Benoît XVI Homélies 15805


VOYAGE APOSTOLIQUE À COLOGNE À L'OCCASION DE LA XX JOURNÉE MONDIALE DE LA JEUNESSE


Messe de Marienfeld - Dimanche 21 août 2005

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Cologne



Paroles du Saint-Père au début de la Messe:

Cher Cardinal Meisner,
Chers jeunes!

Je voudrais te remercier cordialement, cher confrère dans l'épiscopat, pour tes paroles émouvantes qui nous introduisent de façon si opportune dans cette célébration liturgique. J'aurais voulu parcourir en "papamobile" tout le territoire de long en large pour être le plus proche possible de chacun individuellement. En raison de la difficulté des passages cela n'a pas été possible, mais je salue chacun de tout coeur. Le Seigneur voit et aime chaque personne en particulier. Tous ensemble, nous formons l'Eglise vivante et nous rendons grâce au Seigneur pour cette heure où Il nous donne le mystère de sa présence et la possibilité d'être en communion avec Lui.

Nous savons tous que nous sommes imparfaits, que nous ne pouvons pas être pour Lui une maison appropriée. C'est pourquoi nous commençons la Messe en nous recueillant et en priant le Seigneur d'effacer en nous tout ce qui nous sépare de Lui et qui nous sépare les uns des autres. Qu'il nous fasse ainsi le don de célébrer dignement les Saints Mystères.
***




Chers jeunes!

Devant la sainte Hostie, dans laquelle Jésus s'est fait pour nous pain qui soutient et nourrit notre vie de l'intérieur (cf.
Jn 6,35), nous avons commencé hier soir le cheminement intérieur de l'adoration. Dans l'Eucharistie, l'adoration doit devenir union. Dans la Célébration eucharistique, nous nous trouvons en cette "heure" de Jésus dont parle l'Evangile de Jean. Grâce à l'Eucharistie son "heure" devient notre heure, sa présence au milieu de nous. Avec ses disciples, Il a célébré la cène pascale d'Israël, le mémorial de l'action libératrice de Dieu qui avait conduit Israël de l'esclavage à la liberté. Jésus suit les rites d'Israël. Il récite sur le pain la prière de louange et de bénédiction. Mais ensuite, se produit quelque chose de nouveau. Il ne remercie pas Dieu seulement pour ses grandes oeuvres du passé; il le remercie pour sa propre exaltation, qui se réalisera par la Croix et la Résurrection, et il s'adresse aussi aux disciples avec des mots qui contiennent la totalité de la Loi et des Prophètes: "Ceci est mon Corps donné pour vous en sacrifice. Ce calice est la Nouvelle Alliance en mon Sang". Il distribue alors le pain et le calice, et en même temps il leur confie la mission de redire et de refaire toujours de nouveau en sa mémoire ce qu'il est en train de dire et de faire en ce moment.

Qu'est ce qui est en train de se passer? Comment Jésus peut-il donner son Corps et son Sang? Faisant du pain son Corps et du vin son Sang, il anticipe sa mort, il l'accepte au plus profond de lui-même et il la transforme en un acte d'amour. Ce qui de l'extérieur est une violence brutale - la crucifixion -, devient de l'intérieur l'acte d'un amour qui se donne totalement. Telle est la transformation substantielle qui s'est réalisée au Cénacle et qui visait à faire naître un processus de transformations, dont le terme ultime est la transformation du monde jusqu'à ce que Dieu soit tout en tous (cf. 1Co 15,28). Depuis toujours, tous les hommes, d'une manière ou d'une autre, attendent dans leur coeur un changement, une transformation du monde. Maintenant se réalise l'acte central de transformation qui est seul en mesure de renouveler vraiment le monde: la violence se transforme en amour et donc la mort en vie. Puisque cet acte change la mort en amour, la mort comme telle est déjà dépassée au plus profond d'elle-même, la résurrection est déjà présente en elle. La mort est, pour ainsi dire, intimement blessée, de telle sorte qu'elle ne peut avoir le dernier mot. Pour reprendre une image qui nous est familière, il s'agit d'une fission nucléaire portée au plus intime de l'être - la victoire de l'amour sur la haine, la victoire de l'amour sur la mort. Seule l'explosion intime du bien qui vainc le mal peut alors engendrer la chaîne des transformations qui, peu à peu, changeront le monde. Tous les autres changements demeurent superficiels et ne sauvent pas. C'est pourquoi nous parlons de rédemption: ce qui du plus profond était nécessaire se réalise, et nous pouvons entrer dans ce dynamisme. Jésus peut distribuer son Corps, parce qu'il se donne réellement lui-même.

