Bible chrétienne Evang. - § 69. Les perles aux pourceaux: Mt 7,6

§ 69. Les perles aux pourceaux: Mt 7,6


(Mt 7,6)

— Seconde mise en garde, cette fois contre la divulgation des “ choses saintes ”. Litt. < to agion >, ce qui est saint, sans plus de précision. À la fin du Sermon sur la Montagne, ce terme désigne plus naturellement cet enseignement, dans ce qu'il a de Révélé, de transcendant, de parfait et de radical*. Mais on peut retendre tout aussi bien à ce qui est sacré, consacré, comme les offrandes pour les sacrifices — et cela d'autant plus que tel est souvent le sens de l'expression, dans l’A.T. C'est ainsi que dès le II° siècle, la Didachè réfère à Mt 7,6 : “ Que nul ne mange ni ne boive de votre eucharistie en dehors de ceux qui sont baptisés au nom du Seigneur ; car le Seigneur a dit aussi à ce sujet: Ne donnez pas les choses saintes aux chiens ” (9,5) — SC 248, p. 177). Par la suite, en sortira la discipline de < l'arcane >, dont il ne faut exagérer ni l'ancienneté, ni la portée.

Pas question d'une < gnose > ou d'un < ésotérisme > réservés à une petite élite soigneusement triée sur le volet: l'Évangile est à “ crier sur les toits ” (§ 101 ), et il s'adresse à tout le monde. Mais il n'en reste pas moins que, par suite de la corrélation indispensable entre ce qui est à connaître ou à pratiquer, et la faculté de recevoir l'enseignement ou le sacrement, accéder à une Révélation supérieure comme à l'union avec un Dieu qui nous transcende absolument exige une initiation: cette Vérité, cette Réalité totale ne peut être dispensée que par degrés, correspondant aux capacités du catéchumène, puis du baptisé (Sur tout ceci, cf. Introduction Générale, III, la nécessaire initiation).

C'est ainsi que, non seulement on priait les catéchumènes de sortir au début de l'eucharistie proprement dite, mais que le Credo, le Pater, et < l'exposition des Évangiles > leur étaient transmis seulement lors de la 3° étape (ou < scrutin >) de leur initiation (Cf. Sacramentaire Gélasien, p. 46-53) — Cf. aussi la réflexion de saint Augustin, à la fin de l'Introd. au § 62 ). C'est le problème, plus crucial que jamais, d'allier le droit de tous à l'évangélisation et aux sacrements, avec les conditions requises.

vos perles devant les pourceaux: La perle sera, dans les paraboles, image du Royaume lui-même (§ 137 ). L'opposition joue ici entre ce que la perle a as précieux et d'exigeant (tout sacrifier pour l'acquérir), et la vulgarité des pourceaux. Il est littéralement < impie > de rabaisser l'Évangile. On admirera au contraire comment, tout en étant au besoin extrêmement forte et réaliste, la Parole de Dieu n'est jamais vulgaire — par respect de l'homme, non moins que pour révéler Dieu. La vulgarité ne convertit personne ; et il se pourrait même que, devant cette profanation, les incroyants eux-mêmes, choqués, “ se retournent contre vous, et vous déchirent ”. Dans le même sens, cf. Pr 9,7.

// Pr 23,9 Si 22,10 — Si la sagesse est par définition hors des prises du sot, combien plus l'Évangile à qui reste dans sa fange.


§ 70. Frappez, et l'on vous ouvrira: Mt 7, 7-11; (Lc 11,9-13)



(Mt 7,7-11 Lc 11,9-13)

-D'après Lc, c'est une exhortation à la persévérance dans la prière, prolongeant la parabole de l'ami importun (§ 194 -195). D'après Mt, cela pourrait tout aussi bien relever de l'appel à la confiance de 6,24-35. Ce qui, bien entendu, s'accorde aisément, la prière étant confiance, et la confiance portant à la prière. Prière de demande, prière filiale (Mt 7,7 et 11).

Ce qui est le plus remarquable, c'est l'insistance, soulignée par la triple répétition, et redoublée avec passage de l'impératif (v. 7) à l'indicatif de l'affirmation pure et simple (v. 8). La parabole qui vient à l'appui est tout à fait dans le ton et le mouvement de 6,24-35* : car c'est un a fortiori, fondé sur la même assurance en “ votre Père qui est dans les cieux ”.

Mt 7,7-8 ; (Lc 11,9-10 — La triple formule nous prévient que Dieu attend notre initiative : à nous de demander, chercher, frapper à la porte.

Sur le couple < chercher — trouver >, cf. § 18 ) — Lc 2,45*. Chercher : c'est le programme de Mt 6,33; cf. 28,5. Trouver: comme en Mt7, 14; 10,39; 11,29; 13,44-46; 16,25. “ L'homme est caractérisé non pas tant par ses qualités, ses défauts ou sa < nature > que par ce vers quoi il tend, par ce qu'il recherche, par son projet, dirait-on aujourd'hui ” (p. bonnard : Sur Mt, p. 99).

// Ap 3,20 — Par le miracle de sa bonté, comme dans la parabole du Père de l'Enfant Prodigue, la situation s'inverse: c'est Dieu lui-même qui a envoyé son Fils pour nous chercher et nous trouver (Mt 18,12-13). C'est Lui qui frappe à notre porte, dans l'Apocalypse comme déjà dans le Cantique (5,2-6) — en // au § 305 ).

// Dt 4,29 Jr 29,13-14 Ps 86,7-17 Ps 66,19-20 Ps 61,6 — La correspondance du < qui cherche — trouve > est donc fondée sur l'Alliance (Dt 4), et annoncée par les prophètes pour les temps messianiques (Jr 29). Les psaumes y font souvent appel, comme le Ps 86, dont les v. 5 et 15 invoquent Dieu sous le nom révélé au moment le plus critique de l'Alliance du Sinaï: après l'infidélité du Veau d'Or (Ex 32-34 — cf. BC I*, p. 272; cf. Ps 69,17-18 et 130,2). Plus souvent encore, ils témoignent que Dieu exauce la prière: // Ps 66,19-20 et 61,6; Ps 3,5-6 Ps 4,2 Ps 4,4 Ps 6,9-10 Ps 17,6 Ps 18,7 Ps 34,5-7 Ps 91,15-16 Ps 118,5 Ps 118,21 Ps 118, il faut demander avec foi, donc sans hésitation: Si 7,10 Mt 17,20 Mt 21,21-22 Jn 14,13 Jn 15,7 Jn 16,23 Jn 16,

Le Papyrus 654 donne de l'Évangile une version apocryphe, qui insiste davantage sur l'aboutissement: “ Jésus dit: Que celui qui cherche ne cesse pas de chercher, jusqu'à ce qu'il trouve, et lorsqu'il aura trouvé, il sera frappé d'étonnement. Étonné, il régnera et régnant, il connaîtra le repos* ” (quéré, p. 48) — cf. Év. de Thomas 1, Ibid., p. 165). L'Évangile, lui, tend à nous polariser sur “ Notre Père ”, davantage que sur nous-même.

