Benoît XVI Homélies 11109

SOLENNITÉ DU BAPTÊME DU SEIGNEUR - MESSE ET CÉLÉBRATION DU SACREMENT DU BAPTÊME

11109
Chapelle Sixtine

Dimanche 11 janvier 2009

Chers frères et soeurs!


Les paroles que l'évangéliste Marc rapporte au début de son Evangile: "C'est toi mon Fils bien-aimé; en toi j'ai mis tout mon amour" (
Mc 1,11) nous introduisent aujourd'hui au coeur de la fête du Baptême du Seigneur, avec laquelle se conclut le temps de Noël. Le cycle des solennités de Noël nous fait méditer sur la naissance de Jésus annoncée par les anges enveloppés de la splendeur lumineuse de Dieu; le temps de Noël nous parle de l'étoile qui guide les rois mages de l'Orient jusqu'à la maison de Bethléem, et nous invite à regarder le ciel qui s'ouvre sur le Jourdain alors que retentit la voix de Dieu. Il s'agit de signes à travers lesquels le Seigneur ne se lasse pas de nous répéter: "Je suis ici. Je vous connais. Je vous aime. Il y a une route qui, à partir de moi, vient vers vous. Et il y a une route qui, de vous, monte vers moi". Le Créateur a assumé en Jésus les dimensions d'un enfant, d'un être humain comme nous, pour pouvoir se rendre visible et se laisser toucher. Dans le même temps, en se faisant ainsi petit, Dieu a fait resplendir la lumière de sa grandeur. Car, précisément en s'abaissant jusqu'à l'impuissance sans défense de l'amour, Il démontre ce qu'est la véritable grandeur, et même ce que signifie être Dieu.

La signification de Noël, et plus généralement, le sens de l'année liturgique, est précisément celui de nous rapprocher de ces signes divins, pour les reconnaître imprimés dans les événements de chaque jour, afin que notre coeur s'ouvre à l'amour de Dieu. Et si Noël et l'Epiphanie servent surtout à nous rendre capables de voir, à nous ouvrir les yeux et le coeur au mystère d'un Dieu qui vient pour être avec nous, la fête du Baptême de Jésus nous introduit, pourrions-nous dire, dans le quotidien d'une relation personnelle avec Lui. En effet, à travers l'immersion dans les eaux du Jourdain, Jésus s'est uni à nous. Le Baptême est pour ainsi dire le pont qu'Il a construit entre lui et nous, la route par laquelle il se rend accessible à nous; il est l'arc-en-ciel divin sur notre vie, la promesse du grand oui de Dieu, la porte de l'espérance et, dans le même temps, le signe qui nous indique le chemin à parcourir de manière active et joyeuse pour le rencontrer et nous sentir aimés de Lui.

Chers amis, je suis vraiment content que cette année aussi, en ce jour de fête, me soit donnée l'opportunité de baptiser des enfants. Sur eux, se pose aujourd'hui l'"amour" de Dieu. Depuis que le Fils unique du Père s'est fait baptiser, le ciel est réellement ouvert et continue à s'ouvrir, et nous pouvons confier chaque nouvelle vie qui apparaît entre les mains de Celui qui est plus puissant que les pouvoirs obscurs du mal. C'est en effet cela que comporte le Baptême: nous restituons à Dieu ce qui est venu de Lui. L'enfant n'est pas la propriété des parents, mais il est confié par le Créateur à leur responsabilité, librement et de manière toujours nouvelle, afin qu'ils l'aident à être un fils de Dieu libre. Ce n'est que si les parents mûrissent cette conscience qu'ils réussissent à trouver le juste équilibre entre la prétention de pouvoir disposer des enfants comme s'ils étaient un bien privé en les façonnant à partir de leurs idées et désirs, et l'attitude libertaire qui s'exprime en les laissant grandir de manière totalement autonome, en satisfaisant chacun de leurs désirs et aspirations, considérant cela comme une juste manière de cultiver leur personnalité. Si, avec ce sacrement, le nouveau baptisé devient un fils adoptif de Dieu, objet de son amour infini qui le protège et le défend des forces obscures du malin, il faut lui enseigner à reconnaître Dieu comme son Père et à savoir se mettre en relation avec Lui, avec une attitude filiale. Et donc, lorsque selon la tradition chrétienne, comme nous le faisons aujourd'hui, on baptise les enfants en les introduisant dans la lumière de Dieu et de ses enseignements, on ne leur porte pas atteinte, mais on leur donne la richesse de la vie divine dans laquelle s'enracine la véritable liberté qui est propre aux fils de Dieu; une liberté qui devra être éduquée et formée au fil des années, pour devenir capable de choix personnels responsables.

