Augustin et Maximin - CHAPITRE 3. DE L'ÉGALITÉ DU FILS AVEC LE PÈRE, ET DU SAINT-ESPRIT AVEC LE FILS.

CHAPITRE IV. IL EST INUTILE DE PROUVER AUX CATHOLIQUES QUE JÉSUS-CHRIST EST DIEU ET HOMME TOUT ENSEMBLE.

Vous dites que «le Christ est à la droite du Père, et qu'il intercède pour nous (3)». Pourquoi nous objecter ce passage, si vous reconnaissez qu'il est à la fois Dieu et homme? Quel intérêt en revient à votre cause qu'on lise, qu'il est toujours assis à la droite du Père? C'est inutilement, sinon sur de vains témoignages, que vous vous appliquez à prouver ce que nous faisons profession de croire.


CHAPITRE V. DÉFINITION CATHOLIQUE DE LA SAINTE TRINITÉ.

Vous dites que vous honorez convenablement le Saint-Esprit comme docteur, comme guide, comme illuminateur, comme sanctificateur; que vous révérez le Christ comme créateur; et que vous adorez le Père avec une sincère piété comme l'auteur de toutes choses. Si vous dites que le Père est auteur, parce que le Fils vient de lui, mais que lui ne vient pas du Fils; et que le Saint-Esprit procède de lui et du Fils, en ce sens qu'en engendrant ce Fils, le Père a voulu que le Saint-Esprit procédât

1. Ac 17,24 - 2. 1Co 6,15-19 - 3. Rm 8,34

aussi de lui; si vous dites que le Fils est créateur, sans retrancher pour cela cet attribut au Père et au Saint-Esprit; enfin, si vous dites que le Saint-Esprit est docteur, guide, illuminateur et sanctificateur, sans prétendre pour cela enlever ces fonctions au Père et au Fils; nous admettons vos propres expressions et les faisons nôtres. Mais si vous élevez des idoles dans votre coeur et supposez qu'il y a deux dieux, l'un plus grand, qui serait le Père, et l'autre inférieur, qui serait le Fils; et si vous imaginez que le Saint-Esprit est le dernier des trois et ne mérite pas même d'être appelé Dieu, ce n'est plus dès lors notre foi, parce qu'elle n'est pas chrétienne et par là même n'est plus la foi. Nous vous faisons grâce encore de cette parole imprudente que vous avez échappée, quand vous avez dit que le Christ était descendu jusqu'à la contagion des misères humaines. Et comme nous avons voulu vous reprendre à ce sujet, et vous apprendre ce qu'il faut appeler de ce nom, vous avez répondu que je vous interprétais à faux, et vous avez pensé que je m'en tenais trop à la rigueur des principes philosophiques. Il me suffit que vous ayez admis, qu'en descendant jusqu'à la contagion des misères humaines, le Christ n'a contracté la tache d'aucune faute.


CHAPITRE VI. INCONSÉQUENCE DES ARIENS, QUI REFUSENT AU PÈRE CE QU'ILS ACCORDENT A LA CRÉATURE, LE POUVOIR D'ENGENDRER SON SEMBLABLE.

Quand j'ai observé, à propos des animaux, que, tout terrestres et mortels qu'ils sont, ils engendrent néanmoins des êtres d'une nature semblable à la leur, par exemple, l'homme et le chien, je pense que vous n'avez pas reculé d'horreur et de mépris, mais plutôt que vous en aurez fait semblant, lorsque vous avez répliqué qu'une comparaison aussi basse n'était point digne d'une aussi grande majesté. Pourquoi en effet ce langage, sinon parce que vous craigniez que la vérité ne vous fermât la bouche avec des arguments tirés d'aussi bas et qu'elle ne vous empêchât de respirer, comme elle le fait encore? Ainsi, tandis que vous voyez la créature corruptible engendrer un rejeton de même nature qu'elle, vous croyez que Dieu le Père tout-puissant ne peut engendrer son Fils unique, qu'en lui (610) communiquant une nature inférieure à la sienne.


CHAPITRE VII. LE FILS EST ÉGAL AU PÈRE.

