Chrysostome sur 1Tm



Source : http://www.abbaye-saint-benoit.ch/



Tiré de l’édition des OEuvres complètes sous la direction de M. Jeannin, Bar-le-Duc 1864



COMMENTAIRES
SUR LA Ière et LA IIème

ÉPITRES A TIMOTHÉE.

Tome XI, p. 272-404.



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PRÉFACE DE S. J. CHRYSOSTOME.

Timothée était un des disciples de l'apôtre. Saint Luc témoigne que c'était un jeune homme digne d'admiration, selon le témoignage des frères de Lystre et d'Iconium. (Ac 16,1-2) Il devint à la fois disciple et maître (Ac 4); il était d'une prudence rare, et savait si bien discerner l'à-propos, qu'après avoir entendu saint Paul prêcher l'Évangile sans tenir compte de la circoncision, et avoir appris que ce même saint Paul avait résisté à saint Pierre à ce sujet, il eut assez de ménagement non-seulement pour ne pas attaquer ce rite dans ses prédications, mais encore pour le subir lui-même. Saint Paul le circoncit en effet, dit le texte (Ac 16,3), malgré son âge, et lui confia toute l'administration. L'affection de Paul suffisait pour montrer ce qu'était Timothée. Il rend, en effet, à diverses reprises, témoignage de lui dans ses écrits, lorsqu'il dit: « Sachez quelle épreuve il a soutenue, lui qui a servi avec moi pour l'Évangile, comme un fils auprès de son père ». (Ph 2,22) Et ailleurs, écrivant aux Corinthiens : « Je vous ai envoyé Timothée, qui est mon enfant chéri et fidèle dans le Seigneur » (1Co 4,17) ; et plus loin : « Prenez garde que personne ne le méprise, car il accomplit l'oeuvre du Seigneur, comme je le fais moi-même ». (1Co 16,10-11) Et il dit encore en écrivant aux Hébreux : « Sachez que notre frère Timothée est en liberté ». (He 13,23) Partout on trouvera l'expression de sa grande tendresse pour lui. Les miracles qui se produisent maintenant montrent la sincérité de sa foi.

Et si l'on demande pourquoi Paul n'écrit qu'à Tite et à Timothée, puisque Silas et Luc étaient aussi au nombre de ses plus illustres disciples, lui-même l'explique dans une épître, en disant : « Luc est seul avec moi ». (2Tm 4,11) Clément fut aussi un de ses compagnons, car il dit de lui : « Avec Clément et mes autres coopérateurs ». Ainsi, pourquoi écrit-il seulement à Tite et à Timothée ? C'est que déjà il leur avait confié des églises, tandis qu'il conduisait ceux-là avec lui. Il avait mis à part Tite et Timothée pour des postes éclatants. Et telle était la vertu éminente de celui-ci, que sa jeunesse n'y fut pas un empêchement. C'est pour cela qu'il lui écrit : « Que personne ne vous dédaigne à cause de votre jeunesse » (1Tm 4,12) ; et plus loin : « Exhorte comme des soeurs celles qui sont jeunes (1Tm 5,2) ». Car là où se trouve la vertu, tout le reste est accessoire, et rien ne doit être un empêchement. Discourant en effet des évêques et touchant à beaucoup d'objets, il ne se préoccupe nulle part de leur âge. Et s'il écrit : « Qu'il se fasse obéir de ses enfants », et « qu'il n'ait eu qu'une seule femme », il ne veut pas dire par là qu'il doive être nécessairement époux et père de famille ; mais que, s'il a participé à la condition mondaine, il soit tel qu'il sache gouverner ses enfants et toute sa maison. Car si, dans le monde, il n'a pas su user de sa condition, comment lui confierait-on le soin d'une église ? Et pourquoi donc adressait-il ces épîtres à un disciple désormais chargé d'enseigner? Ne fallait-il pas l'instruire pleinement avant de lui donner son mandai? Oui, mais il avait maintenant besoin d'une instruction différente de celle des disciples et propre à celui qui enseigne. Voyez en effet comment, dans toute cette épître, Paul donne l'enseignement qui convient à un maître. Aussitôt après la suscription, il dit à Timothée, non pas de négliger ceux qui enseignent de nouvelles doctrines, mais de les avertir eux-mêmes de n'en point enseigner.





HOMÉLIE PREMIÈRE (1,1-4). PAUL, APOTRE DE JÉSUS-CHRIST, SELON L'ORDRE DE DIEU NOTRE SAUVEUR ET SEIGNEUR,

100 JÉSUS-CHRIST, NOTRE ESPÉRANCE, A TIMOTHÉE, SON VRAI FILS DANS LA FOI. (1Tm 1,1-4)

Analyse.

1. Apostolat, grandeur de cette dignité. — De la filiation selon la foi.
2. En matière de foi il n'est pas besoin d'examen.
3. Contre les fausses doctrines ; en particulier contre l'émanation qui n'est autre chose que le panthéisme, contre le fatalisme.


