Benoît XVI Homélies 12409

Messe de Pâques - 12 avril 2009

12409

HOMÉLIE DU SAINT-PÈRE


Dimanche de Pâques,

Chers Frères et Soeurs !


« Le Christ, notre agneau pascal, a été immolé » (
1Co 5,7) ! Cette exclamation de saint Paul que nous avons écoutée dans la deuxième lecture, tirée de la première Lettre aux Corinthiens, retentit en ce jour. C’est un texte qui date d’une vingtaine d’années à peine après la mort et la résurrection de Jésus, et pourtant – comme c’est typique de certaines expressions pauliniennes – il reflète déjà, en une synthèse impressionnante, la pleine conscience de la nouveauté chrétienne. Le symbole central de l’histoire du salut – l’agneau pascal – est ici identifié à Jésus, qui est justement appelé « notre Pâque ». La Pâque juive, mémorial de la libération de l’esclavage en Égypte, prévoyait tous les ans le rite de l’immolation de l’agneau, un agneau par famille, selon la prescription mosaïque. Dans sa passion et sa mort, Jésus, se révèle comme l’Agneau de Dieu « immolé » sur la croix pour enlever les péchés du monde. Il a été tué à l’heure précise où l’on avait l’habitude d’immoler les agneaux dans le Temple de Jérusalem. Lui-même avait anticipé le sens de son sacrifice durant la Dernière Cène en se substituant – sous les signes du pain et du vin – aux aliments rituels du repas de la Pâque juive. Ainsi nous pouvons dire vraiment que Jésus a porté à son accomplissement la tradition de l’antique Pâque et l’a transformée en sa Pâque.

A partir de cette signification nouvelle de la fête pascale, on comprend aussi l’interprétation des « azymes » donnée par saint Paul. L’Apôtre fait référence à un antique usage juif : selon lequel, à l’occasion de la Pâque, il fallait faire disparaître de la maison le moindre petit reste de pain levé. Cela représentait, d’une part, le souvenir de ce qui était arrivé à leurs ancêtres au moment de la fuite de l’Égypte : sortant en hâte du pays, ils n’avaient pris avec eux que des galettes non levées. Mais, d’autre part, « les azymes » étaient un symbole de purification : éliminer ce qui est vieux pour donner place à ce qui est nouveau. Alors, explique saint Paul, cette tradition antique prend elle aussi un sens nouveau, à partir précisément du nouvel « exode » qu’est le passage de Jésus de la mort à la vie éternelle. Et puisque le Christ, comme Agneau véritable, s’est offert lui-même en sacrifice pour nous, nous aussi, ses disciples – grâce à Lui et par Lui – nous pouvons et nous devons être une « pâte nouvelle », des « azymes » libres de tout résidu du vieux ferment du péché : plus aucune méchanceté ni perversité dans notre coeur.

« Célébrons donc la fête… avec du pain non fermenté : la droiture et la vérité ». Cette exhortation qui conclut la brève lecture qui vient d’être proclamée, résonne avec encore plus de force dans le contexte de l’Année paulinienne. Chers Frères et Soeurs, accueillons l’invitation de l’Apôtre ; ouvrons notre âme au Christ mort et ressuscité pour qu’il nous renouvelle, pour qu’il élimine de notre coeur le poison du péché et de la mort et qu’il y déverse la sève vitale de l’Esprit Saint : la vie divine et éternelle. Dans la séquence pascale, comme en écho aux paroles de l’Apôtre, nous avons chanté : « Scimus Christum surrexisse a mortuis vere » - « nous le savons : le Christ est vraiment ressuscité des morts ». Oui, c’est bien là le noyau fondamental de notre profession de foi, c’est le cri de victoire qui nous unit tous aujourd’hui. Et si Jésus est ressuscité et est donc vivant, qui pourra jamais nous séparer de Lui ? Qui pourra jamais nous priver de son amour qui a vaincu la haine et a mis la mort en échec ?

Que l’annonce de Pâques se répande dans le monde à travers le chant joyeux de l’Alléluia ! Chantons-le avec les lèvres, chantons-le surtout avec le coeur et par notre vie, par un style de vie similaire aux « azymes », c’est-à-dire simple, humble et fécond en bonnes actions. « Surrexit Christus spes mea : / precedet vos in Galileam – le Christ, mon espérance, est ressuscité ! Il vous précèdera en Galilée ». Le Ressuscité nous précède et nous accompagne sur les routes du monde. C’est Lui notre espérance, c’est Lui la paix véritable du monde ! Amen.



