Bible chrétienne Evang. - § 130. Comment recevoir l'enseignement de Jésus: Mc 4,21-25; Lc 8,16-18 // Jn 5,35 Ps 119,105)

§ 130. Comment recevoir l'enseignement de Jésus: Mc 4,21-25; Lc 8,16-18 // Jn 5,35 Ps 119,105)


(Mc 4,21-25 Lc 8,16-18 // Jn 5,35 Ps 119,105

— Mt a inséré cette image-parabole de la lampe au début du Sermon sur la Montagne (§ 52 *). Image familière non seulement de la prédication du Précurseur (// Jn 5,35), mais de la Parole, dont il vient d'être question dans la parabole du Semeur (// Ps 119): tous ces paragraphes se tiennent, et l'on se condamne à n'y rien « comprendre » si on les éparpille au vent des hypothèses ne tenant pas compte de la composition*. Imaginer par exemple qu'au § 127 le Christ déclare donner les paraboles comme un enseignement ésotérique, alors que 10 versets plus loin il demande que rien de caché ou de voilé ne manque d'être mis en pleine lumière, est d'une incohérence flagrante. Aussitôt d'ailleurs, Mc ajoute (v. 23) le refrain: « qui a des oreilles... » (Mc 4,9 et Mt 13,43), rappelant que même les signes les plus spectaculaires ne feront rien pour qui n'entend pas de façon à « entendre et comprendre » (Mc 4,12*). La faute ne vient que de nous, comme le disait la parabole du Semeur: tout cela est admirablement homogène.

// 2Co 3,7-8 2Co 3,11 — Saint Paul réfère ici à Ex 34, 28-35. Le rayonnement du visage de Moïse après sa vision de Dieu au Sinaï était tellement intense qu'il devait voiler sa tête. Combien davantage le Christ, qui ne laissa qu'une seule fois sa Gloire divine le transfigurer (c'est-à-dire, le faire apparaître tel qu'il aurait dû normalement être: cf. § 169 *). Le reste du temps, il est resté voilé, sous l'humilité de sa « chair » (Jn 1,14) comme de sa Parole.

Mc 4,24 // Jg 1,6-7 2R 4,3 — Le rapport proportionnel entre nos actes et leur rétribution ne joue pas seulement dans la justice encore trop humaine et matérielle du talion (// Jg 1,6-7 — cf. BC I*, p. 303-304), mais aussi dans notre relation avec Dieu, qu'il s'agisse de son pardon (§ 62 ) — Mt 6,12*.14-15; et 7,1-2) ou de ses dons (§ 68 ) — Lc 6,37-38). En fait, l'amour de Dieu est inépuisable et il ne s'arrête de donner que dans la mesure où l'on n'a plus de vase pour recevoir sa grâce (// 2R 4). Bien plus, au besoin Dieu crée cette capacité, creuse en nous ce vide, pour que nous puissions l'accueillir...


Mc 4,25; Lc 8,18 = Mt 13,12*. Quand nous disions que les § 127 et § 130 ne doivent pas être lus séparément ! C'est un même < tissu >.

// 1Co 3,13-14 1Co 4,5 — Rappel que la sentence terrible de Mt 13,25 ou Lc 8,18b vient de ce que la rencontre avec le Dieu vivant, « Feu consumant » (Dt 4,24 et //, dans BC i/Qj) ne peut se réaliser sans que soit par le fait même « éprouvé » ou « jugé » ce que nous avons fait de ses dons (cf. finale du § 127 ).

p. 368

§ 131. La semence qui croît d'elle-même: Mc 4,26-29 // Je 5,7-8; 2Co 9,10 1Co 3,6-7 Ps 127,1-2)


(Mc 4,26-29 // Jc 5,7-8 2Co 9,10 1Co 3,6-7 Ps 127,1-2)

— Après la parabole de l'accueil du Royaume, insistant sur notre liberté et responsabilité, paraboles de la croissance, rappelant que « c'est Dieu qui donne la croissance » (// 1Co 3,6-7). Quel réconfort pour notre impuissance absolue (§ 329 ) — Jn 15,5*) que cette invitation à l'espérance, prolongeant la spiritualité de Mt 6,25-34* jusque dans le domaine surnaturel.

// En est du Royaume comme... : Une formule similaire introduit ces paraboles: l'ivraie, le grain de sénevé, le levain, le trésor, la perle et le filet. Elle donne en clair, et à tous les auditeurs, la clef de l'interprétation. Cela confirme que les paraboles n'ont rien à voir avec un enseignement ésotérique.

