Bible chrétienne Evang. - § 33. Guérison d'un démoniaque : Mc 1,23-28

§ 33. Guérison d'un démoniaque : Mc 1,23-28





(Mc 1,23-28)

— Et aussitôt: Mc affectionne cet adverbe, qui se retrouve 40 fois dans son court Évangile, si bien que les exégètes y voient souvent une liaison artificielle, négligeable. Est-ce si sûr? Pour être spontané, le style de Mc n'en est que plus expressif. Cet < aussitôt > ne serait-il pas plutôt significatif de la promptitude avec laquelle se déroulera le drame? — Aussitôt le baptême, l'Esprit survient, et aussitôt “ jette ” Jésus au désert, pour y affronter le Démon (Mc 1,10 Mc 1,12 . Vont dans le même sens tragique la mention introductive, “ Après que Jean eût été livré ” (Mc 1,14), et le fait que le premier des miracles rapportés par Mc et Lc soit un affrontement avec un suppôt du Diable.

un esprit impur: Le précise qu'il s'agit bien d'un démon. Son existence et son pouvoir sur les royaumes de la terre étaient affirmés par l'Évangile dès Lc 4,3* (§ 27 ) — cf. surtout citation d'A. Feuillet). S'ajoute ici le phénomène de possession diabolique. S'il faut éviter d'en être obsédé au point de la soupçonner un peu partout, il ne serait pas moins abusif de lui dénier toute réalité, comme ici ou dans le cas du démoniaque gérasénien (§ 142 ). Et même si, parfois, les symptômes décrits par l'Évangile relèvent de la maladie, comme pour l'épileptique du § 171 , ce n'est pas dire que ce soit sans rapport avec le Démon, dans la mesure où, au moins originellement, la souffrance, la maladie et la mort viennent du Diable (Sg 2,23-24 Lc 13,11), puisqu'elles sont la suite du péché par lequel l'homme s'est asservi au Mal. La < possession > proprement dite n'en est que la manifestation extrême (donc aussi heureusement exceptionnelle) la plus voyante (cf. Vtb < Démon >).

Ces démons sont nommés “ esprits ”, car ils ont été créés < purs esprits > ; devenir “ impurs ” (qualificatif donné surtout par Mc) va donc à rencontre de leur nature et de son accomplissement : toute compromission avec le Mal est antinature, anti-bonheur du même coup qu'anti-Dieu. Et c'est bien ce dont témoigne le cri spontané du Démon:

Mc 1,24 Lc 4,34 — Qu'y a-t-il entre nous et toi? L'expression si flottante, déjà rencontrée aux noces de Cana (§ 29 ) — Jn 2,4*) prend ici sa signification la plus radicale, avouant une séparation totale avec “ le Saint de Dieu, le Pur par excellence.

Jésus le Nazaréen: Cf. § 17 ) — Mt 2,23*.

Es-tu venu pour nous perdre ? Si le Règne de Dieu vient, c'est par la délivrance de l'esclavage du péché, donc la perte de l'Empire du “ Prince de ce monde ”, comme Jésus en aura la vision (§ 187 ) — Lc 10,18).

Je sais qui tu es : le Saint de Dieu : Saint est bien le nom propre de Jésus (§ 4 )— Lc 1,35*) comme Dieu, car “ Saint est le Nom de Dieu ” (§ 6 ) — Lc 1,49*). Cela, Satan le sait, lui aussi. C'est donc un combat à visière découverte, et à mort, car il y a incompatibilité violente de l'esprit impur au Saint, au pur de tout péché.

// 1R 17,17-18 1R 17,22-24 — Bien que le Démon n'apparaisse pas ici, la situation est fondamentalement la même: d'un côté la maladie, la mort, imputées à une < faute > présumée (v. 18), qui séparent la mère atteinte en son enfant, de l'homme de Dieu. Séparation marquée par le même “ Qu'y a-t-il entre moi et toi? ”, qui prend ici un ton de reproche: “ Qu'es-tu venu pour nous tourmenter”, comme diront les possédés de Gérasa (§ 89 ) — Mt 8,29). Il est notable que, pour la veuve de Sarepta comme pour les démoniaques, la venue d'Élie ou du Christ semble à elle seule déclencher d'abord une crise en démasquant le Mal, qu'il vienne d'une simple faute ou d'une possession démoniaque. Expérience classique pour qui s'approche de Dieu: il semblerait qu'aussitôt, ce qu'il y a de mauvais en lui entre en ébullition et doive < sortir > (Mc 1,26), au point que l'on en soit submergé. Patience, pourtant! Par-delà cette mort, ce qu'apporté l'homme de Dieu et mieux encore Jésus-Dieu, c'est de revivre (1R 17,22-24).

Mc 1,25 Lc 1,35 — Tout est fait ici pour souligner la supériorité de Jésus, dans cette altercation avec le Diable: en Maître, Il menace, donne un ordre, et le Démon doit obtempérer: c'est que le Christ est < le plus fort >*. Luc (v. 36) y reconnaît “ puissance* et autorité* ”. Mc (v. 27) fait de cette autorité la marque non seulement du < miracle >, mais de cette “ doctrine nouvelle ”: ainsi, par la vertu (force) de l'a Parole de Dieu, se rejoignent enseignement et miracle, annonce du Règne de Dieu et son effectuation.

Tais-toi: Cf. § 35 ) — Mc 1,34*.

Mc 1,27 ; Lc 4,36) — Tous étaient saisis de crainte : C'est “ l'effroi sacré ” de découvrir en Jésus quelque chose de Dieu, c'est-à-dire “ le Jésus de l'histoire saisi d'emblée comme le Christ de la foi ” (L. Bouyer: Le Fils éternel, p. 324-325) — qui réfère également à Mc 4,41 ; 5,15; 6,50; 7,37; 10,26.32; 16,8).

