Bible chrétienne Evang. - § 121. Le retour du mauvais: Mt 12,43-45; (Lc 11,24-26)

§ 121. Le retour du mauvais: Mt 12,43-45; (Lc 11,24-26)


(Mt 12,43-45 Lc 11,24-26)

— C'est la suite de l'histoire amorcée dans la parabole de « l'homme fort », à laquelle, dans Saint-Luc, ces versets 24-26 se rattachent directement puisque la parabole se trouvait aux v. 21-23 (§ 117 ) — Mt 12,29*).

L'esprit impur*, expulsé par le « plus fort », se réfugie dans les lieux arides: Le désert est symbole ambivalent, soit de l'Exode et de la quête de Dieu, soit de l'inhumanité du monde démoniaque (§ 27 ) — Mt 4,1*).

Les // Lv 16 et Is 34,14 Is 34,16 réfèrent au même symbolisme. Le Christ, notre « bouc émissaire » chargé de nos péchés, l'a repris à son compte en allant affronter Satan au désert (§ 27 - — cf. Vtb « Démons » et « Désert »).

Il ne trouve pas le repos: Le démon ne se trouve bien ni au désert, ni dans son enfer: cf. § 142 ) — Lc 8,31*. Il est mieux avec nous, pour notre malheur ou au moins notre grand péril (Ap 12,12).

Mt 12,43-45) — Sept esprits plus mauvais: C'est toujours la loi de la supériorité des forces, donnant victoire au nombre ou à la valeur des assaillants.

Le dernier état devient pire: L'avertissement s'adresse premièrement, d'après le contexte, à « cette génération » dont les foules acclamant le Fils de David aux Rameaux, et criant « à mort » le Vendredi Saint, sont un exemple terrible. Mais de façon plus générale, c'est une image de l'endurcissement du coeur, quand il retombe dans le mal (Sur le mystère de la liberté de l'homme, malgré tout, cf. BC I*, p. 214-215 et 216-217, à propos de Pharaon).


// 1R 11,4 Ex 14,11 Jr 5,8-9 Jr 5,14 2P 2,19-22 — Salomon idolâtre, les Hébreux voulant revenir à l'esclavage d'Egypte sont d'autres exemples de ce dont préviennent tous les maîtres spirituels : ne pas avancer, revient à reculer. La conversion est à maintenir en permanence. Sinon, « corruptio optimi, pessima ». C'est le thème de La vie de Moïse, par Grégoire de Nysse. Mais Jésus lui-même en avertit l'infirme de Bethesda: « Te voilà guéri; ne pèche plus, afin qu'il ne t'arrive pas quelque chose de pire » (§ 148 ) — Jn 5,14). Avertissement développé dans le // 2P 2,19-22 2P 2,

p. 349

§ 122. La famille de Jésus: Mt 12,46-50; Mc 3,31-35; (Lc 8,19-21)


(Mt 12,46-50 Mc 3,31-35 Lc 8,19-21)

— Le plan de Marc, s'en tenant à l'épisode essentiel de < Béelzéboul > (Mc 3,22-30), souligne mieux cette incompréhension des adversaires du Christ, en l'encadrant par la réaction pour le moins trop naturelle de sa propre famille en Mc 3,20-21, propre à Mc (§ 115 *), et Mc 31-35.

Sa mère et ses frères: Sur « les frères de Jésus » (= ses proches parents), cf. § 9 , Lc 2,7*. Nous y reviendrons au § 144 *, où ils sont même nommés.

Ils sont debout, dehors (Mc), sans pouvoir l'approcher à cause de la foule (Lc) assise autour de Lui (Mc) : Saint-Marc fait voir la scène.

Mt 12,48-50 Mc 3,33-35 Lc 8,21 — Qui est ma mère? Marie répond mieux que tout autre à la désignation de « ceux qui écoutent et accomplissent la Parole de Dieu » (§ 4 ) — Lc 1,38* ; § 10 ) — Lc 2,19*). Cependant, le propos est sensible — et dut l'être encore plus au coeur de la mère — d'élever ses interlocuteurs à la perspective de la foi. Ceux-ci parlaient de parenté naturelle, limitée à quelques membres plus ou moins proches par le sang et par le coeur. Jésus répond qu'il y a meilleure parenté, plus immédiate, intime et ouverte à « quiconque » le reçoit (Jn 1,12-13*) et accomplit sa parole (propre à Lc, mais conforme à la finale du Sermon sur la Montagne). Une telle réponse ne s'adressait pas tant à Marie, qui n'en avait pas besoin, qu'à ses auditeurs, donc à nous. Invitation et avertissement indirect: si la parenté du sang ne suffit pas, une foi qui n'irait pas jusqu'aux actes non plus ! (§ 74 *).

// Gn 12,1 Rt 1,8 Rt 1,16 Dt 33,9 — Exemples de ruptures occasionnées par cet appel de Dieu à entrer dans l'Alliance, comme dans une nouvelle Famille.

// Dt 6,6 Dt 30,14 (et Dt 6,3, en // au § 140 ) — Dt 6,6 suit immédiatement le premier commandement de l'Amour de Dieu en quoi se résume l’A.T. Dt 30,14 est cité en Rm 10,8 pour encourager à la confession de la foi. Être de la famille de Jésus, c'est bien vivre dans la foi et la charité.

// Lc 2,48-50 Jn 14,23 (au § 140 ) — Autres exemples de la perspective à laquelle nous invite le Christ, en toute occasion: celle de notre plus précieuse « famille », avec le Père, par le Fils, dans l'Esprit.



§ 123. La pécheresse pardonnée: Lc 7,36-50


(Lc 7,36-50)

— On l'aura remarqué: depuis les paragraphes 106-108, à propos de Jean-Baptiste (= Lc 7,18-35), tous les passages cités en synopse avec Mt et Mc étaient pris à d'autres chapitres de Saint-Luc, postérieurs pour la plupart. Aussi, le présent épisode est-il immédiatement la suite des v. 34-35, sur la réputation que ses adversaires faisaient au Christ d'être « grand mangeur et buveur de vin, ami des publicains et des pécheurs ». Mais, ajoutait Lc, « la Sagesse est justifiée par ses oeuvres ». En voici la meilleure preuve ; car dans cette grande scène de l'Évangile, propre à Le et bien dans sa tonalité propre, festin et pécheurs se retrouvent, justifiant la Sagesse incarnée dans l'exaltation de sa divine Miséricorde (Sur la marque lucanienne de ces versets jusque dans son vocabulaire, cf. J. Delobel: L'onction par la pécheresse, dans etl 1966, p. 415-475).

