Bible chrétienne Evang. - § 319-324. Le discours après la cène de saint Luc : Lc 22,21-38

§ 319-324. Le discours après la cène de saint Luc : Lc 22,21-38


(Lc 22,21-38)

— Nous suivons l'ordre adopté par la Synopse BJ, qui mêle à ce discours (suivant Lc) le début de celui de Saint-Jean § 320 et 323) — Jn 13,31-38), parce qu'ils ont en commun d'insérer dans ce discours même le reniement de Pierre § 323 . Par contre, du fait qu'ils n'ont rien retenu de ces discours, Mt et Mc enchaînent directement sur le départ du Cénacle, et situent l'annonce du reniement durant le trajet vers Gethsémani § 335 - 336*). Dès lors, nous traiterons d'abord de Saint Luc, réunissant le § 320 de Saint-Jean aux § 325 -334, pour garder chacun des deux discours dans leur continuité.

Leur diversité serait troublante si l'on imaginait qu'ils nous gardent une sténographie des propos tenus par le Christ. Mais, arrivés à ce point des Évangiles, on doit avoir appris que chacun d'eux est une < composition >* littéraire originale, où leurs auteurs usent de la plus grande liberté pour exprimer la compréhension qu'ils ont du mystère du Christ, sans rien inventer, certes ! mais en assemblant et organisant de leur mieux les traditions qu'ils ont pu recueillir en un Tout non seulement plus cohérent mais plus convergent, d'où le < sens >* ressorte et se dessine plus manifestement, en toute profondeur et plénitude. C'est ce que Luc lui-même explique dès son Prologue § 2 *). Et nous suivons ces guides avec d'autant plus de confiance (= de foi) que d'une part ils sont mieux renseignés et à proximité des événements que les plus savants exégètes, et que surtout d'autre part l'inspiration divine garantit la parfaite authenticité de leurs dires et de leurs choix. Sur ce point, cf. P. Grelot: Introd. au N.T.III/7 (1986), notamment p. 268 ss., 316 et 333, se concluant ainsi (à propos du Discours sur le Pain de Vie, Jn 6): Rien n'empêche aucun fidèle de lire directement suivant « l'élan interne du texte: c'est le Christ glorifié qui s'adresse ainsi à lui directement, et à qui il répond par sa vie de foi et sa pratique eucharistique. Dans cette perspective, l'enquête critique apparaît comme très secondaire » (C'est moi qui souligne).

Qu'en ce < repas d'adieu > § 318 *), le Christ ait laissé parler son coeur, en des paroles < testamentaires >, c'est non seulement naturel, mais relève de la loi du genre — d'un genre littéraire dont on a relevé une quarantaine d'exemples dans l’A.T.., (Gn 49 Dt 33 1S 12 Tb 4 1M 2,49-70), dans la littérature juive apocryphe et dans le N.T.lui-même (Ac 20,17-38 1Th 4 2Tm 3,1 à 2Tm 4,8 -cf. X. Léon-Dufour: Le partage... p. 109-113). Même Mt et Mc, par leur dernier verset § 318 laissent entendre le point où, de la Cène proprement dite, naît le discours.

Luc a recomposé entre eux quelques éléments qui, visiblement, viennent d'ailleurs § 319 , 321-22*), ce qui rend manifeste qu'il ne convient pas de baser sur eux une reconstitution chronologique de la Cène § 319 . Par contre, si l'on relève les thèmes, ils se regroupent et s'équilibrent fort bien : il y a d'une part la double mise en garde sur la prochaine trahison de Judas et le reniement de Pierre § 319 et 323); mais par contre, se trouvent soulignés le service § 321 , sa récompense § 322 et ses conditions § 324 .

p. 647

§ 319. La trahison dévoilée : Lc 22,21-23


(Lc 22,21-23)

— Si nous prenions en un sens strictement chronologique la suite des paragraphes dans Saint-Luc, cette annonce venant après l'institution de l'eucharistie, Judas aurait communié avec les autres Apôtres, contrairement à ce que semblent indiquer Mt et Mc puisqu'ils placent au contraire la dénonciation et donc la < sortie > du traître avant § 317 *). Mais d'autres exemples flagrants nous ont montré que, pour Luc, l'ordre chronologique cède à l'ordre logique ou plutôt < scénique > § 23 — Lc 3,19-20*). De même, ici, Luc présente le même diptyque < Judas-Pierre > qu'en Mc (voir Introd. au § 317 *), à ceci près que cette fois la double annonce n'encadre plus le récit de l'institution, mais l'exhortation à servir qui, par le fait, se trouve mise en vedette. Pour le commentaire général de ce § 319 , voir au § 317 *.

selon ce qui est décrété: Ce verbe se retrouve en Ac 2,23 ; 10,42 ; 17,31, tandis que Mt et Mc ont gardé le « selon qu'il est écrit », plus biblique. Peut-être Luc préfère-t-il une expression plus claire à des lecteurs venant du paganisme ; mais en tous cas, il désigne ainsi la source d'où provenaient les annonces prophétiques de la Rédemption : celle-ci est effectivement voulue, décrétée comme rentrant dans le Dessein divin de Salut. Nous rejoignons le < Il faut >* de la Passion, et du même coup se trouve soulignée la liberté souveraine qui préside aux événements que le Christ paraît seulement subir (Jn 10,17-18).


