Benoît XVI Homélies 20048

Messe au Yankee Stadium de New York - 4e dimanche de Pâques, 20 avril 2008

20048

Yankee Stadium, Bronx, New York

V Dimanche de Pâques, 20 avril 2008

Chers frères et soeurs dans le Christ,


Dans l'Evangile que nous venons d'entendre, Jésus dit à ses apôtres de placer leur foi en lui, parce qu'il est "le chemin, la vérité et la vie" (
Jn 14,6). Le Christ est le chemin qui conduit au Père, la vérité qui donne un sens à l'existence humaine, et la source de cette vie qui est joie éternelle avec les saints dans le royaume des cieux. Prenons le Seigneur au mot! Renouvelons notre foi en lui et plaçons notre espérance dans ses promesses!

Avec cet encouragement à persévérer dans la foi de Pierre (cf. Lc 22,32 Mt 16,17), je vous salue tous avec une grande affection. Je remercie le cardinal Egan pour ses paroles cordiales de bienvenue en votre nom. Pendant cette messe, l'Eglise aux Etats-Unis célèbre le 200 anniversaire de la création des sièges de New York, Boston, Philadelphie et Louisville, à partir du démembrement du siège "mère" de Baltimore. La présence du successeur de Pierre à cet autel, de ses confrères évêques et prêtres, des diacres, des religieux, des religieuses, et des fidèles laïcs des cinquante Etats de l'Union, manifeste de façon éloquente notre communion dans la foi catholique qui nous vient des apôtres.

Notre célébration d'aujourd'hui est aussi le signe de la croissance impressionnante dont Dieu a béni l'Eglise de votre pays au cours des deux cents dernières années. C'est à partir du petit troupeau, tel qu'il est décrit dans la première lecture, que l'Eglise s'est construite en Amérique, dans la fidélité au deux commandements de l'amour de Dieu et de l'amour du prochain. Dans ce pays de liberté et d'opportunités, l'Eglise a réuni des troupeaux très différents, dans la profession de foi et, à travers ses nombreuses oeuvres d'éducation, de charité et d'assistance sociale, elle a aussi contribué de façon significative à la croissance de la société américaine dans son ensemble.

Ce grand résultat ne s'est pas fait sans défis. La première lecture d'aujourd'hui, tirée des Actes des Apôtres, parle des tensions linguistiques, et culturelles, déjà présentes dans la communauté de l'Eglise primitive. En même temps, cela montre la puissance de la Parole de Dieu, proclamée avec autorité par les apôtres et reçue dans la foi, pour créer une unité qui transcende les divisions qui sont le fruit des limites et des faiblesses humaines. Ici, nous est rappelée une vérité fondamentale: l'unité de l'Eglise n'a pas d'autre base que la Parole de Dieu, faite chair en Jésus Christ notre Seigneur. Tous les signes extérieurs d'identité, toutes les structures, les associations et les programmes, aussi valables et même essentiels soient-ils, n'existent, en définitive, que pour soutenir et favoriser l'unité profonde qui, dans le Christ, est le don indéfectible de Dieu à son Eglise.

La première lecture indique aussi clairement, comme nous le voyons de l'imposition des mains aux premiers diacres, que l'unité de l'Eglise est aussi "apostolique". C'est une unité visible, fondée sur les apôtres que le Christ a choisis pour être les témoins de sa résurrection, et elle est née de ce que les Ecritures appellent "l'obéissance de la foi" (Rm 1,5 cf. Ac 6,7).

"Autorité"... "obéissance". Pour être francs, ces paroles ne sont pas faciles à prononcer aujourd'hui. De tels mots représentent une "pierre d'achoppement" pour beaucoup de contemporains, spécialement dans une société qui donne à juste titre une valeur élevée à la liberté personnelle. Cependant, dans la nuit de notre foi, en Jésus Christ, - "le chemin, la vérité et la vie" - nous voyons peu à peu la signification, la valeur, et même la beauté de ces paroles. L'Evangile nous enseigne que la vraie liberté, la liberté des enfants de Dieu, ne se trouve que dans l'abandon de soi qui appartient au mystère de l'amour. Ce n'est qu'en se perdant soi-même, nous dit le Seigneur, que nous nous trouvons vraiment nous-mêmes (cf. Lc 17,33). La liberté véritable fleurit lorsque nous nous détournons du fardeau du péché qui embrume nos perceptions et affaiblit nos résolutions, pour trouver la source de notre bonheur ultime en celui qui est l'amour infini, la liberté infinie, la vie infinie. "Dans sa volonté nous trouvons la paix".