Mt 7,9-11 ; (Lc 11,11-13 — Vous qui êtes mauvais: comme en Mt 6,34: “ à chaque jour suffit son mal ou sa méchanceté ”. Ou bien encore, comme Jn 2, 24-25* (§ 77 ). L'Évangile n'est pas optimiste par prétention, mais par espérance, en “ notre Père ” qui nous sauve parce qu'il nous donne ce que nous ne trouverions jamais en nous-même :

de bonnes choses (Mt) = l'Esprit Saint (Lc) : En Lui, comme en son Fils, Dieu donne toute bonté. Mieux : Il se donne tout Lui-même. Et Il nous donne l'Esprit filial pour lui rendre éternellement grâce de ce Don (Voir complément sur Lc 11,13 au § 195 *).

p. 282

§ 71. Faire aux autres... : Mt 7,12; Lc 6,31


(Mt 7,12 Lc 6,31) = § 59

— Avec ce verset, commence la série d'< inclusions >* qui ramassent le développement du Sermon sur la Montagne en un tout synthétisé. Ce premier paragraphe en effet résume toute “ la Loi et les Prophètes ” — dont 5,17 annonçait que le Christ venait les < accomplir > — en ce qu'on appelle “ la Règle d'Or ”, tirée de Lv 19,18 (//). J. Dupont suppose également que Mt 7,12 “ constitue aux yeux de Matthieu la conclusion du vaste ensemble de prescriptions concrètes du en. 5,17-48 ” (Les Béatitudes III, p. 648-649).

// Tb 4,14-15 Rm 13,10 — La Tradition juive formulait généralement ce deuxième commandement sous forme négative, comme on le voit en Tb 4 (v. 15), assorti de la promesse d'une récompense (v. 14). L'Évangile est de toutes façons plus exigeant: 1) ne pas faire de mal à autrui est bien plus limité que d'imaginer et de répondre positivement à tout ce que le coeur humain peut désirer, car c'est illimité; or l'Évangile y insiste: “ autant de désirs voudriez-vous que les autres tiennent compte, autant... ” 2) plus de mention d'une récompense. 3) surtout, la mesure sera haussée de nous-mêmes à l'amour du Christ, qui est d'ordre divin : “ Aimez-vous les uns les autres comme Je vous ai aimés ” — ” “ Je vous ai aimés comme mon Père m'a aimé ” (Jn 15,9 Jn 15,12§ 329 *). Toujours la transcendance divine de l'accomplissement de l'Ancienne Alliance dans la Nouvelle.

C'est bien ce que vise aussi saint Paul, si l'on interprète Rm 13,10 à la lumière de l'hymne à la charité de 1Co 13 : même le don de tous nos biens et de toutes nos forces pour le prochain ne serait rien si tout cela n'était porté par la charité, l'amour proprement divin, “ répandu en nos coeurs par le Saint-Esprit qui nous est donné ” (Rm 5,5 — mais aussi Lc 6,13, au § précédent): l'amour du prochain exige l'amour de Dieu comme sa source. C'était bien à cette source que remontait tout le développement de Mt 5 sur “ la Loi et les Prophètes ” (v. 17 à 48), culminant sur le “ Soyez parfait comme votre Père céleste... ”



§ 72-75. Les quatre derniers paragraphes du Sermon sur la Montagne


sont remarquablement < composés >. Leur diversité s'ordonne suivant une structure bien déterminée, en particulier par quelques mots-clefs ou images, pour mieux s'unifier en une exhortation convergente (cf. D. Marguerat: Le Jugement... p. 168-211).

Structure: Les § 72 et § 75 correspondent, comme les § 73 et § 74 . D'une part, s'opposent Porte et Voie, étroites ou larges, comme Maison solide ou non, d'autre part bons ou mauvais fruits, comme vanité des belles paroles ou valeur du service de Dieu. On voit que tout va donc par couples antithétiques, y compris: < nombreux ou rares >, < perdition et vie > (v. 13-14), < arbres > (v. 17-19), < faux prophètes et vrais serviteurs de Dieu >, < Royaume des cieux et Iniquité > (v. 21-23), < Pierre et Sable > (v. 24-27).

Mots-clefs: Outre ceux qui viennent d'être indiqués, il y a le verbe < faire >, ou ses équivalents : produire, ou porter (du fruit) ou bâtir, qui revient à toutes les séquences (7,12.17.18.19.21.22.24.26). Mais < entrer > n'est pas moins important, car il se situe aux deux endroits les plus décisifs : au départ (v. 13*), et au sommet (v. 21*).

L'unité de convergence: En ce même verset 21, il s'agit plus précisément d'“ entrer dans le Royaume des cieux ”, ce qui fait < inclusion > avec Mt 5,20*. Si l'on se rappelle que déjà, 7,12 reprenait l'expression: “ la Loi et les Prophètes ”, qui se trouve aussi dans ce même § Mt 5,17-20, le sens du Discours tout entier se dessine: La Loi et les Prophètes, c'est le Christ qui les < accomplit >* (5,17-20, suivi de tout le développement, de 5,21 à 7,12) ; tel est le Royaume où Il nous invite à entrer (5,20). D'où la conclusion: “ Entrez ”, dans ce Royaume, ce qui exige un choix, d'autant plus net qu'il est à. faire entre deux partis opposés (figurés par la série des couples antithétiques), d'autant plus décisif qu'il engage (v. 13) — complété par tout ce qui invite à passer aux actes).

Cette admirable composition est propre à Mt. En Lc, il y a bien l'analogue (§ 73-75). Mais la Porte étroite (§ 72 ) et la condamnation finale (§ 74 b) sont au contraire réunis en un autre contexte (§ 220 ), où se trouve encore accentuée la sévérité de l'avertissement: “ Hors la voie, vous seriez perdus ” (// Ps 2,12).

p. 283

§ 72. La porte étroite: Mt 7,13-14; (Lc 13,23-24)


(Mt 7,13-14 Lc 13,23-24)

— Le symbole de la Voie se retrouve dans toutes les religions: qu'il suffise de rappeler le < Tao >. D'où, pour le dire en passant, la perte de sens qu'il y aurait à bannir ce terme propre, universel et religieux, en le remplaçant par des mots profanes et piteusement < réalistes > comme < route > ou < chemin >. BJ et Tob cèdent à cette mode insensée, mais sont obligés de titrer “ Les deux Voies ” tant l'expression s'impose.

Le thème des Deux Voies est en effet répandu dans la tradition tant juive qu'hellénique puis chrétienne (twnt < Odos >, v p. 71-77).

// Dt 30,19-20 Jr 21,8 Ps 1,6 Ps 2,12 — Dans les premières générations chrétiennes, le thème < des 2 voies > est repris et développé, soit dans la Didachè (1,2 à 6,3), soit dans la célèbre finale de l'Épître de Barnabe, 18-21 (SC 172, p. 196-218) : On la trouvera au § 78 ) — Jn 3,19-21*, puisqu'elle use des images de < Lumière et de ténèbres >, propres à Jn. Quant à l'image de la Porte, voir les // à Lc 13,23-24, au § 220 (et commentaire).