Chers parents, chers parrains et marraines, je vous salue tous avec affection et je m'unis à votre joie pour ces petits qui, aujourd'hui, renaissent à la vie éternelle. Soyez conscients du don reçu et ne cessez pas de rendre grâces à Dieu qui, avec le sacrement d'aujourd'hui, introduit vos enfants dans une nouvelle famille, plus grande et plus stable, plus ouverte et nombreuse que la vôtre: je me réfère à la famille des croyants, à l'Eglise, une famille qui a Dieu pour Père et dans laquelle tous se reconnaissent frères en Jésus Christ. Vous confiez donc aujourd'hui vos enfants à la bonté de Dieu, qui est puissance de lumière et d'amour; et ceux-ci, malgré les difficultés de la vie, ne se sentiront jamais abandonnés, s'ils restent unis à Lui. Souciez-vous donc de les éduquer dans la foi, de leur enseigner à prier et à grandir comme le faisait Jésus et avec son aide "en sagesse, en taille et en grâce, sous le regard de Dieu et des hommes" (cf. Lc 2,52).

En revenant à présent au passage évangélique, cherchons à comprendre encore davantage ce qui se passe ici aujourd'hui. Saint Marc rapporte que, alors que Jean Baptiste prêche sur les rives du fleuve Jourdain, en proclamant l'urgence de la conversion en vue de la venue désormais proche du Messie, voilà que Jésus, caché au milieu de la foule, se présente pour être baptisé. Le baptême de Jean est assurément un baptême de pénitence, bien différent du sacrement que Jésus instituera. A ce moment, toutefois, on entrevoit déjà la mission du Rédempteur car, lorsqu'il sort de l'eau, une voix retentit du ciel et l'Esprit Saint descend sur lui (cf. Mc 1,10): le Père céleste le proclame son fils bien-aimé et en atteste publiquement la mission salvifique universelle, qui s'accomplira pleinement avec sa mort sur la croix et sa résurrection. Ce n'est qu'alors, avec le sacrifice pascal, que la rémission des péchés deviendra universelle et totale. Avec le Baptême, nous ne nous plongeons pas simplement dans les eaux du Jourdain pour proclamer notre engagement de conversion, mais le sang rédempteur du Christ qui nous purifie et qui nous sauve se répand sur nous. C'est le Fils bien-aimé du Père, dans lequel Il a mis tout son amour, qui nous fait acquérir à nouveau la dignité et la joie de nous appeler "fils" de Dieu et de l'être réellement.

Dans quelques instants, nous revivrons ce mystère évoqué par la solennité d'aujourd'hui; les signes et les symboles du sacrement du Baptême nous aideront à comprendre ce que le Seigneur accomplit dans le coeur de nos petits, en les faisant "siens" pour toujours, demeure choisie de son Esprit et "pierres vivantes" pour la construction de l'édifice spirituel qui est l'Eglise. Que la Vierge Marie, Mère de Jésus, le Fils bien-aimé de Dieu, veille sur eux et sur leurs familles, les accompagne toujours, afin qu'ils puissent réaliser jusqu'au bout le projet de salut qui s'accomplit dans leur vie avec le Baptême. Et nous, chers frères et soeurs, nous les accompagnons par notre prière; nous prions pour les parents, pour les parrains et les marraines et pour leurs proches, afin qu'ils les aident à grandir dans la foi; nous prions pour nous tous ici présents afin que, en participant pieusement à cette célébration, nous renouvelions les promesses de notre Baptême et que nous rendions grâce au Seigneur pour son assistance constante. Amen!



CÉLÉBRATION DES SECONDES VÊPRES DE LA SOLÉNNITÉ DE LA CONVERSION DE SAINT PAUL

25109
POUR CONCLURE LA SEMAINE DE PRIÈRE POUR L'UNITÉ DES CHRÉTIENS


Basilique de Saint-Paul-hors-les-Murs - Dimanche 25 janvier 2009


Chers frères et soeurs,


C'est à chaque fois une grande joie de nous retrouver auprès du sépulcre de l'apôtre Paul, en la mémoire liturgique de sa Conversion, pour conclure la Semaine de prière pour l'unité des chrétiens. Je vous salue tous avec affection. Je salue de manière particulière le cardinal Cordero Lanza di Montezemolo, l'abbé et la communauté des moines qui nous accueillent. Je salue également le cardinal Kasper, président du Conseil pontifical pour la promotion de l'unité des chrétiens. Avec lui, je salue les cardinaux présents, les évêques et les pasteurs des différentes Eglises et communautés ecclésiales, réunis ici ce soir. Une parole de reconnaissance spéciale va à ceux qui ont collaboré à la préparation des documents pour la prière, en vivant en première personne l'exercice de la réflexion et de la confrontation dans l'écoute les uns des autres et, tous ensemble, de la Parole de Dieu.

