Benoît XVI Homélies 7111

MESSE ET DÉDICACE DE L'ÉGLISE DE LA SAGRADA FAMILIA ET DE SON AUTEL Barcelone - Dimanche 7 novembre 2010

7111
(en catalan)


Frères et Soeurs bien-aimés dans le Seigneur,

«Ce jour est consacré au Seigneur, votre Dieu! Ne soyez pas tristes, ne pleurez pas!... La joie du Seigneur est votre rempart!» (
Ne 8,9-11). Par ces paroles de la première lecture que nous avons proclamée, je désire vous saluer, vous tous qui êtes ici présents pour participer à cette célébration. J’adresse mes salutations affectueuses à Leurs Majestés le Roi et la Reine d’Espagne, qui ont voulu s’unir cordialement à nous. Mon salut reconnaissant va à Monsieur le Cardinal Lluís Martínez Sistach, Archevêque de Barcelone, pour ses paroles de bienvenue et pour son invitation à procéder à la Dédicace de cette église de la Sagrada Familia, merveilleuse synthèse de technique, d’art et de foi. Je salue aussi le Cardinal Ricardo María Carles Gordó, Archevêque émérite de Barcelone, les autres Cardinaux et mes frères dans l’Épiscopat, en particulier l’Évêque auxiliaire de cette Église particulière, ainsi que les nombreux prêtres, diacres, séminaristes, religieux et fidèles qui participent à cette célébration solennelle. En même temps, j’adresse mon salut déférent aux Autorités nationales, régionales et locales, ainsi qu’aux membres des autres communautés chrétiennes, qui s’unissent à notre joie et à notre action de grâce envers Dieu.

(en espagnol)

Ce jour est un moment significatif dans une longue histoire d’aspirations, de travail et de générosité, qui dure depuis plus d’un siècle. Je voudrais maintenant faire mémoire de chacune des personnes qui ont permis la joie qui domine aujourd’hui en nous tous : des promoteurs jusqu’aux exécutants de cette oeuvre; de ses architectes et de ses maçons, jusqu’à tous ceux qui ont offert, d’une manière ou d’une autre, leur contribution irremplaçable pour rendre possible la construction progressive de cet édifice. Et nous nous souvenons surtout de celui qui fut l’âme et l’artisan de ce projet: Antoni Gaudí, architecte génial et chrétien cohérent, dont le flambeau de la foi brûla jusqu’à la fin de son existence, vécue avec une dignité et une austérité absolue. Cet événement est aussi, en quelque façon, le point culminant et l’aboutissement d’une histoire de cette terre catalane qui, surtout à partir de la fin du XIXème siècle, donna une multitude de saints et de fondateurs, de martyrs et de poètes chrétiens. Histoire de sainteté, de créations artistiques et poétiques, nées de la foi, qu’aujourd’hui nous recueillons et présentons en offrande à Dieu dans cette Eucharistie.

La joie que j’éprouve de pouvoir présider cette célébration a encore grandi quand j’ai su que cet édifice sacré, depuis ses origines, est étroitement lié à la figure de saint Joseph. Ce qui m’a particulièrement ému, c’est l’assurance avec laquelle Gaudí, face aux innombrables difficultés qu’il devait affronter, s’exclama plein de confiance en la divine Providence: «Saint Joseph complètera l’église». Par conséquent, il n’est pas sans signification maintenant que ce soit un Pape dont le nom de baptême est Joseph qui en fasse la dédicace.

Que signifie faire la dédicace de cette église? Au coeur du monde, sous le regard de Dieu et devant les hommes, dans un acte de foi humble et joyeux, nous avons élevé une imposante masse de matière, fruit de la nature et d’un incalculable effort de l’intelligence humaine qui a construit cette oeuvre d’art. Elle est un signe visible du Dieu invisible, à la gloire duquel s’élancent ces tours, flèches qui indiquent l’absolu de la lumière et de celui qui est la Lumière, la Grandeur et la Beauté mêmes.