Il est évident que, dans la réalité, les deux Voies ne sont pas si incompatibles que notre conduite ne divague pas de l'une à l'autre. Mais une présentation aussi tranchée que celle de Barnabé traduit le propos marqué de l'Évangile, qui est, on l'a vu, d'opposer pour obliger à choisir suivant la triple et menaçante antithèse :

Étroite / large : insiste sur la difficulté, d'une part à “ trouver ” une Voie si mince d'apparence, de l'autre à y “ entrer ”. Luc emploie même le verbe < agonizesthé >, pour souligner que cela exige effort, et même au besoin combat, renoncement, sacrifices, comme ce sera précisé par la suite (§ 168 , § 227 , § 228 ). Radicalisme* de l'Évangile, qui ne prêche sûrement pas la religion facile des faux prophètes:

D. Bonhoeffer : Le prix de la grâce, p. 11-13 : “La grâce à bon marché est l'ennemie mortelle de notre Église. Actuellement, dans notre combat, il y va de la grâce qui coûte.

... La grâce à bon marché, c'est l'amour de Dieu pris comme idée chrétienne de Dieu. L'affirmer, c'est posséder déjà le pardon de ses péchés... Puisque la grâce fait tout toute seule, tout n'a qu'à rester comme avant. Le monde est justifié par grâce ; il faut donc que le chrétien vive comme le reste du monde. Lu grâce à bon marché, c'est la prédication du pardon sans repentance, c'est le baptême sans discipline ecclésiastique, c'est la sainte cène sans confession des péchés, c'est l'absolution sans confession personnelle...

La grâce qui coûte, elle coûte parce qu'elle appelle à l'obéissance... elle coûte, parce qu'elle est, pour l'homme, au prix de sa vie; elle coûte parce qu'elle condamne les péchés, elle est grâce parce qu'elle justifie le pécheur... ” (suite du texte un peu plus loin).

Rares / nombreux: “ Beaucoup d'appelés, mais peu d'élus ” (Mt 22,14*). C'est la question même à laquelle répond la parabole de la Porte étroite, dans la version de Lc 13,23-24. Cela veut dire aussi qu'on ne peut se laisser porter parle mouvement général, et encore moins celui d'un < monde >* non-chrétien, s'il n'est pas même anti-chrétien.

Menant à la Vie (éternelle) / débouchant sur la perdition (également éternelle): C'est le caractère commun de toute cette conclusion au Sermon sur la Montagne: la perspective générale est celle du Jugement dernier, menaçant (Mt 7,19*.23*.27*).

Ne va pourtant pas aussitôt fuir, épouvanté, la voie du salut où l'on ne petit entrer que par une porte étroite. Car à mesure que l'on avance dans la vie (monastique, ou chrétienne) et dans la foi, le coeur se dilate, et dans l'indicible douceur de l'amour on court la voie des enseignements divins (Benoît : Règle fin du Prologue).

rupert se souvient peut-être de cet encouragement de saint Benoît, quand il commente lui-même (Sur Mt vu, —Pl 168,1457): Mais la porte est-elle étroite, et rude la voie, pour les doux et les humbles ? Pas du tout. Car le Seigneur a dit: “ Mon joug est doux, et mon fardeau léger ” (Mt 11,30). Il peut eut toute vérité dire aux humbles : Même si ma porte et ma voie paraissent étroites et rudes au commencement, tu pourras bientôt dire avec le psalmiste — qui en avait l'expérience — “ J'ai couru la voie de tes commandements, quand tu as dilaté mon coeur ” (Ps 119,32).

Tel est le paradoxe : Étroites sont la Porte et la Voie ; pourtant, dès que l'on y “ entre ” et s'y “ engage ”, le coeur est enfin au large, car c'est le Christ quel l'on y “ trouve ”. La Porte, c'est le Christ (Jn 10,8); Il est la Voie (Jn 14,6); non seulement Il nous y mène, comme le Bon Pasteur, mais au besoin, Il nous prendra dans ses bras pour nous porter (Lc 15,5).

D. Bonhoeffer : Le prix de la grâce (p. 13) — Voir plus haut le début de cet extrait): La grâce coûte cher d'abord parce qu'elle a coûté cher à Dieu, parce qu'elle a coûté à Dieu la vie de son Fils — “ Vous avez été acquis à un prix élevé ” (1Co 6,20 — parce que ce qui coûte cher à Dieu ne peut être bon marché pour nous. Elle est grâce d'abord parce que Dieu n'a pas trouvé que son Fils fût trop cher pour notre vie, mais qu'il l'a donné pour nous. La grâce qui coûte, c'est l'incarnation de Dieu.

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§ 73. L’arbre jugé aux fruits: Mt 7,15-20; Lc 6,43-45



(Mt 7,15-20 Lc 6,43-45)

— L'image, dont le sens est plus uniquement sapientiel chez Saint-Luc (comme en Mt 12,33-34, qui en est le vrai // — cf. § 119 ), prend une signification plus particulière en Mt, du fait de l'addition des versets 15-16 a et 20. En outre, tel v. 21-23 préciseront et aggraveront de façon rétroactive la mise en garde:

Mt 7,15 — Gardez-vous: comme en Mt 6,1 Mt 10,17 Mt 16,6.

des faux prophètes: souvent dénoncés dans l'A.T. : // Dt 13,2-6 Dt 18,22 Ez 13,3-4 Lm 2,14 Is 9,14 Is 28,7 Jr 6,13 Jr 8,10 Jr 23,11 Jr 28 Ez 14,9-10 Ez 22,28 Mi 2,11 Mi 3,5 Mi 3,11 So 3,4 etc. Mais on en retrouve aussi au temps de l'Église apostolique (Ac 13,6), et à l'intérieur même de cette Église (2P 2,1). P. Bonnard (Sur Mt, p. 104) note les nombreux “ Pseudo- ” contre lesquels s'élèvent les Apôtres: faux frères, faux apôtres, faux didascales, faux témoins, et même faux Christs.

qui viennent à nous : au présent, c'est-à-dire dès à présent. Mais encore plus dans les derniers temps (Mt 24,11 Mt 24,24).

sous des dehors : Litt. “ revêtus ”. Mais bien entendu, il ne s'agit pas d'un détail réaliste et pittoresque, rappelant le vêtement de peau caractéristique des prophètes, d'Élie à Jean-Baptiste (2R 1,8 Za 13,4 Mt 3,4). L'opposition joue entre le dehors et le dedans, comme entre l'apparence et la réalité (de même qu'en Mt 23,28).

de brebis : Désigne le < troupeau > que le Bon Pasteur est venu rassembler, guider et nourrir: cf. Mt 9,36 Mt 10,6 Mt 15,24 Mt 25,32-33 Mt 26,31. Donc l'expression peut signifier d'abord que ces faux prophètes sont de l'Église, et risquent d'être confondus avec les vrais disciples du Christ. Mais en outre, l'opposition < moutons — loups > met en garde contre leur fausse douceur.

loups rapaces: // Ez 22,27-29 Ez 22,31. Rapaces soit à leur profit, soit parce qu'ils tuent ceux qu'ils capturent (cf. § 99 ) — Mt 10,16*).

