Compendium Doctrine sociale 534

d) Promouvoir le dialogue


534 La doctrine sociale est un instrument efficace de dialogue entre les communautés chrétiennes et la communauté civile et politique, un instrument apte à promouvoir et à inspirer des attitudes de collaboration correcte et féconde, selon des modalités adaptées aux circonstances. L'engagement des autorités civiles et politiques, appelées à servir la vocation personnelle et sociale de l'homme, selon leur compétence et avec leurs propres moyens, peut trouver dans la doctrine sociale de l'Église un important soutien et une riche source d'inspiration.


535 La doctrine sociale est un terrain fécond pour cultiver, au plan oecuménique, le dialogue et la collaboration, qui se réalisent en différents domaines sur une vaste échelle: la défense de la dignité des personnes humaines; la promotion de la paix; la lutte concrète et efficace contre les misères de notre temps, comme la faim et l'indigence, l'analphabétisme, la distribution non équitable des biens et le manque de logements. Cette coopération multiforme augmente la conscience de la fraternité dans le Christ et facilite le cheminement oecuménique.


536 À partir de la tradition commune de l'Ancien Testament, l'Église catholique sait qu'elle peut dialoguer avec ses frères les Juifs, notamment à travers sa doctrine sociale, pour construire ensemble un avenir de justice et de paix pour tous les hommes, fils de l'unique Dieu. Le patrimoine spirituel commun favorise la connaissance mutuelle et l'estime réciproque,1133 sur la base desquelles peut grandir l'entente pour surmonter toute discrimination et pour la défense de la dignité humaine.


537 La doctrine sociale se caractérise aussi par un constant appel au dialogue entre tous les croyants des religions du monde, afin qu'ils sachent rechercher ensemble les formes les plus opportunes de collaboration: les religions ont un rôle important à jouer dans la réalisation de la paix, qui dépend de l'engagement commun pour le développement intégral de l'homme.1134Dans l'esprit des Rencontres de prière qui se sont tenues à Assise,1135 l'Église continue d'inviter les croyants des autres religions au dialogue et à la promotion, en tout lieu, d'un témoignage efficace des valeurs communes à toute la famille humaine.

e) Les sujets de la pastorale sociale


538 Dans l'accomplissement de sa mission, l'Église engage tout le peuple de Dieu. Selon ses différentes articulations et en chacun de ses membres, suivant les dons et les formes d'exercice propres à chaque vocation, le peuple de Dieu doit être fidèle au devoir d'annoncer et de témoigner l'Évangile (cf. 1Co 9,16), conscient que « la mission concerne tous les chrétiens».1136

De même, l'oeuvre pastorale dans le domaine social est destinée à tous les chrétiens, appelés à devenir des sujets actifs témoignant de la doctrine sociale et à s'insérer pleinement dans la tradition consolidée d'« activité féconde de millions et de millions d'hommes qui, stimulés par l'enseignement social de l'Église, se sont efforcés de s'en inspirer pour leur engagement dans le monde ».1137 Les chrétiens d'aujourd'hui, en agissant individuellement, ou diversement coordonnés en groupes, associations et mouvements, doivent savoir se proposer comme « ungrand mouvement pour la défense de la personne humaine et la protection de sa dignité ».1138


539 Dans l'Église particulière, le premier responsable de la pastorale d'évangélisation du social est l'évêque, aidé par les prêtres, les religieux, les religieuses et les fidèles laïcs. Avec une référence particulière à la réalité locale, l'évêque a la responsabilité de promouvoir l'enseignement et la diffusion de la doctrine sociale, auxquels il pourvoit grâce à des institutions appropriées.