La liberté véritable est alors un don gratuit de Dieu, le fruit de la conversion à sa vérité, la vérité qui nous rend libre (cf. Jn 8,32). Et cette liberté dans la vérité apporte dans son sillage une façon nouvelle et libératrice de regarder la réalité. Lorsque nous revêtons "l'esprit du Christ" (cf. Ph 2,5), de nouveaux horizons s'ouvrent à nous! A la lumière de la foi, dans la communion de l'Eglise, nous trouvons aussi l'inspiration et la force de devenir dans le monde un levain de l'Evangile. Nous devenons la lumière du monde, le sel de la terre (cf. Mt 5,13-14), auquel est confié "l'apostolat" de rendre nos vies et le monde où nous vivons, toujours plus conformes au dessein de salut de Dieu.

La magnifique vision d'un monde transformé par la vérité libératrice de l'Evangile se reflète dans la description de l'Eglise que l'on trouve dans la deuxième lecture de ce jour. L'apôtre nous dit que le Christ, ressuscité des morts, est la clef de voûte d'un grand temple qui se construit aujourd'hui encore dans l'Esprit. Et nous, en tant que membres de ce corps, par le baptême, nous sommes devenus des "pierres vivantes" de ce temple, participant par grâce à la vie de Dieu, bénis par la liberté des enfants de Dieu, et ayant le pouvoir d'offrir des sacrifices spirituels qui lui plaise (cf. 1P 2,5). Et quelle est cette offrande que nous sommes appelés à faire, sinon de diriger toutes nos pensées, nos paroles et nos actions vers la vérité de l'Evangile et de mobiliser toutes nos énergies au service du Royaume de Dieu? Ce n'est qu'ainsi que nous pouvons construire avec Dieu, sur l'unique fondation qui est le Christ (cf. 1Co 3,11). Ce n'est qu'ainsi que nous pouvons construire quelque chose qui durera vraiment. Ce n'est qu'ainsi que nos vies peuvent trouver une signification ultime et porter un fruit éternel.

Nous rappelons aujourd'hui le bicentenaire d'un partage des eaux dans l'histoire de votre Eglise aux Etats-Unis: c'est le premier grand chapitre de sa croissance. Au cours de ces deux cents ans, le visage de la communauté catholique dans votre pays a beaucoup changé. Nous pensons aux vagues d'immigrants successives dont les traditions ont ainsi enrichi l'Eglise en Amérique. Nous pensons à la foi solide qui a construit le réseau des églises, des institutions d'éducation, de santé et d'assistance sociale, qui ont pendant longtemps été la marque de l'Eglise dans ce pays. Nous pensons aussi aux innombrables pères et mères qui ont transmis la foi à leurs enfants, le solide ministère de nombreux prêtres qui ont dévoué leurs vies au soin des âmes, et la contribution incalculable de si nombreux religieux et religieuses qui ne se sont pas contentés d'enseigner à des générations d'enfants comment lire et écrire, mais leur ont également insufflé le désir de connaître Dieu, de l'aimer et de le servir. Combien de "sacrifices spirituels qui plaisent à Dieu" ont-ils été offerts au cours de ces siècles! Dans ce pays de liberté religieuse, les catholiques trouvent la liberté non seulement de pratiquer leur foi, mais aussi de participer pleinement à la vie civile, en apportant leurs convictions morales les plus profondes sur la place publique, et en coopérant avec leurs voisins pour façonner une société vivante et démocratique. La célébration d'aujourd'hui est plus qu'une occasion de gratitude pour les grâces reçues. C'est aussi un appel à avancer très résolument pour utiliser sagement les bénédictions de la liberté, de façon à construire un avenir d'espérance pour les générations à venir.

"Vous êtes une race élue, un sacerdoce royal, une nation sainte, un peuple acquis, pour proclamer les louanges de Celui qui vous a appelés des ténèbres à son admirable lumière" (1P 2,9). Ces paroles de l'apôtre Pierre ne nous rappellent pas simplement la dignité qui est la nôtre par la grâce de Dieu; elles nous mettent aussi au défi d'être toujours plus fidèles au glorieux héritage que nous avons reçu dans le Christ (cf. Ep 1,18). Elles nous mettent au défi d'examiner nos consciences pour purifier nos coeurs, de renouveler notre engagement baptismal à rejeter Satan et toutes ses promesses vides. Elles nous mettent au défi d'être un peuple de joie, des hérauts d'une espérance sans faille (cf. Rm 5,5) née de la foi dans la parole de Dieu, et de la confiance en ses promesses.