Mt 7,16 a — répété au v. 20, par une sorte d'inclusion, parce que c'est là le propos essentiel de ces versets: donner un critère, un signe permettant le discernement de ces faux prophètes d'apparence < conforme > — un moyen de les reconnaître. Sur le discernement des esprits, cf. 1Co 12,10-14,40.

Mt 7,16b Mt 7,17-18 Lc 6,43-45 // Si 27,6 Jb 31,40 — Parallèlement, “ arbres portant des fruits bons à manger ” évoque le Paradis terrestre (Gn 2,8-9); “ les épines et les ronces ”, les suites du Péché Originel (Gn 3,18).


// Pr 11,30 — Le retournement est remarquable, mais conforme à l'image du miracle de la végétation: l'arbre produit le fruit, d'où sortira le germe d'un nouvel arbre ; de même, le juste produit des fruits de justice et de vie, mais de là sortira et grandira aussi en lui un arbre de vie. Et suivant le principe qu'on est selon ses actes, le juste lui-même devient, est cet arbre de vie auquel les paraboles compareront le Royaume (Mt 13,31-32).

ces bons fruits: en Lc et dans le // Si 27,6, il s'agit de paroles. Dans le contexte de Mt 7, concluant le Sermon sur la Montagne par une exhortation à s'engager sur la Voie qui mène à la Vie (§ 72 ), les fruits sont les actes, au sens que précisera le § 74 . “ Les choses existentielles ne se manifestent que dans l'action ” (R. Guardini: Le Seigneur, 1P 212).

Mt 7,19 — Reprend la menace de Jean-Baptiste (Mt 3,10), et donne à l'image qui aurait pu n'être que pratique (comme en Lc 6,43-45), la perspective eschatologique déjà remarquée au § 72 , et qui va prendre toute sa force au § 74 .

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§ 74. Les paroles et les actes: Mt 7,21-23


(Mt 7,21-23)

Groupe deux Logia* qui, en Lc, sont séparés (6,46 et 13,26-27). Or Mt 7,21 répond à 5,20 en reprenant la même expression d'“ entrer dans le Royaume des cieux ”, qui est donc la perspective générale suivant laquelle doit se lire tout le Sermon sur la Montagne. Mt 7,22-23 se rattache plus directement aux § 72 -73 : “ Beaucoup ” rappelle les “ nombreux ” (même mot grec) qui prennent la voie de perdition (§ 72 ), et c'est là que nous les voyons précisément aboutir au v. 23 ; mais surtout, “ n'avons-nous pas prophétisé ” correspond aux faux prophètes du § 73 .

Mt 7,21 Lc 6,46; // Jr 7,4-7 — Ce n'est pas celui qui: au sens généralisé de < tous ceux qui >, ou de < quiconque > (comme au v. 24).

celui qui dit... mais celui qui fait : séparation du < dire > et du < faire >, si dangereuse dans le comportement humain, inconnue de Dieu pour qui dire, c'est faire (cf. < Rhêma >* et < Dâbâr >*). Rappelons que < faire > est le verbe-clé des § 71 -75. La suite du verset va préciser quel < faire > Dieu agrée.

Seigneur, Seigneur: Comme dans le // Jr 7, la répétition mime la fréquence de l'invocation: ils n'ont que cela à la bouche... Mais ce titre de Seigneur est proprement divin: le donner au Christ lui-même, c'est proclamer sa foi chrétienne, tellement bien que cette < confession de foi > ne peut être inspirée que par l'Esprit Saint (1Co 12,3). Evidemment, il n'est pas sûr que l'Évangile prenne ici l'invocation en ce sens fort. Même alors pourtant, elle ne suffirait pas pour “ entrer dans le Royaume ”. Non que la foi ne soit pas condition essentielle, mais parce que la foi n'est vraie que si elle engage : c'est en se mettant à la suite du Christ, en agissant conformément à son enseignement qu'on le reconnaît réellement pour “ Seigneur ”.

mais plutôt: Entre dire et faire, il n'y a pas contradiction, et il n'est donc pas déconseillé d'invoquer le Seigneur; “ mais plutôt ” il faut aller jusqu'au bout, jusqu'aux actes. Se référant à la finale du Sermon sur la Montagne, saint Benoît en tire la conséquence : “ En concluant ainsi, le Seigneur attend que, jour après jour, nous répondions par nos actes à ses saintes leçons ” (Prologue de la Règle).

la volonté de mon Père: Ce n'est plus “ votre Père ” (5,48; 6,9.26.32; 7,10), même si c'est le même “ qui est aux cieux ”. Si le Christ dit “ mon Père ”, c'est qu'il parle ici précisément comme son Fils, son Verbe, révélateur de sa volonté. Déjà il affirmait, à 12 ans cette origine et cette patrie célestes (Lc 2,49*); mais en Saint-Matthieu, c'est la première des 17 fois où l'expression reviendra, souvent en relation avec le Jugement dernier (10,32-33; 15,13; 18,35; 20,23; 25,34). C'est toujours à “ la volonté de mon Père ”, non à la sienne, que Jésus nous réfère, notamment en 12,50: “ qui fait la volonté de mon Père, celui-là m'est un frère... ” et en 21,31, dans la parabole des deux fils, dont l'un dit oui et ne fait pas, tandis que l'autre dit non, mais en fait obéit — ce qui concorde parfaitement avec 7,21 :

Etre disciple du Christ, c'est croire en Lui, mais la foi est obéissance (Rm \,5; 15,18-19; 16,26). La vie des saints en fournit d'innombrables exemples. A Marguerite-Marie, le Christ assure qu'il ajustera sa volonté à celle des supérieures de la visitandine au point qu'elle doive leur obéir même au cas où leurs ordres iraient à rencontre de la mission dont Lui-même pourtant l'a chargée, de répandre la dévotion au Sacré-Coeur, symbole de son amour divin pour les hommes; car, lui dit-il, “ J'aime l'obéissance, et sans elle on ne me peut plaire ” (AuTobiographie, Ed. Gauthey 1915, il, p. 60 et 65).

Il est donc d'autant plus essentiel pour nous de connaître cette volonté du Père. C'est la tâche de Jésus de la révéler, comme il vient de le faire dans ce Sermon sur la Montagne, et c'est donc à ces enseignements qu'il faut se conformer. Il le dira expressément en Mt au § 75 , comme ici en Lc 6,46. Mais mieux encore il en donnera l'exemple durant sa Passion: “ Père, non pas comme je veux, mais comme tu veux... que ta volonté soit faite ” (Mt 26,39-42).

Mt 7,22; (Lc 13,26-27 — C'est la preuve a contrario que ce ne sont pas les oeuvres comme telles qui nous sont demandées, mais comme accomplissement de la volonté d'amour de Dieu, révélée en Jésus-Christ.

En ce jour-là: Le Jour* = celui du Jugement dernier (Mt 24,36). La parabole de Mt 25,31-46 est une illustration de ces versets 21-23.

