Bible chrétienne Evang. - § 111. Jésus, doux et humble de coeur: Mt 11,28-30 // Si 24,19 Jr 31,25)

§ 111. Jésus, doux et humble de coeur: Mt 11,28-30 // Si 24,19 Jr 31,25)


(Mt 11,28-30 // Si 24,19 Jr 31,25)

— Vous tous: Pas d'exclusive à l'invitation. Qui peinez et ployez sous le fardeau: Cela aussi est très général, pouvant s'entendre de la condition humaine tout entière (de même que l'image voisine du < joug >, cf. v. 29-30*). Dans cet appel, on sent la même tendresse réconfortante du Dieu-Homme pour les hommes « las et abattus », dont la vision en Mt 9,36 a provoqué l'envoi en mission des Apôtres, qui occupe les ch. 10-11 de Saint-Matthieu, au terme desquels nous sommes arrivés. Cela aussi est une sorte d'inclusion*, qui donne à tout cet Évangile sur la mission sa tonalité d'heureuse nouvelle pour le soulagement des pauvres.

Le fardeau: de l'examen de la locution « soulever un fardeau », quand elle est prise au sens figuré dans la Bible, G. Lambert conclut qu'il s'agit « de la contrainte que faisaient peser sur la conduite religieuse et morale tant la Loi divine que les oracles prophétiques, comme aussi la doctrine des maîtres de sagesse ou encore les décisions des autorités religieuses » (nrt 1955, p. 963-69).

Venez à moi... Je... : L'oracle est de Yahvé lui-même, par son prophète Jérémie (// Jr 31,25), ou de la Sagesse (// Si 24,19); Jésus les prend à son compte, Lui qui est Dieu et la Sagesse de Dieu, incarnée. Mais son joug (v. 29) ou son fardeau (v. 30), avant de se traduire en loi, prescriptions etc. est donc une relation personnelle de nous à Lui, et c'est cette relation aimante qui rendra tout le reste « léger ». Car nous sommes invités à venir à Lui comme ses disciples (v. 29 a), c'est-à-dire : pour être avec moi, et vous mettre à ma suite — ou plus précisément: « à mon école », puisque le contexte est de révélation. Cf. le // Si 51,23 b, où « Venez à mon école » signifie d'abord: venez à la maison où l'on reçoit l'éducation (v. 26) — mot si fondamental pour la culture tant biblique qu'hellénique. Le lieu de l'éducation, c'est « avec Jésus »; mais bien sûr, pour « se mettre à son école », 2° sens, complémentaire, de l'expression: « venez à mon école ».

Je vous soulagerai: < Soulager > convient pour qui « ploie sous le fardeau ». La Vulgate traduit: « et ego reficiam vos », « je vous referai » comme on parle de < réfection, réfectoire >. De fait, le Christ se donne à nous en < pain de vie >, pour nous refaire et nous donner les forces sur-naturelles nécessaires. Mais le sens général de ce verbe est: « donner le repos » (c'est le même mot qui est traduit «repos » en 29 c. Cf. aussi Mt 12,43 Ap 6,11 Ap 14,13 — Vg. « requiescant »).

Mt 11,29-30 // Is 10,27 Lm 3,25-27 Si 51,23-27 Jr 6,16 — Le joug: est une image naturelle de toute domination oppressive, soit politique (de l'Egypte ou des Grecs, mais tout autant de Salomon sur Israël, ou d'Israël sur les peuples : Lv 26,13 1M 8,18 1M 8,31 1R 12,4-14 Ps 47,4), soit sociale (Is 58,6-9). C'est même, plus généralement, le sort pénible de tous « les fils d'Adam » (Si 40,1). Dieu est le grand libérateur de toutes ces oppressions (// Is 10,27 — où l'on retrouve, mais cette fois suivant un parallélisme strict, joug et fardeau — cf. Is 9,3 ; Jr 30,8 ; Ez 34,27 ; Na 1,13). Mais de son côté, l'Alliance comporte des engagements, qui sont eux aussi comparés à un joug: c'est celui de la Sagesse (// Si 51,26 cf. Si 6,30), nécessaire pour labourer notre terre de façon qu'elle porte de bons fruits (Os 10,11-13). Être infidèle à l'Alliance au contraire, c'est « rompre le joug » (Jr 2,20 Jr 5,5 et ch. Jr 27-28), pour notre malheur, puisqu'on retombe alors sous le joug plus pesant des hommes (Dt 28,48 Lm 1,14). Il est donc sage et bon de « porter le joug de l'Alliance depuis sa jeunesse » (// Lm 3,27). Seulement, le légalisme des Pharisiens avait imposé une charge supplémentaire, écrasante (Mt 23,4); et saint Paul comme le Concile de Jérusalem auront le souci d'éviter que les chrétiens ne tombent dans ce piège (Ga 5,1 et Ac 15,10).

Avec le Christ aussi, on endosse « joug et fardeau », dont les exigences sont même accrues (cf. le Sermon sur la Montagne) — tant il est vrai qu'il n'y a de choix qu'entre « la servitude et le service » (cf. BC I*, p. 212). Pourquoi donc ce joug du Christ est-il « bienfaisant », et son fardeau « léger »?

La réponse vient en 3 points : 1) Comme le faisait déjà pressentir le v. 28*, le joug du Christ est plus et mieux qu'une observance: il naît du lien personnel (d'adoration et d'amour) qui unit les disciples à leur Maître — 2) Ce Maître est « doux et humble de coeur » — 3) En Lui se trouve le « Repos » :

Doux: Cf. § 50 ) — Mt 5,4 a*. Cf. Vtb < Douceur >. La douceur est d'abord le propre de Dieu (Ps 27,4 Ps 90,17). Il l'a manifestée à ses enfants par le don de la Manne (Sg 16,21), comme le Christ manifeste sa douceur en se faisant pain de vie pour ses enfants (cf. v. 28*: « Je vous referai »), non moins que par son indulgence pour les pécheurs (2Co 10,l).C'est d' ailleurs sur sa douceur que ses ennemis l'éprouveront (Sg 2,19), durant sa Passion.

