Bible chrétienne Evang. - § 176. Couper court au scandale: Mt 18,6-11; Mc 9,42-48; (Lc 17,2 Lc 17,1)

§ 176. Couper court au scandale: Mt 18,6-11; Mc 9,42-48; (Lc 17,2 Lc 17,1)


(Mt 18,6-11 Mc 9,42-48 Lc 17,2 Lc 17,1)

— Ce paragraphe est couplé avec le § 174 qu'il développe, par contraste. Au v. 5, Mt avait précisé : « Quiconque recevra un (litt. < un seul >) petit enfant »... Au v. 6, il enchaîne : (par contre) « qui scandalisera un seul (même adjectif numérique < en >) de ces petits »...

qui croient en moi: Seul cas de l'expression < croire en moi > dans les Synoptiques. Le sens précis en est indiqué au § 77 ) — Jn 2,23-25*. Ici, elle désigne ceux qui se sont confiés au Christ en s'engageant dans l'Église. D'où la véhémence de Jésus pour prendre leur défense.

mieux vaudrait: Ce n'est donc pas menace d'un châtiment, mais avertissement que le mal du scandale* est pire que la mort. De même, aux v. 8-9, l'urgence et la brutalité du remède, par amputation, sont faits pour heurter, réveiller notre apathie, nous forcer à prendre conscience de nos responsabilités. Cf. § 55 ) — Mt 5,29-30*, où se trouvait déjà le même traitement pour éviter à tout prix la chute.

Mt 18,7; Lc 17,1) — Nécessairement : parce que, les scandales venant des mauvaises actions, il ne peut se faire que tous les hommes soient exempts de fautes (Origène: Sur Mt XIII — PG 13,1156). Mais aussi parce que même les meilleurs des actes peuvent < faire scandale > auprès des faibles : par exemple, dit saint Hilaire, l'humilité de la Passion est pour le monde un scandale (Sur Mt 18Pl 9,1019). Même non fondé pourtant, dans la mesure où il peut être évité le scandale doit l'être, comme le Christ vient d'en donner l'exemple au § 173 *. Il y a opposition entre la fatalité globale inhérente au < monde >*, et la responsabilité personnelle du fauteur de scandale, dont les versets suivants montrent qu'il reste libre — même si c'est à un prix héroïque. Ainsi en va-t-il de Judas lui-même, dont Jésus déplorera le malheur en des termes voisins (§ 317 ) — Autres exemples historiques de grands scandales durant l’A.T. en // au § 237 ).

Mt 18,8-9; Mc 9,43-48 // Lv 18-19 Nb 15,30-31 — Ici, le scandale n'est plus dangereux pour les autres, comme au v. 6, mais « pour toi-même ». Cela vaut à tout le moins de < l'occasion du péché >, où le courage premier est de < fuir >. Mais on ne doit pas être moins ferme pour supprimer « tout ce qui retarde et en définitive empêche le croyant d'accepter le message de Jésus, d'en faire le centre de sa vie... Nous avons ici une des paroles-types du radicalisme. Elle présente comme cas limite une exigence précise qui pourrait s'imposer même littéralement.... Sous une forme imagée, elle redit l'absolu du message de Jésus, l'option décisive qui s'impose, et le prix qu'il faut payer pour être disciple » (t. matura : Le radicalisme, p. 147-148).

// Lv 18-19 Nb 15,30-31 — Ces quelques versets, pris entre bien d'autres, rappellent que l'exigence de sainteté, avec les < retranchements > qu'elle peut imposer, n'était pas moins grande pour Israël que dans la communauté chrétienne. C'est qu'elle n'est pas arbitraire, mais nécessitée par la sainteté de Dieu, incompatible avec toutes les formes du mal.

entrer dans la vie... être jeté au feu éternel: Sur l'enfer, cf. § 136 *.

Mt 18,10-11 // Tb 12,6-15 He 1,14 — Ne pas mépriser: Ce verbe < Kataphroneô >, dans le N.T., ne désigne pas seulement un sentiment intérieur; il s'agit d'une attitude visible, blessante (1Co 11,22 1Tm 4,12). Cela peut, hélas ! être pour ceux qui en sont victimes, un véritable « scandale », dont certains ne se relèvent pas, et qui les éloigne définitivement de l'Église.

