Augustin, les Psaumes 10401

PREMIER DISCOURS SUR LE PSAUME CIII LE MONDE INVISIBLE DANS LE MONDE VISIBLE.

10401 (Ps 103,1-17)

Les oeuvres visibles du Seigneur ont un sens que nous devons chercher dons ce psaume. «Vous êtes infiniment grandi par moi». Cette parole doit s'entendre comme cette autre: Que votre nom soit sanctifié; ce nom toujours saint est sanctifié quand les hommes deviennent assez droits pour que Dieu leur plaise. Alors le nom du Seigneur est grandi quand nous le connaissons assez pour comprendre cette grandeur, et cette connaissance nous grandit à notre tour. Dieu s'est revêtu de confession et de beauté, parce que l'Eglise, non pins que l'âme, ne peut s'approcher de Dieu, qu'en avouant une laideur qui vient à l'une du péché, à l'autre de l'idolâtrie. Toutefois le Christ; en mourant pour les impies, nous aimait malgré notre laideur; il s'abaissait pour nous, et n'avait ni éclat ni beauté, afin de nous en donner, Il a fait les cieux, comme on déploie une peau, et cette peau signifie la mortalité, car elle fut donnée aux premiers coupables, devenus mortels par le péché. C'est encore l'Evangile prêché par des hommes mortels et qui couvre la terre. La hauteur des cieux que Dieu couvre d'eau, c'est la sainte Ecriture, et au-delà cette charité qu'il répand dans nos coeurs, et qui est bien supérieure à tous les autres dons. Les nuées sont une échelle pour lui, c'est-à-dire que par les prédicateurs il conduit au ciel des Ecritures ceux qui écoutent avec docilité; malheur à ceux qui ne montent pas, et qui sont ou branches stériles, ou produisant des épines. Il est porté sur les ailes des vents ou des âmes qui sont un souffle de vie, et dont les ailes sont des vertus, La charité en Dieu ou la croix, a sa largeur dans les bonnes oeuvres, sa longueur dans la persévérance finale, sa hauteur dans l'espérance des biens de l'autre vie, sa profondeur dans les sacrements. Les esprits deviennent ses anges, quand ils portent ses messages: quelquefois il se sert du feu, comme il se sert de l'homme spirituel pour la prédication. L'Eglise est solidement fondée sur le Christ. Ecoutons la parole de Dieu de manière à porter pour fruit principal le pardon des offenses.

1. Avant-hier, autant que vous daignez vous en souvenir, nous vous avons largement rassasiés. Mais comme après un long discours, vous ne laissiez pas de témoigner une grande avidité, nous n'avons pas voulu aujourd'hui refuser l'acquittement de notre dette, afin de joindre à cet acquittement le gain que nous espérons en tirer. Le psaume qu'on vient de lire est plein de figures et de mystères, et demande non-seulement de notre part, mais aussi de la vôtre, une attention soutenue. A la rigueur, cependant, on pourrait donner à ce qu'il contient un sens littéral et religieux à la fois. On y retrouve en effet, sinon toutes les merveilles du Seigneur, du moins ces oeuvres connues de tous ceux qui les voient, et qui, dans ces merveilles qu'il a faites, merveilles visibles, savent lire ses merveilles invisibles 2. Nous y voyons un grand ouvrage, la création du ciel et de la

1. Prêché à Carthage dans la vieillesse de saint Augustin. - 2. Rm 1,20.

terre, et de tout ce qu'ils renferment; et la grandeur et la beauté de cette création nous font sinon voir l'ineffable grandeur, l'ineffable beauté du Créateur, du moins l'aimer. Ce divin ouvrier, que notre coeur n'est pas encore assez pur pour contempler, ne cesse de remettre ses oeuvres devant nos yeux, et par ces merveilles que nous pouvons découvrir, de stimuler notre amour envers celui que nous ne pouvons voir, afin que nous méritions de le voir un jour. Toutefois, dans tout ce que nous lisons, il faut chercher un sens spirituel, et avec le secours de Jésus-Christ, vos désirs m'aideront à sonder ces mystères, et seront comme autant de mains invisibles, frappant à la porte invisible aussi, afin qu'elle s'ouvre invisiblement, que vous y entriez invisiblement, et que vous soyez invisiblement guéris.

2. Disons donc tous: «Bénis le Seigneur, ô mon âme 1». Adressons-nous tous à notre âme, car nous tous, nous n'avons par la foi

1. Ps 103,1.

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qu'une seule âme, de même que nous tous, qui croyons en Jésus-Christ, ne formons, par notre union corporelle avec lui, qu'un seul et même homme. Que notre âme bénisse donc le Seigneur pour tant de bienfaits, pour les dons si grands et si nombreux de ses grâces. Nous retrouvons ces dons dans le psaume, avec un peu d'attention, en secouant le nuage des pensées charnelles, en élevant notre esprit autant qu'il nous est possible, en stimulant son attention autant que nous pourrons, en purifiant l'oeil de notre coeur autant qu'il est en nous, autant que le  permettent les occupations de cette vie, autant que nous ne sommes point aveuglés par les plaisirs du siècle. Elevons-nous donc pour entendre les dons si grands, si admirables, si désirables, si pleins d'allégresse et de joies saintes, que voyait en esprit celui qui a chanté notre psaume, quand il exhalait son allégresse, en s'écriant: «Bénis le Seigneur, ô mon âme».

3. «Seigneur, mon Dieu, votre grandeur a e été trop relevée». Voyez quelles magnificences va chanter le Prophète, et néanmoins dans ces magnificences, il ne faut bénir que l'auteur de ces grandes oeuvres. «Vous vous êtes revêtu de: gloire et de beauté». O Seigneur mon Dieu, dont la grandeur est infinie, d'où vient qu'on chante cette grandeur? N'ôtes-vous point toujours grand? toujours magnifique? N'êtes-vous point parfait, et pouvez-vous croître encore? Y a-t-il chez vous déchéance ou diminution? Mais vous êtes ce que vous êtes, et vous êtes véritablement, c'est vous qui vous êtes ainsi nommé à Moïse votre serviteur «Je suis celui qui suis 1» ; vous êtes grand dès lors, et vôtre grandeur est éternelle; elle n'a ni commencement ni fin; elle n'a point commencé avec le temps, elle ne s'écoule point vers la 6n du temps, ne souffre point diminution au milieu des temps; c'est une grandeur immuable. Comment donc votre grandeur fi-t-elle été trop relevée? Un autre prophète nous avertit ce disant: «Votre science est devenue admirable par moi 2». Or, si l'on peut dire avec vérité : «Votre science est devenue admirable par moi»; on peut dire aussi: «Vous êtes infiniment grandi par moi, Seigneur mon Dieu». Mais on peut demander encore: Est-ce moi qui puis relever Dieu? moi qui

1. Ex 3,14. - 2. Ps 138,6.

puis le grandir? La prière que nous offrons chaque jour à Dieu pour notre salut, nous enseigne quelque chose de semblable: «Que votre nom soit sanctifié», disons-nous; c'est là ce que nous demandons chaque jour, Si quelqu'un nous interrogeait: Comment demandez-vous que le nom du Seigneur soit sanctifié? Y a-t-il un moment où il ne soit pas saint, pour demander qu'il soit sanctifié? Et pourtant, si nous ne désirions pas qu'il en fût ainsi, nous ne le demanderions point. Car autre est la congratulation, et autre la prière; noue félicitons de ce qui est, nous demandons ce qui n'est pas encore. Quel est donc le sens de cette parole: «Que votre nom soit sanctifié?» Il nous aidera à comprendre cette autre: «Seigneur mon Dieu, vous êtes grandi à l'excès». Or, « Que votre nom soit sanctifié», signifie: Que votre nom soit saint parmi les hommes. Sans doute, Seigneur, votre nom est toujours saint, mais il n'est pas encore saint pour les âmes impures. Car l'Apôtre l'a dit: «Tout est pur pour ceux qui sont purs, mais rien n'est pur pour les coeurs immondes et infidèles 2». Si rien n'est pur pour les coeurs infidèles et immondes, j'en demande la cause, et l'Apôtre me répond que «leur raison et leur conscience sont souillées». Or, si pour eux rien n'est pur, Dieu lui-même ne l'est pas; à moins de croire peut-être qu'ils le regardent comme pur, tout en le blasphémant. S'il est pur, qu'il leur plaise donc; et s'il leur plaît, qu'ils le bénissent. Mais s'ils le blasphèment, c'est qu'il leur déplaît; et s'il leur déplaît, comment peut être pur celui qui déplaît? Que demandons-nous alors par cette parole: «Que votre nom soit sanctifié?» Nous demandons que le nom du Seigneur soit saint dans ces hommes, pour qui il ne l'est pas à cause de leur infidélité, dans ceux pour qui n'est pas encore Saint, celui qui est saint en lui-même, par lui-même, et dans ses saints. Nous prions donc pour le genre humain, nous prions pour l'univers entier, pour tous les Gentils, pour tous ceux qui passent les journées à raisonner et à nous dire que Dieu n'est point juste, que ses jugements ne sont point justes, afin qu'ils se corrigent enfin eux-mêmes, et qu'ils redressent leur coeur sur sa droiture, qu'ils s'attachent à lui; devenus droits, selon la règle même, qu'ils ne blâment plus l'équité de Dieu,

