Augustin, Sermons 316

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SERMON CCCXVI. FÊTE DE SAINT ÉTIENNE, MARTYR. 3. IMITATION DE JÉSUS-CHRIST.

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ANALYSE. - Notre amour pour saint Etienne doit se reporter sur Jésus-Christ; car c'est Jésus-Christ qui l'a converti, c'est au nom de Jésus-Christ qu'il a fait tant de miracles, et c'est sur Jésus-Christ qu'il a pris modèle. Cruellement traité par les Juifs, comme Jésus-Christ il remet son âme à Dieu; comme lui il prie pour ses bourreaux; enfin, comme la prière de Jésus-Christ a obtenu la conversion d'Etienne qui était peut-être au nombre de ceux qui demandaient sa mort, ainsi la prière d'Etienne obtient la conversion de Saul, le plus ardent de ses persécuteurs. Voilà pourquoi vous voyez Etienne et Paul réunis sur ce tableau: plus heureusement encore ils sont réunis au ciel.

1. Le bienheureux et glorieux en Jésus-Christ le saint martyr Etienne nous a déjà comme rassasiés de sa parole; voici toutefois comme un second service que vous offre mon ministère. Mais, que puis-je vous présenter de plus délicieux que le Christ et son martyr? Il est vrai, l'un est le Seigneur, l'autre le serviteur; mais de serviteur Etienne est devenu ami. Nous aussi ne sommes-nous pas serviteurs? Fasse le ciel que nous devenions amis également! Pourtant, que sommes-nous comme serviteurs? Des serviteurs qui pourrions chanter sans faire rougir notre conscience: «Combien, Seigneur, vos amis sont en honneur à mes yeux (1)!».

Vous avez appris ce qu'était saint Etienne quand il fut choisi par les Apôtres, et avant qu'il fût mis à mort publiquement pour être secrètement couronné. Il est nommé le premier des diacres, comme l'apôtre saint Pierre le premier des Apôtres. Eh bien! quoique ordonné par les Apôtres, il les précéda bientôt au martyre: ordonné par eux, il fut couronné avant eux. Qu'avez-vous entendu pendant la lecture sainte? «Rempli de la grâce et du Saint-Esprit, Etienne faisait des prodiges et de grands miracles parmi le peuple, au nom de Jésus-Christ, le Seigneur (2)». Qui faisait ces prodiges? et au nom de qui? Vous qui savez aimer Etienne, aimez-le en Jésus-Christ. C'est ce qu'il veut, c'est ce qui lui est agréable; c'est ce qu'il désire, c'est ce qui lui plaît. Ah! ce n'est pas son nom qu'il a voulu mettre en relief au milieu de ses bourreaux. Remarquez

1. Ps 138,17 - 2. Ac 6,8

qui il confessait pendant qu'on le lapidait; qui il confessait sur la terre et qui il contemplait au ciel; pour qui il sacrifiait son corps, et à qui il recommandait son âme. Lisons-nous, en effet, ou pouvons-nous lire dans ses enseignements que Jésus-Christ faisait ou qu'il fait des miracles au nom d'Etienne? Etienne en a fait, mais au nom du Christ. Il continue; car tout ce que vous voyez s'opérer par le souvenir d'Etienne, se fait au nom du Christ; et cela, pour publier la gloire du Christ, pour le faire adorer, pour le faire attendre comme Juge des vivants et des morts, pour enfin disposer ceux qui l'aiment à mériter d'être placés à sa droite. Quand, en effet, il apparaîtra, les uns seront à sa droite et les autres à sa gauche; à sa droite pour être heureux, pour être malheureux à sa gauche.

2. Toutefois, que le bienheureux Etienne imite son Seigneur. Sous une grêle de dures pierres, il souffrait avec une patience invincible, ces bourreaux qui lui lançaient, quoi? sinon ce qu'ils étaient. Voulez-vous savoir combien effectivement ils étaient durs? «Durs de tête, leur dit-il, et incirconcis de coeur et d'oreilles, toujours vous résistez au Saint-Esprit». Tu veux donc mourir, tu cours te faire lapider, tu aspires à être couronné. «Toujours vous résistez à l'Esprit-Saint n. Pendant que lui parlait ainsi, eux frémissaient et grinçaient les dents. Continue, Etienne; dis ce qu'ils ne supporteront pas, ce qu'ils ne pourront endurer; parle pour te faire lapider, afin que nous ayons de quoi célébrer.

Les cieux s'ouvrirent; le martyr y vit le Chef des martyrs; il y vit Jésus debout à la droite (543) de son Père; il l'y vit, mais sans garder le silence. Les Juifs ne l'y voyaient pas, car ils étaient aveuglés par la haine. Pour parvenir jusqu'à Celui qu'il voyait, Etienne ne dissimula pas qu'il l'avait sous les yeux. «Voici, dit-il, je vois les cieux ouverts, et le Fils de l'homme debout à la droite de son Père». Comme si ces paroles eussent été un blasphème, les Juifs se bouchèrent les oreilles. Ne les reconnaissez-vous point dans ce passage d'un psaume: «Comme l'aspic qui se rend sourd en se bouchant les oreilles, pour n'écouter pas la voix de l'enchanteur, pour ne prendre pas le remède présenté par le sage (1)?» On dit que pour ne pas se produire ni sortir de leur caverne, les serpents, quand on les enchante, se pressent une oreille contre terre et se ferment l'autre avec leur queue, ce qui toutefois n'empêche pas l'enchanteur de les tirer de leurs retraites; ainsi les Juifs sifflaient en quelque sorte dans leurs cavernes quand ils s'animaient intérieurement; sans se montrer encore, ils se bouchaient les oreilles. Qu'ils sortent, maintenant, qu'ils paraissent ce qu'ils sont; qu'ils courent aux pierres. Ils y coururent et les lancèrent.