Mais vous dites: Le Seigneur a engendré le Seigneur, un Dieu a engendré un Dieu, le Roi a engendré un Roi, le Créateur a engendré un Créateur, bon il a engendré un être bon, sage un être sage, clément un être clément, puissant un être puissant. Si, grâce à ces paroles, vous pensez échapper à l'objection qu'on vous fait, que vous refusez à Dieu le pouvoir d'engendrer ce qu'il est lui-même, et si vous dites pour cette raison: Le Seigneur a engendré le Seigneur, un Dieu a engendré un Dieu, etc., pourquoi ne dites-vous pas: Le Tout-Puissant a engendré le Tout-Puissant, comme vous avez dit: Puissant il a engendré un être puissant? Si vous voulez parler franchement, eh bien! dites: Le Seigneur plus grand a engendré un Seigneur inférieur à lui; un Dieu plus grand, un Dieu inférieur; un Roi plus grand, un Roi inférieur; un Créateur plus grand, un Créateur inférieur; meilleur, il a engendré un être bon; plus sage, un être sage; plus clément, un être clément; plus puissant, un être puissant. Maintenant, si vous ne tenez pas ce langage, et si vous convenez que le Fils n'a rien de moins que le Père, pourquoi ne déclarez-vous pas qu'il lui est égal? Et pourquoi ne poursuivez-vous pas ainsi votre énumération Le Seigneur a engendré un Seigneur égal à lui, Dieu un Dieu égal, le Roi un Roi égal, le Créateur un Créateur égal; bon, il a engendré un être également bon; sage, un être également sage; clément, un être également clément; puissant, un être également puissant? Que si vous niez cette égalité du Fils avec le Père, alors déclarez sans détour qu'il est un Fils dégénéré. Car ce Dieu, inférieur au Dieu plus grand dont vous le dites le fils, vous n'admettez pas qu'il fasse du moins des progrès comme un enfant, afin qu'il puisse un jour égaler son père. Vous prétendez qu'il est né parfait, non pas dans le dessein de se glorifier, mais de maintenir son infériorité relative à l'égard du Père. Quoique vous souteniez de pareilles erreurs, vous ne cessez pas néanmoins de dire: Le Père n'a rien ôté au Fils en l'engendrant. Comment se peut-il faire qu'il n'ait rien ôté au Fils en l'engendrant, lorsqu'au lieu de le faire son égal, il l'a fait son inférieur? Cela veut-il dire qu'après avoir engendré son Fils, il ne lui arien ôté de ce qu'il lui avait donné en l'engendrant? En ce sens-là, certainement, il ne lui a rien ôté; mais il en est ainsi même à l'égard des enfants des hommes qui viennent heureusement au monde; le Créateur ne leur ôte rien après leur naissance; que dis-je? il ajoute plutôt i leurs dons naturels, et leur accorde en grandissant ce qu'ils n'avaient pas au moment de leur naissance. Quelle importance faut-il donc attacher à ce que vous avez dit de la conduite du Père envers son Fils unique, qui n'a pas été tiré du néant ni de la matière, mais qui est né de lui-même? Quelle merveille qu'il n'ait pas ôté ce qu'il a donné, s'il n'a pas, en le donnant, ôté ce qu'il pouvait donner? Com. ment en êtes-vous venu à dire qu'il n'est pas jaloux? Ou bien, est-ce qu'il était dans l'impossibilité de donner à son Fils? Mais alors où est la toute-puissance de Dieu le Père? Or, toute la question se réduit au dilemme suivant: Ou Dieu le Père n'a pu engendrer un Fils égal à lui-même, ou il ne l'a pas voulu. S'il ne l'a pu, c'est une imperfection; s'il ne l'a pas voulu, c'est par motif de jalousie. Or, ces deux conclusions sont fausses. Donc le Fils est vraiment égal à Dieu son Père. Si donc il,vous plaît toujours d'entendre ce telle cité par moi: «Les perfections invisibles de Dieu sont rendues compréhensibles par la connaissance que nous en donnent ses créatures (1)», apprenez, par ce qui se passe dans la création visible, où les parents engendrent ce qu'ils sont eux-mêmes, apprenez, dis-je, à connaître la naissance du vrai Fils de Dieu, et ne dites plus que Dieu le Père a engendré ce qu'il n'est pas lui-même. Or, s'il a engendré ce qu'il est lui-même, cessez de nier l'unité de substance du Père et du Fils.


CHAPITRE VIII. SAINT AUGUSTIN NE RÉPOND PAS AUX DIGRESSIONS SUPERFLUES DE MAXIMIN SUR L'INCARNATION ET LA MORT DE JÉSUS-CHRIST.

Dans les digressions suivantes, que vous faites à propos de la croix et de l'incarnation du Christ, vous êtes fidèle à votre habitude, en voulant nous prouver ce qui est l'objet de notre commune foi; mais en ne vous répondant

1. Rm 1,20

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rien à ce sujet, je me montre, moi aussi; fidèle à ma promesse.


CHAPITRE IX. DE L'INVISIBILITÉ DU FILS.