Chaque jour, à travers ce pays, vous, et tant de nos prochains prient le Père avec les paroles mêmes du Seigneur: "Que ton règne vienne". Cette prière a besoin de former l'esprit et le coeur de tout chrétien de cette nation. Elle doit porter du fruit dans votre façon de mener vos vies et dans la façon de construire vos familles et vos communautés. Elle doit créer des nouveaux "lieux d'espérance" (cf. Spe Salvi, sq.) où le Royaume de Dieu sera présent dans toute sa force de salut.

Prier fréquemment pour la venue du Royaume signifie également guetter constamment les signes de sa présence, et travailler pour sa croissance dans tous les milieux de la société. Cela signifie relever les défis présents et à venir en mettant sa confiance dans la victoire du Christ et en s'engageant pour que son règne s'étende. Cela signifie ne pas perdre courage face à la résistance, à l'adversité, et au scandale. Cela signifie surmonter toute séparation entre la foi et la vie, et s'opposer aux faux évangiles de liberté et de bonheur. Cela signifie aussi rejeter une fausse dichotomie entre foi et vie politique, puisque, comme l'a dit le Concile Vatican II, "aucune activité humaine, même dans les choses temporelles, ne peut être soustraite à l'autorité de Dieu" (Lumen gentium LG 36). Cela signifie travailler à enrichir la société et la culture américaines avec la beauté et la vérité de l'Evangile, et ne jamais perdre de vue la grande espérance qui donne un sens et de la valeur à toutes les autres espérances qui inspirent nos vies.

Et cela, chers amis, est le défi particulier que le successeur de saint Pierre vous présente aujourd'hui. En tant que "peuple choisi, sacerdoce royal, nation sainte", suivez fidèlement les pas de ceux qui vous ont précédés! Hâtez la venue du Royaume de Dieu dans ce pays! Les générations passées vous ont laissé un héritage impressionnant. De nos jours aussi, la communauté catholique de cette nation s'est distinguée par son témoignage prophétique pour la défense de la vie, l'éducation des jeunes, le soin des pauvres, des malades, des étrangers qui sont parmi vous. Sur ces solides fondations, l'avenir de l'Eglise en Amérique doit commencer à se lever maintenant aussi!

Hier, non loin d'ici, j'ai été ému par la joie, l'espérance et l'amour généreux pour le Christ que j'ai vus sur les visages de nombreux jeunes rassemblés à Dunwoodie. Ils sont l'avenir de l'Eglise et ils méritent tous la prière et le soutien que vous pouvez leur apporter. Et je souhaite ainsi terminer en ajoutant un mot spécial d'encouragement pour eux. Chers jeunes amis, comme les sept hommes, "remplis d'Esprit Saint et de sagesse", que les apôtres ont chargé du soin de la jeune Eglise, puissiez-vous vous proposer et relever la responsabilité que votre foi en Christ met devant vous! Puissiez-vous trouver le courage de proclamer le Christ, "le même hier, aujourd'hui et à jamais", et les vérités immuables qui ont en Lui leur fondement (cf. Gaudium et Spes GS 10 He 13,8). Ce sont des vérités qui nous libèrent! Ce sont des vérités qui seules peuvent garantir le respect de la dignité et des droits inaliénables de chaque homme, femme, et enfant dans notre monde - y compris les plus vulnérables des êtres humains, l'enfant à naître, dans le sein de sa mère. Dans un monde où, comme nous l'a rappelé le Pape Jean-Paul II, parlant en ce même lieu, Lazare continue de se tenir à notre porte (Homélie au Yankee Stadium, 2 octobre, 1979, n. 7), laissez votre foi et votre amour porter du fruit en faveur des pauvres, des indigents, et des sans-voix. Jeunes hommes et jeunes femmes d'Amérique, je vous exhorte à ouvrir vos coeurs à l'appel du Seigneur pour le suivre dans le sacerdoce et la vie religieuse. Peut-il y avoir une plus grande marque d'amour que de suivre les pas du Christ qui a donné sa vie pour ses amis (cf. Jn 15,13)?

Dans l'Evangile de ce jour, le Seigneur promet à ses disciples qu'ils feront des oeuvres encore plus grandes que celle-ci (cf. Jn 14,12). Chers amis, Dieu seul, dans sa providence, sait quelles oeuvres sa grâce doit encore apporter dans vos vies et dans la vie de l'Eglise aux Etats-Unis. Cependant, la promesse du Christ nous emplit d'une espérance sûre. Joignons maintenant notre prière à la sienne, comme des pierres vivantes dans ce temple spirituel qui est son Eglise une, sainte, catholique et apostolique. Levons vers Lui notre regard, parce que maintenant aussi il est en train de préparer une place pour nous, dans la maison du Père. Et par la force de son Esprit Saint, travaillons avec un zèle nouveau pour étendre son règne.