leurs anges, dans les deux, contemplent sans cesse la face... : l'insistance porte non moins sur la permanence que sur l'excellence du privilège. « Voir Dieu », non seulement l'homme en est incapable sur cette terre (Ex 33,23), mais l'archange Raphaël le donne pour titre rare, propre au degré supérieur de la Hiérarchie des Anges eux-mêmes. Par conséquent, ces « petits » jouissent d'une protection spéciale de Dieu (cf. J. héring, dans Mél. Goguel, p. 95-102) — sans que l'on soit obligé d'adopter ses hypothèses sur l'interprétation populaire de ces anges). Bien plus, le Père s'occupe même de « ce qui était perdu », en envoyant son Fils. C'est ce que dit expressément Mt 18,11. Comme il ne se trouve qu'en quelques mss. et dans la Vulgate, Nestlé ne le tient pas pour authentique (d'où sa mise entre parenthèses) ; mais s'il est rajouté, ce n'est que comme une transition naturelle vers la parabole du § 178 , où toute la Tradition chrétienne reconnaît le Christ, dans ce Pasteur en quête de la centième brebis.


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§ 177. Le sel: Mc 9,49-50; (Mt 5,13 Lc 14,34-35)


(Mc 9,49-50 Mt 5,13 Lc 14,34-35)

— La finale de Mc: « Vivez en paix les uns avec les autres » fait inclusion avec Mc 9,33-34, la recommandation de < vivre en paix > répondant à l'altercation suscitée par les rivalités ambitieuses des Apôtres. Dans ce contexte, « ayez en vous du sel » pourrait signifier : < prenez les choses avec un grain de sel > (avec humour) ; cela facilitera la vie de communauté.

Mt, lui, avait mis l'aphorisme au début du < Sermon sur la Montagne > (voir au § 51 , où se trouvent aussi les //). Ce qui lui permet ici d'enchaîner directement de la finale du § 176 à la parabole du § 178 .

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§ 178. La brebis perdue: Mt 18,12-14; (Lc 15,1-10)


(Mt 18,12-14 Lc 15,1-10)

— À partir de la même parabole, deux conclusions complémentaires, adaptées aux deux auditoires bien différents — disciples chez Mt, Pharisiens chez Lc — et au besoin de la cause. Lc 15 entre dans la grande révélation que faire miséricorde est la joie de Dieu (v. 6-7). Mt mentionne aussi la joie (v. 13), mais revient au thème central du < Discours communautaire > : la sollicitude du Père pour les petits.

Cependant, il ne s'agit pas seulement d'une vérité générale, intemporelle, sur les conduites de la Providence divine. Jésus lui-même, de par son Incarnation, son ministère, ses miracles, sa prédication, est l'accomplissement* de ce que la parabole < figure > : en Lui vient à notre devant le Règne de Dieu :

« Par rapport à cette Bonne Nouvelle, la conduite de Jésus prend valeur de signe. Elle atteste que... Dieu a déjà entamé le processus qui doit aboutir à l'épanouissement glorieux de son Règne... Avant son établissement définitif, Dieu tente un dernier effort en vue de permettre aux pécheurs de son peuple d'avoir part aux bienfaits du Règne... La mission de Jésus est si étroitement liée à ce Règne qu'elle le rend proche... En sa parole et en sa personne, le Royaume est proche pour chaque homme. Cette proximité du Royaume a pour signe une manifestation extraordinaire, non de la puissance et de la colère divines, mais de la sollicitude que Dieu porte spécialement aux déshérités... qui doivent trouver en Jésus et en ses témoins la preuve que Dieu ne songe qu'à leur salut » (J. Dupont, dans « Gregorianum » 1968, p. 265-287 - - Citation des pages 285-86).


Mt 18,12 : Qu'en pensez-vous ! — Une de ces questions-pièges, par où Jésus amène ceux qu'il apostrophe ainsi à consentir, sur un exemple concluant, à ce qu'ils n'auraient sans doute pas admis directement. Le thème de Dieu, pasteur de son peuple, était d'ailleurs familier à tout Israélite : cf. les // Gn 48 Ps 80 Is 63,11 Ps 77,21 Ps 119,176 (et Jr 23,3-6; 31,10; Ez 34,15-16; Ps 23,1-3; He 13,20-21, en // au § 230 ).

La brebis est perdue : au sens propre, chez Le. Pour Mt, il s'agit plus précisément d'un égaré, que ce soit par les Pseudo-prophètes (Mt 24,4 Mt 24,11 Mt 24,24 2Tm 3,13 1Jn 2,26 Ap 19,20), par Satan (Ap 12,9), ou par soi-même (1Jn 1,8). La sollicitude pour « les brebis perdues d'Israël » s'est déjà manifestée en Mt 9,36; 10,6; 15,24; ou encore, équivalemment : Mt 9,10-13; Mt 11,28-30; 14,14.

