Augustin, les Psaumes 11921

VINGT-UNIÈME DISCOURS SUR LE PSAUME CXVIII - SOUPIRS DE L'ÉGLISE VERS LE CIEL

11921 Ps 119,89-96

Le Prophète aspire au ciel où demeure éternellement la parole de Dieu, puis il se rabat sur la terre où il voit passer les générations qui se transmettent sa parole. Ces deux générations sont l'Ancien et le Nouveau Testament, et ceux de l'Ancien qui se sont sanctifiés appartenaient au Nouveau, étaient fondés sur Jésus-Christ, qui est le véritable jour. Afin de ne point périr tians son abaissement, le Prophète médite la loi de Dieu; il est à Dieu, et non à lui-même; les exemples des pécheurs l'eussent perdu, s'il n'eût compris par les témoignages de Dieu qu'il vaut mieux mourir qu'abandonne cette loi.

1. Il semble que l'interlocuteur de notre psaume est pris d'ennui à cause de l'inconstance des hommes, qui nous fait de la vie une source de tentations. Environné par la tribulation qui lui fait dire: « Les injustes m'ont persécuté»; et encore: «Peu s'en faut qu'ils ne m'aient anéanti sur la terre», il s'enflamme d'up saint désir pour la Jérusalem céleste, et élevant les yeux en haut il s'écrie: «C'est pour l'éternité, Seigneur, que votre parole demeure dans les cieux 1» ; c'est-à-dire dans les saints anges qui gardent, sans la déserter jamais, la milice éternelle.

2. Après le ciel, le verset suivant nous parle de la terre, car il est encore un des huit qui appartiennent à cette lettre de l'alphabet. A chacune de ces lettres, en effet, sont joints huit

1. Ps 118,69.

700

versets jusqu'à la fin de ce long psaume. «Votre vérité passe de génération en génération; vous avez fondé la terre qui demeure toujours». Donc, après le ciel, il jette sur la terre un regard de foi; il y trouve des générations qui ne sont point dans le ciel, et il s'écrie: «Votre vérité passe de génération en génération». Cette répétition peut signifier toutes les générations, tantôt plus, tantôt moins fécondes en saints, chez qui s'est trouvée la vérité de Dieu. Selon la diversité des temps passés ou à venir, le Prophète peut même avoir en vue deux générations, l'une embrassant la loi et les Prophètes, l'autre embrassant les temps de l'Evangile. Expliquant ensuite pourquoi la vérité ne manque jamais à ces deux générations, «vous avez fondé la terre», dit le Prophète, «et elle demeure»; appelons terre ceux qui habitent la terre. «Or, nul ne saurait poser un fondement autre que celui qui est posé, et qui est Jésus-Christ». Car cette génération, qui embrasse la loi et les Prophètes, n'en avait pas moins pour fondement Jésus-Christ, à qui la loi et les Prophètes rendaient témoignage 2. Ou bien, faudrait-il ranger Moïse et les Prophètes parmi les fils de cette servante qui engendre pour l'esclavage, et non parmi les fils de l'épouse libre qui est notre mère 3,à qui un homme dit : Sion, vous êtes ma mère; et cet homme a été fait en elle, et il est lui-même le Très-Haut qui l'a fondée 4? Il est en effet le Très-Haut en son Père, et à cause de nous il s'est fait très-humble en cette mère; celui qui était Dieu au-dessus d'elle, a été fait homme en elle. Tel est, Seigneur, le fondement sur lequel vous avez basé la terre, et elle demeure; car, solidifiée sur un tel fondement, elle ne sera pas ébranlée dans le siècle des siècles 5; elle demeurera dans ceux à qui vous donnerez la vie éternelle. Quant à ceux qui sont nés de la servante, qui appartiennent à l'Ancien Testament dont les ombres couvraient le Nouveau, ils n'ont eu du goût que pour les choses terrestres, et ne demeureront point, «car le serviteur ne demeure point toujours dans la maison du maître, mais le Fils y demeure éternellement 6».

3. «Le jour se maintient dans votre loi 7». Tout ce qui vient d'être marqué est un jour,

1. 1Co 3,11. - 2. Rm 3,21. - 3. Ga 4,24 Ga 4,26.- 4. Ps 86,5.- 5. Ps 103,5.- 6. Jn 8,35.- 7. Ps 118,91.

et ce jour est celui que le Seigneur a fait: soyons dans la joie, livrons-nous à l'allégresse 1, et marchons dans la décence comme au grand jour 2. «Tout vous est assujéti». Tout, c'est-à-dire tout ce qui tient à ce jour, tout ce dont on vient de parler, tout cela vous est assujéti. Mais les impies dont il est dit: «J'ai comparé votre mère à la nuit 3», ne servent point le Seigneur.

4. Le Prophète examine ensuite de quel état la terre sera délivrée, afin de demeurer affermie; il ajoute: «Si je n'eusse médité votre loi, j'eusse probablement péri dans mon abaissement 4». Cette loi est celle de la foi; non d'une foi stérile, mais d'une foi qui opère au moyen de la charité 5. C'est par elle que l'on obtient la grâce qui nous donne la force dans les tribulations du temps, de peur que nous ne périssions dans l'humiliation de cette vie mortelle.