Cette première transformation fondamentale de la violence en amour, de la mort en vie, entraîne à sa suite les autres transformations. Le pain et le vin deviennent son Corps et son Sang. Cependant, la transformation ne doit pas s'arrêter là, c'est plutôt à ce point qu'elle doit commencer pleinement. Le Corps et le Sang du Christ nous sont donnés afin que, nous-mêmes, nous soyons transformés à notre tour. Nous-mêmes, nous devons devenir Corps du Christ, consanguins avec Lui. Tous mangent l'unique pain, mais cela signifie qu'entre nous nous devenions une seule chose. L'adoration, avons-nous dit, devient ainsi union. Dieu n'est plus seulement en face de nous, comme le Totalement Autre. Il est au-dedans de nous, et nous sommes en Lui. Sa dynamique nous pénètre et, à partir de nous, elle veut se propager aux autres et s'étendre au monde entier, pour que son amour devienne réellement la mesure dominante du monde. Je trouve une très belle allusion à ce nouveau pas que la dernière Cène nous pousse à faire dans les différents sens que le mot "adoration" a en grec et en latin. Le mot grec est proskynesis. Il signifie le geste de la soumission, la reconnaissance de Dieu comme notre vraie mesure, dont nous acceptons de suivre la règle. Il signifie que liberté ne veut pas dire jouir de la vie, se croire absolument autonomes, mais s'orienter selon la mesure de la vérité et du bien, pour devenir de cette façon, nous aussi, vrais et bons. Cette attitude est nécessaire, même si, dans un premier temps, notre soif de liberté résiste à une telle perspective. Il ne sera possible de la faire totalement nôtre que dans le second pas que la dernière Cène nous entrouvre. Le mot latin pour adoration est ad-oratio - contact bouche à bouche, baiser, accolade et donc en définitive amour. La soumission devient union, parce que celui auquel nous nous soumettons est Amour. Ainsi la soumission prend un sens, parce qu'elle ne nous impose pas des choses étrangères, mais nous libère à partir du plus profond de notre être.

Revenons encore à la dernière Cène. La nouveauté qui s'y est produite, résidait dans la nouvelle profondeur que prenait l'ancienne prière de bénédiction d'Israël, qui devient alors la parole de la transformation et nous donne à nous de participer à l'heure du Christ. Jésus ne nous a pas donné la mission de répéter la Cène pascale, qui, du reste, en tant qu'anniversaire, ne peut pas se répéter à volonté. Il nous a donné la mission d'entrer dans son "heure". Nous y entrons grâce à la parole qui vient du pouvoir sacré de la consécration - une transformation qui se réalise par la prière de louange, qui nous met en continuité avec Israël et avec toute l'histoire du salut, et qui en même temps nous donne la nouveauté vers laquelle cette prière tendait par sa nature la plus profonde. Cette prière - appelée par l'Eglise "prière eucharistique" - constitue l'Eucharistie. Elle est parole de pouvoir, qui transforme les dons de la terre de façon tout à fait nouvelle en don de soi de Dieu et qui nous engage dans ce processus de transformation. C'est pourquoi nous appelons cet événement Eucharistie, traduction du mot hébraïque beracha - remerciement, louange, bénédiction, et ainsi transformation à partir du Seigneur: présence de son "heure". L'heure de Jésus est l'heure où l'amour est vainqueur. En d'autres termes: c'est Dieu qui a vaincu, parce qu'Il est l'Amour. L'heure de Jésus veut devenir notre heure et elle le deviendra, si nous-mêmes, par la célébration de l'Eucharistie, nous nous laissons entraîner dans ce processus de transformations que le Seigneur a en vue. L'Eucharistie doit devenir le centre de notre vie. Ce n'est ni positivisme ni soif de pouvoir, si l'Eglise nous dit que l'Eucharistie fait partie du dimanche. Au matin de Pâques, les femmes en premier, puis les disciples, eurent la grâce de voir le Seigneur. Depuis lors, ils surent que désormais le premier jour de la semaine, le dimanche, serait son jour à Lui, le jour du Christ. Le jour du commencement de la création devenait le jour du renouvellement de la création. Création et rédemption vont ensemble. C'est pour cela que le dimanche est aussi important. Il est beau qu'aujourd'hui, dans de nombreuses cultures, le dimanche soit un jour libre ou, qu'avec le samedi, il constitue même ce qu'on appelle le "week-end" libre. Ce temps libre, toutefois, demeure vide si Dieu n'y est pas présent. Chers amis! Quelquefois, dans un premier temps, il peut s'avérer plutôt mal commode de devoir prévoir aussi la Messe dans le programme du dimanche. Mais si vous en prenez l'engagement, vous constaterez aussi que c'est précisément ce qui donne le juste centre au temps libre. Ne vous laissez pas dissuader de participer à l'Eucharistie dominicale et aidez aussi les autres à la découvrir. Parce que la joie dont nous avons besoin se dégage d'elle, nous devons assurément apprendre à en comprendre toujours plus la profondeur, nous devons apprendre à l'aimer. Engageons-nous en ce sens - cela en vaut la peine! Découvrons la profonde richesse de la liturgie de l'Eglise et sa vraie grandeur: nous ne faisons pas la fête pour nous, mais c'est au contraire le Dieu vivant lui-même qui prépare une fête pour nous. En aimant l'Eucharistie, vous redécouvrirez aussi le sacrement de la Réconciliation, dans lequel la bonté miséricordieuse de Dieu permet toujours un nouveau commencement à notre vie.