On y met la faucille... la moisson: image habituelle du Jugement dernier: Jl 4,13; Ap 14,14-16. Se retrouve dans la parabole de l'ivraie (§ 132 . § 136 *).Ces paraboles ne valent pas seulement de chacune de nos vies spirituelles, mais d'abord du Royaume, qui ne sera mûr en totalité qu'à la Fin des temps.




§ 132. L’ivraie: Mt 13,24-30


(Mt 13,24-30)

— Parallèle à la précédente, la parabole de l'ivraie prolonge doublement celle du Semeur: en donnant une cause supplémentaire de dégâts, cette fois dans la bonne terre elle-même, et surtout en insistant sur le laps de temps intermédiaire de croissance et maturation entre semailles et moisson. Toutes ces paraboles se tiennent. Le v. 24 prend d'ailleurs pour point de départ le sommaire du Semeur.

Mt 13,25 // Mt 26,41 — Pendant que les hommes dormaient: sans doute devraient-ils veiller (// Mt 26, Mt 24,42 à 25,46). Mais la parabole précédente présentait aussi le sommeil comme faisant partie du programme (Mc 4,27 // Ps 127,2).

L'ennemi: le démon est souvent appelé ainsi, par exemple dans les psaumes: 7,3-6; 8,3; 41,12-13; 42,10 etc... Ennemi de Dieu et de son oeuvre, donc des hommes et avant tout du dessein éternel de leur Salut, donc du Royaume... Même si, hélas ! nous pactisons souvent avec lui et semons nous-mêmes l'ivraie: est-ce pour quoi, au v. 28, est dénoncé l'« homme ennemi »? En tous cas, le démon est là, dès les semailles (Mt 13,19*).

// Is 17,10 — Ainsi semons-nous parfois nous-mêmes, pour un plaisir douteux et momentané, « la douleur et le mal irréparable ». Ces « plants du plaisir … étrangers », feraient allusion aux < Jardins d'Adonis > en l'honneur de ce Dieu de la végétation (cf. notes 10 et 11 de la Bible Dhorme). Il va sans dire que « plaisir » est ici en son sens péjoratif.

// Pr 16,28 Pr 22,8 Si 7,3 Jr 2,21 Ps 140 — Comparaison classique dans les Livres sapientiaux, que le prophète Jérémie applique dans un sens voisin de celui de l'ivraie. On y retrouve l'éloignement de Dieu pour le mal, qui lui rend comme « étranger » quiconque y tombe, et quand bien même ce serait le Peuple élu, Israël, « vigne choisie » (Is 5). Cette incompatibilité de Dieu avec le mal explique pourquoi, s'il y a de l'ivraie dans son champ, cela vient nécessairement de la liberté de sa créature : le diable ou « l'homme mauvais » (// Ps 140,2-3 Ps 140,11-12), «l'homme ennemi» (v. 28), souvent ennemi de lui-même. — En Pr 22,8, le mot traduit par douleur signifie également iniquité, tant les deux vont de pair.

Mt 13,29-30: Patience de Dieu, modèle des hommes. À l'inverse, la tentation de tous les faux messianismes, spirituels et encore plus temporels, serait l'épuration politique et religieuse, dans l'espoir d'obtenir société ou Église parfaite.

jusqu'à la moisson: cela aussi, même sans explication supplémentaire, tout le monde pouvait le comprendre, comme l'image classique du Jugement dernier. De même, saint Paul, quand il s'agit de juger, réfère à ce seul Jugement de Dieu (1Co 4,3-5). Mais des semailles à la moisson, c'est bien Dieu qui mène le jeu du Bien, même quand il temporise avec le mal (cf. § 136 ) — Mt 13,41-43*).

p. 369

§ 133. Le grain de sénevé : Mt 13,31-32 ; Mc 4,30-32 ; (Lc 13,18-19)


(Mt 13,31-32 Mc 4,30-32 Lc 13,18-19)

— Va de pair avec la parabole du levain (§ 134 *): même introduction habituelle: « Le Royaume est comparable à... » ; même référence initiale : « Le Semeur sortit... », « un homme a semé », « une femme a enfoui du levain... »: c'est Dieu qui prend l'initiative. Mais ce qu'ajoutent ces deux paraboles, c'est le contraste entre l'humilité des moyens — extrême finesse de la semence, enfouissement du levain — et la gloire éclatante qui en résulte. Ainsi Jésus cherche à prévenir ses auditeurs (qui s'attendent trop uniquement à un Messie glorieux et triomphant), de la façon discrète, paradoxale et d'humble apparence suivant laquelle doit s'instaurer le Royaume, en Lui et en la petite troupe de ses disciples.