Humble, et humble de coeur: C'est comme « les pauvres qui le sont en esprit » (Mt 5,3*)- Jésus en témoigne en ce qu'étant à égalité avec Dieu, il s'est humilié jusqu'à la Croix (Ph 2,5-8): de l'Incarnation à la Rédemption, le Mystère du Christ est d'obéissance et d'humilité (saint Benoît voit dans l'obéissance le 1° degré d'humilité). Douceur et humilité vont bien de pair (Ep 4,2 etc.). Rien de plus aimable que cette douceur (Si 3,17) ; aussi est-il heureux que l'on s'attache aujourd'hui à présenter Dieu sous ce jour (sur L'humilité de Dieu, plus encore qu'à F. Varillon, Éd. du Centurion 1974, référons à M. Zundel, par ex. A l'écoute du Silence, p. 65 ss). Mais ce n'est pas une raison pour nier ou passer sous silence la grandeur de Dieu ou du Christ: au contraire, c'est parce qu'il est « le Très-Haut » qu'il est si admirable de rester attentif à prendre soin « des humbles choses » (Ps 113,5-6 Ps 138,6), et d'exalter l'humilité de l'homme (Ps 8, dont la tonalité est si // à celle de Mt 11,25).

Vous trouverez* le Repos : Doit s'entendre au sens fort de < Béatitude éternelle >, que ce mot prend dans toute la Bible, de la Genèse (BC I*, p. 44; cf. 266-68,321) à l'Épître aux Hébreux (3,7 à 4,11). Textes patristiques dans pc n, p. 42-48.

// Ex 33,12-17 Jr 6,16 Ps 62,2 — Moïse, exemple de douceur et d'humilité (Nb 12,3 // Si 45,4BC I / Ob ; se trouvent aussi en // à § 50 ) — Mt 5,4 a), est en cela figure du Christ (BC I*, p. 320). Mais il l'est surtout par son intercession après le Veau d'Or, pour obtenir que Dieu reste Lui-même avec son Peuple, pour le guider « jusqu'à son Repos » = le < Repos > qui est celui de Dieu au Septième Jour. Là seulement se trouve « le repos de l'âme » (// Jr 6,16 Ps 62,2), et s'apaise dans la Béatitude absolue notre coeur « inquiet jusqu'à ce qu'il se repose en toi », suivant le mot inoubliable de saint Augustin.

// Si 51,23-27 — Depuis Loisy, on voyait dans l'ensemble de cette longue action de grâces (v. 1 à 30), en 3 parties, le modèle inspirateur des 3 strophes dont se compose la déclaration du Christ en Mt 11,25-30. Cela permettait de supposer que ces versets ne venaient pas de Jésus lui-même, mais que c'était « un produit de la tradition chrétienne des premiers temps ». L. Cerfaux a montré qu'il ne fallait pas forcer les rapprochements, mais ce serait un excès opposé que de trop minimiser les rencontres frappantes entre Mt 11,28 // Si 51,23 v. 29a // V. 26 ; v. 29 c // V. 27 (cf. Rec. Cerfaux III, p. 139-159). Sur l'authenticité, Mt 11,27* — J. Jérémias.

Ces v. 25-30 de Mt 11 trouvent donc leur cohérence interne en ce « doux et humble de coeur »: Jésus est, par excellence, < le tout petit >, le Bien-Aimé de son < Abba > ; à Lui se trouve donc confié le mystère et l'instauration du Règne (v. 25-26), avec pouvoir de le révéler (v. 27 a) à ceux qui se mettent à son école. En cette connaissance est la Vie éternelle (Jn 17,3), en cette douceur la Béatitude (Mt 5,4), et par conséquent le repos.

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§ 112. Les épis arrachés: Mt 12,1-8


(Mt 12,1-8)

— Voir au § 44 *.




§ 113. L’homme À la main desséchée: Mt 12,9-14


(Mt 12,9-14)

— Voir au § 45 *.



§ 114. Jésus, « le serviteur de YAHVÉ » : Mt 12,15-21


(Mt 12,15-21)

— Le cadre général est celui du premier ministère de Jésus en Galilée, avec guérisons multiples, foules, et secret messianique* (v. 16) comme au § 47 ) — Mc 3,7-12*. Mais en citant Is 42,1-4, Mt ajoute une triple indication:

— 1) Dans les controverses des § 112 -113, sous l'interprétation de la Loi du sabbat ce qui était en cause de façon plus radicale, c'était la façon de comprendre l'accomplissement* du Règne messianique. Les Pharisiens l'imaginaient glorieux, extérieur, contraignant. En réalité, parallèlement à l'avènement triomphal de la Fin des temps, les Prophètes laissaient entendre un Messie humble (Za 9,9 So 3,11-13) et persécuté (Lm 3). Les 4 poèmes dits « du Serviteur de Yahvé » (Is 42,1-9 Is 49,1-7 Is 50,4-11 Is 52,13 à Is 53,12) l'annoncent encore plus clairement. En révélant expressément que ces prophéties s'accomplissent en Jésus, Mt apporte une précision fondamentale sur la mission du Christ: c'est sous forme cachée, intérieure et libre, conforme à l'Esprit d'Amour du Dieu-Père, que Jésus nous offre Rédemption et Salut.

- 2) S'il cherche à éviter qu'on Le reconnaisse comme « le Messie », c'est par crainte de la fatale confusion avec tous les messianismes temporels...

- 3) C'est un commentaire au § 111 : « car je suis doux et humble de coeur ».

Mt 12,15-16 — Jésus le savait: Il savait le complot que, déjà, ses adversaires trament contre Lui (v. 14). Il se retira : < Anachôreô >, le verbe grec d'où l'on a tiré le nom des < anachorètes >, ceux qui pour suivre le Christ dans la solitude, quittent le monde et s'en vont au Désert — mais avec Lui. Comme le font les foules (v. 15 b), pour l'instant. // Leur commanda: au sens fort d'un ordre accompagné de menaces, comme en Mt 16,20 et dans le même but: ne pas Le faire connaître : Le, c'est Lui = « ne pas rendre publique son identité » messianique (note Tob).

Mt 12,17-19 — Afin que soit accompli: Cf. § 13 ) — Mt 1,22-23*. La citation d'Is 42,1-4 (qui n'est exactement ni le tm ni la lxx) se termine sur le thème, cher à Mt, du salut des nations (Suite d'Is 42,5-8 ajoutée en //).