La conversion de saint Paul nous offre le modèle et nous indique la voie pour aller vers la pleine unité. L'unité demande en effet une conversion: de la division à la communion, de l'unité blessée à l'unité rétablie et pleine. Cette conversion est un don du Christ ressuscité, comme cela eut lieu pour saint Paul. Nous l'avons entendu dans les paroles mêmes de l'apôtre, dans la lecture qui vient d'être proclamée: "Mais ce que je suis, je le suis par la grâce de Dieu" (
1Co 15,10). Le Seigneur, le même qui appela Saul sur le chemin de Damas, s'adresse aux membres de son Eglise - qui est une et sainte - et, appelant chacun par son nom, il demande: pourquoi m'as-tu divisé? Pourquoi as-tu blessé l'unité de mon corps? La conversion implique deux dimensions. A la première étape, on identifie et on reconnaît les fautes à la lumière du Christ, et cette reconnaissance devient douleur et repentir, désir d'un nouveau début. A la deuxième étape, on reconnaît que ce nouveau chemin ne peut pas venir de nous-mêmes. Il consiste à se laisser saisir par le Christ. Comme le dit saint Paul: "...je poursuis ma course pour saisir tout cela, comme j'ai moi-même été saisi par le Christ" (Ph 3,12). La conversion exige notre oui, notre "course"; ce n'est pas, en dernière analyse, une activité personnelle, mais un don, le fait de se laisser former par le Christ; elle est mort et résurrection. C'est pourquoi saint Paul ne dit pas: "Je me suis converti", mais il dit: "j'ai cessé de vivre" (Ga 2,19), je suis une nouvelle créature. En réalité, la conversion de saint Paul ne fut pas un passage de l'immoralité à la moralité, d'une foi erronée à une foi correcte, mais elle fut le fait d'être conquis par l'amour du Christ: le renoncement à sa propre perfection, elle fut l'humilité de celui qui se met sans réserve au service du Christ pour ses frères. Et ce n'est que dans ce renoncement à nous-mêmes, dans cette conformité au Christ que nous sommes unis également entre nous, que nous devenons "un" dans le Christ. C'est la communion avec le Christ ressuscité qui nous donne l'unité.

Nous pouvons observer une analogie intéressante avec la dynamique de la conversion de saint Paul, également en méditant sur le texte biblique du prophète Ezéchiel (Ez 37,15-28) choisi cette année comme base de notre prière. Dans celui-ci, en effet, est présenté le geste symbolique des deux morceaux de bois réunis en un seul dans la main du prophète, qui par ce geste représente l'action future de Dieu. C'est la deuxième partie du chapitre 37, qui dans la première partie contient la célèbre vision des os desséchés et de la résurrection d'Israël, effectuée par l'Esprit de Dieu. Comment ne pas remarquer que le signe prophétique de la réunification du peuple d'Israël est placé après le grand symbole des os desséchés vivifiés par l'Esprit? Il en découle un schéma théologique semblable à celui de la conversion de saint Paul: à la première place se trouve la puissance de Dieu qui, avec son Esprit, accomplit la résurrection comme une nouvelle création. Ce Dieu, qui est le Créateur et qui est en mesure de ressusciter les morts, est également capable de reconduire à l'unité le peuple divisé en deux. Paul - comme Ezéchiel et plus que lui - devient un instrument élu de la prédication de l'unité conquise par Jésus à travers la croix et la résurrection: l'unité entre les juifs et les païens, pour former un seul peuple nouveau. La résurrection du Christ étend le périmètre de l'unité: non seulement l'unité des tribus d'Israël, mais l'unité des juifs et des païens (cf. Ep 2 Jn 10,16); l'unification de l'humanité dispersée par le péché et encore plus l'unité de tous les croyants dans le Christ.