Lc 15,4-10) — Doit se lire dans le contexte de ce chapitre 15, donc sans oublier la 3° des paraboles de la divine Miséricorde, celle de l'Enfant prodigue : cf. l'Introduction aux § 230 -232, et § 230 *.

chercher, trouver, ramener: Sur le couple « chercher-trouver », cf. § 18 ) — Lc 2,45*, et § 70 ) — Mt 7,7-8*. Mais ici, toute l'initiative est au Pasteur. La brebis n'a même qu'à se laisser porter. Contrition, Retour, seront mis en valeur plutôt par l'Enfant prodigue. La pénitence-métanoïa n'est pourtant pas absente ici, puisqu'elle se trouve au moins valorisée par la conclusion (v. 7a et b).

C'est conforme à l'insistance habituelle de Lc sur le repentir : cf. § 42 , où Le est le seul à préciser que « le Christ est venu appeler les pécheurs au repentir ». Cf. aussi Ac 5,31 ; 11,18; 26,20 (24 mentions en Lc-Ac, contre 7 et 3 en Mt et Mc).

Mt 18,13-14) — Aux yeux de votre Père : C'est Lui qui est en cause, à travers la mission du Fils (cf. § 78 ) — Jn 3,16*). C'est à Lui que devront penser, se référer, se conformer les pasteurs de la Communauté chrétienne, dans leur ministère auprès des « petits ».

// Ne veut pas qu'un seul se perde: Correspond au « un seul » des v. 5 et 6*. Encore plus marqué ici, par l'opposition avec les 99 autres. Accueillir ou scandaliser un seul n'a tant d'importance aux yeux du Père que parce qu'il a mis sur le moindre d'entre eux son amour sauveur : Il appelle chacun de nous « par son nom », propre, irremplaçable (Is 43,1-4). Ce n'est pourtant pas aller dans le sens d'un « individualisme chrétien » (bonnard), puisque tout au contraire, il s'agit de ramener au bercail commun. Reste l'arithmétique, où Mt et Lc se rejoignent : 1 > 99, à la fois pour la sollicitude (puisqu'on abandonne les 99 pour 1 seule brebis perdue), et pour la joie.

C'est tout à fait comparable à l'Évangile de Saint-Jean, où le Bon Pasteur veille aussi à ce que nul d'entre les disciples ne se perde (Jn 10 et 17).

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§ 179. La correction fraternelle: Mt 18,15-17


(Mt 18,15-17)

 —Si ton frère a péché: Certains mss. ajoutent « contre toi »; peut-être par rapprochement soit avec le v. 21, où cette précision figure dans la question de Pierre, soit avec Lc 17,3-4 (§ 238 ). Plus largement encore, c'est tout le ch. 18 qui traite des rapports mutuels. Mais un « frère » ne peut se désintéresser des péchés qui seraient plus directement « contre Dieu ».

Seul à seul... avec témoins... en Église : Il y a donc triple gradation, et il faudrait apprendre à ne pas employer uniquement les grands moyens quand la réconciliation peut avoir lieu plus simplement. Ce sont d'ailleurs les degrés que l'on pratique spontanément pour régler les multiples litiges familiaux ou professionnels. Certes ! la correction fraternelle est bien délicate — et c'est pourquoi se trouve indiqué le recours à des médiateurs, soit à titre individuel, privé, soit au titre plus officiel de représentants de l'Eglise — ce qui est le rôle sacramentel du prêtre-sacrement du Christ (§ 180 ) — Mt 18,18*). Mais l'aveuglement qu'entraîné le péché rend d'autant plus nécessaire et bénéfique la pratique de cette correction, vantée par Job (// Jb 33). Le // Lv 19,17 en fait même un devoir, que la Tradition juive autant que chrétienne a souvent recommandée : « Qu'on ne haïsse pas [son prochain à cause de la perversité de son coeur], mais dans le même jour, qu'on l'exhorte, et qu'ainsi on ne se charge pas soi-même de l'égarement. De même, que personne n'introduise une affaire qui concerne son prochain devant les < Nombreux >, sans l'avoir averti devant témoins » (Règle de la Communauté de Qumrân (i, p. 44).

césaire d'arles : Sermons au peuple (SC 243, p. 110-112) : Pour accomplir avec l'aide de Dieu le commandement du Seigneur, ayons à coeur deux genres d'aumône : ne donnons pas seulement du pain à ceux qui ont faim, mais hâtons-nous d'accorder notre indulgence à ceux qui pèchent contre nous. Quant à la manière d'appliquer à nos ennemis ce remède de la vraie charité — même quand ils ne le demandent pas — nous la trouvons dans l'Évangile : « Si ton frère a péché contre toi, reprends-le entre toi et lui, seul à seul. »

Si tu négliges ce commandement du Seigneur, tu es plus mauvais que ton adversaire : car lui, il t'a fait du tort, et en te faisant du tort il s'est blessé lui-même, gravement. Tu négliges la blessure de ton frère ? Tu vois qu'il meurt ou qu'il va mourir, et tu ne bouges pas ? Tu es pire en te taisant que lui en t'offensant.