// Ag 2,23 Is 42,5-8 — L'élection, par Dieu, d'un homme, pour une mission déterminée, est constante dans l'Histoire sainte, d'Abraham à Moïse ou à Beçaléel et Oholiab (Ex 31), et de David à Zorobabel. Mais Jésus est l'Unique, dont tous les autres ne peuvent être que figures partielles : car Il est l’Unigenitus, en qui se parfait le grand Dessein de l'Amour créateur et rédempteur du Père (Is 42,1b = Mt 12,18b, c'est la Parole révélant le Fils de Dieu en Jésus, lors du Baptême ou de la Transfiguration: § 24 ) — Mt 3,17*).

La suite de la prophétie, non citée par Matthieu, ajoute les signes miraculeux par lesquels Jésus montrera sa mission de Lumière et de rénovation de l'Alliance: v. 6-7, cités par Jésus aux envoyés de Jean-Baptiste (§ 107 ) — Mt 11,4-5*). Les v. 5 et 8 rappellent que si Dieu se met en situation de faiblesse pour laisser à notre réponse la liberté de l'amour, Il n'en reste pas moins le Tout-Puissant et seul Dieu. Dans le même ton de suprême majesté, cf. Is 43,1-4 Is 45,15-25.

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§ 115. « Il perd le sens » : Mc 3,20-21


(Mc 3,20-21)

— Nous retrouvons Mc après une longue interruption (Mc 3,19, au § 49 ). C'est le moment de rappeler que, contrairement à l'apparente spontanéité de cet Évangile, il s'avère d'une composition extrêmement stricte, marquée à la fois par l'organisation générale du récit et par des correspondances minutieuses de vocabulaire, liant les péricopes entre elles tout en les délimitant soigneusement. Cf. la démonstration de Dom Benoît standaert: Év. selon Me. Pour plus de clarté, dressons-en ici le Tableau:

Introduction: 1,1-13) — Jean-Baptiste, Baptême, Tentation au Désert.

1° Partie: narration: 1,14 à 6,13) — Deux grandes sections (A et B) sont encadrées par trois petites unités littéraires : a) b) c) :

a) 1,14-20) — Le Kérygme / Vocation des 4 premiers Apôtres.

A) 1,21 à 3,6 (§ 32 -45) — Miracles, suivis de 5 controverses (2,1 à 3,6).

b) 3,7-19) — Sommaire sur la mission de Jésus / Institution des Douze.

B) 3,20 à 5,43) — C'est donc la section dans laquelle nous entrons:

1) 3,20-35) — Jésus suspecté, même de sa famille (voir détail plus bas).

2) 4,1-34) — Les Paraboles (cf. Introduction au § 125 ).

3) 4,35 à 5,43) — Tempête apaisée, démoniaque, hémorroïsse, Jaïre.

c) 6,1-13) — Jésus à Nazareth / Mission des Douze.

2° Partie: argumentation: 6,14 à 10,52) — Voir au § 146 *.

3° Partie: dénouement: Mc 11,1 à 15,47) — Voir au § 273 *.

Conclusion: 16,1-20) — Le tombeau vide et les apparitions de Jésus ressuscité.

Mc 3,20-21 ouvre donc la 2° grande section de la 1° Partie, centrée sur la grande controverse < Béelzéboul > (§ 116 -119), encadrée par deux scènes sur les rapports de Jésus et de sa famille (§ 115 et 122).


Propre à Mc, l'épisode relaté en 3,21-22 est significatif à la fois de l'empressement des foules (// Mc 6,31) et de l'incompréhension « des siens », « des gens de sa parenté » (Tob), qui « ne croient pas en Lui » (// Jn 7,5).


// Ex 18,13 Ex 18,17-18 Nb 11,16-25 — Débordé, Moïse avait, sur le conseil de Jéthro son beau-père, établi 70 anciens pour l'aider, comme Jésus enverra 70 disciples devant Lui (§ 185 ) — Lc 10,1-12*).

// Perd le sens : N'est pas aussi péjoratif que « Il a perdu la tête » (Tob) : « Dans Mc, ce verbe signifie qu'on est hors de soi par la surprise ou l'enthousiasme (2,12; 5,42; 6,51)... Le sens est donc passer la mesure, être hors de soi... négliger par excès de zèle les règles ordinaires de la vie ». Il pourrait même désigner ici une exaltation prophétique (// 1S 10,10 — mais le verbe est différent) ou mystique, comme en 2Co 5,13, cité par Lagrange : « Si nous avons été hors de sens, c'était pour Dieu ». Cf. « stupéfaits » au § 18 ) — Lc 2,47*.

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§ 116. Guérison d'un démoniaque muet et aveugle: Mt 12,22-23; (Lc 11,14)


(Mt 12,22-23 Lc 11,14)

— Muet comme celui du § 96 , où il est dit expressément que le démon a été expulsé. Aveugle comme ceux du § 95 .

Étaient dans la stupeur: Même verbe qu'au § 115 ) — Mc 3,21*.

// Ps 89,4-5 Ps 89,21-22 — Fils de David est un titre messianique: cf. § 95 - Mt 9,27* ; et § 4 ) — Lc 1,32*. Noter le thème de la Force, provenant de la jonction avec « la main » ou « le bras » de Dieu (v. 22), car il se retrouve au § 117 ) — Lc 11,21-22*. Se demander si Jésus « n'est pas le Fils de David », c'est poser la question de l'origine du pouvoir exercé par le Christ, comme en Jn 7,11-13 ou Jn 10,19-21.



§117. Jésus et Béelzéboul : Mt 12,24-30; Mc 3,22-27;(Lc 11,15-23)


(Mt 12,24-30 Mc 3,22-27 Lc 11,15-23)

- Ces miracles surpassent le pouvoir de l'homme. Donc de deux choses l'une: ou bien ils accréditent Jésus comme « venu de Dieu » : c'est l'interprétation de Nicodème ou de l'Aveugle-né (Jn 3,2 Jn 9,32-33 cf. Jn 10,21) et de tous ceux qui y voient le signe qu'il est le Messie attendu ; ou bien ce Pouvoir vient du Démon. D'où l'accusation des scribes, « descendus de Jérusalem », souligne Marc.