// 1Co 11,27, Suite des v. 23-26, en // à la fin du paragraphe précédent. C'est donc un avertissement général, qui ne vise pas tant Judas qu'il ne rappelle comment la communion eucharistique met tout chrétien en situation de < livrer > le Christ — comme, heureusement et plus encore, de le servir § 321 -22*).

p. 651

§ 320. Prélude au discours de la Cène selon Jean.


— Voir après le § 324 .



§ 321-322. Le service et sa récompense : Lc 22,24-30; (Mt 19,28)


(Lc 22,24-30 Mt 19,28)

-C'est, transposé à la vie chrétienne des disciples, la double face du mystère pascal : mort-service § 321 , pour la participation à la gloire du Règne § 322 .

La dispute pour la prééminence avait lieu en Mt 18,1 et surtout Mt 20,20-28, à la suite de la démarche de la mère des fils de Zébédée : ces ambitions trop humaines entraînaient la même leçon d'avoir à servir, suivant l'exemple de Jésus lui-même § 254 -255*), avec récompense identique de « siéger sur des trônes, jugeant les douze tribus d'Israël » (comparer, au § 322 , Lc 22,30 à Mt 19,28 commentaire au § 251 *). En même temps le v. 27 de Lc § 321 évoque non seulement les // de Mt et Mc (= § 255 , mais la leçon que le Christ a tirée du Lavement des pieds § 316 — voir Jn 13,13, en // à Lc 22,27).

Ainsi, sous des formes et contextes différents, l'accord des 4 Evangélistes est d'autant plus remarquable (< concordantia discordantium >*). En Mt, les circonstances expliquent mieux la réaction trop naturelle des Apôtres contre les prétentions de Jacques et Jean. Située par Lc durant la Cène, l'aberration est stupéfiante, surtout si « la discussion » intervenait après le lavement des pieds ! On voit bien que les Évangiles ne cherchent pas à flatter ceux qui étaient devenus les chefs de l'Église — ce qui est en faveur de leur véracité — mais témoignent plutôt à quel point les Apôtres restaient encore étrangers à cet Esprit du Christ, que leur donnera la Pentecôte.

Commentaire général du § 321 au § 255 *; et du § 322 au § 251 *.

A. George a montré comment Le insiste de toutes façons sur la Royauté du Christ, notamment par sa Passion même. L'opposition avec « les rois de la terre » (Lc 22,25) se trouve aussi en Mt-Mc. Mais Le seul leur oppose aussitôt expressément la Royauté dont le Christ affirme disposer (Lc 22,29): « Le verbe que l'on traduit ici par < disposer > peut signifier < faire alliance >, ce qui répond au v. 20 (< Ce calice est la Nouvelle Alliance... >) ; mais il peut dire aussi < donner en héritage > et cela convient par excellence et au passage du pouvoir du Père au Fils et au don que Jésus fait aux siens au moment de mourir (He 1,2 et Rm 8,17)... Il accorde aux siens la participation au Règne messianique parce qu'il a lui-même reçu ce Règne de son Père à titre d'héritier légitime (Lc 20,14). Sa filiation divine apparaît donc comme le fondement de sa royauté messianique » (Sur Luc, p. 277 et 230).

Lc réaffirmera spécialement ce titre de la Royauté du Christ aux § 342 * et § 352 *. D'où la conclusion synthétique d'A. george: « On constate la place considérable que Luc donne à la royauté de Jésus dans sa Passion: en l'affrontant aux royautés de ce monde (22,24-27; 23,8-12), en la montrant incomprise des Juifs (22,68-70; 23,2.35.39.42) comme des païens (23,3.37.38), en la définissant à la fois comme service (22,27) et comme pouvoir efficace de salut (23,43) ».

// Pr 29,23-26 Ps 147,6 Ph 2,1-5 — L'exhortation à l'humilité, fréquente dans l’A.T., prend pour modèle, dans le N.T., Jésus lui-même dans son Incarnation comme dans sa Rédemption. Ph 2,1-5 est encadré par la double mention du Christ aux v. 1 et 5, introduisant l'hymne sur l'abaissement et la glorification du Christ par sa mort sur la Croix et sa Résurrection (v. 6-7, en // au § 316 .

