Benoît XVI Homélies 25110

SECONDES VÊPRES POUR CONCLURE LA SEMAINE DE PRIÈRE POUR L'UNITÉ DES CHRÉTIENS Basilique Saint-Paul-hors-les-Murs - Lundi 25 janvier 2010

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Chers frères et soeurs,


Réunis en une assemblée liturgique fraternelle, en la fête de la conversion de l'apôtre Paul, nous concluons aujourd'hui la Semaine annuelle de prière pour l'unité des chrétiens. Je voudrais vous saluer tous avec affection, et en particulier le cardinal Walter Kasper, président du Conseil pontifical pour la promotion de l'unité des chrétiens, et l'archiprêtre de cette basilique, Mgr Francesco Monterisi, avec l'Abbé et la communauté des moines qui nous accueillent. J'adresse également ma pensée cordiale à Messieurs les cardinaux présents, aux évêques et à tous les représentants des Eglises et des communautés ecclésiales réunis ici.

Peu de mois seulement se sont écoulés depuis la conclusion de l'Année consacrée à saint Paul, qui nous a offert la possibilité d'approfondir son extraordinaire oeuvre de prédicateur de l'Evangile et, comme nous l'a rappelé le thème de la Semaine de prière pour l'unité des chrétiens - "De cela vous êtes les témoins" (
Lc 24,48) - notre appel à devenir missionnaires de l'Evangile. Paul, bien que gardant une mémoire vivante et intense de son passé de persécuteur des chrétiens, n'hésite pas à se qualifier d'apôtre. A la base de ce titre, il y a pour lui la rencontre avec le Ressuscité sur la route de Damas, qui devient également le début d'une inlassable activité missionnaire, au cours de laquelle il dépensera toutes ses énergies pour annoncer à toutes les nations ce Christ qu'il avait personnellement rencontré. Ainsi, Paul, de persécuteur de l'Eglise, deviendra lui-même victime de la persécution à cause de l'Evangile dont il témoignait. Dans la deuxième lettre aux Corinthiens, il écrit: "Cinq fois j'ai reçu des juifs les trente-neuf coups de fouets; trois fois j'ai été battu de verges; une fois lapidé... Voyages sans nombre, dangers des rivières, dangers des brigands, dangers de mes compatriotes, dangers des païens, dangers de la ville, dangers du désert, dangers de la mer, dangers des faux-frères! Labeur et fatigue, veilles fréquentes, faim et soif, jeûnes répétés, froid et nudité! Et sans parler du reste, mon obsession quotidienne, le souci de toutes les Eglises!" (2Co 11,24-25 2Co 11,26-28). Le témoignage de Paul atteindra son sommet dans son martyre lorsque, précisément non loin de là, il donnera la preuve de sa foi dans le Christ qui vainc la mort.

La dynamique présente dans l'expérience de Paul est la même que celle que nous trouvons dans la page de l'Evangile que nous venons d'écouter. Les disciples d'Emmaüs, après avoir reconnu le Seigneur ressuscité, retournent à Jérusalem et trouvent les Onze réunis ensemble avec les autres. Le Christ ressuscité leur apparaît, les réconforte, vainc leur peur, leurs doutes, s'assoit à leur table et ouvre leur coeur à l'intelligence des Ecritures, en rappelant ce qui devait arriver et qui constituera le noyau central de l'annonce chrétienne. Jésus affirme: "Ainsi est-il écrit que le Christ souffrirait et ressusciterait d'entre les morts le troisième jour et qu'en son Nom le repentir en vue de la rémission des péchés serait proclamé à toutes les nations, à commencer par Jérusalem" (Lc 24,46-47). Ce sont les événements dont témoigneront avant tout les disciples de la première heure, puis, par la suite, les croyants dans le Christ de tout temps et de tout lieu. Toutefois, il est important de souligner que ce témoignage, alors comme aujourd'hui, naît de la rencontre avec le Ressuscité, se nourrit du rapport constant avec Lui, est animé de l'amour profond à son égard. Seul celui qui a fait l'expérience de ressentir le Christ présent et vivant - "Voyez mes mains et mes pieds; c'est bien moi!" (Lc 24,39) -, de s'asseoir à la même table que Lui, de l'écouter afin qu'il fasse vibrer son coeur, peut être son témoin! C'est la raison pour laquelle Jésus promet aux disciples et à chacun de nous une puissante assistance d'en haut, une nouvelle présence, celle de l'Esprit Saint, don du Christ ressuscité, qui nous guide vers la vérité tout entière: "Et voici que moi, je vais envoyer sur vous ce que mon père a promis" (Lc 24,49), dit-il aux Onze ainsi qu'à nous. Les Onze passeront leur vie à annoncer la bonne nouvelle de la mort et de la résurrection du Seigneur et presque tous scelleront leur témoignage par le sang du martyre, semence féconde qui a produit une récolte abondante.