Grain de sénevé: Ces paraboles sont admirables de fraîcheur et de poésie. Laissons qui voudra traduire platement : de moutarde (Sénevé = < Sinapis > Sinapisme).

un arbre : est évidemment une hyperbole ; ce que P. ricoeur appelle « l'extravagance des paraboles ». Elle va dans le même sens (et c'est le sens qui importe, non pas une précision naturaliste à la Zola) que l'antithèse: plus petit... plus grand. Quand il a poussé (Mt-Lc) : ce passé montre que la croissance n'est pas envisagée ici pour elle-même: elle faisait plutôt l'objet propre des paraboles antécédentes, soit de la semence qui croît d'elle-même, soit de l'ivraie. Seul Mc relève cette merveille de la création végétale, que les semences « lèvent et montent ».

// Ez 17,22-24 (et Dn 4,7-14, en // au § 20 , et 4,17-22 en // au § 218 ) -Cette fois encore, l'image de l'arbre est classique, jusque dans ses détails (oiseaux qui s'y abritent), avec pour signification l'orgueil abaissé mais l'humilité exaltée, par Dieu qui mène les royaumes et les rois, pour que se manifeste la grandeur de Dieu dans le triomphe de la faiblesse, et que les disciples du Christ le sachent: « lorsque je suis faible, c'est alors que je suis fort » (saint Paul, 2Co 12,9-10) — C'est le même thème qu'au § 110 *, et § 188 où se trouve le // 1Co 1,21-31).

si bien que les oiseaux peuvent s'y abriter: l'Église est notre maison. Car il est temps de nous demander quel est ce Royaume de Dieu, thème central de la prédication du Christ. Si l'on relève soigneusement, comme l'a fait J. carmignac: (Le mirage... p. 95-119) dans tous les textes du N.T., et en les différenciant de ceux du Règne de Dieu proprement dit, ce qui a trait au Royaume, on y trouve les 9 caractéristiques suivantes : Le Royaume est annoncé, suivant les circonstances: 1) au passé (comme déjà donné), 2) au présent, 3) pour un futur immédiat, 4) et il aura son accomplissement à la Fin du monde; 5) il n'est pas composé seulement de justes, mais de pécheurs ; 6) il connaîtra une croissance ; 7) après la mort, ce Royaume de Dieu se prolongera dans la Vie éternelle ; 8) il se présente sous deux états différents; l'un avec des pécheurs, l'autre sans pécheurs; 9) ce Royaume est soit celui de Dieu, soit celui du Christ. Or quelle est la réalité comparable à un royaume, présentant toutes ces caractéristiques ? « Si l'on tient à les harmoniser toutes, une seule réponse est possible, conclut J. Carmignac, c'est l'Église... Celle-ci est bel et bien le Royaume de Dieu ».

p. 370

§ 134. Le levain : Mt 13,33 ; (Lc 13,20)


(Mt 13,33 Lc 13,20)

— Voir introduction au paragraphe précédent. Les paraboles végétales jouaient plutôt sur l'image de la vie, de sa croissance et de sa multiplication, suivant la loi de la Genèse: « Croissez et multipliez. » Le levain y ajoute l'image de l'insertion, donc d'une part de l'enfouissement, de l'autre — d'une certaine hétérogénéité entre la pâte et le levain qui la < travaille >. On a raison d'y voir aussi une image de la façon obscure dont le chrétien doit < s'enfouir > dans un milieu souvent très déchristianisé. Encore faut-il que ce levain reste actif, et que le sel ne perde rien de son mordant (§ 51 ) — Mt 5,13*). Tout l'Évangile se tient.

// 1Co 5,6-8 — À la première Pâque de l'Exode, Dieu avait demandé que tout pain levé soit exclu (Ex 12,15 etc., en // au § 219 ). Ce n'était donc pas seulement pour enseigner que, si Dieu donne le départ, on ne doit plus prendre de délai, et attendre que le levain ait pu faire lever la pâte: le pain déjà prêt n'était pas moins interdit, la fermentation semblant symboliser la corruption produite par l'impureté. Aussi le pain levé ne devait-il être employé pour accompagner aucun sacrifice (Ex 23,18 Lv 2,4 Lv 2,11), et Pâques avait même pris le nom de < fête des a-zymes > (§ 315 ). Dans le N.T., hormis cette parabole-ci, le levain est toujours pris dans un sens péjoratif: // 1Co 5 Ga 5,9 — cf. § 161 * ; voir // au § 219 . Mais la parabole ne joue pas sur la nature ni même sur le symbolisme de la fermentation, elle porte sur le rapport entre le peu de ferment et l'ampleur de son effet.