CANONISATION DES Bx. Arcangelo Tadini (1846-1912), Bernardo Tolomei (1272-1348), Nuno de Santa Maria Alvares Pereira (1360-1431)

Gertrude Comensoli (1847-1903), Caterina Volpicelli (1839-1894) - 3e dimanche de Paques, 26 avril 2009

26049
Place Saint-Pierre

Dimanche, 26 avril 2009




Chers frères et soeurs,

En ce troisième dimanche du temps pascal, la liturgie place encore une fois au centre de notre attention le mystère du Christ ressuscité. Victorieux sur le mal et sur la mort, l'Auteur de la vie, qui s'est immolé en tant que victime d'expiation pour nos péchés, "continue à s'offrir pour nous et intercède comme notre avocat; sacrifié sur la croix, il ne meurt plus et, avec les signes de la passion, il vit immortel" (cf. Préface pascale 3). Laissons-nous intérieurement inonder par la lumière pascale qui émane de ce grand mystère, et avec le Psaume responsorial prions: "Que resplendisse sur nous, Seigneur, la lumière de ton visage".

La lumière du visage du Christ ressuscité resplendit aujourd'hui sur nous, en particulier à travers les traits évangéliques des cinq bienheureux qui sont inscrits dans l'album des saints au cours de cette célébration: Arcangelo Tadini, Bernardo Tolomei, Nuno de Santa Maria Alvares Pereira, Gertrude Comensoli et Caterina Volpicelli. Je m'unis volontiers à l'hommage que leur rendent les pèlerins, venus ici de divers pays, à qui j'adresse un salut cordial avec une grande affection. Les différents itinéraires humains et spirituels de ces nouveaux saints nous montrent le renouveau profond qu'accomplit dans le coeur de l'homme le mystère de la résurrection du Christ; un mystère fondamental qui oriente et guide toute l'histoire du salut. C'est donc à juste titre que l'Eglise nous invite toujours, et encore davantage en ce temps pascal, à tourner nos regards vers le Christ ressuscité, réellement présent dans le Sacrement de l'Eucharistie.

Dans la page évangélique, saint Luc rapporte l'une des apparitions de Jésus ressuscité (
Lc 24,35-48). Précisément au début du passage, l'évangéliste note que les deux disciples d'Emmaus, revenus en hâte à Jérusalem, racontèrent aux Onze comment ils l'avaient reconnu "quand il avait rompu le pain" (Lc 24,35). Et pendant qu'ils racontaient l'expérience extraordinaire de leur rencontre avec le Seigneur, Celui-ci "lui-même était là au milieu d'eux" (Lc 24,36). A cause de son apparition soudaine, les Apôtres furent frappés de stupeur et de crainte, au point que Jésus, pour les rassurer et vaincre toute réticence et doute, leur demande de le toucher - ce n'était pas un fantôme, mais un homme en chair et en os - et demanda ensuite quelque chose à manger. Encore une fois, comme cela avait eu lieu pour les deux pèlerins d'Emmaus, c'est à table, alors qu'il mange avec les siens, que le Christ ressuscité se manifeste aux disciples, les aidant à comprendre l'Ecriture et à relire les événements du salut à la lumière de la Pâque. "Il fallait que s'accomplisse - dit-il - tout ce qui a été écrit de moi dans la loi de Moïse, les Prophètes et les Psaumes" (Lc 24,44). Et il les invite à regarder vers l'avenir: "la conversion proclamée en son nom pour le pardon des péchés à toutes les nations" (Lc 24,47).

Chaque communauté revit cette même expérience dans la célébration eucharistique, en particulier la célébration dominicale. L'Eucharistie, le lieu privilégié où l'Eglise reconnaît "l'auteur de la vie" (cf. Ac 3,15), est "la fraction du pain", comme elle est appelée dans les Actes des Apôtres. Dans celle-ci, grâce à la foi, nous entrons en communion avec le Christ, qui est "autel, victime et prêtre" (cf. Préface pascale 5) et qui est parmi nous. Nous nous rassemblons autour de Lui pour faire mémoire de ses paroles et des événements contenus dans l'Ecriture; nous revivons sa passion, sa mort et sa résurrection. En célébrant l'Eucharistie, nous communiquons avec le Christ, victime d'expiation, et nous puisons en Lui le pardon et la vie. Que serait notre vie de chrétiens sans l'Eucharistie? L'Eucharistie est l'héritage perpétuel et vivant que nous a laissé le Seigneur dans le Sacrement de son Corps et de son Sang, que nous devons constamment repenser et approfondir afin que, comme l'affirmait le vénéré Pape Paul VI, il puisse "imprimer son efficacité inépuisable sur tous les jours de notre vie mortelle" (Insegnamenti, v [1967], p. 779). Nourris par le pain eucharistique, les saints que nous vénérons aujourd'hui ont mené à bien leur mission d'amour évangélique dans les divers domaines où ils ont oeuvré avec leurs charismes spécifiques.