Le choix du thème de la Semaine de prière pour l'unité des chrétiens de cette année, à savoir l'incitation à un témoignage commun du Christ ressuscité selon le mandat qu'il a confié à ses disciples, est lié au souvenir du centième anniversaire de la Conférence missionnaire d'Edimbourg en Ecosse, qui est considérée par beaucoup comme un événement déterminant pour la naissance du mouvement oecuménique moderne. Au cours de l'été 1910, dans la capitale écossaise, se rencontrèrent plus de mille missionnaires, appartenant à diverses branches du protestantisme et de l'anglicanisme, auxquels s'unit un invité orthodoxe, pour réfléchir ensemble sur la nécessité de parvenir à l'unité pour annoncer de manière crédible l'Evangile de Jésus Christ. En effet, c'est précisément le désir d'annoncer le Christ aux autres et d'apporter au monde son message de réconciliation qui fait faire l'expérience de la contradiction de la division des chrétiens. En effet, comment les incrédules pourront-ils accueillir l'annonce de l'Evangile si les chrétiens, bien qu'ils se réclament tous du même Christ, sont en désaccord entre eux? Du reste, comme nous le savons, le Maître lui-même, au terme de la Dernière Cène, avait prié le Père pour ses disciples: "Que tous soient un... afin que le monde croie" (Jn 17,21). La communion et l'unité des disciples du Christ est, donc, une condition particulièrement importante pour une plus grande crédibilité et efficacité de leur témoignage.

A un siècle de distance de l'événement d'Edimbourg, l'intuition de ces courageux précurseurs est encore tout à fait actuelle. Dans un monde marqué par l'indifférence religieuse, et même par une aversion croissante à l'égard de la foi chrétienne, une nouvelle et intense activité d'évangélisation est nécessaire, non seulement parmi les peuples qui n'ont jamais connu l'Evangile, mais aussi auprès de ceux chez qui le christianisme s'est répandu et où il fait partie de leur histoire. Malheureusement, les questions qui nous séparent les uns des autres, ne manquent pas et nous souhaitons qu'elles puissent être surmontées à travers la prière et le dialogue, mais il y a un contenu central du message du Christ que nous pouvons annoncer tous ensemble: la paternité de Dieu, la victoire du Christ sur le péché et sur la mort à travers sa croix et sa résurrection, la confiance dans l'action transformatrice de l'Esprit. Tandis que nous sommes en chemin vers la pleine communion, nous sommes appelés à offrir un témoignage commun face aux défis toujours plus complexes de notre temps, tels que la sécularisation et l'indifférence, le relativisme et l'hédonisme, les délicats thèmes éthiques concernant le début et la fin de la vie, les limites de la science et de la technologie, le dialogue avec les autres traditions religieuses. Il y a ensuite d'autres domaines dans lesquels nous devons dès à présent apporter un témoignage commun: la sauvegarde de la Création, la promotion du bien commun et de la paix, la défense de la place centrale de la personne humaine, l'engagement pour l'emporter sur les malheurs de notre époque, tels que la faim, l'indigence, l'analphabétisme, la distribution non équitable des biens.

L'engagement pour l'unité des chrétiens n'est pas seulement le devoir de quelques-uns, ni une activité accessoire pour la vie de l'Eglise. Chacun est appelé à apporter sa contribution pour accomplir ces pas qui conduisent vers la pleine communion entre tous les disciples du Christ, sans jamais oublier qu'elle est avant tout un don de Dieu qu'il faut invoquer constamment. En effet, la force qui promeut l'unité et la mission découle de la rencontre féconde et passionnante avec le Ressuscité, comme il advint pour saint Paul sur le chemin de Damas et pour les Onze et les autres disciples réunis à Jérusalem. Que la Vierge Marie, Mère de l'Eglise, fasse en sorte que puisse au plus tôt se réaliser le désir de Son Fils: "Que tous soient un... afin que le monde croie" (Jn 17,21). Amen!


VÊPRES EN LA FÊTE DE LA PRÉSENTATION - XIV JOURNÉE DE LA VIE CONSACRÉE Basilique Vaticane - Mardi 2 février 2010