// Ps 105,17-21 2M 4,9 2M 7,24 — La passion et la gloire de Joseph préfigurent le Christ (BC I*, p. 167-169). Les deux // Tirés de 2M rappellent à quel prix < les rois des nations > se faisaient en réalité payer leurs « bienfaits ».

// Du § 322 : Préfigurations, durant l'A.T., de l'association à la gloire de leur Maître, de serviteurs choisis. Ils ont leur rôle à jouer, tant envers Dieu, comme pourvoyeurs et familiers du Roi (1R 4,7 2Ch 9,3-8) qu'envers les hommes, pour leur Alliance avec Dieu (Ex 24,9) et par conséquent aussi pour le Jugement, des nations comme des membres de la Cité sainte (Ps 149,5 Ps 122,1-5).

Vous mangerez, vous boirez à ma table (Lc 22,30) : L'image du festin messianique et eschatologique s'ajoute à celle de siéger (dont parlait seulement Mt 19,28), conformément à ce qu'annonçait l'exorde solennel à la Cène § 318 Lc 22,15-16*). Ce banquet était préfiguré par celui du Sinaï (// Ex 24,9); mais ce qu'il y a de nouveau et d'inouï, c'est ce que nous fait remarquer notre seigneur :

Je suis au milieu de vous comme celui qui sert : « Il est Dieu < en personne >. Ce que fait Celui-ci, Dieu le fait. Ce qu'il subit, Dieu le subit. Tout ce qui se passe en cette vie se passe en Dieu » (R. Guardini : Le Seigneur il, p. 24). « Celui qui sert » est un Nom de notre Dieu !... (Commentaire au § 255 in fine).

p. 649

§ 323. Annonce du reniement de Pierre: Lc 22,31-34; Jn 13,36-38; (Mt 26,31-35 et Mc 14,27-31, au [§ 336>336].


(Lc 22,31-34 Jn 13,36-38 Mt 26,31-35 Mc 14,27-31)

— Que cette prédiction vienne, comme en Lc, juste avant de quitter le Cénacle (le § 324 faisant transition entre discours après la Cène et départ), ou qu'elle ait été faite durant le trajet (Mt-Mc, au § 336 = après le départ du § 335 , dans les 3 Synoptiques elle annonce la solitude que va éprouver Jésus à Gethsémani. Aussi la parole concernant Pierre vient-elle après l'annonce de la défection générale des Apôtres — plus expressément en Mt 26,31 ou Mc 14,27; mais en Lc aussi, implicitement (22,31-32). Et c'est ce qui provoque la réaction de Pierre : « même si tous... moi, non ».

Par contre chez Jean, situant au début de son Discours après la Cène cette même annonce, elle contribue au ton unique de tout l'entretien. Les Apôtres en effet n'y sont plus seulement inquiets par le pressentiment de la proche Passion de leur Maître : ils sont eux-mêmes décontenancés par la double dénonciation d'une trahison et d'une défection pouvant aller jusqu'au reniement du plus enthousiaste d'entre eux. Mais ce doute sur soi-même se trouve aussi introduit dans les Synoptiques, s'il est vrai que la double prédiction sur Judas et Pierre y encadre soit la Cène (Mt-Mc — cf. § 317 , Introd.), soit les paragraphes essentiels du Discours (Lc), soulignant ainsi « le mystère de l'incapacité humaine foncière à suivre Jésus et à lui être fidèle ». C'est chacun de nous qui doit se poser la question : « Serait-ce moi (le traître) », et reconnaître la fragilité de son engagement, même le plus personnel : « du moins, pas moi ! » En même temps, les Synoptiques s'emploient à rassurer ceux qu'ils mettent en garde contre leur imprudente confiance en eux-mêmes : le Dessein de Dieu tient compte de notre fragilité, puisque «c'est écrit» et donc attendu (Mc 14,21 Mc 14,27). Le Christ y pourvoira précisément par l'institution eucharistique (sur laquelle insistent davantage les Synoptiques) et l'Esprit de la Pentecôte, promis dans le Discours après la Cène selon Saint-Jean. (Sur ces points, cf. l'analyse de La structure littéraire et la lecture théologique de Mc 14,17-52, par P. mourlon-beernaert, dans BETL 34, p. 251-252). Il y a donc bien entre Mt-Mc-Lc et Jn complémentarité de sens plutôt que contradiction.

Jn 13,36-37 // Gn 5,24 — L'occasion aussi de la déclaration de Pierre, est autre en Saint-Jean que dans les Synoptiques. D'après Jn, elle est provoquée par l'annonce par Jésus d'un proche départ, qui L'enlèvera aux Apôtres § 320 — Jn 13,33*), comme la fin d'Hénok le préfigurait (cf. BC I*, p. 73). Dès lors, la réaction de Pierre n'est plus par comparaison présomptueuse avec la désertion des autres Apôtres, mais comme un cri du coeur :

« Pourquoi ne puis-je aller avec Toi, dès maintenant » : « Saint Pierre est encore faible, mais il aime vraiment son Maître ; il souffre à la pensée d'une séparation ; il ne l'accepte pas... Jésus le lui fait dire. C'est une consolation très douce à son coeur; c'est la consolation qui le console de tout. La faiblesse de l'Apôtre ne compte pas à ses yeux; ce n'est pas une disposition de la volonté ; or l'amour est dans le vouloir. Maître du vouloir, il fortifie et prépare la transformation totale qui permettra le plein don de soi.