5. «Je n'oublierai jamais», dit-il, « vos ordonnances, parce qu'en elles vous m'avez donné la vie 6». De là vient qu'il n'a point péri dans son humiliation. Car, si Dieu ne nous vivifiait, que serait-ce que l'homme qui peut se dérober à la vie, mais non se la donner?

6. Ensuite il ajoute: «Je suis à vous, sauvez-moi, car je recherche vos justifications 7». Ne passons point légèrement sur cette parole: «Pour moi, je suis à vous». Qu'est-ce qui n'est pas à Dieu? Et parce qu'on dit que Dieu est dans le ciel, faut-il croire qu'il y ait sur la terre quelque chose qui ne soit point à lui; quand surtout nous chantons dans un autre psaume: «La terre est au Seigneur, et tout ce qu'elle contient, l'univers entier et tous ceux qui l'habitent 8?» Pourquoi donc l'interlocuteur a-t-il voulu se recommander tout particulièrement à Dieu, en disant: «Pour moi, je suis à vous, sauvez-moi», sinon afin de nous prévenir que, pour son malheur, il a voulu être à lui-même, par la désobéissance qui est le premier et le plus grand mal? Comme s'il nous eût dit: J'ai voulu être à moi, et je me suis perdu. «Je suis à vous», reprend-il, «sauvez-moi, parce que j'ai recherché vos justifications»; non plus ces volontés par lesquelles j'étais à moi, mais vos justifications, afin d'être à vous.


1. Ps 118,24.- 2. Rm 13,13.- 3. Os 4,5, suiv. les Septante. - 4. Ps 118,92. - 5. Ga 5,6. - 6. Ps 118,93. - 7. Ps 118,94.- 8. Ps 33,1.


7. «C'est moi», dit-il, «que les pécheurs ont attendu pour me perdre; mais j'ai compris vos commandements 1». Qu'est-ce à dire, «ont attendu pour me perdre?» Lui auraient-ils tendu des embûches, attendant son passage pour le tuer? Craignait-il donc la mort du corps? Loin de là. Que signifient donc ces paroles: «Ils m'ont attendu», sinon qu'ils ont voulu le porter au mal? Ils l'eussent alors perdu. Or, il nous montre pourquoi il n'a point péri: «J'ai compris vos témoignages», nous dit-il. Mais l'expression grecque: «J'ai compris vos martyres», est plus familière dans l'Eglise. Et quand ils eussent puni de mort ma résistance à leurs impiétés, ce n'est point périr que vous rendre témoignage. Mais ceux qui attendaient mon assentiment pour me perdre, me tourmentaient quand je vous confessais: et toutefois il n'abandonnait point ce qu'il avait compris; il envisageait et voyait cette fin qui serait sans fin, s'il persévérait jusqu'à la fin.

8. Le Prophète continue: « J'ai vu la dernière consommation de toutes choses, votre loi est d'une étendue infinie 2». Il avait pénétré dans le sanctuaire de Dieu, et avait compris la fin des choses 3. Or, par consommation, il faut, je crois, entendre ici, combattre à mort pour la vérité 4, endurer tous les maux pour le bien le plus réel et le plus grand; et

1. Ps 118,95.- 2. Ps 118,96.- 3. Ps 72,17.- 4. Si 4,33.

la fin de cette consommation serait d'être élevé en gloire dans le royaume du Christ, qui n'a point de fin, d'y posséder, sans craindre la mort ou la douleur, une vie souverainement glorieuse, une vie acquise par la mort, par les douleurs et les opprobres de cette vie. Cette loi d'une étendue infinie, je ne saurais l'entendre que de la charité. De quoi servirait en face de la mort la plus atroce, et au milieu des plus affreux supplices, de rendre témoignage à la vérité, si la charité ne dictait cette confession? Ecoutons l'Apôtre: «Quand je livrerai mon corps pour être brûlé, si je n'ai point la charité, tout cela ne me sert de rien 1. Or, cet amour de Dieu a été répandu «dans nos coeurs, par le Saint-Esprit qui nous a été donné 2». Mais cette effusion nous met au large, et si nous sommes au large, nous parcourons sans peine la voie étroite, avec la grâce de ce même Dieu à qui nous disons : « Vous avez élargi la voie sous mes pieds, et mes démarches n'ont pas été affaiblies 3». Il est donc large ce commandement de la charité, et il est double, puisqu'il nous fait aimer Dieu et le prochain. Pourrait-elle être plus vaste quand elle renferme la loi et les Prophètes  4?

1. 1Co 13,3. - 2. Rm 5,5. - 3. Ps 17,37. - 4. Mt 22,37 Mt 22,40.



VINGT-DEUXIÈME DISCOURS SUR LE PSAUME CXVIII - L'INTELLIGENCE DE LA LOI

11922
Ps 119,96-102


C'est la foi agissant par la charité qui nous facilite l'accomplissement des préceptes divins, et cette foi vient de la grâce de Dieu qui nous éclaire, qui nous dispose à l'accomplissement de la loi or, cette loi qui se résume dans la charité durera éternellement, puisque dans le ciel nous ne cesserons d'aimer Dieu. Celui qui surpasse en intelligence les docteurs et les anciens, c'est le Christ, et tout homme qui se pénètre de l'esprit plus que de la lettre de l'Evangile. Cet homme se détourne du sentier du mal, ou plutôt résiste à ses convoitises, goûte la parole divine comme un miel exquis; et ce miel est dans l'intelligence qui lui est venue par les préceptes, ou plutôt par l'obéissance aux préceptes.