"Heureux ceux qui croient!" (cf. 1P 2,7). Tournons-nous vers Jésus! Lui seul est le chemin qui conduit au bonheur éternel, la vérité qui satisfait les aspirations les plus profondes de tout coeur, et la vie qui apporte une joie et une espérance toujours nouvelles, à nous et à notre monde. Amen.


ORDINATIONS SACERDOTALES - VI Dimanche de Pâques , 27 avril 2008

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VI Dimanche de Pâques , 27 avril 2008

Chers frères et soeurs,


Aujourd'hui se réalise pour nous, de manière tout à fait particulière, la parole qui dit: "Tu as multiplié la nation, / tu as fait croître sa joie" (
Is 9,2). En effet, à la joie de célébrer l'Eucharistie le jour du Seigneur, s'ajoute l'exultation spirituelle du temps de Pâques désormais parvenu au sixième dimanche, et surtout la fête de l'ordination de nouveaux prêtres. Avec vous, je salue avec affection les 29 diacres qui d'ici peu seront ordonnés prêtres. J'exprime ma vive reconnaissance à ceux qui les ont guidés sur leur chemin de discernement et de préparation, et je vous invite tous à rendre grâce à Dieu pour le don à l'Eglise de ces nouveaux prêtres. Soutenons-les avec une intense prière au cours de cette célébration, dans un esprit de louange fervente au Père qui les a appelés, au Fils qui les a attirés à lui, à l'Esprit qui les a formés. L'ordination de nouveaux prêtres a généralement lieu le IV Dimanche de Pâques, appelé Dimanche du Bon Pasteur, qui est également la Journée mondiale de prière pour les vocations, mais cela n'a pas été possible cette année, car je me préparais à partir pour ma visite pastorale aux Etats-Unis d'Amérique. L'icône du Bon Pasteur semble être celle qui plus que tout autre met en lumière le rôle et le ministère du prêtre dans la communauté chrétienne. Mais les passages bibliques que la liturgie d'aujourd'hui offre à notre méditation, éclairent également, selon un point de vue différent, la mission du prêtre.

La première lecture, tirée du chapitre VIII des Actes des Apôtres, raconte la mission du diacre Philippe en Samarie. Je voudrais immédiatement attirer l'attention sur la phrase qui termine la première partie du texte: "Et il y eut dans cette ville une grande joie" (Ac 8,8). Cette expression ne transmet pas une idée, un concept théologique, mais fait référence à un événement circonstancié, quelque chose qui a changé la vie des personnes: dans une ville déterminée de la Samarie, pendant la période qui suivit la première persécution violente contre l'Eglise à Jérusalem (cf. Ac 8,1), il se produisit quelque chose qui causa une "grande joie". Que s'était-il donc passé? L'Auteur sacré raconte que, pour échapper à la persécution en cours à Jérusalem contre ceux qui s'étaient convertis au christianisme, tous les disciples, en dehors des apôtres, abandonnèrent la ville sainte et se dispersèrent aux alentours. De cet événement douloureux naquit, de manière mystérieuse et providentielle, une impulsion renouvelée à la diffusion de l'Evangile. Parmi ceux qui s'étaient dispersés se trouvait également Philippe, l'un des sept diacres de la communauté, un diacre comme vous, chers ordinands, bien que d'une manière certainement différente, car au cours de l'époque unique de l'Eglise naissante, les apôtres et les diacres étaient dotés par l'Esprit Saint d'une puissance extraordinaire, aussi bien dans la prédication que dans l'action thaumaturgique. Or, il advint que les habitants de la localité de Samarie, dont on parle dans ce chapitre des Actes des Apôtres, accueillirent de manière unanime l'annonce de Philippe et, grâce à leur adhésion à l'Evangile, il put guérir de nombreux malades. Dans cette ville de Samarie, parmi une population traditionnellement méprisée et presque excommuniée par les juifs, retentit l'annonce du Christ qui ouvrit à la joie le coeur de ceux qui l'accueillirent avec confiance. Voilà donc pourquoi - souligne saint Luc - dans cette ville "il y eut une grande joie".

