu'on ait raison de le condamner, il est nécessairement contraire à la nature. Car tout vice lui est opposé par là même qu'il est vice. En effet s'il n'endommage pas la nature, il n'est pas vice, et s'il est vice parce qu'il l'endommage, évidemment il est vice parce qu'il lui est contraire.

Supposons maintenant qu'une nature soit corrompue, non par son vice propre mais par le vice d'une autre; on aurait tort de jeter le blâme sur la première, il faut plutôt examiner si ce n'est point par son vice propre que s'est corrompue la nature corruptrice. Or être vicié, est-ce autre chose que d'être corrompu par le vice? Une nature est sans vice quand elle n'est point viciée, mais n'en a-t-elle pas sûrement lorsque par le vice elle corrompt une autre nature? Ainsi donc la première, celle qui corrompt l'autre, est vicieuse, corrompue par son vice propre.

Concluons de là que tout vice est contraire à la nature, à la nature même de l'objet qu'il altère; et puisqu'en rien on ne blâme que le vice, puisque tout vice est essentiellement ennemi de la nature qu'il attaque, on ne saurait condamner aucun vice sans louer la nature qu'il endommage. Rien en effet ne peut te déplaire dans le vice, que l'action de vicier ce qui te plaît dans la nature.



CHAPITRE XIV. TOUTE CORRUPTION N'EST PAS CONDAMNABLE.

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39. Examinons encore une chose, savoir si l'on peut dire avec vérité qu'une nature se corrompe par le vice d'une autre sans être viciée elle-même.

Si la nature viciée qui cherche à en corrompre une autre ne trouve dans celle-ci rien de corruptible, elle ne la corrompt pas à coup sûr; et si elle y trouve quelque chose de corruptible, la corruption ne s'opère point sans le concours de cette dernière. En effet si une nature plus puissante résiste à une nature plus faible, la corruption n'a pas lieu; et si elle n'y résiste pas, c'est qu'elle commence à être gâtée par son propre vice avant de l'être par le vice étranger. [378] Est-ce une nature égale qui résiste aux assauts d'une égale nature? La corruption est encore impossible; car dès qu'une nature viciée cherche à corrompre une nature qui ne l'est pas, elle n'est plus de force égale, son vice la rend plus faible. Est-ce enfin une nature plus puissante qui corrompt une nature qui l'est moins? Le fait doit être attribué à toutes deux, s'il y a eu passion de part et d'autre; ou à la plus puissante, lorsque malgré sa corruption elle l'emporte encore sur la plus faible qu'elle parvient à vicier. Eh 1 qui aurait droit de condamner les fruits de la terre, lorsque les hommes en mésusent et que corrompus eux-mêmes par leur propre faute ils les corrompent en en abusant pour enflammer leurs passions? Ne faudrait-il pas néanmoins avoir perdu la raison pour douter que l'homme, même vicieux, est d'une nature plus excellente et plus forte que les fruits de la terre lors même qu'ils ne sont point gâtés?

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40. Il peut arriver encore qu'une nature plus forte corrompe une moindre nature, sans qu'il y ait vice d'aucun côté; nous entendons toujours par vice ce qui est digne de blâme. Qui oserait effectivement jeter le blâme soit sur l'homme frugal qui ne cherche dans les aliments que l'indispensable soutien de la nature, soit sur les fruits qui se corrompent quand il les mange?

Ici même on n'emploie pas ordinairement le mot de corruption; il sert surtout à désigner. le vice. Car, il est facile de le remarquer dans ce qui arrive continuellement . ce n'est pas toujours pour satisfaire à ses propres besoins qu'une nature plus élevée corrompt une nature inférieure. C'est tantôt pour faire justice, pour venger des crimes; et pour ce motif l'Apôtre a dit: «Si quelqu'un corrompt le temple de Dieu, Dieu le corrompra (1);» c'est tantôt en vertu même de l'ordre établi parmi les choses muables qui doivent fléchir l'une devant l'autre, selon les degrés de force accordés à chacune par les sages lois qui régissent l'univers. Si par la force même de sa lumière, le soleil corrompt des yeux trop faibles pour en soutenir l'éclat, s'imaginera-t-on qu'il l'a fait pour ajouter à son insuffisance ou parce qu'il y a en lui quelque défaut? Ou bien encore jettera-t-on le blâme sur les yeux pour avoir obéi à leur maître en s'ouvrant en face de la lumière, ou enfin sur là lumière pour les avoir brûlés?