L'action pastorale de l'évêque doit trouver sa réalisation dans le ministère des prêtres qui participent à sa mission d'enseignement, de sanctification et de gouvernement de la communauté chrétienne. Par la programmation d'itinéraires opportuns de formation, le prêtre doit faire connaître la doctrine sociale et promouvoir dans les membres de sa communauté la conscience du droit et du devoir d'être des sujets actifs de cette doctrine. Grâce aux célébrations sacramentelles, en particulier de l'Eucharistie et de la Réconciliation, le prêtre aide les fidèles à vivre l'engagement social comme fruit du mystère salvifique. Il doit animer l'action pastorale dans le domaine social, en accordant une attention particulière à la formation et à l'accompagnement spirituels des fidèles engagés dans la vie sociale et politique. Le prêtre qui assure le service pastoral dans les diverses associations ecclésiales, en particulier dans celles de l'apostolat social, a pour tâche d'en favoriser la croissance par l'enseignement nécessaire de la doctrine sociale.


540 L'action pastorale dans le domaine social bénéficie aussi de l'oeuvre des personnes consacrées, conformément à leur charisme; leurs témoignages lumineux, en particulier dans les situations de plus grande pauvreté, constituent pour tous un rappel aux valeurs de la sainteté et du service généreux envers le prochain. Le don total que les religieux font d'eux-mêmes s'offre notamment à la réflexion commune comme un signe emblématique et prophétique de la doctrine sociale: en se mettant totalement au service du mystère de la charité du Christ envers l'homme et envers le monde, les religieux anticipent et manifestent par leur vie certains traits de l'humanité nouvelle que la doctrine sociale veut promouvoir. Les personnes consacrées dans la chasteté, la pauvreté et l'obéissance se mettent au service de la charité pastorale, surtout par la prière, grâce à laquelle elles contemplent le projet de Dieu sur le monde et supplient le Seigneur afin qu'il ouvre le coeur de tout homme pour qu'il accueille en lui le don de l'humanité nouvelle, prix du sacrifice du Christ.

II. DOCTRINE SOCIALE


ET ENGAGEMENT DES FIDÈLES LAÏCS


a) Le fidèle laïc


541 La caractéristique essentielle des fidèles laïcs, qui travaillent dans la vigne du Seigneur(cf. Mt Mt 20,1-16), est la nature séculière de leur sequela Christi, qui se réalise précisément dans le monde: « C'est [aux laïcs] qu'il revient, d'une manière particulière, d'éclairer et d'orienter toutes les réalités temporelles ».1139 Par le Baptême, les laïcs sont insérés dans le Christ et rendus participants de sa vie et de sa mission selon leur identité particulière: « Sous le nom de laïcs, on entend (...) l'ensemble des chrétiens qui ne sont pas membres de l'ordre sacré et de l'état religieux sanctionné dans l'Église, c'est-à-dire les chrétiens qui, étant incorporés au Christ par le baptême, intégrés au peuple de Dieu, faits participants à leur manière de la fonction sacerdotale, prophétique et royale du Christ, exercent pour leur part, dans l'Église et dans le monde, la mission qui est celle de tout le peuple chrétien ».1140


542 L'identité du fidèle laïc naît et se nourrit des sacrements: du Baptême, de la Confirmation et de l'Eucharistie. Le Baptême conforme au Christ, Fils du Père, premier-né de toute créature, envoyé comme Maître et Rédempteur à tous les hommes. La Confirmation configure au Christ, envoyé pour vivifier la création et tout être par l'effusion de son Esprit. L'Eucharistie fait participer le croyant au sacrifice unique et parfait que le Christ a offert au Père, dans sa chair même, pour le salut du monde.

Le fidèle laïc est disciple du Christ à partir des sacrements et en vertu de ceux-ci, c'est-à-dire en vertu de ce que Dieu a accompli en lui, en lui imprimant l'image même de son Fils, Jésus-Christ. C'est de ce don divin de grâce, et non pas de concessions humaines, que naît le triple «munus » (don et devoir) qui confère au laïc les qualités de prophète, prêtre et roi, selon son caractère séculier.