3. Mais Etienne? Etienne? Considérez d'abord Celui que prenait pour modèle cet ami généreux. Au moment où il était suspendu à la croix, le Seigneur Jésus-Christ s'écria: «Mon Père, je remets mon esprit entre vos mains». Il s'exprimait ainsi comme homme, comme Fils d'une femme, comme crucifié, comme revêtu d'un corps humain, comme étant sur le point de mourir pour nous, d'être déposé dans un sépulcre, de ressusciter le troisième jour et de monter aux cieux; car tous ces actes sont des actes de son humanité. Comme homme il dit donc: «Mon Père, je remets mon esprit entre vos mains». Jésus dit: «Mon Père»; Etienne: «Seigneur Jésus»; et qu'ajoute-t-il à son tour? «Recevez mon esprit». Vous parliez, vous, à votre Père; c'est à vous que je m'adresse. Je reconnais en vous mon Médiateur; vous êtes venu me relever de ma chute, sans tomber avec moi. «Recevez mon esprit».

C'est pour lui-même qu'il priait ainsi. Mais autre chose se présente à son esprit, qui le porte à imiter son Maître autrement encore. Rappelez-vous maintenant les paroles du Sauveur

1. Ps 57,5-6

sur la croix, et comparez-les aux paroles du serviteur qui le confessait sous cette masse de pierres. Que disait le Sauveur? «Mon Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu'ils font (1)». Peut-être Etienne était-il au nombre de. ces malheureux qui ignoraient ce qu'ils faisaient. Car beaucoup d'entre eux crurent ensuite, et nous ne savons de quel parti était alors le bienheureux Etienne; s'il était de ceux qui crurent d'abord au Christ, comme Nicodème, celui qui vint trouver Jésus pendant la nuit (2) et qui a mérité d'être enseveli près d'Etienne, puisque c'est par lui qu'on a découvert son corps; ou bien s'il était de ceux qui en voyant, après. l'ascension, quand le Saint-Esprit descendit et remplit les Apôtres, ceux-ci parler les langues de tous les peuples, leur dirent avec componction: «Frères, que ferons-nous?» Apprenez-le-nous. Pour avoir mis à mort le Sauveur, ils désespéraient de leur salut. Pierre alors leur répondit: «Faites pénitence, et que chacun de vous accepte le baptême au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ, et vous recevrez le Saint-Esprit, et vos péchés vous seront remis (3)». Est-ce bien tous? Eh! lequel ne l'eût pas été, quand l'était le crime d'avoir mis à mort le destructeur des péchés? Quel péché plus horrible que d'avoir donné la mort au Christ? Ce péché, pourtant, fut effacé.

Où allons-nous? Peut-être donc Etienne fut-il au nombre de ces meurtriers. S'il était parmi eux, lui aussi profita de cette prière: «Mon Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu'ils font»: Mais Saul était sûrement de ce parti; et quand on lapidait Etienne comme un doux agneau, loup encore Saul était encore altéré de sang, et peu content de pouvoir lapider de ses propres mains, il gardait les vêtements des, bourreaux. Quoi qu'il en soit, se rappelant que pour lui-même, s'il était au nombre des meurtriers du Sauveur, le Sauveur avait dit: «Mon Père, pardonnez-leur, car ils ne savent pas ce qu'ils font», et imitant encore, pour être son ami, ce trait de son Seigneur; «Seigneur, dit-il à son tour, ne leur imputez pas ce péché (4)». Dans quelle attitude encore parla-t-il ainsi? Il était agenouillé. Pour lui, il parlait debout; il s'agenouilla quand il voulut prier pour ses ennemis. Pourquoi restait-il debout quand il priait

1. Lc 23,46 - 2. Jn 3,2 - 3. Ac 2,37-38 - 4. Ac 6,59

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pour lui-même? C'est qu'il priait pour un juste. Et pourquoi fléchit-il le genou lorsqu'il pria pour eux? C'est qu'il intercédait pour de grands coupables. «Seigneur, ne leur imputez pas ce péché».

4. Crois-tu que Saul entendit ces mots? Il les entendit, mais il s'en moqua; et pourtant il était compris dans la prière d'Etienne. Il courait encore au meurtre, et déjà Etienne était exaucé en sa faveur. Vous savez ce qu'il en est; car je vous dois un mot sur ce Saul, plus tard devenu Paul; oui, vous savez ce qu'il en est; car le même livre des Actes nous enseigne comment Paul parvint à la foi. Après la mort d'Etienne, l'Eglise souffrit à Jérusalem une persécution cruelle. Les frères qui étaient là prirent la fuite; les seuls Apôtres restèrent, tous les autres prirent la fuite. Or, comme des torches ardentes, ils mettaient le feu partout où ils allaient. Que les Juifs étaient insensés, puisqu'en les chassant de Jérusalem, ils mettaient en quelque sorte le feu à la forêt 1 Et Saul, Saul qui ne se contentait pas du meurtre de saint Etienne, de ce meurtre que nous nous rappelons avec plaisir, puisqu'il est cause de la fête de ce jour, que fit Saul? Il prit, des prêtres et des scribes, l'autorisation écrite d'enchaîner partout ceux qu'il rencontrerait attachés à cette manière de vivre, c'est-à-dire les chrétiens, et de les mener à des supplices pareils à celui qu'avait enduré saint Etienne. Il allait donc plein de colère; comme le loup qui court au bercail, il se précipitait vers les troupeaux du Seigneur; tout écumant de rage, il était altéré de sang, soupirait après le carnage et poursuivait ainsi sa route. «Saul, Saul, lui cria le Seigneur du haut du ciel, pourquoi me persécuter?» Loup, loup, pourquoi poursuivre un agneau? En mourant j'ai mis à mort le lion. «Pourquoi me persécuter?» Cesse d'être loup; de loup, deviens brebis; et de brebis, berger (1).