Lc 7,36-37 — Un Pharisien le pria de venir prendre un repas: comme en 11,37 et 14,1. Les ponts ne sont pas rompus; mais à chaque fois, l'entretien révélera l'opposition foncière entre les points de vue des Pharisiens et de Jésus. Les repas jouent un grand rôle chez Saint-Luc: cf. § 223 *.

Grégoire de Nysse : De poenitentia, Ed. Morel II, p. 165: Le Seigneur, invité chez le Pharisien, ne repousse pas celui qui l'invite — pourtant, son hôte n'est pas de ses disciples, il ne croit pas en Lui... Pour quoi saint Luc nous a-t-il écrit ce chapitre ? Peut-être pour nous donner en exemple la conduite du Christ quand il vivait dans la chair. Car plusieurs sont très contents d'eux-mêmes, et traitent de « pécheurs » ceux qui viennent à eux- ils n’attendent pas le Jour du Jugement pour se séparer des boucs, car ils se croient de vrais agneaux. Et voyant déjà les portes du ciel s'ouvrir devant eux, ils ne veulent partager avec les autres ni le logis ni la table.

Entrant dans la maison... Jésus se mit à table : Les v. 44-46 expliqueront pourquoi le style est si sec, à l'image de l'accueil du Pharisien. Étendu sur un lit bas, Jésus a les pieds nus, tournés vers l'extérieur.

Et voici* une femme: Sans verbe, comme pour une mise en présence, muette encore, des personnages : Jésus, la pécheresse diffamée — Dieu et l'homme !...

Grégoire le Grand: Hom. 33,1 (PL 76,1239) : Parce que Marie vit clairement les taches de sa honte, elle courut les laver à la source de Miséricorde, et elle n'eut pas honte devant les convives. Elle avait, à l'intérieur, si grande honte d'elle-même, qu'elle ne craignait plus aucune honte à l'extérieur... Qu'admirer le plus, mes Frères ? Marie qui vient, ou le Seigneur qui la reçoit ? Mais devrai-je dire qu'il la reçoit, ou qu'il l'attire ? Mieux vaut dire qu'il l'attire et la reçoit, car il l'attirait au-dedans par sa miséricorde, Celui qui, au-dehors, la recevait avec bonté.

Beaucoup objectent étourdiment contre l'aveu des péchés que, dans l'Évangile, le Christ pardonne sans confession préalable. Mais il y a tant de façons d'avouer, dont les nôtres — si discrètes — sont loin d'être aussi pénibles et spectaculaires que celle de la pécheresse ! Autres < confessions > encore, spontanées comme celle du Bon Larron (§ 353 ) — Lc 23,41*) ou requises comme celle de Simon Pierre (§ 372 ) — Jn 21,15-17*). Si l'aveu est indispensable, c'est qu'à ne pas se reconnaître coupable, on perdrait comme les Pharisiens jusqu'à la capacité de recevoir le pardon, toujours offert.

un vase de parfum: C'est le seul point vraiment commun avec l'onction de Béthanie, où le geste de Marie, soeur de Lazare, prendra une signification très différente, du fait de la proximité de la Passion (§ 272 *).

Lc 7,38 // Ct 3,1 Rt 3,7-15 — Le s'en tient à la < séquence > quasi cinématographique des gestes. Les // Du Cantique ou de Ruth font entendre l'humble amour manifesté par ses < attentions >. Ruth il est vrai, est tout le contraire d'une pécheresse publique; mais elle est moabite, donc d'origine païenne et méprisée (Gn 19,30-38). C'est sa rencontre avec Booz qui lui donnera d'être intégrée au Peuple élu, si bien qu'elle sera spécifiée aïeule du Christ en Mt 1,5* (§ 12 ) — comme cette pécheresse est notre ancêtre à tous, sur la voie de la conversion.

La Tradition chrétienne se plaît même à tirer leçon de chacun des gestes de cette < confession > : elle reste en arrière, comme indigne mais aussi parce qu'on ne saurait approcher de Dieu que « par derrière » (Ex 33,20-23 — BC I*, p. 269-272) ; elle se tient à ses pieds, qui sont une manifestation si tangible de la corporéité du Sauveur; cependant, la déférence dont cette femme les honore témoigne qu'en ce « symbole de son Incarnation, elle croyait saisir son Dieu et son Créateur », auquel s'adressait l'imploration silencieuse de sa seule attitude. Ses larmes sont de repentir, et valent plus que les sacrifices au regard de la Miséricorde (Ps 51,19 et Mt 9,13, § 42 in fine). Ses baisers sont expression d'amour: le verbe composé précise : « elle tenait ses pieds en ne cessant de les embrasser ». Le parfum consacre à son Seigneur le superflu dont elle usait jusque-là pour elle-même... Ce n'est pas seulement une scène attendrissante, mais une figure exemplaire de l'attente secrète de l'humanité (// Ct 3) depuis le Péché d'Adam, et le miroir de sa Rédemption:

Aelred de Rievaux: Jésus à 12 ans, n° 26-27 (PL 184,865-66; SC 60, p. 110-112) : Entre dans la maison de Simon le Pharisien : vois avec quel visage paternel, doux, heureux, clément, le Seigneur regarde la pécheresse prosternée à ses pieds. Compatissant, il accepte que ses pieds sacrés soient baignés des larmes d'une pénitente, essuyés par ces cheveux qui jusqu'alors étaient l'enseigne de l'orgueil et du plaisir coupable ; il donne ses pieds à baiser, à des lèvres souillées par tant de fautes avilissantes.

Bienheureuse pécheresse ! Baise, oui, baise les pieds qui écrasent la tête du serpent (Gn 3,15), devant lesquels sort l'antique ennemi (Ha 3,5), qui piétinent les vices, prosternent toute la gloire de ce monde, écrasent avec une puissance étonnante les cous des superbes et des orgueilleux. Oui, baise de tes lèvres bienheureuses les traces de ces pieds, afin qu'après toi nul criminel n'ait peur, nul grand pécheur ne s'enfuie, nul indigne ne se retire. Baise et embrasse ces pieds qu'adorent les Anges et les hommes ; répands le parfum de la pénitence et de l'aveu, et que toute la maison soit remplie de l'odeur du parfum!