543 Il revient au fidèle laïc d'annoncer l'Évangile par un témoignage de vie exemplaire, enraciné dans le Christ et vécu dans les réalités temporelles: famille, engagement dans le cadre du travail, de la culture, de la science et de la recherche; exercice des responsabilités sociales, économiques et politiques. Toutes les réalités humaines séculières, personnelles et sociales, les milieux et les situations historiques, les structures et les institutions, sont le lieu spécifique de la vie et de l'action des chrétiens laïcs. Ces réalités sont les destinataires de l'amour de Dieu; l'engagement des fidèles laïcs doit correspondre à cette vision et se qualifier comme expression de la charité évangélique: « L'être et l'agir dans le monde sont pour les fidèles laïcs une réalité non seulement anthropologique et sociologique, mais encore et spécifiquement théologique et ecclésiale ».1141


544 Le témoignage du fidèle laïc naît d'un don de grâce, reconnu, cultivé et porté à maturation.1142 C'est cette motivation qui rend significatif son engagement dans le monde et le situe aux antipodes de la mystique de l'action, propre à l'humanisme athée, privée de tout fondement ultime et circonscrite à des perspectives purement temporelles. L'horizon eschatologique est la clef qui permet de comprendre correctement les réalités humaines: dans la perspective des biens définitifs, le fidèle laïc est en mesure d'orienter authentiquement son activité terrestre. Le niveau de vie et la plus grande productivité économique ne sont pas les seuls indicateurs valables pour mesurer la pleine réalisation de l'homme en cette vie et valent encore moins s'ils se réfèrent à la vie future: « L'homme, en effet, n'est pas limité aux seuls horizons terrestres, mais, vivant dans l'histoire humaine, il conserve intégralement sa vocation éternelle ».1143

b) La spiritualité du fidèle laïc


545 Les fidèles laïcs sont appelés à cultiver une authentique spiritualité laïque, qui les régénère en hommes et femmes nouveaux, immergés dans le mystère de Dieu et insérés dans la société, saints et sanctificateurs. Une telle spiritualité édifie le monde selon l'Esprit de Jésus: elle rend capable de regarder au-delà de l'histoire, sans s'en éloigner; de cultiver un amour passionné pour Dieu, sans détourner le regard des frères, que l'on perçoit, au contraire, tels que les voit le Seigneur et que l'on aime comme il les aime. C'est une spiritualité qui est étrangère aussi bien au spiritualisme intimiste qu'à l'activisme social et qui sait s'exprimer en une synthèse vitale qui confère unité, sens et espérance à l'existence, si contradictoire et fragmentée pour bien des raisons. Animés de cette spiritualité, les fidèles laïcs peuvent contribuer, « comme du dedans à la sanctification du monde, à la façon d'un ferment, en exerçant leurs propres charges sous la conduite de l'esprit évangélique, et (...) manifester le Christ aux autres avant tout par le témoignage de leur vie ».1144


546 Les fidèles laïcs doivent fortifier leur vie spirituelle et morale, en faisant mûrir les compétences requises pour l'accomplissement de leurs devoirs sociaux. L'approfondissement des motivations intérieures et l'acquisition du style approprié à l'engagement dans le domaine social et politique sont le fruit d'un parcours dynamique et permanent de formation, visant avant tout à réaliser une harmonie entre la vie, dans sa complexité, et la foi. Dans l'expérience du croyant, en effet, « il ne peut y avoir deux vies parallèles: d'un côté, la vie qu'on nomme “spirituelle” avec ses valeurs et ses exigences; et de l'autre, la vie dite “séculière”, c'est-à-dire la vie de famille, de travail, de rapports sociaux, d'engagement politique, d'activités culturelles ».1145

La synthèse entre foi et vie requiert un cheminement savamment rythmé par les éléments qui qualifient l'itinéraire chrétien: la référence à la Parole de Dieu; la célébration liturgique du mystère chrétien; la prière personnelle; l'expérience ecclésiale authentique, qu'enrichit le service particulier de formation assuré par de sages guides spirituels; l'exercice des vertus sociales et l'effort soutenu de formation culturelle et professionnelle.