Dans ce cadre, Gaudí a voulu unir l’inspiration qui lui venait des trois grands livres dont il se nourrissait comme homme, comme croyant et comme architecte: le livre de la nature, le livre de la Sainte Écriture et le livre de la Liturgie. Ainsi il a uni la réalité du monde et l’histoire du salut, comme elle nous est racontée dans la Bible et rendue présente dans la Liturgie. Il a introduit dans l’édifice sacré des pierres, des arbres et la vie humaine, afin que toute la création converge dans la louange divine, mais, en même temps, il a placé à l’extérieur les retablos, pour mettre devant les hommes le mystère de Dieu révélé dans la naissance, la passion, la mort et la résurrection de Jésus Christ. Il collabora ainsi de manière géniale à l’édification d’une conscience humaine ancrée dans le monde, ouverte à Dieu, illuminée et sanctifiée par le Christ. Et il réalisa ce qui est aujourd’hui une des tâches les plus importantes: dépasser la scission entre conscience humaine et conscience chrétienne, entre existence dans ce monde temporel et ouverture à la vie éternelle, entre la beauté des choses et Dieu qui est la Beauté. Antoni Gaudí n’a pas réalisé tout cela uniquement avec des paroles, mais avec des pierres, des lignes, des superficies et des sommets. En réalité, la beauté est la grande nécessité de l’homme; elle est la racine de laquelle surgissent le tronc de notre paix et les fruits de notre espérance. La beauté est aussi révélatrice de Dieu, parce que, comme Lui, l’oeuvre belle est pure gratuité, elle invite à la liberté et arrache à l’égoïsme.

Nous avons dédié cet espace sacré à Dieu, qui s’est révélé et donné à nous dans le Christ pour être définitivement Dieu parmi les hommes. La Parole révélée, l’humanité du Christ et son Église sont les trois expressions les plus grandes de sa manifestation et de son don aux hommes. «Que chacun prenne garde à la façon dont il construit. Les fondations, personne ne peut en poser d’autres que celles qui existent déjà: ces fondations, c’est Jésus Christ» (1Co 3,10-11), dit saint Paul dans la deuxième lecture. Le Seigneur Jésus est la pierre qui soutient le poids du monde, qui maintient la cohésion de l’Église et qui recueille dans une ultime unité toutes les conquêtes de l’humanité. En lui nous avons la Parole et la Présence de Dieu, et de Lui l’Église reçoit sa vie, sa doctrine et sa mission. L’Église ne tire pas sa consistance d’elle-même; elle est appelée à être signe et instrument du Christ, dans une pure docilité à son autorité et entièrement au service de son mandat. L’unique Christ fonde l’unique Église; il est le rocher sur lequel se base notre foi. Fondés sur cette foi, nous cherchons ensemble à montrer au monde le visage de Dieu, qui est amour et qui est l’unique qui peut répondre à l’ardent désir de plénitude de l’homme. Telle est la grande tâche, montrer à tous que Dieu est un Dieu de paix et non de violence, de liberté et non de contrainte, de concorde et non de discorde. En ce sens, je crois que la consécration de cette église de la Sagrada Familia, à une époque où l’homme prétend édifier sa vie en tournant le dos à Dieu, comme s’il n’avait plus rien à lui dire, est un événement de grande signification. Par son oeuvre, Gaudí nous montre que Dieu est la vraie mesure de l’homme, que le secret de la véritable originalité consiste, comme il le disait, à revenir à l’origine qui est Dieu. Lui-même, ouvrant ainsi son esprit à Dieu, a été capable de créer dans cette ville un espace de beauté, de foi et d’espérance, qui conduit l’homme à la rencontre de Celui qui est la vérité et la beauté même. L’architecte exprimait ainsi ses sentiments: «Une église [est] l’unique chose digne de représenter ce que ressent un peuple, puisque la religion est ce qu’il y a de plus élevé dans l’homme».

Cette affirmation de Dieu porte en soi la suprême affirmation et sauvegarde de la dignité de tout homme et de tous les hommes: «N’oubliez pas que vous êtes le temple de Dieu… Le temple de Dieu est sacré, et ce temple, c’est vous» (1Co 3,16-17). Ici sont unies la vérité et la dignité de Dieu à la vérité et la dignité de l’homme. Par la consécration de l’autel de cette église, gardant présent à l’esprit que le Christ est son fondement, nous présentons au monde Dieu qui est l’ami des hommes, et nous invitons les hommes à être amis de Dieu. Comme l’enseigne l’épisode de Zachée, dont parle l’évangile d’aujourd’hui (cf. Lc 19,1-10), si l’homme laisse entrer Dieu dans sa vie et dans son monde, s’il laisse le Christ vivre dans son coeur, il ne le regrettera pas, mais au contraire il fera l’expérience de la joie de partager sa vie même, étant destinataire de son amour infini.