5. Cette peinture est délicieuse: vous y voyez lapider saint Etienne; vous y voyez aussi Saul occupé à garder les vêtements des bourreaux. Ce Saut est le même que «Paul, Apôtre de Jésus-Christ»; que «Paul, serviteur de Jésus-Christ». Vous avez bien entendu ce cri: «Pourquoi me persécuter?» Tu es à la fois renversé et relevé, renversé comme persécuteur, relevé comme prédicateur. Dis maintenant, nous voulons t'écouter: «Paul, serviteur de Jésus-Christ, par la volonté de Dieu (2)». O Saul, est-ce par ta volonté? Nous savons, nous voyons ce qu'a produit ta volonté propre: ta volonté propre vient de mettre Etienne à mort. Mais nous voyons aussi ce que tu as fait par la volonté de Dieu: partout on te lit, partout on te cite, partout tu convertis au Christ les coeurs ennemis; partout, ô bon pasteur, tu amènes vers lui d'immenses troupeaux. Associés maintenant à celui que tu as lapidé, tu règnes avec le Christ. Là vous vous voyez tous deux, tous deux maintenant vous entendez nos paroles; priez pour nous tous deux. Tous deux vous serez exaucés par Celui qui vous a couronnés, l'un d'abord, l'autre ensuite; l'un persécuté, et l'autre persécuteur. Le premier était agneau d'abord, l'autre était loup; mais tous deux sont agneaux aujourd'hui. O agneaux, jetez les yeux sur nous, puissiez-vous nous voir dans le troupeau du Christ! Ah! qu'ils nous recommandent dans leurs supplications, et qu'ils obtiennent à l'Eglise de leur Seigneur une vie calme et tranquille.

1. Ac 8,11 - 2. Rm 1,1 1Co 1,1




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SERMON CCCXVII. FÊTE DE SAINT ÉTIENNE, MARTYR. IV. AMOUR DES ENNEMIS.

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ANALYSE. - Afin de partager un jour l'éternel bonheur de saint Etienne, imitons l'exemple qu'il nous donne au moment de son martyre. Dieu nous commande d'aimer nos ennemis, lui-même nous donne l'exemple de cet amour en faisant lever son soleil sur les bons et sur les méchants, en s'incarnant, en mourant et en priant pour ses ennemis. Objecteras-tu que tu ne peux t'élever si haut? Voici Etienne, mortel et fragile comme toi, qui va te servir de modèle. Après avoir parlé aux Juifs avec une rigueur que commandait la charité même, il s'agenouille afin de prier pour eux, et il s'endort en paix.

1. Le bienheureux martyr Etienne, ordonné le premier après les Apôtres, ordonné diacre par eux, a reçu avant eux la couronne. Si par ses souffrances il a jeté tant d'éclat sur ces autres régions, il a visité les nôtres après sa mort (1). Après sa mort nous visiterait-il, si après sa mort il n'était vivant? Ce peu de poussière a suffi pour réunir ce peuple immense; c'est une cendre imperceptible, mais que de miracles sensibles! Songez, mes bien-aimés, à ce que Dieu nous réserve dans la région des vivants, puisqu'il nous fait de si grands biens avec la poussière des morts! On parle en tout lieu du corps de saint Etienne; mais c'est surtout le mérite de sa foi qui est glorifié. Or, en attendant de lui des bienfaits temporels, ayons soin, en l'imitant, de mériter les biens éternels. Et remarquer, croire, pratiquer ce que ce bienheureux martyr nous a montré dans ses souffrances, c'est réellement célébrer sa fête.

Parmi les grands et salutaires préceptes, parmi les préceptes divins et profonds que le Seigneur a donnés à ses disciples, il en est un qui paraît bien difficile aux hommes, c'est celui d'aimer ses ennemis. Le précepte est difficile, mais la récompense est immense. Aussi voyez comme il s'est exprimé en faisant ce commandement: «Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent, et priez pour ceux qui vous persécutent». Voilà le devoir, en voici le prix. Vois, en effet, ce qu'ajoute le Sauveur: «Afin que vous soyez les fils de votre Père qui est dans les cieux, qui

1. Voir Cité de Dieu, liv. 21, ch. VIII.

fait lever son soleil sur les bons et les méchants, et pleuvoir sur les justes et les injustes (1)». C'est ce que nous voyons se réaliser, nous ne saurions le nier. Dieu a-t-il dit aux nuées: Pleuvez sur les champs de mes serviteurs, éloignez-vous des terres de ceux qui me blasphèment? A-t-il dit au soleil: Laisse-toi voir de ceux qui m'adorent et non de ceux qui me maudissent? Au ciel et sur la terre je vois les bienfaits divins: les sources jaillissent, les champs se fécondent, les arbres se chargent de fruits. Ces bienfaits sont pour les bons et pour les méchants, pour les reconnaissants et pour les ingrats. Celui qui donne tant aux bons et aux méchants, ne réserve-t-il rien de spécial aux bons? Aux bons et aux méchants il accorde ce qu'il a accordé aux bourreaux d'Etienne; mais il réserve aux bons ce qu'il a octroyé à Etienne lui-même.

