Discours 2005-2013 28112

À LA COMMUNAUTÉ DU CHEMIN NÉOCATÉCHUMÉNAL Salle Paul VI Vendredi 20 janvier 2012

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Chers frères et soeurs,

Cette année aussi j’ai la joie de pouvoir vous rencontrer et de partager avec vous ce moment d’envoi en mission. J’adresse un salut particulier à Kiko Argüello, à Carmen Hernandez et au père Mario Pezzi, ainsi qu’un salut affectueux à vous tous : prêtres, séminaristes, familles, formateurs et membres du Chemin néocatéchuménal. Votre présence aujourd’hui est un témoignage visible de votre joyeux engagement à vivre la foi, en communion avec toute l’Eglise et avec le Successeur de Pierre, et à être de courageux annonciateurs de l’Evangile.

Dans le passage de saint Matthieu que nous venons d’écouter, les apôtres reçoivent un mandat précis de Jésus : « Allez, de toutes les nations faites des disciples » (
Mt 28,19). Au début, ils avaient douté, dans leur coeur régnait encore l’incertitude, la stupeur face à l’événement de la résurrection. Et c’est Jésus lui-même, le Ressuscité — souligne l’évangéliste — qui s’approche d’eux, leur fait sentir sa présence, les envoie enseigner tout ce qu’il leur a communiqué, en donnant une certitude qui accompagne tout annonciateur du Christ : « Et voici que je suis avec vous pour toujours jusqu'à la fin du monde » (Mt 28,20). Ce sont des paroles qui retentissent avec force dans votre coeur. Vous avez chanté Resurrexit, qui exprime la foi dans le Vivant, en Celui qui, dans un acte suprême d’amour, a vaincu le péché et la mort et qui donne à l’homme, à nous, la chaleur de l’amour de Dieu, l’espérance d’être sauvés, un avenir d’éternité.

Au cours de ces décennies de vie du Chemin, votre ferme engagement a été de proclamer le Christ Ressuscité, de répondre à ses paroles avec générosité, en abandonnant souvent vos certitudes personnelles et matérielles, en quittant également vos propres pays, en affrontant des situations nouvelles et pas toujours faciles. Apporter le Christ aux hommes et apporter les hommes au Christ: tel est ce qui anime toute oeuvre évangélisatrice. Vous l’accomplissez sur un chemin qui aide à faire redécouvrir à celui qui a déjà reçu le baptême, la beauté de la vie de foi, la joie d’être chrétiens. Le fait de «suivre le Christ» exige l’aventure personnelle de la recherche de sa Personne, d’aller avec Lui, mais comporte également de sortir de l’enfermement du moi, de briser l’individualisme qui caractérise souvent la société de notre temps, pour remplacer l’égoïsme par la communauté de l’homme nouveau en Jésus Christ. Et cela se produit dans une profonde relation personnelle avec Lui, dans l’écoute de sa parole, en parcourant le chemin qu’il nous a indiqué, mais cela a lieu également indissociablement en croyant avec son Eglise, avec ses saints, chez qui se fait toujours à nouveau connaître le véritable visage de l’Epouse du Christ.

C’est un engagement — nous le savons — qui n’est pas toujours facile. Vous êtes parfois présents dans des lieux qui nécessitent une première annonce de l’Evangile, la missio ad gentes ; souvent, en revanche, dans des zones qui, bien qu’ayant connu le Christ, sont devenues indifférentes à la foi: le sécularisme y a éclipsé le sens de Dieu et voilé les valeurs chrétiennes. Que votre engagement et votre témoignage soient là comme le levain qui, avec patience, en respectant les temps, avec sensus Ecclesiae, fait croître toute la masse. L’Eglise a reconnu dans le Chemin un don particulier que l’Esprit Saint a donné à notre époque et l’approbation des Statuts et du « Directoire catéchétique » en sont un signe. Je vous encourage à offrir votre contribution originale à la cause de l’Evangile. Dans votre oeuvre précieuse recherchez toujours une profonde communion avec le Siège apostolique et avec les pasteurs des Eglises particulières dans lesquelles vous êtes insérés: l’unité et l’harmonie du Corps ecclésial sont un important témoignage au Christ et à son Evangile dans le monde dans lequel nous vivons.

Chères familles, l’Eglise vous remercie; elle a besoin de vous pour la nouvelle évangélisation. La famille est une cellule importante pour la communauté ecclésiale, où l’on se forme à la vie humaine et chrétienne. C’est avec une grande joie que je vois vos enfants, de nombreux enfants qui vous regardent, chers parents, qui regardent votre exemple. Une centaine de familles sont prêtes à partir pour 12 missions ad gentes. Je vous invite à ne pas avoir peur : celui qui apporte l’Evangile n’est jamais seul. Je salue avec affection les prêtres et les séminaristes : aimez le Christ et l’Eglise, transmettez la joie de l’avoir rencontré et la beauté de tout Lui avoir donné. Je salue également les itinérants, les responsables et toutes les communautés du Chemin. Continuez à être généreux avec le Seigneur : son réconfort ne vous fera jamais défaut !