L’initiative de la construction de cette église est due à l’Association des Amis de saint Joseph, qui voulut la dédier à la Sainte Famille de Nazareth. Depuis toujours, le foyer formé par Jésus, Marie et Joseph a été considéré comme une école d’amour, de prière et de travail. Les promoteurs de cette église voulaient montrer au monde l’amour, le travail et le service réalisés devant Dieu, comme les vécut la Sainte Famille de Nazareth. Les conditions de vie ont profondément changés et avec elles on a progressé énormément dans les domaines techniques, sociaux et culturels. Nous ne pouvons pas nous contenter de ces progrès. Ils doivent toujours être accompagnés des progrès moraux, comme l’attention, la protection et l’aide à la famille, puisque l’amour généreux et indissoluble d’un homme et d’une femme est le cadre efficace et le fondement de la vie humaine dans sa gestation, dans sa naissance et dans sa croissance jusqu’à son terme naturel. C’est seulement là où existent l’amour et la fidélité, que naît et perdure la vraie liberté. L’Église demande donc des mesures économiques et sociales appropriées afin que la femme puisse trouver sa pleine réalisation à la maison et au travail, afin que l’homme et la femme qui s’unissent dans le mariage et forment une famille soient résolument soutenus par l’État, afin que soit défendue comme sacrée et inviolable la vie des enfants depuis le moment de leur conception, afin que la natalité soit stimulée, valorisée et soutenue sur le plan juridique, social et législatif. Pour cela, l’Église s’oppose à toute forme de négation de la vie humaine et soutient ce qui promeut l’ordre naturel dans le cadre de l’institution familiale.

Contemplant avec admiration ce saint espace d’une beauté fascinante, avec tant d’histoire de foi, je demande à Dieu qu’en cette terre catalane se multiplient et se fortifient de nouveaux témoins de sainteté, qui offrent au monde le grand service que l’Église peut et doit rendre à l’humanité: être une image de la beauté divine, une flamme ardente de charité, un canal pour que le monde croie en Celui que Dieu a envoyé (cf. Jn 6,29).

Chers frères, en consacrant cette splendide église, je supplie en même temps le Seigneur de nos vies qu’à partir de cet autel, qui va maintenant être oint avec l’huile sainte et sur lequel se consumera le sacrifice d’amour du Christ, jaillisse un fleuve incessant de grâce et de charité sur cette ville de Barcelone et sur ses habitants, ainsi que sur le monde entier. Que ces eaux fécondes remplissent de foi et de vitalité apostolique cette Église archidiocésaine, ses Pasteurs et ses fidèles.

(en catalan)

Je désire enfin confier à la protection aimante de la Mère de Dieu, Marie la Très Sainte, Rosa d’abril, Mare de la Mercè, vous tous qui êtes ici présents et toutes les personnes qui en paroles et en actes, dans le silence ou la prière, ont rendu possible ce miracle architectural. Qu’elle présente aussi à son divin Fils les joies et les souffrances de ceux qui viendront à l’avenir dans ce lieu sacré, pour que, selon la Liturgie de la dédicace des églises, les pauvres puissent trouver miséricorde, les opprimés obtenir la vraie liberté et tous les hommes se revêtir de la dignité d’enfants de Dieu. Amen.




CONSISTOIRE ORDINAIRE PUBLIQUE POUR LA CRÉATION DE NOUVEAUX CARDINAUX


Basilique vaticane - Samedi 20 novembre 2010

20111

Messieurs les cardinaux,
vénérés frères dans l'épiscopat et dans le sacerdoce,
chers frères et soeurs!