Mt 12,24 Mc 3,22 Lc 11,15 // 2R 1,2-3 — Béelzéboul, prince des démons: Le // avec 2R incite à y voir Baal-Zébub, le Dieu d'Eqrôn (= d'Accaron, une des 5 Cités des Philistins: 1S 5). Son nom signifierait soit < Seigneur des mouches > (se rappeler la fable du lion et du moucheron), soit < Prince Baal >, ce qui se retrouverait en «prince des démons ». La déformation en < Béelzéboul > aurait permis aux rabbins, par un jeu de mots (hébraïque), de le traiter de < Seigneur du fumier >, c'est-à-dire des sacrifices offerts aux idoles. Ce titre de < prince > prépare l'opposition des 2 Règnes, donc la réponse du Christ.

Sont du même bord en effet:
1) Les Anges devenus Mauvais parce que Révoltés (Ap 12,9); ils sont appelés aussi: démons, diable, Satan ou l'Accusateur (§ 27 ) — Mt 4,3*, Dragon, Serpent (Gn 3), tentateurs et menteurs (§ 261Jn 8,44*.
2) Les idoles, car le culte qu'on leur rend s'adresse en réalité aux démons et lie à eux leurs adorateurs (1Co 10,19-20).
3) Les Empires terrestres, dans leur opposition au Règne de Dieu (Da 2 et 7). Nous avons déjà vu, par la Tentation du Christ au Désert, la réalité redoutable de cet Empire du Mal, et qu'elle donne l'envergure du duel entre le Christ et « le Prince de ce Monde » (Jn 12,31*; Jn 14,30 Jn 16,11): cf. § 27 ) — Mt 4,3* (A. Feuillet et J. Dupont). Dans le même sens, après avoir rappelé tout ce qui, dans l'esprit moderne, refuse d'admettre l'existence du diable, R. Guardini lui oppose « l'attitude fondamentale de Jésus, qui se manifeste constamment. La lutte qu'il mène contre la puissance satanique lui est imposée essentiellement par sa conscience messianique... Pour Jésus, il n'y a pas seulement la possibilité du mal, liée à la liberté humaine, ni seulement la tendance au mal, fruit du péché de l'individu et de la collectivité, mais il y a une puissance personnelle voulant essentiellement le mal... Il y a quelqu'un qui se dresse positivement contre Dieu. Il veut ébranler Dieu. Mais comme Dieu est le Bien même il ne peut atteindre son but qu'en cherchant à entraîner le monde dans l'apostasie et le nihilisme » (Le Seigneur I, p 1 30).

// A Béelzéboul: propre à Mc (v. 22) = Il est possédé. Cf. Jn 7,20 Jn 8,48 : « Tu as un démon ».

Lc 11,16 — D'autres, le mettant à l'épreuve: C'est la < tentation >, au sens ou les Hébreux « tentèrent Dieu au désert » (Ex 17 — BC I*, p. 241). Ils lui demandaient un signe: cf. § 120 * et Jn 2,18 Jn 4,48 Jn 6,30. C'était normal, puisque tout prophète doit faire preuve qu'il est envoyé de Dieu par des signes miraculeux (Ex 4,1-9 1R 18,36-39), ou par l'annonce réalisée d'événements à venir (Dt 18,21-22 Jr 28,9 Ez 33,33): car Dieu seul, de par son éternité, connaît ce qui pour nous est à-venir — pas les idoles (Is 41,22 Is 48,3-5). Mais ici, comme après la multiplication des pains (Jn 6,30), ils demandent un signe alors que Jésus vient précisément d'en accomplir un.

Mt 12,25-28 Mc 3,23-26 Lc 11,17-20 — En paraboles (Mc 3,23) annonce le Discours en paraboles de Mc 4 (§ 125 *). Deux Royaumes: revient à la conclusion, Mt 12,28 et Lc 11,20. Deux Cités: image développée par saint Augustin (cf. § 27 in fine). Deux Maisons: nouvelle image qui prépare la suite. Car < Maison > peut désigner non seulement une famille dynastique, et en particulier celle de David (2S 7,11 2S 7,16), mais aussi la maison de pierre dont parlera la 2° parabole (Mt 12,29 et //).

// Da 2,41-44 — Même image de la faiblesse catastrophique qu'introduit la division (cf. G. gaide: Les deux maisons, dans « Ass. S. » 10° D., p. 39-53). Or celle-ci ne joue pas seulement dans la politique ; elle est constitutive du Mal. Dieu, c'est l'Unité ; qui s'éloigne de Lui se divise — entre la Bonté de sa création et le Mal vers lequel il se tourne (cf. BC I*, p. 46) — s'émiette, (re)devient < poussière > (BC I*, p. 44 et 61). Dieu seul est l'Éternel, pas les Empires.

// Ex 8,13-15 (au § 197 ) — Pharaon déjà reconnaissait le doigt de Dieu. La correspondance entre les Évangiles montre que ce « doigt » (Lc 11,20), c'est l'Esprit de Dieu (Mt 12,28). Cf. le < Veni Creator Spiritus >: « Digitus paternae dexterae ». La Dextre du Père, qui est son Fils. Bras — Main — Doigt: une seule et même Trinité. A. George a montré que Luc préfère attribuer à la Puissance, ou au « doigt de Dieu » (et encore: à son bras ou à sa main, en Lc 1,51 et 66), les exorcismes et guérisons du Christ, afin de faire de l'Esprit plus expressément la « source du message, l'onction divine qui consacre Jésus pour proclamer l'Évangile... comme Il a inspiré les prophètes de l’A.T. » (Sur Luc, p. 127-132). Au surplus, le rapprochement avec Moïse (// Ex 8,13-15) désigne le Christ comme « le » prophète annoncé au Dt 18,15-18.