1. Nous vous l'avons dit souvent, mes frères, par cette voie large, dans laquelle on accomplit sans difficulté la loi de Dieu, il faut entendre la charité. Aussi, dans notre long psaume, après avoir dit: « Votre loi est d'une merveilleuse largeur», le Prophète nous donne-t-il ensuite raison de cette largeur : « Combien, Seigneur, j'ai aimé voire lois 1!»

L'amour est donc l'étendue de la loi. Comment

1. Ps 118,96-97.

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en effet pourrions-nous aimer le Dieu qui ordonne, sans aimer le commandement qu'il fait? Or, telle est la loi. «Tout le jour», dit le Prophète, «elle est ma méditation». Voilà que je l'aime au point de la méditer tout le jour. Le latin dit tota die, le grec totam diem, olen ten emeran, ce qui marque une méditation continuelle; or, qui dit tout le temps, dit toujours. Cette charité détruit la concupiscence qui nous détourne souvent d'obéir à la loi, à cause des révoltes de la chair contre l'esprit; mais l'esprit à son tour se révoltant contre la chair 1, doit aimer la loi de Dieu au point de la méditer tout le jour. Or, saint Paul dit: «Où est donc votre glorification? Elle est anéantie. Et par quelle loi? Par la loi des oeuvres? Non, mais par la loi de la foi 2». Telle est la foi qui agit par la charité 2,parce qu'en cherchant, en demandant, en frappant, elle obtient l'Esprit-Saint 3 par lequel la charité est répandue dans nos coeurs 4. Tous ceux qui sont conduits par cet Esprit, sont fils de Dieu 5,admis pour se reposer avec Abraham, Isaac et Jacob dans le royaume des cieux 6, d'où sera banni l'esclave qui ne demeure pas éternellement dans la maison 7; c'est-à-dire cet Israël 7,selon la chair à qui il est dit: « Vous verrez Abraham, Isaac et Jacob, ainsi que tous les Prophètes dans le royaume de Dieu, et vous en serez chassés. Ils viendront de l'Orient et de l'Occident, de l'Aquilon et du Midi, pour se reposer dans le royaume de Dieu. Et voilà derniers ceux qui «étaient premiers, et premiers ceux qui étaient derniers 9». Quant aux Gentils, ainsi que l'a dit le Vase d'élection, « ceux qui ne cherchaient point la justice ont embrassé la justice, c'est-à-dire la justice qui vient de la foi; tandis qu'Israël qui recherchait la loi de la justice, n'est point parvenu à la loi de la justice. Pourquoi? Parce qu'ils ne l'ont point recherchée par la foi, mais par les oeuvres, et qu'ils ont heurté contre la pierre du scandale 10». Et de la sorte ils sont devenus les ennemis de Celui qui parle dans notre psaume.

2. Il ajoute: «Plus qu'à tous mes ennemis vous m'avez fait connaître votre loi, parce que je l'ai embrassée pour jamais 11». Ils ont à la vérité le zèle de Dieu, mais non selon la

1. Ga 5,17. - 2. Rm 3,27.- 3. Ga 5,6. - 4. Lc 11,10 Lc 11,13. - 5. Rm 5,5. - 6. Rm 8,14. - 7. Mt 8,11. - 8. Jn 8,35. - 9. Lc 13,28-30. - 10. Rm 9,30-32. - 11. Ps 118,98.

science. Ne connaissant point en effet la justice de Dieu, et s'efforçant d'établir leur propre justice, ils ne se sont point soumis à la justice de Dieu 1. Mais l'interlocuteur, devenu par la loi de Dieu plus sage que ses ennemis, veut être, ainsi que saint Paul, trouvé en Jésus-Christ, n'ayant point une justice qui lui soit propre, mais une justice qui lui vienne de Dieu par la foi 2. Ce n'est point que la loi que lisent ses ennemis ne soit aussi de Dieu, mais ils ne la goûtent point comme la goûte celui qui est plus sage que ses ennemis, qui s'attache à cette pierre contre laquelle ils se sont heurtés 3. Car le Christ est la tin de la loi pour justifier ceux qui croiront 4, afin qu'ils soient justifiés gratuitement par sa grâce 5 ; non point comme ceux qui s'imaginent accomplir la loi par leurs propres forces, cherchant, dans la loi de Dieu, il est vrai, mais leur propre justice: ils veulent ressembler au contraire au fils de la promesse, qui a faim et soif de cette justice 6, qui cherche, qui demande, qui frappe, qui mendie en quelque sorte auprès du Père 7,afin d'être adopté et d'obtenir par le Fils unique. Mais quand eût-il pu goûter ainsi la loi de Dieu, s'il n'eût reçu ces dispositions de Celui à qui il dit: «Vous m'avez fait goûter votre loi d'une manière bien supérieure à mes ennemis?» Or, ces ennemis, ces fils d'Agar, nés dans l'esclavage 8,n'ont cherché dans cette loi que des récompenses temporelles: de là vient qu'elle n'a pu être pour eux une loi éternelle, comme elle l'est pour celui-ci. La traduction, « pour l'éternité», est préférable en effet à celle qui a dit «pour le siècle», comme si une fois le siècle écoulé, il n'y ait plus de préceptes de la loi. Il n'y en aura plus en effet d'écrite sur les tables et les livres visibles; mais l'amour de Dieu et du prochain demeure éternellement dans le livre du coeur; et ce double précepte renferme la loi et les Prophètes 9; le législateur lui-même sera la récompense de ceux qui auront gardé ces préceptes; Dieu que nous aimons sera le prix de notre amour quand il sera tout en tous 10.