Qui a découvert le Christ se doit de conduire les autres vers Lui. On ne peut garder pour soi une grande joie. Il faut la transmettre. Dans de vastes parties du monde, il existe aujourd'hui un étrange oubli de Dieu. Il semble que rien ne change même s'il n'est pas là. Mais, en même temps, il existe aussi un sentiment de frustration, d'insatisfaction de tout et de tous. On ne peut alors que s'exclamer: Il n'est pas possible que ce soit cela la vie! Non vraiment. Et alors conjointement à l'oubli de Dieu, il existe comme un "boom" du religieux. Je ne veux pas discréditer tout ce qu'il y a dans cette tendance. Il peut y avoir aussi la joie sincère de la découverte. Mais dans ce contexte, la religion devient presque un produit de consommation. On choisit ce qui plaît, et certains savent aussi en tirer un profit. Mais la religion recherchée comme une sorte de "bricolage", en fin de compte ne nous aide pas. Elle est commode, mais dans les moments de crise, elle nous abandonne à nous-mêmes. Aidez les hommes à découvrir la véritable étoile qui nous indique la route: Jésus Christ! Nous aussi, nous cherchons à le connaître toujours mieux pour pouvoir conduire les autres vers lui de manière convaincante. C'est pourquoi il est si important d'aimer la Sainte Ecriture et, par conséquent, de connaître la foi de l'Eglise qui nous ouvre le sens de l'Ecriture. C'est l'Esprit Saint qui guide l'Eglise dans sa foi en croissance, et c'est Lui qui l'a faite et qui la fait pénétrer toujours plus dans les profondeurs de la vérité (cf. Jn 16,13). Le Pape Jean-Paul II nous a donné une oeuvre merveilleuse, dans laquelle la foi des siècles est expliquée de façon synthétique: le Catéchisme de l'Eglise catholique. Moi-même, récemment, j'ai pu présenter l'Abrégé de ce Catéchisme, qui a également été élaboré à la demande du Pape défunt. Ce sont deux livres fondamentaux que je voudrais vous recommander à tous.

Evidemment, les livres à eux seuls ne suffisent pas. Formez des communautés fondées sur la foi! Au cours des dernières décennies sont nés des mouvements et des communautés dans lesquelles la force de l'Evangile se fait sentir avec vigueur. Cherchez la communion dans la foi en étant ensemble des compagnons de route qui continuent à suivre le chemin du grand pèlerinage que les Mages d'Orient nous ont indiqué les premiers! La spontanéité des nouvelles communautés est importante, mais il est aussi important de conserver la communion avec le Pape et avec les Evêques. Ce sont eux qui garantissent qu'on ne recherche pas des sentiers privés, mais au contraire qu'on vit dans la grande famille de Dieu que le Seigneur a fondée avec les douze Apôtres.

Encore une fois je dois revenir à l'Eucharistie. "Puisqu'il y a un seul pain, la multitude que nous sommes est un seul corps" dit saint Paul (1Co 10,17). En cela il entend dire: Puisque nous recevons le même Seigneur et que Lui nous accueille et nous attire en lui, nous sommes une seule chose aussi entre nous. Cela doit se manifester dans la vie. Cela doit se voir dans la capacité à pardonner. Cela doit se manifester dans la sensibilité aux besoins de l'autre. Cela doit se manifester dans la disponibilité à partager. Cela doit se manifester dans l'engagement envers le prochain, celui qui est proche comme celui qui est extérieurement loin, mais qui nous regarde toujours de près. Il existe aujourd'hui des formes de bénévolat, des modèles de service mutuel, dont notre société a précisément un besoin urgent. Nous ne devons pas, par exemple, abandonner les personnes âgées à leur solitude, nous ne devons pas passer à côté de ceux qui souffrent. Si nous pensons et si nous vivons dans la communion avec le Christ, alors nos yeux s'ouvriront. Alors nous ne nous contenterons plus de vivoter, préoccupés seulement de nous-mêmes, mais nous verrons où et comment nous sommes nécessaires. En vivant et en agissant ainsi, nous nous apercevrons bien vite qu'il est beaucoup plus beau d'être utiles et d'être à la disposition des autres que de se préoccuper seulement des facilités qui nous sont offertes. Je sais que vous, en tant que jeunes, vous aspirez aux grandes choses, que vous voulez vous engager pour un monde meilleur. Montrez-le aux hommes, montrez-le au monde, qui attend justement ce témoignage des disciples de Jésus Christ et qui, surtout par votre amour, pourra découvrir l'étoile que, comme croyants, nous suivons.

Allons de l'avant avec le Christ et vivons notre vie en vrais adorateurs de Dieu! Amen!


OUVERTURE DE LA XI ASSEMBLÉE GÉNÉRALE ORDINAIRE DU SYNODE DES ÉVÊQUES - Dimanche 2 octobre 2005

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Basilique Saint-Pierre


Chers frères dans l'épiscopat et dans le sacerdoce!

Chers frères et soeurs!

La lecture tirée du prophète Isaïe et l'Evangile de ce jour placent sous nos yeux l'une des grandes images de l'Ecriture Sainte: l'image de la vigne. Dans l'Ecriture Sainte, le pain représente tout ce dont l'homme a besoin dans sa vie quotidienne. L'eau donne à la terre la fertilité: c'est le don fondamental, qui rend possible la vie. Le vin, en revanche, exprime la délicatesse de la création, il nous offre la fête dans laquelle nous dépassons les limites du quotidien: le vin, dit le Psalmiste, "réjouit le coeur". Ainsi, le vin et avec lui la vigne sont également devenus des images du don de l'amour, dans lequel nous pouvons faire dans une certaine mesure l'expérience de la saveur du Divin. Et ainsi la lecture du prophète, que nous venons à peine d'entendre, commence comme un cantique d'amour: Dieu s'est créé une vigne - c'est là une image de son histoire d'amour avec l'humanité, de son amour pour Israël, qu'Il s'est choisi. Le premier enseignement des lectures d'aujourd'hui est donc celui-ci: à l'homme, créé à son image, Dieu a insufflé sa capacité d'aimer et donc la capacité de L'aimer Lui aussi, son Créateur. A travers le cantique d'amour du prophète Isaïe, Dieu veut parler au coeur de son peuple - ainsi qu'à chacun de nous. "Je t'ai créé à mon image et ressemblance", dit-il à chacun de nous. "Moi-même, je suis l'amour, et tu es mon image dans la mesure où, en toi, brille la splendeur de l'amour, dans la mesure où tu me réponds avec amour". Dieu nous attend. Il veut être aimé de nous: un semblable appel ne devrait-il donc pas toucher notre coeur? En cette heure précisément où nous célébrons l'Eucharistie, où nous inaugurons le Synode sur l'Eucharistie, Il vient à notre rencontre, il vient à ma rencontre. Trouvera-t-il une réponse? Ou arrive-t-il avec nous ce qu'il se passe avec la vigne, à propos de laquelle Dieu dit à Isaïe: "Il attendait de beaux raisins: elle donna des raisins sauvages"? Notre vie chrétienne n'est-elle donc pas plus souvent du vinaigre que du vin? Commisération sur nous-même, conflit, indifférence?