Malheur à toi, Pharisien ! tu ne sais pas quelle suave odeur répand, devant la Miséricorde, la misère confessée de cette misérable pécheresse, combien plaît au Père la confession du péché, quel sacrifice agréable est pour lui la contrition du coeur, combien un amour brûlant a vite fait de consumer le péché. Je te rends grâces, ô Bienheureuse pécheresse! Tu as montré au monde un lieu sûr pour les pécheurs : les pieds de Jésus, qui ne méprisent personne, ne repoussent personne...

Lc 7,39 // Nb 19,22 — La Loi mosaïque semblerait donner généralement raison à ce Pharisien. Mais Jésus n'est pas seulement un prophète, ni même le prophète messianique annoncé par Moïse (Dt 18,15-18, donné en // au § 19 -Jn 1,21*): il est Dieu, la Sainteté même, « source de toute sainteté » (2° Prière eucharistique). L'impur ne saurait le contaminer puisque c'est Lui, à l'inverse, qui communique aux malheureux pécheurs quelque chose de sa sainteté, ou de sa force de guérison (§ 143 ) — Lc 8,43-46*).

À cette vue: Le Pharisien s'en tient aux apparences, et au passé de cette femme. Elle est < classée > ; et il l'enfonce dans sa situation de pécheresse publique, en toute bonne conscience puisque la réprobation de la Bible pour la prostitution est sans équivoque (Pr 6,24 à 7,27, etc.). Pour provoquer ainsi le mépris, par sa venue, il faut à cette femme plus de courage que pour solliciter les autres au péché ! Un courage qui lui vient de sa foi (v. 50) en la divine Miséricorde (// Ps 18,17-19 Ps 18,2-3).

De fait, à l'inverse de la réaction pharisienne, Jésus, étant Dieu, non seulement « sonde les reins et les coeurs », mais c'est Lui qui, dans son Amour désireux de se donner, et par suite en quête de qui voudra bien le « recevoir » (Jn 1,12*), a créé ce coeur humain pour cela. Il peut donc faire crédit à cette (actuellement) pécheresse, en vue de la transformation intérieure à venir, amorcée déjà grâce au rayon de lumière de la foi et de l'espérance (donné aussi par Dieu) qui l'a guidée dans cette démarche. C'est le propre de tout amour, même pauvrement humain — mais dans la mesure où il est ainsi « à l'image de » l'Agapè de Dieu — que cette bienveillance re-créatrice, illustrée par Tolstoï dans le roman qu'il intitula pour cela même : Rédemption :


d. et a. von Hildebrand : The Art of Living, Chicago 1965, p. 65-67: Une caractéristique fondamentale de l'amour est que toutes les bonnes qualités de celui qu'on aime sont considérées comme l'expression authentique de son vrai moi, tandis que ses défaillances sont interprétées comme une infidélité envers son être véritable. Dire « Ce ri est pas son vrai lui » quand il commet une faute, voilà le mot typique de l'amour...

Ceci est la « nouveauté » du crédit que l'amour, et l'amour seul, ouvre à celui qu'il aime. Ce crédit est une marque spécifique de l'amour du prochain. Cet amour répond à la valeur ontologique de la personne, à son caractère comme « image de Dieu », voyant en lui la lumière de la « similitudo Dei » qu'il est appelé à atteindre en se sanctifiant. Ainsi, toute faute du prochain est vue comme une infidélité à son caractère d'image de Dieu, comme une apostasie par rapport à son être vrai.

L'amour n'est donc nullement aveugle sur les fautes de celui qu'il aime; mais il les approche par une tout autre voie que le spectateur indifférent. Soulignons que cette approche de l'amour est en réalité beaucoup plus objective, beaucoup plus vraie, que celle de l'observateur neutre. Et non seulement elle est plus objective, mais elle est la seule objective et adéquate, parce que seule elle est vraie envers la nature de la personne. Ce crédit est un grand don : il implique un élément d'espérance qui réconforte le bénéficiaire, et lui vient en aide à un degré incroyable...

C'est précisément cette foi qui donnera à celui qu'on aime le courage de combattre ses propres fragilités. Nous tenons pour certain qu'il y a des personnes qui ne trouveront jamais la force de combattre leurs propres défauts, parce qu'elles n'ont jamais rencontré personne qui veuille croire en elles. La foi est un élément essentiel de l'amour. Et celui qui cesse d'aimer sous prétexte que la vraie image de celui qu'il aime est momentanément voilée d'ombre, celui-là n'a jamais aimé vraiment.

Parce que l'amour est essentiellement lié à la foi, il est aussi intimement lié à l'espérance: l'espérance que celui que j'aime deviendra un jour ce qu'il est appelé à être. L'espérance est patiente. Alors que l'homme impatient tombe dans la révolte et le désespoir, celui qui aime vraiment possède une espérance si vivante qu'elle fait confiance: ce qui n'est pas accompli aujourd'hui, le sera demain. L'amour ne force pas le rythme : avec patience et révérence, il accepte le rythme de développement propre à l'autre, parce qu'il a toujours confiance: l'autre deviendra vraiment ce que je sais qu'il doit être.

Nous voyons maintenant que les trois vertus théologales, foi, espérance et charité, donnent une clé pour comprendre tout amour humain : tout amour, qu'il soit paternel, filial, amical, sponsal, ne peut atteindre pleinement ce à quoi il aspire que s'il est transformé par le Christ. C'est seulement quand l'Esprit de charité le pénètre d'un souffle de bonté divine et d'héroïque don de soi, que l'amour est fidèle à sa propre essence.

Cette transformation n'atténue en rien le caractère spécifique de chaque type d'amour. Au contraire, tous les traits typiques de chaque catégorie seront parfaitement développés quand cette transformation sera intervenue. Le Pape Pie XII a exprimé cela admirablement quand il a dit : « Dieu, avec son amour, ne détruit ni ne change la nature, mais il l'amène à sa perfection ».

Ce jeu subtil et infiniment discret du « crédit de l'amour », Jésus l'explique à l'aide d'une < parabole >, qui peut servir d'introduction à celles que nous allons trouver dans les prochains paragraphes (Mt 13, Mc 4, Lc 8).