3. Mais que signifie cette parole suivante: «J'ai surpassé en intelligence tous ceux qui m'instruisaient 11?» Quel est cet homme plus intelligent que ceux qui l'instruisent?

1. Rm 10,2-3.- 2. Ph 3,9. - 3. Rm 9,32.- 4. Rm 10,4. - 5. Rm 3,24. - 6. Mt 5,6. - 7. Mt 7,7.- 8. Ga 4,24. - 9. Mt 22,37-40. - 10. 1Co 15,28. - 11. Ps 118,99.

Quel est celui qui ose mettre son intelligence au-dessus de celle des Prophètes lesquels, non contents d'instruire par leur parole ceux qui vivaient de leur temps, enseignaient encore par leurs écrits et avec une si sainte autorité, ceux qui sont venus après eux? Salomon, sans doute, reçut de Dieu une sagesse qui le mit bien au-dessus de tous ses prédécesseurs 1; mais il n'est pas croyable que ce soit lui que David son père veuille prophétiser ici; surtout qu'on ne saurait lui appliquer cette parole de notre psaume: « J'ai défendu à mes pieds toute voie perverse». Si donc, comme il est plus probable, David nous parle ici du Christ, qu'il prophétiserait tantôt comme chef, ou Sauveur, tantôt au nom de son corps mystique ou de l'Eglise, et néanmoins ne composant qu'un seul et même tout, à cause du grand sacrement ainsi formulé: « Ils seront deux dans une seule chair 2»; je reconnais qu'en effet il a été plus intelligent que tous ceux qui l'instruisaient, quand, à douze ans, l'enfant Jésus demeura à Jérusalem, alors qu'après trois jours ses parents le trouvèrent dans le temple, assis au milieu des docteurs, les écoutant et les interrogeant; tandis que tous ceux qui l'entendaient étaient dans l'admiration à cause de sa sagesse et de ses réponses 3. Or, ce n'est pas sans raison, puisque longtemps auparavant il avait dit par la bouche du Prophète: «J'ai surpassé en intelligence ceux qui m'instruisaient». Il entend par là tous les hommes, et non Dieu le Père, dont le Fils a dit: « Je parle selon que mon Père m'a enseigné». Ce qu'il est difficile d'entendre du Verbé, à moins de comprendre comme on le pourra que, pour le Fils, être Instruit par le Père, c'est être engendré. Celui, en effet, pour qui être ne diffère point d'être enseigné, mais qui est instruit par là même qu'il est, reçoit assurément l'instruction de celui qui lui donne l'être. Si nous envisageons le Christ dans son humanité et sous la forme de l'esclave, il est plus facile de comprendre qu'il a reçu de son Père ce qu'il a dit: en le voyant en effet sous cette forme d'esclave, et jeune enfant, les hommes ont pu croire que d'autres plus âgés l'instruisaient; mais celui que le Père a enseigné a mieux compris que tous ceux qui l'instruisaient. «Parce que vos témoignages», dit-il, «sont l'objet de mes méditations». Il était donc plus


1. 1R 3,12. - 2. Ep 5,31-32. - 3. Lc 2,42-47.

intelligent que tous ses maîtres, parce qu'il méditait les témoignages du Seigneur, et qu'il connaissait mieux ceux qui le concernaient que ceux à qui il disait: « Vous avez envoyé vers Jean et il a rendu témoignage à la vérité; pour moi, je ne reçois point témoignage d'aucun homme, mais je vous parle ainsi afin de vous sauver. Il était une lampe ardente et brillante, et pour un peu de temps vous avez voulu vous réjouir à sa lumière. Mais moi j'ai un témoignage plus grand que celui de Jean». Tels étaient les témoignages qu'il méditait, quand il surpassait en intelligence tous ceux qui l'enseignaient.