Mt et Lc répondent donc plus expressément que Mc à la question de l'origine du Pouvoir du Christ. Alternative stricte : esprits démoniaques ou Puissance de l'Esprit divin. Mais que ce soit par contradictions internes ou par l'intervention de Dieu, l'Empire du Mal est «fini », comme dit Mc (v. 26), avec un réalisme réjouissant. Ce qu'annonce donc ici le Christ, une fois de plus, c'est le Kérygme* : « mes miracles montrent que le Règne de Dieu est là » Mais alors qu'au début de sa prédication, Jésus l'annonçait seulement comme « proche », ou « s'approchant » (§ 28 ) — Mc 1,15), à présent il est « déjà arrivé » (Lc 11,20 — cf. A. Feuillet, dans DBS « Règne », p. 65) « devant vous » (Mt).

Mt 12,29 Mc 3,27 Lc 11,21-22 // Is 49,24-26 — Autre exemple de domination du Démon par « un plus fort », l'archange Raphaël, dans Tb 8,1-3, en // au § 197 ; avec 2 autres textes de Luc confessant cette Puissance de l'Esprit divin qui était en Jésus: // Ac 10,38 et Lc 4,14, Christ a été annoncé comme le « plus fort » par Jean-Baptiste, § 22Mc 1,7*.

Hilaire : Sur Mt xn (PL 9,988-89) : L'homme fort fut lié quand le Seigneur l'appela < Satan >, qui est le nom propre de sa méchanceté (Mt 4,10 cf. § 27 ) — Mt 4,3*). Et une fois Satan vaincu, le Christ prit ses dépouilles — c'est-à-dire nous-mêmes, qui étions les armes du diable.

Augustin : (attribué à — ) Sermon 37, sur David et Goliath (PL 39,1820). Avant la venue du Christ, le diable était lâché — en liberté. Le Christ survenant fit de lui ce qui est dit dans l'Évangile : « Nul ne peut entrer dans la maison de l'homme fort et piller ses biens, s'il n'a d'abord attaché l'homme fort ». Le Christ est donc venu, et il a attaché le diable. Mais, dira-t-on, s'il est attaché, comment se fait-il qu'il remporte encore tant de victoires ? — C'est vrai, mes frères, il remporte beaucoup de victoires ; mais il ne triomphe que des tièdes et des négligents. Car il est attaché, vraiment, comme un chien dans sa niche ; et il ne peut mordre personne, à part celui qui s'approche de lui par une témérité mortelle. Mais voyons, n'est-il pas fou, l'homme qui se fait mordre par un chien enchaîné ? Ne t'approche donc pas de lui par les voluptés et convoitises du monde, et il n'osera pas s'approcher de toi. Il peut aboyer, il peut provoquer, il ne peut pas mordre, à moins qu'on ne le veuille. Car ce n'est pas par contrainte qu'il entraîne au mal, c'est par persuasion : il n'extorque pas notre consentement, il le demande.

Mt 12,30 Lc 11,23 // Lc 9,49 (et Sg 5,14, au § 197 ) — Qui n'est pas avec moi est contre moi I « Qui n'est pas contre vous est pour vous » (// Lc 9,49) : La contradiction n'est qu'apparente, le cas n'étant pas le même. En Lc 9,49, il s'agit d'une aide pratique d'exorcistes qui, s'ils ne sont pas du groupe des disciples, n'en opèrent pas moins « en ton Nom ». Dans le même sens, cf. Ph 1,15-18. L'Eglise n'a pas le monopole du Bien, et se réjouit que d'autres y contribuent (cf. ch. 4 de « Gaudium et Spes »). Mais ici, quand l'origine du Pouvoir et la Personne même du Christ sont suspectés, ne pas rétablir la vérité par une confession de foi — qui serait prise de parti pour Lui — revient à se ranger du côté de ses adversaires: la rigueur doctrinale s'impose.

Car les deux formules se rejoignent en tous cas sur ce point : il n'y a pas de 3° voie, entre le pour et le contre. Il faut donc choisir, et s'engager. Nous sommes ainsi ramenés à la conclusion du Sermon sur la Montagne (§ 72 -75*), que nous retrouverons plus expressément au § 119 *.

Amasser à bon escient, sinon tout se dissipe '., thème fréquent des Livres de la Sagesse (// Sg 5,14). Une fois de plus, dans l'Évangile, à la Sagesse se substitue Jésus — « avec moi » — puisqu'il est la Sagesse même de Dieu.

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§ 118. Le blasphème contre le Saint-Esprit: Mt 12,31-32; Mc 3,28-30; (Lc 12,10)


(Mt 12,31-32 Mc 3,28-30 Lc 12,10)


— Luc situe une Parole du même type dans un contexte si différent (celui de la Mission) qu'il faudra en traiter alors (§ 204 *). Par contre, cette Parole est rattachée ici à ce qui précède (§ 116 -117), par Mt et encore plus expressément par Mc (Mc 3,30) : le blasphème contre le Saint-Esprit consiste à traiter d'« esprit impur » (= de démoniaque) le très pur Esprit d'Amour qui conduit Jésus à l'affrontement avec le Démon (§ 27 , Mc 1,12*), pour nous en libérer.

Il serait relativement excusable de ne pas discerner, dans les abaissements de sa vie terrestre et de sa Passion, le « Fils de l'homme » ; mais ne pas reconnaître dans ses « oeuvres » l'Amour de Dieu à l'oeuvre pour qu'arrive son Règne, c'est aller à la fois contre le Christ, contre l'Esprit Saint et contre le Père qui les a envoyés tous deux pour nous sauver (§ 330 ) — Jn 15,22-24*).

Si le seul salut est dans l'Amour de Dieu qui anime le Christ à nous le communiquer, suspecter cet Amour et le travestir en visée démoniaque, c'est perdre le seul recours possible, c'est repousser le seul « Don de Dieu » que le Père ait à nous offrir: Lui-même en son Amour:

Hilaire: Sur Mt XII (PL 9,989): Tous les autres actes, ou paroles, sont remis par un généreux pardon ; mais il n'y a pas de miséricorde si l'on nie Dieu dans le Christ... Qu'y a-t-il, en effet, de plus impardonnable que de nier que Dieu soit dans le Christ, et de tenir pour nulle la substance de l'Esprit du Père demeurant en Lui [le Christ], alors que le Christ accomplit toute son oeuvre dans l'Esprit de Dieu, et que Lui-même est le Royaume des cieux, et qu'en Lui il y a « Dieu se réconciliant le monde » ? (2Co 5,19).

