Benoît XVI Homélies 28119

CÉLÉBRATION DES PREMIÈRES VÊPRES DE L'AVENT - 28 novembre 2009

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Basilique Vaticane - Samedi 28 novembre 2009



Chers frères et soeurs,

A travers cette célébration des Vêpres, nous entrons dans le temps liturgique de l'Avent. Dans la lecture biblique que nous venons d'écouter, tirée de la première Lettre aux Thessaloniciens, l'apôtre Paul nous invite à préparer l'"Avènement de notre Seigneur Jésus Christ" (
1Th 5,23), en demeurant sans reproche, avec la grâce de Dieu. Paul utilise précisément le terme "Avènement", en latin adventus, dont dérive le terme Avent.

Réfléchissons brièvement sur la signification de ce terme, qui peut se traduire par "présence", "arrivée", "venue". Dans le langage du monde antique, il s'agissait d'un terme technique utilisé pour indiquer l'arrivée d'un fonctionnaire, la visite du roi ou de l'empereur dans une province. Mais il pouvait également indiquer la venue de la divinité, qui sort de son lieu caché pour se manifester avec puissance, ou dont la présence est célébrée dans le culte. Les chrétiens adoptèrent le terme "avent" pour exprimer leur relation avec Jésus Christ: Jésus est le Roi, entré dans cette pauvre "province" appelée terre pour rendre visite à tous; à la fête de son avent, il fait participer tous ceux qui croient en Lui, tous ceux qui croient dans sa présence dans l'assemblée liturgique. A travers le terme adventus, on voulait dire en substance: Dieu est ici, il ne s'est pas retiré du monde, il ne nous a pas laissés seuls. Même si nous ne pouvons pas le voir ni le toucher comme c'est le cas avec les réalités sensibles, Il est ici et vient nous rendre visite de multiples manières.

La signification de l'expression "avent" comprend donc également celle de visitatio, qui veut dire simplement et précisément "visite"; dans ce cas, il s'agit d'une visite de Dieu: Il entre dans ma vie et veut s'adresser à moi. Nous faisons tous l'expérience, dans notre existence quotidienne, d'avoir peu de temps pour le Seigneur et peu de temps également pour nous. On finit par être absorbé par ce qu'il faut "faire". N'est-il pas vrai que souvent, c'est précisément l'activité qui s'empare de nous, la société et ses multiples intérêts qui monopolisent notre attention? N'est-il pas vrai que l'on consacre beaucoup de temps au divertissement et aux distractions en tout genre? Parfois, les choses nous "submergent". L'Avent, ce temps liturgique fort que nous commençons, nous invite à nous arrêter en silence pour comprendre une présence. C'est une invitation à comprendre que chaque événement de la journée est un signe que Dieu nous adresse, un signe de l'attention qu'il a pour chacun de nous. Combien de fois Dieu nous fait percevoir un signe de son amour! Tenir, en quelque sorte, un "journal intérieur" de cet amour serait un devoir beau et salutaire pour notre vie! L'Avent nous invite et nous encourage à contempler le Seigneur présent. La certitude de sa présence ne devrait-elle pas nous aider à voir le monde avec des yeux différents? Ne devrait-elle pas nous aider à considérer toute notre existence comme une "visite", comme une façon dont Il peut venir à nous et devenir proche de nous, en toute situation?

Un autre élément fondamental de l'Avent est l'attente, une attente qui est dans le même temps espérance. L'Avent nous pousse à comprendre le sens du temps et de l'histoire comme "kairós", comme occasion favorable pour notre salut. Jésus a illustré cette réalité mystérieuse dans de nombreuses paraboles: dans le récit des serviteurs invités à attendre le retour du maître; dans la parabole des vierges qui attendent l'époux; ou dans celle de la semence et de la moisson. L'homme, au cours de sa vie, est en attente permanente: quand il est enfant, il veut grandir; adulte, il tend à la réalisation et au succès; en avançant en âge, il aspire à un repos mérité. Mais arrive le temps où il découvre qu'il a trop peu espéré, au-delà de la profession ou de la position sociale, il ne lui reste rien d'autre à espérer. L'espérance marque le chemin de l'humanité, mais pour les chrétiens, elle est animée par une certitude: le Seigneur est présent tout au long de notre vie, il nous accompagne et un jour, il essuiera aussi nos larmes. Un jour, bientôt, tout trouvera son accomplissement dans le Royaume de Dieu, Royaume de justice et de paix.