Lc 7,40-47) — C'est en effet l'exemple même au moyen duquel J. Dupont montre que la parabole peut être pour le Christ un moyen de « poursuivre le dialogue » avec un interlocuteur buté. En obtenant de lui un accord, à propos d'une < histoire > apparemment neutre, appelant une réponse de bon sens (donc difficile à refuser), Jésus amène même un récalcitrant à Lui accorder ce qui, de front, l'aurait bloqué (Pourquoi des paraboles 1P 5 1P 4-57). Autre type de cette façon de faire, la parabole de Natân, provoquant l'indignation de David contre ce riche en qui le prophète n'a plus qu'à le faire se reconnaître: « Tu es cet homme! » (2S 12).

(Lc 7,40 — Simon : Au Pharisien, jusque-là anonyme, Jésus donne son nom au moment où le dialogue va donner à leur rencontre valeur plus intime et personnelle — car rien n'empêcherait Simon de reconnaître ses torts, comme cette pécheresse, et d'entrer comme elle dans l'intimité de l'amour. Le Sauveur nous appelle tous, toujours, y compris Judas à Gethsémani (§ 338 *): il a « quelque chose à te dire »...

Lc 7,41-43) — Deux débiteurs: « En araméen, la notion de < péché > s'exprime par < dette >, et la notion de pardonner par remettre (proprement, < laisser là, abandonner >) la dette » (jouôn : La parabole des deux débiteurs, dans « Rech SR » 1939, p. 616). Mais il est surtout notable que la parabole nous élève des deux débiteurs-pécheurs au Créditeur-Créateur, qui prend l'initiative: « // Leur remit leur dette ». Simon l'a bien compris, qui répond non pas : « la gratitude sera plus grande pour celui à qui il a été plus remis », mais bien: «... à qui le prêteur fait plus largement grâce » (le verbe est celui de la grâce, < Charis >). L'initiative est à Dieu. « L'amour » du pécheur gracié est d'abord de gratitude (C. Spicq: Agapè, 1p 126-127):

Irénée: Adv. Hoer. III, 20,2 (PG 7,943; SC 211, p. 389): Telle fut donc la longanimité de Dieu. Il a voulu que l'homme, ayant passé par la tentation et acquis la connaissance de la mort, puis parvenant à la résurrection des morts en apprenant par expérience de quel mal il a été libéré, soit toujours en action de grâces devant le Seigneur qui lui a fait don de l'incorruptibilité, et l'aime davantage : car celui à qui on a remis davantage aime davantage... Car la gloire de l'homme c'est Dieu, mais le réceptacle de toute la sagesse et puissance de Dieu c'est l'homme.

julienne de NORWiCH ; Révélations of Divine Love, 39, p. 77: Dieu me montra qu'au ciel le péché ne sera plus une honte pour l'homme, mais un motif de plus profonde adoration. De même qu'à chaque péché correspond une peine, de même pour chaque péché [expié] l'âme recevra un degré correspondant de béatitude. Car Dieu est amour ; et de même que des péchés divers sont punis par des châtiments divers selon leur gravité, de même ils procureront des joies diverses au ciel, en proportion de la peine et de la douleur que l'âme en aura éprouvées sur la terre. (Traduction française, Téqui 1985).

Lc 7,44-46) — Pour n'en avoir rien dit jusque-là, Jésus n'en a pas moins été sensible à chacun des manques d'égards qu'il relève maintenant; mais inversement, il a été touché par chacune des < attentions > de cette femme...

Lc 7,47a-b — Litt. « Ils sont remis ses péchés, ses nombreux [péchés] ; en conséquence de quoi elle a beaucoup aimé », avec balancement plus marqué en grec par la consonance : < Pollaï >... < Poilu > : beaucoup de péchés... beaucoup d'amour. Autre traduction, plus explicite: « Elle avait beaucoup péché, donc fie pardon étant intervenu], elle a beaucoup aimé ! ».

Il est vrai que le sens le plus fréquent de la conjonction grecque < Oti > est : parce que... Mais < Oti > traduit le < Ki > hébreu, dont le sens également très variable, peut être d'introduire une proposition consécutive : < en conséquence de quoi... en vertu de quoi... par suite de quoi... et donc... ainsi... > (grammaire de P. Jouôn, dictionnaire de zorell, concordance de mandelkern).

C'est conforme non seulement à la logique de la parabole (v. 42-43) et au parallèle de la finale de ce v. 47 : « celui à qui on remet peu aime peu », mais à la révélation fondamentale qui est < l'Evangile > même: Ce qui est absolument premier, c'est l'Amour du Dieu-Père, qui envoie son Fils pour la rémission de nos péchés (§ 78 ) — Jn 3,16*). Ainsi, la pécheresse a-t-elle d'abord appris la venue du Christ chez Simon (v. 37a), et cette annonce conditionne tout le reste. Si elle-même tente une démarche où elle risque bien des rebuffades, c'est qu'elle croit déjà que Jésus est le Sauveur, et espère qu'il la sauvera. Suivant la doctrine constante de l'Évangile cette foi est non pas la cause, mais pourtant l'attente nécessaire pour que le Christ puisse faire des miracles — d'où son étrange impuissance à Nazareth (§ 144 ) — Mt 13,58) — ou pardonner les péchés (§ 40 ) — Mc 2,5*). Dans cette foi, cette espérance, cette contrition — qui sont déjà une grâce de Dieu — lui sont donnés en même temps à la fois le principe de son pardon et le « beaucoup d'amour » dont témoignent, dès son entrée, les gestes délicats dont elle entoure son bienfaiteur et rédempteur (v. 44-46. Osty en 1948, BJ en 1978 traduisent explicitement: « elle a montré beaucoup d'amour »). Le v. 47 le confirme par l'emploi absolu (sans complément direct) du verbe < Agapan > (« elle a beaucoup aimé »), signifiant un amour au sens lui-même absolu « de dilection,... incluant adoration, attachement, désir de purification, volonté de fidélité» (C. Spicq: Agapè 1P 129-133). Autrement dit: l'amour de charité, venu de Dieu, donné dans l'Esprit Saint (// Rm 5,8).