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§ 34. Guérison de la belle-mère de Simon Pierre : Mc 1,29-31; Lc 4,38-39; Mt 8,14-15


(Mc 1,29-31 Lc 4,38-39 Mt 8,14-15)

Toujours aussitôt. Si la maison retrouvée dans les fouilles de Capharnaüm et vénérée par les chrétiens dès avant le IV° siècle était bien celle de Simon Pierre, comme tout porte à le penser, il n'y avait pas long chemin de la synagogue à cette maison.

C'est un des miracles les plus simples de l'Évangile: pas de profession de foi préalable, guérison sans phrase, d'une fièvre banale. Deux ou trois versets de l'Évangile suffisent à le rapporter. Mais on y discerne d'autant mieux comment I chaque Évangéliste présente ce souvenir suivant l'effet propre qu'il vise (cf. I X. Léon-Dufour: Études d'Évangile, p. 123-148).

Mc 1,29-31) — Récit d'un témoin — saint Pierre? — notant la présence conjuguée des 4 apôtres qui ont commencé de le suivre au matin de cette “ journée de Capharnaüm ” (qui va de Mc 1,16 à Mc 1,34).

Lc 4,38-39) — Donne au miracle valeur d'exorcisme: La fièvre est forte, mais Jésus est < plus fort >*. Il ne lui prend pas la main (Mc), ni ne la touche, (Mt), mais commande à la fièvre en la menaçant (même verbe que contre le Démon du possédé, au v. 25) — et qui se retrouve au § suivant, Lc 4,41; cf. 8,24; 9,42.54).

// Lv 26,14-16 — La fièvre, symptôme de la maladie, a donc pris, pour l'Ancienne Alliance, valeur de < malédiction >* entraînée par l'infidélité à Dieu (sans que l'on puisse pour autant remonter à chaque fois de la souffrance à quelque péché personnel, comme de l'effet à sa cause propre: cf. § 262 -Jn 9,2-3*). Sur les malédictions du Lv cf. bc I* p. 305-306.

Si Luc s'intéresse d'une manière clinique aux maladies, il n'oublie pas que les malades sont sous l'influence du démon, telle cette femme dont il ne dit pas seulement quelle est atteinte de rhumatismes déformants, mais qu'elle est “ possédée depuis dix-huit ans d'un esprit qui la rendait infirme..., liée par Satan ” lui-même (Lc 13,11 Lc 13,16). De même ici, c'est l'exorcisme qui l'intéresse... Jésus apparaît sous les traits du Sauveur qui passe en faisant le bien et en libérant ceux qui sont tombés au pouvoir du démon (X. Léon-Dufour ; Études d'Évangile, p. 139).

Mt 8,14-15 (reporté, comme toute la séquence, après le Sermon sur la Montagne, au § 85 ) — Il n'est plus question de “ parler à Jésus ” (Mc), encore moins de le prier d'intervenir (Lc) : Jésus “ entre et voit ”, comme plus tard dans la maison de Jaïre (9,23). Il a l'initiative, fait exceptionnel; car ordinairement, chez les Synoptiques, c'est la foi qui demande un miracle.

Le sujet de l'action ne change pas d'une phrase à l'autre: en Mc ce sont successivement Jésus, la belle-mère, les disciples de Jésus. Chez Mt, c'est Jésus seul qui agit, puis la belle-mère... Un tel dépouillement de Vanecdotique donne à la personne du Christ un relief saisissant.

Cet homme Jésus agit avec une souveraine indépendance : il vient, il voit, il touche ; et, au seul contact de sa main ou de ses vêtements, disparaît la fièvre de la belle-mère de Pierre, la lèpre du lépreux (8,3), les pertes de sang de la femme (9,20), la cécité des aveugles (9,29), la frayeur des témoins de la Transfiguration (17,7). Il n'aide pas la malade à se lever, en la prenant par la main; mais, par un simple toucher, il lui communique une force nouvelle : elle “ se lève ” d'elle-même. Enfin, elle ne “ les ” sert pas tous (Mc/Lc) mais elle “ le ” sert, Jésus seul. L'élimination des autres personnages, présents dans les récits parallèles, montre que Matthieu veut insister sur la portée symbolique du geste de guérison; la malade, d'abord étendue, comme “ paralysée ” (l'expression désigne aussi la maladie du serviteur du centurion: 8,6, et celle du paralytique de Capharnaüm : 9,2), puis se redressant, se “ mettant debout ” (ègerthè) devient la figure de l'homme qui, paralysé par le péché, est “ ressuscité (ègerthè) pat Jésus et voué à le “ servir ” (Mt 20,28 Mt 25,44 Mt 27,55 Lc 8,3 Lc 17,8 Lc 22,26-27 Jn 12,26X. Léon-Dufour -.Études d'Évangile, p. 140-141 ; et plus généralement H.J. Held: Matthaus als Interpret der Wundergeschichten...)

// Ps 107,18-20;Is 38,10-17 (v. 11.15-16 d'après LXX, qui accentue la portée messianique) ; Ac 9,17 ; 28,8) — 4 exemples de guérisons miraculeuses, dans l’A.T...comme dans le N.T.. Elles sont bien dues au Verbe de Dieu, envoyé par Lui aux malades que nous sommes (Ps 107,20 — cf. § 42 ). C'est aussi ce que souligne Lc en précisant que Jésus guérit “ d'un mot ” = par la Parole.