101 1. La dignité d'apôtre était grande et digne d'admiration; et partout nous voyons Paul en exposer l'origine comme celle d'un honneur qu'il ne s'arroge pas, mais qui lui est conféré et qui lui est imposé. Lorsqu'il dit qu'il est appelé, lorsqu'il dit qu'il est apôtre « par la volonté de Dieu » (1Co 1,1); et ailleurs « La nécessité m'en est imposée » (1Co 9,16) ; (274) lorsqu'il dit qu'il a été mis à part pour cet objet (Rm 1,1) ; par toutes ces paroles, il rejette loin de lui la passion des honneurs et la vaine gloire. De même, en effet, que celui qui s'élève de lui-même à un honneur qu'il ne reçoit pas de Dieu, est digne du blâme le plus sévère; de même celui qui écarte et fuit ce que Dieu lui présente, mérite un autre reproche, celui de désobéissance et de rébellion. C'est ce que dit Paul, au commencement de cette épître à Timothée : « Paul, apôtre de Jésus-Christ, suivant l'ordre de Dieu ». Il ne dit pas en ce passage, « appelé », mais « suivant l'ordre » ; il débute ainsi pour empêcher que Timothée, voyant qu'on lui parle sur le même ton qu'aux autres disciples, n'en soit blessé par une faiblesse trop ordinaire aux hommes. Et où Dieu a-t-il donné cet ordre? On trouve, dans les Actes des apôtres, que l'Esprit dit : « Mettez-moi à part Paul et Barnabé ». (Ac 13,2) Partout, dans ses épîtres, Paul prend le nom d'apôtre, apprenant ainsi à celui qui l'écoute à ne pas croire que ses paroles soient des paroles humaines ; car l'apôtre (l'envoyé) ne peut rien dire de lui-même, et le nom d'apôtre élève la pensée de l'auditeur jusqu'à Celui qui l'envoie. Aussi met-il ce titre en tête de ses épîtres, comme garant de la croyance que méritent ses paroles, et il s'exprime ainsi : « Paul, apôtre de Jésus-Christ, selon l'ordre de Dieu, notre Sauveur ». Et même on ne voit nulle part le Père donner cet ordre, mais partout c'est le Christ qui lui parle; c'est le Christ qui dit : « Marche, parce que je t'enverrai au loin parmi les nations » (Ac 22,21) ; et ailleurs : « Il faut que tu comparaisses devant César ». (Ac 27,24) Mais tous les ordres que donne le Fils, il les appelle ordres du Père, comme il appelle ordres du Fils ceux de l'Esprit. C'est l'Esprit qui l'a envoyé, c'est l'Esprit qui l'a mis à part, et il emploie ces mots : L'ordre de Dieu. Quoi donc? La puissance du Fils est-elle restreinte, parce que son apôtre est envoyé par l'ordre du Père? Nullement; car voyez comment il montre que cette puissance leur est commune. Après ces mots : « Selon l'ordre de Dieu notre Sauveur », il ajoute ceux-ci : « Le Christ Jésus, notre espérance». Voyez l'exacte propriété des termes qu'il emploie. Le Psalmiste appelle le Père « l'espérance de toutes les extrémités de la terre ». (Ps 64,6) Et saint Paul à son tour, dans son épître: « Nous nous fatiguons et nous sommes en butte aux outrages, parce que nous avons espéré dans le Dieu vivant et véritable ».

Il fallait que le maître supportât des périls, et des périls bien plus nombreux que les disciples : « Je frapperai le pasteur, et les brebis seront dispersées ». (Mt 26,31) Il est donc naturel que le démon se déchaîne avec plus de violence contre le pasteur, puisque la perte du pasteur cause la dispersion du troupeau. En faisant périr les brebis, il diminue le troupeau ; mais, en faisant disparaître le pasteur, il ruine le troupeau tout entier. Pouvant donc par là obtenir avec moins d'efforts un résultat plus grand et tout ruiner en perdant l'âme d'un seul, c'est aux pasteurs qu'il s'attaque surtout. Tout d'abord donc et dès le préambule, Paul élève l'âme de Timothée, en lui disant : Nous avons un Sauveur, qui est Dieu, et une espérance, qui est le Christ. Nous souffrons beaucoup de maux, mais nous avons de grandes espérances; nous sommes exposés aux périls et aux embûches, mais nous avons un Sauveur, qui n'est pas un homme, mais Dieu. A notre Sauveur la force ne peut manquer, puisqu'il est Dieu; et, quelque grands que soient les périls, ils ne nous surmonteront pas; notre espérance ne sera point confondue, puisqu'elle vient du Christ. Ainsi nous sommes garantis des périls, ou par une prompte délivrance, ou par les nobles espérances dont nous sommes nourris. Car, est-il dit, tout ce que nous pouvons souffrir n'est rien, quand il ne s'agit que des souffrances de cette vie. Pourquoi ne dit-il nulle part qu'il est l'envoyé du Père, mais du Christ? Parce qu'il leur attribue tout en commun; ainsi il dit que l'Evangile est de Dieu.

« A Timothée, mon vrai fils dans la foi » (1Tm 1,2). Ici encore se trouve une exhortation. Car si Timothée a montré assez de foi pour être appelé fils et vrai fils de Paul, il sera plein de confiance pour l'avenir. La foi, en effet, est telle que, si les événements ne se montrent pas d'accord avec les promesses, elle ne se laisse ni abattre, ni troubler. Mais, dira-t-on, voici un fils, un vrai fils, qui n'est point de la même substance que son père. — Quoi donc? est-il d'une autre race ? — Mais, insiste-t-on, il n'était pas fils de Paul. — Ce mot n'indique pas une filiation proprement dite. Mais quoi? était-il d'une substance différente? Non, car (275) en disant: « Mon fils », il a ajouté : « dans la foi » ; ce qui indique une légitime filiation. Ils ne sont différents en rien : la ressemblance de la foi est entre eux ce qu'est entre les hommes la ressemblance de la nature. Un fils ressemble à son père, mais non aussi parfaitement que s'il s'agissait de la nature divine. Parmi les hommes, quoique la substance soit la même, bien des différences se produisent : le teint, les traits, l'intelligence, l'âge, les goûts, les qualités de l'âme et celles du corps, les circonstances extérieures, mille choses établissent entre un père et son fils des différences ou des ressemblances. Ici aucune de ces causes d'opposition n'existe.

« Par ordre » est une expression plus forte que le mot « appelé ». Quant au passage : « A Timothée, mon vrai fils », on peut le rapprocher de ce que Paul dit aux Corinthiens : « Je vous ai engendrés en Jésus-Christ » (1Co 4,15), c'est-à-dire dans la foi. Il ajoute «Vrai fils », pour témoigner d'une ressemblance plus exacte de Timothée que des autres avec lui, de son affection pour lui, et des dispositions de son âme. Voici encore la préposition « dans » mise devant le mot foi. Voyez quel éloge contient ce langage, où il l'appelle, non seulement son fils, mais son fils véritable.