Ainsi, comme disent les théologiens : « Causoe sunt invicem causoe » ; et comme l'a défini le Concile de Trente à propos de la < justification > du pécheur, il y a réciprocité entre la priorité absolue du Dieu qui aime les hommes, et la liberté de « la bonne volonté humaine » à L'aimer en retour (§ 10 ) — Lc 2,14*).

Celui à qui l'on remet peu aime peu : D'Augustin à Thérèse de Lisieux, cette sentence pose l'absurde question: faudrait-il donc regretter de n'avoir pas péché effectivement plus, afin d'en aimer Dieu davantage? Mais le premier regret de notre amour ne peut être que d'avoir toujours déjà trop péché ! Aussi Thérèse n'a pas de peine à trouver la réponse du bon sens et de l'amour: plus de gratitude encore pour avoir été préservé de ces fautes que pour en avoir été sauvé après coup. C'est le < Magnificat > éternel de Celle que la prévenance divine a gardée immaculée dès sa conception.

Lc 7,48-49) — Tes péchés sont remis: Simple confirmation de ce qui est acquis déjà au v. 47a. Sur l'énormité de l'affirmation — Dieu seul étant en mesure de remettre les péchés — comme sur le sens exact de l'expression, cf. la guérison du paralytique, au § 40 ) —Mc 2,5-12*.

Lc 7,50) — Cette mention finale de la foi, alors que tout le paragraphe parlait de l'amour, confirme que la foi reste condition première. Mais aussi bien, une foi qui est accueil et don — autrement dit, amour.

p. 354

§ 124. Celles qui suivaient Jésus: Lc 8,1-3; (Mt 9,35 et 27,55-56); (Mc 6,7 et 15,40-41)


(Lc 8,1-3 Mt 9,35 Mt 27,55-56 Mc 6,7 Mc 15,40-41)

— Nous savions Jésus itinérant (v. 1 et § 37 ), avec ses Douze Apôtres. Les v. 2-3 <de Lc nous apprennent la présence des « Saintes Femmes ». Ce que confirment Mt et Mc, beaucoup plus tard et occasionnellement — ainsi, les Évangiles diffèrent, mais s'accordent. Elles suivaient le Christ, comme tous les autres < disciples >*; mais aussi le servaient, y compris de leurs biens : nouvelle indication sur les ressources et la vie matérielle de la troupe.

Marie, sans doute originaire de Magdala: sur le bord du Lac, à 5 km de Tibériade vers le Nord, en direction de Capharnaüm, à 11 km de là. Les lieux d'où le Christ rayonne. Sept démons, comme les sept jours de la semaine: symbole d'une emprise plénière du Mauvais. Comparer avec § 121 ) — Lc 11,26. Autre symbole du même genre, la « légion » de démons du possédé gérasénien (§ 142 ) — Lc 8,30). Même si Marie de Magdala n'est pas la pécheresse de Lc 7,36-50 — on en discute toujours — elle est une délivrée, par le Christ ; s'applique donc à elle la conclusion de la parabole: « elle a beaucoup aimé ». Nous la retrouvons en effet au pied de la croix et au tombeau (Mt 27,56 Mt 27,61 Mt 28,1). Elle est surtout la première à qui, d'après les Évangiles, Jésus ressuscité apparaît (Jn 20,11-18).

Jeanne, femme de l'intendant d'Hérode : Vient donc d'un milieu très différent de celui des autres disciples. Cela peut avoir quelque rapport avec l'intérêt d'Hérode au sujet de Jésus (§ 146 ) — Lc 9,7-9) ; mais à l'inverse, elle était bien placée aussi pour renseigner plus tard l'Évangéliste, comme certains le supposent (Note q de TOB). Jeanne se trouve parmi les femmes au tombeau, Lc 24,10.


// 1R 17,8-9 2R 4,9-10 1Co 9,5 — Les innombrables et inestimables initiatives de « service » des saintes femmes sont de tous les temps, auprès des Prophètes comme des Apôtres, et encore aujourd'hui, bien entendu.



§ 125-139. Les paraboles du royaume: Mt 13; Mc 4; Lc 8,4-18



(Mt 13 Mc 4 Lc 8,4-18)

Les trois Synoptiques se rejoignent pour présenter ici quelques paraboles: 7 chez Mt, 3 ou 4 chez Mc, 1 seule chez Luc, celui pourtant qui nous en a conservé le plus et des plus belles, notamment les 3 < paraboles de la Miséricorde >, en son ch. 15. Celles-ci concernent < le Royaume >. Dans les jours précédant la Passion, viendront les < paraboles du Jugement >: les deux fils, les vignerons homicides, les invités au festin et la robe nuptiale (§ 280 -282) ; le père de famille et le serviteur vigilant, les dix vierges, les talents, les brebis et les boucs (§ 303 -307). L'ordre n'est pas sans signification: d'abord est proposé le Royaume, à tous puisque la Miséricorde y invite même le fils prodigue et la centième brebis. Mais soyez prêts, car le Jugement survient à l'improviste.

Sur ces paraboles, on constituerait sans peine toute une bibliothèque (Bibliographie suffisante soit dans J. Jérémias: Paraboles, p. 225-27) — Jusqu'en 1960) — soit dans J. Lambrecht — jusqu'en 1976) — p. 40-43, 80-82, etc...). Depuis cent ans, l'interprétation a été dominée par les thèses de a. jùlicher (1888), C.H. Dodd (1935) et J. Jérémias (1947), chacun corrigeant les outrances et insuffisances de la thèse précédente. Elles sont caractéristiques d'une exégèse trop exclusivement < critico-historique >, tenant les Évangiles pour déformant les Paroles de Jésus. On essaie donc de les retrouver dans leur pureté primitive, en des reconstitutions nécessairement hypothétiques puisque la seule source assurée vient de la Tradition évangélique, dont l'accord essentiel des trois Synoptiques montre qu'elle est, sur ce point des paraboles et de leur sens, antérieure aux Évangiles eux-mêmes.