Il y a un instant, vous a été lu le Décret par lequel sont approuvées les célébrations présentes dans le « Directoire catéchétique du Chemin néocatéchuménal », qui sont strictement liturgiques, mais qui font partie de l’itinéraire de croissance dans la foi. C’est un autre élément qui vous montre que l’Eglise vous accompagne avec attention avec un patient discernement, qui comprend votre richesse, mais qui tient également compte de la communion et de l’harmonie de tout le Corpus Ecclesiae.

Ce fait m’offre l’occasion de formuler une brève pensée sur la valeur de la liturgie. Le Concile Vatican ii la définit comme l’oeuvre du Christ prêtre et de son corps qui est l’Eglise (cf. Sacrosanctum Concilium SC 7). A première vue cela pourrait apparaître étrange, car il semble que l’oeuvre du Christ désigne les actions rédemptrices historiques de Jésus, sa Passion, sa Mort et sa Résurrection. En quel sens la liturgie est-elle alors l’oeuvre du Christ ? La Passion, la Mort et la Résurrection de Jésus ne sont pas seulement des événements historiques ; ils rejoignent et imprègnent l’histoire, mais ils la transcendent et demeurent toujours présents dans le coeur du Christ. Dans l’action liturgique de l’Eglise se trouve la présence active du Christ Ressuscité, qui rend aujourd’hui présent et concret le Mystère pascal lui-même, pour notre salut. Il nous attire dans cet acte du don de Soi qui est toujours présent dans son coeur et nous fait participer à cette présence du Mystère pascal. Cette oeuvre du Seigneur Jésus, qui est le véritable contenu de la liturgie, le fait d’entrer dans la présence du Mystère pascal, est également l’oeuvre de l’Eglise, qui, étant son corps, est un unique sujet avec le Christ — Christus totus caput et corpus — dit saint Augustin. Dans la célébration des sacrements, le Christ nous plonge dans le Mystère pascal pour nous faire passer de la mort à la vie, du péché à l’existence nouvelle en Christ.

Cela vaut de manière très particulière pour la célébration de l’Eucharistie, qui, étant le sommet de la vie chrétienne, est également le pivot de sa redécouverte, à laquelle le néocatéchuménat tend. Comme le disent vos statuts, « L’Eucharistie est essentielle au néocatéchuménat, en tant que catéchuménat post-baptismal, vécu en petite communauté » (art. 13 § 1). Précisément dans le but de favoriser le rapprochement avec la richesse de la vie sacramentelle de la part de personnes qui se sont éloignées de l’Eglise, ou qui n’ont pas reçu une formation adaptée, les néocatéchumènes peuvent célébrer l’Eucharistie dominicale dans la petite communauté, après les premières vêpres du dimanche, selon les dispositions de l’évêque diocésain (cf. Statuts, art. 13 § 2). Mais chaque célébration eucharistique est une action de l’unique Christ avec son unique Eglise et donc essentiellement ouverte à tous ceux qui appartiennent à cette Eglise qui est la sienne. Ce caractère public de l’Eucharistie s’exprime dans le fait que chaque célébration de la Messe est, en dernière analyse, dirigée par l’évêque comme membre du collège épiscopal, responsable pour une Eglise locale déterminée (cf. Conc. oecum. Vat. ii, Const. dogm. Lumen gentium LG 26). La célébration dans les petites communautés, réglementée par les livres liturgiques, qui doivent être suivis fidèlement, et avec les particularités approuvées dans les statuts du Chemin, a pour tâche d’aider ceux qui parcourent l’itinéraire néocatéchuménal à percevoir la grâce d’être insérés dans le mystère salvifique du Christ, qui rend possible un témoignage chrétien capable d’assumer également les caractéristiques de la radicalité. Dans le même temps, la maturation progressive dans la foi de l’individu et de la petite communauté doit favoriser leur insertion dans la vie de la grande communauté ecclésiale, qui trouve dans la célébration liturgique de la paroisse, dans laquelle et pour laquelle se réalise le néocatéchuménat (cf. Statuts, art. 6), sa forme ordinaire. Mais durant le chemin également, il est important de ne pas se séparer de la communauté paroissiale, précisément dans la célébration de l’Eucharistie qui est le lieu véritable de l’unité de tous, où le Seigneur nous embrasse aux différents stades de notre maturité spirituelle et nous unit dans l’unique pain qui fait de nous un unique corps (cf. 1Co 10, 16sq).