Le Seigneur m'offre une nouvelle fois la joie d'accomplir cet acte solennel, à travers lequel le Collège cardinalice s'enrichit de nouveaux membres, choisis dans les diverses régions du monde: ce sont des pasteurs qui gouvernent avec zèle des communautés diocésaines importantes, des prélats préposés aux dicastères de la Curie romaine, ou qui ont servi avec une fidélité exemplaire l'Eglise et le Saint-Siège. A partir d'aujourd'hui, ils deviennent membres de ce coetus peculiaris, qui offre au Successeur de Pierre la collaboration la plus proche et la plus assidue, en le soutenant dans l'exercice de son ministère universel. C'est d'abord à eux que j'adresse mes salutations affectueuses, en renouvelant l'expression de mon estime et de ma vive appréciation pour le témoignage qu'ils rendent à l'Eglise et au monde. Je salue en particulier Mgr Angelo Amato et je le remercie des paroles courtoises qu'il m'a adressées. Je souhaite ensuite une cordiale bienvenue aux délégations officielles des différents pays, aux représentations de nombreux diocèses et à tous ceux qui sont venus pour participer à cet événement, au cours duquel ces vénérés et chers frères reçoivent le signe de la dignité cardinalice par l'imposition de la barrette et l'assignation du titre d'une église de Rome.

Le lien de communion et d'affection particulières qui lie ces nouveaux cardinaux au Pape, fait d'eux de singuliers et précieux coopérateurs du haut mandat confié par le Christ à Pierre, de paître ses brebis (cf.
Jn 21,15-17), pour réunir les peuples avec la sollicitude de la charité du Christ. C'est précisément de cet amour qu'est née l'Eglise, appelée à vivre et à cheminer selon le commandement du Seigneur, dans lequel se résument toute la loi et les prophètes. Etre unis au Christ dans la foi et en communion avec Lui signifie être «enracinés, fondés dans l'amour» (Ep 3,17), la trame qui unit tous les membres du Corps du Christ.

La parole de Dieu qui vient d'être proclamée nous aide à méditer sur cet aspect si fondamental. Dans le passage de l'Evangile (Mc 10,32-45) est placée sous nos yeux l'icône de Jésus comme le Messie — annoncé par Isaïe (cf. Is 53) — qui n'est pas venu pour être servi, mais pour servir: son style de vie devient la base des nouveaux rapports à l'intérieur de la communauté chrétienne et d'une manière nouvelle d'exercer l'autorité. Jésus est en chemin vers Jérusalem et pré-annonce pour la troisième fois, en l'indiquant aux disciples, le chemin à travers lequel il entend conduire à son achèvement l’oeuvre qui lui a été confiée par le Père: c'est le chemin de l'humble don de soi jusqu'au sacrifice de la vie, le chemin de la Passion, le chemin de la Croix. Pourtant, après cette annonce, à nouveau comme il était advenu pour les précédentes, les disciples révèlent toute leur difficulté à comprendre, à opérer l’«exode» nécessaire d'une mentalité du monde vers la mentalité de Dieu. Cette fois-ci, ce sont les fils de Zébédée, Jacques et Jean, qui demandent à Jésus de s'asseoir aux premières places, à côté de lui dans la «gloire», en manifestant des attentes et des projets de grandeur, d'autorité, d'honneur selon le monde. Jésus, qui connaît le coeur de l'homme, n'est pas troublé par cette requête, mais il en met immédiatement en lumière la portée profonde: «Vous ne savez pas ce que vous demandez»; puis il amène les deux frères à comprendre ce que signifie se mettre à sa suite.

Quel est donc le chemin que doit parcourir celui qui veut être disciple? C'est le chemin du Maître, c’est le chemin de l'obéissance totale à Dieu. C'est pour cette raison que Jésus demande à Jacques et à Jean: êtes-vous disposés à partager mon choix d'accomplir jusqu'au bout la volonté du Père? Etes-vous disposés à parcourir cette route qui passe par l'humiliation, la souffrance et la mort par amour? Les deux disciples, avec leur réponse assurée, «nous le pouvons», montrent encore une fois qu'ils n'ont pas compris le sens réel de ce que leur annonce le Maître. Et de nouveau Jésus, patiemment, leur fait faire un pas supplémentaire: faire l'expérience de la coupe de la souffrance et du baptême de la mort ne suffit pas à donner droit aux premières places, parce qu'elles sont «pour ceux à qui cela a été destiné», cela est entre les mains du Père céleste; l'homme ne doit pas calculer, il doit simplement s'abandonner à Dieu, sans prétentions, en se conformant à sa volonté.