Dès 1960, l'article de A. George, dans le DBS VI, 1149-1177) — encore à ce jour le meilleur exposé d'ensemble, à notre connaissance — montrait ce que les < dogmes > reçus avaient de trop systématique. Par suite d'une formation trop uniquement historique, les exégètes jugeaient en fonction de leurs < pré-compréhensions > (euphémisme pour ne pas incriminer les pré-jugés: cf. BC I*, p. 24-25). Celles-ci relevaient soit de l'idée < réaliste > qu'on se faisait de la littérature d'après la tendance contemporaine alors dominante — d'où les explications embarrassées sur ce qui, dans les paraboles, peut n'être pas conforme au plus strict naturalisme — soit des cadres culturels de l'hellénisme, notamment de la distinction tranchée entre parabole et allégorie (A. Julicher), dont C.H. Dodd, J. Jérémias et mieux encore A. George admettent qu'elle n'est pas du tout absolue (cf. § 129 *).

Depuis lors, on a découvert que d'une part la rhétorique grecque est seulement une des formes possibles de la culture, qui n'est même pas la plus universellement répandue, et que les Évangiles relèvent d'un type de pensée différent, sémitique. D'autre part, les recherches des sciences humaines (ethnologie, linguistique et en particulier la sémiologie), non moins que l'expérience même des poètes montrent comment tout langage est fondamentalement symbolique, puisque c'est avec des moyens sensibles (mots-images mais aussi lignes et couleurs, sons et timbres, et partout, rythmes) que littérature, arts ou musique expriment et communiquent les réalités spirituelles. Déjà C.H. Dodd reconnaissait dans les paraboles « l'expression naturelle d'un esprit qui voit la vérité dans des images concrètes, plutôt qu'il ne les perçoit dans l'abstraction » (Paraboles, p. 18). Sur ce point, cf. Bibliographie de J. Lambrecht, p. 41-43, à laquelle on ajoutera: P. ricoeur : Le Royaume dans les paraboles de Jésus, dans etl 1976, p. 15-19, et Pourquoi des paraboles ? de J. Dupont (même s'il reste dans la ligne historique, corrigeant utilement J. Jérémias, mais tombant lui aussi dans une systématisation excessive).

Or cette façon d'approcher la réalité à partir des images (littéraires), des formes (artistiques) ou des harmonies (musicales) répond à la fois à la nature des choses, et de l'esprit humain. D'où sa valeur universelle, sans frontière de race, ni d'âge, de sorte que « de 7 à 77 ans » les paraboles parlent à tout le monde. D'où leur emploi dans l'Évangile. Deux textes récents le reconnaissent avec tant de clarté que les nuées se trouvent, d'un seul coup, écartées :

D. Barsotti : La Parole et l'Esprit, p. 150-159: Arrêtons-nous sur le texte de l'Évangile qui semble vouloir justifier le langage des paraboles. C'est le texte qui nous apprend l'usage divin de ce langage ; il est tiré du psaume 77(78) : « Je parlerai en paraboles, pour révéler des choses cachées depuis le commencement du monde ». Pourquoi Dieu parle-t-il en paraboles? Pour ne rien dire? Pour n'être pas compris ? Au contraire : pour révéler des choses cachées depuis l'origine du monde. Ces choses cachées, c'est à travers les paraboles qu'elles se révéleront.


« Je parlerai en paraboles pour révéler des choses cachées ». La parabole a une fonction révélatrice, voilà le grand enseignement: il est immense, il est merveilleux! Ce que nous avait dit l'Exode est vrai, et vrai encore ce que nous avait enseigné Platon — Platon ne l'a pas inventé, car c'est antérieur à Platon, cela remonte aux origines du monde. De Platon, les primitifs ignorent tout, mais ils s'appuient sur cette même doctrine, que nous appelons platonicienne, à savoir qu'il y a une correspondance entre le monde d'ici-bas et le monde de Dieu. Et nous connaissons le monde de Dieu parce que nous connaissons le monde d'ici-bas, parce qu'il y a un rapport d'analogie entre les deux mondes. Sans la connaissance des choses d'ici-bas, nous ne pourrions jamais connaître Dieu.

C'est ainsi que la connaissance du mystère peut dériver de la connaissance de l'arbre. Tu veux savoir ce qu'est le Royaume de Dieu ? — « Un arbre ! » te dit notre Seigneur. Ou plutôt, il te dit : « Un grain de sénevé, qui ensuite devient un arbre ». Voilà ce qu'est le Royaume de Dieu. Saint Thomas lui-même ne réussit pas à nous en dire autant. Qui en sait plus long, saint Thomas, ou notre Seigneur ? Je crois que notre Seigneur peut nous apprendre beaucoup plus et beaucoup mieux sur le Royaume de Dieu que saint Thomas d'Aquin lui-même. C'est dans la fidélité à l'enseignement évangélique que nous pouvons pénétrer le mystère de Dieu ; et nous pouvons le pénétrer à travers un langage symbolique, un langage qui est essentiellement un langage poétique. On ne saurait dire que l'exégèse spirituelle se réduise à l'exégèse typologique : le rapport des deux Testaments n'est pas le seul rapport qui révèle le mystère de « l'économie »* divine. Avant même ce rapport, ou cette harmonie, il y a le rapport que Dieu a voulu établir entre la nature et la grâce : par ce rapport il a révélé aux hommes et continue de leur révéler < son mystère >.

Dès avant < l'Histoire du Salut >, avant même la naissance d'Abraham, les hommes étaient entrés en communion avec Dieu, devaient vivre une certaine communion avec lui, pour être sauvés.

Nous sommes trop préoccupés d'éliminer de la Sainte Écriture ou de la liturgie toute apparence mythique. Par exemple, j'avoue qu'il me déplaît beaucoup que dans les prières eucharistiques — à part le Canon Romain — on ait négligé de dire ce que les évangélistes rapportent : « Jésus leva les yeux au ciel ». Est-ce pour souligner que Dieu n'est pas localisé < là-haut > ? Avant la consécration, le prêtre n'élève plus son regard. Qu'elle est piteuse, la pauvreté des hommes d'aujourd'hui! Nous ne vivons pas une communion avec Dieu à travers les choses. Or < les choses > sont un symbole. La vérité ultime des choses est d'être des symboles : une image, un signal, une vie qui nous ouvre au mystère divin. Si je ne pouvais plus voir les arbres, une porte me serait fermée, une porte qui introduit au mystère de Dieu ! Sans les arbres, je ne connais plus Dieu. La connaissance du monde est la première voie vers une connaissance du mystère divin...