Nous devons le choix de ce passage du prophète Ezéchiel à nos frères de Corée, qui se sont sentis profondément interpellés par cette page biblique, aussi bien en tant que Coréens, qu'en tant que chrétiens. Dans la division du peuple juif en deux royaumes, ils se sont reflétés comme des fils d'une unique terre, que les événements politiques ont séparés, une partie au nord et une partie au sud. Et leur expérience humaine les a aidés à mieux comprendre le drame de la division entre chrétiens. A présent, à la lumière de cette Parole de Dieu que nos frères coréens ont choisie et proposée à tous, apparaît une vérité pleine d'espérance: Dieu promet à son peuple une nouvelle unité, qui doit être signe et instrument de réconciliation et de paix, également au niveau historique, pour toutes les nations. L'unité que Dieu donne à son Eglise, et pour laquelle nous prions, est naturellement la communion au sens spirituel, dans la foi et dans la charité; mais nous savons que cette unité dans le Christ est un ferment de fraternité également sur le plan social, dans les relations entre les nations et pour toute la famille humaine. C'est le levain du Royaume de Dieu qui fait croître toute la pâte (cf. Mt 13,33). Dans ce sens, la prière que nous élevons en ces jours, qui se réfère au prophète Ezéchiel, s'est également faite intercession pour les différentes situations de conflit qui à l'heure actuelle frappent l'humanité. Là où les paroles humaines deviennent impuissantes, car domine le fracas tragique de la violence et des armes, la force prophétique de la Parole de Dieu est présente et nous répète que la paix est possible, et que nous devons être des instruments de réconciliation et de paix. C'est pourquoi notre prière pour l'unité et pour la paix demande toujours d'être soutenue par des gestes courageux de réconciliation entre nous chrétiens. Je pense encore à la Terre Sainte: combien il est important que les fidèles qui vivent là, ainsi que les pèlerins qui s'y rendent, offrent à tous le témoignage que la diversité des rites et des traditions ne devrait pas constituer un obstacle au respect mutuel et à la charité fraternelle. Dans les diversités légitimes de positions, nous devons chercher l'unité dans la foi, dans notre "oui" fondamental au Christ et à son unique Eglise. Et ainsi, les différences ne seront plus un obstacle qui nous sépare, mais une richesse dans la multiplicité des expressions de la foi commune.

Je voudrais conclure ma réflexion en faisant référence à un événement que les plus âgés parmi nous n'ont certainement pas oublié. Le 25 janvier 1959, il y a exactement cinquante ans, le bienheureux Pape Jean xxiii manifesta pour la première fois en ce lieu sa volonté de convoquer "un concile oecuménique pour l'Eglise universelle" (AAS li [1959], p. 68). Il fit cette annonce aux Pères cardinaux, dans la Salle du chapitre du monastère de Saint-Paul, après avoir célébré la messe solennelle dans la basilique. De cette décision providentielle, suggérée à mon vénéré prédécesseur, selon sa ferme conviction, par l'Esprit Saint, a également dérivé une contribution fondamentale à l'oecuménisme, synthétisée dans le Décret Unitatis redintegratio. Dans celui-ci, entre autres, on lit: "Il n'y a pas de véritable oecuménisme sans conversion intérieure. En effet, c'est du renouveau de l'âme (cf. Ep 4,23), du renoncement à soi-même et d'une libre effusion de charité que partent et mûrissent les désirs de l'unité" (n. UR 7). L'attitude de conversion intérieure dans le Christ, de renouveau spirituel, de charité accrue envers les autres chrétiens a donné lieu à une nouvelle situation dans les relations oecuméniques. Les fruits des dialogues théologiques, avec leurs convergences et avec l'identification plus précise des divergences qui demeurent encore, incitent à poursuivre courageusement dans deux directions: dans l'accueil de ce qui a été positivement atteint et dans un engagement renouvelé vers l'avenir. De façon opportune, le Conseil pontifical pour la promotion de l'unité des chrétiens, que je remercie pour le service qu'il rend à la cause de l'unité pour tous les disciples du Seigneur, a récemment réfléchi sur l'accueil et sur l'avenir du dialogue oecuménique. Cette réflexion, si elle souhaite d'une part valoriser à juste titre ce qui a été acquis, entend de l'autre trouver de nouvelles voies pour la poursuite des relations entre les Eglises et les communautés ecclésiales dans le contexte actuel. L'horizon de la pleine unité reste ouvert devant nous. Il s'agit d'une tâche ardue, mais enthousiasmante pour les chrétiens qui veulent vivre en harmonie avec la prière du Seigneur: "Que tous soient un, pour que le monde croie" (Jn 17,21). Le Concile nous a exposé que "ce projet sacré, la réconciliation de tous les chrétiens dans l'unité d'une seule et unique Eglise du Christ, dépasse les forces et les capacités humaines" (UR 24). Confiants dans la prière du Seigneur Jésus Christ, et encouragés par les pas significatifs accomplis par le mouvement oecuménique, nous invoquons avec foi l'Esprit Saint, pour qu'il continue à illuminer et à guider notre chemin. Que, du ciel, l'apôtre Paul nous encourage et nous assiste, lui qui s'est tant dépensé et a tant souffert pour l'unité du corps mystique du Christ; que nous accompagne et nous soutienne la Bienheureuse Vierge Marie, Mère de l'unité de l'Eglise.