Saint Arcangelo Tadini passait de longues heures en prière devant l'Eucharistie, lui qui, ayant toujours à l'esprit dans son ministère pastoral la personne humaine dans sa totalité, aidait ses paroissiens à croître humainement et spirituellement. Ce saint prêtre, ce saint curé, un homme entièrement donné à Dieu, prêt en chaque circonstance à se laisser guider par l'Esprit Saint, était dans le même temps disponible à accueillir les urgences du moment et à y trouver un remède. C'est pourquoi il prit de nombreuses initiatives concrètes et courageuses, comme l'organisation de la "Société ouvrière catholique du secours mutuel", la construction de la filature et de la maison d'accueil pour les ouvrières, ainsi que la fondation, en 1900, de la "Congrégation des Soeurs ouvrières de la Sainte Maison de Nazareth", dans le but d'évangéliser le monde du travail à travers le partage des fatigues, sur l'exemple de la Sainte Famille de Nazareth. Combien fut prophétique l'intuition de Don Tadini et combien son exemple reste actuel aujourd'hui aussi, à une époque de grave crise économique! Il nous rappelle que ce n'est qu'en cultivant une relation constante et profonde avec le Seigneur, en particulier dans le Sacrement de l'Eucharistie, que nous pouvons ensuite être en mesure d'apporter le ferment de l'Evangile dans les différentes activités de travail et dans chaque milieu de notre société.

Chez saint Bernardo Tolomei, initiateur d'un mouvement monastique bénédictin, ressort également l'amour pour la prière et pour le travail manuel. Son existence fut une existence eucharistique, entièrement consacrée à la contemplation, qui se traduisait en un humble service du prochain. En raison de son esprit d'humilité et d'accueil fraternel particulier, il fut réélu abbé par les moines vingt-sept années de suite, jusqu'à sa mort. En outre, pour assurer l'avenir de son oeuvre, il obtint de Clément VI, le 21 janvier 1344, l'approbation pontificale de la nouvelle Congrégation bénédictine, dite de "S. Maria di Monte Oliveto". A l'occasion de la grande peste de 1348, il quitta la solitude de Monte Oliveto pour se rendre dans le monastère Saint-Benoît à Porta Tufi, à Sienne, afin d'assister ses moines frappés par le mal, et il mourut lui-même victime de la maladie comme un authentique martyr de la charité. De l'exemple de ce saint, nous vient l'invitation à traduire notre foi en une vie consacrée à Dieu dans la prière et prodiguée au service du prochain sous l'impulsion d'une charité également prête au sacrifice suprême.

"Sachez que le Seigneur a mis à part son fidèle, le Seigneur entend quand je crie vers lui" (Ps 4,4). Ces paroles du Psaume responsorial expriment le secret de la vie du bienheureux Nuno de Santa María, héros et saint du Portugal. Les soixante-dix années de sa vie se déroulèrent pendant la deuxième moitié du XIV siècle et la première du XV siècle, qui virent ce pays consolider son indépendance de la Castille, puis s'étendre au-delà de l'océan - non sans un dessein particulier de Dieu -, en ouvrant de nouvelles routes qui devaient favoriser l'avènement de l'Evangile du Christ jusqu'aux extrémités de la terre. Saint Nuno se sentait l'instrument de ce dessein supérieur et enrôlé dans la militia Christi c'est-à-dire dans le service de témoignage que chaque chrétien est appelé à rendre dans le monde. Ce qui le caractérisait était une intense vie de prière et la confiance absolue dans l'aide divine. Bien qu'il soit un excellent militaire et un grand chef, il ne permit jamais à ces dons naturels de prévaloir sur l'action suprême qui provient de Dieu. Saint Nuno s'efforçait de ne placer aucun obstacle à l'action de Dieu dans sa vie, en imitant la Sainte Vierge, pour laquelle il éprouvait une grande dévotion et à laquelle il attribuait publiquement ses victoires. Au terme de sa vie, il se retira dans le couvent de carmes dont il avait ordonné la construction. Je suis heureux de présenter à toute l'Eglise cette figure exemplaire, en particulier en raison d'une vie de foi et de prière dans des situations en apparence défavorables, apportant la preuve que dans toute situation, même à caractère militaire et de conflit, il est possible d'agir et de mettre en oeuvre les valeurs et les principes de la vie chrétienne, en particulier si celle-ci est placée au service du bien commun et de la gloire de Dieu.