1. Mt 6,9.- 2. Tt 1,15.

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mais que le Seigneur, toujours droit, plaise à ceux qui seront droits eux-mêmes. Car le Seigneur, «le Dieu d'Israël est bon», mais « à ceux qui ont le coeur droit 1». Alors celui qui chante ainsi, c'est-à-dire nous-mêmes, qui formons le corps du Christ, nous membres du Christ, à la vue des biens qu'a prodigués le Seigneur au genre humain, pour qui naguère Dieu n'était pas, ou n'était qu'un faux Dieu, ou du moins un Dieu moins grand, cet homme, dis-je, en voyant Dicta dans ses oeuvres, s'écrie: «Seigneur mon Dieu, vous êtes grandi à l'infini», c'est-à-dire, naguère je ne vous connaissais point, et je comprends que vous êtes grand. Vous êtes toujours grand, même quand vous êtes caché; mais Vous êtes devenu grand pour moi en m'apparaissant. Vous êtes donc grandi de ma part; de même que j'ai contribué à rendre votre science admirable 2,quand elle est devenue admirable pour moi. Je l'admire quand je reviens à elle; mais quand je n'y reviendrais pas, et quand, après y être revenu, je m'en détournerais, votre sagesse n'en demeure pas moins dans son intégrité. Mais quand par elle je deviens grand, que de petit elle me rend parfait, j'admire ce que je ne connaissais pas, non que mon admiration le grandisse, mais arriver à le connaître, de ma part, c'est grandir. Ecoute alors où Dieu me paraît grandi à l'excès, lui qui est toujours grand; c'est dans ses oeuvres qu'il nous a paru démesurément grand.

4. « Vous vous êtes revêtu de confession et de beauté». Le Prophète place avant la beauté la confession, qui est la beauté dans la beauté même. Tu veux la beauté, ô mon âme, et tu as raison. Mais pourquoi chercher la beauté? Afin d'être aimée de l'époux dans ta laideur tu ne peux que ici déplaire. Qu'est-i1 en effet lui-même? «Il surpasse en n beauté les enfants des hommes». Dans ta laideur, veux-tu donc embrasser un époux si beau? Mais tu ne considères point que tu es couverte d'iniquité, «tandis que la grâce est s répandue sur ses lèvres». Car c'est de lui qu'il est dit: «Il surpasse en beauté les enfants des hommes, la grâce est répandue sur mes lèvres: et pour cela les jeunes filles l'ont aimé 3». Cet époux est donc beau, il est plus beau que «les enfants des hommes», et quoique fils de l'homme, il surpasse «les enfants

1. Ps 72,1. - 2. Ps 128,6. - 3. Ps 44,3.

des hommes». Est-ce à lui que tu veux plaire, ô âme humaine, ô unique. Choisie entre tant d'autres? ici entendons l'Eglise dont les membres n'ont en Dieu qu'un coeur et qu'une âme 1; c'est à elle que s'adresse le Prophète. Veux-tu plaire à cet époux? Tu ne le peux dans ta laideur, que feras-tu peut être belle? D'abord prends à dégoût la laideur, et embellie par celui-là même à qui tu veux plaire, tu mériteras alors la beauté e celui qui te reformera, est celui-là même qui t'a formée. Vois donc tout d'abord ce que tu es, afin de n'aller point dans la laideur t'offrir aux baisers d'un époux si ravissant. Mais où pourrai-je me contempler, me diras-tu? Il t'a donné pour miroir ses saintes Ecritures; c'est là qu'il est dit: «Bienheureux ceux dont le coeur est pur, parce qu'ils verront Dieu 2». Cette parole même est un miroir, vois si tu es ce que dit cette Ecriture; et si tu ne l'es pointe gémis afin de le devenir. Le miroir te remettra devant les yeux ton propre visage; et comme il ne te flattera point, ne te flatte point toi-même. Sa pureté te montrera ce que tu es; et si tu te déplais à toi-même, travaille à n'être plus telle. Te déplaire dans ta laideur, c'est déjà plaire à celui qui est parfaitement beau. Quoi donc? Te déplaire dans la laideur, c'est déjà commencer un aveu; comme il est dit ailleurs: «  Commencez par confesser au Seigneur 3». Accuse d'abord ta laideur; car cette laideur de ton âme vient de tes péchés, de tes iniquités. Commence à confesser ta laideur, et cette confession deviendra pour toi un commencement de beauté; et qui te donnera cette beauté, sinon celui qui surpasse en beauté les enfants des hommes?

5. Mais pour t'embellir, j'ose le déclarer, il t'a aimée dans ta laideur. Qu'est-ce à dite qu'il t'a aimée dans ta laideur? «Le Christ, en effet, est mort pour les impies 4». Quelle vie ne te réserve pas, quand tu seras justifiée, celui qui est mort même pour les impies? Le voilà donc beau, «le plus beau des enfants des hommes», celui qui était le plus juste des hommes, et qui, venant trouver une épouse difforme, je le dirai, puisque je le trouve consigné dans les Ecritures, est devenu lui-même difforme. Ce n'est point moi qu'il faut écouter ici, de peur que je n'aie avancé trop légèrement cette parole. Mais en disant que Jésus-

1. Ac 4,32. - 2. Mt 5,8.- 3. Ps 146,7.- 4. Rm 5,6.

Christ a aimé son Epouse lorsqu'elle était difforme encore, de peur de parler d'une manière inexacte pour ceux qui aiment le Christ, je me suis appuyé d'un témoignage, et j'ai dit ce qu'a dit l'Apôtre: veux-tu savoir comment il a aimé celle qui était laide encore? «Le Christ est mort pour les impies», De même, comment prouver que le Christ, en venant trouver cette épouse difforme, est devenu lui-même difforme afin de l'embellir: comment le prouver, si l'Ecriture elle-même ne venait à mon aide, en disant tout d'abord qu' «il est supérieur en beauté aux enfants des hommes?» Et c'est encore dans l'Ecriture que je lis: «Nous l'avons vu et il n'avait ni apparence, ni beauté 1». D'une part, «c'est le plus beau des enfants des hommes»; d'autre part, «nous l'avons vu, et il n'a ni apparence, ni beauté». Le Prophète ne dit point: Nous ne l'avons pas vu, et dès lors, nous ne savons s'il avait apparence ou beauté; mais «nous l'avons vu», dit-il, «et voilà qu'il n'avait ni apparence ni beauté». Où donc l'a vu le Prophète qui nous dit: « Il surpasse en beauté tous les enfants des hommes?» Et où l'a vu celui qui dit: « Il n'avait ni apparence ni beauté?» Ecoutez où l'a vu celui qui le proclame «le plus beau des enfants des hommes: étant Dieu par nature, il n'a pas craint de se dire égal à Dieu 2». Il est donc bien supérieur aux hommes, puisqu'il est égal à Dieu. Je le comprends donc, je sais où l'a vu celui qui a dit: « Il surpasse en beauté tous les enfants des hommes». Où l'ai-je vu, me dit le Prophète? Mais « dans la forme de Dieu». Où donc l'as-tu vu, ô Prophète, dans la forme de Dieu? Comment le voir en la forme de Dieu? « Les perfections invisibles deviennent compréhensibles par tout ce qui est visible 3». Tout cela est fort bien, je comprends maintenant, et celui que tu as vu, et sous quel aspect tu l'as vu, et où tu l'as vu, et par où tu l'as vu. Qui as-tu vu? Notre Epoux. Sous quel aspect l'as-tu vu? « Supérieur en beauté aux enfants des hommes» .Où l'as-tu vu? « En la forme de Dieu». Par où l'as-tu vu? «Par ses ouvrages visibles que l'on comprend». Voyons maintenant ce que dit de lui l'autre Prophète, mais non pas un autre esprit; car ils ne sont pas en désaccord. L'un nous a montré celui qui est supérieur en beauté aux enfants des hommes, que l'autre