Mais il y a des manières très différentes d'attendre. Si le temps n'est pas rempli par un présent doté de sens, l'attente risque de devenir insupportable; si on attend quelque chose, mais que pour le moment il n'y a rien, c'est-à-dire que si le présent reste vide, chaque instant qui passe apparaît exagérément long, et l'attente se transforme en un poids trop lourd, parce que l'avenir reste tout à fait incertain. Lorsqu'en revanche, le temps prend du sens, et en tout instant nous percevons quelque chose de spécifique et de valable, alors la joie de l'attente rend le présent plus précieux. Chers frères et soeurs, vivons intensément le présent où nous arrivent déjà les dons du Seigneur, vivons-le projetés vers l'avenir, un avenir chargé d'espérance. L'Avent chrétien devient de cette manière une occasion pour réveiller en nous le sens véritable de l'attente, en revenant au coeur de notre foi qui est le mystère du Christ, le Messie attendu pendant de longs siècles et né dans la pauvreté de Bethléem. En venant parmi nous, il nous a rendu et continue de nous offrir le don de son amour et de son salut. Présent parmi nous, il nous parle de différentes manières: dans l'Ecriture Sainte, dans l'année liturgique, dans les saints, dans les événements de la vie quotidienne, dans toute la création, qui change d'aspect selon que derrière elle Il est présent ou qu'elle est embrumée par le brouillard d'une origine incertaine et d'un avenir incertain. A notre tour, nous pouvons lui adresser la parole, lui présenter les souffrances qui nous affligent, l'impatience, les questions qui jaillissent de notre coeur. Soyons certains qu'il nous écoute toujours! Et si Jésus est présent, il n'existe plus aucun temps vide et privé de sens. Si Il est présent, nous pouvons continuer à espérer même lorsque les autres ne peuvent plus nous assurer aucun soutien, même lorsque le présent devient difficile.

Chers amis, l'Avent est le temps de la présence et de l'attente de l'éternité. Précisément pour cette raison, c'est, de manière particulière, le temps de la joie, d'une joie intériorisée, qu'aucune souffrance ne peut effacer. La joie du fait que Dieu s'est fait enfant. Cette joie, présente en nous de manière invisible, nous encourage à aller de l'avant avec confiance. La Vierge Marie est le modèle et le soutien de cette joie intime, au moyen de laquelle nous a été donné l'Enfant Jésus. Puisse-t-elle nous obtenir, fidèle disciple de son Fils, la grâce de vivre ce temps liturgique vigilants et actifs dans l'attente. Amen!




MESSE AVEC LES MEMBRES DE LA COMMISSION THÉOLOGIQUE INTERNATIONALE Chapelle Pauline - Mardi 1er décembre 2009

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Chers frères et soeurs,

Les paroles du Seigneur, que nous venons d'entendre dans le passage évangélique, constituent un défi pour nous théologiens, ou peut-être, pour mieux dire, une invitation à un examen de conscience: qu'est-ce que la théologie? Que sommes-nous, nous les théologiens? Comment bien faire de la théologie? Nous avons entendu que le Seigneur loue le Père, car il a caché le grand mystère du Fils, le mystère trinitaire, le mystère christologique, aux sages, aux savants — ceux-ci ne l'ont pas reconnu —, mais il l'a révélé aux petits, aux nèpioi, à ceux qui ne sont pas savants, qui n'ont pas une grande culture. C'est à eux qu'a été révélé ce grand mystère.

Avec ces mots, le Seigneur décrit simplement un fait de sa vie; un fait qui commence déjà au temps de sa naissance, lorsque les Rois mages d'Orient demandent à ceux qui sont compétents, aux scribes, aux exégètes le lieu de la naissance du Sauveur, du Roi d'Israël. Les scribes le savent, car ce sont de grands spécialistes; ils peuvent dire immédiatement où naît le Messie: à Bethléem! Mais ils ne se sentent pas invités à y aller: pour eux, cela reste une connaissance académique, qui ne touche pas leur vie; ils restent en dehors. Ils peuvent donner des informations, mais l'information ne devient pas formation de leur propre vie.

Ensuite, au cours de toute la vie publique du Seigneur, nous trouvons la même chose. Il est impossible aux savants de comprendre que cet homme qui n'est pas savant, galiléen, puisse être réellement le Fils de Dieu. Il reste inacceptable pour eux que Dieu, le grand, l'unique, le Dieu du ciel et de la terre, puisse être présent chez cet homme. Tous savent, connaissent également Isaïe 53, toutes les grandes prophéties, mais le mystère reste caché. Il est en revanche révélé aux petits, à commencer par la Vierge, jusqu'aux pêcheurs du lac de Galilée. Ils reconnaissent, de même que le capitaine romain sous la croix reconnaît: celui-ci est le Fils de Dieu!