c) Agir avec prudence


547 Le fidèle laïc doit agir selon les exigences dictées par la prudence: c'est la vertu qui dispose à discerner en toute circonstance le vrai bien et à choisir les moyens adéquats pour l'accomplir. Grâce à elle, les principes moraux s'appliquent correctement aux cas particuliers.La prudence comporte trois temps: elle clarifie la situation et l'évalue, elle inspire la décision et elle donne l'impulsion à l'action. Le premier moment est caractérisé par la réflexion et la consultation pour étudier le sujet en se prévalant des avis nécessaires; le deuxième est le moment d'évaluation de l'analyse et du jugement sur la réalité à la lumière du projet de Dieu; le troisième moment est celui de la décision et se base sur les phases précédentes, qui rendent possible le discernement entre les actions à accomplir.


548 La prudence rend capable de prendre des décisions cohérentes, avec réalisme et sens de responsabilité quant aux conséquences de ses actions. La vision très répandue qui identifie la prudence à l'astuce, au calcul utilitariste, à la méfiance, ou encore à la crainte et à l'indécision, est très éloignée de la juste conception de cette vertu caractéristique de la raison pratique, qui aide à décider avec sagesse et courage des actions à accomplir, en devenant la mesure des autres vertus. La prudence affirme le bien comme devoir et montre la façon par laquelle la personne se détermine à l'accomplir.1146 En définitive, c'est une vertu qui exige l'exercice mûr de la pensée et de la responsabilité, dans la connaissance objective de la situation et avec la volonté droite qui conduit à la décision.1147

d) Doctrine sociale et expérience associative


549 La doctrine sociale de l'Église doit faire partie intégrante de l'itinéraire de formation du fidèle laïc. L'expérience démontre que le travail de formation est possible, normalement, à l'intérieur des associations de fidèles laïcs dans l'Église, qui répondent à des critères précis d'ecclésialité: 1148 « Les groupes, les associations et les mouvements ont leur place dans la formation des fidèles laïcs: ils ont, en effet, chacun avec leurs méthodes propres, la possibilité d'offrir une formation profondément ancrée dans l'expérience même de la vie apostolique; ils ont également l'occasion de compléter, de concrétiser et de spécifier la formation que leurs membres reçoivent d'autres maîtres ou d'autres communautés ».1149 La doctrine sociale de l'Église soutient et éclaire le rôle des associations, des mouvements et des groupes laïcs engagés à vivifier chrétiennement les différents secteurs de l'ordre temporel: 1150 « La communion ecclésiale, déjà présente et opérante dans l'action de chaque personne, trouve une expression spécifique dans l'action en commun des fidèles laïcs, c'est-à-dire une action solidaire menée dans une participation responsable à la vie et à la mission de l'Église ».1151


550 La doctrine sociale de l'Église est très importante pour les associations ecclésiales, qui ont pour objectif de leur engagement l'action pastorale dans le domaine social. Elles constituent un point de référence privilégié dans la mesure où elles oeuvrent dans la vie sociale conformément à leur physionomie ecclésiale et démontrent, de la sorte, l'importance de la valeur de la prière, de la réflexion et du dialogue pour affronter les réalités sociales et pour les améliorer. En tout cas, la distinction reste valable « entre les actions que les fidèles, isolément ou en groupe, posent en leur nom propre comme citoyens, guidés par leur conscience chrétienne, et les actions qu'ils mènent au nom de l'Église, en union avec leurs pasteurs ».1152

Les associations de catégorie, qui regroupent leurs adhérents au nom de la vocation et de la mission chrétiennes au sein d'un milieu professionnel ou culturel déterminé, peuvent elles aussi accomplir un précieux travail de maturation chrétienne. Par exemple, une association catholique de médecins forme ses adhérents grâce à l'exercice du discernement face aux nombreux problèmes que la science médicale, la biologie et d'autres sciences posent à la compétence professionnelle du médecin, mais aussi à sa conscience et à sa foi. On pourra en dire autant d'associations d'enseignants catholiques, de juristes, d'entrepreneurs, de travailleurs, mais aussi de sportifs, d'écologistes... C'est dans ce contexte que la doctrine sociale révèle son efficacité quant à la formation de la conscience de chaque personne et de la culture d'un pays.