1394 Courage ! Le Seigneur vous accompagne et moi aussi je vous assure de ma prière et je vous remercie des nombreux signes de proximité. Je vous demande de vous rappeler également de moi dans vos prières. Que la Sainte Vierge Marie vous assiste avec son regard maternel et que vous soutienne ma Bénédiction apostolique, que j’étends à tous les membres du Chemin. Merci !




À L'OCCASION DE L’INAUGURATION DE L’ANNÉE JUDICIAIRE DU TRIBUNAL DE LA ROTE ROMAINE Salle Clémentine Samedi 21 janvier 2012

Chers membres du tribunal de la Rote romaine !

C’est pour moi un motif de grande joie de vous recevoir aujourd’hui pour notre rencontre annuelle, à l’occasion de l’inauguration de l’année judiciaire. J’adresse mes salutations au Collège des prélats auditeurs, à commencer par le doyen, Mgr Antoni Stankiewicz, que je remercie de ses paroles. Mes salutations cordiales vont aussi aux officiaux, aux avocats, aux autres collaborateurs, et à toutes les personnes présentes. Dans cette circonstance, je renouvelle l’expression de mon estime pour le ministère délicat et précieux que vous accomplissez au sein de l’Eglise et qui exige un engagement toujours renouvelé en raison de son incidence sur la salus animarum du Peuple de Dieu.

Au cours de ce rendez-vous de cette année, je voudrais partir d’un des événements ecclésiaux importants que nous vivrons dans quelques mois, je veux parler de l’Année de la foi, que, dans le sillon de mon vénéré prédécesseur, le Serviteur de Dieu Paul VI, j’ai voulu proclamer pour le cinquantième anniversaire de l’ouverture du Concile oecuménique Vatican II. Ce grand Pape — comme je l’ai écrit dans ma Lettre apostolique d’indiction — établit pour la première fois une telle période de réflexion «bien conscient des graves difficultés du temps, surtout en ce qui concerne la profession de la vraie foi et sa juste interprétation» [1].

En reprenant une exigence semblable, et en m’attachant au domaine qui intéresse plus directement votre service à l’Eglise, je voudrais aujourd’hui m’arrêter sur un aspect primordial du ministère judiciaire, à savoir l’interprétation de la loi canonique en vue de son application [2]. Le lien avec le thème que je viens d’évoquer — la juste interprétation de la foi — ne se réduit certes pas à une pure assonance sémantique, si l’on considère que le droit canonique trouve dans les vérités de foi son fondement et son sens propre, et que la lex agendi ne peut manquer de refléter la lex credendi.Par ailleurs, la question de l’interprétation de la loi canonique constitue un sujet très vaste et très complexe, face auquel je me limiterai à quelques remarques.

Tout d’abord, l’herméneutique du droit canonique est étroitement liée à la conception même de la loi de l’Eglise.

Si l’on tendait à identifier le droit canonique avec le système des lois canoniques, la connaissance de ce qui est juridique dans l’Eglise consisterait essentiellement à comprendre ce qu’établissent les textes juridiques. A première vue, cette approche semblerait pleinement valoriser la loi humaine. Mais il est évident qu’une telle conception est source d’appauvrissement : avec l’oubli pratique du droit naturel et du droit divin positif, ainsi que du rapport vital de chaque droit avec la communion et la mission de l’Eglise, le travail de l’interprète est privé du contact vital avec la réalité ecclésiale.

Ces derniers temps, certains courants de pensée ont mis en garde contre l’attachement excessif aux lois de l’Eglise, à commencer par les Codes, en les jugeant, précisément, une manifestation de légalisme. Par conséquent ont été proposées des voies herméneutiques permettant une approche plus conforme aux bases théologiques et aux intentions pastorales également de la norme canonique, en conduisant à une créativité juridique où la situation singulière deviendrait un facteur décisif pour établir la signification authentique du principe juridique dans le cas concret. La miséricorde, l’équité, l’oikonomia si chère à la tradition orientale, sont quelques-uns des concepts auxquels on a recours dans une opération interprétative de ce genre. Il faut immédiatement noter que cette manière de voir les choses ne constitue pas un dépassement du positivisme qu’elle dénonce, en se limitant à le remplacer par un autre dans lequel il est donné au travail interprétatif humain un rôle de premier plan dans l’établissement de ce qui est juridique. Il manque le sens d’un droit objectif qui reste à chercher, puisqu’il demeure dépendant de considérations qui prétendent être théologiques ou pastorales, mais en fin de compte qui sont exposées au risque de l’arbitraire. De cette manière, l’herméneutique juridique se trouve vidée de son sens: au fond, il importe peu de comprendre la disposition de la loi, du moment qu’elle peut être adaptée de manière dynamique à n’importe quelle solution, même opposée à sa lettre. Il y a assurément dans ce cas une référence à des phénomènes vitaux, dont on ne perçoit pas toutefois la dimension juridique intrinsèque.