Les faits essentiels de la vie de Jésus n'appartiennent pas seulement au passé, mais sont présents, de manière différente, dans toutes les générations. Et ainsi, à notre époque également, au cours des deux cents dernières années, nous observons la même chose. Il y a de grands sages, de grands spécialistes, de grands théologiens, des maîtres de la foi, qui nous ont enseigné de nombreuses choses. Ils ont pénétré dans les détails de l'Ecriture Sainte, de l'histoire du salut, mais ils n'ont pas pu voir le mystère lui-même, le véritable noyau: que Jésus était réellement le Fils de Dieu, que le Dieu trinitaire entre dans notre histoire, à un moment historique déterminé, dans un homme comme nous. L'essentiel est resté caché! On pourrait facilement citer de grands noms de l'histoire de la théologie de ces deux cents ans, dont nous avons beaucoup appris, mais le mystère ne s'est pas ouvert aux yeux de leur coeur.

En revanche, il y a aussi à notre époque des petits qui ont connu ce mystère. Nous pensons à sainte Bernadette Soubirous; à sainte Thérèse de Lisieux, avec sa nouvelle lecture de la Bible « non scientifique », mais qui entre dans le coeur de l'Ecriture Sainte; jusqu'aux saints et bienheureux de notre époque: sainte Joséphine Bakhita, la bienheureuse Teresa de Calcutta, saint Damien de Veuster. Nous pourrions en citer tant!

Mais de tout cela naît la question: pourquoi en est-il ainsi? Le christianisme est-il la religion des sots, des personnes sans culture, non formées? La foi s'éteint-elle là où la raison se réveille? Comment cela s'explique-t-il? Peut-être devons-nous encore une fois regarder l'histoire. Ce que Jésus a dit, ce que l'on peut observer au cours de tous les siècles, reste vrai. Mais il y a toutefois une « espèce » de petits qui sont également savants. Sous la croix se trouve la Vierge, l'humble servante de Dieu et la grande femme illuminée par Dieu. Et il y a également Jean, pêcheur du lac de Galilée, mais c'est ce Jean qui sera justement appelé par l'Eglise « le théologien », car il a réellement su voir le mystère de Dieu et l'annoncer: avec un oeil d'aigle, il est entré dans la lumière inaccessible du mystère divin. Ainsi, après sa résurrection également, le Seigneur, sur le chemin de Damas, touche le coeur de Saul, qui est l'un des savants qui ne voient pas. Lui-même, dans la première Lettre à Timothée, se définit « ignorant » à cette époque, malgré sa science. Mais le Ressuscité le touche: il devient aveugle et, dans le même temps, il devient réellement voyant, il commence à voir. Le grand sage devient un petit, et c'est précisément pour cela qu'il voit la folie de Dieu qui est sagesse, une sagesse plus grande que toutes les sagesses humaines.

Nous pourrions continuer à lire toute l'histoire de cette manière. Une dernière observation encore. Ces sages savants, sofòi et sinetòi, dans la première lecture, apparaissent d'une autre manière. Ici sofìa et sìnesis sont des dons de l'Esprit Saint qui reposent sur le Messie, sur le Christ. Qu'est-ce que cela signifie? Il apparaît qu'il existe un double usage de la raison et une double façon d'être sages ou petits. Il y a une manière d'utiliser la raison qui est autonome, qui se place au-dessus de Dieu, dans tout l'éventail des sciences, en commençant par les sciences naturelles, où une méthode adaptée pour la recherche de la matière est universalisée: Dieu n'a rien à voir dans cette méthode, donc Dieu y est absent. Et, enfin, il en est également de même en théologie: on pêche dans les eaux de l'Ecriture Sainte avec un filet qui ne permet de prendre que des poissons d'une certaine taille; tout ce qui dépasse cette taille ne peut pas entrer dans le filet et donc ne peut pas exister. Ainsi, le grand mystère de Jésus, du Fils qui s'est fait homme, se réduit à un Jésus historique: une figure tragique, un fantôme sans chair ni os, un homme qui est resté dans le sépulcre, qui s'est corrompu et qui est réellement mort. La méthode sait « attraper » certains poissons, mais exclut le grand mystère, car l'homme se fait lui-même la mesure: il a cette prétention, qui dans le même temps est une grande sottise, car elle rend absolues certaines méthodes qui ne sont pas adaptées aux grandes réalités; elle s'inscrit dans cet esprit académique que nous avons vu chez les scribes, qui répondent aux Rois mages: cela ne me concerne pas; je reste enfermé dans mon existence, qui n'est pas touchée. C'est la spécialisation qui voit tous les détails, mais qui ne voit plus la totalité.