Dès son enfance, sainte Gertrude Comensoli ressentit une attraction particulière pour Jésus. L'adoration du Christ eucharistique devint le but principal de sa vie, nous pourrions presque dire la condition habituelle de son existence. Ce fut en effet devant l'Eucharistie que sainte Gertrude comprit sa vocation et sa mission dans l'Eglise: celle de se consacrer sans réserves à l'action apostolique et missionnaire, en particulier en faveur de la jeunesse. C'est ainsi que naquit, en obéissance au Pape Léon XIII, son Institut qui visait à traduire la "charité contemplée" en Christ eucharistique, en "charité vécue" en se consacrant à son prochain dans le besoin. Dans une société égarée et souvent blessée, comme la nôtre, à une jeunesse, comme celle de notre époque, à la recherche de valeurs et d'un sens à donner à sa propre existence, sainte Gertrude indique comme solide point de référence le Dieu qui, dans l'Eucharistie, s'est fait notre compagnon de voyage. Elle nous rappelle que "l'adoration doit prévaloir sur toutes les oeuvres de charité" car c'est de l'amour pour le Christ mort et ressuscité, réellement présent dans le Sacrement eucharistique, que naît cette charité évangélique qui nous pousse à considérer tous les hommes comme nos frères.

Sainte Caterina Volpicelli fut également un témoin de l'amour divin, qui s'efforça d'"être du Christ, pour conduire au Christ" ceux qu'elle rencontra dans la ville de Naples à la fin du XIX siècle, à une époque de crise spirituelle et sociale. Pour elle aussi, le secret fut l'Eucharistie. Elle recommandait à ses premières collaboratrices de cultiver une intense vie spirituelle dans la prière et, surtout, le contact vital avec Jésus Eucharistie. Telle est également aujourd'hui la condition pour poursuivre l'oeuvre et la mission qu'elle a commencées et laissées en héritage aux "Servantes du Sacré-Coeur". Pour être d'authentiques éducatrices de la foi, désireuses de transmettre aux nouvelles générations les valeurs de la culture chrétienne, il est indispensable, comme elle aimait à le répéter, de libérer Dieu des prisons dans lesquelles les hommes l'ont enfermé. Ce n'est en effet que dans le coeur du Christ que l'humanité peut trouver sa "demeure stable". Sainte Caterina montre à ses filles spirituelles et à nous tous, le chemin exigeant d'une conversion qui change le coeur à sa racine et qui se traduit en actions cohérentes avec l'Evangile. Il est ainsi possible de poser les bases pour construire une société ouverte à la justice et à la solidarité, en surmontant le déséquilibre économique et culturel qui continue à subsister dans une grande partie de notre monde.

Chers frères et soeurs, nous rendons grâce au Seigneur pour le don de la sainteté, qui aujourd'hui resplendit dans l'Eglise avec une beauté singulière chez Arcangelo Tadini, Bernardo Tolomei, Nuno de Santa Maria Alvares Pereira, Gertrude Comensoli et Caterina Volpicelli. Laissons-nous attirer par leurs exemples, laissons-nous guider par leurs enseignements, afin que notre existence aussi devienne un cantique de louange à Dieu, sur les traces de Jésus, adoré avec foi dans le mystère eucharistique et servi avec générosité chez notre prochain. Que l'intercession maternelle de Marie, Reine des saints, et de ces cinq nouveaux lumineux exemples de sainteté, que nous vénérons aujourd'hui avec joie, nous permette de réaliser cette mission évangélique. Amen!



MESSE AVEC ORDINATION SACERDOTALE - Dimanche du Bon Pasteur, 3 mai 2009

30509
Basilique Vaticane

Dimanche 3 mai 2009




Chers frères et soeurs!

Selon une belle tradition, le Dimanche "du Bon Pasteur" voit l'évêque de Rome réuni avec son presbyterium pour les ordinations des nouveaux prêtres du diocèse. C'est à chaque fois un grand don de Dieu; c'est sa grâce! Réveillons donc en nous un sentiment profond de foi et de reconnaissance en vivant cette célébration d'aujourd'hui. Et dans ce climat, j'ai à coeur de saluer le cardinal-vicaire Agostino Vallini, les évêques auxiliaires, les autres frères dans l'épiscopat et dans le sacerdoce, et avec une affection spéciale vous, chers diacres et candidats au sacerdoce, avec vos familles et vos amis. La Parole de Dieu que nous avons écoutée nous offre d'abondants éléments de méditation: j'en recueillerai quelques-uns, pour que celle-ci puisse jeter une lumière indélébile sur le chemin de votre vie et sur votre ministère.

