Benoît XVI Homélies 15608


CÉLÉBRATION CONCLUSIVE DU QUARANTE-NEUVIÈME CONGRÈS EUCHARISTIQUE INTERNATIONAL DE QUÉBEC (CANADA)

22608
Sala dei Foconi, Palais Apostolique du Vatican

Dimanche 22 juin 2008



Messieurs les Cardinaux,
Excellences,
Chers Frères et Soeurs,

Alors que vous êtes réunis pour le quarante-neuvième Congrès eucharistique international, je suis heureux de vous rejoindre par le moyen de la télévision et de m'associer ainsi à votre prière. Je voudrais tout d'abord saluer Monsieur le Cardinal Marc Ouellet, Archevêque de Québec, et Monsieur le Cardinal Jozef Tomko, Envoyé spécial pour le Congrès, ainsi que tous les cardinaux et évêques présents. J'adresse aussi mes salutations cordiales aux personnalités de la société civile qui ont tenu à prendre part à la liturgie. Ma pensée affectueuse rejoint les prêtres, les diacres et tous les fidèles présents, de même que tous les catholique du Québec, de l'ensemble du Canada et des autres continents. Je n'oublie pas que votre pays célèbre cette année le quatre centième anniversaire de sa fondation. C'est une occasion pour que chacun se rappelle les valeurs qui ont animé les pionniers et les missionnaires dans votre pays.

"L'Eucharistie, don de Dieu pour la vie du monde", tel est le thème choisi pour ce nouveau Congrès eucharistique international. L'Eucharistie est notre plus beau trésor. Elle est le sacrement par excellence; elle nous introduit par avance dans la vie éternelle; elle contient tout le mystère de notre salut; elle est la source et le sommet de l'action et de la vie de l'Eglise, comme le rappelait le Concile Vatican II (Sacrosanctum Concilium
SC 8). Il est donc particulièrement important que les pasteurs et les fidèles s'attachent en permanence à approfondir ce grand sacrement. Chacun pourra ainsi affermir sa foi et remplir toujours mieux sa mission dans l'Eglise et dans le monde, se rappelant qu'il y a une fécondité de l'Eucharistie dans sa vie personnelle, dans la vie de l'Eglise et du monde. L'Esprit de vérité témoigne dans vos coeurs; témoignez, vous aussi, du Christ devant les hommes, comme le dit l'antienne de l'alléluia de cette Messe. La participation à l'Eucharistie n'éloigne donc pas de nos contemporains, au contraire, parce qu'elle est l'expression par excellence de l'amour de Dieu, elle nous appelle à nous engager avec tous nos frères pour faire face aux défis présents et pour faire de la planète un lieu où il fait bon vivre. Pour cela, il nous faut sans cesse lutter pour que toute personne soit respectée depuis sa conception jusqu'à sa mort naturelle, que nos sociétés riches accueillent les plus pauvres et leur redonnent toute leur dignité, que toute personne puisse se nourrir et faire vivre sa famille, que la paix et la justice rayonnent dans tous les continents. Tels sont quelques défis qui doivent mobiliser tous nos contemporains et pour lesquels les chrétiens doivent puiser leur force dans le mystère eucharistique.

"Le Mystère de la Foi": c'est ce que nous proclamons lors de chaque Messe. Je voudrais que chacun s'efforce d'étudier ce grand mystère, notamment en revisitant et en explorant, individuellement et en groupes, le texte conciliaire sur la Liturgie, Sacrosanctum Concilium, afin de rendre courageusement témoignage du mystère. De cette manière chacun parviendra à une meilleure compréhension du sens de chaque aspect de l'Eucharistie, en saisissant sa profondeur et en la vivant avec une plus grande intensité. Chaque phrase, chaque geste a son propre sens et recèle un mystère. Je souhaite sincèrement que ce congrès serve à appeler tous les fidèles à prendre un tel engagement en vue de renouveler la catéchèse eucharistique, car ils y gagneront une conscience eucharistique authentique et enseigneront à leur tour aux enfants et aux jeunes à reconnaître le mystère central de la foi et à bâtir leurs vies autour de celui-ci. J'exhorte en particulier les prêtres à rendre l'honneur qui lui est dû au rite eucharistique, et je demande aux fidèles de respecter le rôle qui revient à chacun, au prêtre et aux laïcs, dans l'action eucharistique. La liturgie ne nous appartient pas: c'est le trésor de l'Eglise.

La réception de l'Eucharistie, l'adoration du Très Saint Sacrement - de cette manière nous entendons approfondir notre communion, la préparer et la prolonger - signifient également nous autoriser à entrer en communion avec le Christ, et à travers lui avec toute la Trinité, de manière à devenir ce que nous recevons et à vivre en communion avec l'Eglise. C'est en recevant le Corps du Christ que nous recevons la force "de l'unité avec Dieu et les uns avec les autres" (Saint Cyrille d'Alexandrie, In Ioannis Evangelium, 11, 11; cf. saint Augustin, Sermo 577). Nous ne devons jamais oublier que l'Eglise est bâtie autour du Christ et que, comme saint Augustin, saint Thomas d'Aquin et saint Albert le Grand l'ont dit, à la suite de saint Paul (cf. 1Co 10,17), l'Eucharistie est le sacrement de l'unité de l'Eglise, parce que nous ne formons qu'un seul corps dont le Seigneur est la tête. Nous devons toujours à nouveau revenir à la Dernière Cène du Jeudi Saint, où nous a été donné un gage du mystère de notre rédemption sur la croix. La Dernière Cène est le lieu de l'Eglise naissante, la matrice qui contient l'Eglise de tous les âges. Dans l'Eucharistie, le sacrifice du Christ est sans cesse renouvelé, la Pentecôte est constamment renouvelée. Puisse chacun de vous devenir toujours conscient de l'importance de l'Eucharistie dominicale, parce que le dimanche, le premier jour de la semaine, est le jour où nous honorons le Christ, le jour où nous recevons la force de vivre chaque jour le don de Dieu.