« Reprends-le — donc — seul à seul » : sois plein de ferveur pour le corriger, mais épargne son respect humain. Car la honte pourrait /' inciter à défendre son péché ; et celui que tu veux rendre meilleur, tu le rendrais pire...

S'il t'écoute, tu as gagné ton frère : Cf. Mt 16,26; 25,16; 1Co 9,19-22 -Qu'est-ce que cela signifie, dit saint Augustin, sinon que sans toi il se serait perdu. Sous prétexte qu'il s'agit seulement de péché entre vous, ne pense pas que ce soit peu de chose. Comme dit saint Paul, « quand vous péchez contre vos frères, et blessez leur conscience, qui est faible, c'est contre le Christ que vous péchez » (1Co 8,12). Comment ne pécherait-on pas contre le Christ quand on pèche contre un membre du Christ ?... Certes, le remède est facile : Tu as péché contre ton frère, répare le tort que tu lui as causé, et tu es guéri. Mais n'en conclus pas que la moindre division entre chrétiens soit peu de chose (cf. § 54 ) : seulement, à ce mal mortifère, tu as pu porter immédiatement remède (Sermon 82, c. 3) — Pl 38, 507-508; Vives 16, 856-57).

Ces versets ne doivent donc pas être pris pour un < code pénal >, mais au contraire comme un souci de multiplier les possibilités de réconciliation. La rupture elle-même, envisagée au v. 17b, signifie seulement qu'il n'y aurait pas de recours plus élevé que l'Église — et non pas que l'on doive se désintéresser du frère éloigné ou séparé, comme si c'était sans espoir de retour (cf. v. 22):

« Qu'il te soit comme un païen ou un publicain », cela ne veut pas dire, poursuit césaire d'arles, que tu doives, pour autant, négliger son salut, car toujours nous désirons et cherchons le salut des païens et des publicains ().

« La lettre du texte n'impose pas l'idée d'une expulsion de l'Église, mais plutôt celle d'une mise en quarantaine dans l'Église; le texte ne dit pas « qu'il soit pour l'Église... » mais «pour toi » (bonnard, p. 275).


Ainsi, n'y a-t-il rien du < roman > qu'on a imaginé, aux origines de l'Église, d'un débat entre deux ecclésiologies opposées, l'une interdisant de chercher à purifier la Communauté de l'ivraie qui s'y trouverait mêlée (§ 132 ) — Mt 13,28-29), l'autre demandant jugement et exclusion (Mt 18,15-18). Tout le contexte de ce ch. 18, conclut D. Marguerat « le démontre avec éloquence : la communauté ne saurait user aveuglément de ce dispositif juridique, à la manière d'un conventicule soucieux de préserver sa pureté. Au contraire, la règle est devenue partie intégrante d'une parénèse (= d'une exhortation) centrée sur l'accueil des membres faibles et égarés de l'Église » (Le jugement... p. 428-432).

R. GUARDINI : Le Seigneur I, p. 343-345 : De même que Dieu désire regagner l'homme perdu, ce qui ne peut se faire que par une conversion intérieure, ainsi l'homme instruit par le Christ ne demande qu'une chose, c'est que celui qui l'a blessé reconnaisse sa faute et rentre ainsi dans la communauté de la vie sainte.... Ceci montre clairement que le pardon fait partie d'une réalité plus vaste, qui est l'amour. C'est la forme que prend la charité quand on lui a fait du tort... C'est le Christ qui est le modèle suprême ici. Il est le pardon vivant...Nous ne pouvons être rachetés sans que l'Esprit de la Rédemption agisse en nous. Nous ne pouvons jouir de la Rédemption sans y contribuer. Notre contribution, c'est l'amour du prochain. Et cet amour devient pardon, dès que le prochain prend à notre égard l'attitude que nous prenons à /' égard de Dieu, c'est-à-dire dès qu'il nous a fait du tort.