1 Is 53,2. - 2. Ph 2,6. - 3. Rm 1,20.

nous montre ce que signifie: «Nous l'avons vu, et il n'avait ni apparence ni beauté». Un seul apôtre vient mettre en accord ces deux Prophètes; le résumé de saint Paul rend témoignage à chacun des deux Prophètes. D'une part, il est supérieur en beauté aux enfants des hommes, «Celui qui, étant Dieu par nature, n'a pas cru qu'il y eût usurpation à s'égaler à Dieu 1». C'est que je retrouve encore ce qu'a dit l'autre Prophète, qu'il n'a ni apparence ni beauté: «Il s'est anéanti et a pris la forme de l'esclave; il a paru un homme, semblable aux autres hommes, par tout ce qui a été vu de lui; il s'est humilié, se rendant obéissant jusqu'à la mort, et la mort de la croix 2». C'est donc avec raison qu'on l'a vu sans apparence ni beauté. C'est avec raison, qu'en face de la croix, ils branlaient la tète,en disant: Est-ce à quoi est réduit ce Fils de Dieu? «S'il est Fils de Dieu, qu'il descende de la croix 3». Mais il n'avait alors ni éclat ni beauté. Or, je vous adjure, ô vous à qui déplaît ce Christ, n'a-t-il donc ni éclat ni beauté? O vous, qui branliez la tête devant la croix, qui ne l'affermissiez point dans ce Chef qui y était suspendu? N'est-il pas juste qu'elle soit branlante, la tête de ceux qui lui insultent, jusqu'à ce qu'il soit la tête des insulteurs, lui que l'on insultait alors? Mais voilà qu'il reprend sa beauté, et une beauté incomparable. Tes défis sont bien au-dessous de ce qu'il a fait. « S'il est Fils de Dieu», dis-tu, «qu'il descende de la croix». Il n'est point descendu de la croix, mais il est sorti du sépulcre.

6. Donc, ô mon âme, tu ne peux être belle, qu'en faisant l'aveu de ta laideur à celui qui est toujours beau, et qui, pour un temps, ne l'a pas été pour toi; qui ne l'était point quand il avait la forme de l'esclave, et qui était beau néanmoins dans la forme de Dieu. Tu es donc belle, ô sainte Eglise, et c'est toi que le Cantique des cantiques proclame «la plus belle des femmes 4». C'est de toi qu'il est dit: « Quelle est celle-ci qui s'élève dans cette blancheur 5?» Qu'est-ce à dire e dans cette e blancheur?» Dans cette lumière, car cette blancheur n'est pas le fard dont se servent les femmes qui veulent paraître ce qu'elles ne sont point; elle n'est point blanche à la manière d'une muraille blanchie 6? car toute

1. Ph 2,6.- 2. Ph 2,7-8.- 3. Mt 27,40.- 4. Ct 5,9 - 5. Ct 8,5, suiv. les Septante. - 6. Ac 18,13.

muraille blanchie sera détruite 1, a dit l'Apôtre, c'est-à-dire l'hypocrisie et la dissimulation. Une muraille blanchie n'est un toit qu'au dehors, une boue au dedans. Ce n'est point ainsi que l'Eglise est blanchie; elle est blanchie parce qu'elle est illuminée, car elle n'est point blanche d'elle-même. «J'ai été tout d'abord un blasphémateur 2», dit saint Paul; et encore: «Nous avons été nous-mêmes, par nature, enfants de colère, ainsi que les autres 3». La grâce est donc venue nous éclairer et nous blanchir: ainsi donc, ô sainte Eglise, vous avez été noire, et la grâce vous a blanchie: «Vous étiez autrefois ténèbres, et maintenant vous êtes lumière en Jésus-Christ 4». C'est donc de vous qu'il est dit: «Quelle est celle-ci qui s'élève dans sa blancheur?» La voilà dans sa beauté, on peut à peine la contempler. Aussi l'on dit avec admiration: «Quelle est celle-ci qui s'élève dans sa blancheur»; avec tant de beauté, tant de lumière, sans ride et sans tache 5? N'est-ce point celle qui gisait dans le bourbier de l'iniquité? N'est-ce point celle qui gisait dans la fange de l'idolâtrie? N'est-ce point celle qui était souillée par toutes les convoitises, tous les désirs charnels? «Quelle est donc celle-ci qui s'élève dans sa blancheur?» Vois celui qui pour elle est devenu sans apparence, sans beauté, et tu comprendras qu'elle ait tant d'éclat. Si tu es surpris de l'humiliation à laquelle son Epoux s'est réduit pour elle, ne le sois point de la gloire où elle est élevée à cause de lui. Quel n'est point le bonheur de cette Epouse éclatante de blancheur, puisque tendant qu'elle était noire, elle a pu enfanter l'Epoux éclatant de beauté qui est mort pour les impies? Donc, le Seigneur notre Dieu s'est revêtu de confession et de beauté, en se revêtant de l'Eglise: car l'Eglise est confession et beauté. Confession d'abord, beauté ensuite; confession des fautes, beauté dans les bonnes oeuvres, « Vous vous êtes revêtu de confession et de beauté».

7. «  Il se revêt de lumière, comme d'un vêtement 6». Tel est le vêtement de celle dont nous avons dit, qu'«elle n'a ni tache, ni ride». On l'appelle lumière, d'après ces autres paroles: « Vous fûtes autrefois ténèbres, vous êtes maintenant lumière dans le Seigneur». Ce n'est donc point en vous, car en vous-mêmes,

1. Ac 23,3. - 2. 1Tm 1,13. - 3. Ep 2,3. - 4. Ep 5,8. - 5. Ep 5,27. - 6. Ps 103,2.

vous êtes ténèbres, mais c'est dans le Seigneur que vous êtes lumière. Dieu donc « s'est revêtu de la lumière comme d'un vêtement, en étendant le ciel comme une peau». Le Prophète use de plusieurs figures pour nous montrer comment le Christ s'est revêtu, comme d'un vêtement, de cette Eglise qui est la lumière, comment elle est devenue lumière, comment sans ridé et sans tache, comment elle est devenue belle, comment éclatante pour être le vêtement de son Epoux, en lui demeurant unie étroitement; voilà ce qu'il nous faut écouter. «Il étend les cieux comme une peau». Je le vois de mes yeux. Qui donc a déployé ce pavillon des cieux que voient nos yeux charnels, si ce n'est Dieu? «Il a étendu les cieux comme une peau», ou à la lettre, avec facilité. Comme on ne saurait faire la moindre voûte sans un grand travail, sans de grandes machines, sans s'appliquer longtemps à vaincre les difficultés, l'Ecriture semble craindre que la vue de ce grand ouvrage de la création ne nous fasse croire à un semblable travail de la part de Dieu. Elle nous donne un exemple de cette facilité, que nous pouvons Plus aisément comprendre, et ne veut point nous laisser croire qu'il a bâti les cieux comme nous bâtissons le toit d'une maison, mais qu'il a étendu les cieux avec la même facilité qu'on déroule une peau. Admirable facilité! et cependant le langage de l'Esprit-Saint est trop lent encore, oui trop lent, dis-je, car Dieu n'a pas étendu les cieux comme tu étends une peau; qu'on mette en effet devant toi une peau avec des rides et des plis; commande-lui de s'étendre, étends-la de ta parole. Je ne puis, me réponds-tu; donc, pour étendre cette peau, tu es loin de cette facilité qui est en Dieu: «Car il a dit, et tout a été fait 1»; il a dit: «Qu'il y ait un firmament entre les eaux et les eaux, et il en a été ainsi 2». Mais pour marquer la facilité de Dieu, dans ses ouvrages, on te donne cette comparaison, à la portée de ton esprit.