e) Le service dans les différents milieux de la vie sociale


551 La présence du fidèle laïc dans le domaine social est caractérisée par le service — signe et expression de la charité — qui se manifeste dans la vie familiale, culturelle, professionnelle, économique, politique, sous des angles spécifiques. En obtempérant aux diverses exigences de leur domaine d'engagement particulier, les fidèles laïcs expriment la vérité de leur foi et, en même temps, la vérité de la doctrine sociale de l'Église, qui est pleinement réalisée lorsqu'elle est vécue en termes concrets afin de résoudre les problèmes sociaux. La crédibilité même de la doctrine sociale réside en effet dans le témoignage des oeuvres, avant même que dans sa cohérence et dans sa logique internes.1153

Entrés dans le troisième millénaire de l'ère chrétienne, les fidèles laïcs s'ouvriront par leur témoignage à tous les hommes avec lesquels ils se chargeront des appels les plus pressants de notre temps: « Tirées des trésors de la doctrine de l'Église, les propositions que ce saint Synode vient de formuler ont pour but d'aider tous les hommes de notre temps, qu'ils croient en Dieu ou qu'ils ne le reconnaissent pas explicitement, à percevoir avec une plus grande clarté la plénitude de leur vocation, à rendre le monde plus conforme à l'éminente dignité de l'homme, à rechercher une fraternité universelle, appuyée sur des fondements plus profonds, et, sous l'impulsion de l'amour, à répondre généreusement et d'un commun effort aux appels les plus pressants de notre époque ».1154

1. Le service à la personne humaine


552 Parmi les domaines de l'engagement social des fidèles laïcs, se distingue avant tout le service rendu à la personne humaine: la promotion de la dignité de chaque personne, le bien le plus précieux que possède l'homme, est « une tâche essentielle et même, en un certain sens, la tâche centrale et unifiante du service que l'Église, et en elle les fidèles laïcs, est appelée à rendre à la famille des hommes ».1155

La première forme sous laquelle se réalise cette tâche consiste dans l'engagement et dans l'effort pour le renouvellement intérieur de chacun, car l'histoire de l'humanité n'est pas mue par un déterminisme impersonnel, mais par une constellation de sujets dont les actes libres influent sur l'ordre social. Les institutions sociales ne garantissent pas d'elles-mêmes, de façon presque mécanique, le bien de tous: « Une complète rénovation de [l'] esprit chrétien » 1156 doit précéder l'engagement des hommes à améliorer la société « selon l'esprit de l'Église, fortement unis par la justice et la charité sociale ».1157

De la conversation du coeur jaillit la sollicitude pour l'homme aimé comme un frère. Cette sollicitude fait considérer comme une obligation l'engagement à restaurer les institutions, les structures et les conditions de vie contraires à la dignité humaine. Les fidèles laïcs doivent doncoeuvrer simultanément pour la conversion des coeurs et pour l'amélioration des structures, en tenant compte de la situation historique et en utilisant des moyens licites pour la création d'institutions au sein desquelles la dignité de tous les hommes soit vraiment respectée et promue.


553 La promotion de la dignité humaine implique avant tout l'affirmation du droit inviolable à la vie — depuis le moment de la conception jusqu'à la mort naturelle —, le premier de tous les droits et la condition de tous les autres droits de la personne.1158 Le respect de la dignité personnelle exige, en outre, la reconnaissance de la dimension religieuse de l'homme, qui n'est pas « une exigence simplement “confessionnelle”, mais bien une exigence qui trouve sa racine indestructible dans la réalité même de l'homme ».1159 La reconnaissance effective du droit à la liberté de conscience et à la liberté religieuse est un des biens les plus élevés et l'un des devoirs les plus graves de chaque peuple qui veuille vraiment assurer le bien de la personne et de la société.1160 Dans le contexte culturel actuel, l'engagement à défendre le mariage et la famillerevêt une urgence particulière, et il ne peut être rempli de façon adéquate que si l'on est convaincu de la valeur unique et irremplaçable de ces réalités pour le développement authentique de la coexistence humaine.1161