Ambroise; Sur Luc IV, 63-66 (PL, 15,1631) — SC 45,176): Peut-être notre chair souffrait-elle de diverses fièvres de péché, sous la figure de cette femme, belle-mère de Simon et d'André ; peut-être brûlait-elle des attraits immodérés de diverses convoitises ? La fièvre de l'amour, dirai-je, n'est pas moindre que celle de la chaleur vitale : l'une incendie l'âme, l'autre le corps. Notre fièvre, c'est la concupiscence — car les convoitises sont de feu. De là vient que l'Apôtre dit: “ S'ils ne peuvent être continents, qu'ils se marient: mieux vaut se marier que brûler ” (1Co 7,9). Notre fièvre, c'est la sensualité ; notre fièvre, c'est la colère: vices du corps, oui, mais ils introduisent leur feu jusque dans les os, ils éprouvent l'esprit, l'âme et les sens. L'âme est la première sollicitée par l'artifice du diable. Un champ bien situé, un vêtement, un bijou, sont des appâts dont use le serpent. L'agrément des honneurs, l'élévation que donne le pouvoir, le plaisir des banquets, la beauté d'une courtisane, sont autant de filets du diable, et pour le mal spirituel une capiteuse entrée en matière. Par la séduction de la chair — qui si vite s'amollit, avec une légèreté quasi féminine — ce contact arrive à faire choir de son rang l'âme elle-même ; car la beauté d'une femme, par exemple, ce n'est pas l'âme qui la convoite avant l'oeil du corps. D'ailleurs, ce que tu ne vois pas, tu ne risques pas d'en être épris ; mais une fois que la chair a convoité, la constance de l'âme faiblit, elle aussi, et l'esprit lui-même s'infléchit par l'amour qui leur est commun — car ils sont deux en une seule chair: le diable tente, la chair persuade, et la mort s'insinue, résultat du crime...

Mais quand l'homme revient de sa folie, alors la vue de la conscience intérieure se libère, le regret de l'acte arrive à son tour, et chacun rougit de ce qu'il voit de honteux dans son crime. Alors le pécheur en vient à craindre Dieu, et désire se cacher mais ne le peut ; alors on dénonce la chair, on accuse le diable : celle-là comme introductrice des vices, celui-ci comme auteur de la tromperie. La laideur est patente, car devant Dieu tout secret est à nu. Et les secrets des turpitudes ne sont pas voilés par les feuilles du figuier d'Éden, c'est-à-dire par le vêtement du corps ou par l'insolence de ce monde.

Cet Adam, cette Eve, le Seigneur est venu les délivrer... Et gardez-vous de croire qu'il ne convienne pas de voir en Adam et Eve la figure de l'âme et du corps — puisqu'ils sont aussi le type du Christ et de son Eglise. L'Apôtre, en effet, après avoir dit “ deux en une seule chair ”, ajoute : “ Ce mystère est grand: je le dis en pensant au Christ et à l'Eglise ” (Ep 5,32).

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§ 35. Autres guérisons : Mc 1,32-34; (Mt 8,16-17; Lc 4,40-41)


(Mc 1,32-34 Mt 8,16-17 Lc 4,40-41)

voir introduction à ce groupe de paragraphes.

Le soir venu: N'oublions pas que c'était un jour de sabbat (§ 32 ) — Mc 1,21), qui prenait fin avec l'apparition des premières étoiles; donc pas (encore) de controverse avec les Pharisiens sur la légitimité de ces guérisons puisqu'elles sont hors-sabbat.

Mc 1,32 // Ps 9,14-15 — Toute la ville s'était rassemblée à la porte: Étant donné que les versets précédents (guérison de la belle-mère) se passent “ dans la maison de Simon ”, Importe pourrait être celle de cette maison où l'on “ amène ” malades et possédés comme on fera bientôt du paralytique (§ 40 ). Mais quand “ toute la ville ” (effet de masse — cf. introduction à ces §) se rassemble, la porte évoque plutôt celle de la cité, où se tient le salut et la vie de ses habitants (Vtb < Porte >). Le // Du Ps 9,14-15 convient donc bien ici, avec ce passage de la mort à la Jérusalem céleste que nous permet le sacrifice du Christ. Et ce parallèle souligne la perspective de Rédemption que nous allons retrouver, indiquée par d'autres moyens, en Lc et en Mt.

Lc 4,40) — Imposant les mains à chacun d'eux: “ Avec la parole, la main est un des moyens les plus expressifs du langage de l'homme ; de soi, elle symbolise ordinairement la puissance* (Ex 14,31 Ps 19,2) et même l'Esprit de Dieu (1R 18,46 Is 8,11 Ez 1,3 Ez 3,22). Imposer les mains sur quelqu'un, c'est plus que les élever en l'air, fût-ce pour bénir, c'est toucher réellement l'autre et lui communiquer quelque chose de soi-même. ” (Vtb < Imposition des mains >). Ici en signe de délivrance, donc de Rédemption (Lc 13,13 Mc 8,23).

Mt 8,17 // Is 53,4-5 (donné en // au § 86 ) — Afin que fût accompli: Cf. § 13 ) — Mt 1,22-23*. Dans cette scène, qui pourrait nous transporter en plein merveilleux, la citation d'Isaïe nous rappelle à propos que ces maladies, regardées comme une conséquence du péché, en deviennent le symbole; elles ne pourront donc nous être “ enlevées ” que par le sacrifice du < Serviteur de Yahvé > chanté par Isaïe, “ l'Agneau de Dieu qui enlève nos péchés ” en portant la croix dont ils ont chargé notre humanité, et en s'y laissant clouer. C'est ce passage des “ infirmités et maladies ” (Évangile) aux “ péchés ” (Isaïe), et d'emporter ou “ enlever ” (Évangile) à “ porter ” (Isaïe) qui rétablit la perspective de la Douloureuse Rédemption, dès ces commencements du ministère encore apparemment idyllique.

// Si 7,35 — Le Christ a si bien pris sur Lui nos maladies qu'en tout malade, c'est Lui que nous secourons (§ 307 ) — Mt 25,36).

Mc 1,34 Lc 4,41 — Il ne laissait pas les démons parler: Silence déjà imposé au démoniaque du § 33 (Mc 1,25), et pour la même raison : parce qu'ils le connaissaient et savaient qu'il était le Christ* (Lc 4,41), le Saint de Dieu (Mc 1,24*), le Fils de Dieu (Mc 3,11). C'est que Jésus ne veut pas être reconnu comme Messie, tant que la perspective de la Passion n'aura pas donné à ce titre le sens qui convient, de Serviteur Souffrant et non de Roi impérialiste. C'est ce qu'on appelle: le secret messianique, sous-tendant tout l'Évangile de Marc. Nous en parlerons surtout aux § 165 -167) — Mc 8,27-33.