En Lc 13,26-27, la défense est beaucoup moins solide, puisqu'elle s'appuie seulement sur une convivialité de compatriotes. Mais, dans Saint-Matthieu, elle semblerait inattaquable :

Beaucoup me diront: Seigneur, Seigneur = ceux du v. 21 a (et de la voie large). Prophétiser, chasser les démons, faire des miracles : voilà bien des oeuvres non seulement prestigieuses, mais expressément prévues par le Christ, qui “ envoie à toutes les nations ses disciples, en prophètes ”, doués du pouvoir d'exorcisme et de miracles (Mt 23,34 Mt 10,1 Mt 10,8). Aussi répètent-ils par trois fois qu'ils ont agi “ en ton nom ”, c'est-à-dire non seulement < sur ton ordre >, mais comme délégués s'appuyant sur le Pouvoir divin, seul capable de prophétiser, exorciser, guérir miraculeusement. L'expression doit en effet être prise dans toute la force qu'elle peut avoir quand, par exemple, des gendarmes arrêtent un malfaiteur “ au nom de la Loi ” (cf. § 50 ) — Mt 5,11).

Mt7, 23;(Lc 13,27) ; // Jr 14,14 Jr 27,15 Ps 6,9 — Alors je leur déclarerai: < homologein >, terme technique impliquant ici un acte judiciaire et sa proclamation solennelle, car c'est le Jugement dernier. Mais c'est le même ternie qui désigne la < confession > ou profession de foi.

Je ne vous connais pas : au sens biblique où la connaissance profonde tient à l'union (conjugale). Revient donc ici à: “ vous n'êtes rien pour moi ”. Même sentence terrible dans la parabole des Dix Vierges, Mt 25,12.

Éloignez-vous de moi, vous qui avez fait l'iniquité = // Ps 6,9, c'est le psalmiste qui parle, mais la tradition chrétienne y reconnaît le Christ en son agonie, comme l'y encourageait la citation de Mt et de Lc. Du même coup on voit aussi qu'avant de porter le jugement de séparation définitive, le Christ aura tout fait pour s'unir à nous, en portant même nos maladies (Ps 6 et Is 53). L'iniquité (Mt) ou l'injustice (Lc) s'oppose à la Justice et au Royaume de 6,33*. Le mot grec d'< ano-mia >, repris par Mt au Ps 6,9 (lxx), signifie étymologiquement < sans-loi >, soit qu'on la viole, soit qu'on la tienne pratiquement pour nulle (Mt 13,41 Mt 23,28 Mt 24,12). Ici, la condamnation vient de ce que l'on n'a pas fait la volonté de Dieu, telle que révélée dans le Sermon sur la Montagne, et qui < accomplit >* la Loi de l'Ancienne Alliance, dans la même ligne mais de façon transcendante (§ 53 *). Elle se résume finalement en charité active envers le prochain (en Ht7, 12*, comme en 25,31-46). Ne sont pas exclus du Royaume des cieux (v. 21) les seuls faux prophètes (Mt 7,15 et // Jr 14,14 Jr 27,15), mais les “ nombreux ” (v. 22 et 13) qui auraient vécu hors la Voie étroite de cette loi de charité.

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§ 75. Bâtir sur le roc: Mt 7,24-27; Lc 6,47-49



(Mt 7,24-27 Lc 6,47-49)

— L'antithèse correspond à celle de la Porte et de la Voie étroites ou larges, pour confirmer que l'alternative est inéluctable :

// Dt 30,15-18 — v. 19-20 en // au § 72 ; Lv 26 — C'était déjà celle de l'Ancienne Alliance, source de bénédictions ou malédictions suivant qu'Israël l'observerait fidèlement ou non. Dans la Nouvelle Alliance, encore moins pourrait-on échapper au choix proposé, suivant lequel ou bien l'on “ entrera pour toujours dans le Royaume ”, ou bien l'on sera “ perdu ” à jamais : cf. non seulement Mt 7,13-14, mais aussi le sort du bon et du mauvais serviteur, des vierges sages et folles, de celui qui a fait valoir ses talents ou non, et enfin de ceux qui ont pratiqué la charité ou non: 4 paraboles semblablement antithétiques (Mt 24,45 à 25,46).

// Ez 13,10 — L'image de la maison ou du mur, solides ou ruinés, semble être restée classique dans le monde juif (cf. la parabole rabbinique citée par D. Marquerai: Le Jugement... p. 205). La maison est à bâtir, ou en cours de construction; c'est réconfortant car, si les exigences du Sermon sur la Montagne pourraient paraître un tout impraticable d'un seul coup, elles deviennent plus assimilables, proposées comme une grâce, une force d'engagement nous laissant la vie entière pour avancer dans cette voie étroite, et bâtir pierre à pierre la demeure d'éternité. Tout disciple — “ quiconque entend ” — y est appelé.

Mt 7,24.26; Lc 6,47-48 a. 49 a — Qui vient à moi (propre à Luc, en cet endroit — sur l'expression, cf. § 163 ) — Jn 6,35*), écoute et accomplit: avant d'être enseignement et pratique, l'Evangile est rencontre personnelle (§ 25 *).

mes paroles: Litt. “ ces paroles-ci (donc le Sermon sur la Montagne) qui sont de moi ”. À la différence de Moïse, qui reçoit et transmet une loi dictée par Dieu, Jésus parle de sa propre autorité (§ 76 *), parce qu'il est lui-même Dieu. Ce sont ses propres paroles qui font loi : “ Et moi je vous dis... ” (§ 54 *, Introduction).

les accomplit... ne les accomplit pas : Toute la différence vient de là, et par conséquent cette finale revient sur ce qui est le propos de toute la conclusion, depuis <la Porte étroite >: il faut s'engager, faire, pratiquer. Le verbe < accomplir >* trouve ici son terme: si Jésus est venu < accomplir > la Loi, elle ne le sera vraiment que quand Lui-même d'abord, et ses disciples à sa suite, l'auront mise en pratique.

sur la pierre... sur le sable : figure premièrement la solidité que donne à la foi sa pratique, ou bien au contraire l'inconsistance d'une religion de tête ou même de coeur qui ne passerait pas dans les actes. Mais en un sens plus profond, parce que notre obéissance aux instructions du Christ nous lie à Lui, c'est bien sur Lui que se construit notre Maison. Le Roc ou la Pierre sur lesquels tout sera bâti, c'est donc Lui, en définitive, conformément au symbolisme de la pierre déjà rencontré au § 25 ) — Jn 1,42*. Par contre, qui ne pratique pas n'a plus de liens avec le Christ (Mt 7,23*) ; donc “ cet insensé ” n'a pour se fonder que le “ sable ” du terrestre, mouvant, passager, caduc.

Mt 7,25.27 ; Lc 6,48 b. 49 b ; // 1Co 3,10-15 — Appuyée par tout le contexte, l'image de la tempête et de l'inondation est eschatologique, même si le Jugement dernier est plus généralement celui du feu (// 1Co 3).

// Pr 12,3 Pr 12,7 Pr 10,25 Ps 73,26-28 — Ce qui, dans le Deutéronome ou les Prophètes, était alternative globale, épique, dans une perspective eschatologique, est appliqué par les Livres sapientiaux à la destinée individuelle, plus immédiate: précarité de l'apparent succès des impies, assurance des justes, au-delà de l'épreuve (cf. tout le Ps 37). La finale du Ps 73 témoigne de la ferveur qui soutient l'espérance, consciente d'adhérer au Roc de l'éternel.