"Ce Jésus, il est la pierre... Et son Nom est le seul qui puisse nous sauver" (
Ac 4,11-12). Dans le passage des Actes des Apôtres - la première lecture - cette singulière "homonymie" entre Pierre et Jésus nous frappe et nous fait réfléchir: Pierre, qui a reçu son nouveau nom de Jésus lui-même, affirme ici que c'est Lui, Jésus, "la pierre". En effet, l'unique véritable roc est Jésus. L'unique nom qui sauve est le sien. L'apôtre, et donc le prêtre, reçoit son "nom", c'est-à-dire sa propre identité, du Christ. Tout ce qu'il fait, il le fait en son "nom". Son "moi" devient totalement relatif au "moi" de Jésus. Au nom du Christ, et certainement pas en son nom propre, l'apôtre peut accomplir des gestes de guérison de ses frères, il peut aider les "malades" à être soulagés et à reprendre le chemin (cf. Ac 4,10). Dans le cas de Pierre, le miracle accompli peu auparavant rend cela particulièrement évident. Et la référence à ce que dit le Psaume est également essentielle: "La pierre qu'ont rejetée les bâtisseurs / est devenue la pierre d'angle" (Ps 117,22 [118]). Jésus a été "rejeté", mais le Père l'a choisi et l'a placé comme fondement du temple de la Nouvelle Alliance. Ainsi l'apôtre, comme le prêtre, fait à son tour l'expérience de la croix, et ce n'est qu'à travers elle qu'il devient vraiment utile à la construction de l'Eglise. Dieu aime construire son Eglise avec des personnes qui, en suivant Jésus, placent toute leur confiance en Dieu, comme le dit le même Psaume: "Mieux vaut s'appuyer sur le Seigneur / que de compter sur les hommes; / mieux vaut s'appuyer sur le Seigneur / que de compter sur les puissants" (Ps 117,8-9).

Le même sort que celui du Maître revient au disciple, qui en dernière instance est le sort inscrit dans la volonté même de Dieu le Père! Jésus le confessa à la fin de sa vie, dans la grande prière dite "sacerdotale": "Père juste, le monde ne t'a pas connu, mais moi je t'ai connu" (Jn 17,25). Il l'avait également affirmé auparavant: "Personne ne connaît le Père, sinon le Fils" (Mt 11,27). Jésus a fait l'expérience en personne du refus de Dieu de la part du monde, de l'incompréhension, de l'indifférence, de la défiguration du visage de Dieu. Et Jésus a passé le "témoin" aux disciples: "Je leur ai fait connaître ton nom - confie-t-il encore dans la prière au Père -, et je le ferai connaître encore, pour qu'ils aient en eux l'amour dont tu m'as aimé, et que moi aussi, je sois en eux" (Jn 17,26). C'est pourquoi le disciple - et en particulier l'apôtre - fait l'expérience de la même joie que celle de Jésus, de connaître le nom et le visage du Père; et il partage aussi sa même douleur, de voir que Dieu n'est pas connu, que son amour n'est pas restitué. D'une part, nous nous exclamons, comme Jean dans sa première Lettre: "Voyez comme il est grand, l'amour dont le Père nous a comblés: il a voulu que nous soyons appelés enfants de Dieu - et nous le sommes"; et de l'autre, nous constatons avec amertume: "Voilà pourquoi le monde ne peut pas nous connaître: puisqu'il n'a pas découvert Dieu" (1Jn 3,1). Cela est vrai, et nous les prêtres en faisons l'expérience: le "monde" - dans l'acception johannique du terme - ne comprend pas le chrétien, ne comprend pas les ministres de l'Evangile. Un peu parce que, de fait, il ne connaît pas Dieu, et un peu parce qu'il ne veut pas le connaître. Le monde ne veut pas connaître Dieu et écouter ses ministres, car cela le mettrait en crise.

Il faut ici faire attention à une réalité de fait: ce "monde", toujours dans le sens évangélique, menace également l'Eglise, en contaminant ses membres et les ministres ordonnés eux-mêmes. Le "monde" est une mentalité, une manière de penser et de vivre qui peut aussi polluer l'Eglise, et qui de fait la pollue, et qui demande donc une vigilance et une purification permanentes. Tant que Dieu ne se sera pas pleinement manifesté, ses fils aussi ne sont pas encore pleinement "semblables à Lui" (1Jn 3,2). Nous sommes "dans" le monde, et nous risquons d'être également "du" monde. Et de fait, nous le sommes parfois. C'est pourquoi Jésus à la fin n'a pas prié pour le monde, mais pour ses disciples, pour que le Père les protège du malin et qu'ils soient libres et différents du monde, bien que vivant dans le monde (cf. Jn 17,9 Jn 17,15). A ce moment, au terme de la Dernière Cène, Jésus a élevé au Père la prière de consécration pour les apôtres et pour tous les prêtres de chaque époque, lorsqu'il a dit: "Consacre-les par la vérité" (Jn 17,17). Et il a ajouté: "Et pour eux je me consacre moi-même, afin qu'ils soient, eux aussi, consacrés par la vérité" (Jn 17,19). Je me suis arrêté sur ces paroles de Jésus dans l'homélie de la Messe chrismale, Jeudi Saint dernier. A présent, je me relie à cette réflexion en faisant référence à l'Evangile du Bon Pasteur, où Jésus déclare: "Je donne ma vie pour mes brebis" (cf. Jn 10,15 Jn 10,17 Jn 10,18).