Il existe une autre voie, où la compréhension adéquate de la loi canonique ouvre le chemin à un travail interprétatif qui s’inscrit dans la recherche de la vérité sur le droit et sur la justice dans l’Eglise. Comme j’ai voulu le rappeler au Parlement fédéral de mon pays, au Reichstag de Berlin [3], le vrai droit est inséparable de la justice. Le principe vaut bien sûr aussi pour la loi canonique, au sens que celle-ci ne peut pas être enfermée dans un système normatif purement humain, mais doit être reliée à un ordre juste de l’Eglise, où est en vigueur une loi supérieure. Dans cette optique, la loi positive humaine perd le primat que l’on voudrait lui attribuer, car le droit ne peut plus s’identifier simplement avec elle; en cela, toutefois, une loi humaine est valorisée en tant qu’expression de justice, tout d’abord en vertu de ce qu’elle déclare comme droit divin, mais aussi de ce qu’elle introduit comme détermination légitime de droit humain.

1395 De cette manière est rendue possible une herméneutique de la loi qui est authentiquement juridique, au sens où, en se mettant en harmonie avec la signification propre de la loi, on peut poser la question cruciale de ce qui est juste dans chaque cas singulier. Il faut observer, à ce propos, que pour saisir la signification propre de la loi, il faut toujours regarder la réalité qui est disciplinée et ce non seulement lorsque la loi est avant tout déclarative du droit divin, mais aussi lorsqu’elle introduit de façon constitutive des règles humaines. Celles-ci doivent être en effet interprétées également à la lumière de la réalité réglementée, qui contient toujours un noyau de droit naturel et divin positif, avec lequel chaque norme doit être en harmonie pour être rationnelle et véritablement juridique.

Dans une telle perspective réaliste, le travail interprétatif, parfois ardu, acquiert un sens et un objectif. Le recours aux moyens interprétatifs prévus par le Code de droit canonique dans le canon 17, à commencer par le «sens propre des mots dans le texte et le contexte», n’est plus un pur exercice logique. Il s’agit d’une tâche qui est vivifiée par un contact authentique avec la réalité d’ensemble de l’Eglise qui permet de pénétrer dans le sens véritable de la lettre de la loi. Il arrive alors quelque chose de semblable à ce que j’ai dit à propos du processus intérieur de Saint Augustin dans l’herméneutique biblique: «le dépassement de la lettre a rendu crédible la lettre elle-même» [4]. Ainsi se trouve confirmé que dans l’herméneutique de la loi également, l’authentique horizon est celui de la vérité juridique qu’il faut aimer, rechercher et servir.

Il s’ensuit que l’interprétation de la loi canonique doit advenir dans l’Eglise. Il ne s’agit pas d’une pure circonstance extérieure, contextuelle: c’est un rappel à l’humus même de la loi canonique et des réalités qu’elle réglemente. Le sentire cum Ecclesia a également un sens dans cette discipline, en raison des fondements doctrinaux qui ont toujours été présents et à l’oeuvre dans les normes juridiques de l’Eglise. De cette manière, il faut appliquer également à la loi canonique cette herméneutique du renouveau dans la continuité dont j’ai parlé en référence au Concile Vatican II [5], si étroitement lié à la législation canonique actuelle. La maturité chrétienne conduit à aimer toujours davantage la loi et à vouloir la comprendre et l’appliquer avec fidélité.

Ces attitudes fondamentales s’appliquent à toutes les catégories d’interprétation: de la recherche scientifique sur le droit canonique, au travail des professionnels juridiques dans le domaine judiciaire ou administratif, jusqu’à la recherche quotidienne de solutions justes dans la vie des fidèles et des communautés. Il faut un esprit de docilité pour accueillir les lois, en essayant d’étudier avec honnêteté et dévouement la tradition juridique de l’Eglise pour pouvoir s’identifier avec elle ainsi qu’avec les dispositions légales émanant des pasteurs, notamment les lois pontificales, ainsi que le magistère sur les questions canoniques, qui a en soi un caractère d’obligation sur ce qu’il enseigne en matière de droit [6]. C’est uniquement de cette manière que l’on pourra discerner les affaires où les circonstances concrètes exigent une solution équitable pour atteindre la justice que la norme générale humaine n’a pas pu prévoir, et on sera en mesure de manifester en esprit de communion ce qui peut servir à améliorer le système législatif.