1.
1Co 3,17

Ainsi, de toutes les corruptions, il n'y a pour mériter proprement le nom de corruption que celle qui est vicieuse; pour les autres, il ne faut pas les appeler ainsi, ou bien n'étant pas vicieuses elles ne sauraient mériter de blâme. Le blâme en. effet ne convient, n'est réservé qu'au vice, et l'on croit que le mot latin correspondant, vituperatio, vient de vitio parata, préparé au vice.

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41. Mais j'avais commencé à le dire: le vice est un mal, uniquement parce qu'il est contraire à la nature qu'il attaque. N'est-ce pas une preuve manifeste que la nature dont on blâme le vice est digne d'éloge, et que cette censure des vices est la gloire des natures qu'ils dégradent? Car les vices étant contraires à la nature, ne sont-ils pas d'autant plus vices qu'ils lui ôtent davantage? et les blâmer n'est-ce pas exalter l'objet que l'on voudrait voir intact dans sa nature? Quand, en effet, une nature est parfaite, elle est, dans son genre, digne d'éloge, non de blâme; et si l'on. appelle vice ce qui manque à sa perfection, si on blâme l'imperfection de cette nature parce qu on voudrait la voir parfaite, n'est-ce pas un témoignage suffisant qu'on la trouve belle, considérée en elle-même?



CHAPITRE XV. DÉFAUTS COUPABLES ET DÉFAUTS NON COUPABLES.

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42. Si donc la condamnation des vices est en quelque sorte la glorification des natures mêmes qu'ils affectent, combien plus doivent-ils exciter à louer Dieu, le Créateur de toutes les natures! N'est-ce pas de lui qu'elles tiennent l'existence? Leurs défauts ne sont-ils pas en proportion de leur éloignement de. l'art divin sur lequel elles sont faites? Peut-on les blâmer sans voir cet art, puisqu'on ne blâme en elles que ce qui s'en écarte? Et si cet art, d'après lequel tout a été fait, c'est-à-dire la souveraine et immuable sagesse de Dieu, a une existence véritable et suprême, comme on n'en peut douter, considère la direction que prend tout ce qui s'en éloigne.

Ce défaut néanmoins ne serait pas condamnable, s'il n'était volontaire. Car, je te le demande, blâme-t-on ce qui est comme il doit être? Je ne crois pas; le blâme, au contraire, est réservé à ce qui n'est point comme il doit. Or personne ne doit ce qu'il n'a pas reçu, [379] et quand on doit, à qui doit-on sinon à celui de qui on a reçu avec obligation de rendre? A qui renvoie-t-on, si ce n'est à qui avait envoyé? et quand on restitue à des héritiers légitimes, n'est-ce pas en quelque sorte aux créanciers mêmes dont ils sont de droit les successeurs? Autrement ce serait une cession, un don ou toute autre chose semblable.

De là il suit qu'on ne peut dire, sans la plus grande absurdité, que les choses temporelles ne devraient pas finir. Telle est, en effet, la place qu'elles occupent dans l'ordre universel, que si elles ne disparaissent, l'avenir ne saurait succéder au passé, ni la beauté des siècles se développer comme elle le doit. Et ne font-elles pas ce qu'elles doivent? ne rendent-elles pas ce qu'elles ont reçu à Celui qui leur a donné d'être ce qu'elles sont? Quiconque en effet, se plaint de leur défaillance peut étudier simplement- le langage qui exprime sa plainte; si juste et si prudent qu'il lui paraisse, qu'il l'examine sous le rapport des sons qu'il produit; et s'il s'attache de préférence à une syllabe, s'il ne veut point la laisser passer pour faire place aux autres dont la suite et la succession doivent former la trame du discours, de quelle étrange démence ne méritera-t-il pas d'être accusé?

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43. Par conséquent, lorsqu'il s'agit des choses qui viennent à défaillir parce qu'il ne, leur a pas été donné d'exister plus longtemps, et cela afin que tout vienne à son époque, on aurait tort de les blâmer. Nul en effet, ne peut dire qu'elles auraient dû rester, puisqu'elles ne pouvaient dépasser le moment fixé. Mais quand il s'agit des créatures raisonnables lesquelles, fidèles ou infidèles; sont comme le magnifique couronnement de la beauté de l'univers, que dire? Qu'il n'y a en elle aucun péché? Quelle absurdité, puisqu'il y a au moins péché dans celui qui condamne comme péché ce qui ne l'est pas! Que leurs péchés. ne méritent pas le blâme? Ce serait également absurde. Dès lors, en effet, on ne louera plus les belles actions, et ce sera rompre le nerf de l'âme humaine, tout bouleverser dans la vie. Qu'on doit blâmer ce qui a été fait comme il devait l'être? Mais ce serait une exécrable démence, ou bien, pour user de termes plus doux, l'erreur la plus malheureuse. Si donc, comme il est vrai, la raison même oblige de condamner tout ce qui est péché, et de le condamner précisément parce qu'il n'est pas ce qu'il doit être, cherche ce que doit la nature qui pèche et tu découvriras qu'elle doit bien faire; examine à qui elle doit, et tu trouveras que c'est à Dieu. Car si Dieu lui adonné de pouvoir faire le bien quand elle veut, il lui a donné aussi d'être malheureuse en ne le faisant pas et heureuse en le faisant.