Saint Pierre lui donne à cette heure un être fragile, inachevé, en formation; mais il lui donne tout ce qu'il a. Quand il aura plus, il donnera ce < plus >. Il aura plus quand Dieu lui aura donné d'avoir plus.

Il faut se donner longtemps dans la faiblesse pour accueillir peu à peu la force dans laquelle on se donnera davantage. Il y a une joie dans le don de soi qui peut être égoïste et périlleuse : on se donne en reconnaissant son néant et en accueillant l'Être qui l'emplit; il appartient à Celui qui est l'Être de le donner ; il appartient à celui qui n'est pas de le recevoir de Lui à l'heure où Il le donne, dans la mesure et les conditions où Il le donne. L'Esprit Saint apprend cela, parce qu'il est le don de soi...

En Dieu seul la lumière brille éternellement d'un éclat infini. En nous les ténèbres la précèdent, et elle ne les dissipe que peu à peu. Le lever de lumière se fait généralement dans la lutte et par l'épreuve. Elle procède de la foi, et la foi est une nuit qui enveloppe en son ombre la clarté.

Tout ce chapitre 13 est une révélation aiguë de cette faiblesse dont la connaissance est si nécessaire, et à laquelle s'oppose, en contraste, la toute-puissance de Celui qui la révèle. Les hommes y apparaissent avec Judas que la passion emporte au fond de l'abîme, avec Pierre et le groupe apostolique qu'animé la meilleure bonne volonté mais qui comprennent si peu et si mal. En face d'eux Jésus se dresse immensément grand de la science qui pénètre tout le Dessein divin, < sciens Jésus >, de sa toute-puissance qui est la puissance sans limite, de son amour qui s'abaisse à soulever la misère humaine et qui accepte à la fois les résistances hostiles jusqu'à la trahison et les lenteurs de l'esprit qui égare les coeurs. Le discours après la Cène ne se comprend bien que dans ce cadre : le cadre de la science et de l'amour infinis qui se communiquent sans réserve à des âmes si peu ouvertes ou si irrémédiablement closes (Dom Guillerand: L'abîme de Dieu, p. 411-413).

Lc 22,31) — Pierre est spécialement mis en vedette par Lc : comparer 4,38 ; 8,45; 9,32; 12,41 ; 22,8.13.61-62 avec les passages correspondants de Mt et Mc — sans parler des Actes, ni du // Ga 5,24, montrant la prééminence reconnue à Pierre dès avant la Pentecôte (cf. R. Pesch, dans BETL 32, p. 237). Mais il est d'autant plus notable qu'ici comme en Lc 24,34 et Jn 21,15-17, Jésus ne l'appelle plus de son nom de fonction « Pierre », mais « Simon, Simon », comme s'il faisait le départ entre la dignité vicariale de son successeur et sa fragilité personnelle.

Satan a demandé de vous cribler : Toujours le duel qui donne à la vie et à la passion du Christ sa véritable et mystique perspective § 27 — Mt 4,3 A. Gelin et fascher*). Le « vous » montre qu'il s'agit bien ici des Douze.

// Jb 2,2-6 Za 3,1-2 Am 9,9, annoncent, sous forme imagée Am 1) Dieu permet que même les justes, comme Job, soient éprouvés (et en ce sens « tentés ») — 2) mais contre Satan* l'Accusateur, Dieu lui-même prend notre parti et notre défense (// Za 3,1-2 Ps 108,6 Ps 108,30-31 — 3) si le Peuple élu est plus éprouvé qu'un autre, pas un bon grain ne s'en perdra (Am 9,9 Jn 17,12).


Mt 26,31-32; Mc 14,27) — Scandalisés : cf. § 55 et § 106 — Mt 5,29-30* et 11,6*. En citant Za 13,,7, Mt et Mc visent davantage l'ensemble des Apôtres, « brebis » mères de l'Église (cf. § 372 — Jn 21,17*). Toutefois, ce que l'annonce a de terrible se trouve compensé par la perspective de la Résurrection et de futures retrouvailles « en Galilée », berceau de leur première rencontre avec le Christ.