102 2. « Grâce, miséricorde et paix », dit-il, « de la part de Dieu notre Père, et de Jésus-Christ Notre-Seigneur » (1Tm 1,2). Pourquoi « miséricorde » dans la suscription de cette épître, et non dans les autres? Sa vive tendresse lui a dicté ce mot; pour son fils sa prière est plus étendue, parce qu'il craint et tremble pour lui. Sa sollicitude est telle qu'à lui et à lui seul il adresse des recommandations sur ses besoins matériels. « Usez d'un peu de vin à cause de votre estomac et de vos fréquentes maladies ». (1Tm 5,23) Or ceux qui enseignent ont plus que d'autres besoin de miséricorde. « De la part de Dieu notre Père, et de Jésus-Christ Notre-Seigneur ». Ici encore se trouve une exhortation. Car, si Dieu est notre Père, il prend soin de ses enfants ; écoutez en effet le Christ nous dire : « Quel est l'homme parmi vous qui, si son fils lui demande du pain, voudrait lui donner une pierre?» (Mt 7,9)

« Ainsi que je vous ai prié de demeurer à Ephèse, à mon départ pour la Macédoine ». (1Tm 1,3) Ecoutez la douceur de cette parole; ce n'est point la voix d'un maître qui enseigne, c'est presque celle d'un suppliant. Il ne dit point : J'ai commandé, j'ai ordonné, j'ai prescrit, mais bien : « Je vous ai prié ». Ce n'est pas envers tous les disciples qu'il faut agir ainsi, mais bien envers ceux qui sont doux et vertueux; envers ceux au contraire qui sont corrompus, qui ne sont pas de véritables disciples, il faut un autre langage, comme l'apôtre même le témoigne, quand il dit : « Réprimandez avec pleine autorité ». (Tt 2,15) Et ici même, voyez ce qu'il ajoute : « Afin de prescrire à certains homes (et non de les prier) de ne point enseigner une autre doctrine ». (1Tm 1,3) Que veut-il dire en parlant ainsi? L'épître que Paul avait adressée aux Ephésiens ne suffisait-elle pas? Non, car on méprise plus facilement un texte écrit; ou peut-être ce fait était-il antérieur à l'épître. L'apôtre a passé beaucoup de temps dans cette ville où était le temple de Diane, et où il a souffert cette persécution (Ac 19,23-40) que vous connaissez. Car après que la foule, réunie au théâtre, fut dispersée (Ac 29,31 Ac 29,40), Paul fit venir ses disciples, les exhorta et partit (Ac 20,1) ; et quelque temps après il se retrouva parmi eux. (Ac 17) Il est intéressant de rechercher si ce fut alors qu'il y établit Timothée, car il lui dit « de prescrire à certains hommes de ne point enseigner une autre doctrine » (1Tm 1,3). Il ne les nomme pas, afin de ne pas les humilier trop par la publicité de ses reproches. II y avait là plusieurs d'entre les juifs, faux apôtres, qui voulaient ramener les fidèles à la loi, ce que Paul attaque partout dans ses épîtres. Car ils ne le faisaient point par l'impulsion de leur conscience, mais par vanité, parce qu'ils voulaient se faire des disciples, et par esprit de contention et d'envie contre le bienheureux Paul. Tel est cet « enseignement d'une autre doctrine ».

« Et de ne point s'attacher », poursuit-il, « à des fables et à des généalogies » (1Tm 1,4). Les fables dont il parle, ce n'est pas la loi, à Dieu ne plaise; mais les additions fictives, la fausse monnaie de la loi, les opinions trompeuses. Il paraît que les vains esprits de la race des Juifs employaient toutes leurs facultés à supputer les générations pour s'acquérir la renommée d'hommes savants et érudits. « De prescrire à certains hommes de ne point enseigner une autre doctrine et de ne point s'attacher à des fables et à des généalogies sans fin ». Que veut dire ici sans fin ? »

Quelque chose d'interminable, ou sans objet sérieux, ou peu intelligible. Vous voyez comment il blâme ces recherches. Là où est la foi, la recherche est inutile; là où il n'y a rien à chercher, à quoi bon l'examen? L'examen exclut la foi. En effet celui qui cherche n'a pas encore trouvé, et ne peut avoir la foi. C'est pourquoi l'apôtre dit: Ne nous occupons point de recherches. Si nous cherchons, nous n'avons pas la foi qui est le repos du raisonnement. Comment donc le Christ dit-il : « Cherchez et vous trouverez; frappez et il vous sera ouvert ? » (Mt 7,7) Et encore : « Scrutez les Ecritures, puisque vous pensez y avoir la vie éternelle ». (Jn 5,39) Là le mot « cherchez » est dit de la prière et de ses ardents désirs; ici, « scrutez les Ecritures » n'est pas dit pour provoquer des recherches fatigantes, mais pour en soulager. Quand Jésus-Christ dit : « Scrutez les Ecritures », il entend : Afin d'en apprendre et d'en posséder le sens exact, non pour chercher toujours, mais pour mettre fin à nos recherches. Et l'apôtre dit avec justice : « Prescrivez à certains hommes de ne pas enseigner une autre doctrine et de ne pas s'attacher à des fables et à des généalogies sans fin, qui produisent des recherches plutôt que l'édification divine qui est dans la foi ». (1Tm 1,3-4) L'expression « l'édification divine », est juste ; car Dieu a voulu nous donner de grands biens; mais le raisonnement n'est pas apte à concevoir la grandeur de ses plans. C'est l'oeuvre de la foi, qui est le plus grand des remèdes de l'âme. La recherche est donc opposée au plan divin. Et quel est ce plan fondé sur la foi ? Accueillir les bienfaits de Dieu et devenir meilleur ; ne point disputer ni douter, mais trouver le repos. Car ce que la foi a achevé et édifié, la recherche le renverse. Comment cela? En soulevant des questions et en mettant de côté la foi. « Ne pas s'attacher à des fables et à des généalogies sans fin ». Quel mal, dira-t-on, faisaient ces généalogies ? Le Christ a dit que l'on doit être sauvé par la foi, et ceux-là cherchaient et disaient qu'il n'en saurait être ainsi. Car, puisque l'assertion, la promesse est pour le temps présent, et l'accomplissement pour l'avenir, la foi est nécessaire. Or ces hommes, préoccupés des observances de la loi, faisaient obstacle à la foi. Mais je pense qu'il parle ici des gentils, dressant le catalogue de leurs dieux, quand il dit : « Les fables et les généalogies ».