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44. Personne en effet ne triomphe des lois du Tout-Puissant, et l'âme ne peut s'exempter de payer ce qu'elle lui doit. Car elle paye en faisant un bon usage de ce qu'elle a reçu, ou en perdant ce qu'elle a refusé de bien employer. Si donc elle ne s'acquitte pas en accomplissant la justice, elle s'acquittera en souffrant la misère. Ces deux mots en effet réveillent l'idée de dette, et l'on pouvait exprimer la même pensée en disant: Si elle ne paye pas en faisant ce qu'elle doit, elle payera en le souffrant.

Mais qu'on ne soupçonne ici aucun intervalle de temps; qu'on ne voie pas le coupable omettant aujourd'hui de faire ce qu'il doit, et souffrant demain ce qu'il mérite. Le désordre ne saurait troubler un seul instant l'ordre universel, il faut que la vengeance suive la faute sans délai, et le jugement futur manifestera seulement, et rendra plus douloureuses les secrètes punitions qui s'exercent maintenant. De même en effet gué ne pas veiller c'est dormir; ainsi quiconque ne fait pas ce qu'il doit, souffre immédiatement ce qu'il mérite; car telle est la béatitude comprise dans la justice qu'on ne peut la, quitter sans se plonger dans la misère.

Voici donc le résumé de ce qui vient d'être dit sur toute espèce de défaut. Quand les choses temporelles qui finissent n'ont pas reçu une plus longue existence, il n'y a pas faute; il n'y en a pas non plus, quand en existant sales n'ont pas reçu plus d'être quelles n'en ont: mais quand elles refusent d'être ce qu'elles pourraient être en le voulant; comme c'est un bien, elles sont coupables en les refusant.

CHAPITRE XVI. ON NE PEUT FAIRE RETOMBER NOS PÉCHÉS SUR DIEU.

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45. Dieu ne doit rien à personne, puisqu'il donne tout gratuitement; et si quelqu'un assure qu'il est dû quelque chose à ses mérites, il est une chose certaine, c'est que l'existence [380] ne lui était pas due. Que peut-on devoir à qui n'est pas? Et néanmoins quel mérite y a-t-il à s'attacher pour être meilleur à Celui de qui on a reçu l'être? Quelle avance lui fais-tu pour la réclamer comme une dette? N'est-il pas vrai que si tu refusais de t'attacher à lui, rien ne lui manquerait? mais il te manquerait, à toi, Celui sans qui tu ne serais rien, Celui qui t'a fait une telle existence, que si tu ne t'attaches à lui pour lui rendre l'être qu'il t'a donné, à la vérité tu ne retomberas pas dans le néant, mais tu vivras dans le malheur. Toutes les choses lui doivent donc premièrement tout ce qu'elles sont, en tant que nature; ensuite tout ce qu'elles peuvent devenir de mieux en le voulant, quand le vouloir leur a été donné; enfin tout ce qu'elles doivent être. De là il suit qu'on n'est point responsable de ce qu'on n'a pas reçu, et qu'au contraire on est justement coupable, lorsqu'on ne fait pas ce que l'on doit. Or on doit quand on a reçu une volonté libre et des moyens suffisants.

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46. Maintenant, le Créateur est si peu coupable quand on ne fait pas ce que l'on doit, qu'il y a là matière à le bénir, parce qu'on souffre ce que l'on mérite; et l'on ne peut être blâmé de ne pas accomplir son devoir, que ne soit loué Celui pour qui on le doit accomplir. Si en effet on te loue de voir ce que tu as à faire, quoique tu ne le voies que dans Celui qui est (immuable vérité, combien plus doit-on le louer lui-même, puisqu'il t'a commandé de le vouloir, puisqu'il t'en a donné le pouvoir, sans te permettre de refuser impunément ce même vouloir? Effectivement, si chacun est redevable de ce qu'il a reçu, et si la nature donnée à l'homme le fait pécher inévitablement, l'homme doit pécher, et en péchant il accomplit son devoir. Mais cette pensée est un blasphème; il est donc vrai que la nature de personne ne le pousse au péché (1).