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§ 180. Le sacrement de la réconciliation: Mt 18,18-20


(Mt 18,18-20)

— On reconnaît, dans le v. 18, l'extension à l'Église (que concerne tout ce chapitre), du Pouvoir donné à Pierre (§ 165 ) — Mt 16,19*, où se trouve indiqué le sens de « lier et délier »). C'est à lire dans le prolongement direct des v. 15 à 17 :

césaire D’ARLES : Même Sermon (SC 243, p. 112-114): Vous avez entendu l'avertissement du Seigneur : il nous commande la correction fraternelle, au titre des soins qui sont dus au prochain. Et c’est si vrai, qu'il enchaîne : « Tout ce que vous aurez lié... » Au moment où tu commences à tenir ton frère pour un publicain, tu le « lies » sur la terre — mais veille à le lier avec justice, car la justice rompt les liens injustes. Puis, quand tu as remis ton frère dans le droit chemin et t'es réconcilié avec lui, tu l'as « délié » sur la terre, et parce que tu l'as délié sur la terre, il sera délié dans le ciel : tu as fait un don magnifique : non à toi-même, mais à lui; car il avait nui beaucoup, non à toi, mais à lui. Et quand, avec l'aide du Christ, vous aurez accompli cette oeuvre, vous pourrez en toute assurance crier au Seigneur dans l'Oraison dominicale : « Remets-nous nos dettes, comme nous aussi les remettons à ceux qui nous ont offensés. »

Mais il n'y a pas moins de continuité entre les v. 18 et 19 (même tandem < terre — ciel >), puis entre les v. 19 et 20. On perçoit encore mieux la suite logique des propositions si, au lieu de lire ces 3 versets dans leur ordre normal (qui, du point de vue logique, remonte de l'effet à sa cause), on suit leur ordre déductif : v. 20?19?18.

Au départ, en effet, il y a la foi du « Je suis avec vous, tous les jours, jusqu'à la consommation des siècles » (Mt 28,20 = ici le v. 20). De par cette communion au Christ, comment la prière de l'Église ne serait-elle pas agréée du Père (v. 19), de sorte que ce qui est lié ou délié par elle, assemblée sur cette terre, soit ratifié au ciel (v. 18). L'analyse des termes employés dans ces 3 versets confirme qu'il s'agit bien ici d'une < sacramentalisation > de la réconciliation, à l'intérieur de la communauté chrétienne :

Mt 18,20) — Là où deux ou trois : Ne réfère donc pas au Collège des Douze, comme tel, mais plutôt peut-être à ces « deux ou trois » médiateurs du 2° échelon (v. 16) que l'on n'aurait pas voulu écouter dans leur office privé. À présent, les voilà réunis — ce qui, en Mt, « désigne souvent une assemblée (litt. < Synagogue >) de caractère officiel : cf. Mt 2,4; 22,34; 26,3.57 ». Elle peut déborder largement les seuls 2 ou 3, autour desquels se rassemble la communauté. Mais peu importe le nombre : « Crois jusqu'à la fin, même s'il arrivait que tous les hommes sur terre soient séduits et que tu restes seul à croire. Apporte alors ton offrande et loue Dieu, toi qui es seul à croire. Mais si deux hommes comme toi se réunissent, alors voilà le monde entier, le monde de l'amour vivant : embrassez-vous l'un l'autre tendrement, et louez le Seigneur : car bien que vous soyez seulement deux, sa vérité est accomplie » (dostoïevski : Les Frères Karamazov, VI, 3) — Églises russes, Ed. Zodiaque, 1969, p. 107).

en mon Nom : Litt. < vers > (< eis >) mon Nom. Quelle magnifique évocation de la liturgie de l'Église, tournée, tendue vers son Chef !

// Ps 68,6-7 Ps 22,4 — Dès l’A.T. s'affirmait donc la croyance à une présence de Yahvé par et dans la prière (Ps 22,4), pour « ceux qui vivent d'un seul coeur» (Ps 68 = Mt 18,19 Ac 2,46), et tout spécialement pour les « petits »: orphelins et veuves, pauvres et persécutés (Ps 11,4). Par la suite, les rabbins en concluront que là où dix Israélites sont réunis pour méditer le Talmud, la Shékinah (la présence de Dieu au milieu de son peuple — cf. bc I*, p. 254-55) est au milieu d'eux (cité par L. Bouyer : Le Fils éternel, p. 216). Ce qu'ajouté la Nouvelle Alliance, c'est que cette Présence de Dieu à son Église est personnalisée en Jésus, incarné, mort et ressuscité, pour en faire son Épouse sainte et immaculée, en Lui ré-unie par-delà tous les scandales et germes de division (Ep 5,25-27).

On prend souvent ce v. 20 absolument, comme garantissant la présence du Christ en toute assemblée chrétienne : ce n'est pas faux. Mais Mt 18,20 l'affirme d'une assemblée précise, dans un but de réconciliation. C'est donc plus directement par la célébration communautaire de la pénitence (sous les formes diverses pratiquées par l'Église au cours des siècles), que s'accomplit cet Évangile de Mt 18,18-20.