8. Toutefois si nous regardons cette expression comme le voile de quelque mystère, si nous frappons contre cette porte fermée, nous trouvons que Dieu étend le ciel comme une peau, pour nous désigner, par le ciel, la sainte Ecriture. Dieu lui a donné tout d'abord une grande autorité dans son Eglise,

1. Ps 148,5 - 2. Gn 1,6.

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puis il a fait le reste. Il plaça donc le ciel, et l'étendit comme une peau, et «comme une peau» n'est pas inutile. Il étendit comme une peau la renommée des prédicateurs; ce mot de peau désigne la mortalité; de là vient que les deux premiers hommes, nos deux premiers parents, les premiers auteurs du péché parmi les hommes, Adam et Eve ayant méprisé dans le paradis, et, à la persuasion du serpent, violé le précepte de Dieu, furent assujétis à la mort et chassés du paradis; or, pour leur faire comprendre cet assujétissement à la mort, Dieu les revêtit de tuniques de peau. Ils reçurent donc ces tuniques faites avec des peaux 1. Or, ce n'est qu'aux animaux morts que l'on enlève la peau, qui dès lors figura la mortalité, Mais si le mot de peau signifie ici l'Ecriture, comment Dieu de cette peau a-t-il fait un ciel? «Il étendit le ciel comme une peau». C'est que les hommes qui nous ont prêché l'Ecriture étaient mortels. Quant au Verbe de Dieu, il est toujours le même, toujours immuable, toujours éternel. Voilà qu' «au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu». L'était-il donc alors, sans l'être iriaintenérit? il l'est, et lè sera toujours. Si donc le Verbe de Dieu est Dieu en Dieu, lis ce Verbe, situ le peux. Diras-tu qu'il est trop relevé, et que tu ne saurais le lire? Le Verbe de Dieu est partout; il atteint avec force, d'une extrémité à l'autre, et s'étend partout à cause de sa pureté 3. «Il était dans ce monde, et le monde a été fait par lui 4». Et en venant dans ce monde, il y était déjà. Car il y est venu dans sa chair, mais sa divinité n'a point cessé d'y être. Pourquoi donc ne saurais-tu lire le Verbe? «C'est que le monde par sa sagesse n'a pu reconnaître Dieu dans les oeuvrés de sa sagesse», bien qu'il fût constitué dans cette même sagesse; car c'est en elle que tout réside, et ce qui s'y soustrait n'est rien; et toi, au milieu de ces oeuvres, tu ne pouvais connaître Dieu par la sagesse humaine. Il fallait donc nécessairement, comme le dit ensuite saint Paul « qu'il plût à Dieu de sauver par la folie de la prédication ceux qui croiront en lui 5». Mais si c'est par la folie de la prédication que doivent être sauvés ceux qui croient, Dieu a donc choisi un moyen mortel; il a mis en

1. Gn 3,21.- 2. Jn 1,1.- 3. Sg 8,1 Sg 7,24. - 4. Jn 1,10.- 5. 1Co 1,21.

oeuvre des hommes mortels, des hommes qui doivent mourir, il a employé des langues mortelles, à donner des sons mortels; se servant donc d'instruments mortels pour un ministère mortel, il en a fait un ciel pour toi, afin de te montrer dans des choses périssables ce Verbe qui né meurt point, et de te rendre participant de cette immortalité. Moïse vécut, et il mourut. Dieu lui dit: «Va sur la montagne pour y mourir 1». Jérémie est mort, et tous les Prophètes sont morts; et les paroles de ces morts, paroles qui étaient moins les leurs que de Celui qui parlait en eux, et qui «étend les cieux comme une peau», ont subsisté jusqu'à nous. Le voilà délivré de cette vie, cet Apôtre qui disait: «Etre délivré et avec le Christ, est pour moi plus avantageux 2»; il vit maintenant avec le Christ aussi bien que tous les autres Prophètes. Mais par quel moyen nous a-t-il laissé ce que nous lisons de ses écrits? Par ce qu'il y avait de mortel en lui, sa bouche, sa langue, ses dents, ses mains; voilà ce qui a servi à Paul d'instruments pour nous laisser ce que nous lisons: le corps obéissait à l'âme, et l'âme à Dieu; le ciel fut donc étendu comme une peau. Nous qui sommes sous le ciel comme sous la tenture des saintes lettres, nous lisons tant que Dieu la déploie. «Car elle doit être ensuite repliée comme un livre 3». Ce n'est point sans raison que l'on compare ici l'Ecriture à un livre, là à une peau. Il y a là pour nous une figure. Quant aux saintes Ecritures, c'est la parole des morts qui s'étend; elle s'étend dès lors comme une peau, et d'autant plus qu'ils sont morts. Car ce n'est qu'après leur mort, que les Prophètes et les Apôtres furent connus. Vivants ils étaient ignorés, ces Prophètes connus pendant leur vie en Judée seulement, et après leur mort dans toutes les nations. La tenture n'était donc point déroulée pendant leur vie; le ciel n'était pas encore étendu de manière à couvrir l'univers entier. «Dieu a déployé le ciel comme une tenture».

9. «Il couvre d'eau ses parties les plus hautes 4». Voilà ce que nous lisons, et ce que l'on peut très-bien prendre à la lettre, Quand Dieu voulut établir le firmament entre les eaux et les eaux, il en fut ainsi1, et il y eut des eaux inférieures pour arroser la terre,

1. Dt 32,49. - 2. Ph 1,23. - 3 Is 34,4.- 4. Ps 103,3.- 5. Gn 1,6.

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et des eaux supérieures loin de nos regards mais qui sont un objet de notre foi. «Et que les eaux», dit le Prophète, «qui sont au-dessus des cieux, bénissent le nom du Seigneur car il a dit, et tout a été fait; il a ordonné, et tout a été créé 1». Voilà donc le sens littéral de ces paroles, que «Dieu couvre d'eau le plus haut des cieux». Quel est le sens figuratif ? Car nous avons montré que le mot de peau figurait l'Ecriture sainte, l'autorité du Verbe divin, dispersée par des hommes mortels dont la renommée s'est étendue après leur mort. Que signifie donc: «Il couvre d'eau ses «parties les plus hautes?» Quelles hauteurs ? Du ciel. Et qu'est-ce que le ciel? La sainte Ecriture. Quels sont les endroits supérieurs de la sainte Ecriture? Que trouvons-nous de plus élevé dans les saintes lettres? Interroge saint Paul: «Je vous montre, dit-il, une voie bien supérieure encore 2». Que peut-il appeler une voie bien supérieure? «Quand je parlerais les langues des hommes et celles des anges, sans avoir la charité, je ne suis qu'un airain sonore, une cymbale retentissante 3». Si donc on ne saurait trouver dans les saintes Ecritures rien de supérieur à la charité, comment couvrir d'eau les hauteurs des cieux, si les préceptes supérieurs des saintes Ecritures sont la charité? Ecoute comment: «L'amour de Dieu», dit l'Apôtre, « est répandu dans nos coeurs, par d'Esprit-Saint qui nous a été donné 4». Ce mot seul de répandre marque les saintes eaux dans la charité de l'Esprit-Saint. Telles sont les eaux dont il est dit quelque part: «Que vos eaux coulent dans vos rues, et que nul étranger n'y ait part 5». Ces étrangers sont tous les hommes en dehors du sentier de la vérité, soit païens, soit Juifs, soit hérétiques, soit même mauvais chrétiens; ils peuvent avoir des dons nombreux, mais non la charité. Et quel est ce don, mes frères? Ne parlons point des dons du dehors, que partagent les autres hommes, puisque Dieu fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants 6; de ces dons qui viennent de Dieu, à la vérité, biens communs non-seulement aux bons et aux méchants, mais encore aux animaux, aux bêtes de somme. Etre, vivre, voir, sentir, écouter, jouir des bienfaits des autres sens, voilà des dons qui viennent de Dieu: mais

1. Ps 148,4. - 2. 1Co 12,31.- 3. 1Co 13,1.- 4. Rm 5,5. - 5. Pr 5,16-17. - 6. Mt 5,45.

voyez avec combien de créatures, et quelles créatures nous les partageons, et auxquelles nous ne voudrions pas ressembler. Les hommes les plus méchants ont aussi l'esprit vif et pénétrant; de vils comédiens ont l'adresse et la souplesse; des voleurs ont de grandes richesses, des méchants ont une femme et des enfants. Ces dons excellents viennent de Dieu, nul n'en doute; mais voyez avec qui tout cela nous est commun. Maintenant jette les yeux sur les dons de l'Eglise. Quelles richesses dans le baptême, dans l'Eucharistie et dans les autres sacrements ! Et néanmoins, Simon le magicien y prit part 1. Quels dons chez les Prophètes ! Et néanmoins Saül, ce roi réprouvé, prophétisa, et il prophétisa quand il persécutait David qui était saint. Il envoie des archers prendre David, et David était alors au milieu des Prophètes, du nombre desquels se trouvait Samuel, ce saint personnage tous furent saisis de l'esprit de prophétie, et prophétisèrent. Mais peut-être est-ce parce qu'ils étaient venus avec de bonnes intentions, par la seule nécessité de leur charge, ou sans vouloir obéir à l'ordre qu'ils avaient reçu. Saül en envoya d'autres qui firent comme les premiers; et si nous leur prêtons les mêmes intentions, voilà que Saül, parce qu'ils tardaient à revenir, y alla lui-même dans sa fureur, ne respirant que le meurtre, et tout altéré d'un sang innocent, qu'il payait d'ingratitude: ce fut alors qu'il fut saisi de l'esprit de prophétie, et qu'il prophétisa 2. Ils n'ont donc point à se vanter, ceux qui ont reçu de Dieu quelques dons, comme le baptême, sans avoir la charité; mais bien, qu'ils pèsent le compte qu'ils doivent rendre à Dieu, puisqu'ils n'usent pas saintement des choses saintes. C'est parmi eux que l'on dira: «Nous avons prophétisé en votre nom». On ne répondra point: Vous mentez; mais on leur dira: «Je ne vous connais point, retirez-vous de moi, ouvriers d'iniquité 3. Car j'aurais en vain l'esprit de prophétie, je ne suis rien si je n'ai l'esprit de charité 4». Saül prophétisa, et il était un ouvrier d'iniquité. Or, qui fait l'iniquité, sinon celui qui n'a point la charité? «Car la charité est la plénitude de la loi 5». Que signifie dès lors: «Il couvre d'eau ses hauteurs?» C'est que, dans toutes les Ecritures, c'est la charité qui est la voie