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Chers frères et soeurs,

En la fête de la Présentation de Jésus au Temple, nous célébrons un mystère de la vie du Christ, lié au précepte de la loi mosaïque qui prescrivait aux parents, quarante jours après la naissance du fils aîné, de monter au Temple de Jérusalem pour offrir leur fils au Seigneur et pour la purification rituelle de la mère (cf.
Ex 13,1-2 Ex 13,11-16 Lv 12,1-8). Marie et Joseph accomplissent eux aussi ce rite, en offrant - selon la loi - un couple de tourterelles ou de colombes. En lisant les choses plus en profondeur, nous comprenons qu'à ce moment-là, c'est Dieu lui-même qui présente son Fils Unique aux hommes, à travers les paroles du vieillard Siméon et de la prophétesse Anne. En effet, Siméon proclame Jésus comme "salut" de l'humanité, comme "lumière" de tous les peuples, et "signe de contradiction" parce qu'il dévoilera les pensées des coeurs (cf. Lc 2,29-35). En Orient, cette fête était appelée Hypapante, fête de la rencontre: en effet, Siméon et Anne, qui rencontrent Jésus dans le Temple et reconnaissent en Lui le Messie tellement attendu, représentent l'humanité qui rencontre son Seigneur dans l'Eglise. Ensuite, cette fête s'est étendue également à l'Occident, développant surtout le symbole de la lumière, et la procession avec les chandelles, qui est à l'origine du terme "Chandeleur". Par ce signe visible, on veut signifier que l'Eglise rencontre dans la foi celui qui est "la lumière des hommes" et l'accueille avec tout l'élan de sa foi pour apporter au monde cette "lumière".

En concomitance avec cette fête liturgique, le vénérable Jean-Paul II, à partir de 1997 a voulu que soit célébrée dans toute l'Eglise, une Journée spéciale de la vie consacrée. En effet, l'oblation du Fils de Dieu - symbolisée par sa présentation au Temple - est un modèle pour tout homme et toute femme qui consacre toute sa vie au Seigneur. Le but de cette journée est triple: avant tout louer et rendre grâce au Seigneur pour le don de la vie consacrée; deuxièmement, en promouvoir la connaissance et l'estime de la part de tout le Peuple de Dieu; enfin, inviter ceux qui ont donné totalement leur vie à la cause de l'Evangile à célébrer les merveilles que le Seigneur a faites en eux. En vous remerciant d'être venus aussi nombreux, en cette journée qui vous est particulièrement dédiée, je désire saluer chacun de vous avec une grande affection: religieux, religieuses et personnes consacrées, en vous exprimant ma proximité cordiale et combien j'apprécie le bien que vous réalisez au service du Peuple de Dieu.

La brève lecture tirée de la Lettre aux Hébreux, qui vient d'être proclamée, unit bien les motifs qui sont à l'origine de cette belle fête significative et nous offre quelques éléments de réflexion. Ce texte - il s'agit de deux versets, mais très denses - ouvre la seconde partie de la Lettre aux Hébreux, introduisant le thème central du Christ grand prêtre. Il faudrait, en vérité, prendre aussi en compte le verset qui précède immédiatement, et qui dit: "Donc, puisque nous avons un grand prêtre qui a pénétré les cieux, Jésus, Fils de Dieu, demeurons fermes dans la profession de notre foi" (He 4,14). Ce verset montre Jésus qui monte vers le Père; le suivant le montre qui descend vers les hommes. Le Christ est présenté comme le médiateur: il est vrai Dieu et vrai homme, il appartient par conséquent réellement au monde divin et au monde humain.

En réalité, c'est justement et seulement à partir de cette foi, de cette profession de foi en Jésus Christ, le Médiateur unique et définitif, qu'une vie consacrée a son sens dans l'Eglise, une vie consacrée à Dieu à travers le Christ. Elle n'a un sens que s'Il est vraiment médiateur entre Dieu et nous, autrement, il ne s'agirait que d'une forme de sublimation ou d'évasion. Si le Christ n'était pas vraiment Dieu, et s'il n'était pas en même temps pleinement homme, le fondement de la vie chrétienne en tant que telle disparaîtrait, et, de façon tout à fait particulière, le fondement de toute consécration chrétienne de l'homme et de la femme disparaîtrait. En effet, la vie consacrée témoigne et exprime justement de façon "forte" le fait que Dieu et l'homme se cherchent réciproquement, l'amour qui les attire; la personne consacrée, du fait même qu'elle existe, représente comme un "pont" vers Dieu pour tous ceux qui la rencontrent, un rappel, un renvoi. Et tout cela grâce à la médiation de Jésus Christ, le Consacré du Père. Le fondement, c'est Lui! Lui, qui a partagé notre fragilité, afin que nous puissions participer de sa nature divine.