Chers amis, telle est également votre mission: apporter l'Evangile à tous, pour que tous fassent l'expérience de la joie du Christ et que la joie règne dans chaque ville. Que peut-il y avoir de plus beau que cela? Que peut-il y a avoir de plus grand, de plus enthousiasmant, que de coopérer à diffuser dans le monde la Parole de vie, que de communiquer l'eau vive de l'Esprit Saint? Annoncer et témoigner la joie: tel est le noyau central de votre mission, chers diacres qui deviendrez prêtres dans quelques instants. L'apôtre Paul appelle les ministres de l'Evangile "serviteurs de la joie". Dans sa Deuxième Lettre, il écrit aux chrétiens de Corinthe: "Il ne s'agit pas d'exercer un pouvoir sur votre foi, mais de collaborer à votre joie, car pour la foi vous tenez bon" (2Co 1,24). Ce sont des paroles qui tiennent lieu de programme pour chaque prêtre. Pour être des collaborateurs de la joie des autres, dans un monde souvent triste et négatif, il faut que le feu de l'Evangile brûle en vous, que la joie du Seigneur demeure en vous. Ce n'est qu'alors que vous pourrez être des messagers et des multiplicateurs de cette joie en l'apportant à tous, en particulier à ceux qui sont tristes et ont perdu confiance.

Revenons à la première lecture, qui nous offre un autre élément de méditation. On y parle d'une réunion de prière, qui a lieu précisément dans la ville de Samarie évangélisée par le diacre Philippe. Ce sont les apôtres Pierre et Jean qui la président, deux "colonnes" de l'Eglise, venus à Jérusalem pour rendre visite à cette nouvelle communauté et la confirmer dans la foi. Grâce à l'imposition de leurs mains, l'Esprit Saint descendit sur ceux qui avaient été baptisés. Nous pouvons voir dans cet épisode une première attestation du rite de la "confirmation", le deuxième Sacrement de l'initiation chrétienne. Pour nous aussi, réunis ici, la référence au geste rituel de l'imposition des mains est plus que jamais significatif. C'est en effet également le geste central du rite de l'Ordination, avec lequel d'ici peu je conférerai la dignité sacerdotale aux candidats. C'est un signe inséparable de la prière, dont il constitue un prolongement silencieux. Sans dire un mot, l'Evêque consacrant, et après lui les autres prêtres, placent leurs mains sur la tête des ordinands, en exprimant ainsi l'invocation à Dieu pour qu'il répande son Esprit sur eux et les transforme, en les faisant participer au sacerdoce du Christ. Il s'agit de quelques secondes, un temps très bref, mais chargé d'une extraordinaire intensité spirituelle.

Chers ordinands, à l'avenir vous devrez toujours revenir à ce moment, à ce geste qui n'a rien de magique, tout en étant pourtant si riche de mystère, car c'est là que se trouve l'origine de votre nouvelle mission. Dans cette prière silencieuse a lieu la rencontre entre deux libertés: la liberté de Dieu, qui agit à travers l'Esprit Saint, et la liberté de l'homme. L'imposition des mains exprime concrètement la modalité spécifique de cette rencontre: l'Eglise, personnifiée par l'Evêque debout les mains tendues, prie l'Esprit Saint de consacrer le candidat; le diacre, à genoux, reçoit l'imposition des mains et se remet à cette médiation. L'ensemble des gestes est important, mais le mouvement spirituel, invisible, que celui-ci exprime est infiniment plus important; un mouvement bien évoqué par le silence sacré, qui enveloppe tout à l'intérieur et à l'extérieur.

Nous retrouvons ce mystérieux "mouvement" trinitaire, qui conduit l'Esprit Saint et le Fils à demeurer dans les disciples, également dans l'épisode évangélique. Là, c'est Jésus lui-même qui promet de prier le Père afin qu'il envoie aux siens son Esprit, défini comme "un autre Paraclet" (Jn 14,16), terme grec qui équivaut au latin "advocatus", avocat défenseur. Le premier Paraclet, en effet, est le Fils incarné, venu pour défendre l'homme de l'accusateur par excellence, qui est Satan. Au moment où le Christ, ayant accompli sa mission, revient au Père, celui-ci envoie l'Esprit, comme Défenseur et Consolateur, afin qu'il reste pour toujours avec les croyants en demeurant en eux. Ainsi, entre Dieu le Père et les disciples s'instaure, grâce à la médiation du Fils et du Saint-Esprit, une relation profonde de réciprocité: "Je suis en mon Père, vous êtes en moi, et moi en vous", dit Jésus (Jn 14,20). Tout cela dépend cependant d'une condition que le Christ pose clairement au début: "Si vous m'aimez" (Jn 14,15), et qu'il répète à la fin: "Celui qui m'aime sera aimé de mon Père; moi aussi je l'aimerai, et je me manifesterai à lui" (Jn 14,21). Sans l'amour pour Jésus, qui se réalise à travers l'observance de ses commandements, la personne s'exclut du mouvement trinitaire et commence à se replier sur elle-même, en perdant la capacité de recevoir et de communiquer Dieu.