Nous sommes ainsi naturellement arrivés au deuxième enseignement fondamental des lectures d'aujourd'hui. Celles-ci parlent, comme nous l'avons entendu, avant tout de la bonté de la création de Dieu et de la grandeur de l'élection à travers laquelle Il nous recherche et Il nous aime. Mais elles parlent également de l'histoire qui a eu lieu ensuite - de l'échec de l'homme. Dieu avait planté des vignes d'excellente qualité et, toutefois, du raisin sauvage a mûri. En quoi consiste ce raisin sauvage? Nous nous demandons: le bon raisin que Dieu attendait - dit le prophète - aurait dû consister dans la justice et dans la rectitude. Le raisin sauvage, ce sont en revanche la violence, le sang répandu et l'oppression, qui font gémir les peuples sous le joug de l'injustice. Dans l'Evangile, l'image change: la vigne produit du bon raisin, mais les vignerons le gardent pour eux. Ils ne sont pas disposés à le remettre au propriétaire. Ils battent et ils tuent les messagers qu'il a envoyés et ils tuent son Fils. Leur motivation est simple: ils veulent devenir eux-mêmes les propriétaires; ils prennent possession de ce qui ne leur appartient pas. Dans l'Ancien Testament, on trouve au premier plan l'accusation de violation de la justice sociale, du mépris de l'homme de la part de l'homme. En arrière plan, toutefois, apparaît que, à travers le mépris de la Torah, du droit donné par Dieu, c'est Dieu lui-même qui est méprisé; l'on veut seulement jouir de son propre pouvoir. Cet aspect est pleinement mis en évidence dans la parabole de Jésus: les vignerons ne veulent pas avoir de propriétaire - et ces vignerons constituent également pour nous un miroir. Nous les hommes, auxquels la création est pour ainsi dire confiée en gestion, nous l'usurpons. Nous voulons en être les propriétaires au premier chef et tous seuls. Nous voulons posséder le monde et notre propre vie de manière illimitée. Dieu est pour nous une entrave. Ou bien on Le réduit à une simple phrase pieuse ou bien Il est nié totalement, mis au ban de la vie publique, au point de perdre toute signification. La tolérance, qui admet pour ainsi dire Dieu comme une opinion privée, mais lui refuse le domaine public, la réalité du monde et de notre vie, n'est pas tolérance, mais hypocrisie. Mais là où l'homme se fait le seul propriétaire du monde et propriétaire de lui-même, la justice ne peut pas exister. Là, ne peut dominer que l'arbitraire du pouvoir et des intérêts. Bien sûr, l'on peut chasser le Fils hors de la vigne et le tuer, pour goûter de manière égoïste, tous seuls, les fruits de la terre. Mais alors, la vigne se transforme bien vite en un terrain inculte détruit par les sangliers, comme nous dit le Psaume responsorial (cf.
Ps 79,14).

Nous parvenons ainsi au troisième élément des lectures de ce jour. Le Seigneur, dans l'Ancien comme dans le Nouveau Testament, annonce le jugement à la vigne infidèle. Le jugement qu'Isaïe prévoyait s'est réalisé à travers les grandes guerres et les exils provoqués par les Assyriens et les Babyloniens. Le jugement annoncé par le Seigneur Jésus se réfère surtout à la destruction de Jérusalem en l'an 70. Mais la menace de jugement nous concerne nous aussi, l'Eglise en Europe, l'Europe et l'Occident en général. Avec cet Evangile, le Seigneur clame également à nos oreilles les paroles qu'il adresse dans l'Apocalypse à l'Eglise d'Ephèse: "Si tu ne te repens, je vais venir à toi pour changer ton candélabre de son rang" (Ap 2,5). A nous aussi, la lumière peut être enlevée et nous faisons bien si nous laissons résonner cet avertissement en notre âme avec tout son sérieux, en criant dans le même temps au Seigneur: "Aide-nous à nous convertir! Donne à chacun de nous la grâce de nous renouveler vraiment! Ne permets pas que la lumière qui est au milieu de nous s'éteigne! Renforce notre foi, notre espérance et notre amour afin que nous puissions porter de bons fruits!".