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§ 36. Jésus se retire de Capharnaùm : Mc 1,35 ; Lc 4,42


(Mc 1,35 Lc 4,42)

Dans un lieu désert : Comme après le baptême, nécessité d'une < retraite >, pour la prière: S'il ne prend pas sa source au 1° commandement, le second, qui doit lui être semblable, se dénature. C'est Luc surtout qui insistera sur cette prière solitaire du Christ (5,16; 6,12; 9,28-29; cf. aussi 22,32).

Mc 1,38 ; Lc 4,42-43) — Marc emploie le verbe du < Kérygme >* : c'est dire que Jésus proclame hautement l'essentiel de l'Évangile, tel que formulé en Mc 1,15) — qui est le Règne ou le Royaume de Dieu dont Luc parle ici pour la première fois, puisqu'il n'avait pas indiqué jusqu'ici le sommaire de la prédication du Christ, ayant préféré la placer sous le signe du Serviteur d'Isaïe, élu, pour les pauvres (§ 28 * et 30*).

Sur l'insistance, particulière à Luc, de ce que cette Royauté messianique a de transcendant, soit par association avec la mission divine du < Kurios >, du Fils de Dieu et Sauveur, soit par insistance sur sa réalisation progressive, dans la pauvreté de sa naissance, l'humilité de son baptême, les souffrances de sa Passion, la gloire pure et divine de sa Résurrection, cf. A. George: Sur Luc, p. 258-282. Cf. aux § 321 -322*; 342*; 352*.

// Is 52,7-9 — On applique souvent cette prophétie aux Apôtres? Mais le premier annonciateur de l'Évangile et du Règne de Dieu, donnant à voir en lui-même Dieu de retour à Sion, c'est Jésus !

C'est pour cela que je suis sorti (Mc) ou envoyé (Lc) : On peut, comme Tob, rapprocher cette < sortie > de celle par où, au verset précédent, Jésus quittait Capharnaüm, à la recherche d'un lieu désert. Mais le texte correspondant de Luc parle de son “ envoi ” par le Père auquel se référera constamment le Christ, surtout dans Saint-Jean ; cela nous invite plutôt à penser que le Christ envisage ici sa mission dans toute son envergure, depuis la < sortie > de l'Incarnation jusqu'au < retour > de l'Ascension (Jn 16,28). Nous avons déjà vu que c'est le mouvement même de l'âme du Christ (§ 18 ) — Lc 2,49*). Pourquoi préférer toujours le sens le plus terre à terre ?


§ 37. Prédication, guérisons, foules : Mc 1,36-39; Lc 4,43-44; Mt 4,23-25


(Mc 1,36-39 Lc 4,43-44 Mt 4,23-25)

— L'essentiel a été dit en introduction à ces §, car nous avons ici, dans Mt (qui rejette après le Sermon sur la Montagne le récit des miracles accomplis dès cette 1° journée de Capharnaüm), un résumé général, qui vaut pour tout le ministère, non seulement en Galilée, mais dans la Décapole et la Judée — ce qui explique peut-être que Luc 4,44 parle aussi de < la Judée >, entendue en un sens général, non pas exclusif de la Galilée, mais extensif à tout le pays des Juifs?

Mt 4,23-25) — Correspond au § 35 , pour Mc et Lc.

prêchant (toujours la proclamation du < Kérygme >) < l'Évangile du Royaume*: L'expression, propre à Mt dans cette forme abrégée (du Royaume tout court), se retrouve en 9,35, dans un contexte semblable, également général, et en 24,14, accompagnée de la prédiction que cet “ Evangile du Royaume sera proclamé dans le monde entier ”, avant que ne vienne la fin. Ce qu'est ce Royaume va être défini dans le Sermon sur la Montagne qui, dans Mt, suit immédiatement les présents versets (§ 48 ).

// Si 48,1-14 Ac 2,22 Acx Ac 5,15 — Triple description du rayonnement de Jésus-Christ: en son précurseur Élie, en Lui-même et en ses disciples. Ailleurs, Pierre dira qu'“ Il passa en faisant le bien et en guérissant tous ceux qui étaient au pouvoir du diable, parce que Dieu était avec Lui ” (Ac 10,38, donné en // au § 97 ). C'est déjà la conclusion du // Ac 2,22, ces miracles accréditent Jésus, comme le rétorquera l'aveugle-né aux Pharisiens : “ Si cet homme n'était pas de Dieu, il ne pourrait rien faire ” (§ 262 ) — Jn 9,33).

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§ 38. La pêche miraculeuse: Mt 4,18-20; Mc 1,16-18; Lc 5,1-11

(Mt 4,18-20 Mc 1,16-18 Lc 5,1-11)

Lc 5,1-3 // Jn 21,2-11 — L'enseignement sur le rivage, depuis la barque, se retrouve en Mt 13,2-3 et Mc 3,9; 4,1-2 (§ 125 ), où il nous est en outre précisé que Jésus parlait à la foule en paraboles. Il y a aussi une pêche miraculeuse après la Résurrection (// Jn 21). Enfin, la vocation de ces pêcheurs à devenir “ pêcheurs d'hommes ”, a été placée un peu plus tôt en Mt et Mc (§ 31 ). Ainsi les Évangiles sont-ils tissés différemment, mais à base de mêmes matériaux. C'est gênant pour établir une chronologie stricte ; mais pour éclairer le mystère de Jésus, ces correspondances font comme un jeu de miroirs où se reflète à l'infini son Image.

Lc 5,4) — Ambroise: Sur Luc IV, 68.71 (PL 15,1633) — SC 45,179); “ Il monta dans la barque de Pierre ”. C'est la barque qu'en Matthieu nous voyons encore secouée par les vagues (Mt 8,24) et chez Luc remplie de poissons, pour que tu reconnaisses et les débuts fragiles de l'Église, et son développement ultérieur. Les poissons représentent les hommes qui font la traversée de cette vie. Dans le premier épisode, le Christ, pour ses disciples, dort. Dans le second, il commande. Il dort pour ceux qui ont peur — pour les parfaits, il veille.