§ 135. Les choses cachées depuis toujours: Mt 13,34-35; Mc 4,33-34 //Ps 78,1-2 Ps 78,6 Ps 78,8 Ps 107,43 Ps 41,2


(Mt 13,34-35 Mc 4,33-34 // Ps 78,1-2 Ps 78,6 Ps 78,8 Ps 107,43 Ps 41,2

— Le sens général de cette référence de l'Évangile au Ps 78 a été indiqué par D. Barsotti, dans l'introduction à ces § 125 -139. Donnant les paraboles comme la mise au jour de ce qui était caché, ces 2 versets sont bien gênants pour ceux qui ont interprété le § 127 , et notamment sa citation d'Is 6,9-10, dans le sens dur où Jésus aurait volontairement obscurci sa prédication en parlant ainsi en paraboles. D'autant plus qu'en ce cas, la contradiction se retrouverait entre le v. 34 de Mt (où les paraboles seraient enseignement ésotérique), et le v. 35, où la parabole devient révélatrice. Par contre, suivant le sens que nous avons précisé au § 127 *, il n'y a plus aucune contradiction:


Il leur annonçait la Parole, dans la mesure où ils pouvaient l'entendre (Mc): C'était la conclusion d'A. george (§ 127 in fine*): initiation graduée, « à chacun suivant sa réceptivité ». En ce sens, oui, si le Christ ne parlait du Royaume que sous forme de paraboles (Mc 4,34a et Mt 13,34), c'était « par précaution, pour éviter tout effet de propagande » encourageant l'idée fausse d'un messianisme triomphal (p. bonnard, p. 103).

afin que s'accomplisse la parole du prophète: Sur cette formule annonçant une citation de l'A.T., cf. introduction aux § 15 -17*), et en particulier, sur Mt 2,16-17* C.H. Dodd. En appelant < prophétiques > les premiers versets du long psaume 78, que nous aurions plus spontanément qualifié d'historique, l'Évangile nous rappelle que l'A.T. est fait pour nous apprendre à lire, jusque dans la création ou l'histoire sainte, des « paraboles » (// Ps 78 et 107 ; cf. pc in, p. 296-97).

je publierai: Litt, dans le grec de la Septante, « faire un bruit ronflant, rugir; d'où crier, exalter, énoncer ». C'est bien publier à cor et à cri (le Kérygme*), plus qu'expliquer. Les choses cachées: et qui le restent. f. van. segbroeck — dont nous ne suivons pas l'interprétation générale, dans la ligne dure de J. Gnilka — rapproche utilement ce mot « caché » des deux paraboles qui entourent ce paragraphe: le levain caché dans la pâte, et le trésor caché dans un champ (Le scandale de l'incroyance, dans etl 1965, p. 344-372). Même révélé à ses disciples, et à saint Paul rendant grâces à Dieu pour cette révélation de ce qui était « tenu caché depuis des siècles... aux hommes des temps passés », le Royaume et l'admission même des païens à ce Royaume n'en demeure pas moins le Mystère par excellence (Ep 3, en // au § 127 ). Tel est le paradoxe: le Royaume est à la fois « déjà-là » et « pas encore » ; il est révélé mais encore Mystère, et c'est cette situation intermédiaire entre Ancienne Alliance et Parousie qui s'exprime encore pour le mieux en paraboles, plus ou moins « expliquées » par le Christ, suivant la capacité de chacun.

depuis le commencement du monde: Dans le Ps 78, l'expression en grec — < ap'arkhès > — référait aux débuts de l'histoire d'Israël, et notamment à l'Exode. Mais elle pouvait aussi se rapporter au premier < commencement > ; et pour qu'il n'y ait pas d'hésitation possible sur son intention, Mt remplace l'expression par une autre, qui ne peut désigner que la création du Cosmos. Car c'est à ce fonds de la nature que puisent les paraboles, pour en éclairer le symbolisme spirituel (introd. aux § 125 -139). C'est en effet alors même que Dieu créait le monde qu'il commençait de « préparer le Royaume », comme Jésus le révélera incidemment au cours de la parabole sur le Jugement dernier; et tous les hommes y sont invités, en « comprenant le Mystère du Pauvre », en qui le Christ se reconnaît (// Ps 41,2 — cf. § 307 ) — Mt 25,34 et 40).