2. Ainsi donc, mes frères, à l'exemple de ce martyr surtout, apprenons à aimer nos ennemis. Nous venons de considérer le modèle que nous donne Dieu le Père, en faisant lever son soleil sur les bons et sur les méchants. C'est son Fils lui-même qui nous l'a proposé, après s'être incarné, et en s'exprimant par l'organe de ce même corps qu'il s'est uni par amour pour ses ennemis. Car en venant au monde par amour pour ses ennemis, il n'y a rencontré que des ennemis, pas un seul ami. Pour ses ennemis il a versé son sang, mais en le versant il les a convertis; il a, en le versant, effacé les péchés de ses ennemis, et en effaçant leurs péchés, il a fait de ses ennemis des amis.

1. Mt 5,44-45

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Du nombre de ses amis était saint Etienne, ou plutôt il est et il sera l'un d'entre eux.

De plus, néanmoins, le Seigneur a pratiqué le premier sur la croix ce qu'il avait recommandé. Quand les Juifs l'entouraient en frémissant, en écumant de colère, en le tournant en dérision, en lui insultant, en le crucifiant «Mon Père, dit-il, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu'ils font (1)». C'est leur aveuglement qui me crucifie; ce qui était vrai. Néanmoins le divin Crucifié leur faisait avec son sang un remède pour leur ouvrir les yeux.

3. Mais il est des hommes hésitants en face du précepte et ardents pour la récompense, qui n'aiment pas leurs ennemis et qui cherchent à s'en venger, ne considérant point que si le Seigneur avait voulu se venger des siens, il n'y aurait plus personne pour le bénir. Quand ces hommes entendent dans l'Évangile ces paroles du Seigneur en croix: «Mon Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu'ils font», ils répètent. Il le pouvait, lui, comme Fils de Dieu, comme Fils unique du Père; car, si on voyait son corps suspendu, l'invisible divinité n'était pas moins en lui. Mais nous, qui sommes-nous four en faire autant? - L'auteur du commandement se serait donc joué de nous? A Dieu ne plaise; non, il ne s'est point joué de nous. Tu estimes trop difficile d'imiter ton Seigneur? Considère Etienne, son serviteur comme toi. Le Seigneur Jésus est le Fils unique de Dieu; Etienne l'est-il? Le Seigneur Jésus est né d'une Vierge sans tache; Etienne en est-il né ainsi? Le Seigneur Jésus est venu au milieu de nous, non pas avec une chair de péché, mais seulement avec une chair semblable à la chair de péché (2): Etienne avait-il une chair comme la sienne? Il est né comme toi, il a puisé la vie à la même source, il a été régénéré par le même Sauveur, racheté le même prix; il a la même valeur que toi. Nous sommes tous sur le même inventaire; l'Evangile est l'inventaire où est constaté notre rachat, le tien comme le sien. Si nous nous considérons comme esclaves, l'Évangile est un inventaire: comme enfants, il est un testament. Contemple, contemple donc Etienne, esclave comme toi.

4. Il est trop difficile, pour tes yeux malades, de fixer le soleil? Regarde ce flambeau. «Nul n'allume un flambeau, dit le Seigneur

1. Lc 23,34 - 2. Rm 8,3

à ses disciples, pour le mettre sous le boisseau, mais sur le chandelier, afin qu'il éclaire tous ceux qui sont dans la maison (1)». Ici, la maison c'est le monde; le chandelier, la croix du Christ; le flambeau qui éclaire sur le chandelier, le Christ attaché à la croix. Sur ce chandelier luisait aussi cet homme qui gardait d'abord les vêtements de ceux qui lapidaient Etienne, ce Saul devenu Paul, ce loup devenu agneau, cet homme petit et grand tout à la fois, ravisseur d'abord des agneaux, leur pasteur ensuite; il luisait sur ce chandelier quand il disait: «Loin de moi la pensée de me glorifier, sinon dans la croix de Notre-Seigneur Jésus-Christ, par qui le monde m'est crucifié, et moi au monde (2)». - «Qu'ainsi brille votre lumière aux yeux des hommes (3)». Tel est l'éclat d'Étienne, l'éclat de ce flambeau: regardons-le. Que nul ne dise: C'est trop pour moi. Etienne était homme, et tu es homme. Ce n'est pas en lui qu'il a puisé. Croirais-tu qu'après avoir puisé, il t'a fermé la fontaine? Cette fontaine est pour tous; bois-y, puisqu'il y a bu. Il a tout reçu de la bonté de Dieu. Son bienfaiteur est riche; demande et reçois à ton tour.

5. Le Seigneur réprimandait les Juifs avec rigueur et vivacité, mais c'était par amour. «Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites (4)». Qui ne dirait, en l'entendant parler de la sorte, qu'il avait de la haine contre eux? Il monta ensuite sur la croix, et là il s'écriait: «Mon Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu'ils font». C'est ainsi que dans son discours Etienne leur dit d'abord d'un ton accusateur: «Durs de tête, incirconcis de coeur et d'oreilles». Voici, en effet, les paroles mêmes de saint Etienne aux Juifs: «Durs de tête, et incirconcis de coeur et d'oreilles; toujours vous avez, comme vos pères, résisté à l'Esprit-Saint. Quel prophète n'a pas été mis à mort par vos pères?» Ce langage semble celui de la haine et de la rigueur; mais si l'amertume paraît sur les lèvres, l'amour est dans le coeur. Nous venons devoir l'amertume de la parole, montrons l'amour du coeur.