Notre texte insiste, plus que sur la foi, sur la "confiance" avec laquelle nous pouvons nous approcher du "trône de la grâce", du moment que notre grand prêtre a été, Lui-même, "mis à l'épreuve, en toute chose comme nous". Nous pouvons nous approcher pour recevoir "miséricorde", "trouver grâce", et pour "être aidés au moment opportun". Il me semble que ces paroles contiennent une grande vérité et en même temps un grand réconfort pour nous qui avons reçu le don et l'engagement d'une consécration spéciale dans l'Eglise. Je pense en particulier à vous, chers soeurs et frères. Vous vous êtes approchés avec une confiance totale du "trône de la grâce" qui est le Christ, de sa Croix, de son Coeur, de sa divine présence dans l'Eucharistie. Chacun de vous s'est approché de Lui comme de la source de l'Amour pur et fidèle, un amour si grand et si beau qu'il mérite tout, et même plus que notre tout, parce qu'une vie entière ne suffit pas à lui rendre ce que le Christ est et ce qu'il a fait pour nous. Mais vous vous êtes approchés et chaque jour, vous vous approchez de Lui, même pour être aidés au moment opportun et à l'heure de l'épreuve.

Les personnes consacrées sont appelées d'une façon particulière à être des témoins de cette miséricorde du Seigneur, dans laquelle l'homme trouve son salut. Elles maintiennent vivante l'expérience du pardon de Dieu, parce qu'elles ont conscience d'être des personnes sauvées, d'être grandes quand elles se reconnaissent petites, de se sentir renouvelées et enveloppées de la sainteté de Dieu quand elles reconnaissent leur péché. C'est pourquoi, pour l'homme d'aujourd'hui aussi, la vie consacrée reste une école privilégiée de la "componction du coeur", de la reconnaissance humble de sa propre misère, mais pareillement, elle reste une école de la confiance dans la miséricorde de Dieu, dans son amour qui n'abandonne jamais. En réalité, plus on s'approche de Dieu, plus on est proche de Lui, plus on est utile aux autres. Les personnes consacrées font l'expérience de la grâce, de la miséricorde, et du pardon de Dieu non seulement pour elles-mêmes, mais aussi pour leurs frères, en étant appelées à porter dans leur coeur et dans la prière les angoisses et les attentes des hommes, spécialement de ceux qui sont loin de Dieu. En particulier, les communautés qui vivent en clôture, avec leur engagement spécifique de fidélité à "demeurer avec le Seigneur", à "demeurer au pied de la Croix", exercent souvent ce rôle de vicaire, unies au Christ de la Passion, en prenant sur elles les souffrances et les épreuves des autres et en offrant toute chose avec joie pour le salut du monde.

Enfin, chers amis, nous voulons élever au Seigneur un hymne d'action de grâce et de louange pour la vie consacrée elle-même. Si elle n'existait pas, le monde serait tellement plus pauvre! Au-delà des évaluations fonctionnelles superficielles, la vie consacrée est importante justement du fait qu'elle est signe de gratuité et d'amour, et cela d'autant plus dans une société qui risque d'être étouffée dans le tourbillon de l'éphémère et de l'utile (cf. Exhortation apostolique post-synodale Vita consecrata VC 105). Au contraire, la vie consacrée témoignage de la surabondance d'amour qui pousse à "perdre" sa vie, en réponse à la surabondance d'amour du Seigneur qui, le premier, a "perdu" sa vie pour nous. En ce moment, je pense aux personnes consacrées qui sentent le poids de la fatigue quotidienne pauvre en gratifications humaines, je pense aux religieux et aux religieuses âgés, malades, à ceux qui se sentent en difficulté dans leur apostolat... Aucun d'entre eux n'est inutile, parce que le Seigneur les associe au "trône de la grâce". Ils sont au contraire un don précieux pour l'Eglise et pour le monde, assoiffé de Dieu et de sa Parole.

Pleins de confiance et de reconnaissance, nous renouvelons donc nous aussi notre geste d'offrande totale de nous-mêmes en nous présentant au Temple. Que l'Année sacerdotale soit une occasion supplémentaire pour les religieux prêtres, d'intensifier leur chemin de sanctification, et, pour tous les consacrés et les consacrées, un encouragement pour accompagner et soutenir leur ministère à travers leur prière fervente. Cette année de grâce culminera à Rome, en juin prochain, par la rencontre internationale des prêtres, à laquelle j'invite tous ceux qui exercent le ministère sacré. Nous nous approchons du Dieu trois fois saint, pour offrir notre vie et notre mission, personnelle et communautaire, d'hommes et de femmes consacrées au Royaume de Dieu. Nous accomplissons ce geste intérieur en intime communion spirituelle avec la Vierge Marie: en la contemplant dans l'acte de présenter l'Enfant Jésus au Temple, nous la vénérons comme la première et parfaite consacrée, portée par ce Dieu qu'elle porte dans ses bras; Vierge, pauvre et obéissante, entièrement dévouée à nous, parce que toute à Dieu. A son école, et avec son aide maternelle, nous renouvelons notre "me voici" et notre "fiat". Amen.



B.V.M. DE LOURDES - XVIII JOURNÉE MONDIALE DU MALADE Basilique Vaticane - Jeudi 11 février 2010

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Messieurs les cardinaux,
vénérés frères dans l'épiscopat,
chers frères et soeurs!