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§ 76. Réaction de la foule: Mt 7,28-29; (Mc 1,22); Lc 7,1 a


(Mt 7,28-29 Mc 1,22 Lc 7,1a)

— Luc n'en dit rien. Mt rejoint ce que Mc disait des effets de la prédication du Christ, dès ses débuts (§ 32 *, in fine).

La foule ne s'y est donc pas trompée: si admirable que soit l'élévation morale des Paroles du Christ, ce qu'il y a d'extra-ordinaire et même d'unique, en tout ce Sermon, c'est l'autorité souveraine, divine, avec laquelle ce < Jésus de Nazareth > tranche et décrète. “ Jamais homme n'a parlé comme cela ” (Jn 7,46). Bien sûr ! puisque c'est Dieu qui parle c'est sa Parole même, incarnée en cet homme.


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3. L'ÉVANGÉLISATION DES FOULES (§ 77-145).




§ 77. Le signe du Temple : Jn 2,13-25


(Jn 2,13-25)

Les Synoptiques situent l'expulsion des vendeurs du Temple aux Rameaux (§ 275 et § 277 ). Il n'est pas impossible que Jésus ait voulu réitérer un acte hautement symbolique, juste avant la Passion qu'il annonce. Mais la plupart des exégètes pensent qu'il s'agit plutôt d'un acte unique. Les Synoptiques regroupant tout le ministère public sur une seule année, avec une montée finale à Jérusalem (cf. § 183 ) — Lc 9,51*), ne pouvaient situer l'épisode qu'à ce moment-là. Jean marque au contraire d'emblée son propos d'indiquer des repères chronologiques : c'est donc lui qui doit indiquer la vraie date (cf. F.M. Braun, dans rb, p. 178-200).

Jn 2,13 — La Pâque des Juifs était proche: La même formule se retrouve en Jn 6,4 et Jn 11,55, assortie chaque fois de précisions topographiques et autres, pour bien inscrire dans le temps et le lieu (= dans l'histoire) les 3 grandes parties de l'Évangile qui s'ouvrent précisément à cet endroit (cf. C. Hudry-Clergeon, dans NRT 1983, p. 535-548).

Comme nous suivons la Synopse BJ, nous avons d'abord lu ce que les Synoptiques nous disent des commencements du ministère de Jésus en Galilée, jusqu'au Sermon sur la Montagne (§ 28 -76). Mais d'après Saint-Jean, la venue du Christ à Jérusalem se situe quelques jours seulement après Cana et un bref séjour à Capharnaüm (§ 30 ) — Jn 2,12). De sorte que, parallèlement à Cana, cette expulsion ouvre son ministère (comme l'indiqueront les versets Jn 2,19-22*).

Jn 2,14-15 // Ne 13,7-9 — Dieu est Saint. Israël, peuple de Dieu, doit être pareillement d'une sainteté exclusive de toute contamination profane (Lv 19). De même, le Temple étend ses < parvis > pour les païens et même les Juifs autour de son centre, nommé “ Le Saint ” et “ Le Saint des Saints ” qu'emplit la Gloire* insoutenable du Dieu trois fois Saint (Is 6): cf. Ex 26,31-37 Ex 40,1-35 Ez 43,1-12 (“ voici la charte du Temple: tout le territoire qui l'entoure est très saint ”) ; He 9. “ L'oratoire, dit la Règle de saint Benoît, doit être ce que dit son nom. On n'y doit rien faire, rien déposer qui soit étranger à la prière ” (RB 52).

Boeufs, brebis, colombes, et < change > : Toutes ces bêtes servaient d'offrandes pour les sacrifices et le < change > permettait de les acheter. En les chassant, au-delà d'une purification — dont le // Ne 13,7 donne un autre exemple — Jésus amorce l'annonce de la substitution des victimes qu'il réalisera en s'offrant lui-même. Déjà Origène y reconnaissait “ un symbole de l'abolition du culte célébré au temple par les prêtres au moyen de sacrifices sensibles ” (Sur Jean X, 138) — SC 157, p. 470). Cette interprétation sera confirmée aux v. Jn 2,19* et Jn 2,21*. La scène est haute en couleur, surtout suivant Mc 11,15-16 (§ 277 ).

Jn 2,16 ; (cf. Mt, Mc et Lc aux § 275 et § 277 ) — Motif de l'indignation du Christ, présenté par les Synoptiques comme une constatation: “ Vous en faites une caverne de voleurs ” ; en Saint-Jean, cela devient un refus : “ Ne faites pas... ” Les Synoptiques citent textuellement d'abord Is 56,7, puis Jr 7,9-14 (aussi, on trouvera ces 2 // au § 275 ). Ils sont donc dans le registre prophétique, avec cependant une note proprement messianique, qui est celle d'Is 56,1-9. En le citant plus complètement, Marc souligne cette transformation du Temple juif en une “ maison de prière pour toutes les nations ” que signifiera l'ouverture du Saint des Saints quand le rideau de séparation se déchirera sitôt après la mort du Christ (§ 355 *), et qui se réalise dans < l'Église >, < catholique >. Sur cette spiritualisation (fin des victimes animales, remplacées par le “ sacrifice de louange ” suivant les Ps 50,8-14 et Ps 40,7-9), et cette universalisation, caractéristiques de la Nouvelle Alliance, cf. Y. Congar: Le mystère du Temple', p. 152 ss.

Maison de profit, ou de commerce (Jn) : L'expression réfère plus directement au // Za 14,21, qui est évidemment messianique. Mais en outre, Jésus dit : la maison de mon Père, témoignant par cette sollicitude filiale qui Il est: le Fils du Dieu Père. C'est le même cri du coeur qu'à 12 ans: alors, Jésus retrouvé dans ce même Temple, avait expliqué à Marie et à Joseph qu'il lui faut* “ être chez mon Père ” — c'est-à-dire regagner, après nous l'avoir ouvert, le < ciel > symbole de la présence du Père dont le Temple est un autre signe (§ 18 ) — Lc 2,49*). Tel est le zèle dont Jésus est “ dévoré ” (cf. v. Jn 2,17).

// Ml 3,1-4 — Suivant Saint-Jean, le baptême de Jésus n'est pas si loin, où Jean-Baptiste a rendu son témoignage (Jn 1,6-7*. 15*) sur la transcendance de celui qui doit venir (§ 22 et § 24 ) — Jn 1,26-34). Or le prophète Malachie annonçait Jean comme un nouvel Élie (Ml 3,23-24, en // à § 19 ), mais simple “ messager ” du Seigneur, qui viendrait “ soudain ” après, “ dans son Temple ” (Ml 3,1). Dans l'action purificatrice de Jésus, Pharisiens et Scribes auraient donc pu reconnaître l'accomplissement de Ml 3,3 tandis que les v. 3 et 4 nous laissent aussi entendre la substitution des victimes qu'annoncera expressément Jn 2,19* et Jn 2,21*.