Durs comme les pierres, les Juifs avaient eu recours aux pierres contre lui et, ce qui leur seyait bien, les lui lançaient. Ainsi se trouvait-il accablé sous une grêle de pierres, lui qui mourait pour la Pierre mystérieuse dont l'Apôtre

1. Mt 5,15 - 2. Ga 6,14 - 3. Mt 5,16 - 4. Mt 23,13

547

a dit: «Or la pierre était le Christ (1)». De plus, après avoir montré tant de fermeté dans son discours, voyez quelle patience le martyr a fait éclater à sa mort. Ses ennemis ébranlaient son corps sous la secousse des pierres, et lui priait pour eux; l'extérieur en lui était contusionné, l'intérieur était suppliant. Aussi bien le Seigneur, qui l'avait ceint, qui l'avait éprouvé, qui avait gravé son nom sur lui, non pas à la main, mais au front, regardait-il du haut du ciel son guerrier, pour le soutenir dans le combat et le couronner après. la victoire. Il se montra même à lui. «Voici, dit Etienne: je vois les cieux ouverts, et le Fils de l'homme debout à la droite de Dieu». Seul il le voyait, parce qu'il ne se montrait qu'à lui. Que dit-il alors pour lui-même? «Seigneur Jésus, recevez mon esprit». Prie-t-il pour lui? il reste debout; pour ses ennemis? il s'agenouille; pour lui? il est droit; pour eux? il se courbe; pour lui? il reste levé; pour eux? il s'abaisse, fléchit le genou et s'écrie: «Seigneur, ne leur imputez pas ce péché»; et en parlant ainsi, il s'endormit. O sommeil de paix! S'il s'est endormi de la sorte sous les pierres lancées par ses ennemis, comment ne s'éveillera-t-il pas avec ses cendres sacrées? Il s'est endormi tranquillement, il repose en paix, pour avoir recommandé son esprit au Seigneur.

1. 1Co 10,4




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SERMON CCCXVIII. FÊTE DE SAINT ÉTIENNE, MARTYR. V. ÊTRE FIDÈLE JUSQU'A LA MORT.

ANALYSE. - Pour y placer une portion des reliques de saint Etienne, découvertes miraculeusement, nous avons élevé un autel. Vous trouverez ici un modèle à imiter. Dans le dessein de témoigner à Dieu leur fidélité, les martyrs ont fait plus que de mépriser les caresses du monde, ils ont triomphé de ses tourments, de la mort même. Vous aussi, quand pour vous guérir on vous offre un remède coupable, préférez la mort, comme les martyrs, et comme eux vous porterez la palme.

1. Votre sainteté s'attend à savoir ce qu'on vient aujourd'hui de placer en ce lieu: ce sont des reliques du bienheureux Etienne, le premier martyr. Vous avez remarqué, pendant qu'on lisait l'histoire de son martyre dans le livre canonique des Actes des Apôtres, comment il fut lapidé par les Juifs, comment il recommanda son esprit au Seigneur, comment encore il s'agenouilla à la fin, pour intercéder en faveur de ses bourreaux (1). Eh bien! son corps est resté caché jusqu'à cette époque; dernièrement on l'a découvert comme on découvre habituellement les corps des saints martyrs, sur une révélation divine et quand il plait à leur Créateur. C'est ainsi qu'il y a quelques années, lorsque jeune homme encore nous étions établi à Milan, on découvrit les corps des saints martyrs Gervais et Protais.

Vous savez que saint Gervais et saint Protais ont souffert bien longtemps après le bienheureux Etienne. Pourquoi l'invention de leur corps a-t-elle eu lieu avant l'invention du sien? Que personne ne dispute là-dessus; la volonté de Dieu demande la foi plutôt qu'aucune dispute. Ce qui prouve que la révélation était véritable, c'est qu'on montra réellement ce que d'après elle on avait découvert. Des prodiges commencèrent par indiquer le lieu des reliques, et on les trouva comme l'avait dit la révélation. Plusieurs en emportèrent, parce que Dieu le voulut, et il en est arrivé jusqu'à nous.

Voilà ce qui consacre pour votre charité et ce jour et ce lieu; vous les respecterez l'un et l'autre en l'honneur du Seigneur confessé par Etienne; car ce n'est pas à Etienne que nous avons élevé ici un autel, mais avec les reliques (548) d'Etienne nous avons dressé un autel à Dieu même. Dieu aime ces autels. Pourquoi? demandes-tu: C'est que «la mort de ses saints est précieuse aux yeux du Seigneur (1)». Rachetés par le sang, ils ont répandu leur sang pour leur Rédempteur. Lui a répandu le sien pour obtenir leur salut; eux ont répandu le leur pour publier son Evangile. Ils l'ont payé de retour, mais non par leurs propres forces; c'est à lui qu'ils doivent et de l'avoir pu et de l'avoir fait; il leur a accordé et sa grâce et l'occasion d'en profiter. Ils en ont profité réellement, ils ont souffert et foulé le monde aux pieds.