1. Lorsque nous discutions sur l'invisibilité du Fils, que vous avez consenti à reconnaître en lui sous le rapport de la divinité, tandis qu'auparavant vous l'aviez attribuée exclusivement au Père, vous avez dit, à propos des créatures invisibles, une foule de choses qui n'avaient pas de rapport à la question: le lecteur pourra d'ailleurs en juger. Or, il s'agit entre nous de l'invisibilité de Dieu: et c'est là tout l'objet du débat, car vous pensez qu'il n'est fait mention que de l'invisibilité du Père dans ce passage de l'Apôtre: «Au Dieu immortel, invisible, unique (1)». Si le texte portait: Au Père seul, la solution serait peut-être plus difficile; mais nous lisons: «Au Dieu unique»: ce qui évidemment n'est pas contre nous; conséquemment, et le Fils unique, en sa nature divine, et le Saint-Esprit, en la nature qu'il possède aussi, sont également invisibles, car la Trinité est un seul et unique Dieu, suivant notre foi. Sommes-nous dans le vrai en le soutenant, c'est ce que nous avons démontré ailleurs, et ce que nous démontrerons encore, quand il le faudra. Maintenant, sur cette question, il est peut-être permis de s'étonner que l'Ecriture dise de Dieu seul, qui est la Trinité même: «Au seul Dieu invisible», tandis qu'il existe des créatures qui sont invisibles aussi: «Toutes choses», est-il dit du Christ, «ont été «créées par lui, et les visibles et les invisibles (2)». Mais c'est parce que les faux dieux sont visibles, que l'Apôtre s'exprime en ces termes: «Au seul Dieu invisible soit honneur et gloire». Car, quoiqu'il existe des créatures invisibles, ce ne sont pas pour nous des dieux, Mais, lors même que le texte ne porterait pas: «Au seul Dieu»; mais: «Au Roi des siècles, immortel, au seul invisible, soit honneur et gloire»: à qui s'appliquerait-il, si ce n'est à Dieu? Donc, honneur et gloire soit à Dieu seul, qui est un Dieu invisible, et non pas, qui est le seul invisible; car il y a aussi, comme nous l'avons observé, des créatures qui sont invisibles. On peut demander encore pourquoi il est écrit: «Nul n'a jamais

1. 1Tm 1,17 - 2 Col 1,16

vu Dieu (1)», tandis que le Seigneur dit expressément: «Ne savez-vous pas que leurs anges voient sans cesse la face de mon Père qui est dans les cieux (2)?» Voilà une citation qui confond votre ignorance, au moment où vous soutenez que le Père seul est invisible, sans savoir ce que vous dites. Jésus-Christ a dit: «Ce n'est pas que personne ait vu le Père, si ce n'est celui qui est de Dieu; car celui-là a vu le Père (3)»: personne, peut s'entendre ici des hommes. Comme il était homme lui-même et parlait alors dans la chair, son langage revenait ainsi à dire: Ce n'est pas qu'aucun homme, si ce n'est moi, ait vu le Père; de même qu'il est écrit: «Quel est le sage qui comprendra ces choses (4)?» car ces paroles ne peuvent s'appliquer aux saints anges. C'est pourquoi l'Apôtre, parlant de l'invisibilité de Dieu, dit en termes plus découverts: «Que nul des hommes ne l'a vu et ne peut le voir (5)». Il ne dit pas: Personne; mais: «Nul des hommes». Ce qui nous donne l'intelligence de ce passage

«Personne n'a jamais vu Dieu», c'est-à-dire Nul des hommes; de même qu'il est écrit «Personne ne monte au ciel (6)», quoique les anges y montent et en descendent continuellement. L'Apôtre n'a pas dit cependant: Nul des hommes ne pourra voir Dieu; mais «Personne ne peut». Car l'homme pourra voir Dieu un jour, mais quand il sera la récompense éternelle de ses fidèles serviteurs. De là ces paroles de l'apôtre Jean: «Mes bien-aimés, dit-il, nous sommes enfants de Dieu, mais ce que nous serons n'apparaît pas encore: nous savons que quand il se montrera, nous serons semblables à lui, parce que nous le verrons tel qu'il est (7)». Comment dites-vous donc que le Père seul est invisible? Ce qui serait faux, lors même qu'il ne serait vu que par le Fils. Mais maintenant que, suivant le témoignage de nos saints livres, il est vu des anges, et qu'il se manifestera aussi aux hommes, lorsqu'ils seront devenus semblables aux anges (8), que signifie ce que vous dites? Que devient votre affirmation audacieuse, d'après laquelle les créatures inférieures sont vues par les créatures supérieures, mais non réciproquement les créatures supérieures par les créatures

1. Jn 1,18 - 2. Mt 18,10 - 3. Jn 6,46 - 4. Ps 106,43 - 5. 1Tm 6,16 - 6. Jn 3,13 - 7. 1Jn 3,2- 8. Mt 22,30

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inférieures? Il est vrai que vous avez ensuite abandonné cette définition, quand vous avez reconnu que le Père est vu par le Fils, quoique vous prétendiez que, même sous le rapport de la substance divine, le Fils est inférieur au Père. Mais que direz-vous des anges, qui voient sans cesse la face de Dieu le Père? Est-ce que, conformément à la règle que vous avez établie sans réflexion, il faudra mettre les anges au-dessus de Dieu le Père?