L'indignation des autres disciples devient l'occasion d’étendre l'enseignement à toute la communauté. Jésus tout d’abord «les appelle près de lui»: c'est le geste de la vocation originelle, à laquelle il les invite à revenir. Il est très significatif qu'il se réfère au moment constitutif de la vocation des Douze, au fait d’«être avec Jésus» pour être envoyés, parce qu'il rappelle avec clarté que tout ministère ecclésial est toujours une réponse à un appel de Dieu, il n'est jamais le fruit de son propre projet ou de sa propre ambition, mais il s'agit de conformer sa propre volonté à celle du Père qui est dans les cieux, comme le Christ au Gethsémani (cf. Lc 22,42). Dans l'Eglise, personne n'est le maître, mais tous sont appelés, tous sont envoyés, tous sont touchés et guidés par la grâce divine. Et cela est aussi notre sécurité! Ce n'est qu'en réécoutant la parole de Jésus, qui demande «viens et suis-moi», ce n'est qu'en revenant à la vocation originelle qu'il est possible de comprendre sa propre présence et sa propre mission dans l'Eglise comme disciples authentiques.

La requête de Jacques et de Jean et l'indignation des «dix autres» apôtres soulèvent une question centrale à laquelle Jésus veut répondre: qui est grand, qui est «le premier» pour Dieu? Le regard va tout d'abord au comportement que risquent d'avoir «ceux qu'on regarde comme les chefs des nations»: «dominer et faire sentir leur pouvoir». Jésus indique aux disciples une manière totalement différente: «Il ne doit pas en être ainsi parmi vous». Sa communauté suit une autre règle, une autre logique, un autre modèle: «Celui qui voudra devenir grand parmi vous, sera votre serviteur, et celui qui voudra être le premier parmi vous, sera l'esclave de tous». Le critère de la grandeur et du primat selon Dieu n'est pas la domination, mais le service; la diaconie est la loi fondamentale du disciple et de la communauté chrétienne, et nous laisse entrevoir un peu de la «Seigneurie de Dieu». Et Jésus indique également le point de référence: le fils de l'homme, qui est venu pour servir; il résume ainsi sa mission sous la catégorie du service, entendu non pas au sens générique, mais au sens concret de la Croix, du don total de la vie comme «rachat», comme rédemption pour le plus grand nombre, et il l'indique comme une condition de la «sequela». C'est un message qui vaut pour les Apôtres, qui vaut pour toute l'Eglise, qui vaut surtout pour ceux qui ont la tâche de guider le peuple de Dieu. Ce n'est pas la logique de la domination, du pouvoir selon les critères humains, mais la logique de se baisser pour laver les pieds, la logique du service, la logique de la Croix qui est à la base de tout exercice de l'autorité. De tout temps, l'Eglise est engagée à se conformer à cette logique et à en témoigner pour faire transparaître la vraie «Seigneurie de Dieu», celle de l'amour.

Vénérés frères élus à la dignité cardinalice, la mission à laquelle Dieu vous appelle aujourd'hui et qui vous habilite à un service ecclésial encore plus lourd de responsabilités, requiert une volonté toujours plus grande d'assumer le style du Fils de Dieu, qui est venu au milieu de nous comme celui qui sert (cf. Lc 22,25-27). Il s'agit de le suivre dans le don de son amour humble et total à l'Eglise son épouse, sur la Croix: c'est sur ce bois que le grain de blé, que le Père fait tomber dans le champ du monde, meurt pour devenir un fruit mûr. Pour ce faire, il faut un enracinement encore plus profond et ferme dans le Christ. Un rapport intime avec Lui, qui transforme toujours davantage la vie de façon à pouvoir dire avec saint Paul: «ce n'est plus moi qui vis, mais le Christ qui vit en moi» (Ga 2,20), qui constitue l'exigence primaire pour que notre service soit serein et joyeux et puisse porter le fruit qu'attend de nous le Seigneur.