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§ 136. Explication de l'ivraie : Mt 13,36-43


(Mt 13,36-43)

— On retrouve l'opposition entre les foules et les disciples, proches du Maître et donc du Royaume instauré en Lui. Elle est doublée ici d'un changement de lieu correspondant: bord du lac / à la maison. dom J. Dupont le rappelle utilement : dans tout l'Evangile, au moins jusqu'à la Passion, les foules sont favorables au Christ et le soutiendraient plutôt contre le parti des pharisiens, ses véritables adversaires. De son côté, Jésus est plein de miséricorde pour la foule (Mt 9,36 Mt 14,14 Mt 15,32), qui le suit (Mt4,25; 8,1; 14,13; 19,2; 20,29; 21,9). Si, dans les § 122 à § 139 (Mt 12,46-13,52), Mt souligne constamment la différence entre elle et les vrais disciples, c'est que, pour être du Royaume, il ne suffit pas d'écouter ses paraboles: il faut « comprendre », c'est-à-dire porter du fruit (§ 129 ) — Mt 13,23*), en accomplissant les commandements de Dieu et de son Christ (cf. J. Dupont: Le point de vue de Mt, dans BETL 29, p. 221-259) — On y trouvera aussi l'indication des positions diverses des exégètes sur le sens originel de cette explication de l'ivraie).

Ce qu'apporté l'explication de cette parabole dont le sens général est déjà suffisamment clair par lui-même, c'est d'abord son élargissement universaliste au monde entier v. 38, et jusqu'à la Fin des temps (v. 39). Mais ce qui est encore beaucoup plus caractéristique et pourtant moins remarqué, c'est la densité proprement religieuse du sens donné à cette histoire, prise d'un phénomène aussi naturel que le mélange des mauvaises herbes au bon blé : du < lexique > allégorisant des versets 37 à 39, seule est neutre la donnée de départ, le champ = le monde', tous les autres termes sont de l'ordre sacral.

Cela doit nous avertir que ce monde en son universalité — exactement: < l'univers > — est donné ici comme le champ clos d'une lutte, où triomphera totalement le Royaume, même si temporairement le Mauvais y sème son ivraie. En grec comme en latin, cette mauvaise herbe s'appelle « zizanie », et cela aussi fait image.

Le Fils de l'homme: apparaît une première fois en Semeur, contré par le diable (v. 37); une nouvelle fois en Juge, que servent les Anges (v. 41).

Le Royaume est son Royaume (v. 41), et il devient au v. 43 Le Royaume du Père, si bien que certains vont jusqu'à distinguer les deux. En fait on ne peut séparer ce qui est seulement étapes dans la constitution du Royaume jusqu'à son accomplissement éternel. Saint Paul les évoque en 1Co 15, 20-28 : le Christ ressuscité, prémices de toutes les générations à sauver, reviendra à la Fin des temps, pour triompher même de la mort, et remettre à son Père sa Royauté, afin que Dieu soit tout en tous (dans le même sens, Mt 25,34). Et comme c'est le même < Fils de l'homme > en Jésus signe de contradiction et dans le Vainqueur de l'Apocalypse, c'est l'unique « Royaume du Fils » (outre Mt 13,41, Col 1,13 et 2P 1,11) et « de Dieu » (partout ailleurs). Car c'est le Père lui-même qui a tout donné à son Fils (Mt 28,18* ; Jn 5,19 ss* ; 17,2) ; et dans le Mystère de la Trinité, tout est si uni qu'il n'y a qu'un même Royaume du Christ et de Dieu (Ep 5,5 — sur tout ceci, cf. J. carmignac: Le mirage... p. 45-46 et 192-193).

Seulement, il y a donc deux états de ce Royaume comme du Messie. Et si Jésus préfère employer ce titre mystérieux de < Fils de l'homme >*, c'est précisément pour son ambivalence, capable de signifier suivant le cas, l'aspect effacé ou glorieux de son rôle. C'est ce que montre précisément ici l'emploi simultané des deux sens. De même le Royaume est déjà bien réel à l'intérieur de nous (§ 242 ) — Lc 17,21*), mais non manifeste encore (1Jn 3,2). C'est sur le caractère progressif de sa croissance qu'insistaient les paraboles du Semeur, du grain qui pousse tout seul, du sénevé et du levain. C'est le délai entre le < déjà-là >* et le < pas encore > que met en valeur la parabole même de l'ivraie, en même temps qu'elle reconnaît la mixité nécessaire de l'état temporel du Royaume.

// 1Jn 3,8-10 Sg 2,23-24 — Fils du Royaume... fils du Mauvais: Le sémitisme < fils de... >* convient ici plus littéralement, dans la mesure où les « fils du Royaume » sont bien « nés de Dieu » (Jn 1,12-13* et 3,4*; cf. // 1Jn 3,8-9). Par contre, bien sûr, nul ne « naît » du diable: on peut seulement, par le péché, se livrer à lui et lui « appartenir » (// Sg 2,23-24). L'appartenance au Royaume n'est donc pas gagnée du seul fait que l'on y est né — par le baptême ou par tout autre don de Dieu — encore faut-il y répondre en accomplissant la Justice*, sous peine d'en être finalement retranché avec tous ceux qui font l'iniquité (v. 41*).