2. Peu contents de dédaigner les délices du siècle, ils en ont vaincu les supplices, les menaces et les tourments. Sans doute il est fort beau de dédaigner, pour la gloire de Dieu, ce qui flatte; mais il est moins beau encore de mépriser ce qui flatte, que de triompher de ce qui blesse. Suppose qu'on dit à un homme Renie le Christ et je te donne ce qui te manque; que cet homme ait méprisé ce qui est de nature à flatter, et qu'il n'ait point renié le Christ. Le persécuteur ajoute: Tu ne veux point ce qui te manque? je t'enlève ce que tu as. Mais cet homme craint plus de perdre qu'il n'aime de gagner; aussi est-il plus facile de ne pas manger que de vomir. Il n'a pas gagné, il n'a pas mangé; en perdant même ce qu'il avait gagné, il a comme vomi ce qu'il avait mangé. Si, en ne mangeant pas, on se prive d'un plaisir de bouche, en vomissant on s'arrache en quelque sorte l'estomac. Ainsi donc, on montre plus de force lorsqu'en confessant le Christ on ne redoute point de perdre, que lorsqu'on dédaigne de gagner. Quelles pertes n'essuie-t-on pas alors? Perte d'argent, perte de son patrimoine, perte de tout ce qu'on possédait. L'ennemi, toutefois, ne touche pas encore de fort près; on n'a perdu que ce qui est en dehors de soi; et si on n'aimait pas ces biens en les possédant, on ne s'afflige pas en les perdant. Pour exprimer en deux mots ma pensée, leur perte cause autant de douleur que leur possession a pu faire de plaisir.

Le persécuteur de cette époque, qui mettait à mort les saints, ne se contentait pas de dire: Je. te dépouille de ce que tu possèdes; il ajoutait Je vais te torturer, t'enchaîner, te tuer. Ne pas craindre cela, c'était vaincre le monde; combattre

1. Ps 115,15

jusque-là, c'était pousser jusqu'au dernier degré la lutte soutenue en faveur de la vérité. C'est ce que nous lisons dans l'épître aux Hébreux: «Vous n'avez pas encore résisté jusqu'au sang en combattant le péché (1)». Combattre ainsi contre le péché jusqu'au sang, c'est être parfait. Qu'est-ce à dire contre le péché? Contre le grand péché, contre le renoncement au Christ. Vous savez comment Suzanne a jusqu'au sang combattu contre le péché (2). Mais les femmes ne doivent pas s'estimer seules heureuses d'un trait pareil, et les hommes ne sont pas réduits à regretter pour quelqu'un d'entre eux la gloire de Suzanne. Ne savez-vous pas, en effet, comment Joseph, lui aussi, lutta contre le péché jusqu'au sang (3)? La cause était la même. Suzanne eut pour faux témoins les misérables dont elle refusa de contenter la passion criminelle, et Joseph eut pour faux témoin la femme à qui il refusa son consentement. De part et d'autre le faux témoignage vint de ceux à qui on résista pour ne pas pécher; on ajouta foi à leurs dépositions, mais ils ne gagnèrent pas Dieu. Les deux innocents furent délivrés. Que dis-je? Ne l'eussent-ils pas été plus complètement encore, s'ils étaient morts, puisqu'à l'abri de tout danger, ils auraient reçu la couronne? Pourquoi dire qu'à l'abri de tout danger ils auraient reçu la couronne? Parce qu'ils n'eussent plus été exposés à aucune tentation. Quoique délivrée, Suzanne y était sujette encore; et, tout délivré qu'il fût, Joseph aussi y était sujet. Pourquoi? Parce que «la vie humaine n'est qu'une tentation sur terre (4)». Jusqu'à la mort tout y est tentation; après la mort, il n'y a plus que félicité, mais pour les saints dont la mort a été précieuse aux yeux de Dieu. C'est ainsi que Suzanne et Joseph ont lutté jusqu'au sang, l'une contre le péché d'adultère, et l'autre contre un péché de même nature.

Mais il y a plus de mal à renier le Christ qu'à commettre un adultère. L'adultère charnel consiste dans des rapports illicites; l'adultère du coeur, à renier la vérité. La foi, l'esprit doivent avoir aussi leur chasteté. C'est par la perte de cette espèce de chasteté que s'est corrompue Eve, notre première mère. Veux-tu savoir combien fut énorme le crime de cette corruption? Considère combien sont énormes

1. He 12,4 - 2. Da 13 - 3. Gn 29 - 4. Jb 7,1

549

les calamités qui pèsent sur nous, ses enfants. Je vais, pour prouver ce que je dis, citer la sainte Ecriture: «Le péché a commencé par la femme, et par elle nous mourons tous (1)». Eh bien ! ce qui lui a été infligé comme châtiment, les martyrs le dédaignent en vue de la victoire. Dieu a menacé de la mort nos premiers parents pour les détourner du péché; l'ennemi en a menacé les martyrs pour les entraîner au péché. Les premiers ont péché pour mourir; les martyrs sont morts pour ne pécher pas. Ce qui a été pour les uns une source de châtiment, a été pour les autres un principe de gloire.

3. Ainsi les martyrs ont lutté et ont vaincu. Mais, après avoir vaincu, les premiers d'entre eux n'ont pas rompu le pont par où ils ont passé, pour nous empêcher de passer à leur suite. Ce pont reste ouvert à qui veut passer. Sans doute on ne doit pas souhaiter des persécutions comme ils en ont endurées; mais la vie humaine est chaque jour en butte aux tentations. Un fidèle tombe-t-il malade? Voici le

1. Si 25,33

tentateur. Ce tentateur, pour le guérir, lui parle d'un sacrifice coupable, de quelque ligature criminelle et sacrilège, d'horribles enchantements, de consécration magique; il lui dit: Tel et tel, plus en danger que toi, se sont sauvés par ces moyens; emploie-les, si tu veux vivre; si tu n'en fais rien, tu mourras. Ceci ne revient-il pas à cette menace: Mort à toi, si tu ne renies le Christ? Ce que disait formellement au martyr le persécuteur, le tentateur secret te le dit indirectement aujourd'hui. Fais-toi ce remède, et tu guériras; n'est-ce pas dire: Sacrifie et tu conserveras la vie? Si tu ne le prends pas, tu mourras: n'est-ce pas dire: Mort à toi, si tu ne sacrifies? Ainsi tu as rencontré le même ennemi, aspire à la même palme. Ta couche est une arène; tout étendu que tu y sois, tu luttes: demeure ferme dans la foi, et, si fatigué que tu sois, tu es vainqueur.