Chers frères et soeurs, qui êtes aujourd’hui réunis autour des nouveaux cardinaux: priez pour eux! Demain, dans cette basilique, au cours de la concélébration du Christ Roi de l'univers, je leur remettrai l'anneau. Ce sera une occasion supplémentaire de «louer le Seigneur, qui demeure fidèle pour toujours» (Ps 145), comme nous l'avons répété dans le Psaume responsorial. Que son Esprit soutienne les nouveaux cardinaux dans l'engagement de service à l'Eglise, en suivant le Christ de la Croix même, si nécessaire, usque ad effusionem sanguinis, toujours prêts — comme le disait saint Pierre dans la lecture proclamée — à répondre à quiconque nous demande raison de l'espérance qui est en nous (cf. 1P 3,15). A Marie, Mère de l'Eglise, je confie les nouveaux cardinaux et leur service ecclésial, afin que, avec une ardeur apostolique, ils puissent proclamer à tous les peuples l'amour miséricordieux de Dieu. Amen.



CONCÉLÉBRATION AVEC LES NOUVEAUX CARDINAUX ET REMISE DE L'ANNEAU CARDINALICE - 21 novembre 2010

21111

Basilique vaticane - Solennité du Christ Roi de l'univers

Messieurs les cardinaux,
vénérés frères dans l’épiscopat et dans le sacerdoce,
chers frères et soeurs!

En la solennité du Christ Roi de l’univers, nous avons la joie de nous rassembler autour de l’Autel du Seigneur avec les 24 nouveaux cardinaux, que j’ai ajoutés hier au sein du Collège cardinalice. C’est tout d’abord à eux que j’adresse mes salutations cordiales, que j’étends aux autres cardinaux et à tous les prélats présents; ainsi qu’aux éminentes autorités, à Messieurs les ambassadeurs, aux prêtres, aux religieux et à tous les fidèles, venus de diverses parties du monde en cette heureuse circonstance, qui revêt un caractère particulièrement universel.

Beaucoup d’entre vous auront remarqué que le précédent consistoire public pour la création des cardinaux, qui s’est tenu en novembre 2007, fut lui aussi célébré la veille de la solennité du Christ Roi. Trois ans se sont écoulés, et donc, selon le cycle liturgique du dimanche, la Parole de Dieu nous est présentée à travers les mêmes lectures bibliques, propres à cette importante festivité. Celle-ci se situe le dernier dimanche de l’année liturgique et nous présente, au terme de l’itinéraire de foi, le visage royal du Christ, comme le Pantocrator dans l’abside d’une antique basilique. Cette coïncidence nous invite à méditer profondément sur le ministère de l’Evêque de Rome et sur celui, qui y est lié, des cardinaux, à la lumière de la royauté particulière de Jésus, notre Seigneur.

Le premier service du Successeur de Pierre est celui de la foi. Dans le Nouveau Testament, Pierre devient «pierre» de l’Eglise en tant que porteur du Credo: le «nous» de l’Eglise commence par le nom de celui qui a professé en premier la foi dans le Christ, il commence par sa foi; une foi tout d’abord immature, et encore «trop humaine», mais ensuite, après la Pâque, mûre et capable de suivre le Christ jusqu’au don de soi; mûre dans la croyance que Jésus est véritablement le Roi; qu’il l’est précisément parce qu’il est resté sur la Croix, et que de cette façon, il a donné la vie pour les pécheurs. Dans l’Evangile, nous voyons que tous demandent à Jésus de descendre de la croix. Ils se moquent de lui, mais c’est également une façon de se disculper, comme pour dire: ce n’est pas notre faute si tu es là sur la croix; c’est uniquement ta faute, car si tu étais véritablement le fils de Dieu, le Roi des Juifs, tu ne serais pas là, mais tu te sauverais en descendant de cet infâme échafaud. Si tu restes là, cela veut donc dire que tu as tort et que nous avons raison. Le drame qui se déroule sous la croix de Jésus est un drame universel; il concerne tous les hommes face à Dieu qui se révèle pour celui qu’il est, c’est-à-dire Amour. En Jésus crucifié, la divinité est défigurée, dépouillée de toute gloire visible, mais est présente et réelle. Seule la foi sait la reconnaître: la foi de Marie, qui unit dans son coeur également cette ultime pièce de la mosaïque de la vie de son Fils; Elle ne voit pas encore l’ensemble, mais continue de placer sa confiance en Dieu, en répétant une fois de plus avec le même abandon: «Je suis la servante du Seigneur» (
Lc 1,38). Puis, il y a la foi du bon larron: une foi à peine esquissée, mais suffisante pour lui assurer le salut: «Aujourd'hui tu seras avec moi dans le Paradis». Cet «avec moi» est décisif. Oui, c’est cela qui le sauve. Certes, le bon larron est sur la croix comme Jésus, mais surtout, il est sur la croix avec Jésus. Et, à la différence de l’autre malfaiteur, et de tous les autres qui le raillent, il ne demande pas à Jésus de descendre de la croix, ni de le faire descendre. Il dit au contraire: «Souviens-toi de moi, lorsque tu viendras avec ton royaume». Il le voit sur la croix, défiguré, méconnaissable, et pourtant, il se confie à Lui comme à un roi, plus encore, comme au Roi. Le bon larron croit à ce qui est écrit sur cette inscription au dessus de la tête de Jésus: «le roi des juifs»: il y croit, et se confie. C’est pour cela qu’il est déjà, immédiatement, dans l’«aujourd’hui» de Dieu, au paradis, car le paradis c’est cela: être avec Jésus, être avec Dieu.