1. Ac 8,13 Ac 8,18.- 2. 1S 19,18-24.- 3. Mt 7,22-23, - 4. 1Co 13,2.- 5. Rm 13,10.

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la plus élevée, qui obtient le plus haut rang; qu'il n'y a que les bons pour y arriver; que les méchants n'y ont aucune part; qu'ils peuvent avoir part au baptême, avoir part aux autres sacrements, avoir part aux prières publiques, être dans les murailles de l'Eglise, et dans l'unité extérieure, mais qu'ils n'ont point de part avec nous dans la charité. Telle est la source de tous les biens, la source propre aux saints, et dont il est dit: «Que nul étranger n'ait part avec toi 1». Quels sont les étrangers? tous ceux qui entendent: «Je ne vous connais point». Puisqu'on ne les connaît point, puisqu'on leur dit: «Je ne sais qui vous êtes», ils sont bien des étrangers. La voie suréminente de la charité est donc proprement pour ceux qui appartiennent au royaume des cieux. Donc le précepte de la charité domine les cieux, domine tous les livres; puisque les livres lui sont subordonnés, puisque c'est pour elle que combat toute langue des saints, tout mouvement des dispensateurs de Dieu, soit de l'intérieur, soit de l'extérieur. C'est donc là une voie suréminente, et c'est avec raison que Dieu couvre d'eau les hauteurs du ciel; car, dans les livres saints, on ne trouve rien de supérieur à la charité.

10. Mais écoute plus clairement encore ce qu'est l'eau. Nous avons dit que la charité est répandue dans nos coeurs par l'Esprit-Saint qui nous a été donné 2. Nous avons dit encore: «Que les eaux coulent dans nos rues 3». Mais, me dira quelqu'un, rien ne dit qu'il faut entendre par là la charité: et s'il plaisait à un autre d'y assigner un autre sens? Souviens-toi seulement de cette parole de l'Apôtre . «La charité est répandue dans nos coeurs». Comment? «Par l'Esprit-Saint, qui nous a été donné». Ecoute maintenant le Maître des Apôtres: «Si quelqu'un a soif, qu'il vienne et qu'il boive». Qu'il poursuive encore: «Si quelqu'un croit en moi, des fleuves d'eau vive jailliront de ses entrailles». Qu'est-ce à dire? Que l'Evangéliste nous l'explique «Or, il parlait ainsi de l'Esprit que devaient recevoir ceux qui croiraient en lui: car l'Esprit-Saint n'était pas encore envoyé, parce que Jésus n'était pas encore glorifié». Donc, mes frères, si l'Esprit-Saint n'était pas encore envoyé, après qu'il fut glorifié par son ascension au ciel, le Saint-Esprit fut envoyé 4, et

1. Pr 6,7. - 2. Rm 5,5. - 3. Pr 5,16. - 4. Jn 7,37-39.

les Apôtres furent remplis de cette charité 1, qui fut répandue dans leurs coeurs par l'Esprit-Saint qui leur était donné, parce que les hauteurs des cieux sont couvertes d'eau. Et cela est marqué par l'ascension du Sauveur, qui dut dominer les cieux, et de là répandre la charité. Pour Dieu, en effet, couvrir n'est pas être soutenu par ce qu'il couvre; il soutient lui-même ce qu'il couvre sans le surcharger: si donc il couvre d'eau les cieux, c'est plutôt de manière qu'ils soient soutenus par l'Esprit-Saint. Ce qui soutient est en haut, ce qui est soutenu est en bas; l'un suspend, l'autre est suspendu. Si donc l'un suspend, si l'autre est suspendu, écoute bien que le ciel des Ecritures est suspendu à la charité. Il y a en effet deux préceptes de la charité qui sont très-connus: «A ces deux préceptes sont suspendus la loi et les Prophètes 2. Or, le Seigneur couvre d'eau ses hauteurs».

11. «Il se fait des nuées une échelle». On peut très-bien l'entendre à la lettre. Le Seigneur est monté visiblement au ciel. Comment les nuées lui ont-elles servi d'échelle? «Quand il parlait ainsi, une nuée le reçut 3». C'est encore ce qui doit arriver à notre résurrection: « Et ceux», dit l'Apôtre, «qui sont morts en Jésus-Christ ressusciteront les premiers; ensuite nous qui sommes en vie, nous u serons enlevés avec eux sur les nuées, pour aller dans les airs au-devant du Christ; et ainsi nous serons éternellement avec lui 4». Voyez les nuées qui sont l'échelle du ciel: je vais vous montrer aussi dans ces nuées l'échelle de cet autre ciel, ou des saintes Ecritures. Qu'est-ce à dire, mes frères? Puisse le Seigneur mon Dieu me mettre au nombre de ces nuées, quelles qu'elles soient. Il sait que je suis une nuée ténébreuse; et cependant regardez comme des nuées tous les prédicateurs de la vérité. Quiconque est assez infirme pour ne point monter à ce ciel, c'est-à-dire à l'intelligence des saintes Ecritures, doit y monter par ces nuées. C'est peut-être ce qui nous arrive à ce moment; si je dis quelque chose d'utile, si mon travail n'est point inutile pour vous, vous montez au ciel des divines Ecritures, ou plutôt vous arrivez à les comprendre, au moyen de ma prédication. Combien était haut le ciel de

1. Ac 2,4. - 2. Mt 22,40. - 3. Ac 1,9. - 4. 1Th 4,15-16.

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notre psaume ! Nul d'entre vous ne voyait ce qu'il figurait: «Alors celui qui couvre d'eau ses hauteurs, a étendu le ciel comme une tenture». Cette expression même qu' « il se fait des nuées une échelle», voilà que notre parole vous l'a fait comprendre autant que Dieu nous en a fait la grâce; car ce n'est point par elles-mêmes que les nuées répandent la pluie. Montez donc, mes frères, montez par l'intelligence, et que cette intelligence porte en vous ses fruits; ne soyez point comme cette vigne dont le Prophète a dit: «Je commanderai aux nuées de ne point pleuvoir sur elle 1». Dieu accusait cette vigne de lui donner des épines au lieu de raisins, et de ne point lui rendre un fruit proportionné à ses pluies douces. Car entendre le bien, et faire le mal, c'est recevoir une pluie douce, pour produire des épines. Ne nous imaginons pas; mes frères, que Dieu parle ici d'une vigne terrestre et visible. Pour empêcher en effet que l'obscurité de cette comparaison ne serve de voile à l'iniquité, le Seigneur a exposé par la bouche de son Prophète ce qu'il entendait par cette vigne, et il a dit: «Cette vigne du Seigneur des armées, c'est la maison d'Israël». Pourquoi, hommes d'iniquité, jeter vos coeurs sur les montagnes et les coteaux des vignerons? Je sais, dit le Seigneur, de quelle ville je veux parler; je sais où je cherchais des raisins, et n'ai rencontré que des épines. Il est inutile de porter ailleurs vos pensées et vos opinions, sans vouloir comprendre, afin de ne point faire le bien. Car il est écrit aussi: «Il n'a point voulu comprendre, de peur de faire le bien 2». Bannissez donc de vos esprits toutes ces conjectures. «La vigne du Seigneur des armées, c'est la maison d'Israël; et l'homme de Juda, c'est le plan choisi 3»; plan choisi quand il fut planté, plan réprouvé quand il a produit des épines. Direz-vous donc, mes frères, que la maison d'Israël fut la vigne, et que nous ne sommes point la vigne? Ecoutons en tremblant ce qui est dit aux Juifs. Voyez comment l'Apôtre porte l'effroi parmi les branches insérées à propos des branches retranchées 4, et comment, par ces branches retranchées, il nous fait craindre la sévérité, tout en nous signalant la bonté dans les branches insérées. Ne sois donc pas sans fruit au temps de la bonté, afin de ne pas éprouver le châtiment