Il n'y est point forcé non plus par une autre nature. En effet ce n'est pas pécher que de souffrir ce que l'on ne veut pas; car si l'on souffre justement, il n'y a point péché dans cette souffrance involontaire, mais dans l'acte volontaire qui l'a mérité, et si on la souffre injustement, comment y a-t-il péché? Ce n'est pas l'injuste souffrance, mais l'acte injuste qui fait le péché.

Et si le péché n'est nécessité, ni par la nature personnelle, ni par aucune nature étrangère,

1. Rét. Liv., ch. 9,n. 3

il a sa cause évidemment dans la volonté du pécheur. Veux-tu attribuer cette volonté au Créateur? ce sera justifier le pécheur, qui n'aura rien fait en dehors des desseins de son Créateur et qui n'aura pas péché, si le moyen employé pour le défendre est un moyen légitime. Comment alors rejeter sur le Créateur un péché qui n'a pas été commis? Loue donc le Créateur, loue-le s'il est possible de soutenir le pécheur; loue-le encore, s'il n'est pas possible. Car s'il est possible de le défendre avec justice, il n'a pas péché; loue alors le Créateur; et si cela n'est pas possible, c'est qu'il est pécheur pour s'être éloigné du Créateur; loue donc encore le Créateur.

Ainsi je ne découvre absolument aucun moyen, je soutiens même qu'on ne peut en trouver aucun et qu'il n'est pas possible d'attribuer nos péchés à Dieu notre Créateur. Ces péchés, en effet, me révèlent sa gloire, d'abord parce qu'il les punit, ensuite parce qu'on ne les commet qu'en s'écartant de la vérité divine. - E. J'écoute volontiers, j'admets tout cela et je crois, comme chose indubitable, que la droiture ne permet pas de rejeter nos fautes sur notre Créateur.


CHAPITRE XVII. LE PÉCHÉ A SA CAUSE PREMIÈRE DANS LA VOLONTÉ.

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47. S'il était possible, néanmoins, je voudrais savoir pour quel motif un être ne pèche pas lorsque Dieu a prévu qu'il ne pécherait point et pour quel motif un autre pèche quand Dieu a prévu son péché. Je ne crois plus que la prescience divine fasse pécher celui-ci et non celui-là. Si cependant il n'y avait aucun motif, nous ne verrions pas ces trois catégories dans les êtres raisonnables, dont les uns ne pèchent jamais, les autres pèchent toujours, les autres enfin, tenant comme le milieu entre les deux, tantôt pèchent et tantôt reviennent au bien. Pourquoi ces trois classes? Ne me réponds pas que là volonté même les établit c'est la cause de cette volonté que je cherche maintenant. Il y a certainement une causé qui fait que les uns ne veulent jamais pécher, que les autres le veulent toujours, que d'autres enfin tantôt le veulent et tantôt ne le veulent pas, quoique tous soient de même nature. Il me semble voir que cette triple catégorie [381] repose sur quelque raison; mais quelle est cette raison? Je l'ignore.

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48. A. La volonté étant la cause du péché, tu cherches à connaître la cause de cette volonté même. Or, si je parviens à la découvrir, ne chercheras-tu pas encore la cause de cette cause? Quelle mesure alors mettras-tu à tes questions? quelle limite à nos recherches et à nos discussions? Tu devrais pourtant ne creuser que jusqu'à la racine: Croirais-tu qu'il est possible d'être plus vrai que l'Apôtre quand il a dit: «L'avarice est la racine de tous les maux (
1Tm 6,10)?» C'est-à-dire la volonté qui ne se contente pas de ce qui suffit. Or ce qui suffit est ce qu'exige la nature pour se conserver dans son genre. Il est vrai, l'avarice s'appelle en grec l'amour de l'argent, philargurian; mais quoiqu'elle tire de là son nom, car la monnaie des anciens était presque toujours d'argent, d'argent pur ou mêlé, l'avarice ne se dit pas seulement de l'argent: on doit l'entendre encore de tout ce qu'on désire outre mesure, quand on recherche au delà de ce qui suffit. Cette sorte d'avarice est la cupidité, et la cupidité n'est autre chose que la volonté perverse; d'où il suit que cette volonté perverse est la cause de tous les maux. Si elle était conforme à la nature, elle la conserverait, elle ne lui nuirait pas; de cette sorte elle ne serait pas perverse.