Jn 2,17 // Ps 69,10 — Comme l'a montré C.H. Dodd (Conformément aux. Écritures, p. 58-59 et passim), en référant plus particulièrement à ce verset, le N.T. n'oublie pas le contexte du psaume entier, annonciateur du Mystère Pascal. Et par suite, cette référence nous oriente à nouveau vers la substitution dont parlera le v. Jn 2,19 (dont on voit que tout ce qui le précède y mène).

Jn 2,18 — Alors: Litt. “ donc ”. C'est une conséquence normale: devant l'initiative osée du Christ, “ les Juifs ” — c'est-à-dire les autorités religieuses, responsables du bon ordre dans le Temple (cf. § 19 ) — Jn 1,19*) — interviennent pour demander à Jésus d'authentifier par un signe (cf. § 29 ) — Jn 2,11*) la mission de prophète qui légitimerait son acte. Nous admettons avec F.M Braun (RB 1929, p. 191 ss) que la discussion rapportée par les Synoptiques au lendemain seulement de l'expulsion des vendeurs du Temple est une autre controverse que celle rapportée ici par Jean, et qui se rapporte aux jours précédant la Passion (cf. § 279 *).

Jn 2,19 — C'est une réponse, qui porte donc sur ce qui est en question. “ Quel signe peut montrer Jésus de son autorité § faire cela ”, c'est-à-dire à récuser la pratique des victimes animales demandées par la Loi ? — Le signe, répond-il, c'est le changement du Temple qui, comme celui des victimes et du sacerdoce, est significatif du changement de l'Ancienne en une Nouvelle Alliance (He 7,12). Il a bien autorité pour intervenir, Lui qui est, suivant la prophétie de Ml 3,1, “ l'Ange [l'Envoyé de Dieu] pour cette Nouvelle Alliance ”, et du même coup son Grand Prêtre, la Victime agréée, le Temple de la Rencontre et de la Réconciliation des hommes avec Dieu.

Détruisez ce Temple: “ Ce n'est ni un ordre, ni une invitation, ni même l'hypothèse: “ À supposer que vous détruisiez... ”. Mais simplement l'annonce d'un événement que l'on paraphraserait assez justement ainsi: “ Que vous le vouliez ou non, vous êtes en train de détruire votre Temple ” ” (F.M. Braun: Jean le Théologien, p. 82). “ Ce Temple ”: Même si Jésus peut penser ici à la destruction de son propre corps, sous peine d'équivoque il faut que ce qu'il nomme < Temple > sans autre explication, soit ce que tous ses auditeurs devaient fatalement comprendre, à savoir ce Temple dont il vient d'expulser les vendeurs. Le v. Jn 2,20 montrera que c'est bien ce qu'ils ont compris, et le Christ ne cherche pas à les détromper. Chacun pouvait se rappeler la première destruction du Temple, par Nabuchodonosor, en 587. Or un prophète avait été envoyé pour avertir Israël que, sauf repentir, ses péchés entraîneraient cette ruine. Les Juifs pouvaient donc bien comprendre la menace qu'ils soient cause d'une nouvelle destruction du Temple, et d'autant plus que le Christ reprend les expressions du prophète:

Détruisez... je relèverai : Jérémie avait été en effet envoyé “ pour arracher et pour détruire, pour perdre et pour disperser, pour bâtir et pour planter ” (Jr 1,10 Si 49,7 — mais “ au nom de Yahvé ”, si bien que toutes les autres fois où revient ce couple antithétique, c'est Dieu même qui menace d'agir ainsi, avec préférence marquée pour “ bâtir et planter ” (Jr 18,7-10 Jr 24,6 Jr 31,28 Jr 42,10 Jr 45,4). Sur tout cela cf. A.M. Dubarle, dans RB 1939, p. 21-44.

En 3 jours, je le relèverai: l'impossibilité matérielle d'un tel exploit aurait dû suffire à montrer que le Christ parlait du “ Nouveau Temple ” qui, d'après les Prophètes, serait rebâti (Is 44,28 Za 1,16) plus splendide qu'auparavant et universellement vénéré (Ag 2,9 Mi 4,1-2). L'attente en était si répandue qu'au Procès on déformera le défi du Christ tel que le rapporte Jn 2,19, pour Lui reprocher de s'être dit capable de “ bâtir un autre Temple non fait de main d'homme ” (Mc 14,56* — § 342 ). Même ses auditeurs auraient donc pu comprendre que Jésus leur annonçait la substitution du Temple, comme des sacrifices de l'Ancienne Alliance, par l'accomplissement de ce qu'annonçaient les Prophètes pour les temps messianiques, et qu'il se prétendait donc bien le Messie. C'est d'ailleurs pour quoi cette Parole deviendra cause de condamnation lors de son Procès.

Jn 2,20-21 — L'hostilité aggrave le contresens d'une interprétation matérialisante, en opposant quantitativement les 46 ans aux 3 jours.

Il parlait du Temple: Le mot grec employé dans ces versets Jn 2,19-21 n'est plus le <hiéron >, l'enceinte sacrée d'où Jésus avait expulsé les vendeurs et leur marchandise, mais le < Naos >, “ habitation du Dieu, c'est-à-dire la partie intérieure du Temple où se trouvait placée la statue de la divinité ” (Larousse).

De son Corps : Nous en avons été avertis dès le Prologue : “ Le Verbe était Dieu... Il s'est fait chair, et Il a planté sa Tente parmi nous ”, si bien que c'est en Lui désormais que demeure la Présence divine (la < Shékinah > : Jn 1,14b*). D'où le // Col 2,9-10, prendra grand soin de montrer qu'en Lui s'accomplissent les diverses prophéties sur le Nouveau Temple: Il est la pierre rejetée par les bâtisseurs devenue la tête d'angle (Ps 118,22) ; de Lui sortira la source du Temple (Ez 47 Za 13,1), Il l'annonce dans le Temple, en pleine fête des Tentes (Jn 7,37-39) et le réalise à sa mort (Jn 19,34*); Il se dit “ consacré ” alors qu'on célèbre précisément la Dédicace du Temple (Jn 10,36) ; enfin le Christ signifie que la substitution nécessitera mort et Résurrection (cf. Y. Congar: Le mystère du Temple, p. 161-180).

// Pr 9,1 1Co 6,19-20 Sg 9,1 Sg 9,8 — Dès le 1er siècle, “ le Corps ” désignait aussi l'Eglise. Car si “ la Sagesse s'est bâti une maison ” c'est pour “ dresser la table ” eucharistique (Pr 9,2-6 — en // à § 163 ), si bien que “ la maison de cette divine Sagesse, c'est le Corps mystique ” (Thomas d’Aquin). Car en se donnant à manger (Jn 6), Il donne à ses membres d'être Demeures de la Trinité (Jn 14,23) et Temples de l'Esprit jusque dans leur corps (// 1Co 6,19-20). Dans le même sens, cf. Clément d'Alexandrie, cité et commenté par A. Mondésert, dans Rech. sr 1949, p. 580-85.