1 Is 5,6.- 2. Ps 35,4.- 3 Is 5,1-7. - 4. Rm 11,20-22.

de l'arbre stérile. Mais je ne suis pas une vigne, me diras-tu. Que devient alors cette parole du Seigneur: «Je suis la vigne, et vous êtes les sarments, mon Père est le vigneron 1?» Que devient ce qu'a dit saint Paul? «Qui plante une vigne sans en recueillir le fruit 2?» Tu es donc une vigne, ô sainte Eglise, et tu as Dieu pour vigneron. Nul vigneron ne peut lui-même arroser sa vigne. Vous donc, mes frères bien-aimés, vous, les entrailles de l'Eglise, les objets de sa tendresse, les enfants. de notre céleste mère, écoutez quand il en est temps. Dieu a menacé cette vigne de la plus terrible vengeance. «Je commanderai aux nuages», dit-il, «de ne point pleuvoir sur elle». Et il en fut ainsi. Les Apôtres vinrent aux Juifs qui les méprisèrent, et ils répondirent: «Nous étions envoyés vers vous, mais comme vous repoussez la parole de Dieu, nous allons chez les nations. 3» Voyez comment le même esprit de Dieu, qui habite au fond de leur coeur et leur enjoint ce qu'il lui plaît, commande ici aux nuées du Seigneur de ne point pleuvoir sur sa vigne, parce qu'elle a donné des épines 4, au lieu des raisins qu'il attendait. C'est pour cela qu'il s'est fait des nuées une échelle, et qu'il a déployé le ciel comme une tenture. Ne cherchons pas davantage: l'autorité des Ecritures englobe toute la terre, les nuées ne cessent de verset' leurs eaux, on prêche la parole de la vérité, on éclaircit tout ce qui est obscur, afin que vos coeurs se fassent des nuées une échelle. Voyez comment vous devez croire, voyez comment vous devez recevoir cette parole. Après la prédication viendra le juge, après les semailles viendra celui qui doit recueillir. «Il se fait des nuées une échelle».

12. «Il marche sur les ailes des vents». Il est difficile de prendre ceci à la lettre, Quelles sont ces ailes des vents? Allons-nous, comme dans les peintures, nous représenter les vents qui volent, qui ont des ailes? Il n'y a d'autres vents, mes frères, que ceux que nous sentons, un mouvement, une agitation de l'air, qui pousse avec effort ce qu'il rencontre. Quelles sont les ailes des vents? Quelles sont même les ailes de Dieu? Et néanmoins, il est dit : «Ils espéreront à l'ombre de vos ailes 5». Essayons donc de prendre ces paroles à la lettre, comme un fait particulier à cette créature.

1. Jn 15,1 Jn 15,5.- 2. 1Co 9,7.- 3. Ac 13,46.- 4 Is 5,4 - 5. Ps 35,8.

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L'Ecriture a signalé quelque part la rapidité de la parole, rapidité dont nous avons déjà parlé dans un autre psaume, où il est écrit «Sa parole court avec rapidité 1». Or, chacun le sait, rien n'est plus rapide que le vent. De même alors que la tenture nous marquait tout à l'heure la facilité de Dieu dans ses oeuvres; car rien n'est plus facile pour l'homme que de déployer une tenture: de même ici, pour nous marquer que Dieu ou son Verbe est présent partout, et que la rapidité de ses mouvements ne lui fait rien abandonner, car nous ne connaissons rien de plus rapide que le vent, le Prophète nous dit: «Il marche sur les ailes des vents», c'est-à-dire que sa rapidité l'emporte sur la rapidité des vents: en sorte que nous devons comprendre par les ailes des vents leur rapidité, que surpasse de beaucoup la parole de Dieu. Voilà le sens qui se présente tout d'abord: mais frappons à la porte intérieure, et voyons ce que veut dire le Prophète sous cette figure.

13. Il n'est pas absurde, par les vents, d'entendre les âmes; non que l'âme soit un souffle, mais parce que le vent est invisible, bien qu'il soit corporel et qu'il renverse les corps; néanmoins il se dérobe à la perspicacité de l'oeil humain; notre âme aussi, étant invisible, nous pouvons, sous le nom des vents, comprendre les âmes. De là cette expression, que Dieu souffla l'esprit de vie dans l'homme qu'il venait de former, et que «l'homme eut une  âme vivante 2». Le vent peut donc très-bien désigner les âmes dans le sens allégorique. Et toutefois n'allez point croire que ce mot d'allégorie je l'emprunte aux pantomimes certains mots, en effet, parce qu'ils sont des mots, et que la langue les prononce, nous sont communs avec les jeux du théâtre qui n'ont rien d'honnête; mais ces expressions ont un sens dans l'Eglise, et encore un sens au théâtre. Je n'ai rien dit ici que l'Apôtre n'ait dit lui-même, quand, à propos des enfants d'Abraham, il s'écrie: «Tout ceci est une allégorie 3». Il y a allégorie quand les paroles semblent nous indiquer un sens, et que l'intelligence en voit un autre. Ainsi, dire que le Christ est l'agneau 4, est-ce dire pour cela qu'il est réellement un agneau? Dire qu'il est le lion 5,est-ce dire qu'il est animal? Dire qu'il est la pierre 6, est-ce dire qu'il en a la

1. Ps 147,15.- 2. Gn 2,7.- 3. Ga 4,24.- 4. Jn 1,29. - 5. Ap 5,5.- 6. 1Co 10,4.

dureté? Dire qu'il est la montagne 1, est-ce dire qu'il est un monceau de terre? C'est ainsi que beaucoup d'expressions semblent désigner un objet, et en désignent un autre en réalité: telle est l'allégorie. Si l'on croit que j ‘ai emprunté au théâtre le mot d'allégorie, on peut croire également que le Seigneur a aussi pris au théâtre celui de parabole. Voyez à quoi néus oblige une ville qui a tant de spectacles; je parlerais plus librement à la campagne; et mes auditeurs n'auraient sans doute connu que par les saintes Ecritures le mot d'allégorie, Si donc nous disons que l'allégorie est une figure, il y a allégorie chaque fois qu'un mystère est figuré. Que faut-il dès lors comprendre ici: «Il marche sur l'aile des vents?» Nous avons dit que les vents peuvent très-bien figurer les âmes. Quelles sont les ailes des vents ou des âmes, sinon ce qui leur sert pour s'élever en haut? Or, les ailes des âmes sont les vertus, les bonnes oeuvres, les actions droites. Toutes les plumes forment deux ailes, comme tous les préceptes se résument en deux préceptes. Quiconque aime Dieu et son prochain, a une âme pourvue d'ailes, d'ailes très-libres, et il s'élève par l'amour vers le Seigneur. Quiconque s'embarrasse dans un amour charnel, n'a que des ailes pleines de glu. Si l'âme n'avait des plumes et des ailes, comment dirait-elle en gémissant dans ses tribulations: «Qui me donnera des ailes comme à la colombe?» et encore: «Je volerai, puis me reposerai 2». Ailleurs encore: «Où irai-je, pour fuir votre esprit? où fuir devant votre face? Si je monte au ciel, vous y êtes; si je descends au fond des enfers, vous voilà. Si je prends des ailes comme la colombe, je volerai jusqu'aux extrémités de la mer 3». Comme s'il disait: Je ne puis éviter votre colère qu'en prenant les ailes de la colombe, pour voler jusqu'à l'extrémité des mers. Et s'envoler à l'extrémité des mers, c'est étendre ses espérances jusqu'à la fin des siècles, comme l'a dit encore le Psalmiste: «Tout est labeur devant moi, jusqu'à ce que j'entre dans le sanctuaire du Seigneur, et que je comprenne la fin des méchants 4». Comment est-il parvenu aux extrémités de la mer, même avec des ailes? «C'est là», répond-il, «que votre main me conduira, que votre droite me fera parvenir 5.