Ces réflexions acquièrent une importance particulière dans le cadre des lois concernant l’acte constitutif du mariage et sa consommation et la réception de l’Ordre sacré, et de celles liées aux procès qui s’y rattachent. Ici, l’harmonie avec le vrai sens de la loi de l’Eglise devient une question d’une incidence pratique large et profonde dans la vie des personnes et des communautés et exige une attention particulière. Il faut notamment appliquer tous les moyens ayant valeur d’obligation juridique qui tendent à assurer cette unité dans l’interprétation et dans l’application des lois qui est exigée par la justice: le magistère pontifical concernant spécifiquement ce domaine, contenu notamment dans les allocutions à la Rote romaine; la jurisprudence de la Rote romaine, sur l’importance de laquelle j’ai déjà eu l’occasion de vous entretenir [7]; les normes et les déclarations émanant d’autres dicastères de la Curie romaine. Une telle unité herméneutique dans ce qui est essentiel ne porte en rien préjudice aux fonctions des tribunaux locaux, appelés à se confronter les premiers avec la complexité des situations réelles qui se présentent dans tous les contextes culturels. Chacun d’eux, en effet, est tenu à procéder avec un sens élevé à l’égard de la vérité sur le droit, en essayant de pratiquer de manière exemplaire, dans l’application des institutions judiciaires et administratives, la communion dans la discipline, en tant qu’aspect essentiel de l’unité de l’Eglise.

En arrivant à la conclusion de ce moment de rencontre et de réflexion, je voudrais rappeler la récente innovation — à laquelle a fait référence Mgr Stankiewicz — en vertu de laquelle ont été transférées à un bureau au sein de ce Tribunal apostolique les compétences portant sur les procédures de dispense du mariage célébré et non consommé et les causes de nullité de l’ordination sacrée [8]. Je suis assuré de l’accueil généreux qui sera réservé à ce nouvel engagement ecclésial.

En vous encourageant pour votre oeuvre précieuse, qui exige un travail fidèle, quotidien et exigeant, je vous confie à l’intercession de la Bienheureuse Vierge Marie, Speculum iustitiae, et je vous donne avec plaisir ma Bénédiction apostolique.

[1] Motu pr. Porta fidei, 11 octobre 2011, 5: «L’Osservatore Romano», 17-18 octobre 2011, p. 4. Version française: ORLF n. 42 du 27 octobre 2011.

[2] Cf. can. 16, § 3 cic; can. 1498, § 3 CCEO.

[3] Cf. Discours au Parlement fédéral de la République fédérale d’Allemagne, 22 septembre 2011: «L’Osservatore Romano», 24 septembre 2011, pp. 6-7. Version française: ORLF n. 39 du 29 septembre 2011.

[4] Cf. Exhort. ap. post-synodale Verbum Domini, 30 septembre 2010, 38: AAS 102 (2010), p. 718, n. 38.

1396 [5] Cf. Discours à la Curie romaine, 22 décembre 2005: AAS 98 (2006), pp. 40-53. Version française: ORLF n. 52 du 27 décembre 2005.

[6] Cf. Jean-Paul II, Allocution à la Rote romaine, 29 janvier 2005, 6: AAS 97 (2005), pp. 165-166. Version française: ORLF n. 6 du 8 février 2005.

[7] Cf. Allocution à la Rote romaine, 26 janvier 2008: AAS 100 (2008), pp. 84-88. Version française: ORLF n. 5 du 5 février 2008.

[8] Cf. Motu pr. Quaerit semper, 30 août 2011: «L’Osservatore Romano», 28 septembre 2011, p. 7. Version française: ORLF n. 41 du 13 octobre 2011.

DISCOURS

AUX SUPÉRIEURS ET SÉMINARISTES

DES SÉMINAIRES PONTIFICAUX DE CAMPANIE, DE CALABRE ET D'OMBRIE À L'OCCASION DU CENTENAIRE DE LEUR FONDATION


Salle Clémentine Jeudi 26 janvier 2012


Messieurs les cardinaux, vénérés frères et chers séminaristes !