Je voudrais aussi inviter les pasteurs et les fidèles à une attention renouvelée à leur préparation à la réception de l'Eucharistie. Malgré notre faiblesse et notre péché, le Christ veut faire en nous sa demeure. Pour cela, il nous faut faire tout ce qui est en notre pouvoir pour le recevoir dans un coeur pur, en retrouvant sans cesse, par le sacrement du pardon, la pureté que le péché a entaché, "mettant en accord notre âme et notre voix", selon l'invitation du Concile (cf. Sacrosanctum Concilium SC 11). En effet, le péché, surtout le péché grave, s'oppose à l'action de la grâce eucharistique en nous. D'autre part, ceux qui ne peuvent pas communier en raison de leur situation trouveront cependant dans une communion de désir et dans la participation à l'Eucharistie une force et une efficacité salvatrice.

L'Eucharistie a une place toute spéciale dans la vie des saints. Rendons grâce à Dieu pour l'histoire de sainteté du Québec et du Canada, qui a contribué à la vie missionnaire de l'Eglise. Votre pays honore particulièrement ses martyrs canadiens, Jean de Brébeuf, Isaac Jogues et leurs compagnons, qui ont su donner leur vie pour le Christ, s'associant ainsi à son sacrifice sur la Croix. Ils appartiennent à la génération des hommes et des femmes qui ont fondé et développé l'Eglise au Canada, avec Marguerite Bourgeoys, Marguerite d'Youville, Marie de l'Incarnation, Marie-Catherine de Saint-Augustin, Mgr François de Laval, fondateur du premier diocèse en Amérique du Nord, Dina Bélanger et Kateri Tekakwitha. Mettez-vous à leur école; comme eux, soyez sans crainte; Dieu vous accompagne et vous protège; faites de chaque jour une offrande à la gloire de Dieu le Père et prenez votre part dans la construction du monde, vous souvenant avec fierté de votre héritage religieux et de son rayonnement social et culturel, et prenant soin de répandre autour de vous les valeurs morales et spirituelles qui nous viennent du Seigneur.

L'Eucharistie n'est pas qu'un repas entre amis. Elle est mystère d'alliance. "Les prières et les rites du sacrifice eucharistique font sans cesse revivre devant les yeux de notre âme, au fil du cycle liturgique, toute l'histoire du salut, et nous en font pénétrer toujours davantage la signification" (S. Thérèse-Bénédicte de la Croix, [Edith Stein], Wege zur inneren Stille Aschaffenburg, 1987, p. 67). Nous sommes appelés à entrer dans ce mystère d'alliance en conformant chaque jour davantage notre vie au don reçu dans l'Eucharistie. Elle a un caractère sacré, comme le rappelle le Concile Vatican II: "Toute célébration liturgique, en tant qu'oeuvre du Christ prêtre et de son Corps qui est l'Eglise, est l'action sacrée par excellence, dont nulle autre action de l'Eglise n'égale l'efficacité au même titre et au même degré" (Sacrosanctum Concilium SC 7). D'une certaine manière, elle est une "liturgie céleste", anticipation du banquet dans le Royaume éternel, annonçant la mort et la résurrection du Christ, jusqu'à ce qu'il vienne (cf. 1Co 11,26).

Pour que jamais le peuple de Dieu ne manque de ministres pour lui donner le Corps du Christ, il nous faut demander au Seigneur de faire à son Eglise le don de nouveaux prêtres. Je vous invite aussi à transmettre l'appel au sacerdoce aux jeunes garçons, pour qu'ils acceptent avec joie et sans peur de répondre au Christ. Ils ne seront pas déçus. Que les familles soient le lieu primordial et le berceau des vocations.

Avant de terminer, c'est avec joie que je vous annonce le rendez-vous du prochain Congrès eucharistique international. Il se tiendra à Dublin en Irlande, en 2012. Je demande au Seigneur de vous faire découvrir à chacun la profondeur et la grandeur du mystère de la foi. Que le Christ, présent dans l'Eucharistie, et l'Esprit Saint, invoqué sur le pain et le vin, vous accompagnent sur votre route quotidienne et dans votre mission. Qu'à l'image de la Vierge Marie, vous soyez disponible à l'oeuvre de Dieu en vous. Vous confiant à l'intercession de Notre-Dame, de sainte Anne, patronne du Québec, et de tous les saints de votre terre, je vous accorde à tous une affectueuse Bénédiction apostolique, ainsi qu'à toutes les personnes présentes, venues des différents pays du monde.

Chers amis, au moment où cet événement significatif dans la vie de l'Eglise arrive à sa conclusion, je vous invite à vous joindre à moi dans la prière pour le succès du prochain Congrès eucharistique mondial, qui aura lieu en 2012 dans la ville de Dublin! Je saisis cette occasion pour saluer chaleureusement les habitants de l'Irlande, tandis qu'ils se préparent à accueillir ce rassemblement ecclésial. Je suis certain qu'avec tous les participants au prochain congrès, ils y trouveront une source de renouveau spirituel durable.