1. Da 2,35.- 2. Ps 55,7.- 3. Ps 138,7-10.- 4. Ps 63,16-17.- 5. Ps 137,7.

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Même avec mes ailes, je tomberai, si vous ne me soutenez. Les ailes solides, libres et dégagées de toute glu, sont donc pour les âmes qui observent les préceptes de Dieu, qui ont la charité dans une conscience pure, et une foi sans feinte 1. Mais quels que soient les feux de leur charité, qu'est-ce que cela, en le comparant à cet amour que Dieu avait pour elles, même quand elles étaient embarrassées par la glu? L'amour de Dieu pour nous, surpasse donc le nôtre pour lui. Nos ailes sont notre amour; mais lui « marche sur les ailes des vents».

14. L'Apôtre disait aussi à quelques-uns : « Je fléchis le genou pour vous devant le Père, afin que selon l'homme intérieur, il fasse habiter le Christ en vos coeurs par la foi, afin que vous soyez enracinés et fondés dans la charité». Il leur donne déjà la charité, il leur donne déjà des plumes et des ailes. «Afin que vous puissiez comprendre», nous dit-il, «quelle est la largeur, la longueur, la hauteur, la profondeur 2». Peut-être désigne-t-il ici la croix du Seigneur. C'était une largeur sur laquelle furent étendues ses mains sacrées une longueur qui s'élevait de la terre et où était fixé son corps; une hauteur qui dépassait le bois transversal; une profondeur sur laquelle était affermie la croix, et qui est toute l'espérance de notre salut. Largeur, en effet, signifie bonnes oeuvres; longueur, la persévérance finale; hauteur, l'élévation du coeur, afin que toutes les bonnes oeuvres, par lesquelles nous persévérons jusqu'à la fin, n'aient d'autre motif que l'espérance des récompenses du ciel, et nous donnent ainsi l'ampleur du bien, et la longueur par la persévérance finale. Il y a hauteur en effet à ne point chercher ici-bas sa récompense, mais en haut: de peur qu'on ne nous dise: « En vérité, je vous le déclare, ils ont reçu leur récompense 3». Enfin ce que j'ai appelé profondeur était cette partie de la croix qu'on ne voyait pas, et d'où s'élevait ce que l'on en voyait. Or, qu'y a-t-il dans l'Eglise de caché, et qu'on ne voit point? Les sacrements du baptême et de l'eucharistie. Car les païens voient nos bonnes oeuvres, mais les sacrements leur sont cachés; et toutefois ce qui est visible s'élève sur ce qui ne paraît point, comme c'est de la profondeur de la croix cachée en terre que s'élève cette croix que l'on voit, qui frappe nos regards. Que dit ensuite l'Apôtre?

1. 1Tm 1,5. - 2. Ep 3,14-18, - 3. Mt 6,2.

Après avoir ainsi parlé, l'Apôtre ajoute: «Afin que vous connaissiez l'amour de Jésus-Christ qui surpasse toute connaissance 1». Et déjà il avait dit: «Afin que vous soyez enracinés et affermis dans la charité de Jésus-Christ».Vous aimez en effet le Christ, et dès lors vous travaillez en sa croix. Mais l'aimez-vous autant qu'il vous a aimés? Toutefois en l'aimant comme vous l'aimez, vous volez à lui, afin de connaître combien il vous a aimés, c'est-à-dire afin de comprendre l'amour du Christ qui dépasse toute science. Vous l'aimez donc autant qu'il vous est possible, et vous volez autant que vous le pouvez; mais «celui qui marche sur les ailes des vents» s'élève bien au-dessus de ces mêmes ailes.

15. «Il fait des esprits ses messagers, et de ses ministres des feux ardents 2». Et cela, bien que nous ne voyions pas les anges: leur présence est dérobée à nos yeux; ils sont les citoyens de cette grande république dont Dieu est le chef. Toutefois nous savons par la foi qu'il y a des anges, et par l'Ecriture qu'ils ont apparu à plusieurs. Nous en sommes certains, et le doute ne nous est pas permis. Or, les anges sont des esprits; mais ils ne sont point des anges par cela même qu'ils sont des esprits; ils ne le deviennent que quand ils sont envoyés; car le nom d'ange désigne un ministère, et non une nature. Tu cherches le nom de cette nature, c'est celui d'esprits; le nom de leur ministère, c'est celui d'anges. Exister, pour eux, c'est être esprits; agir, c'est devenir anges. Voyez en effet dans ce genre humain: homme est le nom de la nature; soldat un nom d'office: homme est le nom qui convient à la nature; héraut celui qui convient à son ministère: c'est-à-dire que celui qui est homme, devient un héraut, mais de héraut on ne devient pas homme. Il en est de même de ces esprits que Dieu créa dès le commencement du monde; il en fait des anges en les envoyant porter ses ordres, et ses ministres sont des feux ardents. Nous lisons en effet qu'il apparut dans un buisson ardent 3,et nous lisons encore qu'il fit tomber du ciel un feu qui exécuta ses volontés. Il fut donc sou ministre en accomplissant ses ordres. Etre feu, c'était là sa nature, accomplir des ordres, c'était pour lui un ministère. On peut donc à la lettre entendre ces paroles des créatures.

1. Ep 3,14-19. - 2. Ps 103,4. - 3. Ex 3,2.

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15. Mais quel sens leur donnerons-nous dans l'Eglise? Dans quel sens dirons-nous que «Dieu prend des esprits pour ses messagers, et des feux ardents pour ses ministres?» Par ces esprits il faut entendre ceux qui sont spirituels. Or, Dieu se sert de ceux qui sont spirituels, pour en faire ses messagers. «Car l'homme spirituel juge de tout, et ne subit «le jugement de personne 1». Voyez l'homme spirituel devenu ange de Dieu. «Je n'ai pu parler comme à des hommes spirituels, mais bien comme à des hommes charnels 2». Il descend de sa hauteur spirituelle pour aller à des hommes charnels, comme un ange du ciel qui vient sur la terre. Quel sens donner à ces ministres qui sont un feu ardent, sinon celui que saint Paul exprime: «Ayez la ferveur de l'Esprit 3?» En sorte que tout homme à l'âme fervente, sera le feu ardent ministre du Seigneur. N'était-ce donc pas un feu ardent que saint Etienne? Quel feu le brûlait? Quel était ce feu qui le portait à prier quand on le lapidait, et pour ceux qui le lapidaient? Dire qu'un serviteur de Dieu est une flamme, est-ce dire qu'il va tout brûler? Qu'il brûle sans doute, mais qu'il, brûle ce qui est paille chez toi, c'est-à-dire que le ministre de Dieu brûle tous tes désirs charnels, en prêchant la parole de Dieu. Ecoute celui-ci: «Que l'homme nous regarde comme les ministres du Christ, et les dispensateurs des mystères de Dieu 4». De quelle flamme n'était-il pas embrasé, quand il disait: « Notre bouche vous est ouverte, ô Corinthiens, notre coeur s'élargit 5». Il était alors tout ardent, tout brûlant de charité, et il leur portait cette flamme sacrée. Tel est le feu que le Seigneur promettait d'envoyer sur la terre, quand il disait: «Je suis venu apporter le feu sur la terre 6». Il parle du feu comme du glaive 7. Le glaive tranche les affections charnelles, le feu les consume. L'un et l'autre doivent s'entendre de la parole de Dieu, se reconnaître dans son esprit. Laisse-toi brûler par cette parole que tu entends, et vois ce qu'aura lait en loi le ministre de Dieu, «qui fait des esprits ses messagers, et du feu dévorant son ministre».

17. «Il a fondé la terre sur sa propre base, elle ne sera pas ébranlée de siècle en

1. 1Co 2,15.- 2. 1Co 3,1.- 3. Rm 12,11.- 4. Ac 7,59. - 5. 2Co 4,1. - 6. 2Co 6,11.-  7. Lc 12,49.- 8. Mt 10,34.