Je suis très heureux de vous accueillir à l’occasion du centenaire de la fondation des séminaires pontificaux de Campanie, de Calabre et d’Ombrie. Je salue mes confrères dans l’épiscopat et dans le sacerdoce, les trois recteurs avec leurs collaborateurs et les enseignants, et surtout je vous salue avec affection, chers séminaristes ! La naissance de ces trois séminaires régionaux, en 1912, doit être placée dans le cadre de la vaste oeuvre de développement de la formation des candidats au sacerdoce menée par le Pape saint Pie x, en continuité avec Léon XIII. Pour affronter les exigences accrues de formation, la route entreprise fut d’unir les séminaires diocésains en nouveaux séminaires régionaux. Elle fut accompagnée par la réforme des études théologiques, qui produisit une élévation sensible du niveau qualitatif, grâce à l’acquisition d’une culture de base commune à tous et à une période d’étude suffisamment longue et bien structurée. La Compagnie de Jésus joua un rôle important à cet égard. En effet, c’est aux jésuites que fut confiée la direction de cinq séminaires régionaux, dont celui de Catanzaro, de 1926 à 1941, et celui du Pausilippe de sa fondation jusqu’à aujourd’hui. Mais la formation académique ne fut pas la seule à en tirer profit, car la promotion de la vie commune entre jeunes séminaristes provenant de réalités diocésaines différentes favorisa un enrichissement humain important. Le cas du séminaire campanien du Pausilippe est particulier ; il fut ouvert en 1935 à toutes les régions du sud, après qu’on lui eut reconnu la possibilité d’accorder les diplômes académiques.

Dans le contexte historique et ecclésial actuel, l’expérience des séminaires régionaux se présente encore fort intéressante et valable. Grâce à la collaboration avec des facultés et des instituts de théologie, elle permet d’avoir accès à des parcours d’étude de niveau élevé, favorisant une préparation adaptée au panorama culturel et social complexe dans lequel nous vivons. En outre, le caractère interdiocésain se révèle un «laboratoire» de communion efficace, qui se développe dans la rencontre avec des sensibilités différentes qui doivent être harmonisées dans l’unique service à l’Eglise du Christ. Dans ce sens, les séminaires régionaux fournissent une contribution incisive et concrète au chemin de communion des diocèses, en favorisant la connaissance, la capacité de collaboration et l’enrichissement d’expériences ecclésiales entre futurs prêtres, entre les formateurs et les pasteurs des Eglises particulières eux-mêmes. La dimension régionale se présente, en outre, comme un intermédiaire utile entre les orientations de l’Eglise universelle et les exigences des réalités locales, en évitant le risque du particularisme. Chers amis, vos régions sont riches de grands patrimoines spirituels et culturels, alors qu’elles vivent de nombreuses difficultés sociales. Pensons, par exemple, à l’Ombrie, patrie de saint François et de saint Benoît ! Imprégnée de spiritualité, l’Ombrie est le but incessant de pèlerinages. Dans le même temps, cette petite région souffre comme d’autres, voire plus, de la conjoncture économique défavorable. En Campanie et en Calabre, la vitalité de l’Eglise locale, alimentée par un sentiment religieux encore vivant grâce à de solides traditions et dévotions, doit se traduire dans une évangélisation renouvelée. Dans ces terres, le témoignage des communautés ecclésiales doit prendre en compte les profondes urgences sociales et culturelles, le manque de travail, en particulier pour les jeunes, ou le phénomène de la criminalité organisée.

Le contexte culturel actuel exige une solide préparation philosophique et théologique des futurs prêtres. Comme je l’ai écrit dans ma lettre aux séminaristes, en conclusion de l’Année sacerdotale, il ne s’agit pas seulement d’apprendre des choses évidemment utiles, mais de connaître et de comprendre la structure interne de la foi dans sa totalité, qui n’est pas l’index d’une thèse, mais qui est un organisme, une vision organique, de manière à ce qu’elle devienne une réponse aux questions des hommes, qui changent, du point de vue extérieur, de génération en génération, mais qui cependant restent au fond les mêmes (cf. n. 5). En outre, l’étude de la théologie doit toujours avoir un lien intense avec la vie de prière. Il est important que le séminariste comprenne bien que, alors qu’il s’applique à cet objet, c’est en réalité un « Sujet » qui l’interpelle, ce Seigneur qui lui a fait entendre sa voix en l’invitant à consacrer sa vie au service de Dieu et de ses frères. Ainsi pourra se réaliser chez le séminariste aujourd’hui et chez le prêtre demain, cette unité de vie souhaitée par le document conciliaire Presbyterorum ordinis (n. 14), qui trouve son expression visible dans la charité pastorale, « le principe intérieur, la vertu qui anime et guide la vie spirituelle du prêtre, en tant que configuré au Christ Tête » (Jean-Paul II, Exhort. apos. post-synodale Pastores dabo vobis PDV 23). En effet, une intégration harmonieuse entre le ministère, avec ses multiples activités, et la vie spirituelle du prêtre est indispensable. « Pour le prêtre, qui devra accompagner les autres le long du chemin de la vie et jusqu’aux portes de la mort, il est important qu’il ait lui-même mis en juste équilibre le coeur et l’intelligence, la raison et le sentiment, le corps et l’âme, et qu’il soit humainement “intègre” » (Lettre aux séminaristes, n. 6). Telles sont les raisons qui poussent à prêter une grande attention à la dimension humaine de la formation des candidats au sacerdoce. C’est en effet dans notre humanité que nous nous présentons devant Dieu, pour être devant nos frères d’authentiques hommes de Dieu. En effet, celui qui veut devenir prêtre, doit surtout être un « homme de Dieu », comme l’écrit saint Paul à son élève Timothée (1Tm 6,11)... C’est pourquoi ce qui est le plus important sur le chemin vers le sacerdoce et au cours de toute la vie sacerdotale est la relation personnelle avec Dieu en Jésus Christ (cf. Lettre aux séminaristes, n. 1).