Les Evangiles, dans les descriptions synthétiques de la brève, mais intense vie publique de Jésus, attestent qu'il annonce la Parole et accomplit des guérisons de malades, signe par excellence de la proximité du Royaume de Dieu. Matthieu écrit par exemple: "Il parcourait toute la Galilée, enseignant dans leurs synagogues, proclamant la Bonne Nouvelle du Royaume et guérissant toute maladie et toute langueur parmi le peuple" (
Mt 4,23 cf. Mt 9,35). L'Eglise, à laquelle est confié le devoir de prolonger dans l'espace et dans le temps la mission du Christ, ne peut manquer d'accomplir ces deux oeuvres essentielles: l'évangélisation et le soin des malades dans le corps et dans l'esprit. En effet, Dieu veut guérir tout l'homme et dans l'Evangile, la guérison du corps est le signe de la guérison plus profonde qu'est la rémission des péchés (cf. Mc 2,1-12). Il n'est donc pas surprenant que Marie, mère et modèle de l'Eglise, soit invoquée et vénérée comme "Salus infirmorum", "Salut des malades". En tant que première et parfaite disciple de son Fils, Elle a toujours manifesté, en accompagnant le chemin de l'Eglise, une sollicitude particulière pour les personnes souffrantes. C'est ce dont témoignent les milliers de personnes qui se rendent dans les sanctuaires mariaux pour invoquer la Mère du Christ et qui trouvent en elle force et soulagement. Le récit évangélique de la Visitation (cf. Lc 1,39-56) nous montre que la Vierge, après l'annonce de l'Ange, ne garda pas pour elle le don reçu, mais partit immédiatement pour aller aider sa cousine âgée Elisabeth, qui portait depuis six mois Jean en son sein. Dans le soutien apporté par Marie à cette parente qui vit, à un âge déjà avancé, une situation délicate comme celle de la grossesse, nous voyons préfigurée toute l'action de l'Eglise en faveur de la vie qui a besoin de soins.

Le Conseil pontifical pour la pastorale des services de la santé, institué il y a 25 ans par le vénérable Pape Jean-Paul II, est sans aucun doute une expression privilégiée de cette sollicitude. J'adresse une pensée reconnaissante au cardinal Fiorenzo Angelini, premier président du dicastère et depuis toujours animateur passionné de ce milieu d'activité ecclésiale; ainsi qu'au cardinal Javier Lozano Barragán qui, jusqu'à il y a quelques mois, a poursuivi et développé ce service. J'adresse également à l'actuel président, Mgr Zygmunt Zimowski, qui a repris cet héritage significatif et important, mon salut le plus cordial, que j'étends à tous les membres et au personnel qui, au cours de ce quart de siècle, ont collaboré avec un grand mérite à cette charge du Saint-Siège. Je désire, en outre, saluer les associations et les organismes qui s'occupent de l'organisation de la Journée du malade, en particulier l'unitalsi, et l'Opera Romana Pellegrinaggi. C'est à vous, chers malades, que je souhaite la bienvenue la plus affectueuse! Merci d'être venus et merci surtout pour votre prière, enrichie par le don de vos peines et de vos souffrances. Mon salut s'adresse également aux malades et aux volontaires en liaison avec nous depuis Lourdes, Fatima, Czestochowa et d'autres sanctuaires mariaux, à tous ceux qui nous suivent à travers la radio et la télévision, en particulier des maisons de repos ou de leur propre maison. Que le Seigneur Dieu, qui veille constamment sur ses fils, apporte à tous réconfort et consolation.

La Liturgie de la Parole nous présente aujourd'hui deux thèmes principaux: le premier est à caractère marial et relie l'Evangile et la première lecture, tirée du chapitre final du Livre d'Isaïe, ainsi que le Psaume responsorial, tiré du cantique de louange à Judith. L'autre thème, que nous trouvons dans le passage de la Lettre de Jacques, est celui de la prière de l'Eglise pour les malades et, en particulier, du sacrement qui leur est réservé. Dans la mémoire des apparitions à Lourdes, lieu choisi par Marie pour manifester sa sollicitude maternelle pour les malades, la liturgie fait retentir de façon opportune le Magnificat, le cantique de la Vierge qui exalte les merveilles de Dieu dans l'histoire du salut: les humbles et les indigents, comme tous ceux qui craignent Dieu, font l'expérience de sa miséricorde, qui renverse les destins terrestres et qui démontre ainsi la sainteté du Créateur et Rédempteur. Le Magnificat n'est pas le cantique de ceux auxquels la fortune sourit qui ont toujours "le vent en poupe"; c'est plutôt l'action de grâce de ceux qui connaissent les drames de la vie, mais qui placent leur confiance dans l'oeuvre rédemptrice de Dieu. C'est un chant qui exprime la foi vécue par des générations d'hommes et de femmes, qui ont placé leur espérance en Dieu et qui se sont engagés de manière personnelle, comme Marie, pour venir en aide à leurs frères dans le besoin. Dans le Magnificat, nous entendons la voix de nombreux saints et saintes de la charité, je pense en particulier à ceux qui ont passé leur vie parmi les malades et les personnes souffrantes, comme Camille de Lellis et Jean de Dieu, Damien de Veuster et Benedetto Menni. Ceux qui passent beaucoup de temps aux côtés des personnes souffrantes, connaissent l'angoisse et les larmes, mais également le miracle de la joie, fruit de l'amour.