Devenir prêtres, dans l'Eglise, signifie entrer dans ce don de soi du Christ, à travers le sacrement de l'ordre, et y entrer avec tout soi-même. Jésus a donné sa vie pour tous, mais il s'est consacré de manière particulière à ceux que le Père lui avait donnés, pour qu'ils soient consacrés dans la vérité, c'est-à-dire en Lui, et qu'ils puissent parler et agir en son nom, le représenter, prolonger ses gestes salvifiques: rompre le Pain de la vie et remettre les péchés. Ainsi, le Bon Pasteur a offert sa vie pour toutes les brebis, mais il l'a donnée et il la donne de manière particulière à celles que Lui-même, "avec un sens profond de prédilection", a appelées et appelle à le suivre sur la voie du service pastoral. Jésus a ensuite prié de manière singulière pour Simon Pierre, et il s'est sacrifié pour lui, car il devait lui dire un jour, sur les rives du lac de Tibériade: "Pais mes brebis" (Jn 21,16-17). De manière analogue, chaque prêtre est le destinataire d'une prière personnelle du Christ, et de son sacrifice même, et ce n'est qu'en tant que tel qu'il est habilité à collaborer avec Lui pour paître le troupeau qui appartient entièrement et seulement au Seigneur.

Je voudrais aborder ici un point qui me tient particulièrement à coeur: la prière et son lien avec le service. Nous avons vu qu'être ordonnés prêtres signifie entrer de manière sacramentelle et existentielle dans la prière du Christ pour les "siens". C'est de là que découle pour nous les prêtres une vocation particulière à la prière, dans un sens fortement christocentrique: c'est-à-dire que nous sommes appelés à "demeurer" en Christ - comme aime à le répéter l'évangéliste Jean (cf. Jn 1,35-39 Jn 15,4-10) -, et cela se réalise particulièrement dans la prière. Notre ministère est totalement lié à ce "demeurer" qui équivaut à prier, et son efficacité dérive de cela. Dans cette perspective, nous devons penser aux diverses formes de la prière d'un prêtre, avant tout à la Messe quotidienne. La célébration eucharistique est l'acte de prière le plus grand et le plus élevé, et il constitue le centre et la source dont les autres formes reçoivent également la "sève": la liturgie des heures, l'adoration eucharistique, la lectio divina, le chapelet, la méditation. Toutes ces formes de prière qui ont leur centre dans l'Eucharistie, ont pour effet que dans la journée du prêtre, et dans toute sa vie, se réalise la parole de Jésus: "Moi je suis le bon pasteur; je connais mes brebis, et mes brebis me connaissent, comme le père me connaît, et que je connais le Père; et je donne ma vie pour mes brebis" (Jn 10,14-15). En effet, ce "connaître" et "être connus" en Christ et, à travers Lui, dans la Très Sainte Trinité, n'est autre que la réalité la plus vraie et la plus profonde de la prière. Le prêtre qui prie beaucoup, et qui prie bien, est progressivement exproprié de lui-même et toujours plus uni à Jésus Bon Pasteur et Serviteur de ses frères. Conformément à Lui, le prêtre "donne la vie" lui aussi pour les brebis qui lui sont confiées. Personne ne la lui ôte: il l'offre lui-même, en union avec le Christ Seigneur, qui a le pouvoir de donner sa vie et le pouvoir de la reprendre non seulement pour lui, mais également pour ses amis, liés à Lui par le sacrement de l'ordre. Ainsi, la vie même du Christ, Agneau et Pasteur, est transmise à tout le troupeau, à travers les ministères consacrés.

Chers diacres, que l'Esprit Saint imprime dans vos coeurs cette Parole divine, que j'ai brièvement commentée, pour qu'elle porte des fruits abondants et durables. Nous le demandons par l'intercession des saints apôtres Pierre et Paul et de saint Jean-Marie Vianney, le Curé d'Ars, sous le patronage duquel j'ai placé la prochaine Année sacerdotale. Que la Mère du Bon Pasteur, la Très Sainte Vierge Marie, l'obtienne pour vous. En chaque circonstance de votre vie, tournez-vous vers Elle, étoile de votre sacerdoce. Comme aux serviteurs aux noces de Cana, Marie vous répète à vous aussi: "Faites tout ce qu'il vous dira" (Jn 2,5). A l'école de la Vierge, soyez toujours des hommes de prière et de service, pour devenir, dans le fidèle exercice de votre ministère, des prêtres saints selon le coeur de Dieu.