103 3. Ainsi donc, ne nous attachons point à des recherches, car le titre de fidèles nous engage à croire à la parole, sans doute ni hésitation. Si c'était une parole humaine, nous devrions la soumettre à l'épreuve; mais, si elle est divine, nous devons la vénérer et la croire; si nous ne croyons pas à cette parole, c'est que nous ne croyons pas même qu'elle est de Dieu ; car comment connaître que c'est Dieu qui parle, et lui demander compte de sa parole ? La première preuve que nous connaissons Dieu, c'est de croire à sa parole sans preuves ni démonstrations. Les gentils eux-mêmes le savent, car ils croient en leurs dieux, bien que leurs oracles soient sans preuves, et par cela seul qu'ils viennent des dieux. Les gentils donc le savent, vous le voyez. Et que dis-je, la parole d'un dieu? Ils croient à celle d'un enchanteur et d'un mage, je veux dire de Pythagore : « Le maître l'a dit ». Et dans la partie supérieure des temples, le dieu du silence était peint, tenant un doigt sur sa bouche, et serrant ses lèvres pour enseigner le silence à tous ceux qui passaient. Faut-il croire que leurs doctrines étaient vénérables, et que les nôtres au contraire sont dignes de risée ? C'est plutôt avec raison que celles des gentils sont un objet d'examen, car elles consistent en raisonnements contradictoires, en controverses, en conclusions, et les nôtres en sont affranchies. Celles-là sont l'oeuvre de la sagesse humaine, celles-ci sont l'enseignement de la grâce de l'Esprit-Saint; celles-là sont les dogmes de la folie et de la déraison, celles-ci de la véritable sagesse. Là il n'y a point de disciple et de maître, mais tous cherchent ensemble, qu'ils soient maîtres ou disciples. Car être disciple, ce n'est pas chercher; c'est être guidé par la confiance et non par le doute; c'est croire et non raisonner. C'est la foi qui fait la gloire des anciens; c'est le manque de foi qui a tout corrompu. Et que parlé-je des choses célestes? Si nous examinons de près celles de la terre, vous trouverez qu'elles ne sont point étrangères à toute foi; ni les contrats, ni les arts, ni rien de semblable ne peut s'en passer. Et, s'il en faut pour des objets trompeurs, combien plus pour des objets célestes !

Attachons-nous donc à la foi, possédons-la; c'est ainsi que nous écarterons de notre âme toute funeste doctrine, telle que celles de (277) l'émanation et du destin. Si vous croyez à la résurrection et au jugement, vous saurez écarter de votre âme toutes ces doctrines. Croyez que Dieu est juste, et vous ne croirez pas à une émanation inique; croyez à la Providence divine, et vous ne croirez pas à une émanation à laquelle tout est soumis; croyez aux châtiments divins et au royaume de Dieu, et vous ne croirez pas à une émanation qui nous enlève notre libre arbitre, pour nous soumettre à une nécessité impérieuse. Ne semez point, ne plantez point, ne combattez pas, ne faites rien en un mot ; avec ou sans votre volonté, tout se produira par l'émanation. Que restera-t-il à la prière? et pourquoi voudriez-vous être chrétien, si l'émanation est vraie? Car vous ne pourrez plus être accusé d'aucun péché. D'où viennent les sciences ? De l'émanation? — Oui, nous répond-on; mais le destin exige que tel homme devienne savant à grand'peine. — Eh ! montrez-m'en un seul qui le devienne sans peine. C'est donc le travail et non l'émanation qui fait les savants.

Pourquoi, me dira-t-on, tel misérable coquin est-il riche, pour avoir reçu de son père un héritage, tandis que tel homme se donne mille peines et reste pauvre? — Car tel est l'objet constant de leurs disputes ; ils ne soulèvent que des questions de richesse et de pauvreté, non de vice et de vertu. Mais plutôt à ce sujet, montrez-moi un homme qui soit devenu méchant, quelque effort qu'il ait fait pour être vertueux, ou vertueux sans nul effort. Si le destin a tant de puissance, qu'il la montre dans les objets les plus grands, la vertu et le vice, et non dans la richesse et la pauvreté. — Pourquoi, dira-t-on encore, celui-ci vit-il dans les maladies et celui-là dans la santé? Pourquoi celui-ci dans l'estime et celui-là dans l'opprobre; pourquoi celui-ci réussit-il à son gré dans toutes ses affaires, et celui-là trouve-t-il mille et mille entraves ? — Ecartez la doctrine de l'émanation et vous le comprendrez; croyez à la Providence divine, et vous le verrez clairement. — Je ne le puis, répond mon adversaire, car cette confusion ne me permet point de soupçonner qu'une providence divine soit l'auteur de tout cela. Comment croire qu'un Dieu bon par excellence donne les richesses à l'impudique, au scélérat, à l'homme cupide, et ne les donne pas à l'homme de bien ! Quel moyen de le croire? Car il faut bien s'en rapporter à ce qui existe. — Soit. Eh bien ! tout cela provient-il d'une émanation juste ou injuste? — Injuste, me direz-vous. — Et qui en est l'auteur? Est-ce Dieu? — Non, me dira-t-on ; elle n'a point d'auteur. — Et comment cette émanation, qui n'est pas émanée, peut-elle opérer tout cela ? Il y a contradiction.

Ainsi Dieu n'y, est pour rien. Examinons pourtant qui a fait le ciel. — L'émanation, me dira-t-on. —Et la terre? Et la mer? Et les saisons? Et puis elle a disposé la nature inanimée dans un ordre parfait, dans une harmonie parfaite, et nous, pour qui tout cela existe, elle nous aurait destinés au désordre? Comme celui qui, par ses soins prévoyants, disposerait à merveille une maison, mais ne ferait rien pour ceux qui doivent l'habiter. Qui veille à la succession des phénomènes ? Qui a donné à la nature ses lois si régulières ? Qui a réglé le cours du jour et de la nuit? Tout cela est au-dessus de l'émanation. — Non, me dira mon adversaire; tout cela s'est fait par hasard. — Et comment un ordre pareil serait-il l'effet du hasard? — Mais on insiste : D'où vient que la santé, la richesse, la renommée sont le fruit, tantôt de la cupidité, tantôt d'un héritage, tantôt de la violence? Et pourquoi Dieu l'a-t-il permis? — Parce que ce n'est point ici que chacun est rémunéré suivant ses mérites; ce sera dans le temps à venir - montrez-moi qu'alors il en sera comme en ce monde. — Donnez-moi d'abord, me dira-t-on, les biens d'ici-bas; je ne cherche pas ceux de l'autre monde. — C'est pour ce motif que ceux-là ne vous sont pas donnés. Car si, lorsque vous êtes privé des plaisirs, vous les aimez au point de les préférer aux biens célestes, que serait-ce, si vous jouissiez d'un plaisir sans mélange? Dieu vous montre ainsi que ces avantages ne sont pas réels, mais indifférents; s'ils ne l'étaient pas, il ne les eût point donnés aux méchants. Dites-moi, n'est-il pas indifférent que l'on soit noir ou blond, grand ou petit? Eh bien ! il en est de même de la richesse. Dites-moi, chacun n'est-il pas équitablement pourvu des biens nécessaires, savoir l'aptitude à la vertu et la répartition des dons spirituels ? Si vous connaissiez les bienfaits de Dieu, jamais, étant équitablement pourvu de ces biens, vous ne seriez indigné de manquer des biens terrestres; vous n'auriez pas cette avidité, si vous connaissiez les biens auxquels vous êtes admis.