Le bienheureux Pape Jean XXIII, en recevant les supérieurs et les élèves du séminaire de Campanie, à l’occasion du 50e anniversaire de sa fondation, à la veille du Concile Vatican ii, exprima ainsi cette ferme conviction : « C’est à cela que tend votre éducation, dans l’attente de la mission qui vous sera confiée pour la gloire de Dieu et le salut des âmes: former l’esprit, sanctifier la volonté. Le monde attend des saints : il attend cela en particulier. Avant même des prêtres cultivés, éloquents, informés, il y a besoin de prêtres saints et sanctificateurs ». Ces paroles retentissent de manière encore actuelle, car dans toute l’Eglise, tout comme dans vos régions particulières de provenance, est plus fort que jamais le besoin d’ouvriers de l’Evangile, de témoins crédibles et de promoteurs de sainteté à travers leur vie elle-même. Puisse chacun de vous répondre à cet appel ! Je vous assure de ma prière pour cela, alors que je vous confie à la direction maternelle de la Bienheureuse Vierge Marie et que je vous donne de tout coeur ma Bénédiction apostolique particulière. Merci.




AUX PARTICIPANTS À L'ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE DE LA CONGRÉGATION POUR LA DOCTRINE DE LA FOI Salle Clémentine Vendredi 27 janvier 2012

Messieurs les cardinaux,
vénérés frères dans l’épiscopat et dans le sacerdoce,
chers frères et soeurs !

C’est toujours pour moi un motif de joie de pouvoir vous rencontrer à l’occasion de votre assemblée plénière et de vous exprimer ma satisfaction pour le service que vous accomplissez pour l’Eglise et en particulier pour le Successeur de Pierre dans son ministère de confirmer ses frères dans la foi (cf. Lc 22,32). Je remercie le cardinal William Levada pour sa cordiale adresse de salut, dans laquelle il a rappelé plusieurs engagements importants accomplis par le dicastère au cours de ces dernières années. Et je suis particulièrement reconnaissant à la Congrégation qui, en collaboration avec le Conseil pontifical pour la promotion de la nouvelle évangélisation, prépare l’Année de la foi, en saisissant dans celle-ci un moment propice pour reproposer à tous le don de la foi dans le Christ ressuscité, le lumineux enseignement du Concile Vatican II et la précieuse synthèse doctrinale offerte par le Catéchisme de l’Eglise catholique.

Comme nous le savons, dans de vastes zones de la terre, la foi court le risque de s’éteindre comme une flamme qui ne trouve plus à s’alimenter. Nous nous trouvons face à une profonde crise de la foi, à une perte du sens religieux qui constitue le plus grand défi pour l’Eglise d’aujourd’hui. De nos jours, le renouveau de la foi doit donc être la priorité de l’engagement de l’Eglise tout entière. Je souhaite que l’Année de la foi puisse contribuer, avec la collaboration cordiale de tous les membres du peuple de Dieu, à rendre Dieu à nouveau présent dans ce monde et à ouvrir aux hommes l’accès à la foi, à se confier à ce Dieu qui nous a aimés jusqu’à la fin (cf. Jn 13,1), en Jésus Christ crucifié et ressuscité.

Le thème de l’unité des chrétiens est étroitement lié à cette tâche. Je voudrais donc m’arrêter sur plusieurs aspects doctrinaux concernant le chemin oecuménique de l’Eglise, qui a fait l’objet d’une réflexion approfondie au cours de cette assemblée plénière, en concomitance avec la conclusion de la semaine annuelle de prière pour l’unité des chrétiens. En effet, l’élan de l’oeuvre oecuménique doit partir de cet « oecuménisme spirituel », de cette « âme de tout le mouvement oecuménique » (Unitatis redintegratio UR 8), qui se trouve dans l’esprit de la prière « pour que tous soient un » (Jn 17,21).