Il est donc sûr que la racine de tous les maux n'est pas dans la nature, ce qui suffit coutre tous ceux qui veulent accuser la nature. Et si tu veux chercher encore la cause de cette racine, comment sera-t-elle la racine de tous les maux? Cette racine sera à son tour la cause de la première, et après l'avoir découverte il te faudra en chercher de nouveau la cause, comme je l'ai fait remarquer, chercher donc sans fin.

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49. Quelle cause d'ailleurs pourrait précéder la volonté même? De deux choses l'une: cette cause sera la volonté même, et nous ne quitterons pas cette racine de tous les maux; ou bien ce rie sera pas la volonté, et la volonté sera alors sans péché. Aussi faut-il le reconnaître, la première cause du péché est dans la volonté ou cette cause première est sans péché. De plus, on ne peut imputer le péché qu'à celui qui pèche; on ne saurait donc l'imputer qu'à celui qui le veut (2); et je ne sais pourquoi ta chercherais plus loin. Enfin,

2. Rét. liv. 1,ch. 9,n. 3

quelle que serait cette cause de la volonté qui pèche, il faut admettre qu'elle est juste ou injuste. Si elle est juste, nul ne péchera en en suivant l'impulsion; si elle est injuste, qu'on y résiste, et l'on ne péchera pas.



CHAPITRE XVIII. Y A-T-IL PÉCHÉ DANS UN ACTE QU'IL EST IMPOSSIBLE D'ÉVITER?

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50. Peut-être agit-elle avec tant de violence qu'il est impossible d'y résister? Mais faudra-t-il toujours répéter les mêmes choses? Rappelle-toi tout ce que nous avons dit précédemment du péché et de la liberté, et s'il t'en coûte de conserver tout dans ton souvenir, retiens cette courte observation. Quelle que puisse être cette cause prétendue de la volonté, on peut ou on ne peut lui résister; si on ne le peut, il n'y a pas de péché à la suivre; si on le peut, que l'on résiste et l'on sera sans péché. - Peut-être surprend-elle à l'improviste? - Eh bien! qu'on se tienne sur ses gardes pour n'être pas surpris. - Et si la surprise est telle qu'on ne puisse y échapper? - Dans ce cas encore il n'y a point de péché. Qui pèche en faisant ce qu'il ne peut absolument éviter (1)?Mais il y a péché? - Il y avait donc aussi possibilité d'y échapper.

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51. Toutefois il est parlé dans nos livres divins d'actes commis par ignorance et néanmoins condamnés avec obligation de les réparer. «J'ai obtenu miséricorde, dit l'Apôtre, parce que j'ai agi dans l'ignorance (2);» un prophète dit aussi: «Ne vous souvenez pas des fautes dues à ma jeunesse et à mon ignorance (3).» Il y est parlé encore d'actes commis par nécessité, quand on ne peut faire le bien que l'on veut; ces actes néanmoins sont aussi condamnables. En effet qui fait entendre ces paroles: «Je ne fais pas le bien que je veux, mais le mal que je ne veux pas je le fais;» et ces autres: «Le vouloir réside en moi, mais je ne trouve pas pour accomplir le bien (4);» ces autres encore: «La chair convoite contre l'esprit et l'esprit contre la chair: car ils sont opposés l'un à l'autre et vous ne faites point ce que vous voulez (5)?» Voilà le cri de l'homme, mais de l'homme issu des condamnés

1. Voyez Rétract. liv. 1,chap. 9,n. 3
2.
1Tm 1,13- 3. Ps 24,7- 4. Rm 7,49- Ga 5,17

382

à mort; car si ces mouvements ne sont point un châtiment, s'ils viennent de la nature, ils sont sans péché, puisque l'homme en s'y livrant, ne ferait qu'obéir à cette nature qu'il a reçue avec la vie et au-dessus de laquelle il ne saurait s'élever, et puisque par conséquent il accomplirait son devoir.