Dès lors, se pose à nous cette question: "Mais n'y a-t-il aucune promesse, aucune parole de réconfort dans la lecture et dans la page d'Evangile de ce jour? La menace serait-elle le dernier mot? " Non! La promesse existe et c'est elle qui constitue le dernier mot, le mot essentiel. Nous l'entendons dans le verset de l'Alléluia, tiré de l'Evangile de Jean: "Je suis la vigne; vous, les sarments. Celui qui demeure en moi, et moi en lui, celui-là porte beaucoup de fruit" (Jn 15,5). Par ces paroles du Seigneur, Jean nous illustre la fin dernière, la véritable issue de l'histoire de la vigne de Dieu. Dieu ne faillit pas. A la fin, il remporte la victoire, l'amour sort vainqueur. Une allusion voilée à cette victoire se trouve déjà dans la parabole de la vigne proposée par l'Evangile d'aujourd'hui et dans ses paroles conclusives. Même à ce moment-là, la mort du Fils ne constitue pas la fin de l'histoire, même si l'histoire successive n'est jamais directement racontée. Mais Jésus exprime cette mort par le biais d'une nouvelle image tirée du Psaume: "La pierre qu'avaient rejetée les bâtisseurs c'est elle qui est devenue pierre de faîte..." (Mt 21,42 Ps 117,22). De la mort du Fils surgit la vie, un nouvel édifice se forme, une nouvelle vigne. Lui, qui à Cana changea l'eau en vin, a transformé son sang dans le vin du véritable amour et transforme ainsi le vin en son sang. Dans le Cénacle, il a anticipé sa mort et l'a transformée en don de soi, en un acte d'amour radical. Son sang est don, il est amour, et pour cette raison, il est le vin véritable que le Créateur attendait. De cette manière, le Christ lui-même est devenu la vigne et cette vigne porte toujours du bon fruit: la présence de son amour pour nous, qui est indestructible.

Ainsi, ces paraboles débouchent à la fin sur le mystère de l'Eucharistie, dans laquelle le Seigneur nous donne le pain de la vie et le vin de son amour et nous invite à la fête de l'amour éternel. Nous célébrons l'Eucharistie bien conscients que son prix fut la mort du Fils - le sacrifice de sa vie, qui, en elle, reste présent. Chaque fois que nous mangeons de ce pain et buvons à cette coupe, nous annonçons la mort du Seigneur jusqu'à ce qu'Il vienne, nous dit saint Paul (cf. 1Co 11,26). Mais nous savons également que, de cette mort provient la vie, parce que Jésus l'a transformée en un geste oblatif, en un acte d'amour, en la modifiant ainsi profondément: l'amour a vaincu la mort. Dans la sainte Eucharistie, Il nous attire tous à Lui depuis la croix (Jn 12,32) et nous fait devenir des sarments de la vigne qu'Il est lui-même. Si nous demeurons unis à Lui, alors nous porterons du fruit nous aussi, alors, nous aussi, nous ne produirons plus le vinaigre de l'autosuffisance, du mécontentement de Dieu et de sa création, mais le bon vin de la joie de Dieu et de l'amour envers le prochain. Nous prions le Seigneur de nous donner sa grâce, afin que, au cours des trois semaines du Synode que nous débutons, nous ne disions pas seulement de belles choses à propos de l'Eucharistie, mais surtout que nous vivions de sa force. Nous invoquons ce don par l'intercession de Marie, chers Pères synodaux, que je salue avec tant d'affection, ainsi que les Communautés desquelles vous provenez et que vous représentez ici, afin que, dociles à l'action de l'Esprit Saint, nous puissions aider le monde à devenir dans le Christ et avec le Christ la vigne féconde de Dieu. Amen.



FUNÉRAILLES DU CARDINAL GIUSEPPE CAPRIO - Mardi 8 octobre 2005

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"Que votre coeur ne se trouble pas... je vais vous préparer une place" (
Jn 14,1-2).

Chers et vénérés frères, les paroles du Seigneur Jésus nous éclairent et nous réconfortent en cette heure de triste prière, qui nous voit réunis autour de la dépouille mortelle du regretté Cardinal Giuseppe Caprio, auquel nous rendons le dernier hommage. Il nous a quittés samedi dernier, au terme d'un long pèlerinage terrestre, qui l'a conduit d'un petit village de l'Irpinia dans diverses parties du monde et en particulier ici, à Rome, au service du Saint-Siège, pour lequel il a donné sa vie. Dans son testament, nous retrouvons la confiance sereine à laquelle le Christ invite ses disciples. Précisément au début, il écrit: "Je remercie la Très Sainte Trinité de m'avoir créé, racheté et fait naître dans une famille pauvre en moyens matériels, mais riche de vertus chrétiennes, qui dès les premières années de mon enfance m'a enseigné à aimer Dieu et à obéir à sa sainte loi".

"Je remercie la Très Sainte Trinité...": n'y a-t-il pas dans ces paroles, comme la synthèse de la vie d'un chrétien? Au terme de la journée terrestre, l'âme se recueille dans une attitude de gratitude intime et émue, reconnaissant tout comme un don et se préparant à l'étreinte définitive avec Dieu-Amour. C'est le même sentiment de confiance intérieure dans le Seigneur dont nous a parlé la première Lecture, tirée du Livre du Siracide: "Vous qui craignez le Seigneur, comptez sur sa miséricorde; / ...ayez confiance en lui / ...espérez ses bienfaits, / la joie éternelle et la miséricorde" (Si 2,7-9). La crainte du Seigneur est le début et la plénitude de la sagesse (cf. Si 1,12 Si 1,14). C'est de là que naît la paix (cf. Si 1,16), synonyme, à son tour, de ce bonheur complet et éternel qui est le fruit de la miséricorde divine. Celui qui vit dans la sainte crainte du Seigneur trouve la paix véritable et, comme le dit encore le Siracide, "au jour de sa mort il sera béni" (Si 1,13). Que Dieu, dans sa miséricorde, pardonne toute faute éventuelle du bien-aimé Cardinal Caprio et l'accueille dans son royaume de lumière et de paix, car notre frère s'est efforcé de servir fidèlement la sainte Eglise.