Voici alors, chers frères, apparaître clairement le premier message fondamental que la Parole de Dieu nous adresse aujourd’hui: à moi, Successeur de Pierre, et à vous, cardinaux. Elle nous appelle à rester avec Jésus, comme Marie, et non pas à lui demander de descendre de la croix, mais à demeurer là avec Lui. Et cela, en raison de notre ministère, nous devons le faire non seulement pour nous-mêmes, mais pour toute l’Eglise, pour tout le peuple de Dieu. Nous apprenons des Evangiles que la croix fut le point critique de la foi de Simon Pierre et des autres Apôtres. Il est clair qu’il ne pouvait pas en être autrement: ils étaient des hommes et ils pensaient «comme des hommes»; ils ne pouvaient tolérer l’idée d’un Messie crucifié. La «conversion» de Pierre se réalise pleinement lorsqu’il renonce à vouloir «sauver» Jésus et qu’il accepte d’être sauvé par Lui. Il renonce à vouloir sauver Jésus de la croix et accepte d’être sauvé par sa croix. «Mais moi j'ai prié pour toi, afin que ta foi ne défaille pas. Toi donc, quand tu seras revenu, affermis tes frères» (Lc 22,32), dit le Seigneur. Le ministère de Pierre consiste entièrement dans sa foi, une foi que Jésus reconnaît immédiatement, dès le début, comme authentique, comme don du Père céleste; mais une foi qui doit passer à travers le scandale de la croix, pour devenir authentique, véritablement «chrétienne», pour devenir «roc» sur lequel Jésus puisse édifier son Eglise. La participation à la seigneurie du Christ ne se vérifie concrètement que dans le partage de son abaissement, de sa Croix. Chers frères, mon ministère également, et par conséquent le vôtre également, consiste entièrement dans la foi. Jésus peut édifier sur nous son Eglise dans la mesure où il trouve en nous ce degré de foi véritable, pascale, cette foi qui ne veut pas faire descendre Jésus de la Croix, mais place sa confiance en Lui sur la Croix. Dans ce sens, le lieu authentique du Vicaire du Christ est la Croix, la persistance dans l’obéissance de la Croix.