4. Il ne serait point hors de propos d'entendre par ces docteurs, ces mêmes anciens dont il nous dit ensuite: « J'ai compris mieux que les vieillards». Et selon moi, le but de cette répétition serait de nous rappeler l'âge du Christ mentionné dans l'Evangile; enfant par l'âge, il siégeait parmi les anciens; jeune, parmi les vieillards, et son intelligence devançant celle de ses maîtres, D'ordinaire, en comparant les petits avec les grands, on dit les jeunes et les anciens, quoique souvent ni les uns ni les autres n'approchent de la vieillesse. Si néanmoins nous voulons rechercher dans l'Evangile ce nom des vieillards au-dessus desquels s'élevait son intelligence, nous le trouvons quand les scribes et les pharisiens lui dirent: «Pourquoi vos disciples sont-ils violateurs de la tradition des vieillards? car ils ne lavent point leurs mains avant de manger». Voilà qu'on lui oppose une faute contre la tradition des vieillards. Mais écoutons la réponse de Celui qui comprenait mieux que les vieillards: «A votre tour, pourquoi transgressez-vous le précepte du Seigneur, à cause de votre tradition?» Puis un peu plus loin, afin de nous montrer que non-seulement la tête, mais aussi le corps et les membres auraient une intelligence supérieure à celle des vieillards, dont on lui objectait la tradition sur la coutume de laver les mains, il assemble autour de lui la foule, et s'écrie: «Ecoutez et comprenez», comme s'il disait: Vous aussi, comprenez mieux que ces vieillards, afin qu'il devienne évident que c'est de vous aussi que le Prophète a dit: « J'ai compris mieux que les vieillards»; que ce n'est pas seulement de la tête, mais de tout le corps, et qu'ainsi elle s'applique au Christ tout entier. «L'homme

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n'est point souillé par ce qui entre dans sa «bouche, mais il est souillé par ce qui sort de sa bouche». Voilà ce que n'avaient pas compris les vieillards, qui avaient donné comme importante la prescription de se laver les mains. Les membres mêmes de ce chef divin, comprenant mieux que les vieillards, n'avaient pas encore compris ce qu'il avait dit, Aussi Pierre lui dit-il un peu après: « Expliquez-nous cette parabole». Il prenait encore pour une parabole ce que le Seigneur avait dit sans figure. Mais le Sauveur lui dit: «Vous aussi, êtes-vous sans intelligence? Ne comprenez-vous pas que tout ce qui entre dans la bouche va dans les entrailles, et tombe dans un lieu secret? Mais ce qui sort de la bouche vient du coeur, et c'est là ce qui souille l'homme 1!» Vous aussi, seriez-vous sans intelligence, et ne comprenez-vous pas mieux que ces vieillards? Mais maintenant, après avoir entendu un tel maître qui est notre chef, chacun de nous peut dire: J'ai compris mieux que les anciens. Ce qui suit, en effet, convient aussi au corps: « Parce que j'ai recherché vos préceptes». « Vos préceptes», et non ceux des hommes; «vos préceptes», et non ceux des anciens qui veulent être docteurs de la loi, bien qu'ils n'entendent ni ce qu'ils disent, ni ce qu'ils affirment 2. C'est à bon droit qu'à propos des préceptes divins que nous devons rechercher afin d'avoir plus d'intelligence que ces vieillards, le Sauveur répondit à ceux qui préféraient l'autorité de ces anciens à la vérité: «A votre tour, pourquoi transgressez-vous le précepte de Dieu, pour établir vos traditions?»

5. Les paroles suivantes paraissent moins convenir au chef qu'aux membres: «J'ai détourné mes pieds de tout sentier du mal, afin de garder vos paroles 3». Le Christ, en effet, qui est notre chef et Sauveur de son corps, n'est porté dans le sentier du mal par aucune convoitise charnelle, et n'a pas besoin de l'interdire à ses pieds, comme s'ils y allaient de leur propre mouvement, ainsi que nous le faisons quand nous interdisons la voie du mal à nos désirs dépravés, que le Sauveur n'a point ressentis. Le moyen, en effet, d'accomplir les commandements de Dieu, est de ne point suivre nos concupiscences perverses 4, de ne leur permettre

1. Mt 15,1-18.- 2. 1Tm 1,7.- 3. Ps 118,101.- 4. Si 18,30.

jamais d'arriver au mal qu'elles convoitent, mais de les refréner par les désirs de l'esprit contre la chair 1, de peur qu'elles ne nous emportent, nous entraînant dans les sentiers du mal.

6. «Je ne me suis point écarté de vos jugements, parce que vous m'avez posé une loi 2». Le Prophète nous dit ici le sujet de ses craintes et pourquoi il détournait ses pieds de tout sentier du mal. Que signifie en effet: « Je ne me suis point écarté de vos jugements», sinon ce qu'il a dit ailleurs: «J'ai craint au sujet de vos jugements?» J'y ai cru d'une foi persévérante: «Parce que vous m'avez posé une loi». Vous, plus intérieur que tout ce qui est intérieur en moi, c'est vous qui avez gravé dans mon coeur une loi par votre esprit comme par votre doigt, non point afin que je la craigne sans l'aimer comme l'esclave, mais afin qu'une crainte chaste me la fasse aimer, qu'un amour chaste me la fasse craindre.

7. Aussi, voyez ce qui suit: «Combien votre parole est douce à ma bouche 3»; ou, comme dans le grec, d'une manière plus expressive: « Vos promesses». Elles surpassent le miel et le rayon de miel. Telle est la douceur que le Seigneur fait descendre, afin que notre terre donne son fruit 4»; c'est-à-dire, afin que nous fassions le bien d'une manière qui soit bonne; en d'autres termes, non plus par la crainte d'un mal temporel, mais par l'attrait du bien spirituel. Dans plusieurs exemplaires, on ne lit point favum, rayon de miel, mais il se trouve en d'autres. Le miel serait alors le symbole d'une doctrine sage et évidente. Le rayon de miel marquerait celle que l'on tire des mystères les plus cachés, comme d'autant de cellules de cire, que l'on nous expliquerait en les pressant de la dent. Mais cela n'est doux qu'à la bouche du coeur, et non à la bouche charnelle.