PREMIÈRES VÊPRES DE LA SOLENNITÉ DES SAINTS APÔTRES PIERRE ET PAUL, À L'OCCASION DE L’INAUGURATION DE L'ANNÉE PAULINIENNE

28608
Basilique Saint-Paul-hors-les-Murs

Samedi 28 juin 2008



Votre Sainteté et chers délégués fraternels,
Messieurs les cardinaux,
Vénérés frères dans l'épiscopat et dans le sacerdoce,
Chers frères et soeurs,

Nous sommes réunis auprès de la tombe de saint Paul, qui naquit il y a deux mille ans à Tarse de Cilicie, dans l'actuelle Turquie. Qui était ce Paul? Dans le temple de Jérusalem, devant la foule agitée qui voulait le tuer, il se présente lui-même avec ces mots: "Je suis juif: né à Tarse, en Cilicie, mais élevé ici dans cette ville [Jérusalem], j'ai reçu, à l'école de Gamaliel, un enseignement strictement conforme à la Loi de nos pères; je défendais la cause de Dieu avec une ardeur jalouse..." (
Ac 22,3). A la fin de son chemin, il dira de lui-même: "J'ai reçu la charge... [d'enseigner] aux nations païennes la foi et la vérité" (1Tm 2,7 cf. 2Tm 1,11). Maître des nations, apôtre et annonciateur de Jésus Christ, c'est ainsi qu'il se décrit lui-même en regardant rétrospectivement le parcours de sa vie. Mais avec cela, son regard ne va pas seulement vers le passé. "Maître des nations" - cette parole s'ouvre à l'avenir, vers tous les peuples et toutes les générations. Paul n'est pas pour nous une figure du passé, que nous rappelons avec vénération. Il est également notre maître, pour nous aussi apôtre et annonciateur de Jésus Christ.

Nous sommes donc réunis non pour réfléchir sur une histoire passée, irrévocablement révolue. Paul veut parler avec nous - aujourd'hui. C'est pourquoi j'ai voulu promulguer cette "Année paulinienne" spéciale: pour écouter et pour apprendre à présent de lui, qui est notre maître, "la foi et la vérité", dans lesquelles sont enracinées les raisons de l'unité parmi les disciples du Christ. Dans cette perspective, j'ai voulu allumer, pour ce bimillénaire de la naissance de l'Apôtre, une "Flamme paulinienne" spéciale, qui restera allumée pendant toute l'année dans un brasero spécifique placé dans le quadriportique de la Basilique. Pour conférer de la solennité à cet événement, j'ai également inauguré la "Porte paulinienne", à travers laquelle je suis entré dans la Basilique accompagné par le Patriarche de Constantinople, par le cardinal archiprêtre et par les autres autorités religieuses. C'est pour moi un motif de joie profonde que l'ouverture de l'"Année paulinienne" assume un caractère oecuménique, en raison de la présence de nombreux délégués et représentants d'autres Eglises et communautés ecclésiales, que j'accueille le coeur ouvert. Je salue tout d'abord Sa Sainteté le Patriarche Bartholomaios I et les membres de la délégation qui l'accompagne, ainsi que le groupe nombreux de laïcs qui, de différentes parties du monde, sont venus à Rome pour vivre avec Lui et avec nous tous, ces moments de prière et de réflexion. Je salue les délégués fraternels des Eglises qui ont un lien particulier avec l'Apôtre Paul - Jérusalem, Antioche, Chypre, Grèce - et qui forment le cadre géographique de la vie de l'Apôtre avant son arrivée à Rome. Je salue cordialement les frères des différentes Eglises et communautés ecclésiales d'Orient et d'Occident, en même temps que vous tous qui avez voulu prendre part à cette ouverture solennelle de l'"Année" consacrée à l'Apôtre des Nations.

Nous sommes donc ici rassemblés pour nous interroger sur le grand Apôtre des Nations. Nous nous demandons non seulement: qui était Paul? Nous nous demandons surtout: Qui est Paul? Que me dit-il? En cette heure, au début de l'"Année paulinienne" que nous inaugurons, je voudrais choisir dans le riche témoignage du Nouveau Testament trois textes, dans lesquels apparaît sa physionomie intérieure, la spécificité de son caractère. Dans la Lettre aux Galates, il nous a offert une profession de foi très personnelle, dans laquelle il ouvre son coeur aux lecteurs de tous les temps et révèle quelle est l'impulsion la plus profonde de sa vie. "Je vis dans la foi au Fils de Dieu qui m'a aimé et qui s'est livré pour moi" (Ga 2,20). Tout ce que Paul accomplit part de ce centre. Sa foi est l'expérience d'être aimé par Jésus Christ de manière tout à fait personnelle; elle est la conscience du fait que le Christ a affronté la mort non pour quelque chose d'anonyme, mais par amour pour lui - de Paul - et que, en tant que Ressuscité, il l'aime toujours, c'est-à-dire que le Christ s'est donné pour lui. Sa foi est le fait d'être frappé par l'amour de Jésus Christ, un amour qui le bouleverse jusqu'au plus profond de lui-même et qui le transforme. Sa foi n'est pas une théorie, une opinion sur Dieu et sur le monde. Sa foi est l'impact de l'amour de Dieu sur son coeur. Et ainsi, cette foi est l'amour pour Jésus Christ.