La cohérence de l’engagement oecuménique avec l’enseignement du Concile Vatican II et avec toute la tradition a été l’un des domaines auquel la Congrégation, en collaboration avec le Conseil pontifical pour la promotion de l’unité des chrétiens, a toujours prêté attention. Aujourd’hui, nous pouvons constater de nombreux fruits positifs suscités par les dialogues oecuméniques, mais nous devons également reconnaître que le risque d’un faux irénisme et d’un indifférentisme, totalement étranger à l’esprit du Concile Vatican II, exige notre vigilance. Cet indifférentisme est causé par l’opinion toujours plus diffuse que la vérité ne serait pas accessible à l’homme ; il serait donc nécessaire de se limiter à trouver des règles pour une pratique en mesure d’améliorer le monde. Et ainsi, la foi serait remplacée par un moralisme, sans fondement profond. Le centre du véritable oecuménisme est en revanche la foi, dans laquelle l’homme rencontre la vérité qui se révèle dans la Parole de Dieu. Sans la foi, tout le mouvement oecuménique serait réduit à une forme de « contrat social » auquel adhérer au nom d’un intérêt commun, une « praxéologie » pour créer un monde meilleur. La logique du Concile Vatican II est complètement différente : la recherche sincère de la pleine unité de tous les chrétiens est un dynamisme animé par la Parole de Dieu, par la Vérité divine qui nous parle dans cette Parole.

Le problème crucial, qui marque de manière transversale les dialogues oecuméniques, est donc la question de la structure de la révélation — la relation entre l’Ecriture Sainte, la Tradition vivante dans la Sainte Eglise et le ministère des successeurs des apôtres comme témoins de la foi véritable. Ici, la problématique de l’ecclésiologie, qui fait partie de ce problème, est implicite : comment la vérité de Dieu arrive-t-elle jusqu’à nous. Par ailleurs, le discernement entre la Tradition avec un T majuscule, et les traditions, est ici fondamental. Je ne voudrais pas entrer dans les détails, je ferai juste une observation. Un pas important de ce discernement a été accompli dans la préparation et dans l’application des mesures pour les groupes de fidèles provenant de l’anglicanisme, qui désirent entrer dans la pleine communion de l’Eglise, dans l’unité de la Tradition divine commune et essentielle, en conservant leurs propres traditions spirituelles, liturgiques et pastorales, qui sont conformes à la foi catholique (cf. Const. Anglicanorum coetibus, art. III). En effet, il existe une richesse spirituelle dans les diverses confessions chrétiennes, qui est l’expression de l’unique foi et un don à partager et à trouver ensemble dans la tradition de l’Eglise.

De plus, l’une des questions fondamentales est aujourd’hui constituée par la problématique des méthodes adoptées dans les divers dialogues oecuméniques. Eux aussi doivent refléter la priorité de la foi. Connaître la vérité est le droit de l’interlocuteur dans tout véritable dialogue. C’est l’exigence même de la charité envers notre frère. Dans ce sens, il faut affronter avec courage également les questions controversées, toujours dans un esprit de fraternité et de respect réciproque. En outre, il est important d’offrir une interprétation correcte de cet « ordre ou “hiérarchie” dans les vérités de la doctrine catholique », que mentionne le décret Unitatis redintegratio (n. 11), ce qui ne signifie en aucune manière réduire le dépôt de la foi, mais en faire apparaître la structure interne, le caractère organique de cette unique structure. Les documents d’étude produits par les divers dialogues oecuméniques ont également une grande importance. Ces textes ne peuvent pas être ignorés, car ils constituent un fruit important, bien que provisoire, de la réflexion commune mûrie au cours des années. Ceux-ci doivent cependant être reconnus dans leur juste signification, comme des contributions offertes à l’Autorité compétente de l’Eglise, qui est la seule appelée à les juger de manière définitive. En dernière analyse, accorder à ces textes une valeur contraignante ou ayant presque une valeur de conclusion pour les questions épineuses des dialogues, sans l’évaluation due par l’Autorité ecclésiale, n’aiderait pas le chemin vers une pleine unité de la foi.

Une dernière question que je voudrais finalement mentionner est la problématique morale, qui constitue un nouveau défi pour le chemin oecuménique. Dans les dialogues, nous ne pouvons pas ignorer les grandes questions morales à propos de la vérité humaine, de la famille, de la sexualité, de la bioéthique, de la liberté, de la justice et de la paix. Il sera important de se prononcer sur ces thèmes d’une seule voix, en puisant au fondement dans l’Ecriture et dans la tradition vivante de l’Eglise. Cette tradition nous aide à déchiffrer le langage du Créateur dans sa création. En défendant les valeurs fondamentales de la grande tradition de l’Eglise, nous défendons l’homme, nous défendons la création.


Discours 2005-2013 28112