2. Mais vous pensez avoir été habile, quand vous avez trouvé cette échappatoire, au sujet du Fils: Il a vu le Père, mais sans pouvoir l'embrasser entièrement. Vous ne vous apercevez pas ici du vice de votre argument: car, lors même que le Père n'aurait pu, comme vous le prétendez, être embrassé par le Fils, ce n'est pas une raison pour qu'il ait été invisible à ses yeux. Or, toute la discussion entre nous, quand vous avez avancé cet argument, roulait sur la question de savoir, non pas si le Père pouvait être, ou non, embrassé par le Fils, mais s'il était visible ou invisible pour lui car l'Apôtre ne dit pas: Au seul Dieu qui ne peut être embrassé; mais: «Au seul Dieu invisible». Vous avez cru pouvoir tirer de ce texte une preuve défavorable au Fils et donner à entendre qu'il n'était pas invisible, même dans sa nature de Dieu. Mais vaincu par la vérité et contraint de confesser l'invisibilité du Fils, vous vous êtes préparé, comme je le pense, à faire la réponse suivante: L'invisible a engendré l'invisible; de même que vous avez dit: Le puissant a engendré le puissant; afin de pouvoir dire, quand vous seriez pressé de vous expliquer: Le plus invisible a engendré l'invisible, comme le plus puissant a engendré le puissant; le plus sage, le sage, et le reste de votre théorie. Autant vous montrez de sagesse, quand vous dites que le Père ne peut être embrassé par le Fils, autant vous en faites voir, quand vous démontrez que le Fils est embrassé par le Père. Le Fils, dites-vous, voit le Père, mais sans pouvoir Fe1nbrasser. Quant au Père, ce sont vos propres expressions, il voit le Fils, en le tenant et le possédant en son sein. Il n'y a, pour tenir un pareil langage, que ceux qui ont la sagesse charnelle. Car, je le vois, ce sein du Père n'est qu'un mot imaginé pour le besoin de votre cause; c'est une sorte de capacité où la grandeur du Père embrasse et tient enserrée l'infériorité relative du Fils: à peu près comme une maison sert matériellement d'asile à l'homme, comme le sein d'une nourrice reçoit un enfant. Voici donc une merveille d'un nouveau genre qu'il faut attribuer au Christ: c'est qu'il a pris de l'accroissement dans sa nature de serviteur et qu'il y est devenu plus grand que dans sa nature divine, puisqu'il était porté auparavant dans le sein du Père, et qu'il est maintenant assis à sa droite. De grâce, mettez de côté ces puérilités et ces contes de vieilles; et quand il est question du sein du Père, entendez-le en ce sens que l'un a engendré, et que l'autre est le Fils; et non pas, que l'un est plus grand, et l'autre plus petit, Car si le Père ne peut être embrassé, et que la même chose ne puisse être attribuée au Fils, alors l'Ecriture ment quand elle fait dire à celui-ci: «Tout ce qu'a mon Père est à moi (1)»: on peut lui répondre en effet: Le Père ne peut être embrassé, et vous êtes privé de cet attribut. Mais comme il ne peut sortir d'erreur de la bouche de la Vérité, et que tout ce que possède le Père appartient au Fils; il est impossible de dénier au Fils cet attribut du Père, si grand d'ailleurs qu'on veuille l'imaginer. Pour nous, il est de notre devoir de vous opposer toujours cette maxime du Sauveur: «Tout ce qu'a mon Père est à moi», soit afin de vous convaincre, soit afin d'amener, et c'est là notre principal désir, votre conversion: de sorte que, chaque fois que vous attribuez au Père une perfection que vous déniez au Fils, nous avons à la produire comme un témoignage irréfragable contre vos erreurs ou vos mensonges. Et qu'est-il besoin de discuter avec vous, quand vous prétendez, pour appuyer votre thèse, que la sagesse humaine est visible, tandis que vous avez accordé que l'âme humaine, qui est certainement le siège de la sagesse de l'homme, est elle-même invisible? Mais quoi qu'il en soit de votre manière de voir sur les créatures invisibles, en ce qui concerne Dieu, et c'est là tout l'objet de notre discussion, il est suffisamment démontré que le Père n'est pas seul invisible.