Paul est présenté par de nombreuses personnes comme un homme combatif qui sait manier l'épée de la parole. De fait, sur son parcours d'apôtre les disputes n'ont pas manqué. Il n'a pas recherché une harmonie superficielle. Dans la première de ses Lettres, celle qui s'adresse aux Thessaloniciens, il dit: "Nous avons cependant trouvé l'assurance qu'il fallait pour vous annoncer, au prix de grandes luttes, l'Evangile de Dieu... Jamais, vous le savez, nous n'avons eu un mot de flatterie" (1Th 2,2 1Th 2,5). Il considérait que la vérité était trop grande pour être disposé à la sacrifier en vue d'un succès extérieur. La vérité dont il avait fait l'expérience dans la rencontre avec le Ressuscité méritait pour lui la lutte, la persécution, la souffrance. Mais ce qui le motivait au plus profond, était d'être aimé par Jésus Christ et le désir de transmettre cet amour aux autres. Paul était un homme capable d'aimer, et toute son oeuvre et sa souffrance ne s'expliquent qu'à partir de ce centre. Les concepts de base de son annonce se comprennent uniquement à partir de celui-ci. Prenons seulement l'une de ses paroles-clés: la liberté. L'expérience d'être aimé jusqu'au bout par le Christ lui avait ouvert les yeux sur la vérité et sur la voie de l'existence humaine - cette expérience embrassait tout. Paul était libre comme un homme aimé par Dieu qui, en vertu de Dieu, était en mesure d'aimer avec Lui. Cet amour est à présent la "loi" de sa vie et il en est précisément ainsi de la liberté de sa vie. Il parle et agit, mû par la responsabilité de la liberté de l'amour. Liberté et responsabilité sont liées ici de manière inséparable. Se trouvant dans la responsabilité de l'amour, il est libre; étant quelqu'un qui aime, il vit totalement dans la responsabilité de cet amour et ne prend pas la liberté comme prétexte pour l'arbitraire et l'égoïsme. C'est dans le même esprit qu'Augustin a formulé la phrase devenue ensuite célèbre: Dilige et quod vis fac (Tract. in 1Jo 7, 7-8) - aime et fais ce que tu veux. Celui qui aime le Christ comme Paul l'a aimé peut vraiment faire ce qu'il veut, car son amour est uni à la volonté du Christ et donc à la volonté de Dieu; car sa volonté est ancrée à la vérité et parce que sa volonté n'est plus simplement sa volonté, arbitre du moi autonome, mais qu'elle est intégrée dans la liberté de Dieu et apprend de celle-ci le chemin à parcourir.

Dans la recherche du caractère intérieur de saint Paul je voudrais, en deuxième lieu, rappeler la parole que le Christ ressuscité lui adressa sur la route de Damas. Le Seigneur lui demande d'abord: "Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu?". A la question: "Qui es-tu, Seigneur?", est donnée la réponse: "Je suis Jésus, celui que tu persécutes" (Ac 9,4). En persécutant l'Eglise, Paul persécute Jésus lui-même: "Tu me persécutes". Jésus s'identifie avec l'Eglise en un seul sujet. Dans cette exclamation du Ressuscité, qui transforma la vie de Saul, est au fond désormais contenue toute la doctrine sur l'Eglise comme Corps du Christ. Le Christ ne s'est pas retiré au ciel, en laissant sur la terre une foule de fidèles qui soutiennent "sa cause". L'Eglise n'est pas une association qui veut promouvoir une certaine cause. Dans celle-ci, il ne s'agit pas d'une cause. Dans celle-ci il s'agit de la personne de Jésus Christ, qui également en tant que Ressuscité est resté "chair". Il a la "chair et les os" (Lc 24,39), c'est ce qu'affirme le Ressuscité dans Luc, devant les disciples qui l'avaient pris pour un fantôme. Il a un corps. Il est personnellement présent dans son Eglise, "Tête et Corps" forment un unique sujet dira saint Augustin. "Ne le savez-vous pas? Vos corps sont les membres du Christ", écrit Paul aux Corinthiens (1Co 6,15). Et il ajoute: de même que, selon le Livre de la Genèse, l'homme et la femme deviennent une seule chair, ainsi le Christ devient un seul esprit avec les siens, c'est-à-dire un unique sujet dans le monde nouveau de la résurrection (cf. 1Co 6,16sq). Dans tout cela transparaît le mystère eucharistique, dans lequel l'Eglise donne sans cesse son Corps et fait de nous son Corps: "Le pain que nous rompons, n'est-il pas communion au corps du Christ? Puisqu'il y a un seul pain, la multitude que nous sommes est un seul corps, car nous avons tous part à un seul pain" (1Co 10,16sq). En ce moment, ce n'est pas seulement Paul, mais le Seigneur lui-même qui s'adresse à nous: Comment avez-vous pu laisser déchirer mon Corps? Devant le visage du Christ, cette parole devient dans le même temps une question urgente: Réunis-nous tous hors de toute division. Fais qu'aujourd'hui cela devienne à nouveau la réalité: Il y a un unique pain, et donc, bien qu'étant nombreux, nous sommes un unique corps. Pour Paul, la parole sur l'Eglise comme Corps du Christ n'est pas une comparaison quelconque. Elle va bien au-delà d'une comparaison: "Pourquoi me persécutes-tu?" Le Christ nous attire sans cesse dans son Corps à partir du centre eucharistique, qui pour Paul est le centre de l'existence chrétienne, en vertu duquel tous, ainsi que chaque individu, peuvent faire de manière personnelle l'expérience suivante: Il m'a aimé et s'est donné lui-même pour moi.