Ce lieu de prières sera donc pour vous, mes très-chers, un lieu de douces consolations. Honorez ici le saint martyr Etienne, mais adorez-y, en son honneur, Celui qui l'a couronné.




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SERMON CCCXIX. SAINT ÉTIENNE, PREMIER MARTYR. VI. ATTACHEMENT A JÉSUS-CHRIST.

ANALYSE. - C'est par un attachement profond au Sauveur que saint Etienne lui rend témoignage jusqu'à mourir pour lui, qu'il remet son âme entre ses mains pour lui être éternellement uni,, que comme lui il prie pour ses bourreaux, et que maintenant encore il tient à montrer que ses miracles sont opérés au nom de Jésus-Christ.

1. Daigne le Seigneur m'accorder de dire utilement quelques mots, lui qui a accordé à saint Etienne de parler si longuement avec courage. Quand il commença à s'adresser à ses persécuteurs, on aurait cru qu'il les craignait: «Mes frères et mes pères, écoutez», leur dit-il. Est-il rien de plus doux, de plus condescendant? S'il se conciliait ainsi ses auditeurs, c'était pour glorifier le Sauveur. S'il débuta sur un ton insinuant, c'était pour être longtemps écouté. Comme il était accusé de s'être élevé contre Dieu et contré la loi, il fit l'histoire de cette loi, il s'en montra le prédicateur quand on lui reprochait d'en être le destructeur. C'est ce que nous venons d'entendre encore, et vous avec nous.

Mais puisqu'on vous a lu si longuement, il n'est pas nécessaire que nous parlions beaucoup. Je voudrais seulement, pour édifier votre charité, vous faire observer que saint (550) Etienne a recherché la gloire du Christ, que ce saint martyr a été le vrai témoin du Christ, et que c'est au nom du Christ qu'il faisait alors de si nombreux miracles. Il est bon, en effet, de savoir, comme vous le savez, que saint Etienne a fait au nom du Christ des prodiges nombreux, mais que le Christ Notre-Seigneur n'en a fait aucun au nom d'Etienne ainsi vous ne confondrez pas le serviteur avec son Maître, le ministre avec Dieu, l'adorateur avec Celui qu'il adore. Ce discernement, en effet, vous attire l'amour d'Etienne lui-même; car ce n'est pas pour lui, c'est pour le Christ qu'il a répandu son sang.

2. Remarquez aussi à qui il a recommandé son âme: «Voici, dit-il: je vois les cieux ouverts, et le Fils de l'homme debout à la droite de Dieu». Il voyait le Christ, lui qui confessait le Christ, qui allait mourir pour lui et s'élever jusqu'à lui. Lorsqu'ensuite les coups de pierres pleuvaient sur lui, lorsque ces coeurs durs lui faisaient de dures blessures, lorsqu'il se vit près, non de sa perte, mais de son départ, lorsqu'il vit son âme sur le point de s'envoler, il la recommanda, à qui? à Celui qu'il voyait, à Celui qu'il adorait, à Celui qu'il servait, à Celui dont il prêchait le nom, à Celui dont il soutenait l'Evangile en acceptant la mort; à lui donc il recommanda son âme. «Seigneur Jésus, dit-il, recevez mon esprit». Vous m'avez rendu vainqueur; recevez-moi en triomphe. «Recevez mon esprit». Eux me persécutent, vous, recevez-moi; ils me chassent, faites-moi entrer. Dites à mon esprit: «Entre dans la joie de ton Seigneur (1)». Voilà, en effet, ce que, signifie: «Recevez mon esprit».

3. Où le Seigneur Jésus reçut-il son esprit? Dans quelle demeure? Dans quel ciel des cieux? Qui peut le comprendre? Qui peut l'expliquer? Veux-tu l'apprendre en peu de mots? Prête l'oreille au Christ lui-même: «Mon Père, «je veux que là où je suis, eux aussi soient «avec moi (2)». Etre avec le Christ! quel esprit peut s'en faire une idée? Quelle parole est capable de l'expliquer? Qu'on le sache par la foi, sans attendre que le langage le développe.

On vous a dit, en lisant l'Evangile: «Là où je suis, là aussi sera mon ministre (3)». Lisez ici le texte grec, vous y trouverez le mot diacre; l'interprète latin a traduit par ministre le terme grec diacre. D'ailleurs diacre en grec, signifie

1. Mt 25,21 - 2. Jn 17,24 - 3. Jn 12,26

ministre en latin, comme en grec martyr signifie en latin témoin, et comme Apôtre signifie envoyé dans notre langue. Mais-nous avons déjà comme latinisé ces expressions grecques. Aussi plusieurs exemplaires des Evangiles portent ici: «Là où je suis, sera aussi mon diacre». Figurez-vous donc que le texte cité par moi est celui-ci «Là où je suis, sera aussi mon diacre». Le diacre du Sauveur n'avait-il donc pas raison de lui dire: «Seigneur Jésus, recevez mon esprit?» Vous avez fait cette promesse, car j'ai lu, j'ai prêché même votre Evangile: «Là où je suis, sera aussi mon diacre». J'ai été votre diacre; pour vous j'ai donné mon sang, pour vous je donne ma vie; tenez envers moi votre promesse.