La maternité de l'Eglise est le reflet de l'amour bienveillant de Dieu, dont parle le prophète Isaïe: "Comme celui que sa mère console, moi aussi, je vous consolerai, à Jérusalem vous serez consolés" (Is 66,13). Une maternité qui parle sans parole, qui suscite le réconfort dans les coeurs, une joie intime, une joie qui, paradoxalement, coexiste avec la douleur, avec la souffrance. L'Eglise, comme Marie, conserve en elle les drames de l'homme et le réconfort de Dieu, elle les garde ensemble, le long du pèlerinage de l'histoire. A travers les siècles, l'Eglise manifeste les signes de l'amour de Dieu, qui continue à accomplir de grandes choses chez les personnes humbles et simples. La souffrance acceptée et offerte, le partage sincère et gratuit, ne sont-ils pas des miracles de l'amour? Le courage d'affronter le mal désarmés - comme Judith - avec la seule force de la foi et de l'espérance dans le Seigneur, n'est-il pas un miracle que la grâce de Dieu suscite continuellement chez tant de personnes qui consacrent leur temps et leurs énergies à aider ceux qui souffrent? Pour tout cela, nous vivons une joie qui n'oublie pas la souffrance, mais qui la comprend plus encore. De cette façon, les malades et toutes les personnes qui souffrent sont dans l'Eglise non seulement les destinataires d'attentions et de soins, mais avant tout les acteurs du pèlerinage de la foi et de l'espérance, témoins des prodiges de l'amour, de la joie pascale qui jaillit de la Croix et de la Résurrection du Christ.

Dans le passage de la Lettre de Jacques, qui vient d'être proclamé, l'Apôtre invite à attendre avec constance la venue désormais proche du Seigneur et, dans ce contexte, adresse une exhortation particulière concernant les malades. Cette proposition est très intéressante, car elle reflète l'action de Jésus, qui, en guérissant les malades, manifestait la proximité du Royaume de Dieu. La maladie est considérée dans la perspective des temps ultimes, avec le réalisme de l'espérance typiquement chrétien. "Quelqu'un parmi vous souffre-t-il? Qu'il prie. Quelqu'un est-il joyeux? Qu'il entonne un cantique" (Jc 5,13). On a l'impression d'entendre des paroles semblables en écoutant saint Paul, lorsqu'il invite à vivre chaque chose en relation avec la nouveauté radicale du Christ, avec sa mort et sa résurrection (cf. 1Co 7,29-31). "Quelqu'un parmi vous est-il malade? Qu'il appelle les prêtres de l'Eglise et qu'ils prient sur lui après l'avoir oint d'huile au nom du Seigneur. La prière de la foi sauvera le patient" (Jc 5,14-15). Le prolongement du Christ dans son Eglise apparaît ici évident: c'est encore Lui qui agit, à travers les prêtres; c'est son esprit propre qui oeuvre à travers le signe sacramentel de l'huile; c'est à Lui que s'adresse la foi, exprimée dans la prière; et, comme cela avait lieu pour les personnes guéries par Jésus, on peut dire à chaque malade: ta foi, soutenue par la foi des frères et des soeurs, t'a sauvé.

Ce texte, qui contient le fondement et la pratique du sacrement de l'Onction des malades, fait ressortir dans le même temps une vision du rôle des malades dans l'Eglise. Un rôle actif pour "provoquer", pour ainsi dire, la prière faite avec foi. "Quelqu'un parmi vous est-il malade? Qu'il appelle les prêtres". En cette année sacerdotale, il me plaît de souligner le lien entre les malades et les prêtres, une sorte d'alliance, de "complicité" évangélique. Tous deux ont un devoir: le malade doit "appeler" les prêtres, et ceux-là doivent répondre, pour attirer sur l'expérience de la maladie la présence et l'action du Ressuscité et de son Esprit. Ici, nous pouvons voir toute l'importance de la pastorale des malades, dont la valeur est véritablement incommensurable, en vertu du bien immense qu'elle apporte en premier lieu au malade et au prêtre lui-même, mais également à la famille, aux proches, à la communauté et, à travers des voies inconnues et mystérieuses, à toute l'Eglise et au monde. En effet, lorsque la Parole de Dieu parle de guérison, de salut, de santé du malade, elle conçoit ces concepts de façon intégrale en ne séparant jamais l'âme du corps: un malade guéri par la prière du Christ, à travers l'Eglise, est une joie sur la terre et au ciel, les prémisses de vie éternelle.