FÊTE DE LA PRÉSENTATION DU SEIGNEUR AU TEMPLE - XIII JOURNÉE MONDIALE DE LA VIE CONSACRÉE

20209

Basilique Vaticane - Lundi 2 février 2009



Monsieur le cardinal,
Vénérés frères dans l'épiscopat et le sacerdoce,
chers frères et soeurs!

C'est avec une grande joie que je vous rencontre au terme du saint Sacrifice de la Messe, en cette fête liturgique qui, depuis désormais treize ans, réunit les religieux et les religieuses pour la Journée de la vie consacrée. Je salue cordialement le cardinal Franc Rodé, en lui témoignant ma reconnaissance particulière ainsi qu'à ses collaborateurs de la Congrégation pour les instituts de vie consacrée et les sociétés de vie apostolique, pour le service qu'ils rendent au Saint-Siège et à ce que j'appellerais l'"univers" de la vie consacrée. Je salue avec affection les supérieurs et les supérieures généraux ici présents et vous tous, frères et soeurs, qui sur le modèle de la Vierge Marie, apportez dans l'Eglise et dans le monde la lumière du Christ, à travers votre témoignage de personnes consacrées. En cette année paulinienne, je fais miennes les paroles de l'Apôtre: "Je rends toujours grâce à mon Dieu quand je fais mention de vous: chaque fois que je prie pour vous tous, c'est toujours avec joie, à cause de ce que vous avez fait pour l'Evangile en communion avec moi, depuis le premier jour jusqu'à maintenant" (
Ph 1,3-5). Dans ce salut, adressé à la communauté chrétienne de Philippes, Paul exprime le souvenir affectueux qu'il conserve de ceux qui vivent personnellement l'Evangile et s'engagent à le transmettre, en unissant au soin de la vie intérieure la difficulté de la mission apostolique.

Dans la tradition de l'Eglise, saint Paul a toujours été reconnu comme le père et le maître de ceux qui, appelés par le Seigneur, ont fait le choix d'une consécration inconditionnée à Sa personne et à son Evangile. Divers Instituts religieux prennent leur nom de saint Paul et puisent en lui une inspiration charismatique spécifique. On peut dire que pour toutes les personnes consacrées, hommes et femmes, il répète une invitation franche et affectueuse: "Prenez-moi pour modèle; mon modèle à moi, c'est le Christ" (1Co 11,1). En effet, qu'est-ce que la vie consacrée, sinon une imitation radicale de Jésus, une "sequela" totale de sa personne? (cf. Mt 19,27-28) Eh bien, en tout cela, Paul représente une médiation pédagogique sûre: très chers amis, l'imiter en suivant Jésus représente une voie privilégiée pour répondre jusqu'au bout à votre vocation de consécration spéciale dans l'Eglise.

De sa propre voix, nous pouvons même connaître un style de vie qui exprime la substance de la vie consacrée inspirée par les conseils évangéliques de pauvreté, de chasteté et d'obéissance. Dans la vie de pauvreté, il voit la garantie d'une annonce de l'Evangile réalisée en totale gratuité (cf. 1Co 9,1-23), alors qu'elle exprime, dans le même temps, la solidarité concrète envers les frères dans le besoin. A cet égard, nous connaissons tous la décision de Paul de subvenir à ses besoins grâce au travail de ses mains et son engagement pour la collecte en faveur des pauvres de Jérusalem (cf. 1Th 2,9 2Co 8-9). Paul est également un apôtre qui, accueillant l'appel de Dieu à la chasteté, a donné son coeur au Seigneur de manière indivise, pour pouvoir servir ses frères avec une liberté et un dévouement encore plus grands (cf. 1Co 7,7 2Co 11,1-2); en outre, dans un monde où les valeurs de la chasteté chrétienne n'étaient pas reconnues de plein droit (cf. 1Co 6,12-20), il offre une référence sûre quant à la conduite. En ce qui concerne ensuite l'obéissance, il suffit de noter que l'accomplissement de la volonté de Dieu et "sa préoccupation quotidienne, le souci de toutes les Eglises" (2Co 11,28) ont animé, façonné et consommé son existence, devenue un sacrifice agréable à Dieu. Tout cela le conduit à proclamer, comme il l'écrit aux Philippiens: "En effet, pour moi, vivre c'est le Christ et mourir est un avantage" (Ph 1,21).