Et il y a l'autre manière d'utiliser la raison, d'être sages, celle de l'homme qui reconnaît qui il est; et qui reconnaît sa propre mesure et la grandeur de Dieu, en s'ouvrant dans l'humilité à la nouveauté de l'action de Dieu. Ainsi, précisément en acceptant sa propre petitesse, en se faisant petit comme il l'est réellement, il arrive à la vérité. De cette manière, la raison aussi peut exprimer toutes ses possibilités, elle n'est pas éteinte, mais elle s'élargit, elle devient plus grande. Il s'agit d'une autre sofìa et sìnesis, qui n'exclut pas du mystère, mais qui est précisément communion avec le Seigneur dans lequel reposent savoir et sagesse, et leur vérité.

En ce moment, nous voulons prier pour que le Seigneur nous donne la véritable humilité. Qu'il nous donne la grâce d'être petits pour pouvoir être réellement sages; qu'il nous illumine, qu'il nous fasse voir son mystère de la joie de l'Esprit Saint, qu'il nous aide à être de véritables théologiens, qui puissent annoncer son mystère car ils ont été touchés dans la profondeur de leur coeur, de leur existence. Amen.



VÊPRES AVEC LA PARTICIPATION DES ÉTUDIANTS DES UNIVERSITÉS DE ROME Basilique Vaticane - Jeudi 17 décembre 2009

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Messieurs les cardinaux,
vénérés frères dans l'épiscopat,
Mesdames et Messieurs,
chers frères et soeurs!

Quelle sagesse naît à Bethléem? C'est cette question que je voudrais vous poser, ainsi qu'à moi-même, à l'occasion de cette traditionnelle rencontre avant Noël avec le monde universitaire romain. Aujourd'hui, au lieu de la Messe, nous célébrons les vêpres, et l'heureuse coïncidence avec le début de la neuvaine de Noël nous fera chanter dans quelques instants la première des antiennes dites grandes antiennes:

« O Sagesse, sortie de la bouche
du Très Haut,
qui enveloppez toutes choses
d'un pôle à l'autre
et les disposez avec force
et douceur,
venez nous enseigner
le chemin de la prudence » (Liturgie des Heures, Vêpres du 17 décembre).

Cette merveilleuse invocation s'adresse à la « Sagesse », figure centrale dans les livres des Proverbes, de la Sagesse et du Siracide, qui sont appelés précisément d'après elle « sapientiels » et dans lesquels la tradition chrétienne perçoit une préfiguration du Christ. Cette invocation devient véritablement stimulante et même provocante lorsque nous nous trouvons devant à la crèche, c'est-à-dire au paradoxe d'une Sagesse qui, « sortie de la bouche du Très Haut », est couchée enveloppée de langes dans une mangeoire (cf.
Lc 2,7 Lc 2,12 Lc 2,16).

Nous pouvons déjà anticiper la réponse à la question initiale: ce qui naît à Bethléem est la Sagesse de Dieu. Saint Paul, en écrivant aux Corinthiens, utilise cette expression: « une sagesse de Dieu, mystérieuse » (1Co 2,7), c'est-à-dire qui est dans un dessein divin, qui est demeurée longtemps cachée et que Dieu lui-même a révélée dans l'histoire du salut. Dans la plénitude des temps, cette Sagesse a pris un visage humain, le visage de Jésus qui — comme le récite le Symbole des apôtres — « a été conçu du Saint-Esprit, est né de la Vierge Marie, a souffert sous Ponce Pilate, a été crucifié, est mort et a été enseveli, est descendu aux enfers, le troisième jour est ressuscité des morts, est monté aux Cieux, est assis à la droite de Dieu le Père tout-puissant, d'où il viendra juger les vivants et les morts ». Le paradoxe chrétien consiste précisément dans l'identification de la Sagesse divine, c'est-à-dire le Logos éternel, avec l'homme Jésus de Nazareth et avec son histoire. Il n'y a pas de solutions à ce paradoxe sinon dans la parole « Amour », qui dans ce cas doit être écrite naturellement avec un « A » majuscule, s'agissant d'un Amour qui dépasse infiniment les dimensions humaines et historiques. La Sagesse que nous invoquons ce soir est donc le Fils de Dieu, la deuxième personne de la Très Sainte Trinité; c'est le Verbe qui, comme nous le lisons dans le Prologue de Jean, « était au commencement avec Dieu », et même, « était Dieu », qui avec le Père et l'Esprit Saint a créé toutes choses et « s'est fait chair » pour nous révéler le Dieu que personne ne peut voir (cf. Jn 1,2-3 Jn 1,14 Jn 1,18).