Je voudrais conclure par l'une des dernières paroles de saint Paul, une exhortation à Timothée de la prison, face à la mort: "Prends ta part de souffrance pour l'annonce de l'Evangile", dit l'apôtre à son disciple (2Tm 1,8). Cette parole, qui se trouve à la fin des chemins parcourus par l'apôtre, comme un testament renvoie en arrière, au début de sa mission. Alors qu'après sa rencontre avec le Ressuscité, Paul, aveugle, se trouvait dans sa maison de Damas, Ananie reçut le mandat d'aller chez le persécuteur craint et de lui imposer les mains, pour qu'il retrouve la vue. A Ananie, qui objectait que ce Saul était un dangereux persécuteur des chrétiens, il fut répondu: Cet homme doit faire parvenir mon nom auprès des peuples et des rois. "Et moi, je lui ferai découvrir tout ce qu'il lui faudra souffrir pour mon Nom" (Ac 9,15sq). La charge de l'annonce et l'appel à la souffrance pour le Christ vont de pair inséparablement. L'appel à devenir le maître des nations est dans le même temps et intrinsèquement un appel à la souffrance dans la communion avec le Christ, qui nous a rachetés à travers sa Passion. Dans un monde où le mensonge est puissant, la vérité se paye par la souffrance. Celui qui veut éviter la souffrance, la garder loin de lui, garde loin de lui la vie elle-même et sa grandeur; il ne peut pas être un serviteur de la vérité et donc un serviteur de la foi. Il n'y a pas d'amour sans souffrance - sans la souffrance du renoncement à soi-même, de la transformation et de la purification du moi pour la véritable liberté. Là où il n'y a rien qui vaille la peine de souffrir, la vie elle-même perd sa valeur. L'Eucharistie - le centre de notre être chrétiens - se fonde sur le sacrifice de Jésus pour nous, elle est née de la souffrance de l'amour, qui a atteint son sommet dans la Croix. Nous vivons de cet amour qui se donne. Il nous donne le courage et la force de souffrir avec le Christ et pour Lui dans ce monde, en sachant que précisément ainsi notre vie devient grande, mûre et véritable. A la lumière de toutes les lettres de saint Paul, nous voyons que sur son chemin de maître des nations s'est accomplie la prophétie faite à Ananie à l'heure de l'appel: "Et moi je lui ferai découvrir tout ce qu'il lui faudra souffrir pour mon Nom". Sa souffrance le rend crédible comme maître de vérité, qui ne cherche pas son propre profit, sa propre gloire, la satisfaction personnelle, mais qui s'engage pour Celui qui nous a aimés et qui s'est donné lui-même pour nous tous.

En cette heure, nous rendons grâce au Seigneur, car il a appelé Paul, le rendant lumière des nations et notre maître à tous, et nous le prions: Donne-nous aujourd'hui aussi des témoins de la résurrection, touchés par ton amour et capables d'apporter la lumière de l'Evangile dans notre temps. Saint Paul, prie pour nous! Amen.


CHAPELLE PAPALE EN LA SOLENNITÉ DES SAINTS APÔTRES PIERRE ET PAUL - 29 juin 2008

29608
Basilique Vaticane

Dimanche 29 juin 2008




HOMÉLIE DU PATRIARCHE OECUMÉNIQUE BARTHOLOMAIOS I

Votre Sainteté,

Ressentant encore vivement la joie et l'émotion de la participation personnelle et bénie de Votre Sainteté à la fête patronale de Constantinople, en la mémoire de saint André Apôtre, le Premier appelé, en novembre 2006, nous sommes venus "d'un pas joyeux", du Phanar de la Nouvelle Rome, auprès de vous, afin de participer à votre joie en la fête patronale de l'Antique Rome. Et nous sommes venus auprès de vous "comblés de la bénédiction du Christ" (Rm 15,29), restituant l'honneur et l'amour, pour fêter avec notre frère bien-aimé dans la terre d'Occident, "les hérauts sûrs et inspirés, les coryphées des disciples du Seigneur", les saints Apôtres Pierre, frère d'André, et Paul: ces deux immenses colonnes centrales élevées vers le ciel, de l'Eglise tout entière, qui - en cette ville historique - ont rendu la dernière confession éclatante au Christ et ont rendu ici leur âme au Seigneur dans le martyre, l'un par la croix et l'autre par l'épée, la sanctifiant.

Nous saluons donc avec un amour profond et très pieux, de la part de la très sainte Eglise de Constantinople et de ses fils présents dans le monde, Votre Sainteté, Frère désiré, en souhaitant de tout coeur "à tous les bien-aimés de Dieu qui sont à Rome" (Rm 1,7), de jouir d'une bonne santé, de la paix, de la prospérité et de progresser jour et nuit vers le salut "dans la ferveur de l'esprit, au service du Seigneur, avec la joie de l'espérance, constants dans la tribulation, assidus à la prière" (Rm 12,11-12).

Votre Sainteté, dans les deux Eglises, nous honorons et vénérons comme il se doit aussi bien celui qui a rendu une confession salvifique de la Divinité du Christ, Pierre, que le vase d'élection, Paul, qui a proclamé cette confession et cette foi jusqu'aux extrémités de l'univers, malgré les difficultés et les dangers les plus inimaginables. Nous fêtons leur mémoire depuis l'année du salut 258, le 29 juin, en Occident et en Orient, où les jours qui précèdent, selon la tradition de l'Eglise antique, nous nous sommes préparés en Orient également au moyen du jeûne, observé en leur honneur. Pour mieux souligner leur valeur égale, mais aussi en raison de leur poids dans l'Eglise et dans son oeuvre régénératrice et salvifique au cours des siècles, l'Orient les honore aussi habituellement à travers une icône commune, dans laquelle ils tiennent entre leurs saintes mains un petit voilier, qui symbolise l'Eglise, ou bien ils s'embrassent l'un l'autre et s'échangent le baiser en Christ.

Votre Sainteté, c'est précisément ce baiser que nous sommes venus échanger avec vous, en soulignant le désir ardent en Christ et l'amour, des choses qui nous touchent de près les uns les autres.

Le dialogue théologique entre nos Eglises "en foi, vérité et amour", grâce à l'aide divine va de l'avant, au-delà des difficultés importantes qui subsistent et des problématiques connues. Nous le désirons vraiment et prions beaucoup à cet effet; que ces difficultés soient surmontées et que les problèmes disparaissent, le plus rapidement possible, pour rejoindre l'objet du désir final, à la gloire de Dieu.

Nous savons bien que ce désir est aussi le vôtre, comme nous sommes également certains que Votre Sainteté ne négligera rien en travaillant en personne, avec ses illustres collaborateurs, en aplanissant parfaitement la voie, vers une issue positive, si Dieu le veut, des travaux du Dialogue.