La barque qui a Pierre, n'est pas agitée — elle est agitée, quand elle porte Judas ; même si beaucoup de mérites des disciples étaient embarqués dans celle de Judas, la perfidie du traître l'agitait pourtant. Dans les deux cas, il y avait Pierre ; mais celui qui est ferme dans son service, est agité par les actes d'autrui. Gardons-nous donc du perfide, gardons-nous du traître ; car nous pourrions, par un seul, être troublés en grand nombre. Donc, n'est pas troublée la barque où la prudence prend passage, d'où la perfidie est absente, où c'est la foi qui fait avancer. Comment cette barque pourrait-elle être agitée ayant pour nautonier celui sur qui s'appuie l'Église? Il y a donc agitation quand la foi est faible, et sécurité quand l'amour est parfait. D'ailleurs, si l'on commande aux autres de lancer leurs filets, c'est au seul Pierre qu'il est dit: “ Conduis au large ”, c'est-à-dire dans la haute mer de la réflexion théologique. Qu'y a-t-il donc de plus haut, en effet, que de considérer la profondeur des richesses (Rm 11,33), de connaître le Fils de Dieu, et de confesser la génération divine ? Cette génération, bien que l'esprit humain ne puisse la saisir, même en appliquant à cette recherche toute sa raison, cette génération, dis-je, se laisse embrasser par la plénitude de la foi. Car s'il ne m'est pas permis de savoir comment le Fils est né, il ne m'est pas permis non plus d'ignorer qu'il est né. J'ignore le mode de sa génération, mais je reconnais l'authenticité de sa génération. Nous n'étions pas là, quand le Fils de Dieu naissait du Père, mais nous étions là quand le Père le proclamait Fils de Dieu (Mt 3,17). Si nous ne croyons pas Dieu, qui croirons-nous ? Car tout ce que nous croyons, nous le croyons pour l'avoir vu ou entendu. la vision se trompe souvent, l'audition [de témoins] fait foi.

Récuse-t-on la personne du témoin ? Si d'honnêtes gens prenaient la parole, nous jugerions inique de ne pas les croire. Or Dieu témoigne, son Fils prouve, le soleil reconnaît et s'enfuit, la terre avoue et tremble. Telle est cette “ haute mer” de la théologie où l'Eglise est conduite par Pierre, pour voir d'une part le Fils de Dieu qui ressuscite et d'autre part l’Esprit Saint qui se répand.

Lc 5,5) — Maître, < Épistatès >: Se retrouve en Lc 8,24.45; 9,33.49 et 17.13. “ Il doit marquer une foi plus profonde (et plus déférente) en l'autorité de Jésus que l'habituel < didaskalos >, qu'il faut aussi traduire par < Maître >” (Tob).

Toute la nuit: C'est un homme du métier qui répond. Mais loin de récuser l'incompétence de ce prêcheur, il obéit “ sur sa parole ”, ce qui est la confiance et l'engagement de la foi. Le miracle fera la preuve, après coup seulement — et quelle preuve plus sûre pour un pêcheur que cette pêche, là où ni l'heure nocturne plus favorable, ni tout son art n'avaient su trouver le poisson? Mais Pierre a cru avant de voir*, à l'inverse de Thomas (Jn 20,24-29).

Lc 5,6-7 // Jn 21,6 Jn 21,11 — Une si grande quantité de poisson que leurs filets se rompaient: Comme pour le vin de Cana (§ 29 ) — Jn 2,6*), c'est la surabondance divine, qui marquait déjà la fécondité de la création et sera plus encore le signe des temps messianiques et de la Rédemption.

Lc 5,8 // Is 6,1 Is 6,5 Ex 33,20-23 — Voyant cela: Pierre croyait, nous aussi. Mais la présence de Jésus ne l'impressionnait pas tellement (et nous non plus souvent) jusqu'à ce qu'il voie en Lui la manifestation de la Puissance divine...

Or, tout l’A.T. (et même l'Histoire universelle des Religions) en témoigne: l'homme ne peut tenir, face à Dieu (// Ex 33). Aussi la réaction de Pierre, homme impulsif et spontané, est-elle immédiate : “ Il tombe ”, dans la posture du suppliant “ aux genoux ” du Christ. Mais le geste physique correspond à une découverte spirituelle, qui est à la fois celle de Dieu présent dans le Christ et, à cette lumière, celle de son propre état intérieur d'homme que son péché rend incompatible avec la pureté divine (comme // Is 6,1 Is 6,5 cf. aussi Jb Is 9).

En effet, d'une part il appelle Jésus d'un nouveau titre : “ Seigneur ”, qui est proprement divin ; et d'autre part, il se reconnaît un “ homme-pécheur ”. À partir de cette situation réciproque du “ Saint de Dieu ” (§ 33 ) — Lc 4,34) et de “ l'impur ” (// Is), le mouvement de l'âme est ambivalent: elle cherche à se tenir en retrait, comme Adam et Eve se cachent après la faute (Gn 3,8), en même temps qu'elle se sent attirée, comme on le voit dans le // Jn 21,7 où Pierre se jette à l'eau pour rejoindre plus vite Jésus resté sur le rivage. C'est le “ tremendum et fascinendum ” provoqué par le Sacré (R. Otto). Mais quand Pierre dit: “ Éloigne-toi ”, il faut l'entendre moins d'une demande expresse (car il ne souhaite évidemment pas que Jésus s'en aille), que du recul instinctif devant l'évidence de la distance infinie, de l'abîme infranchissable que le péché met de lui au Christ, de nous à Dieu (Is 59,2).

Cette scène de l'Évangile est donc un parfait exemple de ce que devrait être l'examen de conscience chrétien: non pas tant ni d'abord un exercice psychologique et moralisant, basé sur la mémoire de nos défaillances et leur vertueuse condamnation, que l'exposition de l'âme à la présence de Dieu, pour qu'à cette Lumière se révèle comme poussière au soleil, tout ce qui nous sépare de la Sainteté et de la Justesse divine, en somme et en détail.

Lc 5,9-10) — Une stupeur l'avait saisi : C'est la même crainte révérencielle qu'en Lc 4,36* (§ 33 in fine).