PÈLERINAGE DU SAINT-PÈRE BENOÎT XVI EN TERRE SAINTE (8-15 MAI 2009)


CÉLÉBRATION DES VÊPRES AVEC LES PRÊTRES, LES DIACRES, LES SÉMINARISTES, LES CONSACRÉS ET LES MOUVEMENTS ECCLÉSIAUX

9509
Cathédrale grecque-melkite catholique Saint-Georges - Amman

Samedi 9 mai 2009



Chers Frères et soeurs,

C’est pour moi une grande joie de célébrer les Vêpres avec vous ce soir dans la cathédrale grecque-melkite Saint-Georges. Je salue chaleureusement Sa Béatitude Grégorios III Laham, le Patriarche grec-melkite, qui de Damas nous a rejoints, l’Archevêque émérite Georges El-Murr et Mgr Yaser Ayyach, Archevêque de Pétra et de Philadelphie, que je remercie pour ses aimables paroles d’accueil et je lui adresse, en retour, mes sentiments respectueux. Je salue aussi les responsables des autres Églises catholique orientales présents – Maronite, Syriaque, Arménienne, Chaldéenne et Latine. À vous tous, aux prêtres, aux religieuses et aux religieux, aux séminaristes et aux fidèles laïcs rassemblés ici ce soir, j’exprime mes sincères remerciements de m’avoir donné l’occasion de prier et de goûter un peu de la richesse de nos traditions liturgiques.

L’Église elle-même est un peuple de pèlerins ; elle a été ainsi marquée, à travers les siècles, par des événements historiques déterminants et par des époques culturelles d’importance. Malheureusement, certaines ont parfois été accompagnées par des épisodes d’oppositions théologiques ou d’oppression. En revanche, d’autres ont été des moments de réconciliation – renforçant merveilleusement la communion de l’Église – et des temps de florissants renouveaux culturels auxquels les chrétiens de l’Orient ont largement contribué. Les Églises particulières à l’intérieur de l’Église universelle manifestent le dynamisme de leur pèlerinage terrestre et offrent à tous les membres de la communauté des croyants un trésor de traditions spirituelles, liturgiques et ecclésiales qui fait ressortir la bonté universelle de Dieu et son désir, vérifié à travers l’histoire, de les introduire tous dans sa vie divine.

Le trésor antique et vivant des traditions des Églises orientales enrichit l’Église universelle et ne devrait jamais être compris comme des réalités à préserver seulement. Tous les chrétiens sont appelés à répondre activement au commandement du Seigneur – comme saint Georges, d’après le souvenir populaire, le fit en des circonstances dramatiques – de conduire les autres à Le connaître et à L’aimer. Dans les faits, les vicissitudes de l’histoire ont fortifié les membres des Églises particulières pour remplir ce devoir avec vigueur et se confronter résolument aux réalités pastorales de ce temps. La plupart d’entre vous possèdent des liens antiques avec le Patriarcat d’Antioche ; vos communautés sont donc enracinées ici au Proche-Orient. Et, tout comme il y a tout juste deux mille ans, c’est à Antioche que les disciples furent pour la première fois appelés chrétiens, ainsi, aujourd’hui, en tant que petites minorités disséminées en communautés sur ces territoires, vous êtes également reconnus comme les disciples du Seigneur. La dimension publique de votre foi chrétienne ne se restreint pas à la sollicitude spirituelle que vous vous portez les uns aux autres et à votre peuple, aussi essentiel que cela soit. Mais au contraire, vos nombreuses entreprises inspirées par la charité universelle s’étendent à tous les Jordaniens – musulmans et personnes d’autres religions - ainsi qu’au grand nombre de réfugiés que ce Royaume accueille si généreusement.