"Mon fils, si tu prétends servir le Seigneur... attache-toi à lui, ne t'éloigne pas, afin d'être exalté à ton dernier jour" (Si 2,1 Si 2,3). Le jeune Giuseppe Caprio, originaire de Lapìo, se présenta pour servir le Seigneur au séminaire de Bénévent. Il y commença des études, qu'il poursuivit à Rome, à l'Université grégorienne, obtenant une licence en théologie et une maîtrise en droit canonique. En 1938 il fut ordonné prêtre. Nous lisons dans son testament: "Je rends grâce [à Dieu] le coeur plein de confusion et de reconnaissance, pour m'avoir appelé au sacerdoce". Nous aussi, dans la prière, nous nous associons en ce moment à son action de grâce, alors que nous nous apprêtons à offrir pour son âme le sacrifice eucharistique, centre et forme de la vie sacerdotale. Il me plaît de penser, en particulier en ces journées où toute l'Eglise est comme concentrée sur le mystère eucharistique, que précisément là, à l'autel, la vie et le ministère du Cardinal Caprio ont trouvé leur point de profonde unité, lors des divers déplacements que le service diplomatique du Saint-Siège a comportés pour lui. De Rome à Nankin, à Bruxelles, à Saïgon, à Taipeh, à New Dehli et, enfin, à nouveau à Rome. La présence du Christ ressuscité a certainement été un réconfort dans les moments les plus difficiles, ainsi que le fut, en particulier, la période de résidence forcée à la Nonciature de Nankin, en 1951, et l'obligation qui suivit de quitter la Chine. Dans son testament, il note: "J'élève ma pensée reconnaissante et pieuse au Souverain Pontife, qui m'a accordé l'honneur insigne de le représenter dans de nombreux pays et que j'ai toujours servi avec fidélité et amour filial". N'est-ce pas de l'Eucharistie que le Cardinal Caprio a pu tirer l'énergie spirituelle pour accepter, jour après jour, la mission qui lui avait été confiée par ses Supérieurs et pour l'accomplir avec amour jusqu'à la fin?

"Pax in virtute": le regretté Cardinal Caprio choisit cette devise quand, en 1961, le bienheureux Pape Jean XXIII le nomma Archevêque. Après avoir participé au Concile Vatican II, il passa encore une brève période de temps en Inde, en tant que Pro-Nonce, puis il rentra à Rome, directement au service du Saint-Siège, remplissant des fonctions importantes, parmi lesquelles celle de Substitut de la Secrétairerie d'Etat et de Président de l'Administration du Patrimoine. Sa vision d'ensemble des problèmes de l'Eglise et sa préoccupation constante de considérer les aspects administratifs dans leur relation avec les intérêts supérieurs, en adhérant pleinement à l'esprit du Concile, ont été reconnues.

"Le Christ est ressuscité d'entre les morts, prémices de ceux qui se sont endormis" (1Co 15,20). La lumière de Jésus ressuscité illumine les ténèbres de la mort, "dernier ennemi" (1Co 15,26) à qui nous devons payer la dette contractée avec le péché originel, mais qui ne domine plus les croyants, car le Seigneur l'a vaincue une fois pour toutes. Dans le Christ, tous reçoivent la vie, chacun selon son ordre: tout d'abord le Christ, qui est prémices; puis, lors de sa venue, ceux qui sont au Christ (cf. 1Co 15,22-23). La liturgie applique ce passage paulinien à la Vierge Marie en la solennité de son Assomption au Ciel. J'ai plaisir à témoigner ici de la dévotion mariale du Cardinal Giuseppe Caprio, telle qu'elle ressort de son testament: "Je confie mon âme - écrit-il - à la Très Sainte Vierge de Pompéi, afin qu'en la présentant à son Fils Jésus Christ, elle obtienne pour moi pardon et miséricorde". Nous faisons nôtre cette prière en ce moment de douleur et de vive espérance. Nous accompagnons avec affection et gratitude notre frère dans son dernier voyage vers l'Orient véritable, c'est-à-dire vers le Christ, soleil sans crépuscule, pleinement confiants dans le fait que Dieu l'accueillera à bras ouverts, lui réservant la place préparée pour ses amis, fidèles serviteurs de l'Evangile et de l'Eglise.



CONCLUSION DE LA XI ASSEMBLÉE GÉNÉRALE ORDINAIRE DU SYNODE DES ÉVÊQUES,

CLÔTURE DE L'ANNÉE DE L'EUCHARISTIE - Journée mondiale des Missions 23 oct 2005,

ET CANONISATION DES BX JÓZEF BILCZEWSKI, GAETANO CATANOSO, ZYGMUNT GORAZDOWSKI, ALBERTO HURTADO CRUCHAGA, FELICE DA NICOSIA

23105
Place Saint-Pierre

Dimanche 23 octobre 2005


Vénérés frères dans l'épiscopat et dans le sacerdoce!

Chers frères et soeurs!