Votre Sainteté, nous avons proclamé l'année 2008 "Année de l'Apôtre Paul", comme vous le faites vous aussi aujourd'hui jusqu'à l'année prochaine, à l'occasion des deux mille ans de la naissance du grand Apôtre. Dans le cadre des manifestations relatives à cet anniversaire, où nous avons aussi vénéré le lieu exact de son martyre, nous programmons entre autres choses un pèlerinage à certains lieux de l'activité évangélique de l'Apôtre en Orient, comme Ephèse, Perges; et d'autres villes de l'Asie mineure, mais aussi Rhodes et Crète, dans la localité appelée "Bons Ports". Votre Sainteté, soyez assurés que sur ce saint parcours vous serez présents vous aussi, en cheminant avec nous en esprit, et qu'en chaque lieu nous élèverons une prière ardente pour vous et pour nos frères de la vénérable Eglise romaine catholique, en adressant pour vous à travers le divin Paul une puissante supplique et intercession au Seigneur.

Et à présent, en vénérant les souffrances et la croix de Pierre et en embrassant la chaîne et les stigmates de Paul, en honorant la confession, le martyre et la vénérable mort de tous les deux au nom du Seigneur, qui conduit vraiment à la Vie, nous glorifions le Dieu trois fois saint et nous le supplions, afin que par l'intercession de ses protocoryphées apôtres, il nous donne ici-bas, ainsi qu'à tous ses fils partout dans le monde de l'Eglise orthodoxe et romaine catholique, "l'union de la foi et la communion de l'Esprit Saint" dans le "lien de la paix" et là-haut, en revanche, la vie éternelle et la grande miséricorde. Amen.


HOMÉLIE DU SAINT-PÈRE

Votre Sainteté et délégués fraternels,
Messieurs les cardinaux,
Vénérés frères dans l'épiscopat et dans le sacerdoce,
Chers frères et soeurs!

Depuis les temps les plus anciens l'Eglise de Rome célèbre la solennité des grands Apôtres Pierre et Paul comme une unique fête le même jour, le 29 juin. A travers leur martyre, ils sont devenus frères; ensemble ils sont les fondateurs de la nouvelle Rome chrétienne. C'est comme tels que les chante l'hymne des secondes Vêpres qui remonte à Paulin d'Aquilée (+806)! "O Roma felix - Rome heureuse, ornée de pourpre par le sang précieux de Princes aussi grands. Tu dépasses toutes les beautés du monde, non par ton mérite, mais par le mérite des saints que tu as tués par l'épée sanglante". Le sang des martyrs n'invoque pas vengeance, mais il réconcilie. Il ne se présente pas comme une accusation, mais comme une "lumière dorée", selon les paroles de l'hymne des premières Vêpres: il se présente comme force de l'amour qui dépasse la haine et la violence, en fondant ainsi une nouvelle ville, une nouvelle communauté. Par leur martyre, ces derniers - Pierre et Paul - font à présent partie de Rome: à travers le martyre, Pierre aussi est devenu un citoyen romain pour toujours. A travers le martyre, à travers leur foi et leur amour, les deux Apôtres indiquent où se trouve la véritable espérance, et sont les fondateurs d'un nouveau genre de cité, qui doit se former toujours à nouveau au sein de la vieille cité humaine, qui reste menacée par les forces contraires du péché et de l'égoïsme des hommes.

En vertu de leur martyre, Pierre et Paul sont en relation réciproque pour toujours. Une des images préférées de l'iconographie chrétienne est le baiser des deux apôtres en marche vers le martyre. Nous pouvons dire: leur martyre lui-même, au plus profond, est la réalisation d'un baiser fraternel. Ils meurent pour l'unique Christ et, dans le témoignage pour lequel ils donnent la vie, ils sont un. Dans les écrits du Nouveau Testament nous pouvons, pour ainsi dire, suivre le développement de leur baiser, de cette façon de créer l'unité dans le témoignage et dans la mission. Tout commence lorsque Paul, trois ans après sa conversion, va à Jérusalem, "pour faire la connaissance de Pierre" (Ga 1,18). Quatorze ans plus tard, il monte de nouveau à Jérusalem, pour exposer "aux personnages les plus importants" l'Evangile qu'il prêche, pour ne pas prendre le risque de "courir pour rien, ni avoir couru jusqu'à présent pour rien" (Ga 2,1sq). A la fin de cette rencontre, Jacques, Céphas et Jean lui donnent la main droite, confirmant ainsi la communion qui les rassemble dans l'unique Evangile de Jésus Christ (Ga 2,9). Un beau signe de ce baiser intérieur qui s'étend, qui se développe malgré la diversité des tempéraments et des tâches, est le fait que les collaborateurs mentionnés à la fin de la Première Lettre de saint Pierre - Silvain et Marc - sont des collaborateurs tout aussi proches de saint Paul. La communion de l'unique Eglise, le baiser des grands Apôtres, est rendue visible de manière très concrète dans la communauté des collaborateurs.