Chers amis, comme je l'ai écrit dans l'encyclique "Spe salvi", "la mesure de l'humanité se détermine essentiellement dans son rapport à la souffrance et à celui qui souffre. Cela vaut pour chacun comme pour la société" (). En instituant un dicastère consacré à la pastorale de la santé, le Saint-Siège a voulu offrir sa contribution également pour promouvoir un monde davantage capable d'accueillir et de soigner les malades comme personnes. En effet, il a voulu les aider à vivre l'expérience de la maladie de façon humaine, non pas en la reniant, mais en lui donnant un sens. Je voudrais conclure ces réflexions par une pensée du vénérable Pape Jean-Paul II, dont il a témoigné par sa propre vie. Dans la Lettre apostolique Salvifici doloris, il a écrit: "En même temps le Christ a enseigné à l'homme à faire du bien par la souffrance et à faire du bien à celui qui souffre. Sous ce double aspect, il a révélé le sens profond de la souffrance" (n. 30). Que la Vierge Marie nous aide à vivre pleinement cette mission.


Basilique Sainte-Sabine sur l'Aventin Mercredi des Cendres, 17 février 2010

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« Tu aimes toutes tes créatures, Seigneur,

et tu ne méprises rien de ce que tu as créé;

tu oublies les péchés de ceux qui se convertissent et tu leur pardonnes,

parce que tu es le Seigneur notre Dieu »

(Antienne d'ouverture)




Vénérés frères dans l'épiscopat,
Chers frères et soeurs!

C'est par cette invocation émouvante, tirée du Livre de la Sagesse (cf.
Sg 11,23-26), que la liturgie introduit la célébration eucharistique du mercredi des cendres. Ce sont des paroles qui, d'une certaine manière, ouvrent tout l'itinéraire du carême, en plaçant à sa base la toute puissance d'amour de Dieu, sa souveraineté absolue sur toute créature, qui se traduit par une indulgence infinie, animée d'une volonté de vie constante et universelle. De fait, pardonner à quelqu'un, revient à lui dire: je ne veux pas que tu meures, mais que tu vives; je veux toujours et uniquement ton bien.

Cette certitude absolue a soutenu Jésus durant ses quarante jours passés dans le désert de Judée, après le baptême reçu de Jean au Jourdain. Ce long temps de silence et de jeûne a été pour lui un abandon complet au Père et à son dessein d'amour; ce fut un « baptême », c'est-à-dire une « immersion » dans sa volonté, et dans ce sens, une anticipation de la Passion et de la Croix. Avancer dans le désert et y demeurer longtemps, seul, signifiait s'exposer volontairement aux assauts de l'ennemi, le tentateur, qui a fait tomber Adam et par l'envie duquel la mort est entrée dans le monde (cf. Sg 2,24); cela signifiait engager la bataille avec lui en terrain découvert, le défier sans autres armes que la confiance sans limite dans l'amour tout-puissant du Père. Ton amour me suffit, je me nourris de ta volonté (cf. Jn 4,34): cette conviction habitait l'esprit et le coeur de Jésus durant son « carême ». Ce ne fut pas un acte d'orgueil, une entreprise titanesque, mais un choix d'humilité, cohérent avec l'Incarnation et avec le baptême au Jourdain, dans la même ligne de l'obéissance à l'amour miséricordieux du Père qui a « tant aimé le monde qu'il lui a donné son Fils unique » (Jn 3,16).

Tout cela, le Seigneur Jésus l'a fait pour nous. Il l'a fait pour nous sauver, et en même temps, pour nous montrer le chemin pour le suivre. Le salut est en effet don, il est grâce de Dieu, mais pour qu'il ait des effets dans mon existence, il requiert mon consentement, un accueil démontré dans les faits, c'est-à-dire dans la volonté de vivre comme Jésus, de marcher derrière lui. Suivre Jésus dans le désert du carême est donc la condition nécessaire pour participer à sa Pâque, à son « exode ». Adam a été chassé du paradis terrestre, symbole de la communion avec Dieu; pour revenir à cette communion, et donc à la vraie vie, la vie éternelle, il faut maintenant traverser le désert, l'épreuve de la foi. Non pas seuls, mais avec Jésus! Lui, comme toujours, nous a précédés et il a vaincu le combat contre l'esprit du mal. Voilà le sens du carême, un temps liturgique qui nous invite chaque année à renouveler le choix de suivre le Christ sur le chemin de l'humilité pour participer à sa victoire sur le péché et sur la mort.