Lc 22,32) — J'ai prié pour toi : de quelle efficacité, la prière de Jésus ! Saint-Luc en fait souvent la mention § 24 — Lc 3,21*, et Introd. aux § 46 -49). Afin que ta foi ne défaille pas : Le reniement viendra de la peur, non d'une perte même momentanée de confiance dans le Christ. Aussi, sera-t-il des lèvres, non du coeur. Et toi, quand tu seras revenu: C'est le mot de la conversion (BC I*, p. 361 ; pc in, p. 465 < revenir > — cf. C.J. Nesmy: Pratique de la confession, dde 1962, p. 66-69). Conversion dont Luc sera également le seul à raconter qu'elle est due à l'initiative du Sauveur § 340 — Lc 22,61-62*).

confirme tes frères: Conjointement avec la déclaration qui avait suivi la confession de Césarée § 165 — Mt 16,18-20*) et avec celle de la réhabilitation § 372 — Jn 21,17*), c'est une définition de la mission confiée à Pierre (et à ses successeurs) : « Ce n'est pas forcer le texte que d'y reconnaître le souci de la succession pastorale à assurer » (\. Léon-dufour, qui retrouve en cela un des éléments faisant normalement partie d'un < discours testamentaire > : Le partage, tableau de p. 267, et 277-278).

Léon le Grand: 4° S. pour l'anniversaire de sa consécration (PL 54, 151 ; SC 200, p. 272) : La tentation de craindre était un danger commun à tous les Apôtres, et tous y avaient également besoin du secours divin ; le démon voulait les secouer tous, et les briser. Et cependant le Seigneur prend un soin spécial de Pierre, et prie particulièrement pour lui. On dirait qu'il sera plus sûr de la solidité des autres si l'esprit du Prince des Apôtres reste invincible. En Pierre, c'est donc la force de tous qui est confirmée ; et le secours de la grâce divine est organisé de telle sorte que la force donnée à Pierre par le Christ doit passer aux autres Apôtres par Pierre.

Lc 22,33; Jn 13,37; (Mt 26,33 Mc 14,29 // Ps 30,7) — Pierre lui dit « Seigneur... »; Ce titre divin donné à Jésus est, à lui seul, une < confession >, annonçant la foi qui sera celle que prêchera Pierre dès le matin de la Pentecôte: Ac 2,14-36 cf. I. de la Potterie, dans Mél. B. Rigaux, p. 36-137 et plus généralement, § 185 — Lc 10,1*.

Je suis prêt à aller avec toi (Le et Jn) : C'est dans son rôle de disciple* ; c'est ce que demande l'amour, à n'importe quel prix, et même au-delà de la mort. La future défaillance, d'un instant, n'empêche pas que ce cri de Pierre soit vrai, maintenant, comme il le sera après, jusqu'à la mort crucifiée : « Ce n'est ni témérité ni mensonge » (Jérôme: Sur Mt iv — Pl 26, 196).

Lc 22,34; Jn 13,38; (Mt 26,34-35 Mc 14,30-31) : Voir la suite, pour les Apôtres en général, à la fin du § 338 *; pour Pierre aux § 339 -340 et § 344 *).

p. 651

§ 324. Se munir pour l'heure ultime : Lc 22,35-38


(Lc 22,35-38)

— Paragraphe de transition entre le discours d'aDieu, sur le < Service >, et l'entrée dans l'ultime < combat > de l'Agonie. L'apparente contradiction avec les consignes de l'envoi paisible en mission § 185 — Lc 10,4), souligne qu'il ne faut prendre à l'absolu ni la pauvreté évangélique, ni la non-résistance au Mal...

// Gn 28,20-21 2M 15,11-16 Ct 3,7-8 Ep 6,11-17 — Les exemples tirés de l’A.T. rappellent déjà que ni le pain, ni les vêtements, ni même l'épée ne sont absolument exclus pour les serviteurs de Dieu. Mais à prendre surtout au sens spirituel, car la vie chrétienne — et même la vie humaine tout court — sont loin d'être toujours « une fête », et doivent être au besoin courageusement prises pour un < combat >. Le quiproquo des Apôtres avait d'ailleurs eu un antécédent, à propos de ces « pains » dont ils s'imaginaient que Jésus leur reprochait de les avoir oubliés — comme s'il en avait matériellement besoin! § 161 *). Cette fois, de même, que valent « deux épées » quand le Christ dispose des « légions d'anges » ? — Tout juste de quoi couper un bout d'oreille ! § 338 ).

Lc 22,37 // Is 53,12 Ps 89,51 — Mieux que l'annonce du Procès, de la mise en comparaison avec Barabbas et de la crucifixion entre deux larrons, c'est une référence explicite au grand oracle d'Isaïe sur le Serviteur souffrant, qui deviendra la clef de l'explication du mystère de la Rédemption dans la catéchèse apostolique (Ac 8,32-35), et vaudra au Christ le titre de < Serviteur > par excellence (Ac 3,13 Ac 3,26 Ac 4,27 Ac 4,30). Autres versets de ce ch. 53 d'Isaïe aux § 349 , § 357 et § 353 .

touche à sa fin: précisément par cet « accomplissement* des Écritures », et donc du dessein divin qu'elles nous révèlent.