Chers amis, un professeur chrétien, ou un jeune étudiant chrétien, porte en lui l'amour passionné pour cette Sagesse! Il lit tout à sa lumière; il en perçoit les traces dans les particules élémentaires et dans les vers des poètes; dans les codes juridiques et dans les événements de l'histoire; dans les oeuvres artistiques et dans les formules mathématiques. Sans Elle, rien n'a été fait de tout ce qui existe (cf. Jn 1,3) et on peut donc en apercevoir un reflet dans toute chose créée, bien évidemment selon des degrés et des modalités différentes. Tout ce qui est perçu par l'intelligence humaine peut l'être car, d'une certaine façon et dans une certaine mesure, elle participe de la Sagesse créatrice. C'est ici, en dernière analyse, que réside également la possibilité même de l'étude, de la recherche, du dialogue scientifique dans tous les domaines du savoir.

A ce point, je ne peux éviter une réflexion sans doute un peu dérangeante mais utile pour nous qui sommes ici, et qui appartenons pour la plupart au monde académique. Demandons-nous: qui était présent — la nuit de Noël — dans la grotte de Bethléem? Qui a accueilli la Sagesse lorsqu'elle est née? Qui est accouru pour la voir, l'a reconnue et adorée? Pas les docteurs de la loi, des scribes ou des sages. Il y avait Marie et Joseph, puis les pasteurs. Qu'est-ce que cela signifie? Jésus dira un jour: « Oui Père car tel a été ton bon plaisir » (Mt 11,26): tu as révélé ton mystère aux petits (cf. Mt 11,25). Mais alors, il ne sert à rien d'étudier? Ou bien est-il nuisible, et même contre-productif de connaître la vérité? L'histoire de deux mille ans de christianisme exclut cette hypothèse, et nous suggère celle qui est correcte: il s'agit d'étudier, d'approfondir les connaissances en conservant une âme de « petits », un esprit humble et simple, comme celui de Marie, « Siège de la Sagesse ». Combien de fois avons-nous eu peur de nous approcher de la Grotte de Bethléem car nous étions préoccupés que cela soit un obstacle à notre sens critique et à notre « modernité » ! Au contraire, dans cette Grotte, chacun de nous peut découvrir la vérité sur Dieu et celle sur l'homme. Toutes deux se sont rencontrées en cet Enfant, né de la Vierge: le désir de vie éternelle de l'homme a attendri le coeur de Dieu, qui n'a pas eu honte d'assumer la condition humaine.

Chers amis, aider les autres à découvrir le véritable visage de Dieu est la première forme de charité, qui prend pour vous la forme de la charité intellectuelle. J'ai appris avec plaisir que cette année, le chemin de la pastorale universitaire diocésaine aura pour thème: « Eucharistie et charité intellectuelle ». Un choix difficile, mais approprié. En effet, dans chaque célébration eucharistique, Dieu vient dans l'histoire en Jésus Christ, dans sa Parole et dans son Corps, en nous donnant cette charité qui nous permet de servir l'homme dans son existence concrète. Le projet « Une culture pour la ville » offre également une proposition prometteuse de présence chrétienne dans le domaine culturel. Tandis que je souhaite que votre itinéraire soit fructueux, je ne peux manquer d'inviter toutes les universités à être des lieux de formation d'authentiques artisans de la charité intellectuelle. C'est d'eux que dépend largement l'avenir de la société, surtout dans l'élaboration d'une nouvelle synthèse humaniste et d'une nouvelle capacité d'élaborer des projets (Encyclique Caritas in veritate ). J'encourage tous les responsables des institutions académiques à aller de l'avant ensemble, en collaborant à la construction de communautés dans lesquelles tous les jeunes puissent se former à être des hommes mûrs et responsables pour réaliser la « civilisation de l'amour ».