Telle est la première interprétation qui s'impose dans la lecture biblique. Et si nous ne voyons pas les choses ainsi, la Bible, dans la plupart des cas sera pour nous un livre vide de sens : nous n'y verrons que des images, des métaphores, de la poésie qui veut en venir à quoi ? Au fond, un verset du Livre des Proverbes devrait suffire à dire tout ce que disent les prophètes — or, c'est le contraire : le langage imagé du prophétisme et des récits en dit beaucoup plus long. Pourquoi? Parce qu'il évoque davantage le monde divin. Plus l'homme croit cerner et définir le mystère, plus sa parole est pauvre et < ne dit pas >.

La parabole dit plus et mieux qu'une thèse de théologie... A mesure que l'homme s'imagine, par un langage plus technique, entrer en possession du mystère, le mystère le fuit. Le langage des images respecte mieux la nature du mystère, et le rend présent avec plus d'efficacité. Si l'on pénètre un peu avant dam les paraboles, on saisit qui est Dieu et qui est l'homme, et ce que c'est que la vie surnaturelle.

Dieu se révèle à travers l'image: dans l'économie présente, il ne pourrait se révéler autrement. Ce langage, les peintres des cavernes préhistoriques le possédaient déjà, et jusqu'à la fin des temps il restera le langage des hommes qui voudront parler à Dieu ou de Dieu ; car ce langage ne prétend pas se rendre maître du mystère, mais l'annonce seulement.

Le langage religieux est le langage de l'art et de la poésie. Ainsi parle Dieu : ainsi a-t-il parlé dans la création, dans l'Ancien Testament, et sur les lèvres mêmes du Christ: les choses ne s'expriment pas seulement elles-mêmes, mais elles signalent le mystère. Un arbre n'est pas seulement un arbre, un enfant n'est pas seulement un enfant, une fleur n'est pas seulement une fleur. Jamais un chimiste ne pourra me dire ce que c'est que l'eau... Le langage de la poésie reconnaît l'harmonie qui unit toutes les choses, il voit l'invisible et pourtant il reste réel. Le monde physique est l'image de l'esprit, et l'esprit est l'image de Dieu. Tous les mondes sont liés entre eux, ordonnés l'un à l'autre: l'un appelle l'autre, et trouve en lui sa vérité...

La Sainte Écriture n'est pas une Somme Théologique, mais est un livre de poésie. Même les livres historiques sont encore de la poésie, parce que l'histoire biblique n'est pas une « histoire » comme on la conçoit aujourd'hui. Elle a un aspect de légende, d'épopée : c'est un récit poétique. Ce qu'elle dit te fait entrevoir une infinité d'autres choses : elle te parle du monde matériel et te fait découvrir le monde moral; elle te raconte des événements, et te fait découvrir le destin d'un peuple; elle te parle de l'homme, et te dévoile le visage de Dieu...

Dieu nous a éduqués: il nous a enseigné l'attention amoureuse, le respect, l'émerveillement devant la beauté. Il nous a parlé des arbres et des oiseaux, des noces, du larron qui vient la nuit. Et les hommes l'ont compris. Comme il entrait dans la vie des hommes ! Il ne se laissait pas capturer par eux : à travers les paraboles, c'était plutôt lui, Dieu, qui invitait l'homme à l'attention, au respect, l'acheminait à la foi; et Dieu entrait en possession de l'homme.

Il parlait des noces : c'est pour l'homme la fête la plus joyeuse, la plus solennelle! Et l'homme connaissait Dieu dans cette joie qu'il lui promettait. Il le rencontrait dans la crainte qu'éveillait en lui l'image du larron; il le rencontrait dans l'amour du père qui attend et accueille sans réprimande le fils fugitif...

Nous n'en savons pas plus ; mais ce peu que nous savons est déjà suffisant pour nous faire connaître le mystère, par une connaissance plus vraie que celle de la théologie spéculative. La connaissance de Dieu doit être expérimentale. Au moment où l'homme pense avoir réduit Dieu à une notion, Dieu a déjà fui l'intelligence de l'homme ; et l'homme ne spécule plus que sur des mots vides...

Pour un renouveau de la liturgie, il faudrait un renouveau du langage — et ne pas chercher un langage conceptuel plus précis, mais un langage symbolique plus dense: qu'un nouveau langage poétique prenne naissance. Nous sentons bien qu'il y a un sens religieux de la vie (même si ce n'est pas encore la vie chrétienne) dans cette volonté des grands poètes de redécouvrir le langage symbolique.

Si l'homme a la faculté d'écouter Dieu, de voir Dieu, tout homme est poète. Chez tous — dans la mesure où chacun a une sensibilité religieuse — existe la capacité de découvrir les mystérieuses résonances, les correspondances cachées des choses : ce que nous écoutons et voyons réveille en nous la nostalgie, le souvenir du monde divin...

Si aujourd'hui la vie religieuse est en déclin, c'est parce que notre langage perd de plus en plus sa valeur de symbole : la mer n'est plus qu'une réserve de poissons, la montagne n'est plus qu'une réserve de ciment. Or la mer n'est pas seulement la mer, la montagne n'est pas seulement la montagne... cela, l'homme doit le saisir et le sentir. Alors le langage religieux deviendra le langage même de Jésus, le langage des paraboles. Langage simple, peut-être, mais profond; pauvre si l'on veut, mais extrêmement dense. C'est le langage par lequel les choses deviennent vraiment signe d'une autre réalité : alors elles t'introduisent dans la lumière d'une révélation, elles t'ouvrent au mystère de Dieu...

Ainsi devons-nous vivre en communion continuelle au mystère divin. À travers les signes de la création tout entière, il s'ouvre devant nous.

On aura reconnu ce que nous disions en Introduction Générale à cette Bible chrétienne (I*, p. 14-21): toutes les Saintes Écritures nous apprennent à < lire > dans toute la création et l'histoire elle-même, le langage, les < paraboles > que Dieu fait pour nous révéler < en images réelles > son immense et unique Dessein d'amour de nous ré-unir à Lui.

R. Judrin : Grains de moutarde (Éd. Calligrammes 1982, p. 12) : Le Christ ne nous cache pas qu'il est un Dieu caché. Si ses paraboles sont assez transparentes pour ne pas désespérer l'entendement, le style figuré les enveloppe de prudence, d'abîme et de confidence. Elles joignent à l'autorité du salut la vertu poétique de l'image.