Un autre aspect fondamental de la vie consacrée de Paul est la mission. Il appartient entièrement à Jésus pour appartenir, comme Jésus, à tous; ou mieux, pour être Jésus pour tous: "Je me suis fait tout à tous pour en sauver à tout prix quelques-uns" (1Co 9,22). A lui, qui est si étroitement uni à la personne du Christ, nous reconnaissons une profonde capacité de conjuguer la vie spirituelle et l'action missionnaire; en lui, les deux dimensions se réfèrent l'une à l'autre. Et ainsi, nous pouvons dire qu'il appartient à cette foule de "constructeurs mystiques", dont l'existence est à la fois contemplative et active, ouverte sur Dieu et sur ses frères pour accomplir un service efficace pour l'Evangile. Dans cette tension mystique et apostolique, il me plaît de souligner le courage de l'Apôtre face au sacrifice lorsqu'il affronta des épreuves terribles, jusqu'au martyre (cf. 2Co 11,16-33), la confiance inébranlable fondée sur la parole de son Seigneur: "Ma grâce te suffit: ma puissance donne toute sa mesure dans la faiblesse" (2Co 12,9-10). Son expérience spirituelle nous apparaît ainsi comme la traduction vécue du mystère pascal, qu'il a intensément analysé et annoncé comme forme de vie du chrétien. Paul vit pour, avec et dans le Christ. "Avec le Christ - écrit-il -, je suis fixé à la Croix: je vis, mais ce n'est plus moi, c'est le Christ qui vit en moi" (Ga 2,20); et aussi: "En effet, pour moi, vivre c'est le Christ, et mourir est un avantage" (Ph 1,21).

Cela explique pourquoi il ne se lasse pas d'exhorter à faire en sorte que la parole du Christ habite en nous dans sa richesse (cf. Col 3,16). Cela fait penser à l'invitation qui vous est adressée par la récente Instruction sur Le service de l'autorité et l'obéissance, à chercher "chaque matin le contact visuel et constant avec la Parole qui en ce jour est proclamée, en la méditant et en la conservant dans votre coeur comme un trésor, en en faisant la base de chaque action et le premier critère de chaque choix" (n. 7). Je souhaite donc que l'Année paulinienne nourrisse encore davantage en vous l'intention d'accueillir le témoignage de saint Paul, en méditant chaque jour la Parole de Dieu avec la pratique fidèle de la lectio divina, en priant "par des psaumes, des hymnes et de libres louanges... avec votre reconnaissance" (cf. Col 3,16). Qu'il vous aide en outre à réaliser votre service apostolique dans et avec l'Eglise, dans un esprit de communion sans réserve, en faisant don aux autres de vos propres charismes (cf. 1Co 14,12), et en témoignant en premier lieu du plus grand des charismes qui est la charité (cf. 1Co 13).

Chers frères et soeurs, la liturgie d'aujourd'hui nous exhorte à nous tourner vers la Vierge Marie, la "Consacrée" par excellence. Paul parle d'Elle avec une formule concise mais efficace, qui en décrit la grandeur et la tâche: elle est la "femme" dont, dans la plénitude des temps, est né le Fils de Dieu (cf. Ga 4,4). Marie est la mère qui, aujourd'hui, au Temple, présente le Fils au Père, donnant suite également en cela au "oui" prononcé au moment de l'Annonciation. Que ce soit encore elle la Mère qui nous accompagne et qui nous soutienne, nous fils de Dieu et ses fils, dans l'accomplissement d'un service généreux à Dieu et à nos frères. Dans ce but, j'invoque son intercession céleste, alors que de tout coeur je donne ma Bénédiction apostolique à vous tous et à vos familles religieuses respectives.


MESSE, BÉNÉDICTION ET IMPOSITION DES CENDRES, 25 février 2009

25209
Basilique de Sainte-Sabine sur l'Aventin - Mercredi des Cendres

Chers frères et soeurs!


Aujourd'hui, Mercredi des Cendres - porte liturgique qui introduit au Carême -, les textes préparés pour la célébration dessinent, même de façon sommaire, toute la physionomie du temps du Carême. L'Eglise se préoccupe de nous montrer quelle doit être l'orientation de notre esprit, et nous fournit les aides divines pour parcourir avec décision et courage, déjà illuminés par la splendeur du Mystère pascal, l'itinéraire spirituel singulier que nous commençons.