Au terme de cette célébration, la délégation universitaire australienne remettra à la délégation africaine l'icône de Marie Sedes Sapientiae. Nous confions à la Très Sainte Vierge tous les universitaires du continent africain, ainsi que l'engagement à la coopération qui, au cours de ces mois, après le synode spécial pour l'Afrique, se développe entre les universités de Rome et les universités africaines. Je renouvelle mon encouragement pour cette nouvelle perspective de coopération et je souhaite que de celle-ci puissent naître et croître des projets culturels capables de promouvoir un véritable développement intégral de l'homme. Chers amis, puisse Noël tout proche vous apporter joie et espérance, ainsi qu'à vos familles et à tout le milieu universitaire, à Rome et dans le monde entier.



MESSE DE MINUIT Basilique Vaticane 24 décembre 2009

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Chers Frères et Soeurs,


«Un enfant nous est né, un fils nous a été donné» (
Is 9,5). Ce qu’Isaïe, regardant de loin vers l’avenir, dit à Israël comme consolation dans ses angoisses et dans l’obscurité, l’Ange, nimbé de lumière, l’annonce aux bergers comme présent: «Aujourd’hui vous est né un Sauveur, dans la ville de David. Il est le Messie, le Seigneur» (Lc 2,11). Le Seigneur est présent. À partir de ce moment, Dieu est vraiment un «Dieu avec nous». Il n’est plus le Dieu lointain qui, à travers la création et au moyen de la conscience, peut de quelque façon être entrevu de loin. Il est entré dans le monde. Il est le Proche. Le Christ ressuscité l’a dit aux siens, à nous: «Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde» (Mt 28,20). Pour vous est né le Sauveur: ce que l’Ange a annoncé aux bergers, Dieu aujourd’hui nous le rappelle par l’Évangile et par ses messagers. C’est une nouvelle qui ne peut nous laisser indifférents. Si elle est vraie, tout est changé. Si elle est vraie, elle me concerne moi aussi. Alors, comme les bergers, je dois dire moi aussi: Allez, je veux aller à Bethléem et voir la Parole qui, là, est advenue. L’Évangile ne nous raconte pas sans raison l’histoire des bergers. Ces derniers nous montrent comment répondre de façon juste à ce message qui nous est aussi adressé. Que nous disent alors ces premiers témoins de l’incarnation de Dieu?

Des bergers, il est dit avant tout qu’ils étaient des personnes vigilantes et que le message pouvait les rejoindre précisément parce qu’ils étaient éveillés. Nous devons nous réveiller, parce que le message est arrivé jusqu’à nous. Nous devons devenir des personnes vraiment vigilantes. Qu’est-ce que cela signifie? La différence entre celui qui rêve et celui qui est éveillé consiste tout d’abord dans le fait que celui rêve se trouve dans un monde particulier. Avec son moi, il est enfermé dans ce monde du rêve qui, justement, n’est que le sien et ne le relie pas aux autres. Se réveiller signifie sortir de cet état particulier du moi et entrer dans la réalité commune, dans la vérité qui, seule, nous unit tous. Les conflits dans le monde, les difficultés relationnelles proviennent du fait que nous sommes enfermés dans nos propres intérêts et dans nos opinions personnelles, dans notre minuscule monde intérieur. L’égoïsme, celui du groupe comme celui de l’individu, nous tient prisonnier de nos intérêts et de nos désirs, qui s’opposent à la vérité et nous séparent les uns des autres. Réveillez-vous, nous dit l’Évangile. Venez dehors pour entrer dans la grande vérité commune, dans la communion de l’unique Dieu. Se réveiller signifie ainsi développer sa sensibilité pour Dieu, pour les signes silencieux par lesquels il veut nous guider, pour les multiples indices de sa présence. Il y a des personnes qui disent être «religieusement privées d’oreille musicale». L’aptitude à percevoir Dieu semble presque un don qui est refusé à certains. Et en effet – notre manière de penser et d’agir, la mentalité du monde contemporain, l’éventail de nos diverses expériences sont de nature à affaiblir la sensibilité à Dieu, à nous «priver d’oreille musicale» pour Lui. Et pourtant dans toute âme est présente, de façon cachée ou ouverte, l’attente de Dieu, la capacité de le rencontrer. Pour obtenir cette vigilance, cet éveil à l’essentiel, nous voulons prier, pour nous-mêmes et pour les autres, pour ceux qui semblent être «privés d’oreille musicale» et chez qui, cependant, le désir que Dieu se manifeste est vif. Le grand théologien Origène a dit: si j’avais eu la grâce de voir comme a vu Paul, je pourrais à présent (durant la Liturgie) contempler une multitude d’anges (cf. in LC 23,9).En effet – dans la sainte Liturgie, les anges de Dieu et les saints nous entourent. Le Seigneur lui-même est présent au milieu de nous. Seigneur, ouvre les yeux de nos coeurs, afin que nous devenions vigilants et voyants et qu’ainsi nous puissions aussi porter ta proximité aux autres.