Mt 18,19/7 1Jn 5,14) — Si deux d'entre vous s’accordent : Voilà l'antidote aux divisions comme celle qui est au départ de ce < discours communautaire > (§ 174 * et § 177 ) — Mc 9,50b*).

quelle que soit la chose demandée : Cette expression « désignait couramment un différend, une action juridique intentée à tel ou tel (cf. par exemple, dans ce sens, exactement, 1Co 6,1), ou une action, un comportement relevant de la discipline ecclésiale (dans ce sens, cf. le reproche de Pierre à Ananie : « comment cette affaire [allant contre la mise en commun des biens entre les chrétiens] a-t-elle pu naître en ton coeur », Ac 5,4) » bonnard, p. 276.

Une telle demande, s'adressant à Dieu, est évidemment priée. C'était déjà le cas des grandes prières de réconciliation dont l’A.T. nous a gardé les modèles (cf. surtout : Ne 9,1-37 Ba 1,14 à Ba 3,8 Da 3,24-45 — Voir e. lipinski : La liturgie pénitentielle dans la Bible, Cerf 1969). On peut souhaiter que de telles « prières communautaires de confession » soient pratiquées au coeur des célébrations pénitentielles, de façon que se rétablisse entre cet aveu public, global, de culpabilité, et l'aveu individuel (toujours secret), le même rapport qu'à la messe entre la grande prière eucharistique et la communion de chacun : celle-ci donne aux participants le moyen de s'associer au sacrifice et à l'eucharistie de toute l'Église, de les ratifier pour sa part en s'y engageant. Et de même, cette < confession > personnelle aurait moins l'aspect d'un épouvantail, si elle donnait surtout à chacun la possibilité de reconnaître sa part de responsabilité personnelle dans cette déficience que l'Église vient d'avouer... C'est bien en tous cas de cette prière de confession que parle ce v. 19.

ils l'obtiendront de mon Père: Bien sûr! puisque uni à l'Église, c'est le Christ lui-même qui le Lui demande. C'est le principe de tout sacrement: la reprise en charge, promise par le Christ, des signes que pose l'Église, sur son ordre et selon ses directives — « faites ceci en mémoire de moi » — de telle sorte que ces signes deviennent par le fait même (< ex opère operato >) efficaces, de l'efficacité propre au Verbe de Dieu, pour qui dire, c'est faire. Signes plus ou moins matérialisés (le pain, le vin, l'eau, l'onction), mais toujours mis en oeuvre au cours d'une prière sacramentalisante.

Mt 18,18 // Jn 20,23 — C'est la formule même d'institution du sacrement de réconciliation. Elle prend son vrai sens, non pas < magique > mais sacramentel, si on ne la détache pas de tout le processus indiqué aux v. 15-17, ni de la pratique significative que les v. 19-20 évoquent, d'une prière communautaire de pénitence. Mais à qui donc est ici confié ce pouvoir de « lier et délier, retenir ou remettre » ?

Il ne faut pas craindre d'interpréter ce verset 18 de Mt 18 suivant ce qu'indiquent les versets antécédents (« dis-le à l'Église ») et suivants (« réunis en mon Nom»). Ainsi d'ailleurs fait saint Augustin : C'est le chrétien, c'est leur < Unité > qui juge à bon droit, qui remet les péchés, et exerce le pouvoir des clefs... parce que cette unité est le lieu où habite et agit le Saint-Esprit (résumé par Y. Congar, préface à Ecclesia Mater de K. Delahaye, Cerf 1964 p. 9) — Références à saint Augustin p. 8 n. 3).

Ce n'est pas dire que le pouvoir d'absolution revienne à tout fidèle. Même ici, l'Église est personnalisée; car, «dis-le à l'Église... s'il n'écoute pas l'Église », présuppose des porte-parole. Il est notable que ce même pouvoir ait été d'abord, nommément, reconnu à Pierre, en tant que chargé par le Christ de mener à terme « mon Église » (§ 165 ) — Mt 16,19*). Ici comme au soir de Pâques (// Jn 20,23), le pouvoir de remettre les péchés est donné « aux disciples ». D'après l'étude d'E.R. Martinez: The Interprétation of < hoi mathêtai > in Mt 18 (dans « Cath. Bibl. Quat. » 1961, p. 281-292), cette expression désignerait plus particulièrement, au moins à partir du ch. 10, les Douze Apôtres, Mt parlant plutôt de « ses disciples » quand il vise plus généralement l'ensemble des simples disciples.