Chers frères et soeurs, le premier Psaume (
Ps 103) que nous avons proclamé ce soir nous présente par des images magnifiques de Dieu, la libéralité du Créateur, présent activement dans sa création, suscitant la vie par sa généreuse bonté et l’ordre de sa sagesse, toujours prêt à renouveler la face de la terre ! Cependant, le passage de l’épître que nous venons d’entendre dresse une autre perspective. Il nous avertit, non pas de manière menaçante, mais réaliste, de la nécessité de demeurer vigilants, d’être attentifs aux forces du mal à l’oeuvre dans notre monde et qui sont à l’origine des ténèbres (cf. Ep 6,10-20). Certains pourraient être tentés de penser qu’il y a là une contradiction ; en réfléchissant pourtant sur notre expérience humaine ordinaire, nous constatons un combat spirituel, nous prenons conscience du besoin quotidien de demeurer et de vivre dans la lumière du Christ, de choisir la vie, de rechercher la vérité. En effet, ce mouvement – tourner le dos au mal et se ceindre de la force du Seigneur – est ce que nous célébrons à chaque baptême, l’entrée dans la vie chrétienne, le premier pas dans la voie des disciples du Seigneur. Rappelant le baptême du Christ par Jean dans les eaux du Jourdain, l’assemblée prie pour que celui qui est baptisé soit arraché au royaume des ténèbres et placé dans la splendeur de la lumière du Royaume de Dieu et reçoive ainsi le don de la vie nouvelle.

La dynamique de ce mouvement qui va de la mort à la nouveauté de la vie, des ténèbres à la lumière, du désespoir à l’espérance, dont nous faisons l’expérience si fortement pendant le Triduum, et qui est célébré si joyeusement à Pâques, permet à l’Église elle-même de rester jeune. Elle est vivante parce que le Christ est vivant, vraiment ressuscité. Vivifiée par la présence de l’Esprit, elle parvient chaque jour à attirer des hommes et des femmes vers le Dieu vivant. Chers Évêques, prêtres, religieuses et religieux et fidèles laïcs, vos rôles respectifs dans le service et la mission au sein de l’Église constituent la réponse inlassable d’un peuple de pèlerins. Vos rites liturgiques, votre discipline ecclésiastique et votre héritage spirituel sont un témoignage vivant de votre tradition ininterrompue. Vous donnez un écho plus ample à la première prédication de l’Évangile, vous ravivez la mémoire antique des oeuvres du Seigneur, vous rendez présente sa grâce de salut et vous diffusez à nouveau les premières lueurs de la lumière de Pâques et les vibrantes flammes de la Pentecôte.

En ce sens, en imitant le Christ, ainsi que les patriarches et les prophètes de l’Ancien Testament, nous nous disposons à conduire le peuple du désert vers le lieu de la vie, vers le Seigneur qui nous donne la vie en abondance. Ceci marque l’ensemble de vos oeuvres apostoliques, dont la variété et la dimension sont grandement appréciées. Des écoles maternelles jusqu’aux établissements d’enseignement supérieur, des orphelinats jusqu’aux foyers pour personnes âgées, du travail avec les réfugiés jusqu’aux académies de musique, aux cliniques et aux hôpitaux, aux initiatives culturelles et celles qui sont liées au dialogue interreligieux, votre présence dans cette société est un merveilleux signe de l’espérance qui nous définit comme chrétiens.

Cette espérance déborde le cadre de nos communautés chrétiennes. Souvent, vous constatez que les familles appartenant à d’autres religions, avec lesquelles vous travaillez et auxquelles vous offrez un service de charité, partagent des préoccupations et des soucis qui dépassent les frontières culturelles ou religieuses. Cela est particulièrement notable en ce qui concerne les espoirs et les aspirations des parents pour leurs enfants. Qui, en tant que parent ou personne de bonne volonté, pourrait ne pas être troublé par les influences néfastes si présentes dans notre monde globalisé, notamment les facteurs destructeurs présents dans l’industrie du divertissement qui exploite sans coeur l’innocence et la sensibilité des jeunes et des personnes vulnérables ? Malgré tout, en gardant les yeux fermement fixés sur le Christ, lumière qui dissipe tout mal, qui restaure l’innocence perdue, qui abaisse l’orgueil du monde, vous pourrez avoir une vision magnifique d’espérance pour tous ceux que vous rencontrez et que vous servez.

Je voudrais conclure par une parole particulière d’encouragement à l’égard de ceux qui sont ici présents et qui sont en formation en vue de la prêtrise ou de la vie religieuse. Guidés par la lumière du Christ ressuscité, brûlant de son espérance, et revêtus de la vérité et de l’amour, votre témoignage portera d’abondantes bénédictions à ceux que vous rencontrerez le long du chemin. Et ceci vaut également pour vous tous jeunes chrétiens jordaniens : n’ayez pas peur d’offrir votre contribution sage, pondérée et respectueuse à la vie publique du Royaume. La voix authentique de la foi apporte toujours intégrité, justice, compassion et paix !

Chers amis, avec des sentiments de grand respect pour vous tous qui êtes rassemblés avec moi pour la prière vespérale, je vous remercie encore de vos prières pour mon ministère de successeur de Pierre et je vous assure, ainsi que tous ceux qui sont confiés à votre sollicitude pastorale, de mon souvenir pour vous dans ma prière quotidienne.



Benoît XVI Homélies 12409