siècle 1». Je ne sais s'il serait possible d'adapter ces paroles à notre terre, et si l'on pourrait dire: «Elle ne sera pas ébranlée de siècle en siècle»; puisqu'il est dit d'elle: : « Le ciel et la terre passeront 2». Il est difficile d'assigner ici un sens littéral. Cette expression, en effet: «Il a fondé la terre sur sa propre solidité», pourrait nous faire croire à une solidité inconnue qui soutient la terre. Aussi le Prophète a-t-il dit: «Il a fondés, sur quoi? sur la solidité de la terre même, appuyée à son tour sur une base qui nous est peut-être inconnue. Que la création nous dérobe des mystères, cette obscurité, chez les créatures, ne nous dérobera point le créateur; voyons ce qu'il nous est possible, et par ce que nous voyons, aimons et bénissons le Seigneur. Efforçons-nous de chercher ici ce qui est caché sous cette figure. «Il a fondé la terre», et par là j'entends l'Eglise. «La terre est au Seigneur, et tout ce qu'elle renferme»; et par cette terre nous comprenons l'Eglise. Telle est la terre qui a soif, et qui dit dans les psaumes, car une seule parle pour toutes: «Mon âme est sans vous comme une terre sans eau 4». Qu'est-ce à dire, «sans eau?» Une terre qui a soif. Mon âme a donc soif de vous, comme une terre sans eau; car si elle n'est altérée, elle ne peut être bien arrosée. Pour une âme abreuvée, la pluie est un déluge, il faut qu'elle ait soif. «Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice 5». Qu'elle dise : «Mon âme est sans vous comme une terre sans eau»; comme elle dit ailleurs: «Mon âme a eu soif du Dieu vivant 6». Cette terre est donc l'Eglise. Quelle est cette solidité sur laquelle elle est basée, sinon son fondement? Est-ce déroger que d'entendre par cette solidité sur laquelle la terre est basée, ce fondement qui est l'appui de l'Eglise? Quel est ce fondement? « Nul»,dit l'Apôtre, «ne saurait poser un fondement autre que celui qui est posé, et qui est Jésus-Christ». Voilà donc ce qui nous affermit. Aussi, affermis de la sorte, ne serons-nous pas ébranlés de siècle en siècle; rien n'est plus inébranlable que ce fondement. Tu étais infirme, mais un fondement aussi solide te rassure. Appuyé sur toi-même, tu ne pouvais être solide, mais tu seras toujours ferme, si tu ne t'écartes jamais

1. Ps 103,5.- 2. Mt 24,35.- 3. Ps 23,1.- 4. Ps 142,6. - 5. Mt 5,6. - 6. Ps 41,3. - 7. 1Co 3,11.

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de ce fondement. «Il ne sera pas ébranlé de siècle en siècle». L'Eglise, en effet, est destinée à servir de colonne et de fondement à la vérité 1.

18. «L'abîme est pour lui comme un vêtement; ses eaux dépassent les montagnes. Elles fuiront à votre menace, et seront ébranlées à la voix de votre tonnerre. Les montagnes s'élèvent et les campagnes s'abaissent au lieu que vous leur assignez. Vous leur avez fixé des bornes qu'elles ne dépasseront point, elles ne reviendront point couvrir la terre. Vous envoyez les fontaines dans les vallons; leurs eaux coulent à travers les montagnes. C'est là que s'abreuvent les animaux des champs, l'onagre y étanchera sa soif. Les oiseaux du ciel habiteront leurs bords, et feront entendre leur voix du milieu des rochers. Vous arrosez les montagnes des pluies du ciel, la terre sera rassasiée des fruits que répandent vos mains. Vous produisez le foin pour les animaux, et les plantes pour le service de l'homme. Afin de tirer de la terre le pain, et le vin qui réjouit le coeur de l'homme, les parfums qui embellissent sa face, et le pain qui affermit ses forces. Les arbres des campagnes seront abreuvés, et les cèdres du Liban plantés par le Seigneur. C'est là que les oiseaux font leur nid, le nid des foulques est à leur tête 2». Voilà le ciel étendu; vous voulez, je le crois, y monter par la pensée; et je crois encore que vous en mesurez la hauteur. J'ai voulu, en effet, vous citer plusieurs versets, afin que vous compreniez mieux à quelle hauteur Dieu élève ses mystères. On dédaigne ce que l'on découvre, quand il est facile de le trouver: aussi la recherche de ces vérités nous est-elle pénible, afin que la découverte en soit plus agréable. Dans tout ce que je viens de dire, mes frères, et que l'on peut prendre à la lettre, peut-on aussi prendre à la lettre cette parole: «C'est là que les oiseaux feront leurs nids, le nid des foulques est à leur tête?» La famille de la cigogne est-elle à la tête des oiseaux? ou bien serait-elle à la tête des cèdres? Car il y a dans le texte: «Et les cèdres du Liban qu'il a plantés, c'est là que les oiseaux feront leur nid, et le nid des foulques est à leur tête». Toutefois le latin ne nous permet pas de traduire comme s'il

1. 1Tm 3,15. - 2. Ps 103,6-17.

y avait «de ces cèdres»; puisque dans cette langue «ces» est masculin, tandis que «cèdres» est féminin. Comment alors la famille des foulques est-elle à la tête des passereaux? Cela ne peut se dire de l'oiseau que nous avons sous les yeux. Le mot «foulques»ou fulicae désigne des oiseaux de la mer ou des étangs. Prenons pour la maison des foulques, domus fulicae, leur nid: comment le nid des foulques est-il un guide pour les oiseaux? Pourquoi l'Esprit-Saint mêle-t-il aux choses -visibles des choses qui paraissent absurdes, sinon pour nous forcer à chercher un sens spirituel, quand nous ne pouvons accepter le sens littéral?

19. Si donc vous voulez par l'intelligence vous élever jusqu'au ciel, à ce pavillon que Dieu a déployé, si Dieu fait monter cette intelligence au-dessus des nuées; cette nuée qui vous parle est impuissante à vous expliquer aujourd'hui tant de choses. Epargnez sinon votre faiblesse, du moins la mienne. L'avidité que vous témoignez me fait croire que vous seriez toujours prêts; mais il est ici deux points que nous ne saurions dédaigner, notre faiblesse corporelle, et le souvenir de ce que nous expliquons, voilà ce qui est à considérer. En attendant, réfléchissez à ce que vous avez entendu. Qu'ai-je dit? Digérez votre nourriture, et vous serez ainsi des animaux purs, propres aux festins du Seigneur. Remarquez par vos oeuvres le fruit que vous recueillez; car c'est mal digérer que bien entendre, et ne pas bien faire; et Dieu ne cesse de nous donner une nourriture solide. Or, chacun sait que nous rendrons compte du pair! que nous avons reçu, et que nous distribuons. Votre charité le sait très-bien, l'Ecriture n'est pas sans nous en avertir, et Dieu ne nous flatte point. Voyez avec quelle liberté nous vous parlons, du lieu où nous sommes: et quand moi-même, quand ceux qui vous parlent de ce lieu serions moins libres, la parole de Dieu ne redoute personne. Pour nous, que nous soyons sous le coup de la crainte, ou en pleine liberté, nous devons prêcher Celui qui ne craint personne. C'est une grâce qui vous vient de Dieu et non des hommes, que vous entendiez cette parole si libre par la bouche d'hommes qui sont timides. Au jugement de Dieu, vous n'aurez aucune excuse, si vous ne vous appliquez à l'exercice des bonnes oeuvres, et ne portez un

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fruit proportionné aux paroles que nous répandons sur vous comme une pluie céleste. Ce fruit proportionné consiste dans les bonnes oeuvres: ce fruit proportionné est un amour sincère non-seulement de vos frères, mais aussi de vos ennemis. Ne méprise aucun suppliant; et si tu ne peux lui donner ce qu'il te demande, au moins, ne le méprise pas. Si tu peux le lui donner, donne-le; situ ne le peux, sois du moins affable. Dieu couronne la volonté intérieure, quand il ne voit pas en nous le pouvoir. Que nul ne dise: je n'ai rien. Ce n'est point d'un coffre que la charité tire ce qu'elle donne: mais tout ce que nous disons, tout ce que nous avons dit, tout ce que nous pouvons dire encore, ou nous, ou ceux qui viendront après nous, ou ceux qui nous ont précédé, tout cela n'a d'autre but que la charité car la fin de la loi c'est la charité émanant d'un coeur pur, d'une conscience irréprochable, d'une foi sans feinte 1. En priant Dieu, interrogez vos coeurs, et voyez comment vous récitez ce verset: «Pardonnez-nous nos

1. 1Tm 1,5.

offenses, comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés 1». On ne prie point, si l'on ne fait cette prière; Dieu n'exauce point, si l'on récite une autre prière, parce qu'elle ne nous a pas été enseignée par le jurisconsulte qu'il nous a envoyé. Il faut donc nécessairement que toutes les paroles que nous ajoutons, soient réglées sur cette prière, et qu'en récitant les paroles, nous comprenions ce que nous disons, parce que Dieu a voulu la rendre claire. Si donc vous ne priez point, vous n'avez point l'espérance; si vous priez autrement que le maître a enseigné, vous ne serez point exaucés; et si vous mentez en priant, vous n'obtiendrez point. Il faut donc prier, et en priant dire vrai, et prier comme Dieu nous a enseigné. Bon gré, malgré, il te faut dire tous les jours: «Pardonnez-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés». Et veux-tu le dire en toute sûreté? Crois alors ce que tu dis.

1. Mt 6,12.




Augustin, les Psaumes 10401