En ce XXX Dimanche du temps ordinaire, notre Célébration eucharistique s'enrichit de divers motifs d'action de grâce et de supplication à Dieu. Au même moment se concluent l'Année de l'Eucharistie et l'Assemblée ordinaire du Synode des Evêques, consacrée précisément au mystère eucharistique dans la vie et dans la mission de l'Eglise, alors que dans quelques instants seront proclamés saints cinq Bienheureux: Mgr Józef Bilczewski, Evêque, les prêtres Gaetano Catanoso, Zygmunt Gorazdowski et Alberto Hurtado Cruchaga, et le religieux capucin Felice da Nicosia. En outre, on fête aujourd'hui la Journée mondiale des Missions, un rendez-vous annuel qui réveille dans la communauté ecclésiale l'élan pour la mission. C'est avec joie que j'adresse mes salutations à toutes les personnes présentes, en premier lieu aux Pères synodaux, puis aux pèlerins venus de diverses nations, avec leurs pasteurs, pour fêter les nouveaux saints. La liturgie d'aujourd'hui nous invite à contempler l'Eucharistie comme source de sainteté et nourriture spirituelle pour notre mission dans le monde: ce précieux "don et mystère" nous manifeste et nous communique la plénitude de l'amour de Dieu.

La Parole du Seigneur, qui vient de retentir dans l'Evangile, nous a rappelé que dans l'amour se résume toute la loi divine. Le double commandement de l'amour de Dieu et de notre prochain contient les deux aspects d'un unique dynamisme du coeur et de la vie. Jésus conduit ainsi à son achèvement la révélation antique, sans ajouter de nouveau commandement, mais en réalisant en lui-même et dans sa propre action salvifique la synthèse vivante des deux grandes paroles de l'Ancienne Alliance: "Tu aimeras Yahvé ton Dieu de tout ton coeur..." et "Tu aimeras ton prochain comme toi-même" (cf.
Dt 6,5 Lv 19,18). Dans l'Eucharistie, nous contemplons le Sacrement de cette synthèse vivante de la loi: le Christ nous remet en lui-même la pleine réalisation de l'amour pour Dieu et de l'amour pour nos frères. Et c'est cet amour qu'il nous communique lorsque nous nous nourrissons de son Corps et de son Sang. C'est alors que peut se réaliser en nous ce que saint Paul écrit aux Thessaloniciens dans la seconde Lecture d'aujourd'hui: "Vous vous êtes tournés vers Dieu, abandonnant les idoles pour servir le Dieu vivant et véritable" (1Th 1,9). Cette conversion est le principe du chemin de sainteté que le chrétien est appelé à réaliser dans sa propre existence. Le saint est celui qui est tellement fasciné par la beauté de Dieu et par sa vérité parfaite qu'il en est progressivement transformé. Pour cette beauté et cette vérité, il est prêt à renoncer à tout, même à lui-même. L'amour de Dieu lui suffit et il en fait l'expérience dans le service humble et désintéressé rendu à son prochain, en particulier aux personnes qui ne sont pas en mesure d'y répondre. Combien est providentiel, dans cette perspective, le fait qu'aujourd'hui, l'Eglise indique à tous ses membres cinq nouveaux saints qui, nourris du Christ, Pain vivant, se sont convertis à l'amour et ont orienté toute leur existence à partir de celui-ci! Dans diverses situations et à travers divers charismes, ils ont aimé le Seigneur de tout leur coeur et ils ont aimé leur prochain comme eux-mêmes et sont "ainsi devenus un modèle pour tous les croyants" (1Th 1,6-7).

Saint Józef Bilczewski fut un homme de prière. La Messe, la Liturgie des Heures, la méditation, le chapelet et les autres exercices de piété rythmaient ses journées. Un temps particulièrement long était consacré à l'adoration eucharistique.

Saint Zygmunt Gorazdowski est également devenu célèbre en raison de sa dévotion fondée sur la célébration et sur l'adoration de l'Eucharistie. Vivre l'offrande du Christ l'a conduit vers les malades, les pauvres et les indigents.

La profonde connaissance de la théologie, de la foi et de la dévotion eucharistique de Józef Bilczeski ont fait de lui un exemple pour les prêtres et un témoin pour tous les fidèles.

Zygmunt Gorazdowski, en fondant l'Association des Prêtres, la Congrégation des Soeurs de Saint-Joseph, et bien d'autres institutions caritatives, s'est toujours laissé conduire par l'esprit de communion, qui se révèle pleinement dans l'Eucharistie.

"Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton coeur... et ton prochain comme toi-même" (Mt 22,37 Mt 22,39). Tel était le programme de vie de saint Alberto Hurtado, qui chercha à s'identifier au Seigneur et à aimer les pauvres avec le même amour. La formation reçue au sein de la Compagnie de Jésus, consolidée par la prière et par l'adoration de l'Eucharistie, le porta à se laisser conquérir par le Christ, devenant un véritable contemplatif dans l'action. Dans l'amour et l'abandon total à la volonté de Dieu, il trouva la force de son apostolat. Il fonda El Hogar de Cristo pour les plus pauvres et pour les sans-abris, leur offrant un milieu familial empli de chaleur humaine. Son ministère sacerdotal se distinguait par sa sensibilité et sa disponibilité envers les autres, étant la véritable image vivante du Maître, "doux et humble de coeur". A la fin de ses jours, malgré les profondes douleurs de la maladie, il eut la force de continuer à répéter: "Je suis content, Seigneur, je suis content", exprimant ainsi la joie avec laquelle il avait toujours vécu.