§ 320. Prélude au discours selon saint jean : Jn 13,31-35


(Jn 13,31-35)

— Ni sténographie de la suite exacte des Paroles du Christ à la Cène (Introd. aux § 319 -324), ni développement logique, et comme linéaire, ce Discours est caractéristique de la composition < concentrique >* de Saint-Jean, déjà remarquée dans le Prologue § 1 in fine) et le Discours sur le Pain de vie (Introd. aux § 163 -164) — Jn 6,22-71). D'emblée, il est clair que le ch. 14 forme un tout, achevé par le signal du départ (14,31); les ch. 15-16 en sont le développement; le ch. 17 en est la reprise, priée. Plutôt que de chercher une < suite > stricte, il convient de repérer les motifs à mesure qu'ils apparaissent et reviennent, comme on ferait d'une composition musicale : exposition successive des thèmes, développement, transposition, conclusion.

Bibliographie sommaire dans G.M. Behler: Les paroles d'aDieux..., p. 14-16. Ajoutons-y que h. van den bussche a repris son Discours d'aDieu de Jésus, Casterman 1959, un peu modifié, dans son ouvrage d'ensemble sut Jean (dde 1967).

La preuve que Jn 13,31-35 est bien l'ouverture de ce Discours, c'est que le triple thème énoncé fait inclusion* avec la finale, en 17,22-26 :

1) Réciprocité dans la Gloire : 13,31-32 et 17,22.24

2) Départ et Ré-union : 13,33 et 17, 24

3) Communication de l'amour trinitaire en amour fraternel, d'une force convaincante : 13,34-35 et 17,22-23.26.

On a souvent traité ces 3 thèmes énoncés dans les 5 versets du Prélude comme s'ils n'avaient pas de lien entre eux. L. Cerfaux a montré au contraire la cohésion entre la situation créée par le Départ (v. 33) et la force rayonnante de l'Amour (v. 34-35). On pourrait ajouter que c'est en cela même que se réalisera la Gloire de Dieu et de son Christ « sur la terre comme au ciel » (v. 31-32). Cf. Recueil Cerfaux il, p. 27-40. La suite du Discours précisera tout cela.

// Gn 45,13-15 et 50,16-19) — Toujours la préfiguration du Christ en Joseph : élevé dans la gloire de Pharaon, loin de tenir rigueur à ses frères de sa Passion, Joseph les appelle à venir avec lui, « sans se disputer en route » (c'est une des interprétations possibles de Gn 45,24). Même Jésus qui, pourtant, « sait » qu'il est le Fils unique de Dieu, ne prétendra pas se mettre « à la place du Père » § 254 et 299) — Mt 20,23* et 24,36*), auquel Il nous ré-unit, avec Lui-même.

Jn 13,31-32) — Reprise du thème de la glorification, en termes voisins du § 309 — Jn 12,20*. 28-33*. « L'heure est venue », et même commencée, puisque Judas est sorti pour déclencher l’arrestation : c'est maintenant.

Le Fils de l'homme* : Au sens à la fois de < mortel > et de < triomphateur définitif >. A été glorifié :Cyrille d’Alexandrie : Sur Jn IX (PG 74,152-153) : Ce qu'il signifie par là, c'est la Passion, qui maintenant est imminente, opérant notre salut. Le Christ avait déjà été glorifié en quelque manière par ses miracles, mais la consommation de sa gloire résidait dans la Passion, qu'il porta « pour la vie du monde », et dans sa résurrection qui fut les prémices de la résurrection de tous. « Étant mort une fois, dit l'Écriture, il ne meurt plus : la mort n'a plus d'empire sur lui ». Et la même chose sera vraie de nous, à cause du Christ...

En même temps que le Christ glorifié, son Dieu et Père est glorifié aussi : glorifié dans le Fils, [non que rien puisse être ajouté à sa gloire, mais) parce qu'est maintenant révélé de quel Fils il est le Père. De même, en effet, que c'est une gloire pour le Fils d'avoir par nature un tel Père, c'est une gloire pour le Père d'engendrer un tel Fils.


Afin que cette parole soit efficace pour nous aussi, ajoutons que si nous glorifions Dieu en nous, nous pouvons espérer que nous serons, nous aussi, glorifiés en Lui. « Je suis vivant ! dit le Seigneur. Ceux qui me glorifient, je les glorifierai, ils ne seront pas méprisés » (1S 2,30).