"Revenez à moi de tout votre coeur". L'appel à la conversion apparaît comme le thème dominant dans toutes les composantes de la liturgie d'aujourd'hui. Dès l'antienne d'ouverture, on dit que le Seigneur oublie et pardonne les péchés de ceux qui se convertissent; dans la collecte, on invite le peuple chrétien à prier afin que chacun entreprenne "un chemin de véritable conversion". Dans la première lecture, le prophète Joël exhorte à revenir vers le Père "de tout votre coeur dans le jeûne, les pleurs et les cris de deuil... car il est tendresse et pitié, lent à la colère, riche en grâce, et il a regret du mal" (
Jl 2,12-13). La promesse de Dieu est claire: si le peuple écoute l'invitation à se convertir, Dieu fera triompher sa miséricorde et ses amis seront comblés d'innombrables faveurs. Avec le Psaume responsorial, l'assemblée liturgique fait siennes les invocations du Psaume 50, en demandant au Seigneur de créer en nous "un coeur pur", de renouveler en nous "un esprit ferme". Il y a ensuite la page évangélique, dans laquelle Jésus, en nous mettant en garde contre la vanité qui ronge et qui conduit à l'ostentation et à l'hypocrisie, à la superficialité et à l'autosatisfaction, répète la nécessité d'alimenter la rectitude du coeur. Il montre dans le même temps le moyen de croître dans cette pureté d'intention: cultiver l'intimité avec le Père céleste.

Au cours de cette année jubilaire, qui commémore le bimillénaire de la naissance de saint Paul, c'est avec une reconnaissance particulière que nous parvient la parole de la deuxième Lettre aux Corinthiens: "Nous vous en supplions au nom du Christ: laissez-vous réconcilier avec Dieu" (2Co 5,20). Cette invitation de l'apôtre retentit comme un encouragement supplémentaire à prendre au sérieux l'appel du Carême à la conversion. Paul a fait l'expérience de façon extraordinaire de la puissance de la grâce de Dieu, la grâce du Mystère pascal, dont le Carême lui-même vit. Il se présente à nous comme "ambassadeur" du Seigneur. Qui mieux que lui peut nous aider à parcourir de façon fructueuse cet itinéraire de conversion intérieure? Dans la première Lettre à Timothée, il écrit: "Le Christ Jésus est venu dans le monde pour sauver les pécheurs dont je suis, moi, le premier", et il ajoute: "Mais s'il m'a été fait miséricorde, c'est pour qu'en moi, le premier, Jésus Christ manifestât toute sa patience, faisant de moi un exemple pour ceux qui doivent croire en lui en vue de la vie éternelle" (1Tm 1,15-16). L'apôtre est donc conscient d'avoir été choisi comme exemple, et son exemplarité concerne précisément la conversion, la transformation de sa vie survenue grâce à l'amour miséricordieux de Dieu. "Moi naguère un blasphémateur, un persécuteur, un insulteur - reconnaît-il. Mais il m'a été fait miséricorde (...) et ainsi la grâce de notre Seigneur a surabondé" (ibid., 1Tm 1,13-14). Toute sa prédication, et avant même, toute son existence missionnaire furent soutenues par une poussée intérieure pouvant être ramenée à l'expérience fondamentale de la "grâce". "C'est par la grâce de Dieu que je suis ce que je suis - écrit-il aux Corinthiens - (...) j'ai travaillé plus qu'eux tous [les apôtres]: oh! non pas moi, mais la grâce de Dieu qui est avec moi" (1Co 15,10). Il s'agit d'une conscience qui apparaît dans chacun de ses écrits et qui a fonctionné comme un "levier" intérieur sur lequel Dieu a pu agir pour le pousser de l'avant, vers des limites toujours plus reculées, non seulement géographiques, mais également spirituelles.

Saint Paul reconnaît que tout en lui est oeuvre de la grâce divine, mais il n'oublie pas qu'il faut adhérer librement au don de la vie nouvelle reçue dans le Baptême. Dans le chapitre 6 de la Lettre aux Romains, qui sera proclamée au cours de la veillée pascale, il écrit: "Que le péché ne règne donc plus dans votre corps mortel de manière à vous plier à ses convoitises. Ne faites plus de vos membres des armes d'injustice au service du péché; mais offrez-vous à Dieu comme des vivants revenus de la mort et faites de vos membres des armes de justice au service de Dieu" (Rm 6,12-13). Dans ces paroles est contenu tout le programme du Carême selon sa perspective baptismale intrinsèque. D'une part, on affirme la victoire du Christ sur le péché, survenue une fois pour toutes par sa mort et sa résurrection; de l'autre, nous sommes exhortés à ne pas offrir nos membres au péché, c'est-à-dire à ne pas laisser, pour ainsi dire, de possibilité de revanche au péché. La victoire du Christ attend que le disciple la fasse sienne, et cela a lieu avant tout avec le Baptême, à travers lequel, unis à Jésus, nous sommes devenus "vivants, revenus d'entre les morts". Toutefois, afin que le Christ puisse régner pleinement en lui, le baptisé doit en suivre fidèlement les enseignements; il ne doit jamais abaisser la garde, pour ne pas permettre à l'adversaire de regagner du terrain d'une manière ou d'une autre.