"Si vous m'aimez". Chers amis, ces paroles ont été prononcées par Jésus au cours de la Dernière Cène, au moment où il instituait simultanément l'Eucharistie et le Sacerdoce. Bien qu'étant adressées aux apôtres, celles-ci, dans un certain sens, sont adressées à tous leurs successeurs et aux prêtres, qui sont les plus proches collaborateurs des successeurs des apôtres. Nous les écoutons à nouveau aujourd'hui comme une invitation à vivre de manière toujours plus cohérente notre vocation dans l'Eglise: chers ordinands, vous les écoutez avec une émotion particulière, car précisément aujourd'hui le Christ vous fait participer à son sacerdoce. Accueillez-les avec foi et avec amour! Laissez-les s'imprimer dans votre coeur, laissez-les vous accompagner au cours du chemin de votre existence tout entière. Ne les oubliez pas, ne les égarez pas le long du chemin! Relisez-les, méditez-les souvent et surtout priez sur celles-ci. Ainsi, vous resterez fidèles à l'amour du Christ et vous vous rendrez compte avec une joie toujours nouvelle de la façon dont cette Parole divine "cheminera" avec vous et "grandira" en vous.

Je désire encore faire une observation sur la deuxième lecture: elle est tirée de la Première Lettre de Pierre, alors que nous nous trouvons à côté de son sépulcre et que je voudrais vous confier de manière particulière à son intercession. Je fais miennes et je vous remets avec affection ses paroles: "Sanctifiez dans vos coeurs le Seigneur Christ, toujours prêts à la défense contre quiconque vous demande raison de l'espérance qui est en vous" (1P 3,15). Sanctifiez dans vos coeurs le Seigneur Christ: cultivez donc une relation personnelle d'amour avec Lui, d'un amour fondamental et plus grand, unique et total dans lequel vivre, purifier, illuminer et sanctifier toutes les autres relations. L'"espérance qui est en vous" est liée à cette "sanctifiction", à cet amour du Christ, qui pour l'Esprit, comme nous le disions, habite en nous. Notre espérance, votre espérance est Dieu, en Jésus et dans l'Esprit. Une espérance qui, à partir d'aujourd'hui, devient en vous "espérance sacerdotale", celle de Jésus Bon Pasteur, qui habite en vous et donne forme à vos désirs selon son Coeur divin: espérance de vie et de pardon pour les personnes qui seront confiées à vos soins pastoraux; espérance de sainteté et de fécondité apostolique pour vous et pour toute l'Eglise; espérance d'ouverture à la foi et à la rencontre avec Dieu pour ceux qui s'approcheront de vous dans leur recherche de la vérité; espérance de paix et de réconfort pour les personnes qui souffrent et les blessés de la vie.

Très chers amis, tel est mon voeu en ce jour si significatif pour vous: que l'espérance enracinée dans la foi puisse toujours plus vous appartenir! Et puissiez-vous en être toujours les témoins et des dispensateurs sages et généreux, doux et forts, respectueux et convaincus. Que vous accompagne dans cette mission et vous protège toujours la Vierge Marie, que je vous exhorte à accueillir à nouveau, comme le fit l'apôtre Jean sous la Croix, comme Mère et Etoile de votre vie et de votre sacerdoce. Amen!


CHAPELLE PAPALE EN LA SOLENNITÉ DE PENTECÔTE - 11 mai 2008

11508

Basilique Vaticane

Dimanche 11 mai 2008

Chers frères et soeurs,


Le récit de l'événement de la Pentecôte, que nous avons écouté dans la première lecture, est rapporté par saint Luc dans le deuxième chapitre des Actes des Apôtres. Le chapitre commence par la phrase: "Quand arriva la Pentecôte (le cinquantième jour après Pâques), ils se trouvaient réunis tous ensemble" (
Ac 2,1). Ce sont des paroles qui font référence à l'épisode précédent, dans lequel Luc a décrit la petite compagnie des disciples, qui se rassemblait assidûment à Jérusalem après l'ascension de Jésus au ciel (cf Ac 1,12-14). Il s'agit d'une description riche de détails: le lieu "où ils habitaient" - le Cénacle - est une pièce située "à l'étage supérieur"; les onze apôtres sont cités par leur nom, et les trois premiers sont Pierre, Jean et Jacques, les "piliers" de la communauté; avec eux sont mentionnées "quelques femmes", "Marie la mère de Jésus" et "ses frères", désormais intégrés dans cette nouvelle famille, fondée non plus sur les liens du sang mais sur la foi en Christ.