Nous nous trouvons par conséquent ici devant l'un de ces cas où se manifeste le rapport entre sacerdoce royal, commun à tous les fidèles pris ensemble (1P 2,9 — Cf. Vatican II : Lumen Gentium, ch. 10-11), et sacerdoce ministériel, exercé personnellement par les évêques et les prêtres, au sein d'une Église qui, par et dans le sacrement, est tout entière réconciliante en même temps que réconciliée.

« Jésus s'identifie tellement à la communauté qu'il fonde, que le pouvoir de réconciliation et d'excommunication qu'il lui confère manifeste que « le Fils de l'homme a, sur la terre, le pouvoir de remettre les péchés » (§ 90 *), tant il est vrai que le pardon de Dieu passe par celui des hommes, ou plus exactement, que les hommes ne peuvent se pardonner qu'en partageant ensemble la grâce de la réconciliation dont Dieu seul est l'artisan » (radermakers, p. 244) — Cf. Isaac de l’Etoile, à la fin du § 39 *).

p. 442

§ 181. Pardonner indéfiniment: Mt 18,21-22


(Mt 18,21-22)

— Rabbi Yosé disait: « Si quelqu'un pèche, une, deux ou trois fois, on lui pardonne; mais non pas s'il pèche quatre fois, suivant Ex 34,7 (« jusqu'à la 3° et 4° génération ») et Am 2,4 (« Pour 3 crimes de Juda et pour 4... j'enverrai le feu dans Juda ») ». Cité par Bonnard, p. 277. Cf. encore Jb 33,29. En passant à 7, Pierre pouvait se croire généreux...

// Gn 4,23-24 — En retournant l'outrance de Lamek, de la vengeance au pardon, « le Seigneur veut nous former à la ressemblance de sa propre humilité et de sa propre bonté, qui accorde le pardon de tous les péchés, sans limite » (Hilaire: Sur Mt — Pl 9,1022). Car 7, étant le chiffre de la semaine et de la création, a donc valeur symbolique de totalité, surtout ainsi multiplié par lui-même.



§ 182. Parabole du débiteur impitoyable: Mt 18,23-35


(Mt 18,23-35)

— Approfondissement de la réponse à la question de Pierre. Sous la dette et le pardon mutuels, se révèle notre insolvabilité vis-à-vis de Dieu, et l'urgence de ne pas perdre le bénéfice de son pardon. Cf. L. Deiss, dans Ass.S. I, n° 76 (21° d.pp., p. 29-41).

Mt 18,23) — Un roi : litt. « un homme, un roi ». Comme dans la parabole des Invités au festin, que Mt attribue à « un roi » — là où Le parle seulement d'« un homme qui fit un grand festin » (§ 226 ) — cette mention initiale (qui disparaît dans tout le reste de la présente parabole), donne à ce « règlement des comptes », valeur suprême de Jugement < dernier >, sans appel.

Mt 18,24-25) — Dix mille talents = 60 millions de francs or = 50 fois plus que tous les impôts de la Galilée et de la Pérée ! Ici comme avec le 1>99, ou comme avec les 70 fois 7 fois, nous sommes au-delà des mathématiques, c'est-à-dire au-delà de la justice purement rétributive. 10.000 est plutôt donné comme un maximum (1Co 14,19 et Lc 12,1): une dette totale, comme est la nôtre envers Dieu notre Créateur. Donc une dette insolvable (v. 25).

Mt 18,26) — Tombant à ses pieds, se prosterna : Mêmes verbes que pour l'adoration des Mages (§ 14 ) — Mt 2,11). Cf. aussi la prosternation des Apôtres après que Jésus a marché sur les eaux, que Mt est seul à rapporter (Mt 14,33). C'est en effet le geste où l'homme reconnaît le tout de Dieu, de qui nous tenons tout. C'est donc ici une identification expresse du « roi » de la parabole à Dieu.

Mt 18,27 // Ne 5,1-13 — Si Néhémie avait eu la sagesse de renoncer à cette justice barbare, combien plus la Justice de Dieu est Miséricorde ! De fait, eut pitié désigne cette < miséricorde >, qui prend litt. « aux entrailles » non seulement le Christ (§ 39 ) — Mc 1,41*), mais Dieu lui-même d'après Is 54,7-8 (en // au § 246 ): C'est la < Hésed >*. Reviendra avec insistance au v. 33*.

Lui remit sa dette : Ce que réalise la « rémission des péchés » ou < Rédemption >.

Mt 18,28-30) — Cent deniers: Cent francs-or = le 1/600.000° de ce que Dieu vient de remettre au 1° débiteur. Le parallélisme des termes entre la supplique du petit endetté et celle du grand débiteur (comparer v. 29 au v. 26) fait ressortir l'odieuse disparité du traitement. Par contre, se trouve omis au v. 29 le prosternement, qui ne revient qu'au Roi (v. 26*).