Jacques et Jean: nommés seulement ici, à l'avant-dernier verset. Nous avons ainsi appris incidemment que les deux fois deux apôtres, appelés séparément au § 31 , allaient bien en effet sur 2 barques différentes, mais associées (v. 7 et 10), qui toutes deux appartenaient à Simon Pierre (v. 3). L'Évangile nous rapporte ainsi, chemin faisant, beaucoup de précisions concrètes, gratuites, témoignant de sa réalité historique ; mais ce qu'il vise va au-delà, pour nous communiquer la foi même des premiers Apôtres.

Ce sont des hommes que tu prendras: La parole du Christ ne s'adresse qu'à Simon Pierre, bien que Jacques et Jean viennent d'être nommés (et André curieusement passé sous silence). Dans la version correspondante de Mt et Mc (§ 31 ), Jésus disait, au pluriel, à Pierre et André: “ Je vous ferai pêcheurs d'hommes ”. Le passage de l'image du pêcheur à celle de prendre s'explique du fait qu'en Saint-Luc, Simon et ses associés viennent de prendre beaucoup de poissons (v. 6-7.9). Quant au passage du pluriel au singulier, sans doute cela rentre-t-il dans le propos de Luc de mettre en valeur le rôle de Pierre*. Sur cette parole du Christ et l'histoire rédactionnelle (combien conjecturale) de sa double forme, cf. R. Pesch: Le Logion des pêcheurs, dans “ L'Évangile de Luc ”, Betl 32, p. 225-244) — où l'on trouvera aussi une bibliographie.

// Ac 2,40 — Il arrive hélas que des tyrans cherchent à prendre les autres dans leurs filets, à leur profit (Ha 1,14-17), et cela peut être un châtiment permis par Dieu (Jr 16,16-18 Am 4,2). Mais la vocation des Apôtres et de leurs successeurs, prolongeant la mission du Christ lui-même, est pour le Salut de tous ceux qui se laissent prendre, durant le temps qui reste avant le Jugement.

// Mt 13,47 — Jusque-là, donc jusqu'à la Fin des temps, dans le Royaume le bon et le mauvais restent mêlés, comme dans la parabole parallèle de l'Ivraie (§ 132 et § 136 ). D'où l'on voit bien que ce Royaume n'est pas seulement pour après la Fin des temps, mais se trouve dès à présent dans l'Eglise (cf. J. Carmignac: Le mirage de l'eschatologie, ch. 13; cf. § 28 ) — Mc 1,15 et 50) — Mt 5,3b*).

Lc 5,11) — Laissant tout : Mt et Mc disaient seulement : “ Laissant leurs filets, la barque, et leur père, Zébédée ” (§ 31 ). Le “ tout ” de Luc souligne sans doute le radicalisme* de la vocation évangélique, puisqu'on le retrouvera dans les autres appels: de Lévi (5,28) ou du jeune homme riche (18,22; cf. équiva-lemment9,57-62; 12,33; 14,33).

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§ 39. La guérison d'un lépreux: (Mt 8,1-4); Mc 1,40-45; Lc 5,12-16

(Mt 8,1-4 Mc 1,40-45 Lc 5,12-16)

// Lv 13,45-46 — Pour la Bible, la lèpre ne désigne pas tant la maladie spécifique dont Hansen a découvert le bacille en 1873, que des affections diverses de la peau, tenues pour impureté contagieuse, et qui pouvaient aussi être châtiment dont Dieu avertissait (Dt 28,27 Dt 28,35) ou même frappait: Sixième Plaie d'Egypte (Ex 9,8-12) ; Myriam, à la suite de ses murmures contre Moïse (Nb 12,9-10 — donné en // au § 83 ). En conséquence, la Loi exigeait que le malade soit tenu comme excommunié. Voir // complémentaires, tirés de Nb et Dt, au § 83 .

// Lv 14,2-7 — La guérison, même constatée, ne suffisait pas : il fallait une purification proprement dite, avec sacrifice, eau vive et délivrance d'un oiseau — quel admirable et chantant symbole !...

// Lm 4,14-15 — C'est bien le comble du malheur que les prêtres, institués purificateurs, soient eux-mêmes rejetés comme lépreux. Qui donc alors purifiera? Dieu seul, à coup sûr le pouvait, ou son prophète: Moïse, Elisée (Ex 4,6-8 2R 5,9-14), et le Messie à venir:

// Mt 11,4-5 — Aussi, parmi les signes de l'avènement des temps messianiques, ce que le Christ cite expressément c'est non seulement la guérison -comme d'aveugles ou de boiteux — mais la purification des lépreux : Si la venue du Règne de Dieu est manifestée par la délivrance de toute maladie (puisque celle-ci est en accointance proche ou lointaine avec le péché, comme on le verra au § suivant), elle l'est a fortiori par la purification d'une lèpre qui n'est pas seulement causée par le péché, mais à son image.

Dans la mesure où le Serviteur souffrant d'Isaïe (53,1-6, donné en // au § 349 ) évoque “ l'apparence maladive, méprisée, rejetée ” du lépreux, comme d'un homme “ frappé par Dieu ”, on peut dire que, dans ce lépreux, Jésus reconnaît le symbole du Mal dont lui-même va se charger pour en délivrer les malheureux que nous sommes. Et c'est peut-être une des raisons de son émotion (Mc 1,41).

Il faut avoir tout cela présent à l'esprit pour comprendre la portée de ce miracle, et les détails du récit:

(Mt 8,1 — Descendu de la montagne: où Jésus vient de définir, aux chapitres 5-7 de Mt, le Royaume. Ce n'est qu'ensuite, aux ch. 9 et 10, que vient la série des 10 miracles, ouverte par cette guérison du lépreux, qui vont témoigner de l'avènement de ce Royaume.

Lc 5,12) — Quand Il était dans l'une de ces villes: une de celles où, peu auparavant, Jésus était parti annoncer l'Évangile du Royaume de Dieu (§ 36 -37) — Lc 4,43-44): chaque évangile, cohérent avec lui-même, converge avec les autres dans la même perspective du Royaume, non seulement annoncé mais effectué.