Un serviteur nourri, vêtu, logé par son maître comme ses compagnons, ne se croit pas plus riche qu'eux parce qu'il a des cheveux plus abondants ou des ongles plus longs; de même c'est un bien vain orgueil que celui des biens terrestres. Dieu les éloigne de nous pour apaiser cette folie, pour diriger vers le ciel le désir qui se portait vers eux. Mais nous, même alors, nous ne devenons pas sages. De même que si un enfant possède un jouet et le préfère aux objets importants, son père le lui enlève pour l'amener, même malgré lui, à une occupation sérieuse; de même Dieu en agit envers nous pour nous diriger vers le ciel. — Et pourquoi donc, dira-t-on, permet-il que les méchants possèdent les richesses ? — Parce qu'il en fait peu de cas. Et pourquoi le permet-il aux justes? Il se borne à ne pas l'empêcher. — Nous avons parlé ici d'une façon élémentaire, comme à des hommes qui ignoreraient les Ecritures ; mais, si vous vouliez croire et vous attacher aux paroles divines, nous n'aurions pas besoin de tant de discours, vous sauriez tout ce que vous avez besoin de savoir. Et pour vous apprendre que la richesse n'est rien, que la santé n'est rien, que la gloire n'est rien, je vous montrerai beaucoup d'hommes qui ont pu s'enrichir et ne l'ont pas fait, qui ont pu avoir une santé florissante et ont macéré leur corps, qui ont pu être honorés et ont tout fait pour être méprisés. Cependant nul homme étant bon ne s'efforce de devenir mauvais. Ayons donc l'ambition des biens véritables et nous obtiendrons même les autres en Jésus-Christ Notre-Seigneur, avec lequel soient au Père et au Saint-Esprit, gloire, puissance, honneur, maintenant et toujours, et aux siècles des siècles. Ainsi soit-il.


200

HOMÉLIE II (1,5-11). LA FIN DU PRÉCEPTE EST LA CHARITÉ QUI PART D'UN COEUR PUR,

D'UNE BONNE CONSCIENCE ET D'UNE FOI SINCÈRE; MAIS QUELQUES-UNS S'EN SONT ÉCARTÉS POUR S'ÉGARER EN DE VAINS DISCOURS, VOULANT ÉTRE DOCTEURS DE LA LOI ET NE COMPRENANT NI CE QU'ILS DISENT NI L'OBJET DE LEURS AFFIRMATIONS. (1Tm 1,5-11)

Analyse

1. D'où viennent les hérésies. — Usage qu'il faut faire de la loi.
2. Saint Chrysostome voit dans les versets 9 et 10, où se trouvent énumérés les plus grands crimes, une allusion aux Juifs. —En quoi consiste la vraie gloire.
3. Vanité de la parure. — Bonne odeur de la vertu, infection du péché. — Quelle est la vraie volupté.


201 1. Rien n'est si funeste au genre humain que de mépriser la charité au lieu de la pratiquer avec zèle; rien n'est si efficace pour la rectitude de la vie que de s'efforcer d'atteindre à cette vertu. Le Christ nous l'enseigne, quand il nous dit: « Si deux d'entre vous unissent leur prière pour le même objet, tout ce qu'ils demanderont, ils l'obtiendront». (Mt 18,19) Et encore : « Lorsque l'iniquité sera abondante, la charité se refroidira ». (XXIV, 12) C'est là l'origine de toutes les hérésies. C'est parce qu'on n'aimait pas ses frères qu'on est devenu jaloux de leur bonne renommée; cette jalousie a produit l'amour de la domination, et celui-ci toutes les hérésies. Aussi Paul, après avoir dit à Timothée « de prescrire à certains hommes de ne point enseigner une autre doctrine », lui enseigne comment il y pourra réussir. Et quel est ce moyen ? La charité. De même que, lorsqu'il dit : « Le Christ est la fin de la loi » (Rm 10,4), il veut dire son accomplissement, qui ne peut être obtenu sans le Christ; de même le précepte ne peut s'accomplir sans la charité. La fin de la médecine, c'est la santé; quand on la possède, on n'a pas besoin de soins extraordinaires; de même quand on possède la charité, on n'a pas besoin de beaucoup de préceptes. Et de quelle charité parle l'apôtre ? De celle qui est véritable et ne s'en tient pas aux paroles, mais réside dans le sentiment de l'âme et le partage des souffrances. Celle qui part d'un coeur pur, dit l'apôtre; voulant dire d'une conduite droite ou d'une affection légitime; car une (279) vie qui n'est point pure produit des divisions. « Quiconque fait le mal, hait la lumière ». (Jn 3,20) Il y a en effet aussi une amitié entre les méchants; les brigands aiment les brigands, les meurtriers aiment les meurtriers; celle-là ne part point d'une bonne conscience, mais d'une mauvaise; non d'un coeur pur, mais d'un coeur impur; elle ne part point d'une foi sincère. La foi enseigne le vrai; une foi véritable fait naître la charité; car celui qui croit véritablement en Dieu ne peut perdre la charité.