Mais l'homme serait bon s'il ne les éprouvait pas; il n'est pas bon, maintenant qu'il les éprouve et il n'a pas le pouvoir de le devenir, soit parce qu'il ne sait pas ce qu'il devrait être, soit qu'il le sache et ne puisse y parvenir: qui peut douter alors que ce soit une peine? Or toute peine quand elle est juste est la peine d'un péché et se nomme châtiment. Est-elle injuste et véritablement une peine? Elle est infligée par quelque injuste dominateur. Et comme il y aurait démence à révoquer en doute la toute-puissance ou la justice de Dieu, la peine dont nous parlons est juste, elle est destinée à châtier quelque crime. On ne peut supposer en effet qu'un injuste dominateur ait pu dérober l'homme en quelque sorte à l'insu de Dieu; ni le lui ravir malgré lui, comme s'il était le plus faible, et-en employant les menaces ou la violence, afin de le- punir injustement. La seule conclusion à tirer est donc de croire que cette même peine est infligée justement par suite de la condamnation de l'homme (1).

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52. Faut-il s'étonner encore que l'ignorance ne laisse point à l'homme la liberté de choisir le bien qu'il a à faire; que les résistances de la convoitise charnelle devenue comme une seconde nature par la violence brutale des générations humaines ne permette point de faire le bien que l'on connaît et que l'on veut? La juste peine du péché est de perdre ce dont on n'a pas voulu faire un bon usage quand on le pouvait aisément avec quelque bonne volonté. Ainsi quand on n'accomplit pas le bien que l'on connaît, on perd la science du bien; et quand on ne veut pas faire le bien que l'on peut, on perd le pouvoir de le faire quand on veut. L'ignorance et la difficulté sont en effet les deux châtiments de toute, âme coupable; l'ignorance qui produit da confusion de l'erreur, la difficulté qui cause la douleur du travail. Or quand on prend ainsi le faux pour le vrai et qu'on s'égare malgré soi; quand accablé sous le poids de la lutte et déchiré par la douleur des liens charnels, on ne peut s'abstenir

1. Rétr. Liv. 1,ch. 9,2, 5

des actes déréglés, on n'est point dans la nature telle que Dieu l'a établie, on souffre la peine à laquelle il a condamné. Quand nous parlons ici de la liberté du bien, nous entendons celle qui fut donnée à l'homme au moment de sa création (1).



CHAPITRE XIX. VAINES EXCUSES DES PÉCHÉURS QUAND ILS PRÉTEXTENT L'IGNORANCE ET LA DIFFICULTÉ PRODUITES PAR LE PÉCHÉ D'ADAM.

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53. Voici maintenant cette- question que semblent ronger en murmurant les hommes disposés à tout faire en faveur de leurs péchés, plutôt que de s'en accuser. Ils disent donc: Si Adam et Eve ont péché, comment nous autres, infortunés; avons-nous mérité de naître dans l'aveuglement de l'ignorance et soumis aux tourments de la difficulté, d'ignorer d'abord ce que nous devons taire, puis, quand nous commençons à connaître les règles de la justice et à les vouloir suivre, d'en être empêchés par je ne sais quelles résistances opiniâtres de convoitise charnelle?

Je leur réponds en peu de mots de se taire, de cesser leurs murmures contre Dieu. Peut-être auraient-ils droit de se plaindre, si nul ne triomphait de l'erreur et de la passion. Mais le Seigneur n'est-il pas présent partout? N'emploie-t-il pas de mille manières les créatures qui lui sont soumises pour appeler ceux qui sont éloignés, pour instruire la foi; consoler l'espérance, encourager la charité, seconder les efforts, exaucer ceux qui prient? On ne te fait pas un crime de ton ignorance involontaire; mais de ta négligence à t'instruire; on ne te reproche pas non plus de ne point panser tes membres blessés, mais de repousser celui qui s'offre à te les guérir; voilà tes péchés véritables, car à personne n'est ôté le bon sens de savoir qu'il y a profit à s'instruire de ce qu'on ignore sans profit et qu'il faut confesser humblement sa faiblesse pour obtenir le secours de Celui qui éclaire les ignorants sans se tromper, qui aide les faibles sans se fatiguer.

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54. Si l'on appelle péché le mal que fait l'homme par ignorance où par impuissance, c'est parce que c'est la conséquence méritée par ce premier et libre péché d'origine. Le

1. Rétr. Liv.1,ch. 9,n. 5

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mot langue désigne, non-seulement ce membre qu'en parlant nous faisons mouvoir dans la bouche, mais encore ce que produit ce mouvement, je veux dire là forme et la contexture des paroles; nous disons dans ce sens: la langue grecque est différente de la langue latine. Ainsi nous appelons péché, non-seulement ce qui l'est à proprement parler, l'acte commis avec connaissance et liberté, mais encore ce qui est la conséquence nécessaire du châtiment du péché. Dans le même sens encore nous nommons nature ce qui est proprement la nature bu naine, la nature où l'homme fut créé d'abord dans l'innocence; nous appelons aussi nature celle où par suite du châtiment infligé au premier gomme devenu coupable, nous naissons sous l'empire de la mort, dans l'ignorance et soumis à la chair. C'est ainsi que l'Apôtre dit lui-même: «Nous avons été, comme les autres, enfants de colère par nature (
Ep 3,3).»