8. Mais que signifie cette parole: «Vos préceptes m'ont donné l'intelligence?» Autre est en effet: J'ai compris vos préceptes, et autre: Vos préceptes m'ont fait comprendre. Il y a donc je ne sais quelle autre chose dont il reconnaît que les préceptes de Dieu lui ont donné l'intelligence: autant que j'en puis juger, il dit qu'en pratiquant les préceptes du Seigneur il est arrivé à connaître, à comprendre ce qu'il désirait savoir. Aussi est-il

1. Ga 5,17.- 2. Ps 118,102 - 3. Ps 118,103.- 4. Ps 84,13.

écrit: « Si tu désires la sagesse, observe les commandements, et le Seigneur te la donnera 1»; ce qui, chez l'homme qui n'a pas encore pratiqué l'humilité de l'obéissance, refoule toute prétention à s'élever jusqu'à la hauteur de la sagesse, à laquelle il ne saurait atteindre que par degrés. Qu'il écoute ce qui est dit ailleurs: «Ne cherche point ce qui est au-dessus de toi, n'examine point curieusement ce qui dépasse tes forces, mais que ta pensée soit toujours occupée des ordres du Seigneur 2». C'est ainsi que par l'obéissance aux préceptes l'homme arrive à la science des vérités les plus cachées. Après avoir dit: « Que votre pensée s'occupe des ordres du Seigneur», l'écrivain sacré

1. Si 1,33. - 2. Si 3,22.

ajoute semper, «toujours», parce qu'il faut observer l'obéissance pour garder la sagesse, et qu'après avoir acquis la sagesse il ne faut pas négliger l'obéissance. Ce sont donc les membres spirituels du Christ qui disent : «J'ai compris par vos commandements». C'est en effet le langage que peut tenir le corps du Christ dans ceux qui ont observé les commandements de Dieu et acquis ainsi une sagesse supérieure. «C'est pourquoi j'ai eu en horreur toute voie d'iniquité», dit le Prophète; et en effet, l'amour de la justice c'est la haine de tout mal; amour qui s'accroît à mesure qu'il est enflammé par la douceur de la sagesse, et Dieu la donne à quiconque lui obéit et s'instruit par ses commandements.





VINGT-TROISIÈME DISCOURS SUR LE PSAUME CXVIII - LA VÉRITABLE LUMIÈRE.

11923 Ps 119,105-112


On appelle flambeau ce qui ne s'allume qu'à la véritable lumière qui est le Christ. Cette parole qui est un flambeau, c'est la parole de l'Evangile prédite par les Prophètes, prêchée par les Apôtres. Elle a déterminé le Prophète à garder les décrets de la justice, par cette foi si persécutée, et pour laquelle il demande à Dieu la vie selon sa parole, c'est-à-dire la vie de l'âme par une pureté toujours croissante. Il veut que cette âme soit entre es mains de Dieu; il l'offre afin qu'elle échappe aux pièges des pécheurs. Ces témoignages acquis par héritage lui viennent de Dieu notre Père, à qui nous devons rendre témoignage par la charité qui est éternelle.

1. Il faut avec la grâce de Dieu approfondir et vous exposer quelques versets de notre psaume dont le premier est celui-ci: «Votre parole est un flambeau qui guide mes pas, une lumière dans mon sentier 1». Le mot «flambeau» est répété dans «lumière», et «mes pas» répété « dans mon sentier». Que signifie cette parole ou ce Verbe? Est-ce bien ce Verbe qui, dès le commencement, était Dieu et en Dieu, ce Verbe par qui tout a été fait 2? Point du tout; car ce Verbe est la lumière, et non un flambeau, et tout flambeau est créature, et non Créateur; il ne s'allume qu'au contact de l'immuable lumière. C'est là ce qu'était Jean dont le Verbe de Dieu a dit: «Il était une lampe ardente et brillante 3». Toutefois cette lampe était aussi lumière, et néanmoins, en comparaison du Verbe dont il

1. Ps 118,105.- 2. Jn 1,1.- 3. Jn 5,35.

est dit: «Le Verbe était Dieu», il n'était point la hum ère, mais seulement envoyé pour rendre témoignage à la lumière. La lumière véritable n'était point celle qui reçoit la lumière d'ailleurs, à l'imitation des hommes, mais celle qui éclaire tout homme 1. Et cependant, si le flambeau n'était aussi lumière, le Sauveur ne dirait point aux Apôtres: «Vous êtes la lumière du monde 2». Mais de peur que cette parole ne leur persuadât qu'ils étaient lumière dans le même sens qu'il avait dit de lui: «Je suis la lumière du monde 3», voilà qu'il leur dit d'eux-mêmes: «Une ville placée sur une montagne ne saurait être cachée, et on n'allume point un flambeau pour le placer sous le boisseau, mais sur un candélabre, afin qu'il éclaire tous ceux qui sont dans la maison; ainsi que votre