Ce faisant, Dieu lui-même adapte son Verbe — unique et total — aux capacités réduites de notre esprit humain qui, d'une part, ne peut travailler qu'à partir de ses sensations, donc sur ces données sensibles que sont les < images >, et d'autre part morcelle la totalité du réel suivant les limites de temps, de lieu, de nature etc... sans quoi il ne pourrait l'embrasser. Partant de ce principe aristotélicien, repris par saint Thomas, que « rien ne peut être dans l'intelligence, qui n'y soit entré par l'intermédiaire des sens », J. Ratzinger ajoute: C'est pourquoi Jésus enseigne selon le mode de la parabole tout à fait par principe, et la parabole n'est évidemment pas là comme un artifice pédagogique qu'il serait loisible de supprimer. Dans le discours d'aDieu de Jésus, il est affirmé comme un principe que la parabole est la forme selon laquelle la connaissance de la foi se réalise en ce monde (Jn 16,25). Mais chez les synoptiques aussi la parabole apparaît comme la structure selon laquelle est ouvert l'accès au mystère du Royaume de Dieu (Mc 4,10 ss).

Si nous y regardons de plus près, il s'avère que les paraboles possèdent deux fonctions principales. D'un côté elles éclairent le domaine de la création en un dépassement qui lui fait atteindre le créateur. D'un autre coté, elles assument l'expérience historique de la foi, en ce sens qu'elles prolongent les paraboles nées au sein de l'histoire d'Israël.

Mais il nous faut encore ajouter une troisième fonction : elles interprètent aussi le monde tout simple du quotidien pour montrer comment se réalise en lui le dépassement vers ce qui est plus que le quotidien humain. D'une part le contenu de la foi ne se montre qu'en paraboles, mais d'autre part la parabole rend manifeste le coeur de la réalité elle-même. Cela est possible pour cette raison que la réalité est elle-même parabole. De ce fait, la parabole éclaire d'abord la nature du monde et de l'homme lui-même.

En résumé, nous pouvons dire que, de la sorte, la parabole comporte deux éléments dans sa structure : la substance de la foi est rendue transparente dans la réalité sensible elle-même ; et, de son côté, la confession de foi exerce en retour un effet sur le monde des sens et permet de le comprendre comme en mouvement pour se dépasser lui-même. Il ne s'agit pas de greffer après coup sur une réalité neutre à l'égard de Dieu une utilisation religieuse : dans la parabole, ce qui est mis en lumière, c’est précisément ce qui est, dans la réalité sensible elle-même, la propre nature de celle-ci. La parabole ne vient pas s'imposer de l'extérieur à l'expérience que nous avons du monde, mais bien au contraire, c'est elle qui lui confère enfin sa profondeur propre, qui vient enfin révéler ce qui se cachait dans les choses mêmes. Elle correspond à la dynamique interne de la réalité du monde. La réalité est auto-transcendance, et quand l'homme est amené à la transcender, il en vient non seulement à percevoir Dieu, mais aussi à percevoir enfin la réalité pour la première fois, et à faire qu'enfin lui-même et la création accèdent à l'être. Si le monde peut devenir parole de la parabole c'est parce que lui-même est parabole, c'est aussi pourquoi l'étoffe même du quotidien peut toujours conduire plus haut qu'elle ; c'est pour cela que peut se réaliser en elle une histoire qui tout à la fois la dépasse et lui est très profondément conforme.

Pour conclure, redisons cela autrement: le chemin de la foi commence dans l'expérience sensible, et l'expérience sensible est en tant que telle prégnante de la foi et capable de transcendance (Les principes..., p. 385-386).

Dans cet univers tout entier symbolique, les paraboles évangéliques ont par conséquent une résonance plus profonde encore, parce qu'elles mettent à jour non seulement le spirituel du sensible, ou l'éternel du temporel, mais le point et le moment où s'opèrent la rencontre, l'incarnation, les/ioces, et l'instauration du Royaume de Dieu. Sinon toutes les paraboles — car l'Évangile est trop jaillissant pour ne pas déborder les catégories des genres littéraires établies après coup — du moins les plus importantes et caractéristiques d'entre elles, sont des révélations sur l'avènement de ce Royaume, en germe dans le Christ et son Église, jusqu'à la Parousie. Révélation effectivement symbolique, c'est-à-dire non pas seulement pour le faire savoir aux hommes, mais pratiquement, pour induire dans nos esprits et nos coeurs les dispositions nécessaires à l'accueil de cet événement capital et central de l'histoire des hommes — et pour autant faire venir à nous ce Royaume ainsi proposé (Sur ce point, cf. M. Hermaniuck: La parabole évangélique, p. 274-301 ; ou H. Kahlefeld: Paraboles et Leçons évangéliques, p. 111-113). D'où aussi le danger — contre lequel mettra en garde le § 127 * — de ne pas « voir ni comprendre » la portée < initiatique > des paraboles aux « mystères du Royaume ».

Mc situe cet enseignement en une journée bien remplie, puisqu'elle se poursuit par la tempête apaisée, la guérison du démoniaque gérasénien, et le retour, avec résurrection de la fille de Jaïre (4,35 à 5,43).

À son habitude, Mt regroupe et structure plus logiquement un plus grand nombre de paraboles. Les deux premières, le Semeur et l'Ivraie, suivies d'une explication, sur la demande des disciples (13,3-23 et 24-43). Les trois dernières, le Trésor, la Perle et le Filet, brèves et simples tellement qu'elles sont comprises du premier coup (13,44-51). Mais se trouvent insérées au coeur de l'Ivraie (voir pourquoi au § 133 *), deux autres paraboles également rapides: le Grain de Sénevé et le Levain dans la pâte. Et en outre, Mt, comme Mc, parsème ces paraboles de réflexions expliquant à quoi répond cet enseignement de Jésus « en paraboles » (§ 125 *, § 127 *, § 128 *, § 130 *, § 135 *, 139 *). Ici comme toujours, respectons sagement l'ordre des textes, pour essayer de bien comprendre ce que les Évangélistes ont voulu nous dire et non pas leur imposer nos théories. Car il devrait être évident que, pour interpréter ce qu'a dit Jésus, Mt, Mc ou Lc étaient mieux placés que nos exégètes, d'avant-hier ou d'hier.




Bible chrétienne Evang. - § 121. Le retour du mauvais: Mt 12,43-45; (Lc 11,24-26)