Saint Gaetano Catanoso fut le promoteur et l'apôtre de la Sainte Face du Christ. "La Sainte Face - affirmait-il - est ma vie. Elle est ma force". Avec une heureuse intuition, il associa cette dévotion à la piété eucharistique. Il s'exprimait ainsi: "Si nous voulons adorer le Visage royal de Jésus... nous le trouvons dans la divine Eucharistie, où, avec le Corps et le Sang de Jésus Christ, se cache sous le voile immaculé de l'Hostie, le Visage de Notre Seigneur". La Messe quotidienne et l'adoration fréquente du Sacrement de l'autel furent l'âme de son sacerdoce: avec une charité pastorale ardente et inlassable, il se consacra à la prédication, à la catéchèse, au ministère des Confessions, aux pauvres, aux malades et à la maturation des vocations sacerdotales. Aux Soeurs véroniques de la Sainte-Face, qu'il fonda, il transmit l'esprit de charité, d'humilité et de sacrifice, qui avait animé toute son existence.

Saint Felice da Nicosia aimait répéter en toutes circonstances, joyeuses ou tristes: "Ainsi soit-il pour l'amour de Dieu". Nous pouvons ainsi comprendre combien était intense et concrète en lui l'expérience de l'amour de Dieu révélé aux hommes dans le Christ. Cet humble Frère capucin, illustre fils de la terre de Sicile, austère et pénitent, fidèle aux plus authentiques expressions de la tradition franciscaine, fut progressivement modelé et transformé par l'amour de Dieu, vécu et réalisé dans l'amour du prochain. Frère Felice nous aide à découvrir la valeur des petites choses qui rendent la vie plus précieuse et nous enseigne à percevoir le sens de la famille et du service à nos frères, en nous montrant que la joie véritable et durable à laquelle aspire le coeur de tout être humain est fruit de l'amour.

Chers et vénérés Pères synodaux, pendant trois semaines, nous avons vécu ensemble un climat de ferveur eucharistique renouvelée. Je voudrais désormais, avec vous et au nom de tout l'épiscopat, envoyer un salut fraternel aux Evêques de l'Eglise qui est en Chine. C'est avec beaucoup de peine, que nous avons ressenti l'absence de leurs représentants. Je veux toutefois assurer à l'ensemble des Evêques chinois que nous sommes proches d'eux, de leurs prêtres et de leurs fidèles par la prière. Le chemin de souffrance des communautés confiées à leur soin pastoral est présent dans notre coeur: il ne demeurera pas sans fruit parce qu'il représente une participation au Mystère pascal, à la gloire du Père. Les travaux synodaux nous ont permis d'approfondir les aspects fondamentaux de ce Mystère confié à l'Eglise depuis le début. La contemplation de l'Eucharistie doit pousser tous les membres de l'Eglise, en premier lieu les prêtres, ministres de l'Eucharistie, à raviver leur engagement de fidélité. C'est sur le mystère eucharistique, célébré et adoré, que se fonde le célibat que les prêtres ont reçu comme don précieux et signe de l'amour sans partage envers Dieu et envers le prochain. Pour les laïcs aussi, la spiritualité eucharistique doit constituer le moteur intérieur de toute activité et aucune dichotomie n'est admissible entre la foi et la vie, dans leur mission d'animation chrétienne du monde. Alors que se conclut l'Année de l'Eucharistie, comment ne pas rendre grâce à Dieu pour les nombreux dons offerts à l'Eglise au cours de ce temps? Et comment ne pas reprendre l'invitation du bien-aimé Pape Jean-Paul II à "repartir du Christ"? Comme les disciples d'Emmaüs qui, le coeur réconforté par la parole du Ressuscité et illuminés par sa présence vivante, reconnue dans la fraction du pain, revinrent en hâte à Jérusalem et devinrent des témoins de la Résurrection du Christ, nous aussi, nous reprenons notre chemin, animés par le vif désir de témoigner du mystère de cet amour qui donne l'espérance au monde.

Dans cette perspective, s'inscrit parfaitement cette Journée mondiale des Missions que nous célébrons aujourd'hui, à laquelle le vénéré Serviteur de Dieu Jean-Paul II avait donné pour thème de réflexion: "Mission: Pain rompu pour la vie du monde". La Communauté ecclésiale, quand elle célèbre l'Eucharistie, spécialement le Jour du Seigneur, prend toujours davantage conscience du fait que le sacrifice du Christ est "pour tous" (Mt 26,28) et que l'Eucharistie pousse le chrétien à être "pain rompu" pour les autres, à s'engager pour un monde plus juste et plus fraternel. Aujourd'hui encore, face aux foules, le Christ continue à exhorter ses disciples: "Donnez-leur vous-mêmes à manger" (Mt 14,16) et, en son nom, les missionnaires annoncent et témoignent de l'Evangile, parfois même au prix du sacrifice de leur vie. Chers amis, nous devons tous repartir de l'Eucharistie. Que Marie, Femme eucharistique, nous aide à l'aimer, à "demeurer" dans l'amour du Christ, pour être intimement renouvelés par Lui. Docile à l'action de l'Esprit et attentive aux nécessités des hommes, l'Eglise sera alors toujours davantage un phare de lumière, de vraie joie et d'espérance, réalisant pleinement sa mission de "signe et moyen de l'unité de tout le genre humain" (Lumen gentium LG 1).




Benoît XVI Homélies 15805