2. Le service à la culture


554 La culture doit constituer un domaine privilégié de présence et d'engagement pour l'Église et pour chaque chrétien. La séparation entre la foi chrétienne et la vie quotidienne est considérée par le Concile Vatican II comme une des erreurs les plus graves de notre temps.1162La disparition de l'horizon métaphysique, la perte de la nostalgie de Dieu dans le narcissisme auto-référentiel et dans la profusion des moyens d'un style de vie typique de la société de consommation, la primauté accordée à la technologie et à la recherche scientifique comme fin en soi, l'accent mis sur l'apparence, la recherche de l'image, des techniques de communication: tous ces phénomènes doivent être compris sous leurs aspects culturels et mis en rapport avec le thème central de la personne humaine, de sa croissance intégrale, de sa capacité de communication et de relation avec les autres hommes, de son interrogation continuelle sur les grandes questions qui traversent l'existence. Il faut avoir présent à l'esprit que « la culture est ce par quoi l'homme en tant qu'homme devient davantage homme, “est” davantage, accède davantage à l'“être” ».1163


555 Un domaine particulier d'engagement des fidèles laïcs doit être la promotion d'une culture sociale et politique inspirée de l'Évangile. L'histoire récente a montré la faiblesse et l'échec radical de perspectives culturelles longtemps communes et prédominantes, en particulier au niveau social et politique. En ce domaine, en particulier durant les décennies qui ont suivi la deuxième guerre mondiale, les catholiques, dans différents pays, ont su réaliser un engagement de grande valeur qui témoigne aujourd'hui, avec une évidence toujours plus grande, de la consistance de leur inspiration et de leur patrimoine de valeurs. En effet, l'engagement social et politique des catholiques n'est jamais limité à la seule transformation des structures, car il est basé sur une culture ouverte aux exigences dérivant de la foi et de la morale, dont il rend compte, en en faisant le fondement et l'objectif de projets concrets. Quand cette conscience vient à manquer, les catholiques se condamnent eux-mêmes à la diaspora culturelle et rendent leurs propositions insuffisantes et réductrices. Présenter en termes culturels actuels le patrimoine de la Tradition catholique — ses valeurs, ses contenus, l'ensemble de l'héritage spirituel, intellectuel et moral du catholicisme — est aujourd'hui encore l'urgence prioritaire. La foi en Jésus- Christ, qui s'est défini lui-même comme « le chemin, la vérité et la vie » (Jn 14,6), pousse les chrétiens à se lancer avec un engagement toujours renouvelé dans la construction d'une culture sociale et politique inspirée de l'Évangile.1164


556 La perfection intégrale de la personne et le bien de toute la société sont les fins essentielles de la culture: 1165 la dimension éthique de la culture est donc une priorité dans l'action sociale et politique des fidèles laïcs. Le manque d'intérêt pour cette dimension transforme facilement la culture en un instrument d'appauvrissement de l'humanité. Une culture peut devenir stérile et tendre vers son déclin lorsqu'elle « se ferme sur elle- même et cherche à perpétuer des manières de vivre vieillies, en refusant tout échange et toute confrontation au sujet de la vérité de l'homme ».1166 La formation d'une culture capable d'enrichir l'homme requiert en revanche l'implication de toute la personne, qui y exprime sa créativité, son intelligence, sa connaissance du monde et des hommes et y investit, en outre, sa capacité de maîtrise de soi, de sacrifice personnel, de solidarité et de disponibilité à promouvoir le bien commun.1167