Mc 1,40; Lc 5,12; (Mt 8,2 — Et voicI* (Mt).

Un homme plein de lèpre (Lc) : Il en est plein ! Luc nous le fait comme voir. Mais sous l'aspect déformé, monstrueux, il y a “ un homme ” — comme en Simon-Pierre, quelques versets plus haut, il y avait “ un homme-pécheur ” (v. 8). Ainsi, sous la négativité néfaste, contagieuse, haïssable, du Mal, il y a la bonté de la création, telle que Dieu l'a faite et vient la sauver.

Il s'avance (Mt-Mc-Lc): au lieu de s'écarter. La pureté du Christ est trop profonde pour qu'elle ait à craindre d'un contact extérieur.

se prosterne (Mt): adorabat, comme traduit ajuste titre la Vg. “ Fléchissant le genou, il le prie ” (Mc): Litt. “ le suppliant, il fléchit le genou, disant”: la prière précède la génuflexion, autre signe d'adoration. Il se jeta la face contre terre et le supplia (Lc) : la prostration, le plus expressif des gestes d'adoration. “ Acte d'humilité pudique, exemplaire de la honte que doivent nous infliger les souillures de notre vie, sans étouffer l'aveu ”, commente saint Ambroise, avec sa sobriété habituelle (Sur Luc v,2) — Pl 15, 1635 ; SC 45, 183).

Si tu le veux, tu peux (Mt-Mc-Lc) : Acte de foi : tu peux. Acte d'espérance, de par la demande elle-même qui revient à un: “ Oh! veuille... ” Mais encore, dans son humilité, acte d'abandon: “ Que ta volonté soit faite... ”

me purifier: Il n'a pas demandé: me guérir (cf. l'introduction à ce § 39 ).

Mc 1,41-42 ; Lc 5,13 ; (Mt 8,3) // Is 63,9 — Ému de compassion : propre à Mc, ici. Mais se retrouve ailleurs, d'accord avec Mt, au principe de la double multiplication des pains (Mc 6,34;8,2). Cf. aussi, en Lc 10,33 et 15,20, dans les paraboles du Samaritain et de l'Enfant prodigue. Dans le mot grec, il y a l'image des entrailles de la miséricorde divine, déjà saluée par Saint-Luc dans le < Benedictus > (1,78), et dans le // Is 63,9, modèle de la compassion chrétienne I (Col 3,12). Il est curieux que certains mss. portent au contraire: “ Irrité... ” I

À vrai dire, comme à Cana, comme avec la Cananéenne (§ 156 ) — Mc 7,24-30), Jésus semble redouter que le miracle, trop sensationnel, ne le détourne de sa voie, qui est la Rédemption dans l'humilité de son propre sacrifice, et dans les limites de temps et de lieux qui sont celles de son Incarnation. C'est sans doute pourquoi, sitôt le miracle acquis (Mc 1,42), il renvoie l'ex-lépreux et lui enjoint sévèrement le silence (v. 43). On traduit même: “le rudoyant ” (BJ), ou: “ s'irritant contre lui ” (Tob), ou: “ l'ayant grondé ” (Osty),| “ il le chassa ”. Et de fait, le verbe grec peut avoir ce sens réprobateur ; mais il se retrouve aussi, par deux fois, quand Jésus se trouble devant Marie pleurant son frère Lazare (Jn 11,33 Jn 11,38) tout comme Il s'est ému devant le lépreux (Mc 1,41): ici et là, peut-être, comme devant une image du sort spirituel de l'humanité, dont il aurait à la délivrer en revêtant notre lèpre et en passant par notre mort?...

Quoi qu'il en soit, il est d'autant plus notable que Jésus ne puisse résistera la foi de ce lépreux, pas davantage qu'à celle de Marie ou de la mère syrophénicienne.

Jésus, étendant la main, le toucha : Expression d'ordinaire propre à Mt (cf. Syn I Bj n, p. 101), Mc et Lc la reprennent ici, comme pour mieux souligner l'initiative du Christ qui, passant par-dessus l'interdiction par la Loi de tout contact avec un lépreux, n'hésite pas à le toucher, sachant bien que loin d'être contaminé par le lépreux, c'est Lui qui purifiera l'impur, par son seul contact.

Renversement caractéristique de l’A.T. au N.T.: pour les chrétiens non plus, ce n'est pas de l'extérieur que risque de venir la souillure (§ 155 ) ; et c'est tout à leur honneur qu'ils se soient penchés avec sollicitude sur le malheur des lépreux (J. Coudert met bien en valeur le rapport entre l'attitude de Jésus et celle de l'Église, dans Catholicisme vu, p. 412-421, < Lèpre >).

Car il y a beaucoup plus qu'une aide simplement médicale, fût-elle miraculeuse. Jésus “ a eu compassion ”. Il a laissé l'homme s'approcher. Sans crainte de la contagion, ni dégoût des chairs purulentes, il l'a touché de sa main. Le lépreux, guéri en sa chair, s'est senti surtout aimé, accepté, réhabilité. Les saints l'ont compris, qui pratiquèrent à leur tour “ le baiser au lépreux ”...

En même temps, pour nous qui lisons cet Évangile, Jésus marque le rôle physique joué par son humanité pour notre Salut.

“ Je le veux, sois purifié ” : Litt. “ Je veux ” Jésus répond par conséquent point pour point, et avec une sobriété remarquable. La bien-veillance est tout acquise à la foi ; l'autorité est celle du Verbe, de la Parole créatrice et rédemptrice. Et aussitôt'. “ Il dit et ce fut ”. Mt ne parle que de purification, Lc de guérison, Mc de l'une et l'autre.

Mt 8,4; Mc 1,43-44; Lc 5,14) — C'est le secret messianique (cf. § 35 - Mc 1,34*). Mais si le Christ est tout-puissant sur la nature et sur les esprits impurs, il n'a guère de succès sur la liberté et la gratitude humaines (cf. de même en Mc 7,36), malgré la < sévérité > de sa recommandation (Mc 1,43-45*).