«Quelques-uns», continue le texte, s'en sont a écartés pour s'égarer en de vains discours ». Oui, ils se sont égarés, car il faut être habile pour choisir la direction vraie et ne pas se détourner du but, en sorte qu'on se laisse diriger par l'Esprit ; beaucoup d'impulsions nous écartent du véritable but, et il faut avoir toujours en vue le terme unique. « Voulant», continue l'apôtre, « être docteurs de la loi ». Vous voyez ici une autre cause de ce désordre, l'amour de la domination. C'est pourquoi le Christ a dit: « Vous ne vous ferez point appeler rabbi ». (Mt 23,8) Et l'apôtre à son tour : « Ils n'observent point eux-mêmes la loi, mais veulent se glorifier dans votre chair ». (Ga 6,13) Ils désirent être honorés, et à cause de cela ne considèrent point la vérité. « Ne comprenant ni ce qu'ils disent, ni l'objet de leurs affirmations ». L'apôtre les accuse ici de ne point connaître le but de la loi, et de ne point savoir jusqu'à quel temps elle devait régner. Mais, me dira-t-on, si leur conduite vient d'ignorance, comment dites-vous qu'ils pèchent? C'est que leur faute vient non seulement de ce qu'ils veulent être docteurs de la loi, mais encore de ce qu'ils ne conservent pas la charité, et que de là résulte l'ignorance. En effet, quand l'âme se donne aux objets charnels, sa vue se paralyse ; jetée hors de la charité, elle tombe dans une jalousie querelleuse, et désormais l'oeil de son intelligence est éteint. Celui qui se laisse posséder par le désir des choses temporelles, s'enivre de sa passion et ne saurait être le juge intègre de la vérité. — « Ils ne connaissent point ce qu'ils affirment ». Sans doute ils débitaient de vaines paroles au sujet de la loi, et s'étendaient en longs discours sur les cérémonies purificatoires et les autres observances matérielles.

Sans s'arrêter à démontrer que ces observances n'étaient que les ombres des préceptes spirituels et de simples figures, l'apôtre aborde un sujet plus digne d'attrait. Et quel est-il? C'est l'éloge de la loi, par laquelle il entend ici le décalogue, dont il a séparé les observances légales. Car si les violateurs de celles-ci, qui sont inutiles aux chrétiens, ont encouru des châtiments, combien plus ceux du décalogue. « Nous savons», dit-il, « que la loi est bonne, si l'on en fait un usage légitime en sachant qu'elle n'est pas faite pour le juste (1Tm 1,8-9) ». La loi, dit-il, est bonne, et elle n'est pas bonne. Quoi ! si l'on en fait un usage illégitime, la loi cesse-t-elle d'être bonne? Non, elle l'est toujours; mais voici ce- que veut dire l'apôtre : Il la déclare bonne lorsqu'on l'accomplit par les oeuvres. Tel est ici le sens de ces mots: « Si l'on en fait un usage légitime». Mais l'interpréter en paroles et la violer dans sa conduite, c'est là en faire un usage illégitime ; ils en usent, mais non pour leur avantage. Il y a encore quelque chose à ajouter, c'est que si vous faites de la loi un usage légitime, elle vous conduit à Jésus-Christ. Le but de la loi en effet étant de justifier l'homme, et la loi ne le pouvant faire par elle-même, elle conduit à celui qui en a la puissance. Et l'on fait de la loi un usage légitime, lorsqu'on l'observe par surcroît. Et comment cela? De même qu'un cheval obéit au frein de la façon la plus convenable, s'il ne se cabre ni ne mord, mais s'il ne le porte que pour la forme; de même l'homme qui fait de la loi un usage légitime est celui qui ne doit pas sa conduite sage à la lettre de la loi. Et quel est-il? C'est celui qui sait qu'il n'a pas besoin d'elle. Car celui qui s'efforce d'arriver à une si haute vertu, que la rectitude de sa conduite soit due, non à la crainte que la loi inspire, mais à la vertu même, celui-là fait de la loi un usage légitime et sûr; agir sans craindre la loi, mais en ayant devant les yeux le jugement de Dieu et le châtiment, c'est faire un bon usage de la loi. L'apôtre appelle ici « juste » celui qui pratique la vertu. Celui-là fait un excellent usage de la loi, qui veut être formé par un autre que par elle.

202 2. De même en effet que l'on met la ponctuation dans les écritures à l'usage des enfants, mais que celui qui la supplée dans les écritures où elle n'est pas mise est en possession d'une science plus haute et sait mieux faire usage des lettres; de même celui qui est (280) au-dessus de la loi n'est pas instruit par elle. Celui qui l'accomplit, non par crainte, mais par un désir plus ardent de la vertu, celui-là l'exécute mieux. Car celui qui craint la peine et celui qui désire l'honneur n'accomplissent pas la loi de la même façon; on ne petit assimiler celui qui est sous la loi et celui qui est au-dessus de la loi; vivre au-dessus de la loi, c'est en faire un usage légitime. Celui-là en fait un excellent usage et l'observe, qui fait plus que la loi ne prescrit, et qui ne se fait pas le disciple de la loi. Car, en général, la loi défend le mal, mais cela ne suffit pas pour être juste; il y faut joindre la pratique du bien. En sorte que ceux qui ne s'abstiennent du mal que par une crainte servile n'accomplissent point le but de la loi. Comme elle est faite pour réprimer la prévarication, ils font bien usage de la loi, mais seulement dans la crainte du châtiment. « Voulez-vous », dit l'Ecriture, « ne pas craindre le pouvoir? Faites le bien » (Rm 13,3); c'est-à-dire, qu'elle ne dénonce le châtiment qu'aux méchants; mais celui qui mérite des couronnes, à quoi bon une loi pour lui? Le médecin est utile au blessé, non à celui dont la santé est bonne et satisfaisante.

« La loi », continue l'apôtre, « est faite pour les injustes et les insubordonnés, les impies et les pécheurs (1Tm 1,9) ». Par les injustes et les insubordonnés, il entend les Juifs. « La loi », dit-il ailleurs, « opère la colère ». (Rm 4,15) Qu'a cela de commun avec celui qui mérite l'honneur? « Par la loi, le péché est reconnu ». (Rm 3,20) Qu'a cela de commun avec le juste ? Comment donc la loi n'est-elle pas faite pour lui ? Parce qu'il n'est pas soumis au châtiment, et parce qu'il n'attend pas qu'elle lui enseigne ce qu'il doit faire, ayant au dedans de lui-même la grâce de l'Esprit qui l'inspire. Car la loi a été donnée pour réprimer par la crainte et les menaces. Mais il n'est pas besoin de frein pour un cheval qui se laisse aisément conduire, ni d'instruction pour celui qui n'en manque pas. « Pour les injustes et les insubordonnés, les impies et les pécheurs, les scélérats et les hommes souillés, les meurtriers de leur père ou de leur mère (1Tm 1,9) ». L'apôtre ne s'est pas borné là dans l'indication des péchés, mais il les a parcourus en détail, afin de faire rougir ceux qui sont sous la loi. Et derrière cette énumération, il y a une allusion facile à saisir. De qui veut-il donc parler? Des Juifs. Les meurtriers de leur père et de leur mère, ce sont eux. Les hommes souillés, les impies, ce sont eux. Ce sont eux que l'apôtre a en vue lorsqu'il dit : « Pour les impies, pour les pécheurs ». Puisqu'ils étaient tels, il fallait bien que la loi leur fût donnée. Dites-moi, en effet, n'adoraient-ils pas continuellement des idoles? Ne voulaient-ils pas lapider Moïse? Leurs mains n'étaient-elles pas souillées du meurtre de leurs frères? Les prophètes ne leur font-ils pas sans cesse ces reproches? Tout cela est étranger à ceux dont la pensée est dans le ciel.