CHAPITRE XX. IL N'EST PAS INJUSTE QUE LES DÉFAUTS, SUITES PÉNALES DU PÉCHÉ, SOIENT TRANSMIS A LA POSTÉRITÉ L'ADAM, QUELLE QUE SOIT L'OPINION VRAIE SUR L'ORIGINE DES AXES.

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55. Il a plu très-justement à Dieu, suprême modérateur de toutes choses., que nous naissions de ce premier couple avec l'ignorance, la nécessité de la lutte et le germe de la mort, parce que tous deux, après avoir péché, ont été précipités dans l'erreur, la douleur et la mort. Ainsi devait se manifester la justice du Vengeur dans l'origine de l'homme, et dans. son développement la miséricorde du Libérateur. Par sa condamnation, le premier homme n'a pas été privé de la béatitude, de telle sorte qu'il fût en même temps privé de la fécondité. La raison en est que sa race, quoique charnelle et mortelle, pouvait encore contribuer en quelque chose à embellir et à orner le monde terrestre. Mais il n'eût pas été conforme à l'équité qu'il engendrât des enfants meilleurs que lui. Ce qui convenait, au contraire, c'est que chacun d'eux, par son retour à Dieu, pût triompher du châtiment de son origine mérité par la désertion primitive, et qu'in trouvât, pour y parvenir, non-seulement un Dieu qui ne s'y opposât pas, mais qui voulût lui-même y aider. Ainsi encore le Créateur montra combien l'homme aurait pu facilement se maintenir dans l'état où il avait été créé, puisque sa postérité a pu triompher du vice dans lequel elle est née.

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56. Dans l'hypothèse où les âmes de tous les hommes qui naissent, sortiraient d'une âme unique créée d'abord, quel homme pourrait dire qu'il n'a point péché, puisque le premier a péché? Si au contraire les âmes se forment une à une dans chacun de ceux qui naissent, il n'est pas injuste, mais parfaitement convenable et tout à fait conforme à l'ordre que la punition méritée de la première constitue la nature de la seconde, pourvu que la récompense méritée de la seconde la ramène à la nature de la première. En effet, que peut-il y avoir en cela de choquant, si le Créateur a voulu ainsi montrer que la dignité d'une âme l'emporte à un tel degré sur toutes les créatures corporelles, que le fond même de l'abîme dans lequel une âme est tombée puisse être le point de départ d'une autre âme. L'état d'ignorance et de lutte dans lequel est tombée l'âme pécheresse, s'appelle à juste titre un châtiment, puisqu'elle était meilleure avant de la subir. Mais si l'autre âme, non-seulement avant tout péché, mais encore avant de vivre d'une manière quelconque, a commencé d'être telle qu'est devenue la première après une vie coupable, elle n'est pas néanmoins dépourvue de tout bien, et elle a de justes raisons de rendre grâces à son Créateur; car son origine même et son commencement l'emportent en excellence sur n'importe quel corps déjà parfait. En effet, ce ne sont pas de médiocres biens, d'abord d'être une âme, une nature qui par elle même surpasse tout corps; puis d'avoir la faculté, avec l'aide de son Créateur, de pouvoir se travailler soi-même, et par ce pieux travail, d'acquérir en de posséder les vertus qui feront échapper aux angoisses de la lutte et aux ténèbres de l'ignorance. Si donc il en est ainsi, l'ignorance et la lutte ne seront pas pour les âmes qui naissent le supplice mérité par le péché, mais une excitation à s'améliorer, et le point de départ de la perfection. Et vraiment ce n'est pas peu de chose, avant tout mérite et toute bonne oeuvre, d'avoir reçu un jugement naturel qui met à même de préférer la sagesse à l'erreur, et la paix victorieuse à la lutte, et d'y arriver non par la naissance mais par le travail. Que si l'âme s'y refuse, elle sera avec [384] justice reconnue coupable de péché, pour n'avoir pas bien usé de cette faculté qu'elle avait reçue. Car bien qu'elle soit née dans l'état d'ignorance et de lutte, aucune nécessité ne la contraint de demeurer dans ces conditions de sa naissance; et en vérité Dieu seul, Dieu tout-puissant a pu être le Créateur de telles âmes, qu'il fait sans en être aimé, qu'il refait en les aimant, et qu'il perfectionne quand il en est aimé. Car lorsqu'elles n'étaient pas, il leur a donné l'être, et lorsqu'elles aiment Celui par qui elles sont, il leur donne de parvenir à la béatitude.