Montre-toi au prêtre et présente l'offrande que Moïse a prescrite (Mt-Mc-Lc): La référence à la Loi est donc expresse. Au moment même où Jésus passe pardessus cette Loi, purifiant et guérissant d'un geste et d'un mot, il n'en demande pas moins au lépreux de se soumettre au cérémonial prévu par le Lévitique. Ainsi est-il venu, non pour < abolir > mais pour < accomplir > (§ 53 ) — Mt 5,17-20). On peut juger par là de l'imposture de ceux qui se réclament de l'Évangile pour se prétendre au-dessus de toute Loi, fût-elle seulement ecclésiastique, et a fortiori divine. Ce recours au prêtre reste prescrit en particulier si, après un < péché mortel >, on a été pardonné directement de Dieu : en maintenant la nécessité de l'aveu personnel, l'Église applique l'ordre du Christ au sacrement.

afin que ce leur soit un témoignage : Preuve du respect de la Loi ; mais preuve aussi du pouvoir de guérison du Christ, qu'ils auraient donc dû reconnaître...

// Lm 4,14-15 — Il est clair que les prêtres ne sont pas eux-mêmes impeccables; et s'ils se voient atteints de la lèpre spirituelle du péché, ils ne sont pas moins tenus d'aller se confesser à un autre prêtre.

Afin de revaloriser cette prescription de l'aveu, si souvent aujourd'hui tenue pour odieuse, et négligée, relisons Isaac de l’Etoile: 2e Sermon pour le 3° D. après l'Epiphanie (PL 194,1727-1728; SC 130, p. 240-244): “Le juste commence par s'accuser ” (Pr 18,17), autrement dit: du fait qu'il s'accuse, il commence à être juste. “ C'est pourquoi le lépreux, en arrivant, commence par dire : “Seigneur, si tu le veux, tu peux me purifier ”. Il confesse deux choses: son impureté, et la puissance du Seigneur ; il en implore une troisième : le bienfait. Avec une louange, il invoque le Seigneur; c'est pourquoi il est renvoyé guéri de sa lèpre. Louant la puissance, il appelle la grâce : et la grâce ne peut absolument pas manquer aux deux confessions qui ont précédé : celle du délit, et celle de la louange. Tout homme, en effet, qui invoque ainsi le Nom du Seigneur sera sauvé, et entendra: “ Je le veux, sois guéri ”. C'est pourquoi le saint Prophète s'écrie : “J'invoquerai le Seigneur avec la louange, et je serai sauvé de mes ennemis ” (Ps 17).

Jésus le touche, et il est guéri ; mais son guérisseur lui interdit de se proclamer guéri avant de s'être montré au prêtre et d'avoir présenté l'offrande légale. Que signifie tout cela, mes Frères ? Guéri par le Christ, peut-il taire les louanges du Christ? Il a loué la puissance avant d'en avoir fait l'expérience, et après expérience il tairait la grâce ? Purifié par le Christ, a-t-il besoin d'un prêtre — peut-être impur?

Ou bien le Seigneur prescrit des choses inutiles (gardons-nous de le supposer!), ou bien il exprime des mystères.

Il y a deux choses qui conviennent à Dieu seul: l'honneur de la confession, et la puissance de la rémission. Nous devons lui présenter la confession, attendre de Lui la rémission. Car il appartient à Dieu seul de remettre les péchés, et c'est pourquoi on doit lui présenter la confession. Mais, ce Tout-Puissant qui avait pris pour épouse une infirme — ce Très-Haut qui avait pris pour épouse une humble, a fait de la servante une reine. Il a fait monter à son côté celle qui se tenait en arrière et à ses pieds (Lc 7,38) : c'est de son côté, en effet, qu'il a tiré la dot de l'épouse. Et de même que tout ce qui est du Père est du Fils, et que tout ce qui est du Fils est du Père, parce qu'ils sont un par nature, ainsi l'Epoux a donné à l'épouse tous ses biens, et l'Époux a communié à tout ce qui est de l'épouse: il a fait qu'elle soit un, elle aussi, avec Lui-même et le Père: “Je veux, dit le Fils au Père quand Il intercède pour l'épouse, que comme moi et toi sommes un, ainsi ceux-là soient un avec nous ”.

Donc l'Époux, qui est un avec le Père, un avec l'épouse, a retranché ce qu'il trouvait d'étranger en l'épouse, l'a cloué à la croix — où il a porté les péchés de l'épouse sur le bois et les a effacés par le bois. Ce qui est naturel et propre à l'épouse, il l'a assumé, revêtu ; ce qui lui appartient à Lui de propre et de divin, il l'a conféré: il a enlevé ce qui était diabolique, assumé ce qui est humain, conféré ce qui est divin, pour que tout ce qui est de l'épouse soit de l'Époux. C'est ainsi qu'il peut dire — Lui qui n'a pas fait le péché... et le mensonge ne s'est pas trouvé en sa bouche : “ Aie pitié de moi, Seigneur, car je suis infirme. Guéris mon âme: j'ai péché contre toi! ”, afin que Celui qui porte l'infirmité de l'épouse profère aussi la plainte de l'épouse, et que tout ce qui est de l'Époux soit de l'épouse — donc l'honneur de la confession et la puissance de la rémission. C'est pourquoi il doit dire: “ Va, montre-toi au prêtre ”.

Mc 1,45) — Raconter partout son histoire : C'est le verbe du < Kérygme >, et il s'agit du < Logos >, de la Parole. Ainsi, le lépreux guéri et purifié est devenu apôtre de l'Évangile — comme d'ailleurs Jésus le demandera expressément au démoniaque de Gérasa (Mc 5,19-20 cf. Mc 7,36).

La fin du verset, et plus encore son // En Lc 5,16 rejoint ce qui était déjà dit du besoin de solitude et de prière du Christ, en Mc 1,35* (§ 36 ).

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Bible chrétienne Evang. - § 33. Guérison d'un démoniaque : Mc 1,23-28