...Dieu le glorifiera bientôt : Ce futur proche désigne évidemment la mort et la Résurrection du Christ, indissolublement, comme au § 309 — Jn 12,28-33*. Mais que signifient les passés du v. 31 : ...a été glorifié ! Cette conjonction du passé et du futur fait problème. Il est d'ailleurs possible que la 1° partie du v. 32) — « si Dieu a été glorifié en Lui » — qui manque en certains mss. (Nestlé la garde, Tob non), ait été introduite pour donner une explication à l'apparente opposition du passé (v. 31) au futur (v. 32). D'après h. van den bussche, le v. 31 indiquerait, « sous la forme prophétique (aoriste), la signification intemporelle, éternelle des derniers événements », tandis que « le v. 32 montre cette < glorification > en acte et la situe dans l'avenir immédiat, comme un fait observable et historique » (Jean, p. 389). Mais plutôt, est-ce que ces passés ne nous inviteraient pas à comprendre que cette glorification englobe toute l'oeuvre et l’être même du Christ, dès sa naissance. C'est en effet du fait de cette Incarnation que « nous avons vu sa Gloire, Gloire qu'il possède en sa qualité de Fils unique du Père » (Jn 1,14). Depuis lors en effet, les Évangiles nous ont appris à discerner que « la Gloire du Christ, celle qui a habité parmi nous, consiste à agir filialement et à ne rien faire qu'en dépendance et en référence amoureuse à l'égard du Père. Qu'on relise, dans cette perspective, des textes comme Jn 8,54; 7,18; 5,44, tout s'éclairera. Qu'on y ajoute 8,28 et 10,17-18 et l'on comprendra pourquoi Jésus, paradoxalement à notre sens, fait consister sa gloire dans sa Passion » (y. congar : Le mystère du Temple, p. 172). Et cette action filiale, menée en particulier dans sa prédication (Jn 17,4*), va « maintenant » parvenir à bonne fin en sa Passion rédemptrice.

Quoi qu'il en soit, ce qui mérite de frapper, dans cette reprise du thème < glorification >, c'est d'abord que le ton en soit si triomphant, juste avant Gethsémani ! (le v. 33 expliquera cet enthousiasme) ; mais c'est surtout la réciprocité, qui est remarquable et s'affirmera au surplus progressivement comme le but en même temps que la base de tout ce Discours (cf. notamment Jn 17,21-26): par 5 fois en 2 versets, le verbe « glorifié » se trouve répété, s'appliquant à la fois au Fils et au Père, au passif ou à l'actif pour l'un et l'autre. Ce va-et-vient produit comme un martèlement, d'où ressort la totale unité du Père et du Fils (cf. w. grossouw: La Glorification du Christ, dans « L'Év. de Jean », p. 138).

Jn 13,33 // 2R 2,9 — Thème du Départ. Comme l'enlèvement d'Hénok (Gn 5,24, en // au § 323 , celui d'Élie préfigure l'Ascension du Christ, qui Le tient « vivant pour intercéder en notre faveur » (He 7,25). D'où la joie de Jésus, qui, dès son adolescence, visait à « être chez mon Père » § 18 — Lc 2,49* ; cf. Jn 14,28*). Ce que marque ici le Christ n'est pas un éloignement local, mais bien plutôt la < distance > entre son être glorifié jusque dans son humanité ressuscitée, élevée à la Droite du Père, et la condition terrestre où ses disciples ont à rester encore quelque temps. C'est donc tout provisoire, et le < Départ > est constamment associé au < Retour > et à la < Ré-union > éternelle (Jn 14,1-3 Jn 14,19 Jn 14,28 Jn 16,5-19 Jn 16,28 Jn 17,5 Jn 17,22-26).

mes petits enfants: Donne le ton, plein de tendresse < paternelle >, et du même coup, < testamentaire >. Mais en outre, cette appellation que l’A.T. met fréquemment dans la bouche de la Sagesse s'adressant à ses disciples, caractérise donc aussi les rapports entre Jésus, Sagesse divine incarnée, et tous ceux qui le < reçoivent > pour Maître (voir § 327 — Jn 14,21.23*).

Comme je l'ai dit aux Juifs : Mais notez bien que si le Christ a dit aux Juifs : « Vous me chercherez et vous ne me trouverez pas », il a dit aux Apôtres : « Vous me chercherez » mais n'a pas ajouté « vous ne me trouverez pas ». Il ne pouvait dire cela à ceux qui l'aimaient, car il leur est présent et leur sera toujours présent. (Cyrille d’Alexandrie: Pg 74,160):

Ce < Départ > se trouve également annoncé par les Synoptiques, notamment dans la parabole des mines, où le Maître s'en va « dans une région lointaine pour y recevoir la Royauté » (Lc 19,12 — voir au § 306 *). La leçon à en tirer était de veiller au Retour, en faisant valoir les talents confiés. Il y a une conséquence du même type entre Jn 13,33 (le Départ) et Jn 13,34-35 : préparer le Retour en faisant valoir le Don reçu de l'Agapè (cf. L. Cerfaux, art. cit.).