1. Jn 1,1-9. - 2. Mt 5,14. - 3. Jn 8,12.

lumière brille devant les hommes 1»; il voulait qu'ils se considérassent comme des flambeaux allumés à cette lumière qui ne change point. Nulle créature, en effet, pas même celle qui est raisonnable et intelligente, ne saurait s'éclairer par elle-même; elle ne s'allume que par la participation à la vérité éternelle, bien que souvent on l'appelle jour: ce jour n'est point le Seigneur, mais le jour que le Seigneur a fait. Aussi le Prophète lui dit-il: «Approchez de Dieu afin d'en être éclairés 2». C'est à cause de cette participation que le Médiateur est dans son humanité appelé une lampe dans l'Apocalypse 3. Mais c'est là une prérogative particulière, car il n'est point d'homme, quelque saint qu'il soit, dont il soit dit d'en haut, et dont on puisse dire: «Le Verbe s'est fait chair 4»; c'est uniquement du Médiateur de Dieu et des hommes 5. Si donc l'on appelle lumière ce Verbe unique égal à celui qui l'engendre; si l'on appelle lumière cet homme éclairé par le Verbe que l'on nomme aussi flambeau, tel que Jean tels que les Apôtres, bien que nul d'entre eux ne soit le Verbe, et que ce Verbe qui les éclaire ne soit point une lampe; qu'est-ce dès lors que ce Verbe qui est tout à la fois lumière et flambeau (car « votre Verbe, nous dit le Prophète, est un flambeau qui guide mes pas, une lumière dans mes sentiers»), si nous n'entendons par là ce Verbe, cette parole donnée aux Prophètes, prêchée par les Apôtres, non pas la parole qui est le Christ, mais la parole du Christ, dont il est écrit: «La foi vient de ce qu'on entend, et on entend la parole du Christ 6?» Saint Pierre, à son tour, comparant à une lampe la parole des Prophètes: «Nous avons», dit-il, « une preuve plus frappante dans les oracles des Prophètes, sur lesquels vous faites bien d'arrêter les yeux, comme sur un flambeau qui luit dans un lieu obscur». Alors ce que le Prophète nous dit ici: «Votre parole est un flambeau pour mes pieds, une lumière dans mon sentier», s'entend de la parole contenue dans les saintes Ecritures.

2. « J'ai juré, j'ai résolu de garder les décrets de votre justice 8». Cette parole est d'un homme qui suit fidèlement cette lumière divine, et qui marche dans les droits sentiers.

1. Mt 5,14-16. - 2. Ps 33,6. - 3. Ap 21,23. - 4. Jn 1,14.- 5. 1Tm 2,5.- 6. Rm 10,17.- 7. 2P 1,19. - 8. Ps 118,106.

Le second verbe explique ce qu'avait commencé le précédent; comme si nous lui demandions ce que signifie «je l'ai juré», il ajoute «et je l'ai résolu». Il appelle jurement ce qu'ila confirmé par un serment; car l'âme doit être tellement déterminée à garder les jugements de la justice divine, que sa résolution soit un véritable serment.

3. Or, c'est par la foi que l'on garde les décrets de la justice divine; cette foi vive qui nous persuade que sous un Dieu juste, il n'y a nulle bonne oeuvre sans récompense, ni crime sans châtiment; mais comme cette foi a valu au corps du Christ de graves et nombreuses persécutions, le Prophète s'écrie : « J'ai été humilié à l'excès 1». il ne dit point: Je me suis humilié, en sorce qu'on doive entendre ces paroles de l'humilité qui est de précepte; mais il dit: « J'ai été humilié à l'excès», endurant la plus affligeante persécution; parce qu'il a juré, résolu de garder les décrets de la justice divine, Et de peur que la foi ne l'abandonne dans une si grande humiliation, il ajoute: «Seigneur, donnez-moi la vie selon votre parole», c'est-à-dire, selon votre promesse. Car cette parole des saintes promesses est un flambeau pour mes pieds, une lumière pour mes sentiers. C'est ainsi que plus haut, dans la persécution qu'il endurait, il a demandé à Dieu de le vivifier, en disant: «Peu s'en est fallu qu'ils ne m'anéantissent sur la terre; et pour moi je n'ai point abandonné vos préceptes; vivifiez-moi selon votre miséricorde, et je garderai vos témoignages ou vos martyres». Ce qui nous fait comprendre que si Dieu ne nous vivifiait en nous dominant la patience, selon cette parole: « Vous posséderez vos âmes dans votre patience 2»; et c'est encore de lui qu'il est dit: «Que la patience vient de lui 3», la persécution pourrait bien ne pas tuer le corps, mais l'âme mourrait pour n'avoir point gardé les martyres ou les décrets de la justice divine.