// 1Tm 1,13 1Jn 5,16 — « Blasphémer » le Christ et « persécuter » activement l'Église est un des péchés les plus graves, mais pardonnable — et d'autant plus si c'est par « ignorance », dans le cas de Paul non moins que dans celui des bourreaux; aussi le Christ nous a-t-il donné l'exemple en priant pour ceux qui « ne savent pas ce qu'ils font » (Lc 23,34). Ce qui rend un péché « impardonnable », ce n'est pas qu'il soit « trop grand », comme en témoigne l'institution de Pierre comme premier pape, quelques jours après son reniement. La rémission des péchés acquise par le Christ sur la Croix vaut pour tout péché, sans exception.

Le blasphème contre l'Esprit n'est pas un péché comme un autre, seulement plus grand que les autres. C'est une négation, un travestissement ou un rejet de la main que Dieu nous tend. En définitive, cela dépend seulement de nous, et il est remarquable que l'Évangile se refuse à dire positivement: Dieu refuse de remettre quelque péché que ce soit. Une fois de plus, la formule passive évite de mettre directement Dieu en cause: « ce blasphème ne sera pas remis ».

Ce n'est pas un cas chimérique, et le N.T. insiste sur la gravité d'une attitude où il n'y a plus de recours, ni dans la pénitence (He 6,4-7), ni dans la prière de l'Église (// 1Jn 5,16). C'est par définition ce qu'on nomme < l'impénitence finale >, décisive puisqu'il n'y a plus d'« après » pour se convertir et être pardonné. Mais il y a une façon de se mettre sur cette voie-là:

Isaac de l’Etoile : Sermon 39,4 (PL 194,1822; SC 207, p. 322): Voilà le blasphème contre l'Esprit: il enchaîne dans une culpabilité éternelle ceux qu'il a une fois occupés : non qu'un pénitent se voie refuser le pardon s'il fait de dignes fruits de pénitence, mais parce qu'étouffé sous le poids d'une si grande perversion il ne peut pas soupirer vers une digne pénitence. Par un profond et équitable jugement de Dieu celui qui, voyant manifestement la grâce de Dieu et l'opération de l'Esprit Saint dans son frère et ne pouvant la nier, ose, piqué par l'envie, la dénigrer et la calomnier, ose attribuer à l'esprit malin ce qu'il sait parfaitement venir de l'Esprit Saint, celui-là est abandonné par le même Esprit de grâce auquel il fait injure. Alors, sa propre malice l'aveugle et le plonge dans les ténèbres, au point qu'il n'ait plus jamais la volonté de faire pénitence pour être pardonné.

Comme toute Parole de l'Évangile sur l'Enfer*, cet avertissement sur le blasphème contre le Saint-Esprit est donc préventif: le Père, en son Christ, nous prévient avec la dernière vigueur, pour n'avoir pas à déclarer la perdition à laquelle nous nous serions nous-mêmes condamnés...

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§ 119. L’arbre et le fruit, la bouche et le coeur: Mt 12,33-37; (Lc 6,44-45)


(Mt 12,33-37 Lc 6,44-45)

— Conclusion des § 116 -118, sur le même thème avons-nous dit que la finale du Sermon sur la Montagne (§ 73 ) — Mt 7,15-20). Le rapport de la bouche avec le coeur sera développé au § 155 ) — Mt 15,10-20). Le couple « trésor-coeur » (v. 35) se trouve aussi en Mt 6,21. « Engeance de vipères » annonce les invectives du ch. 23 (v. 33), mais rappelle aussi Jean-Baptiste (§ 20 -Mt3, 7*).

Ce qu'il y a de propre ici, est que les bons ou mauvais fruits concernent non pas tant les actes que les paroles, puisque c'est à propos de la mauvaise parole des Pharisiens, invoquant Béelzéboul en Mt 12,24. Une parole peut être aussi décisive qu'un acte (v. 37) si elle est confession de foi — ou son refus comme dans le cas présent.

C'est dans ce contexte qu'il faut comprendre l'expression difficile du v. 36. La Vulgate traduit: « Omne verbum otiosum », « toute parole oiseuse » (Osty). Cela conduirait aux interprétations terribles suivant lesquelles toute parole simplement inutile entraînerait condamnation. En fait, le § 119 roule sur l'antithèse : bon / mauvais ; et au surplus la parole condamnée est celle de Mt 12,24, non seulement « oiseuse », mais blasphématoire (§ 118 ) et, pourrait-on dire, « inspirée par le Mauvais ».

Plus précisément encore, le mot grec de l'Évangile est < Erg on > avec le < a > privatif: < Argon >. Au sens actif, il est vrai, ce mot peut signifier « sans efficacité, donc oiseux ou vain » (cf. Je 2,20 ; 2P 1,8). Mais J. Viteau a montré qu'il pouvait aussi prendre un sens neutre ou passif, d'accusation sans fondement réel, en particulier de calomnie (comme c'est précisément le cas des Pharisiens en Mt 12,23). Chrysostome l'avait bien dit: < Argon > désigne ici « la parole qui n'est pas posée sur une chose réelle, la parole contenant le mensonge, la dénonciation calomnieuse » (cf. le dossier plus complet donné par J. viteau à la fin de cet article, dans Suppl. vs 1931, p. [16]-[28]).

// Dt 32,33 Ps 140,4 Ps 58,5-6 Jb 20,16 — Symbole naturel de la langue fourchue et de la morsure empoisonnée des vipères.

// Pr 15,28 Pr 18,4 Pr 18,21 Si 21,26 Je Si 3,6 Si 3,2 — Les pouvoirs, les méfaits, la garde nécessaire de la langue, sont un des thèmes sur lesquels reviennent le plus souvent les Livres Sapientiaux. Cf. Vtb « Langues » et « Lèvres et coeur ».

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§ 120. Jonas et la reine de Saba : Mt 12,38-42; (Mc 8,11-12); (Lc 11,16 Lc 11,29-32).


(Mt 12,38-42 Mc 8,11-12 Lc 11,16 Lc 11,29-32)

La demande de signes revient en Mt 16,1-4, en // avec Mc 8,11-12 Mc 8, se situe plus tard en Lc 11, mais dans un contexte semblable (Béelzéboul et la suite, Lc 11,14-26).