CHAPITRE X. EXPOSITION DU MYSTÈRE DE LA SAINTE TRINITÉ,

1. Vous pensez que Dieu le Père ne peut être un seul Dieu, s'il est uni au .Fils et au Saint-Esprit: vous craignez que le Père ne soit plus

1. Jn 16,15

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un seul Dieu unique, mais qu'il ne devienne une partie d'un Dieu unique en trois personnes. Ne craignez rien; dans l'unité de la divinité il n'y a pas de division de parties. Le Père et le Fils et le Saint-Esprit, en d'autres termes, la Trinité elle-même n'est qu'un seul Dieu. Elle est ce Dieu unique, dont il est écrit, qu' «il n'y a d'autre Dieu que le seul Dieu (1)»; et qui a dit expressément: «Ecoute, Israël: le Seigneur ton Dieu est le Seigneur unique». Nous ne faisons aucun scrupule de dire que nous servons ce Dieu seul et unique, quand nous entendons et lisons ce passage: «Tu adoreras le Seigneur ton Dieu, et tu ne serviras que lui seul (2)». Ces paroles ne nous détournent pas de l'adoration que nous devons au Christ, dont nous sommes les membres (3), et au Saint-Esprit, dont nous sommes le temple (4); s'il est écrit: Tu ne serviras que le Seigneur ton Dieu seul, nous appliquons ce texte, non pas au Père exclusivement, mais à la Trinité même. Pour vous, lorsqu'on vous demande quel est, à votre avis, celui dont il est fait mention dans ce passage: «Le Seigneur ton Dieu est le Seigneur unique», vous répondez que c'est Dieu le Père. Et lorsque ensuite on vous demande de quel Seigneur Dieu il est dit: «Tu adoreras le Seigneur ton Dieu, et tu ne serviras que lui seul», vous répondez encore qu'il s'agit là de Dieu le Père. Voici alors ce qu'on nous objecte: Si le Seigneur notre Dieu est un Seigneur unique, et que ce soit le Père, pourquoi imaginez-vous deux seigneurs dieux, en disant que le Christ est aussi Seigneur Dieu? Si ce Père est le seul et unique Seigneur Dieu digne d'adoration, comment vous montrez-vous dociles à ce commandement, quand vous adorez aussi le Fils comme Seigneur Dieu? Car le premier n'est pas seul adoré, quand on rend le même culte au second. Or, suivant notre foi, reconnaissant la Trinité comme notre unique Seigneur Dieu, nous avons certainement l'assurance qu'en lui rendant à elle seule le culte qui est à Dieu, nous servons l'unique Seigneur Dieu.

2. Donc, dites-vous, Dieu le Père est une portion de Dieu. Pas du tout. Car le Père et le fils et le Saint-Esprit sont trois personnes; et ces trois, n'ayant qu'une même substance, sont un, et souverainement un: en eux, il n'y a ni diversité de natures, ni diversité de volontés. Or, s'ils étaient un par nature, sans

1. 1Co 8,4 - 2. Dt 6,4-13 - 3. 1Co 6,15 - 4. 1Co 3,17

l'être par la volonté, ils ne seraient pas parfaitement un; et s'ils étaient différents de nature, ils ne seraient pas un. Ces trois, qui sont un par l'union étroite et ineffable de la divinité, sont donc un seul Dieu. Quant au Christ, il est une personne douée d'une double substance, parce qu'il est Dieu et homme tout ensemble. En lui cependant le Dieu ne peut être appelé une portion de cette personne: sans quoi, le Fils de Dieu, Dieu lui-même avant de prendre la nature de serviteur, n'aurait pas été tout ce qu'il est, et quand l'homme s'unit à sa divinité, il aurait pris de l'accroissement. S'il est de la dernière absurdité de tenir un pareil langage à l'égard d'une des trois personnes, parce que Dieu ne peut être la partie de quoi que ce soit; à combien plus forte raison l'un des trois ne peut-il être appelé une portion de la Trinité? Ensuite, quand l'Apôtre dit: «Celui qui s'attache au Seigneur est un même esprit avec lui (1)», est-ce que le Seigneur est une portion de cet homme qui ne fait qu'un avec lui? Si nous le disions, que serait-ce à dire sinon que le Seigneur gagne à être uni à l'homme, et perd à en être séparé? Donc, en la Trinité qui est Dieu, le Père est Dieu, le Fils est Dieu, et le Saint-Esprit est Dieu, et tous les trois ne sont qu'un seul Dieu: et l'un d'eux n'est pas une troisième partie de cette Trinité, et deux ne sont pas une portion plus grande qu'un seul: et tous réunis ne sont pas quelque chose de plus que chacun en particulier, parce que leur grandeur est spirituelle et différente de celle des corps. Qui peut comprendre, comprenne (2); que celui qui n'en est pas capable, croie et demande l'intelligence de comprendre ce qu'il croit. Car le Prophète dit vrai dans ce passage: «Si vous ne croyez, vous ne comprendrez point (3)».