« Les parricides, les meurtriers, les fornicateurs, les hommes coupables de désordres contre nature, les vendeurs d'hommes libres, les menteurs, les parjures, et tout ce qui peut encore être contraire à la saine doctrine (1Tm 1,9-11) » : c'étaient là toutes les passions des âmes corrompues. « Doctrine qui est conforme », dit-il, « à l'Evangile de la gloire du Dieu bienheureux; et cet Evangile m'a été confié (1Tm 1,11) ». En sorte que maintenant encore la loi est nécessaire pour l'affermissement de l'Evangile; mais non à ceux qui croient. Si l'apôtre l'appelle Evangile de gloire, c'est ou bien en vue de ceux qui en rougissent à cause des persécutions et de la passion du Christ, et spécialement parce que la passion du Christ et les persécutions sont une gloire; ou bien pour exprimer mystérieusement l'avenir. Car si l'époque présente est remplie d'opprobres et d'outrages, il n'en sera pas de même de l'avenir, et « l'Evangile » a pour objet l'avenir plutôt que le présent. Comment donc l'ange a-t-il dit : « Voilà que je vous évangélise qu'il vous est né un Sauveur ? » (Lc 11,10-11) Le Sauveur « est « né », mais il « sera » Sauveur, car il n'a pas fait ses miracles à sa naissance. — « Conforme « à l'Evangile de la gloire du Dieu bienheureux ». Par « gloire » il entend l'adoration de Dieu, et nous dit que si le temps présent est. rempli de sa gloire, le temps à venir le sera bien davantage; « quand ses ennemis seront mis sous ses pieds » (1Co 15,25), lorsqu'il n'y aura plus d'opposition à sa gloire et que les justes verront ce bonheur « que l'oeil n'a point vu, que l'oreille n'a point entendu, et qui n'a point pénétré dans le coeur de l'homme ». (1Co 2,9) « Je veux », dit l'Evangile, « que, là où je suis, ils soient (281) aussi, afin qu'ils contemplent la gloire que vous m'avez donnée ». (Jn 17,24) Apprenons quels sont ceux-là, afin que nous les félicitions d'être destinés à jouir, de tels biens, à participer à une telle gloire et à une telle lumière! Car ici-bas la gloire est vaine et instable; si longtemps qu'elle dure, elle ne peut durer plus que nous, elle s'évanouit donc bientôt. « Sa gloire », dit l'Ecriture, « ne descendra pas avec lui dans la tombe » (Ps 48,18); et pour beaucoup elle n'a pas même duré jusqu'au terme de leur vie. Mais, pour la gloire céleste, on ne peut rien soupçonner de tel; bien au contraire, elle demeure et n'aura jamais de fin. Car ces dons divins sont permanents, supérieurs au changement et à la mort. Alors la gloire ne vient plus des choses extérieures, mais elle a son siège en nous-mêmes, elle ne provient plus des vêtements somptueux, de la foule des serviteurs, des chars qui nous portent; l'homme est revêtu d'une gloire indépendante de tout cela. Ici, quand il est privé de ces insignes, il est dépouillé de sa gloire : c'est ainsi qu'aux bains tous sont également nus, gens illustres et gens obscurs et misérables. C'est un danger que beaucoup ont couru, même sur les places publiques, lorsque pour quelque nécessité leurs serviteurs s'éloignaient d'eux. Mais le bienheureux n'est plus nulle part séparé de sa gloire. De même que les anges, quelque part qu'ils se montrent, portent leur gloire en eux-mêmes, ainsi en est-il des saints. Le soleil n'a pas besoin de vêtement; il n'a pas besoin d'un autre soleil, mais, dès qu'il paraît, il fait reluire sa gloire; ainsi en sera-t-il dans le ciel.

203 3. Poursuivons donc cette gloire, digne de la plus haute vénération ; renonçons à l'autre qui est ce qu'il y a de plus vain. « Ne vous enorgueillissez pas », dit l'Ecriture, « des vêtements qui vous couvrent ». (Si 11,4) Voilà ce qu'a dit aux insensés la sagesse d'en-haut. En effet, le danseur, la courtisane, l'acteur, ne sont-ils pas vêtus avec plus de grâce et de richesse que vous? Et, quand il n'en serait pas ainsi, comment vous enorgueillir d'un objet que les vers peuvent vous ravir, s'ils s'y attachent? Vous voyez donc combien est instable la gloire de la vie présente. Vous vous enorgueillissez d'une chose qu'un insecte produit et qu'un insecte dévore. On dit en effet que ces fils sont l’oeuvre de petits animaux de l'Inde (1) . Acquérez un vêtement, si vous le voulez, mais un vêtement qui soit tissu dans le ciel, un ornement vraiment digne d'admiration et de gloire, un costume dont l'or soit véritablement pur. Cet or n'est point arraché des mines par les mains des condamnés, mais il est le produit de la vertu. Revêtons-nous de cette robe qui n'est pas, l'oeuvre des pauvres et des esclaves, mais du souverain Maître lui-même. Mais quoi ! L'or est-il répandu sur ce vêtement? Et que vous importe? Ce que chacun admire dans votre costume, c'est l'art de l'ouvrier et non vous qui le portez, et c'est l'ouvrier seul qui le mérite. Pour les vêtements simples, nous n'admirons pas le morceau de bois sur lequel on les a étendus chez le foulon ; nous ne faisons cas que de l'ouvrier lui-même; et cependant le bois porte le vêtement et sert à le maintenir: de même une femme parée (2) ne sert qu'à donner de l'air à ses vêtements, pour que les vers ne les dévorent pas.