Ainsi le signe du Temple s'étale comme un arc-en-ciel :

— à l'origine, le modèle céleste, où Dieu demeure (Is 6);

— sur ce modèle se règlent la Tente de la Rencontre, puis le Temple de Salomon (Ex 25,9 — BC I*, p. 258-259; // Sg 9,1 Sg 9,8);

— c'est ce Modèle même qui s'incarne en Jésus de Nazareth;

— se communique à tout “ son Corps ”, l'Église et à chacun de ses fidèles;

— si bien que, pour l'éternité, Dieu étant “ tout en tous ”, “ l'Agneau et le Seigneur, le Dieu maître de tout, sera le seul Temple ”, aux portes toujours catholiquement ouvertes (1Co 15,28 Ap 21,22).

Jn 2,22 — Lors donc qu'il se releva d'entre les morts : C'est le verbe de la Résurrection, qui se trouvait déjà dans la bouche du Christ au v. Jn 2,19 : “ Je le relèverai ”. “ En trois jours ” prend alors aussi sa pleine signification Pascale. Mais cela ne pouvait se dégager pleinement qu'à la lumière non seulement de la Résurrection, mais de l'Esprit de la Pentecôte:

Se souvinrent: “ Dans le style johannique, le < souvenir > suppose une illumination par l'Esprit, faisant comprendre une Parole qui jusque-là était obscure et comme oubliée ” (L. Cerfaux, cité par F.M. Braun: Jean le Théologien, III, p. 84). Cet verset marque donc expressément les deux temps de la compréhension de l'Évangile: 1) sur le moment même, par des auditeurs butés ou des “ croyants sans intelligence ” ; puis 2) une fois éclairés, et donc pour nous désormais, si nous le lisons suivant l'Esprit: cf. Jn 12,16 Jn 14,25-26 Jn 15,26 (cf. X. Léon-Dufour, dans Rech. sr 1951-52, p. 155-175).

Ils crurent en l'Écriture et en la Parole que Jésus avait dite: Il y a donc bien, complémentairement à la prophétie messianique de Jésus lui-même au v. Jn 2,19, “ l'Écriture ”, donc l’ A.T. — “ la Loi, les Prophètes et les psaumes ”, en particulier le Ps 69, cité au v. Jn 2,17, qui annonçaient aussi “ qu'il fallait que le Christ meure et ressuscite ” (Lc 24,44-46). C'est ce même mystère que signifiait, à Cana, le miracle de l'eau pour les purifications changée en vin excellent (§ 29 ) — Jn 2,6-11*). C'est donc bien ce que Saint-Jean veut nous faire lire et pressentir dès les commencements du ministère de Jésus (F.M. Braun: Op. cit, p. 85).

Jn 2,23-25 — Croire en son Nom à la vue des signes* : Sur le rapport < voir — > croire >, cf. § 10 ) — Lc 2,15*. Origène remarque à ce propos que supposer “ croire sans voir ” supérieur à s'élever de ce qu'on voit à la foi proprement dite serait stupide, puisqu'alors nous l'emporterions sur les Apôtres eux-mêmes (Sur Jean x, 301-304) — SC 157, p. 568).

Sur les différentes formes de construction “ Croire à ou en Lui, ou en son Nom ”, cf. § 1 ) — Jn 1,12*. TLF VI, p. 521-23 (ou Robert, rééd. 1985, III, p. 61-63) en donnent les définitions suivantes : “ Croire quelqu'un : Attacher une valeur de vérité à ce que dit une personne, tenir quelqu'un pour sincère et véridique, estimer vraies ses paroles ”. L'accent est donc mis sur la vérité, mais comme fondée sur un autre. “ Croire à quelqu'un: Être persuadé de l'existence réelle de quelqu'un ”. L'accent est sur la réalité de l'objet de la foi. “ Croire en quelqu'un: Avoir confiance en lui. Apporter une adhésion totale mais personnelle, en y attachant une valeur éthique qui porte l'individu à se comporter en conséquence avec confiance et amour ”. L'accent est sur la confiance intime (se trouve 34 fois en Saint-Jean, 1 fois seulement en Mt et Mc, et pas du tout en Luc); par conséquent sur l'engagement qu'impliqué et entraîne la foi:

“ Si la foi n'était qu'une simple acceptation de l'autorité divine, une soumission brute de l'esprit pour ainsi dire... (ce ne serait que) croire à Dieu : credere Deo; ce qu'il faut en outre, c’est vouloir faire la volonté de Dieu, et c'est pourquoi l'Écriture ne nous ordonne pas seulement de croire à Dieu, mais de croire en Dieu (Jn 6,29). Sans doute, pour croire en Lui, il faut d'abord croire à Lui, mais celui qui croit à Lui ne croit pas nécessairement en Lui... Qu'est-ce donc que croire en Dieu? C'est, en y croyant, l'aimer; c'est, en y croyant, le chérir, pénétrer en Lui par l'amour, s'incorporer à ses membres ; voilà la foi que Dieu exige de nous et qu'il n'y trouve, après l'avoir exigée, que parce qu'il l'a donnée pour pouvoir l'y trouver ensuite. Ce n'est donc pas une foi quelconque que Dieu réclame, mais, selon la parole de l'Apôtre (Ga 5,6), la foi qui opère par la charité ” (E. Gilson : Introduction à l'étude de saint Augustin, Ed. Vrin 1943, p. 37).

En fait, dans le grec du N.T. ou le latin de la Vulgate, le sens est assez flottant, < croire en... > ou < croire à... > étant pris souvent l'un pour l'autre (exemples dans DTC VI “ foi ”, col. 63-67). Et il faut surtout tenir ces trois expressions pour tellement connexes qu'elles devraient être inséparables, si nous nous conformions à la logique de cette foi: Dieu est par définition la Vérité même, et le Christ sa Parole, ou sa manifestation, ou son < Témoignage > (mot essentiel, Jn 1,7c* et Jn 1,14 c-d*). Donc il faut Le croire : ce qu'il dit est infailliblement vrai. Par conséquent, nous devons croire à la réalité de ce qu'il nous révèle ; au point de nous engager en Lui si bien que nous voyions avec ses yeux, sa façon de voir et de réagir, proprement < sur-naturelle >, tant nous avons plus confiance en Lui qu'en nous-mêmes.

Mais Lui, Jésus, ne se fiait pas à eux : Même verbe < croire > en grec — Justement parce qu'il “ sait ce qu'il y a dans l'homme ”. Petite phrase terrible ! Non seulement elle dénonce les ambiguïtés d'un optimisme inconditionnel, mais elle nous laisse entrevoir aussi, par contrecoup, la solitude qui fut celle du Christ, de par sa transcendance et sa divine lucidité. Pourtant, cela peut aussi nous donner confiance :

Dom Guillerand: L'abîme de Dieu, p. 141 et 138: D'un côté la foi, de l'autre cette vision... De là l'indulgence sans bornes de Celui qui voit pour ceux qui ne voient pas. Il les connaît; il sait qu'il ne peut pas compter sur eux; il ne s'y fie pas; mais il ne les condamne pas; il reste à leur disposition; il le restera toujours... Il attend une foi vraie qui viendra peut-être plus tard. Il attend un vrai don de soi. Il ne se donne que si on se donne ; et il ne donne de se donner que quand il voit des coeurs prêts à répondre au don divin.

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Bible chrétienne Evang. - § 69. Les perles aux pourceaux: Mt 7,6