4. Comment aussi a-t-il prié pour les Juifs, pour ses bourreaux, pour ces coeurs ulcérés, pour ces âmes cruelles? Il s'est agenouillé. Une humiliation si profonde prouve l'énormité du crime de ce peuple. En priant pour lui-même le martyr reste debout; il fléchit le genou en priant pour eux. Est-ce à dire qu'il les aimait plus que lui? Loin de nous cette pensée; elle n'est pas croyable. Sans doute il aimait ses ennemis, mais il est dit simplement du prochain: «Tu l'aimeras comme toi-même (1)». Pourquoi donc fléchit-il le genou? Parce qu'il avait la conscience de prier pour de grands coupables, et d'être d'autant plus difficilement exaucé qu'ils étaient plus méchants. Suspendu à la croix, le Seigneur avait dit: «Mon Père, pardonnez-leur», et agenouillé sous une grêle de pierres, Etienne disait: «Seigneur, ne leur imputez pas ce péché (2)». Ainsi marchait-il, comme une brebis fidèle, sur les traces de son Pasteur; fidèle agneau il suivait l'Agneau dont le sang a effacé le péché du monde; il a observé cette recommandation de l'apôtre saint Pierre: «Le Christ «a souffert pour nous, nous laissant son exemple, afin que nous suivions ses traces (3)».

5. Contemple cet homme attaché aux pas de son Seigneur. Sur la croix, le Christ disait: «Mon Père, je remets en vos mains mon esprit»; Etienne aussi disait sous un monceau de pierres: «Seigneur Jésus, recevez mon esprit». - «Mon Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu'ils font (4)», disait encore le Christ sur la croix; et accablé de pierres: «Seigneur Jésus, disait Etienne, ne leur imputez pas ce péché». Comment donc pourrait-il

1. Mt 22,39 - 2. Ac 7 - 3. 1P 2,21 - 4. Lc 23,34-46

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n'être pas où était Celui qu'il a suivi, Celui qu'il a imité?

6. Il a triomphé, il a reçu la couronne. Longtemps son corps est resté caché, il est sorti de l'obscurité quand Dieu l'a voulu; son éclat s'est répandu par toute la terre, il y a fait de si nombreux miracles; tout mort qu'il était, Etienne a fait vivre les morts, car il n'était pas mort véritablement. Mais je veux faire observer à votre charité que si ses prières obtiennent beaucoup, elles n'obtiennent pas tout. Nous lisons, en effet, dans les relations qui nous sont présentées, qu'il a eu parfois des difficultés pour obtenir, et que néanmoins, grâce à la foi persévérante du suppliant, il a fini par recevoir le bienfait sollicité. On n'a pas cessé, on a continué de prier, et Dieu a octroyé par l'entremise d'Etienne. On y lit encore les paroles mêmes de la prière d'Etienne; et il lui fut répondu: La personne pour qui tu m'implores est une personne indigne; elle a fait telle et telle chose. Mais comme il insistait, comme il continuait ses supplications, il fut exaucé.

Ainsi saint Etienne nous a donné à entendre que si, avant de quitter son corps, il agissait au nom du Sauveur, c'est en son nom encore que les prières obtiennent des grâces pour ceux à qui il sait devoir en accorder.

7. Pour lui, il n'implore que comme serviteur. Un ange s'entretenait avec saint Jean. Tel est devant Dieu le sort des anges, que si nous sommes vertueux, que si nous devenons vraiment dignes de Dieu, nous leur serons égaux: «Ils seront, dit le Sauveur, égaux aux anges de Dieu (1)». Cet ange montrait donc à saint Jean de nombreuses merveilles, et l'Evangéliste, tout troublé, se jeta à ses genoux. C'était un homme adorant un ange; l'ange lui dit: «Lève-toi, que fais-tu?Adore Dieu; car je suis un simple serviteur comme toi et comme tes frères (2)».

Si un ange se montra si humble, quelle humilité ne doit pas se révéler et ne se révèle pas dans un, martyr? Ne nous figurons donc pas qu'Etienne ressente de l'orgueil, lorsque nous attribuons à sa vertu ce qu'il fait. Comme nous il est serviteur; recevons par son entremise les bienfaits divins, mais rendons honneur et gloire à Dieu même. Pourquoi vous en dire davantage et parler si longuement? Lisez les quatre vers que nous avons gravés dans le sanctuaire, lisez-les, retenez-les, conservez-les dans votre coeur. Le motif pour lequel nous les avons gravés en cet endroit, c'est pour que chacun puisse les lire s'il le veut et quand il le veut. Tous peuvent les retenir, c'est pourquoi ils sont en petit nombre; tous aussi peuvent les lire, c'est pourquoi ils se montrent aux yeux de tous. Inutile de chercher un livre; cette chapelle doit vous servir de livre.

Nous sommes venus plus tôt qu'à l'ordinaire, mais comme la lecture a duré longtemps, et que les chaleurs sont accablantes, remettons à dimanche la relation, que nous devions lire aujourd'hui, des bienfaits divins octroyés par l'entremise d'Etienne.

1. Mt 22,30 - 2. Ap 19,10





Augustin, Sermons 316