Mt 12,38 Mc 8,11 Lc 11,16 — Voir un signe (Mt)... venant du ciel (Mc et Lc). Sur le signe, cf. § 29 ) — Jn 2,11*. Sur le passage de voir à croire, cf. § 10 ) — Lc 2,15*. Sensible, le miracle donne à la raison l'assurance du fait, constaté. Mais le prodige dépassant le pouvoir naturel, est signe de l'intervention, soit de Dieu soit du démon. D'où l'accusation des Pharisiens au § 117 . Jésus leur a démontré que ce ne pouvait venir de Béelzéboul, et que l'alternative étant stricte, ils devraient conclure que cela vient de Dieu, ou « du ciel ». Il a satisfait la raison : d'où vient que ses adversaires demandent encore des preuves ? — C'est que la raison n'est jamais si sûre de ses inductions qu'elle ne puisse remettre ses certitudes en chantier, comme nous le voyons tous les jours, dans toutes les sciences. Dans l'ordre de la science, la certitude n'est jamais absolue. Celle-ci n'est donnée que dans la foi, qui est d'un autre ordre que celui de la raison, non pas contraire, mais différent: « La raison est une lumière, tout comme la foi. C'est une lumière d'ordre inférieur ; c'est une servante de la foi; elle doit lui être soumise ; mais elle ne s'oppose pas à elle; il faut qu'un accord profond règne entre elles; et la foi elle-même n'est pas vraie foi si elle est contre la raison. En définitive, elles ne font qu'un; elles sont l'une et l'autre le reflet ici-bas de la Vérité et de la Lumière infinie ; mais l'une se conforme aux lois de notre esprit qui cède à une démonstration intérieure du vrai, l'autre lui demande de s'incliner devant une démonstration extérieure, qui est un témoignage direct de Dieu. Dans les deux cas, l'esprit humain ne se donne qu'à la Lumière; mais dans le premier cette lumière est en lui, et c'est à lui-même qu'il croit...

Le miracle n'est qu'un moyen; il mène au seuil de la foi, dans le vestibule des appartements intimes où le Maître nous appelle et nous attend; beaucoup restent au vestibule ; une porte encore reste à franchir. On ne croit pas au miracle, on croit à celui qui l'opère pour attirer jusqu'à lui. On voit le miracle qui est un appel, et on suit la voix qui appelle. On peut se trouver soi-même, goûter la satisfaction ou de curiosité assouvie ou de raison contentée. Ce terrain est encore le terrain de l'homme. La foi vraie le quitte ; elle sort de soi; l'esprit du croyant ne se livre pas parce que sa raison est satisfaite et qu'elle voit qu'il faut croire ; il se livre quand sa raison est satisfaite, quand elle dit: « Je permets de le faire, on ne va pas contre moi en le faisant », mais non parce que le laissez-passer est accordé. On croit parce que Dieu parle, on croit à Dieu qui parle; on croit pour s'unir à Lui dans cet acte, pour que les deux esprits n'en fassent qu'un » (Dom Guillerand: L'abîme de Dieu, p. 134 et 142).

L'acte de foi est don de soi, et ce don est si profond que lui-même doit nous être donné: c'est la grâce de la foi. Grâce que chacun peut refuser ou ratifier librement, ce qui est l'origine et la définition même de notre Alliance avec Dieu (BC I*, p. 80, 253).

Mt 12,39-41 Mc 8,12 Lc 11,29-30) // Jon 2,1-7 Jon 3,4-10 — À cette génération (§ 108 *), aucun signe ne sera donné, sinon le signe de Jonas : Dès l'époque de la première tradition, la signification de cette réponse n'était plus tout à fait claire. Matthieu l'explique de la mort et de la résurrection de Jésus, apparemment préfigurés par le destin de Jonas qui séjourna trois jours et trois nuits dans le ventre d'un poisson... Luc, par contre, compare directement la génération de Jésus aux Ninivites qui ne reçurent d'autre signe que le prophète lui-même et son appel à la pénitence. Il y a bien des raisons de croire que c'est là le sens premier. Quoi qu'il en soit, les deux courants ont en commun deux éléments : le signe de Jésus, c'est Jésus lui-même, et en même temps et de son chef, il consiste dans l'offre de son message. Or ce message est un appel à la pénitence dans l'imminence du salut et du jugement. Ce lien entre pénitence et grâce, entre pénitence et eschatologie, devient perceptible à qui scrute le signe de Jonas. Ninive a, de soi, encouru sa perte, elle mérite sa ruine. La grâce inattendue et imméritée de la ville pécheresse consiste en ce que, malgré son oubli de Dieu, le prophète est envoyé pour lui révéler son destin et lui offrir une chance de repentir. L'invraisemblable se produit ; la ville fait pénitence, et ce qui est plus invraisemblable encore et immérité, après comme avant, c'est que la ville est épargnée... La pénitence elle-même apparaît ici comme la grâce, d'une part parce qu'elle est offerte, de l'autre parce qu'elle est acceptée. C'est dans ce contexte que se présente la prédication de Jésus qui, avec autorité, appelle à la pénitence comme grâce, et, pour cette raison, s'adresse précisément aux pécheurs et se fait comprendre d'eux (J. Ratzinger : La mort... p. 40).

Tel est bien le signe essentiel de Jonas : l'appel à la grâce de la pénitence (= le Kérygme*). Mais il a valeur de < signe > par ce qui dans Jonas préfigure le Christ (de façon évidemment très imparfaite, comme on le voit aux ch. 1 et 4) ; et ce qu'il annonce déjà, c'est le transfert aux païens (Ninivites) de l'élection jusque-là réservée à Israël — thème déjà souligné par Jésus en Mt 8,11-12 (§ 84 ). Cf. D. Marquerai: Le Jugement... p. 265-287. Les Pères soulignent à la fois le // Entre Jonas et Jésus — jusque dans les détails, par exemple du sommeil de Jonas (Jon 1,5) comme de Jésus durant la tempête (§ 88 ) — Mt 8,23-27 — et le transfert des Juifs aux païens :

Pierre Chrysologue : Sermon 37 (PL 52,304): La fuite du prophète devient une figure du Seigneur lui-même, et un terrible naufrage est le mystère symbolique de la Résurrection du Seigneur. ... « Jonas s'enfuit loin de la face du Seigneur », dit l'Écriture. Or, notre Seigneur, quand il a pris l'aspect et la forme d'un homme, n'a-t-il pas fui la forme de la divinité qu'il possédait ? Car l'Apôtre dit: « Lui qui était Dieu par nature, il ne regarda pas un seul instant l'égalité avec Dieu comme une proie à conquérir ; mais au contraire il s'en vida, prenant la nature d'esclave » (Ph 2,6-7).