3. Vous avez dit que le Dieu unique n'est pas composé de parties. Et comme vous prétendez ne dire cela que du Père, vous ajoutez Ce qu'il est, c'est une puissance qui n'a pas été engendrée, qui est simple. Et cependant voyez que de choses multiples vous imaginez réunies dans cette vertu simple! Car voici vos propres paroles: Un Dieu a engendré un Dieu, le Seigneur un Seigneur, le Roi un Roi, le Créateur un Créateur, bon il a engendré un être bon, sage un être sage, clément un être clément, puissant un être puissant. Pourquoi

1. 1Co 6,17 - 2. Mt 19,12 - 3. Is 7,9

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donc n'avez-vous pas craint d'énumérer tant de vertus dans une vertu simple, comme est Dieu? En effet, sans parler des quatre premières, et à ne nous en tenir qu'aux quatre autres, qu'il est possible de désigner sous des noms communs, la bonté, la sagesse, la clémence et la puissance seraient-elles des parties d'une vertu que vous affirmez être simple?: Si vous dites oui, une vertu simple comprend donc des parties, et cette vertu simple est, selon vous, un seul Dieu. Vous affirmez par conséquent que le Dieu unique est composé de parties. Non, répondez-vous, il n'y a pas de parties: et cependant vous en comptez quatre, et il n'y a qu'une vertu en même temps simple. Si donc, dans la personne unique du Père, vous trouvez plusieurs choses, et n'y admettez pas de parties, à combien plus forte raison y a-t-il, dans le Père et le Fils et le Saint-Esprit, un seul Dieu avec la divinité individuelle en chacun d'eux, et trois personnes avec la propriété particulière À chacun, sans qu'il y ait, a raison de leur perfection personnelle, les parties d'un Dieu unique! Le Père est une vertu, et le Fils aussi, et le Saint-Esprit également. Ici vous dites vrai: mais quand vous prétendez que la vertu engendrée par la vertu, et la vertu procédant de la vertu, n'ont pas la même nature, vous formulez une erreur, vous contredites la foi orthodoxe et catholique.


CHAPITRE 11. LE FILS EST INVISIBLE COMME LE PÈRE.

Vous revenez sur vos pas, pour me demander de quelle manière le Fils est invisible, tandis que j'ai déjà exposé précédemment ce que j'ai cru devoir dire à ce sujet. Mais, objectez-vous, si vous affirmez que le Fils est invisible, parce qu'il ne peut être contemplé par les yeux humains; pourquoi n'affirmez-vous pas la même chose des vertus célestes, puisqu'elles ne peuvent être non plus aperçues par le regard de l'homme? Vous parlez absolument comme s'il était au pouvoir de l'homme de comprendre la manière dont les vertus célestes sont invisibles; ou comme si c'était pour nous un devoir de le rechercher, lorsque l'Écriture nous donne cet avertissement: «Ne recherchez point ce qui est au-dessus de vous (1)». Vous ne tenez point

1. Si 3,22

compte vous-même de cette recommandation, puisque vous avez eu la hardiesse de prétendre que les anges sont vus par les archanges, mais non les archanges par les anges. Il suffit que j'aie démontré l'inconséquence où l'on tomberait, en croyant que le Fils est visible dans sa nature divine, parce que l'Écriture contient ces mots: «Au seul Dieu invisible (1)», Appliquant ce texte au Père, vous en tiriez la conclusion que le Fils n'est pas invisible, et cela, en dépit de l'Écriture, qui le proclame le créateur même des choses invisibles. Voici toutefois l'argument qui vous reste: Ils sont tous deux, le Père et le Fils, invisibles, mais le Père est invisible à un degré supérieur; or, en donnant ainsi au Père quelque chose qui n'appartient pas au Fils, vous faites de ce même Fils un menteur, car il dit: «Tout ce qu'a mon Père est à moi (2)».


CHAPITRE XII. LE FILS EST TOUT-PUISSANT COMME LE PÈRE.