1. Il s'agit évidemment de la soie : dans la géographie très imparfaite de cette époque, l'Inde se dit pour l'extrême Orient.
2. Texte obscur et peut-être altéré.

Comment donc en vient-on à cet excès de folie que, pour un objet qui n'est rien, l'on montre une telle passion, on soit prêt à tout faire, on trahisse le soin de son salut, on méprise l'enfer, on outrage Dieu, on oublie la pauvreté du Christ? Que dire de cette abondance de parfums, fournis par l'Inde, l'Arabie et la Perse, secs et liquides ; essences et parfums à brûler, pour lesquels on fait une dépense si grande et si inutile? Femme, pourquoi parfumez-vous un corps qui au dedans est rempli d'impureté? Pourquoi tant de frais pour un objet infect? C'est comme si vous jetiez un parfum sur de la boue ou du baume sur une misérable argile? Il est, si vous voulez l'acquérir, un parfum, un aromate, dont vous pouvez embaumer votre âme; on ne le tire point de l'Arabie, de l'Ethiopie, ni de la Perse, mais il descend du ciel lui-même; on ne l'achète point au prix de l'or, mais par la bonne volonté et la foi sincère. Procurez-vous ce parfum, dont l'odeur peut remplir la terre entière. C'est lui que respiraient les apôtres. « Nous sommes un parfum d'agréable odeur », dit l'apôtre, « aux uns pour la mort, aux autres pour la vie ». (2Co 11,15-16) Que veulent dire ces paroles ? C'est que, dit-on, une odeur agréable suffoque les porcs. Ce n'était pas seulement le corps des apôtres, mais leurs vêtements qui respiraient le parfum spirituel. Des vêtements de Paul sortait une émanation si noble qu'elle chassait les démons. Le laser, la cannelle et la myrrhe peuvent-ils rivaliser avec le charme et l'avantage d'un tel parfum? S'il chassait les démons, que ne pouvait-il pas faire?

Procurons-nous cet aromate; c'est la grâce de l'Esprit qui nous le donne par sa miséricorde. Nous le respirerons, sortis de ce monde; et comme, sur la terre, ceux qui sont parfumés attirent l'attention de tout le monde; comme au bain, à l'église et dans toutes les réunions nombreuses, où une toilette exhale cette odeur, chacun s'en rapproche ou se tourne vers elle; de même, dans l'autre monde, lorsqu'une âme se présente, respirant la bonne odeur spirituelle, chacun se lève et s'écarte pour lui faire honneur. Ici les démons et les vices n'ont ni le courage ni la force de s'en approcher : ils sont suffoqués. Couvrons-nous de cet aromate. L'autre nous vaut la réputation d'hommes efféminés; celui-là d'hommes courageux et admirables; il nous procure une mâle indépendance. Ce n'est point la terre qui le donne, c'est la vertu qui le produit; il ne se dessèche point, il fleurit; il rend dignes d'honneur ceux qui le possèdent. Nous en sommes enduits au baptême; nous exhalons alors une odeur suave. Mais le respirer aussi durant le reste de notre vie, cela dépend de notre vertu. C'est pour cela que dans l'antiquité les prêtres étaient oints de parfums, comme symbole de la suave odeur de la vertu que doit exhaler le prêtre.

Mais rien n'est plus infect que le péché. Voyez comment le prophète en décrit la nature, quand il dit : « Mes blessures sont infectes et corrompues ». (Ps 37,6) Et réellement le péché est pire et plus infect que la pourriture. Qu'y a-t-il, dites-moi, de plus infect que la fornication? Si cette odeur ne se sent pas dans la perpétration du péché, essayez après, c'est alors que vous sentirez l'infection, que vous apercevrez l'impureté, la souillure, l'abomination. Il en est ainsi de tous les péchés : avant qu'ils soient commis, ils nous offrent quelque attrait; après qu'ils sont consommés, le plaisir cesse et se flétrit, la dou. leur et la honte en prennent la place. Pour la justice, il en est tout au contraire; elle impose d'abord quelque peine, mais ensuite elle apporte la joie et le repos. Et, même dans le péché, le plaisir n'est pas un plaisir, quand il attend la honte et le châtiment; dans la justice, la peine n'est plus une peine, par l'espoir de la récompense.

Qu'est-ce que l'ivrognerie, dites-le-moi? Ne trouve-t-elle pas du plaisir uniquement dans l'acte de boire, ou plutôt pas même dans cet acte ? Lorsque l'ivrogne est tombé dans un état d'insensibilité et ne voit rien de ce qui l'entoure, mais gît ravalé au-dessous de l'insensé, quel plaisir lui reste-t-il ? La débauche ne procure pas même une satisfaction momentanée; car, quand l'âme maîtrisée par sa passion a perdu le jugement, quelle joie peut-elle éprouver ? Si elle en éprouve, ce n'est qu'une démangeaison. La vraie joie est celle de l'autre vie, où l'âme n'est plus tourmentée et déchirée par les passions. Est-ce de la joie que de grincer des dents, de rouler les yeux, d'éprouver l'agitation et la chaleur de la fièvre? C'est si peu la joie que nous nous empressons de nous en débarrasser et qu'après l'accès de la passion nous souffrons encore. Si c'est la joie, ne vous en débarrassez point, conservez-la. Vous voyez bien qu'elle n'en a que le nom. Mais le bonheur du chrétien n'est point tel; il est véritable, ce n'est point un plaisir fiévreux; il donne la liberté à l'âme, elle en est charmée et se fond de plaisir. Telle était la joie de Paul quand il disait: a En cela a je me réjouis et me réjouirai encore ». (Ph 1,18) — Et plus loin : « Réjouissez-vous toujours dans le Seigneur ». (Ph 4,4) L'autre joie entraîne la honte et la condamnation; elle ne se produit qu'en secret, et est remplie de mille dégoûts. celle-ci est franche de toutes ces peines. Poursuivons-la donc afin d'obtenir les biens futurs, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec qui soient au Père et au Saint-Esprit, gloire, puissance, honneur, à présent et toujours, et aux siècles des siècles. Ainsi soit-il.



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HOMÉLIE III (1,12-14). JE RENDS GRACES A CELUI QUI M'A FORTIFIÉ,


Chrysostome sur 1Tm