4. «Agréez, Seigneur, les offrandes volontaires de ma bouche 4»; c'est-à-dire, puissent-elles vous plaire, ne les rejetez point, mais approuvez-les. Or, par ces sacrifices de la bouche, peuvent très-bien s'entendre les sacrifices de louanges qu'exhale un cri d'amour et non la crainte d'une servile nécessité. De là cette autre

1. Ps 118,107. - 2. Lc 21,19. - 3. Ps 61,6. - 4. Ps 118,108.

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parole: «Je vous offrirai des sacrifices volontaires 1». Mais pourquoi ajouter: «Et enseignez-moi vos jugements?» Le Prophète n'avait-il pas dit plus haut: «Je ne me suis point écarté de vos jugements?» Comment l'a-t-il pu, s'il ne les connaissait point? Et s'il les connaissait, comment dit-il ici: «Enseignez-moi vos jugements?» En est-il ici comme de ces autres paroles: «Vous avez fait acte de douceur envers votre serviteur», après lesquelles il dit: «Enseignez-moi votre douceur?» paroles que nous avons expliquées comme le cri d'une âme qui progresse, et qui demande que l'on ajoute encore à ce qu'elle a déjà reçu.

5. «Mon âme est toujours entre vos mains 2». On lit dans plusieurs exemplaires, «entre mes mains»; mais dans le plus grand nombre, « entre vos mains», et le sens est clair les âmes des justes, en effet, sont entre les mains de Dieu 3; et nous-mêmes sommes entre ces mains ainsi que nos paroles 4. «Et je n'ai point oublié votre loi», dit le Prophète; comme si ces mains de Dieu entre lesquelles est son âme aidaient sa mémoire à ne point oublier la loi de Dieu. Mais je ne sais en quel sens il faudrait dire: « Mon âme est entre mes mains». Ce langage n'est point celui de l'injuste, mais du juste qui retourne à son Père, et non qui s'en éloigne. On pourrait dire que le prodigue de l'Evangile voulait avoir son âme entre ses mains, quand il disait à son Père: « Donnez-moi la portion de bien qui doit m'échoir 5». Mais telle fut la cause de sa mort, la cause de sa perdition. Ou bien cette expression: «Mon âme est entre mes mains», signifierait-elle que le Prophète offre son âme à Dieu afin qu'elle soit vivifiée? Elle reviendrait alors à cette autre: «J'ai levé mon âme vers vous 6». Car le Prophète a dit plus haut: «Vivifiez-moi».

6. «Les pécheurs», poursuit-il, «m'ont tendu un piége, et je n'ai point dévié de vos préceptes 7». D'où vient cette fidélité, sinon de ce que son âme est entre les mains de Dieu, ou qu'il l'offre de ses mains à Dieu afin qu'il la vivifie?

7. «J'ai acquis vos témoignages comme un héritage éternel 8». Quelques-uns, pour

1. Ps 53,8. - 2. Ps 118,109. - 3. Sg 3,1 - 4. Sg 7,16. - 5. Lc 15,12 Lc 15,24. - 6. Ps 24,1. - 7. Ps 118,110. - 8. Ps 118,111.

imiter le grec, et renfermer tout en un mot, ont traduit, haereditavi; mais cette expression, quoique latine, semble désigner plutôt celui qui donne en héritage, que celui qui accepte; en sorte que haereditavi, signifierait j'ai enrichi. Le sens est donc plus exact dans ces deux expressions: «J'ai acquis par héritage», ou «possédé par héritage»; mais «par héritage», et, non un héritage. Et si l'on se demande ce qu'il a acquis par héritage, «ce sont vos témoignages», répond-il. Que veut-il dire, sinon qu'il a reçu du Père, dont il est héritier, la faveur d'être son témoin, de confesser ses témoignages, c'est-à-dire d'être le martyr de Dieu, de le confesser comme le font ses martyrs? Beaucoup, en effet, l'ont voulu et ne l'ont pu; mais nul ne l'a pu s'il n'a voulu; car ils n'eussent rien pu, s'il eussent voulu renier à Dieu son témoignage. Encore est-ce le Seigneur qui a ainsi disposé leur volonté 1. Voilà ce qu'il déclare qu'il a reçu en héritage, et cela «pour jamais»; parce qu'on ne retrouve pas dans ces témoignages cette gloire passagère des hommes qui recherchent la vanité, mais cette gloire éternelle qui échoit à ceux qui souffrent un moment ici-bas, et qui doivent régner sans fin. De là ce qu'ajoute le Prophète: «Parce qu'ils font les délices de mon coeur». Ils peuvent affliger le corps, mais ils sont la joie du coeur.

8. «J'ai incliné mon coeur», dit-il ensuite, «afin d'accomplir éternellement vos préceptes, en vue de la récom pense 2». Celui qui dit ici : «J'ai incliné mon coeur», avait déjà dit: «Inclinez mon coeur vers vos témoignages», afin de nous faire comprendre que c'est là l'oeuvre de Dieu et de notre volonté tout ensemble. Mais devons-nous accomplir éternellement les préceptes du Seigneur? Les oeuvres par lesquelles nous soulageons les besoins du prochain ne sauraient être éternelles, non plus que ces besoins; mais si nous ne les faisons par charité, elles ne peuvent nous justifier; si nous agissons par charité, comme la charité est éternelle, une récompense éternelle lui est réservée. C'est en vue de cette récompense éternelle qu'il a, dit-il, incliné son coeur pour accomplir les préceptes de Dieu, afin qu'en l'aimant éternellement, il mérite de posséder éternellement l'objet de son amour.

1. Pr 8,35. - 2. Ps 118,112.




Augustin, les Psaumes 11921