Irénée : Adv. Hoer. IV, 41,2 (SC 100, p. 986): Selon la nature, nous sommes tous fils de Dieu, puisque tous nous sommes venus à l'existence par lui; mais au point de vue de la foi et de la docilité, nous ne sommes pas tous fils de Dieu: le sont ceux qui croient en lui et qui font sa volonté. Ceux qui ne croient pas, et n'obéissent pas, sont fils et anges du diable en tant qu'ils font les oeuvres du diable (Jn 8,41-44).

C'est bien ce qu'affirmé constamment Saint-Matthieu : chacun sera jugé suivant qu'il aura pratiqué ou non les commandements de Dieu (§ 53 et § 74 -Mt 5,17-20; 7,21-23; § 122 ) — Mt 12,46-50; § 307 ) — Mt 25,31-46).

Mt 13,39) — Le diable, les anges*: nommés non pas < en parabole > (comme de simples images), mais comme explication de la réalité mystique, au même titre que le Fils de l'homme et le Royaume. Tant pis pour qui nie ou déguise dans l'Évangile ce qui dépasse les limites du rationalisme (voir < démons >*).


Mt 13,40 // Jl 4,12-13 Ap 14,15 — L'eschatologie survient seulement comme un ultime accomplissement: à la Fin du monde (répété, v. 39-40).

Mt 13,41-43 // Sg 4,4-5 Da 12,2-3 Jg 5,31 2S 23,3-4 Sg 3,7 Sg 3,10 Sg 4,20 — Ils enlèveront... tous les scandales et ceux qui font l'iniquité: Litt. « ceux qui agissent sans-loi » (< A-nomia >). « Conformément à son sens vétérotestamentaire, < l'anomia > représente chez Mt le concept antithétique de la Justice (v. 43) ; l'iniquité est stigmatisée comme non-pratique de la Loi, telle qu'elle a été interprétée par le Christ sous le primat du commandement d'amour » (D. Marguerat : Le Jugement... p. 443). Mais ces « fauteurs d'iniquité » (au sens de < ceux qui font défaut >) sont autant de « scandales »*, auxquels achoppent les petits. D. Marguerat souligne à juste titre que tout en sévissant de par < le monde > le scandale n'en est pas moins vu par Mt comme retentissant surtout entre frères de la même Église (18,7 = Discours sur l'Église). Ici encore ne séparons pas la < morale > de cette parabole, qui peut valoir pour tout le monde, du cadre ecclésial qu'impliqué la référence au Royaume, non seulement dans ces versets et tout ce chapitre, mais dans tout l'Évangile de Matthieu.

les jetteront dans la fournaise du feu... pleurs et grincements de dents: Comme au v. 50 (parabole du filet), 3 des 5 images de l'enfer dans les Évangiles: 1) le feu, comme à Sodome (Gn 19) et dans la vallée de la géhenne*. Cf. Mt 3,10-12 (Jean-Baptiste); 5,22; 7,19; 18,9; 25,41; 2) et 3) pleurs et grincements de dents: Mt 24,51 ; en 8,12; 22,13; 25,30 s'y ajoutent 4) les ténèbres extérieures: on est « jeté dehors » ; enfin 5) le ver qui ronge (Mc 9,48). Avec la menace terrible que « ce ver ne meurt pas, ni le feu ne s'éteint » ( — citation de ce qui est la finale du Livre d'Isaïe (66,24).

L'origine de l'enfer, c'est le refus de Lucifer et des anges qui l'ont suivi (Ap 12,7-9 et 20,10-14): « Pour l'inventeur de l'apostasie, c'est-à-dire le diable, et pour les anges qui apostasièrent avec lui, Dieu a préparé le feu éternel et les ténèbres extérieures » (Irénée: Adv. Hoer. IV, 40,1 ; SC 100, p. 974). Mais le pire est que ce soit le Fils de l'homme, venu pour nous sauver, qui doive ainsi déclarer exclus ceux qui n'auront pas voulu du Règne de Dieu (Vtb < Enfer >).