Dans cette perspective, on comprend aussi le signe pénitentiel des cendres qui sont imposées sur la tête de ceux qui commencent l'itinéraire du carême avec bonne volonté. C'est essentiellement un geste d'humilité qui signifie: je me reconnais pour ce que je suis, une créature fragile, faite de terre et destinée à la terre, mais également faite à l'image de Dieu et destinée à Lui. Poussière, oui, mais aimée, façonnée par son amour, animée par son souffle vital, capable de reconnaître sa voix, et de lui répondre; libre, et, pour cela, capable aussi de lui désobéir, en cédant à la tentation de l'orgueil et de l'auto-suffisance. Voilà le péché, maladie mortelle entrée très tôt pour polluer la terre bénie qu'est l'être humain. Créé à l'image du Saint et du Juste, l'homme a perdu son innocence et maintenant, il ne peut redevenir juste que grâce à la justice de Dieu, la justice de l'amour qui – comme l'écrit saint Paul –, « s'est manifestée par la foi dans le Christ » (Rm 3,22). De ces paroles de l'Apôtre, j'ai tiré le suc de mon Message, adressé à tous les fidèles à l'occasion de ce carême: une réflexion sur le thème de la justice à la lumière des Saintes Ecritures et de leur accomplissement dans le Christ.

Dans les lectures bibliques du mercredi des cendres aussi, le thème de la justice est bien présent. Avant tout, la page du prophète Joël, et le psaume responsorial – le Miserere – forment un diptyque pénitentiel qui met en relief le fait qu'à l'origine de toute injustice matérielle et sociale, il y a ce que la Bible appelle « l'iniquité », c'est-à-dire le péché qui consiste fondamentalement dans une désobéissance à Dieu, ce qui revient à dire un manque d'amour. « Oui, confesse le psalmiste, je connais mon iniquité, / mon péché est toujours devant moi. / Contre toi, et toi seul, j'ai péché, / ce qui est mal à tes yeux, je l'ai fait » (Ps 50,5-6/51, 5-6). Le premier acte de justice est donc de reconnaître son iniquité, et de reconnaître qu'elle est enracinée dans le « coeur », au centre même de la personne humaine. Les « jeûnes », les « pleurs », les « lamentations » (cf. Jl 2,12) et toute expression pénitentielle n'ont de valeur aux yeux de Dieu que s'ils sont le signe de coeurs sincèrement repentis. L'Evangile aussi, tiré du « discours de la montagne », insiste sur l'exigence de pratiquer sa « justice » – aumône, prière, jeûne – non pas devant les hommes, mais seulement aux yeux de Dieu, qui « voit dans le secret » (cf. Mt 6,1-6 Mt 6,16-18). La vraie « récompense » n'est pas l'admiration des autres, mais l'amitié avec Dieu et la grâce qui en dérive, une grâce qui donne la paix et la force pour accomplir le bien, aimer aussi qui ne le mérite pas, pardonner à qui nous a offensés.

La seconde lecture, l'appel de Paul à se laisser réconcilier avec Dieu (cf. 2Co 5,20), contient l'un des célèbres paradoxes pauliniens, qui renvoie toute la réflexion sur la justice au mystère du Christ. Saint Paul écrit: « Celui qui n'avait pas connu le péché – c'est-à-dire le Fils fait homme –, Dieu l'a fait péché pour nous, afin qu'en lui, nous puissions devenir justice de Dieu » (2Co 5,21). Dans le coeur du Christ, c'est-à-dire au centre de sa Personne divine et humaine, s'est joué, en termes décisifs et définitifs, tout le drame de la liberté. Dieu a porté son dessein de salut jusqu'en ses conséquences extrêmes, en demeurant fidèle à son amour même au prix de livrer son Fils unique à la mort, et à la mort sur la croix. Comme je l'ai écrit dans le Message de carême, « ici, la justice divine se montre profondément différente de la justice humaine (...). Grâce à l'action du Christ, nous pouvons entrer dans une justice "plus grande", celle de l'amour (cf. Rm 13,8-10) ».

Chers frères et soeurs, le carême élargit notre horizon, il nous oriente vers la vie éternelle. Sur cette terre, nous sommes en pèlerinage, « car la cité que nous avons ici-bas n'est pas définitive: nous attendons la cité future » dit la Lettre aux Hébreux (He 13,14). Le carême fait comprendre le caractère relatif des biens de cette terre et nous rend ainsi capables des sacrifices nécessaires, nous libérant pour accomplir le bien. Ouvrons la terre à la lumière du Ciel, à la présence de Dieu parmi nous. Amen.



Benoît XVI Homélies 25110