557 L'engagement social et politique du fidèle laïc dans le domaine culturel s'oriente aujourd'hui vers certaines directions précises. La première est celle qui cherche à garantir à chacun le droit de tous à une culture humaine et civile « en harmonie avec la dignité de la personne humaine, sans distinction de race, de sexe, de nation, de religion ou de condition sociale ».1168 Ce droit implique celui des familles et des personnes à une école libre et ouverte; la liberté d'accès aux moyens de communication sociale, pour laquelle toute forme de monopole et de contrôle idéologique doit être évitée; la liberté de recherche, de divulgation de la pensée, de débat et de confrontation. À la racine de la pauvreté de nombreux peuples se trouvent aussi diverses formes de privation culturelle et de non-reconnaissance des droits culturels. L'engagement en faveur de l'éducation et de la formation de la personne a toujours été la première préoccupation de l'action sociale des chrétiens.


558 Le second défi lancé à l'engagement du fidèle laïc concerne le contenu de la culture, à savoir la vérité. La question de la vérité est essentielle pour la culture, car « continue de s'imposer à chaque homme le devoir de sauvegarder l'intégralité de sa personnalité, en qui prédominent les valeurs d'intelligence, de volonté, de conscience et de fraternité ».1169 Une anthropologie correcte est le critère permettant d'éclairer et de vérifier toutes les formes culturelles historiques. L'engagement du chrétien dans le domaine culturel s'oppose à toutes les visions réductrices et idéologiques de l'homme et de la vie. Le dynamisme d'ouverture à la vérité est garanti avant tout par le fait que « les cultures des diverses nations sont autant de manières d'aborder la question du sens de l'existence personnelle ».1170


559 Les chrétiens doivent se prodiguer pour valoriser pleinement la dimension religieuse de la culture; cette tâche est très importante et urgente pour la qualité de la vie humaine, au niveau individuel et social. La question qui provient du mystère de la vie et renvoie au mystère plus grand encore, celui de Dieu, est en effet au centre de toute culture; l'éliminer revient à corrompre la culture et la vie morale des nations.1171 La dimension religieuse authentique est constitutive de l'homme et lui permet d'ouvrir à ses diverses activités l'horizon dans lequel elles trouvent leur signification et leur direction. La religiosité ou spiritualité de l'homme se manifeste sous les formes de la culture, auxquelles elle donne vitalité et inspiration. Les innombrables oeuvres d'art de tous les temps en sont un témoignage. Quand la dimension religieuse d'une personne ou d'un peuple est niée, c'est la culture elle-même qui est bafouée; parfois on arrive même au point de la faire disparaître.


560 Dans la promotion d'une culture authentique, les fidèles laïcs réserveront une grande importance aux moyens de communication de masse, en considérant surtout les contenus des innombrables choix effectués par les personnes: ces choix, bien que variant d'un groupe à l'autre et d'un individu à l'autre, ont tous un poids moral et doivent être évalués sous cet angle. Pour choisir correctement, il faut connaître les normes de l'ordre moral et les appliquer fidèlement.1172 L'Église offre une longue tradition de sagesse, enracinée dans la Révélation divine et dans la réflexion humaine,1173 dont l'orientation théologique joue un rôle correctif important par rapport à la « solution “athée”, qui prive l'homme de l'une de ses composantes fondamentales, la composante spirituelle, et aux solutions s'inspirant de la permissivité et de l'esprit de consommation, solutions qui, sous divers prétextes, cherchent à le convaincre de son indépendance par rapport à Dieu et à toute loi ».1174 Plus que juger les moyens de communication sociale, cette tradition se met à leur service: « La culture de la sagesse, propre à l'Église, peut éviter à la culture de l'information des médias de devenir une accumulation de faits sans signification ».1175