Mais comment accomplir la vocation baptismale, comment être victorieux dans la lutte entre la chair et l'esprit, entre le bien et le mal, une lutte qui marque notre existence? Dans le passage évangélique, le Seigneur nous indique aujourd'hui trois moyens utiles: la prière, l'aumône et le jeûne. Dans l'expérience et dans les écrits de saint Paul, nous trouvons également à cet égard des références utiles. En ce qui concerne la prière, il exhorte à "persévérer" et à "être vigilants, dans l'action de grâces" (Rm 12,12 Col 4,2), à "prier sans cesse" (1Th 5,17). Jésus est au fond de notre coeur. La relation avec Lui est présente et demeure présente même si nous parlons, nous agissons selon nos devoirs professionnels. C'est pourquoi, dans la prière, on trouve la présence intérieure dans notre coeur de la relation avec Dieu, qui devient à chaque fois également une prière explicite. En ce qui concerne l'aumône, les pages consacrées à la grande collecte en faveur des frères pauvres sont certainement importantes (cf. 2Co 8-9), mais il faut souligner que pour lui, c'est la charité qui est le sommet de la vie du croyant, "le lien de la perfection": "Et puis par-dessus tout - écrit-il aux Colossiens -, la charité, en laquelle se noue la perfection" (Col 3,14). Il ne parle pas expressément du jeûne, mais il exhorte souvent à la sobriété, comme caractéristique de celui qui est appelé à vivre dans une attente vigilante du Seigneur (cf. 1Th 5,6-8 Tt 2,12). Son évocation de l'"esprit de compétition" spirituel, qui exige modération, est également intéressante: "Tout athlète - écrit-il aux Corinthiens - se prive de tout: mais eux c'est pour obtenir une couronne périssable, nous une impérissable" (1Co 9,25). Le chrétien doit se priver pour trouver la voie et parvenir réellement au Seigneur.

Telle est donc la vocation des chrétiens: ressuscités avec le Christ, ils sont passés à travers la mort et leur vie est désormais cachée avec le Christ en Dieu (cf. Col 3,1-2). Pour vivre cette "nouvelle" existence en Dieu, il est indispensable de se nourrir de la Parole de Dieu. Ce n'est qu'ainsi que nous pouvons réellement être unis à Dieu, vivre en sa présence, si nous sommes en dialogue avec Lui. Jésus le dit clairement, lorsqu'il répond à la première des trois tentations dans le désert, en citant le Deutéronome: "Ce n'est pas de pain seul que vivra l'homme, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu" (Mt 4,4 cf. Dt 8,3). Saint Paul recommande: "Que la Parole du Christ réside chez vous en abondance: instruisez-vous en toute sagesse par des admonitions réciproques. Chantez à Dieu de tout votre coeur avec reconnaissance, par des psaumes, des hymnes et des cantiques" (Col 3,16). En cela également, l'apôtre est avant tout témoin: ses Lettres sont la preuve éloquente du fait qu'il vivait en dialogue permanent avec la Parole de Dieu: pensée, action, prière, théologie, prédication, exhortation, tout en lui était fruit de la Parole, reçue dès sa jeunesse dans la foi juive, pleinement révélée à ses yeux par la rencontre avec le Christ mort et ressuscité, prêchée pour le reste de sa vie tout au long de sa "course" missionnaire. Il lui fut révélé que Dieu a prononcé en Jésus Christ la Parole définitive, lui-même, la Parole de salut qui coïncide avec le mystère pascal, le don de soi dans la croix qui devient ensuite résurrection, car l'amour est plus fort que la mort. Saint Paul pouvait ainsi conclure: "Pour moi, que jamais je ne me glorifie sinon dans la Croix de notre Seigneur Jésus Christ, qui a fait du monde un crucifié pour moi et de moi un crucifié pour le monde" (Ga 6,14). Chez Paul, la Parole s'est faite vie, et sa seule gloire est le Christ crucifié et ressuscité.

Chers frères et soeurs, tandis que nous nous préparons à recevoir les cendres sur le front en signe de conversion et de pénitence, nous ouvrons notre coeur à l'action vivifiante de la Parole de Dieu. Que le Carême, marqué par une écoute plus fréquente de cette Parole, par une prière plus intense, par un style de vie austère et pénitentiel, soit un encouragement à la conversion et à l'amour sincère envers nos frères, en particulier les plus pauvres et ceux qui sont le plus dans le besoin. Que nous accompagne l'apôtre Paul, que nous guide Marie, Vierge attentive de l'écoute et humble Servante du Seigneur. Nous pourrons ainsi arriver, renouvelés dans l'esprit, à célébrer avec joie la Pâque. Amen!



Benoît XVI Homélies 11109