Revenons à l’Évangile de Noël. Celui-ci nous raconte que les bergers, après avoir entendu le message de l’ange, se dirent l’un à l’autre: «Allons jusqu’à Bethléem … Ils y allèrent, sans délai» (Lc 2,15ss). «Il se hâtèrent» dit littéralement le texte grec. Ce qui leur avait été annoncé était si important qu’ils devaient se mettre en route immédiatement. En effet, ce qui leur avait été dit là, allait absolument au-delà de l’ordinaire. Cela changeait le monde. Le Sauveur est né. Le Fils de David attendu est venu au monde dans sa ville. Que pouvait-il y avoir de plus important? Bien sûr, la curiosité les poussait aussi, mais par-dessus tout la fébrilité liée à la grande réalité qui leur avait été communiquée précisément à eux, des petits et des hommes apparemment insignifiants. Ils se pressèrent – sans hésitation. Dans notre vie ordinaire, il n’en va pas ainsi. La majorité des hommes ne considère pas comme prioritaires les affaires de Dieu, celles-ci ne nous pressent pas immédiatement. Et nous aussi, pour l’immense majorité, nous sommes disposés à les renvoyer à plus tard. Avant tout nous faisons ce qui, ici et maintenant, apparaît urgent. Dans la liste des priorités, Dieu se retrouve souvent presqu’à la dernière place. Il sera toujours temps – pense-t-on – de s’en préoccuper. L’Évangile nous dit: Dieu a la plus grande priorité. Si quelque chose dans notre vie mérite urgence, c’est, alors, seulement la cause de Dieu. Une maxime de la Règle de saint Benoît dit: «Ne rien placer avant l’oeuvre de Dieu (c’est-à-dire avant l’office divin)». La Liturgie est, pour les moines, la priorité première. Tout le reste vient après. Toutefois, au fond, cette phrase vaut pour chaque homme. Dieu est important, il est dans l’absolu la réalité la plus importante de notre vie. C’est précisément cette priorité que nous enseignent les bergers. Nous voulons apprendre d’eux à ne pas nous laisser écraser par toutes les choses urgentes de la vie quotidienne. Nous voulons apprendre d’eux la liberté intérieure de mettre au second plan les autres occupations – pour importantes qu’elles soient – pour nous approcher de Dieu, pour le laisser entrer dans notre vie et dans notre temps. Le temps consacré à Dieu et, à partir de Lui, à notre prochain n’est jamais du temps perdu. C’est le temps dans lequel nous vivons vraiment, dans lequel nous vivons en tant que personnes humaines.

Certains commentateurs font remarquer que ce sont, en premier lieu, les bergers, les âmes simples qui sont venus auprès de Jésus dans la crèche et qui ont pu rencontrer le Rédempteur du monde. Les sages venus d’Orient, les représentants de ceux qui ont rang et renommée, viendront beaucoup plus tard. Les commentateurs ajoutent : ceci va de soi. Les bergers, en effet, habitaient à côté. Ceux-ci n’avaient qu’à « traverser » (cf. Lc 2,15) comme on parcourt une courte distance pour se rendre chez les voisins. Les savants, en revanche, habitaient loin. Ceux-ci devaient parcourir un chemin long et difficile, pour arriver à Bethléem. Et ils avaient besoin d’un guide et d’indication. Eh bien, aujourd’hui encore, existent des âmes simples et humbles qui demeurent toutes proches du Seigneur. Celles-ci sont, pour ainsi dire, ses voisins et peuvent facilement aller chez Lui. Mais la majeure partie de nous, hommes modernes, vit loin de Jésus Christ, de Celui qui s’est fait homme, du Dieu venu au milieu de nous. Nous vivons dans les réflexions, dans les affaires et dans les occupations qui nous absorbent entièrement et depuis lesquelles le chemin vers la crèche est très long. De multiples manières, Dieu doit sans cesse nous pousser et nous aider, afin que nous puissions sortir de l’enchevêtrement de nos pensées et de nos engagements et trouver le chemin qui va vers Lui. Mais pour tous, il y a un chemin. Pour tous, le Seigneur dispose des signes adaptés à chacun. Il nous appelle tous, pour que nous aussi puissions dire: Allons, «traversons», allons jusqu’à Bethléem – vers ce Dieu, qui est venu à notre rencontre. Oui, Dieu s’est mis en chemin vers nous. De nous-mêmes, nous ne pourrions le rejoindre. Le chemin dépasse nos forces. Mais Dieu est descendu. Il vient à notre rencontre. Il a parcouru la plus grande partie du chemin. Maintenant, il nous demande: Venez et voyez combien je vous aime. Venez et voyez que je suis ici. Transeamus usque Bethleem, dit la Bible latine. Allons ! Dépassons-nous nous-mêmes! Faisons-nous, de mille manières, voyageurs vers Dieu en étant intérieurement en route vers Lui. Mais aussi par des chemins très concrets – dans la Liturgie de l’Église, dans le service du prochain, où le Christ m’attend.