Le nombre total des personnes qui était "environ de cent vingt", multiple du chiffre "douze" du Collège apostolique, fait clairement allusion à ce "nouvel Israël". Le groupe constitue un authentique "qahal", une "assemblée" selon le modèle de la première Alliance, la communauté convoquée pour écouter la voix du Seigneur et marcher sur ses traces. Le Livre des Actes souligne que "d'un seul coeur, ils participaient fidèlement à la prière" (Ac 1,14). La principale activité de l'Eglise naissante est donc la prière, à travers laquelle elle reçoit son unité du Seigneur et se laisse guider par sa volonté, comme le démontre également le choix de tirer au sort pour élire celui qui prendra la place de Judas (cf. Ac 2,25).

Cette communauté se trouvait réunie dans le même lieu, le Cénacle, le matin de la fête juive de la Pentecôte, fête de l'Alliance, où l'on faisait mémoire de l'événement du Sinaï, lorsque Dieu, à travers Moïse, avait proposé à Israël de devenir sa propriété parmi tous les peuples, pour être le signe de sa sainteté (cf. Ex 9). Selon le Livre de l'Exode, ce pacte antique fut accompagné par une manifestation de puissance terrifiante de la part du Seigneur: "Or la montagne du Sinaï - y lit-on - était toute fumante, parce que Yahvé y était descendu dans le feu; la fumée s'élevait comme d'une fournaise et toute la montagne tremblait violemment" (Ex 19,18). Nous retrouvons les éléments du vent et du feu dans la Pentecôte du Nouveau Testament, mais sans aucune connotation de peur. Le feu prend, en particulier, la forme de langues qui se posent sur chacun des disciples, qui furent "tous remplis de l'Esprit Saint" et par l'effet de cette effusion "ils se mirent à parler en d'autres langues" (Ac 2,4). Il s'agit d'un véritable "baptême" de feu de la communauté, une sorte de nouvelle création. Lors de la Pentecôte, l'Eglise est constituée non par une volonté humaine, mais par la force de l'Esprit de Dieu. Et il apparaît immédiatement comment cet Esprit donne vie à une communauté qui est dans le même temps une et universelle, dépassant ainsi la malédiction de Babel (cf. Gn 11,7-9). En effet, seul l'Esprit Saint, qui crée l'unité dans l'amour et dans l'acceptation réciproque des différences, peut libérer l'humanité de la tentation permanente d'une volonté de puissance terrestre qui veut tout dominer et uniformiser.

"Societas Spiritus", société de l'Esprit: c'est ainsi que saint Augustin appelle l'Eglise dans l'un de ses sermons (71, 19, 32: PL 38, 462). Mais avant lui, saint Irénée avait déjà formulé une vérité qu'il me plaît de rappeler ici: "Là où se trouve l'Eglise, se trouve l'Esprit de Dieu, et là où se trouve l'Esprit de Dieu, là se trouve l'Eglise et chaque grâce, et l'Esprit est la vérité; s'éloigner de l'Eglise signifie refuser l'Esprit" et donc "s'exclure de la vie" (Adv Haer. III, 24, 1). A partir de l'événement de Pentecôte se manifeste pleinement cette union entre l'Esprit du Christ et son Corps mystique, c'est-à-dire l'Eglise. Je voudrais m'arrêter sur un aspect particulier de l'action de l'Esprit Saint, c'est-à-dire sur le lien entre multiplicité et unité. C'est ce dont parle la deuxième lecture, en traitant de l'harmonie des divers charismes dans la communion du même Esprit. Mais dans le récit des Actes que nous avons écouté, ce lien se révèle déjà avec une extraordinaire évidence. Lors de l'événement de la Pentecôte il apparaît clairement qu'une multitude de langues et de cultures différentes appartient à l'Eglise; dans la foi, celles-ci peuvent se comprendre et se féconder réciproquement. Saint Luc veut clairement transmettre une idée fondamentale, c'est-à-dire qu'au moment même de sa naissance l'Eglise est déjà "catholique", universelle. Elle parle dès le début toutes les langues, car l'Evangile qui lui est confié est destiné à tous les peuples, selon la volonté et le mandat du Christ ressuscité (cf. Mt 28,19). L'Eglise qui naît lors de la Pentecôte n'est pas tout d'abord une communauté particulière - l'Eglise de Jérusalem - mais l'Eglise universelle, qui parle les langues de tous les peuples. De celle-ci naîtront ensuite d'autres communautés dans toutes les parties du monde, des Eglises particulières qui sont toutes et toujours des réalisations de la seule et unique Eglise du Christ. L'Eglise catholique n'est pas cependant une fédération d'Eglises, mais une réalité unique: la priorité ontologique revient à l'Eglise universelle. Une communauté qui ne serait pas catholique en ce sens ne serait même pas une Eglise.