3. Vous tenez le même langage au sujet de la puissance du Fils; vous accordez qu'il a la puissance en partage, mais vous en attribuez une plus grande au Père: ainsi, d'après vos maîtres et vos docteurs, celui qui est puissant aurait pu engendrer un être puissant, mais le Tout-Puissant n'aurait pu engendrer un être tout-puissant. Il suit de là que, si le Père possède la toute-puissance, et que le Fils ne l'ait pas, celui-ci ment quand il dit: «Tout ce qu'a mon Père est à moi». De plus, si le Père fait quelque chose que le Fils ne peut pas faire, il est juste de dire que le Père est plus puissant que le Fils; mais comme il a dit «Tout ce que fait le Père, le Fils le fait «également (3)», le meilleur, n'est-il pas de s'en rapporter à lui plutôt qu'à vous, de croire à ses enseignements plutôt qu'à vos erreurs? Mais, dites-vous, le Père ne tient sa puissance de personne, tandis que le Fils l'a reçue du Père. Nous confessons, nous aussi, que le Fils tient sa puissance de celui dont il est né, et que nul n'a donné la puissance au Père, parce que nul ne l'a engendré. Le Père a donné la puissance au Fils en l'engendrant, de même que tout ce qu'il a dans sa substance, il l'a, par le fait de la génération, donné à celui qu'il a engendré de sa propre substance. Mais la question est de savoir si le Père a

1. 1Tm 1,17 - 2. Jn 16,15 - 3. Jn 5,19

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donné au Fils une puissance égale ou inférieure à la sienne. S'il a donné une puissance égale, alors.il faut dire, croire et entendre, non plus que celui qui est puissant a engendré un être puissant, mais que le Tout-Puissant a engendré un être tout-puissant; et s'il lui a donné une puissance inférieure à la sienne, comment alors tout ce qu'à le Père, appartient-il au Fils? Si la toute-puissance du Père n'appartient pas au Fils, comment «tout ce que fait le Père, le Fils le fait-il également?» c'est chose impossible, à moins qu'il ne soit tout-puissant.

2. Et quand l'Apôtre dit: «Celui qui est a heureux et seul puissant», je ne suis pas obligé d'entendre ces paroles du Père exclusivement, mais de Dieu, en d'autres termes, de la Trinité elle-même. Voici en effet ce qu'il écrit à Timothée: «Je vous ordonne devant Dieu qui fait vivre toutes choses, et devant Jésus-Christ qui a attesté par sa mort l'excellente confession qu'il avait faite sous Ponce-Pilate, de garder ces préceptes sans tache et sans reproche, jusqu'à l'avènement de Notre-Seigneur Jésus-Christ, que doit a manifester en son temps Celui qui est heureux et le seul puissant, le Roi des rois et le Seigneur des seigneurs; qui seul possède l'immortalité, et habite une lumière inaccessible; que nul homme n'a vu et ne peut voir, à qui est honneur et gloire dans les siècles des siècles. Amen (1)». Je ne vois rien à ces paroles qui ne convienne à la Trinité. Mais sans parler ici de l'Esprit-Saint, dont vous ne voulez pas même faire un Dieu inférieur au Fils, parce que vous lui refusez absolument la divinité, il suffit que nous vous convainquions de l'égalité qui existe entre le Père et le Fils. De ce que l'Apôtre dit: «Je vous jure devant le Dieu qui donne la vie à tout», s'ensuit-il en effet que le Père seul donne la vie, à l'exclusion du Fils? Si vous dites que le Père seul donne la vie à toutes choses, comment donc «tout ce que fait le Père, le Fils le fait-il également?» Car, selon vous, le Père donne la vie à toutes choses, et le Fils ne le fait pas. Après cela, quand il dit: «Comme le Père ressuscite les morts et leur rend la vie, ainsi le Fils donne la vie à qui il lui plaît (2)»; comment cela s'accorde-t-il avec la vérité, si le Père donne la vie à toutes choses, à l'exclusion