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57. Selon une autre opinion, les âmes préexistant dans le secret de Dieu sont envoyées pour animer et réagir les corps de chacun de ceux qui naissent. Alors, quelle est leur mission et leur office à l'égard de ce corps né du châtiment du péché, c'est-à-dire avec le germe de mort da premier homme, sinon de le bien gouverner; c'est-à-dire de le dompter par les vertus, et, en le soumettant a une servitude parfaitement conforme à l'ordre et toute légitime, de lui conquérir, à lui aussi progressivement et en temps opportun, le séjour de la céleste incorruptibilité? Lorsque les âmes sont introduites dans cette vie, et qu'elles entrent dans ces membres mortels pour les gouverner, elles doivent en même temps oublier leur vie antérieure, et se soumettre au travail de la vie présente. De là, pour elles aussi, cette ignorance et cette lutte qui fut, dans le premier homme, le châtiment de sa chute mortelle, destiné à expier la misère de son âme. Mais pour les âmes dont nous parlons, elles sont comme la porte du ministère de réparation qu'elles viennent remplir auprès du corps, pour lui faire retrouver l'incorruptibilité. En effet, on les appelle péchés en ce sens seulement que la chair née de la semence du pécheur apporte aux âmes qui viennent à elle, cette ignorance et cette nécessité de la lutte. Et ainsi ces âmes elles-mêmes non plus que le Créateur, n'en sont rendues responsables. Car en leur ménageant des fonctions laborieuses, le Créateur leur a donné le pouvoir de s'exercer au bien, et il leur a ouvert le chemin de la foi, en leur faisant oublier leur passé. Il leur a départi surtout ce jugement en vertu duquel toute âme reconnaît la nécessité de se livrer à la recherche de ce qu'elle ignore sans profit, de persévérer dans l'accomplissement laborieux du devoir, de faire effort pour triompher dans la lutte du bien, et d'implorer le secours du Créateur afin qu'il seconde ses travaux. Et lui, il commande ces efforts tant par les lois extérieures que par sa parole intime qui se fait entendre au coeur, et il prépare la gloire de la cité bienheureuse aux vainqueurs de celui qui vainquit le premier homme par de perfides conseils et le précipita dans cette misère. Et eux-mêmes prennent sur eux cette misère pour le vaincre avec une foi admirable. Non, il n'est pas sans gloire de combattre et de vaincre le diable en portant ces mêmes chaînes dont il se glorifie d'avoir chargé l'homme vaincu. Mais quiconque, épris de l'amour de la vie présente, aura négligé cette tâche, ne pourra justement imputer le crime de sa désertion à l'ordre du grand Roi; il se verra au contraire, avec toute justice, soumis encore au Seigneur de toutes choses et relégué à sa place, dans les rangs de celui dont il a préféré la honteuse solde, en désertant son drapeau.

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58. Enfin, dans l'hypothèse où les âmes placées ailleurs, ne sont pas envoyées par le Seigneur Dieu, mais viennent de leur plein gré habiter les corps, il est facile de voir immédiatement que l'ignorance et la nécessité de la lutte, qui sont le résultat de l'acte de leur propre volonté, ne peuvent être en aucune manière reprochées au Créateur. En effet, les eût-il envoyées lui-même, comme il ne leur a pas ôté, dans cet état d'ignorance et de lutte, la liberté de la prière, de la recherche et de l'effort, prêt à donner à ceux qui demandent, à faire; trouver à ceux qui cherchent, et à ouvrir à ceux qui frappent, il serait évidemment à l'abri de tout reproche. Pour prix de la victoire sur cette ignorance et cette difficulté de la lutte, il offrirait la couronne de gloire aux hommes de zèle et de bonne volonté. Quant aux négligents qui voudraient trouver une excuse à leurs péchés dans la faiblesse, il ne leur opposerait pas comme un tort l'ignorance même et la difficulté de la lutte; mais il les punirait justement pour avoir préféré y croupir, plutôt que de parvenir à la vérité et au bonheur, où les auraient conduits le désir de s'instruire et le zèle à chercher, avec la prière humble et reconnaissante.

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Augustin, du libre arbitre 336