A cet égard, il faut ajouter un autre aspect: celui de la vision théologique des Actes des Apôtres à propos du chemin de l'Eglise de Jérusalem jusqu'à Rome. Parmi les peuples représentés à Jérusalem le jour de la Pentecôte, Luc cite également les "Romains résidant ici" (Ac 2,10). A cet époque, Rome était encore lointaine, "étrangère" pour l'Eglise naissante: elle était le symbole du monde païen en général. Mais la force de l'Esprit Saint guidera les pas des témoins "jusqu'aux extrémités de la terre" (Ac 1,8), jusqu'à Rome. Le livre des Actes des Apôtres se termine précisément lorsque Paul, à travers un dessein providentiel, arrive dans la capitale de l'empire et y annonce l'Evangile (cf. Ac 28,30-31). Ainsi, le chemin de la Parole de Dieu, commencé à Jérusalem, parvient à son but, car Rome représente le monde entier et incarne donc l'idée que Luc a de la catholicité. L'Eglise universelle, l'Eglise catholique, qui est la continuation du peuple de l'élection et qui en reprend l'histoire et la mission, s'est réalisée.

Cela dit, et pour conclure, l'Evangile de Jean nous offre une parole qui s'accorde très bien avec le mystère de l'Eglise créée par l'Esprit. La parole sortie à deux reprises de la bouche de Jésus ressuscité lorsqu'il apparut au milieu des disciples au Cénacle, le soir de Pâques: "Shalom - Paix à vous!" (Jn 20,19 Jn 20,21). L'expression "shalom" n'est pas un simple salut; elle est beaucoup plus: elle est le don de la paix promise (Jn 14,27) et conquise par Jésus au prix de son sang, elle est le fruit de sa victoire dans la lutte contre l'esprit du mal. Elle est donc une paix "non à la manière du monde", mais comme Dieu seul peut la donner.

En cette fête de l'Esprit et de l'Eglise nous voulons rendre grâce à Dieu pour avoir donné à son peuple, choisi et formé parmi toutes les nations, le bien inestimable de la paix, de sa paix! Dans le même temps, nous renouvelons la prise de conscience de la responsabilité qui est liée à ce don: la responsabilité de l'Eglise d'être constitutionnellement signe et instrument de la paix de Dieu pour tous les peuples. J'ai cherché à me faire l'intermédiaire de ce message en me rendant récemment au siège de l'ONU pour adresser ma parole aux représentants des peuples. Mais ce n'est pas seulement à ces événements "au sommet" que l'on doit penser. L'Eglise réalise son service à la paix du Christ en particulier à travers sa présence et son action ordinaire parmi les hommes, avec la prédication de l'Evangile et avec les signes d'amour et de miséricorde qui l'accompagnent (cf. Mc 16,20).

Parmi ces signes, il faut naturellement souligner principalement le Sacrement de la réconciliation, que le Christ ressuscité institua au moment même où il fit don aux disciples de sa paix et de son Esprit. Comme nous l'avons entendu dans la page évangélique, Jésus souffla sur les apôtres et dit: "Recevez l'Esprit Saint. Tout homme à qui vous remettrez ses péchés, ils lui seront remis; tout homme à qui vous maintiendrez ses péchés, ils lui seront maintenus" (Jn 20,21-23). Comme le don de la réconciliation, qui n'est malheureusement pas suffisamment compris, est important, car il pacifie les coeurs! La paix du Christ ne se diffuse qu'à travers des coeurs renouvelés d'hommes et de femmes réconciliés et devenus serviteurs de la justice, prêts à diffuser la paix dans le monde grâce à la seule force de la vérité, sans jamais faire de compromis avec la mentalité du monde, car le monde ne peut pas donner la paix du Christ: voilà comment l'Eglise peut-être le ferment de cette réconciliation qui vient de Dieu. Elle ne peut l'être que si elle reste docile à l'Esprit et rend témoignage à l'Evangile, que si elle porte la Croix comme Jésus et avec lui. C'est précisément ce dont témoignent les saints et les saintes de chaque époque!

Chers frères et soeurs, à la lumière de cette Parole de vie, que la prière que nous élevons aujourd'hui à Dieu en union spirituelle avec la Vierge Marie devienne encore plus fervente et intense. Que la Vierge de l'écoute, la Mère de l'Eglise, obtienne pour nos communautés et pour tous les chrétiens une effusion renouvelée de l'Esprit Saint Paraclet. "Emitte Spiritum tuum et creabuntur, et renovabis faciem terrae - Envoie ton Esprit, tout sera à nouveau créé et tu renouvelleras la face de la terre". Amen!




Benoît XVI Homélies 20048