1. 1Tm 6,13-16 - 2. Jn 5,21

du Fils? Par conséquent, lorsque l'Apôtre ajoute: «Et devant Jésus-Christ qui a attesté par sa mort l'excellente confession qu'il a faite sous Ponce-Pilate», il entend parler proprement du Fils; car bien que le Fils donne la vie à toutes choses comme le Père, nous savons que ce n'est pas le Père, mais le Fils qui a souffert sous Ponce-Pilate dans sa nature de serviteur. L'Apôtre ajoute: «Gardez ces préceptes sans tache et sans reproche, jusqu'à l'avènement de Notre-Seigneur Jésus-Christ, que doit manifester en son temps Celui qui est heureux et seul puissant»: ce qui sera manifesté, c'est l'avènement de Jésus-Christ; et celui qui fera cette manifestation, c'est Dieu, et non pas le Père seul, car, suivant la vérité, et non suivant votre erreur, la Trinité est un seul Dieu, «heureux et seul puissant, Roi des rois et «Seigneur des seigneurs». Est-ce que par hasard vous oseriez encore refuser au Fils le titre de Roi des rois et de Seigneur des seigneurs? Mais, entre autres choses, voici ce qui est écrit de lui dans l'Apocalypse de Jean «Et c'est lui qui foule la cuve de vin de celui qui est puissant, et il porte écrit sur son vêtement et sur sa cuisse: Le Roi des rois et le Seigneur des seigneurs (1)». Mais de peur que vous n'objectiez que: ce nom, écrit sur le vêtement et sur la cuisse du Fils, c'est le nom du Père, on lit plus haut dans un autre endroit du même livre: «Et l'Agneau les vaincra, parce qu'il est le Seigneur des seigneurs et le Roi des rois (2)». Selon vous, il y a donc deux rois des rois et deux seigneurs des seigneurs; et si on l'entend du Père exclusivement, ce texte de l'Apôtre: «Celui qui est heureux et seul puissant, le Roi des rois et le Seigneur des seigneurs», va contre vous. Mais, suivant la vraie foi, la Trinité est un seul Dieu, «qui est heureux et seul puissant, Rois des rois et Seigneur des seigneurs, qui possède seul l'immortalité, et habite une lumière inaccessible». Et comment serait-il vrai de dire: «Approchez de lui, et vous serez éclairés (3)», si cela ne signifie pas que personne n'est capable de trouver ces lumières en lui-même, s'il en a la présomption, mais que c'est un don de Dieu? Or, on dit que Dieu seul possède l'immortalité, parce que seul il est inaccessible au changement. Le changement est en effet une sorte de mort

1. Ap 19,15-16 - 2. Ap 17,14 - 3. Ps 33,6

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dans tout être qui est sujet à changer, parce qu'il fait que quelque chose qui était en lui, cesse d'être. L'âme de l'homme elle-même, que l'on dit immortelle, parce qu'elle ne cesse point en quelque sorte de vivre suivant son mode propre, éprouve cependant une sorte de mort en rapport avec sa nature: car, si elle pèche après avoir bien vécu, elle meurt à la justice; et si elle revient à la justice après avoir été pécheresse, elle meurt au péché ceci soit dit, sans préjudice de ses autres modifications, dont il serait trop long de parler ici. La nature des créatures célestes a pu mourir également, parce qu'elle a pu commettre le péché: car les anges mêmes ont péché, et sont devenus ces démons dont le diable est le chef. Et ceux qui n'ont pas commis le péché, ont pu aussi le commettre. Et toute créature raisonnable qui est impeccable, ne le tient pas de sa nature, mais de la grâce divine: Conséquemment Dieu seul possède l'immortalité; sans le devoir à personne, mais en vertu de sa nature, il n'a pu et ne peut subir aucun changement, il n'a pu et ne pourra pécher par suite de quelque changement. Sous le rapport de sa nature divine, «nul homme ne l'a vu et ne peut le voir»; mais il pourra un jour le contempler, s'il est du nombre de ceux dont il est dit: «Heureux ceux qui ont le coeur pur, parce qu'ils verront Dieu (1)». A ce Dieu, c'est-à-dire, au Père, et au Fils et au Saint-Esprit, à la Trinité qui est un seul Dieu, honneur et gloire dans les siècles des siècles. Amen.

3. Mais loin de nous de prétendre, à votre exemple, que le Père est plus puissant que le Fils, parce que le Père a engendré un créateur, et que le Fils n'a pas fait la même chose. Ce n'est pas qu'il n'en ait pas été capable, mais c'est qu'il n'a pas dû le faire. Car la génération n'aurait point de bornes, si le Fils, qui est engendré, engendrait lui-même un petit-fils au Père: en effet, si le petit-fils, à son tour, n'engendrait pas un arrière-petit-fils à son aïeul, il faudrait, d'après votre admirable sagesse, l'accuser d'impuissance. De même encore, s'il n'engendrait pas un petit-fils à son grand-père, et un arrière-petit-fils à son bisaïeul, vous ne l'appelleriez pas tout-puissant; la suite des générations demeurerait ainsi incomplète, si l'un donnait toujours naissance à un autre; et nul ne la complèterait,

1. Mt 5,8

si un seul ne pouvait y suffire. Donc le Tout-Puissant a engendré le Fils tout-puissant, parce que «tout ce que fait le Père, le Fils le fait également». Car la nature du Père a engendré, elle n'a pas fait le Fils.



Augustin et Maximin - CHAPITRE 3. DE L'ÉGALITÉ DU FILS AVEC LE PÈRE, ET DU SAINT-ESPRIT AVEC LE FILS.