Pierre et Paul se sont rencontrés au moins deux fois à Jérusalem; à la fin, leurs deux parcours débouchent à Rome. Pourquoi? Est-ce là plus qu'un pur hasard? Un message durable y est-il contenu? Paul arriva à Rome comme prisonnier, mais dans le même temps comme citoyen romain qui, après son arrestation à Jérusalem, avait précisément, en tant que tel, fait recours à l'empereur devant le tribunal duquel il fut conduit. Mais dans un sens encore plus profond, Paul est venu volontairement à Rome. Grâce à la plus importante de ses Lettres, il s'était déjà approché intérieurement de cette ville: il avait adressé à l'Eglise de Rome l'écrit qui, plus que tout autre, constitue la synthèse de toute son annonce et de sa foi. Dans le salut initial de la Lettre, il dit que le monde entier parle de la foi des chrétiens de Rome, et qu'elle est donc connue partout comme exemplaire (Rm 1,8). Il écrit ensuite: "Je ne veux pas vous le laisser ignorer, frères: j'ai bien souvent eu l'intention de venir chez vous" (Rm 1,13). A la fin de la Lettre, il reprend ce thème en parlant à présent de son projet d'aller jusqu'en Espagne: "Quand je me rendrai en Espagne, en effet, j'espère bien que je vous verrai en passant, et que vous m'aiderez pour me rendre là-bas quand j'aurai d'abord un peu profité de cette rencontre avec vous" (Rm 15,24). "Et je sais bien que ma venue chez vous sera comblée de la bénédiction du Christ" (Rm 15,29). Deux choses apparaissent ici de manière évidente: Rome est pour Paul une étape sur la route vers l'Espagne, c'est-à-dire - selon sa conception du monde - vers la partie extrême de la terre. Il considère comme sa mission de réaliser la tâche reçue du Christ d'apporter l'Evangile jusqu'aux frontières extrêmes du monde. Sur ce parcours se trouve Rome. Alors que généralement Paul ne se rend que dans les lieux où l'Evangile n'est pas encore annoncé, Rome constitue une exception. Il y trouve une Eglise dont la foi parle au monde. Aller à Rome fait partie de l'universalité de sa mission comme envoyé à tous les peuples. Le chemin vers Rome, que déjà avant son voyage extérieur il a parcouru intérieurement grâce à sa Lettre, fait partie intégrante de sa tâche d'apporter l'Evangile à toutes les nations - de fonder l'Eglise catholique, universelle. Aller à Rome est pour lui l'expression de la catholicité de sa mission. Rome doit rendre la foi visible au monde entier, elle doit être le lieu de la rencontre dans l'unique foi.

Mais pourquoi Pierre est-il allé à Rome? A ce propos, le Nouveau Testament ne se prononce pas de manière directe. Il nous donne cependant quelques indications. L'Evangile de saint Marc, que nous pouvons considérer un reflet de la prédication de saint Pierre, est profondément orienté vers le moment où le centurion romain, face à la mort en croix de Jésus Christ, dit: "Vraiment, cet homme était le Fils de Dieu" (Mc 15,39). Auprès de la Croix se révèle le mystère de Jésus Christ. Sous la Croix naît l'Eglise des nations: le centurion du peloton d'exécution romain reconnaît en Christ le Fils de Dieu. Les Actes des Apôtres décrivent comme une étape décisive pour l'entrée de l'Evangile dans le monde des païens, l'épisode de Corneille, le centurion de la cohorte italique. Sur un commandement de Dieu, il envoie quelqu'un prendre Pierre et celui-ci, suivant lui aussi un ordre divin, se rend dans la maison du centurion et prêche. Alors qu'il parle, l'Esprit Saint descend sur la communauté domestique rassemblée et Pierre dit: "Pourrait-on refuser l'eau du baptême à ces gens qui ont reçu l'Esprit Saint tout comme nous?" (Ac 10,47). Ainsi, dans le Concile des Apôtres, Pierre devient l'intercesseur pour l'Eglise des païens qui n'ont pas besoin de la Loi, car "Dieu a purifié leurs coeurs par la foi" (Ac 15,9). En effet, dans la Lettre aux Galates, Paul dit que Dieu a donné à Pierre la force pour le ministère apostolique parmi les circoncis; à Paul, il l'a en revanche donnée pour le ministère parmi les païens (Ga 2,8). Mais cette assignation ne pouvait être valable que tant que Pierre restait avec les Douze à Jérusalem, dans l'espérance que tout Israël adhère au Christ. Face au développement ultérieur, les Douze reconnurent le moment où eux aussi devaient se mettre en marche vers le monde entier, pour lui annoncer l'Evangile. Pierre, qui selon l'ordre de Dieu avait le premier ouvert la porte aux païens, laisse à présent la présidence de l'Eglise chrétienne juive à Jacques le mineur, pour se consacrer à sa véritable mission: au ministère pour l'unité de l'unique Eglise de Dieu formée par des juifs et des païens. Le désir de saint Paul d'aller à Rome souligne - comme nous l'avons vu -, parmi les caractéristiques de l'Eglise, en particulier le terme "catholica". Le chemin de saint Pierre vers Rome, comme représentant des peuples du monde, est surtout soumis au mot "una": sa tâche est de créer l'unité de la catholica, de l'Eglise formée de juifs et de païens, de l'Eglise de tous les peuples. Et telle est la mission permanente de Pierre: faire en sorte que l'Eglise ne s'identifie jamais avec une seule nation, avec une seule culture ou avec un seul Etat. Qu'elle soit toujours l'Eglise de tous. Qu'elle réunisse l'humanité au-delà de toute frontière et, au milieu des divisions de ce monde, qu'elle rende présente la paix de Dieu, la force réconciliatrice de son amour. Grâce à la technique qui est partout semblable, grâce au réseau mondial d'informations, ainsi que grâce à l'union d'intérêts communs, il existe aujourd'hui dans le monde de nouveaux modèles d'unité, qui font cependant aussi exploser de nouvelles oppositions et qui donnent une nouvelle impulsion aux anciennes. Face à cette unité externe, fondée sur les choses matérielles, nous avons d'autant plus besoin de l'unité intérieure, qui provient de la paix de Dieu - l'unité de tous ceux qui, à travers Jésus Christ, sont devenus frères et soeurs. Telle est la mission permanente de Pierre et également la tâche particulière confiée à l'Eglise de Rome.