Le Seigneur prit la forme d'esclave pour être ignoré du monde, pour supplanter le diable : il se fuit lui-même en prenant la forme d'homme. Et le type du Christ est observé dans les paroles mêmes de Jonas ; car il n'a pas dit : « Je fuis Dieu », mais « Je fuis loin de la face de Dieu » (Jon 1,16). Dieu est partout : il n'a pas où se fuir. Le Christ n'a pas fui dans un lieu ; mais, comme pour fuir par son aspect la face de la divinité, il s'est réfugié dans le visage de notre servitude...

Jonas demande lui-même qu'on le jette à la mer; par là, il figure la Passion du Christ, qui fut volontaire. Car pourquoi les mariniers attendent-ils son ordre, alors qu'ils pourraient si bien se débarrasser de lui spontanément? Quand le salut de la multitude exige la mort d'un homme, on remet la décision entre les mains de celui qui doit mourir... Dans l'histoire de Jonas, où tout arrive en figure du Seigneur, on attend la décision de Jonas, de sorte qu'il ait le pouvoir de mourir, non la nécessité de mourir : « J'ai le pouvoir de déposer mon âme, et le pouvoir de la reprendre : personne ne me l'enlève » (Jn 10,18).

... Une énorme bête marine accourt des profondeurs, afin d'accomplir tous les signes qui représentent la Résurrection du Seigneur ; ou plutôt, elle va concevoir et enfanter le mystère. Elle est là, image horrible de l'enfer ; elle se jette, gueule ouverte, sur le prophète. Elle ressent la force de son Auteur ; et elle l'engloutit, mais, toute tremblante, elle lui prépare et adapte un séjour à l'intérieur d'elle-même; et elle devient le moyen de transport extraordinaire d'une navigation imposée d'en haut. Elle porte Celui qui la porte; et après trois jours, elle le rend aux régions supérieures... Elle apporte aux nations ce qu'elle avait enlevé aux Juifs.

Aux Juifs qui demandaient un signe, le Seigneur a décidé de donner ce signe unique, pour qu'ils sachent que la gloire messianique est transférée chez les nations... En toute justice, donc, les Ninivites se lèveront au Jugement, et condamneront cette génération, car ils firent pénitence à la prédication d'un seul prophète : et ce prophète était un naufragé, un étranger, un inconnu.


Mt 12,42 Lc 11,31 // 1R 10,1-9 (au § 200 ) — Salomon est le type même du sage, comme Jonas l'est du prophète (cf. D. Barsotti: Jonas, Téqui 1974, p. 19-20). En se proclamant plus que Jonas et plus que Salomon, Jésus se donne comme l'accomplissement* non seulement des prophéties, mais des prophètes et des sages, parce qu'il parle et agit — comme il l'opposait à l'accusation des Pharisiens — sous l'emprise de l'Esprit même de Prophétie et de Sagesse. En cela, c'est lui-même, Jésus, qui est le signe. Mais en outre, comme les Nini-vites la Reine de Saba est une païenne, figure de cette Église à naître, composée surtout d'ex-païens. Donc c'est encore une annonce voilée du transfert de l'héritage d'Israël aux Nations.

(Mt 16,2-3 Lc 12,54-56, aux § 160 et § 213 — Réponse complémentaire à la demande des signes : opposition entre la sagacité des hommes pour les réalités terrestres, et leur aveuglement devant les signes des temps.

L'expression est de mode, si bien qu'on en use à tort et à travers. Mais il s'agit très précisément ici des « temps » cruciaux ouverts par la venue de Jean-Baptiste et du Christ, ceux de « cette génération » (Mt 16,4 — cf. § 107 -108, — Mt 11,12-13* et 16-19*). On peut le vérifier par le // de Lc 12,54-56, « ces temps-ci ». Les signes sont les miracles, les exorcismes (§ 197 *), mais aussi l'accomplissement des Écritures, notamment « la Bonne Nouvelle annoncée aux pauvres » (§ 106 *). C'est tout cela qui devrait permettre de reconnaître en Jésus comme un « visage du ciel » : « Qui m'a vu, Philippe, a vu le Père », qui est dans les cieux (Jn 14,9). C'est donc parallèle à un reproche de Jésus à Nicodème : « Si vous ne croyez pas quand je vous parle des choses de la terre, comment croirez-vous si je vous parle des choses du ciel? » (§ 78 ) — Jn 3,12). Jésus lui-même, de son incarnation à son mystère pascal, est le signe des temps où se révèle l'éternel Dessein de Salut du Père pour ses enfants les hommes. Autrement dit, les signes des temps, c'est le Règne de Dieu, à nous proposé en Jésus (1° point du Kérygme*).

// Sg 8,8 Sg 8,1-3 Sg 7,15-19 (au § 160 ) — Extraits des ch. Sg 6 à Sg 9 exaltant la quête de la Sagesse, notamment par le jeune Salomon. Encore mieux devons-nous rallier le Christ, plus grand que Salomon parce que Sagesse de Dieu incarnée.

// Is 7,10-14 (au § 213 ) — Excès inverse: refuser les signes est aussi impie que de les chercher ailleurs qu'où ils nous sont donnés. Car pour Achaz comme pour les contemporains du Christ comme pour nous, il n'y a d'autre signe que l’Emmanuel (et tout ce qui est reconnu par l'Église comme s'y rattachant).

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Bible chrétienne Evang. - § 111. Jésus, doux et humble de coeur: Mt 11,28-30 // Si 24,19 Jr 31,25)