Comment est-ce seulement possible? ch. péguy a tourné et retourné cette question dans Le mystère de la charité de Jeanne d'Arc. L'essentiel de ce que peut en dire la théologie se trouve dans le petit livre, simple et profond, de l. lochet: Jésus descendu aux enfers. Mais quoi qu'il en soit de ce < mystère >, ce serait d'une inconscience et d'une malhonnêteté graves que de taire cette menace que Jésus profère avec tant de force, justement pour nous forcer à la prendre au sérieux : « Chaque fois que les Évangiles en parlent, remarque J. Jérémias, c'est avec un réalisme voulu, afin d'exprimer le caractère redoutable de la sentence. Cet enfer est un lieu... Il saisit l'homme tout entier. Il est éternel » (Théologie du N.T., p. 166). Sous les images physiques, il faut discerner la brûlure, le deuil, le déchirement intime, le regret rongeur, la fuite éperdue pour cacher sa honte (Jn 3,20). Et tout cela n'est en réalité que l'envers, le dehors du Royaume dont on s'est soi-même volontairement exclu, la peine du Dam.

Car bien entendu, Dieu veut le Salut de tout homme y compris des pécheurs, et Il a tout fait pour nous sauver. Ne peut être damné que celui qui l'a effectivement, consciemment, librement voulu et maintenu envers et contre Dieu même, en gaspillant, pervertissant, atrophiant ou refusant obstinément le Don de l'Amour :

dostoïevski : Les Frères Karamazov l. VI, 3, fin des « Entretiens du starets Zosime »: Mes Pères et mes maîtres, je me demande: qu'est-ce que l'enfer? Pour moi, c'est la souffrance de ne plus avoir le droit d'aimer. Une fois, dans l'immensité de l'espace et du temps, un être spirituel a surgi sur la terre, et sa chance lui a été donnée : la possibilité de se dire à lui-même : Je suis, et j'aime. Une fois, une fois seulement, lui a été offert un cycle de salut pour y faire valoir l'amour agissant et vivant. Et c'est pourquoi lui a été donnée la vie de la terre, limitée dans le temps. Or, cet être privilégié a repoussé le don inestimable, il n'en a pas reconnu la valeur, ne l'a pas aimé, lui a jeté un regard moqueur, y est resté indifférent. Cet être quitte la terre, approche du sein d'Abraham, converse avec Abraham comme nous le raconte la parabole du riche et de Lazare. Il aperçoit le paradis et peut aller jusqu'au Seigneur ; mais précisément ce qui le tourmente, c'est qu'il approche du Seigneur sans avoir aimé : il entre en contact avec ceux qui aiment, et il a méprisé leur amour. Car il y voit clair, et se dit à lui-même: « Maintenant, je sais. Et bien que j'aie soif d'aimer, la vie ne sera pas rendue à mon amour: plus rien à sacrifier; car la vie de la terre est finie. Abraham ne viendra pas rafraîchir, fût-ce d'une goutte d'eau vive (c'est-à-dire par un nouveau don de la vie terrestre, agissante mais passée), ma dévorante soif d'amour spirituel: il me brûle maintenant, moi qui le dédaignais. Je n'ai plus de vie, et le temps n'est plus! Avec bonheur je donnerais ma vie pour les autres — mais ce n'est plus permis, car la vie est passée, la vie qu'on pouvait offrir en sacrifice à l'amour ; et maintenant il y a un abîme entre cette vie-là et notre déchéance. »

On parle de la brûlure matérielle de l'enfer : je ne sonde pas ce mystère, je tremble. Mais je suppose que s'il y avait brûlure matérielle, celle-ci soulagerait plutôt les damnés ; car dans ces tourments matériels ils oublieraient, ne fût-ce qu'un instant, leur terrible supplice moral. Il est impossible de les soustraire à ce supplice spirituel, car il ne leur est pas extérieur: il est en eux; mais à supposer qu'on puisse les en délivrer, alors ils n'en seraient je crois que plus amèrement malheureux. Car quand bien même les justes du paradis leur pardonneraient, à la vue de leurs tourments, et les appelleraient auprès d'eux dans l'amour infini, ils ne feraient qu'aggraver leur supplice, car ils exciteraient en eux cette soif brûlante d'un amour mutuel, d'un amour agissant, d'un amour qui chante la gloire de Dieu : à tout jamais, ils en sont exclus...

Ah, il y a jusqu'en enfer des esprits qui demeurent fiers effarouches, bien qu'ils sachent sans pouvoir douter, bien qu'ils se trouvent face à face avec la Vérité irrésistible. Il y en a d'horribles, qui se sont totalement intégrés à Satan, à l'esprit d'orgueil... Ils se sont maudits eux-mêmes, en maudissant Dieu et la vie... Ils maudissent Dieu qui les a appelés. Ils ne peuvent regarder sans haine le Dieu Vivant, et ce qu'ils revendiquent c'est que Dieu n'ait plus la vie, que Dieu s'anéantisse avec toute sa création. Ils brûleront éternellement dans le feu de leur propre colère ; ils auront soif de la mort et de ne plus être. Mais la mort ne les recevra pas.