Ce ministère est difficile, car il n’est pas conforme à la façon de penser des hommes — à cette logique naturelle qui, par ailleurs, demeure toujours active en nous-mêmes également. Mais cela est et demeure toujours notre premier service, le service de la foi, qui transforme toute la vie: croire que Jésus est Dieu, qu’il est le Roi précisément parce qu’il est arrivé jusqu’à ce point, parce qu’il nous a aimés jusqu’au bout. Et cette royauté paradoxale, nous devons en témoigner et l’annoncer comme Lui l’a fait, le Roi, c’est-à-dire en suivant sa vie même et en nous efforçant d’adopter sa même logique, la logique de l’humilité et du service, du grain de blé qui meurt pour porter du fruit. Le Pape et les cardinaux sont appelés à être profondément unis avant tout en cela: tous ensemble, sous la direction du Successeur de Pierre, ils doivent demeurer dans la seigneurie du Christ, en pensant et en oeuvrant selon la logique de la Croix, — et cela n’est jamais facile, ni évident. En cela, nous devons être rassemblés, et nous le sommes, car nous ne sommes pas unis par une idée, une stratégie, mais par l’amour du Christ, et son Saint Esprit. L’efficacité de notre service à l’Eglise, l’Epouse du Christ, dépend essentiellement de cela, de notre fidélité à la royauté divine de l’Amour crucifié. C’est pourquoi, sur l’anneau que je vous remets aujourd’hui, sceau de votre pacte sponsal avec l’Eglise, est représentée l’image de la Crucifixion. Et pour la même raison, la couleur de votre habit évoque le sang, symbole de la vie et de l’amour. Le Sang du Christ, que, selon une antique iconographie, Marie recueille du côté transpercé de son Fils mort sur la croix, et que l’apôtre Jacques contemple tandis qu’il jaillit avec l’eau, selon les Ecritures prophétiques.

Chers frères, c’est de là que dérive notre sagesse: sapientia Crucis. C’est sur cela qu’a réfléchi profondément saint Paul, le premier à avoir tracé une pensée chrétienne organique, centrée précisément sur le paradoxe de la Croix (cf. 1Co 1,18-25 1Co 2,1-8). Dans la Lettre aux Colossiens, — dont la liturgie d’aujourd’hui propose l’hymne christologique — la réflexion de saint Paul, rendue féconde par la grâce de l’Esprit, atteint déjà un degré impressionnant de synthèse en exprimant une conception chrétienne authentique de Dieu et du monde, du salut personnel et universel; et tout cela est centré sur le Christ, Seigneur des coeurs, de l’histoire et de l’univers: «Dieu s'est plu à faire habiter en lui toute la Plénitude et par lui à réconcilier tous les êtres pour lui, aussi bien sur la terre que dans les cieux, en faisant la paix par le sang de sa croix» (Col 1,19-20). C’est cela, chers frères, que nous sommes toujours appelés à annoncer au monde: le Christ, «image du Dieu invisible», le Christ, «Premier-né de toute créature» et «Premier-né d'entre les morts », puisque — comme l’écrit l’apôtre, — «il fallait qu'il obtînt en tout la primauté» (Col 1,15 Col 1,18). Le primat de Pierre et de ses successeurs est entièrement au service de ce primat de Jésus Christ, unique Sauveur; au service de son Royaume, c’est-à-dire de sa Seigneurie d’amour, afin que celle-ci advienne et se diffuse, renouvelle les hommes et les choses, transforme la terre et fasse germer en elle la paix et la justice.

C’est dans ce dessein qui transcende l’histoire et, dans le même temps, se révèle et se réalise en elle, que trouve sa place l’Eglise, «corps» dont le Christ est «la tête» (cf. Col 1,18). Dans la Lettre aux Ephésiens, saint Paul parle de façon explicite de la seigneurie du Christ et la met en relation avec l’Eglise. Il élève une prière de louange à l’«extraordinaire grandeur de [la] puissance» de Dieu qui a ressuscité le Christ et l’a constitué Seigneur universel, et conclut: «Il a tout mis sous ses pieds, et l'a constitué, au sommet de tout, Tête pour l'Eglise, laquelle est son Corps, la Plénitude de Celui qui est rempli, tout en tout». Le même terme de «plénitude» qui revient au Christ, Paul l’attribue ici à l’Eglise, par participation: en effet, le corps participe de la plénitude de la Tête. Telle est, vénérés frères cardinaux — et je m’adresse également à vous tous, qui partagez avec nous la grâce d’être chrétiens — telle est notre joie; celle de participer, dans l’Eglise, à la plénitude du Christ à travers l’obéissance de la Croix, «partager le sort des saints dans la lumière», d’avoir été «transférés» dans le royaume du Fils de Dieu (cf. Col 1,12-13). C’est pourquoi, nous vivons dans une action de grâce constante, et même dans les épreuves, ne manquent pas la joie et la paix que le Christ nous a laissées, comme anticipation de son Royaume, qui est déjà parmi nous, que nous attendons avec foi et espérance, et que nous goûtons par avance dans la charité.


Benoît XVI Homélies 7111