561 Les fidèles laïcs considéreront les médias comme de possibles et puissants instruments de solidarité: « La solidarité apparaît comme une conséquence d'une communication vraie et juste, et de la libre circulation des idées, qui favorisent la connaissance et le respect d'autrui ».1176Ceci n'est pas possible si les moyens de communication sociale sont utilisés pour édifier et soutenir des systèmes économiques au service de l'avidité et de la convoitise. Face à de graves injustices, la décision d'ignorer totalement certains aspects de la souffrance humaine reflète une sélection indéfendable.1177 Les structures et les politiques de communication ainsi que la distribution de la technologie sont des facteurs qui contribuent à faire en sorte que certaines personnes soient « riches » en information et d'autres « pauvres » en information, à une époque où la prospérité et même la survie dépendent de l'information. De la sorte, les moyens de communication sociale contribuent donc aux injustices et aux déséquilibres qui causent la douleur même qu'ils rapportent ensuite comme information. Les technologies de la communication et de l'information, de même que la formation à leur utilisation, doivent tendre à éliminer ces injustices et ces déséquilibres.


562 Les professionnels des moyens de communication sociale ne sont pas les seuls à avoir des devoirs éthiques. Les usagers aussi ont des obligations. Les opérateurs qui tentent d'assumer des responsabilités méritent un public qui soit conscient des siennes. Le premier devoir des usagers des communications sociales consiste dans le discernement et dans la sélection. Les parents, les familles et l'Église ont des responsabilités précises auxquelles ils ne peuvent pas renoncer. Pour ceux qui travaillent à différents titres dans le domaine des communications sociales, l'avertissement de saint Paul résonne fortement et clairement: « Dès lors, plus de mensonge: que chacun dise la vérité à son prochain; ne sommes-nous pas membres les uns des autres? (...) De votre bouche ne doit sortir aucun mauvais propos, mais plutôt toute bonne parole capable d'édifier, quand il le faut, et de faire du bien à ceux qui l'entendent » (Ep 4,25 Ep 4,29). Le service à la personne par l'édification d'une communauté humaine basée sur la solidarité, sur la justice et sur l'amour, et la diffusion de la vérité sur la vie humaine et sur son accomplissement final en Dieu sont les exigences éthiques essentielles des moyens de communication sociale.1178 À la lumière de la foi, la communication humaine doit se considérer comme un parcours de Babel à la Pentecôte, c'est-à-dire comme l'engagement, personnel et social, à surmonter l'effondrement de la communication (cf. Gn Gn 11,4-8) en s'ouvrant au don des langues (cf. Ac Ac 2,5-11), à la communication rétablie par la force de l'Esprit, envoyé par le Fils.

3. Le service à l'économie


563 Face à la complexité du contexte économique contemporain, le fidèle laïc se fera guider dans son action par les principes du Magistère social. Il est nécessaire qu'ils soient connus et accueillis dans l'activité économique elle-même: quand ces principes ne sont pas respectés, surtout le caractère central de la personne humaine, la qualité de l'activité économique est compromise.1179

L'engagement du chrétien se traduira aussi par un effort de réflexion culturelle tendant surtout à un discernement sur les modèles actuels de développement économique et social. Réduire la question du développement à un problème exclusivement technique équivaudrait à le vider de son véritable contenu, qui concerne, en revanche, « la dignité de l'homme et des peuples ».1180


564 Les spécialistes de la science économique, les agents de ce secteur et les responsables politiques doivent ressentir l'urgence de repenser l'économie, en considérant, d'une part, la pauvreté matérielle dramatique de milliards de personnes et, d'autre part, le fait que « les structures économiques, sociales et culturelles d'aujourd'hui ont du mal à prendre en compte les exigences d'un développement authentique ».1181 Les exigences légitimes de l'efficacité économique devront être mieux harmonisées avec celles de la participation politique et de la justice sociale. Concrètement, cela signifie imprégner de solidarité les réseaux des interdépendances économiques, politiques et sociales, que tendent à accroître les processus de mondialisation en cours.1182 Dans cet effort de renouveau, qui se présente de façon articulée et est destiné à influencer les conceptions de la réalité économique, les associations d'inspiration chrétienne qui agissent dans le domaine économique se révèlent précieuses: associations de travailleurs, d'entrepreneurs et d'économistes.


Compendium Doctrine sociale 534