On comprend que le Christ multiplie les avertissements de craindre « Celui qui est assez puissant pour perdre l'âme et le corps dans la géhenne » (§ 101 -Mt 10,28), le diable, semeur de zizanie. On comprend que la Tradition chrétienne, et même les plus géniaux des Pères grecs, ne croient pas inutile d'y insister:

Grégoire de Nysse : De Instituto Christiano (Ed. Jauger VIII, l p. 76): le diable est habile : s'il trouve la garde assoupie, inattentive, il saisit l'occasion. Il entre, enjambe les travaux de la vertu, et sème, par-dessus le froment, son ivraie à lui: je veux dire l'insulte, l'orgueil, la vaine gloire et le désir des honneurs, la contestation et les autres productions du mal. Il faut donc veiller, guetter de tous côtés l'approche de l'ennemi: alors, même si du fond de son impudence il lance quelque engin, celui-ci sera rejeté avant d'avoir touché l'âme. (Trad. f", p. 50).

Les justes resplendiront comme le soleil: C'est Dieu la Lumière (// 2S 23,4), et le Christ notre « Soleil Levant, venu d'en haut nous visiter » (§ 8 ) — Lc 1,78*; § 169 ) — Mt 17,2) ; nous lui serons semblables (1Jn 3,2) dans le Royaume éternel (// Da 12,3 Jg 5,31 Sg 3,7) : « Resplendir comme le soleil, c'est resplendir de l'éclat même de la source du Salut, resplendir de l'éclat de Dieu, Sauveur et Roi! » (m. de goedt: L'explication de la parabole de l'ivraie, dans RB 1959, p. 47-48). Le Dessein éternel de Dieu est là. Le mal, la mort (// Sg 2,24), l'égoïsme destructeur de l'Amour, la destinée avortée (// Sg 4,4-5) viennent à la traverse, par « l'envie du diable », et c'est lui qui, au Jugement, se fera le Satan, l'Accusateur (// Sg 4,20). D'où l'avertissement ultime à entendre (v. 43b; cf. § 127 -128) — Mt 13,13-17). À nous de ne pas faire le jeu du diable.


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§ 137. Le trésor et la perle : Mt 13,44-46 // Pr 2,4-5 Jb 28,18)


(Mt 13,44-46 // Pr 2,4-5 Jb 28,18)

— Paraboles couplées, comme le sénevé et le levain (v. 31-33; de même 5,13-16; 6,26-30; 9,16-17 etc... — cf. J. Jérémias: Paraboles... p. 94-96).

Cherché (v. 45) ou non, le Royaume est caché (cf. v. 35*). On ne le fait pas: il est donné, trouvé. Mais encore faut-il que l'homme y donne, y consacre toutes ses ressources. Si c'est vrai de la Sagesse (// Pr et Jb), a fortiori du Royaume du Fils de l'homme, la Sagesse divine incarnée:

Irénée : Adv. Hoer. IV, 26, l (SC 100, p. 712): C'est lui, le Christ, qui est le trésor caché dans le champ, c'est-à-dire dans le monde, puisque le champ est le monde (v. 38). Il est caché dans le champ, car il était signifié par des types et des paraboles, incompréhensibles pour des hommes avant que n'arrivât la réalisation des prophéties (cf. v. 35*). C'est pourquoi il avait été dit au prophète Daniel: « Enferme les paraboles, et scelle le Livre, jusqu'au temps de l'accomplissement » (// Da 12,4).


Donc, en ces deux paraboles conclusives, Mt reprend le double thème de tout ce chapitre sur le Royaume : Don de Dieu (la semence qui croît toute seule, emplira tout l'espace comme le sénevé ou le levain, triomphera finalement); mais exigeant l'adhésion du disciple et donc exigeant pour l'homme (terrain, garde contre le semeur de zizanie, renoncement à tout pour suivre le Christ — comme on l'a bien vu lors de la vocation des premiers Apôtres).

dans sa joie, comme au v. 20. Mais à présent, la semence portera son fruit parce que la condition en est assurée; vendre tout ce qu'on possède (= ce que Jésus demandera au jeune homme riche, en lui promettant aussi « un trésor dans les cieux », Mt 19,21). Les paraboles nous avertissent de ce que nous avons à vivre personnellement. Et en cela se réalisera pour nous le Royaume et sa joie.

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Bible chrétienne Evang. - § 130. Comment recevoir l'enseignement de Jésus: Mc 4,21-25; Lc 8,16-18 // Jn 5,35 Ps 119,105)