Écoutons encore une fois directement l’Évangile. Les bergers se dirent l’un à l’autre la raison pour laquelle ils se mettent en chemin: «Voyons ce qui est arrivé». Littéralement, le texte grec dit: «Voyons cette Parole, qui, là, est advenue». Oui, telle est la nouveauté de cette nuit: la Parole peut être contemplée. Puisqu’elle s’est faite chair. Ce Dieu dont on ne doit faire aucune image, parce que toute image ne pourrait que l’amoindrir, et même le déformer, ce Dieu s’est rendu, Lui-même, visible en Celui qui est sa véritable image, comme dit Paul (cf. 2Co 4,4 Col 1,15). Dans la figure de Jésus Christ, dans toute sa vie et son agir, dans sa mort et dans sa résurrection, nous pouvons regarder la Parole de Dieu et donc le mystère du Dieu vivant Lui-même. Dieu est ainsi. L’ange avait dit aux bergers: «Voilà le signe qui vous est donné: vous trouverez un nouveau-né emmailloté et couché dans une mangeoire» (Lc 2,12 cf. Lc 2,16). Le signe de Dieu, le signe qui est donné aux bergers et à nous, n’est pas un miracle bouleversant. Le signe de Dieu est son humilité. Le signe de Dieu est qu’Il se fait petit; devient enfant; se laisse toucher et sollicite notre amour. Comme nous désirerions, nous les hommes, un signe différent, un signe imposant, irréfutable du pouvoir de Dieu et de sa grandeur. Mais son signe nous invite à la foi et à l’amour, et en conséquence, nous donne l’espérance: ainsi est Dieu. Il possède le pouvoir et Il est la Bonté. Il nous invite à devenir semblables à Lui. Oui, nous devenons semblables à Dieu, si nous nous laissons façonner par ce signe; si nous apprenons, nous-mêmes, l’humilité et ainsi la vraie grandeur; si nous renonçons à la violence et ne recourrons qu’aux seules armes de la vérité et de l’amour. Origène, suivant une parole de Jean-Baptiste, a vu l’expression de l’essence du paganisme dans le symbole de la pierre: le paganisme est un manque de sensibilité, il signifie un coeur de pierre qui est incapable d’aimer et de percevoir l’amour de Dieu. Origène dit des païens: «Privés de sentiment et de raison, ils se transforment en pierres et en bois» (in LC 22,9). Le Christ veut, cependant, nous donner un coeur de chair. Quand nous le voyons Lui, le Dieu qui est devenu enfant, notre coeur s’ouvre. Dans la Liturgie de la Sainte Nuit, Dieu vient à nous en tant qu’homme, afin que nous devenions vraiment humains. Écoutons encore Origène: «En effet, à quoi bon pour toi que le Christ soit venu une fois dans la chair, s’Il ne venait pas jusqu’en ton âme? Prions pour qu’il vienne quotidiennement à nous et que nous puissions dire: je vis, mais ce n’est plus moi, c’est le Christ qui vit en moi (Ga 2,20)» (in LC 22,3).

Oui, nous voulons prier pour cela au cours de cette Sainte Nuit. Seigneur Jésus Christ, toi qui es né à Bethléem, viens à nous! Entre en moi, dans mon âme. Transforme-moi. Renouvelle-moi. Fais que moi et nous tous, de pierre et de bois, devenions des personnes vivantes, dans lesquelles ton amour se rende présent et le monde soit transformé.




Benoît XVI Homélies 28119