Mt 18,31) — Intervention des compagnons: terme déjà employé aux v. 28-29, à propos des deux débiteurs : il y a d'une part le Roi, et de l'autre, quel que soit le degré dans la hiérarchie — comme entre le 1° débiteur, certainement fastueux pour avoir une telle dette, et le second, plus gagne-petit — tous ne forment qu'une seule « compagnie », l'Eglise, compagnie du Christ: « Vous n'avez qu'un seul Maître, et tous, vous êtes frères » (§ 287 ) — Mt 23,8). Par là encore, cette parabole rentre dans le thème < communautaire > de ce ch. 18. Le mot de « frère » réapparaît d'ailleurs en finale, au v. 35.

Mt 18,32-35 // Col 3,13 — Nous trouvons ici la correspondance habituelle entre pardon mutuel et pardon de Dieu, mais dans les deux sens. Au v. 35, notre conduite détermine en définitive celle de Dieu, comme en Mt 6,12-15 et Mt 7,1-5. Mais premièrement, c'est Dieu qui nous a donné l'exemple éclatant du pardon, en son Fils (// Col 3,13). D'où l'odieux de notre dureté entre nous (v. 33). Affaire non pas tant de < justice > que de coeur (v. 35), de miséri-corde, au sens du v. 27*, qui est celui de la 5° Béatitude (§ 50 ) — Mt 5,7*). C'est l'amour-justifiant (= remettant la dette) que Jésus oppose à la < justice > dont les Pharisiens prenaient prétexte pour rejeter les pécheurs (§ 92 et § 114 , où Mt s'appuie sur Os 6,6 et § 288Mt 23,23*). L. Deiss paraphrase ainsi le v. 33 :

«Ne fallait-il pas, toi aussi, avoir pitié de ton compagnon, comme Jésus, le grand prêtre miséricodieux (He 2,17), a eu pitié de toi aux temps messianiques? Qui pratique cette pitié fraternelle hâte l'avènement du Royaume. Qui la rejette s'exclut lui-même du Royaume. Qui s'en tient à la seule justice, n'en fait pas encore partie... » — D'où la conclusion générale :

« L'Église de Matthieu, aussi fortement structurée qu'elle se présente sur le plan de la hiérarchie, n'en demeure pas moins une communauté de frères qui s'aiment et qui se pardonnent (sur ce terme de «frères », Mt 5,22 Mt 5,23 Mt 5,24 Mt 5,47 Mt 7,3 Mt 7,4 Mt 7,5 Mt 23,8 Mt 25,40 Mt 28,10, l'a pratiqué la communauté chrétienne dès les origines, cf. Ac 1,15-16 et passim). Peut-être faut-il voir dans cette affirmation l'essentiel du Discours ecclésiastique de Mt 18... Toute l'Église est là, dans ce pardon fraternel « du fond du coeur » (Loc. cit. p. 38 et 41).

Jean CHRYSOSTOME : Hom. sur la parabole des 10.000 talents (Vives v, p. 16-18): L’Évangéliste a dit cette parabole pour te faire comprendre que même si tu pardonnes à ton frère septante fois sept fois par jour, tu n'as rien fait de magnifique : au contraire, tu es encore très loin de la clémence du Seigneur, et tu ne donnes pas autant que tu as reçu... Tous, nous comparaîtrons devant le tribunal du Christ. Et Dieu nous demandera compte non seulement de nos dépenses — as-tu dépensé pour ton plaisir, ou pour soulager les malheureux ? — mais aussi de l'origine de nos biens... Et les riches ne seront pas seuls à rendre compte : le pauvre rendra compte de sa pauvreté même : l'a-t-il portée généreusement, ou a-t-il accusé la Providence de Dieu ? Et non seulement les magistrats de la chose publique, mais même les autorités de l'Église, rendront leurs comptes : et ce sont eux qui subiront les châtiments les plus durs et les plus lourds.

...Ne crois pas que ce précepte soit difficile. Car si tu pardonnes une fois, deux fois, trois fois par jour, ton partenaire serait-il de pierre ou plus féroce que les démons, il ne sera pas obtus au point de revenir aux mêmes offenses : corrigé par la fréquence du pardon, il deviendra meilleur. Et toi, si tu t'exerces à ne pas tenir compte de l'injure, une fois, deux fois, trois fois, tu n'auras plus aucune difficulté dans ce genre de philosophie.


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Bible chrétienne Evang. - § 176. Couper court au scandale: Mt 18,6-11; Mc 9,42-48; (Lc 17,2 Lc 17,1)