Chers confrères dans l'épiscopat! Je voudrais à présent m'adresser à vous qui êtes venus à Rome pour recevoir le pallium comme symbole de votre dignité et de votre responsabilité d'archevêques dans l'Eglise de Jésus Christ. Le pallium a été tissé avec la laine de brebis, que l'Evêque de Rome bénit chaque année en la fête de la chaire de Pierre, les mettant, pour ainsi dire, de côté afin qu'elles deviennent un symbole pour le troupeau du Christ, que vous présidez. Lorsque nous plaçons le pallium sur nos épaules, ce geste nous rappelle le pasteur qui prend sur ses épaules la brebis égarée, qui toute seule ne retrouve plus le chemin de la maison, et la ramène à la bergerie. Les Pères de l'Eglise ont vu dans cette brebis l'image de toute l'humanité, de la nature humaine tout entière, qui s'est perdue et ne trouve plus le chemin de la maison. Le Pasteur qui la ramène chez elle ne peut être que le Logos, la Parole éternelle de Dieu lui-même. Dans l'incarnation, il nous a tous pris - la brebis "homme" - sur ses épaules. Lui, la Parole éternelle, le véritable pasteur de l'humanité, nous porte; dans son humanité, il porte chacun de nous sur ses épaules. Sur la voie de la Croix il nous a portés à la maison, il nous porte à la maison. Mais il veut également avoir des hommes qui "portent" avec Lui. Etre pasteur dans l'Eglise du Christ signifie participer à ce devoir, que le pallium rappelle. Lorsque nous le portons, Il nous demande: "Portes-tu avec moi aussi tous ceux qui m'appartiennent? Les portes-tu vers moi, vers Jésus Christ?". Et alors nous vient à l'esprit le récit de l'envoi de Pierre par le Ressuscité. Le Christ ressuscité rattache l'ordre: "Pais mes brebis" de manière indissoluble à la question: "M'aimes-tu, m'aimes-tu plus que ceux-ci?". Chaque fois que nous portons le pallium du pasteur du troupeau du Christ, nous devrions entendre cette question: "M'aimes-tu?" et nous devrions nous laisser interroger à propos du surplus d'amour qu'Il attend du pasteur.

Ainsi, le pallium devient le symbole de notre amour pour le pasteur Christ et de notre acte d'aimer avec Lui - il devient le symbole de l'appel à aimer les hommes comme Lui, avec Lui: ceux qui sont en quête, qui se posent des questions, ceux qui sont sûrs d'eux et les humbles, les simples et les grands; il devient le symbole de l'appel à les aimer tous avec la force du Christ, afin qu'ils puissent Le trouver et se trouver en Lui. Mais le pallium, que vous recevez "de la" tombe de saint Pierre, a aussi une deuxième signification, liée de manière indissoluble à la première. Pour la comprendre, une parole de la Première Lettre de saint Pierre peut nous aider. Dans son exhortation aux prêtres de paître le troupeau de manière juste, il - saint Pierre - se qualifie lui-même de synpresbýteros - co-presbytre (1P 5,1). Cette formule contient implicitement une affirmation du principe de la succession apostolique: les pasteurs qui se succèdent sont des pasteurs comme lui, ils le sont avec lui, ils appartiennent au ministère commun des pasteurs de l'Eglise de Jésus Christ, un ministère qui se poursuit avec eux. Mais cet "avec" possède encore deux significations. Il exprime également la réalité que nous indiquons aujourd'hui sous le terme de "collégialité" des évêques. Nous sommes tous co-presbytres. Aucun pasteur n'est seul. Nous ne nous trouvons dans la succession des apôtres que grâce au fait que nous sommes dans la communion du collège, dans lequel le collège des apôtres trouve sa continuation. La communion, le "nous" des pasteurs fait partie de l'être pasteurs, car le troupeau est un seul, l'unique Eglise de Jésus Christ. Enfin, ce "co-" renvoie également à la communion avec Pierre et avec son Successeur comme garantie de l'unité. Ainsi, le pallium nous parle de la catholicité de l'Eglise, de la communion universelle du pasteur et du troupeau. Et il nous renvoie à l'apostolicité: à la communion avec la foi des apôtres, sur laquelle l'Eglise est fondée. Il nous parle de l'ecclesia una, catholica, apostolica et naturellement, en nous liant au Christ, il nous parle précisément aussi du fait que l'Eglise est sancta et que notre oeuvre est un service à sa sainteté.

Cela me fait encore revenir à saint Paul et à sa mission. Il a exprimé l'essentiel de sa mission, ainsi que la raison la plus profonde de son désir d'aller à Rome, dans le chapitre 15 de la Lettre aux Romains dans une phrase extraordinairement belle. Il sait qu'il est appelé "à être une officiant du Christ Jésus auprès des païens, ministre de l'Evangile de Dieu, afin que les païens deviennent une offrande agréable, sanctifiée dans l'Esprit Saint" (Rm 15,16). Ce n'est que dans ce verset que Paul utilise le mot "hierourgein" - administrer en tant que ministre - avec "leitourgós" - officiant: il parle de la liturgie cosmique, où le monde des hommes doit devenir adoration de Dieu, offrande dans l'Esprit Saint. Lorsque le monde, dans son ensemble, sera devenu liturgie de Dieu, lorsque dans sa réalité il sera devenu adoration, alors il aura atteint son objectif, alors il sera sain et sauf. Tel est le but ultime de la mission apostolique de saint Paul et de notre mission. Le Seigneur nous appelle à ce ministère. Prions en cette heure, afin qu'Il nous aide à l'accomplir de manière juste, à devenir de véritables officiants de Jésus Christ. Amen.


VOYAGE APOSTOLIQUE À SYDNEY - XXIIIe JOURNÉE MONDIALE DE LA JEUNESSE (12-21 JUILLET 2008)


MESSE AVEC LES ÉVÊQUES AUSTRALIENS, LES SÉMINARISTES ET LES NOVICES - Samedi 19 juillet 2008

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Benoît XVI Homélies 15608