Jn 13,34 // Lv 19,18 Si 27,18 Si 4,10 Ps 133,1 — Je vous donne un commandement nouveau: La suite montrera que ce n'est un « commandement », donc un devoir, que par le fait de cette communication que le Père nous a donnée de son Amour, en son Fils et en son Esprit. A. Feuillet l'a mis en valeur dans son livre sur Le mystère de l'Amour divin dans la théologie johannique, notamment p. 53-68.


Mais les // Témoignent que ce qui est nouveau n'est pas le précepte de l'amour du prochain. Le Christ lui-même avait rappelé le double commandement en quoi se résume toute « la Loi et les prophètes », et la réciprocité nécessaire entre Amour de Dieu et du prochain § 190 *). En quoi donc ce commandement est-il « nouveau »? — C'est que, à la différence de l'adjectif < Néos >, qui signifie plutôt < nouveau dans le temps, jeune, sans maturité >, < Kaïnos > (que l'on trouve ici) indique une nouveauté < dans la nature, qualitativement meilleure > (Vtb < Nouveau >). Ainsi, les prophètes avaient-ils annoncé « des choses nouvelles, des cieux nouveaux et une terre nouvelle » (Is 43,19 Is 48,6 Is 65,17 Is 66,22), « une alliance nouvelle » (Jr 31,31), « un esprit et un coeur nouveaux » (Ez 36,26), suscitant « un peuple nouveau, recréé, qui louera le Seigneur », par « le chant nouveau de son Règne » (Ps 102,19 Ps 33,3 Ps 40,4 Ps 96,1 Ps 98,1 Ps 144,9 Ps 149,1).

Cette sainte < Novitas > est donc inaugurée par l'Incarnation, « quand Dieu apparut en forme d'homme, pour une nouveauté de vie éternelle » (ignace d'anTIOCHEIE ph 19,3) — SC 10, p. 90). C'est un des thèmes majeurs de la Liturgie de Noël (cf. C.J. Nesmy: Spiritualité de Noël, p. 199-202). Les contemporains du Christ s'émerveillent de ce qu'il donne « avec autorité, un enseignement nouveau » — même s'il vise à l'accomplissement nouveau de la Loi ancienne du Sinaï § 33 et 53) — Mc 1,27 et Mt 5,17-19). Bien plus, par la Nouvelle Alliance, en son sang § 318 — Lc 22,20), « l'homme intérieur se renouvelle de jour en jour, pour un vie nouvelle, dans la nouveauté de l'esprit » (2Co 4,16 Rm6, 2Co 4 2Co 7,6 etc. ).

Cyrille d’Alexandrie : Sur Jn IX (PG 74,160): Paul écrit: « Si quelqu'un est dans le Christ, il est nouvelle créature » (2Co 5,17). Le Christ, en effet, nous re-façonne pour une nouveauté de vie ... Car la Loi n'a rien conduit à perfection, mais on trouve dans les commandements de notre Sauveur la pleine mesure de l'amour filial envers Dieu. Notre Seigneur Jésus-Christ, donc, montrant que son commandement l'emporte sur l'ancien précepte, pose comme fondement de tout bien la loi de la chanté, d'une charité non pas légale, mais supra-légale :... « Comme moi je vous ai aimés, aimez-vous les uns les autres. »

Cherchons maintenant comment le Christ nous a aimés : Lui qui était Dieu par nature, il a pris la nature de l'esclave (Ph 2,6-7) ... Lui qui était riche, il s'est fait pauvre (2Co 8,9). Vois-tu la nouveauté de cet amour? La Loi prescrit d'aimer son frère comme soi-même, mais notre Seigneur Jésus-Christ nous a aimés plus que lui-même.

Aimez-vous les uns les autres : Mieux que « aimer son prochain », ce « les uns les autres » met en valeur la réciprocité. Et d'autant plus qu'il se trouve deux fois répété, avec triple retour du verbe « aimer » ! Sur < Agapè >, cf. § 78 - Jn 3,16-17*; § 249 — Mc 10,20-21*; et § 329 — Jn 15,9-17*).

comme Je vous ai aimés : Voilà ce qu'il y a de radicalement < nouveau >, par rapport à l'Ancienne Loi: « aimer ton prochain comme toi-même ». Le « comme » doit être pris dans les différents sens qu'impliqué cette comparaison :

— 1) Comme = autant que, de la même manière que Je vous ai aimés. Or cet amour se trouve défini dès l'introduction à la Cène : « Jésus les aima jusqu'à l'accomplissement total » § 316 — Jn 13,1*); Il l'a manifesté aussitôt en se faisant < Serviteur > de ses Apôtres, jusqu'à leur laver les pieds. En 15,12-13, en réitérant « son commandement à Lui », le Christ expliquera que, donnant sa vie pour nous, il n'y a pas humainement de plus grand amour. Mais bien plus fondamentalement, Jésus nous aime « comme le Père m'a aimé » (15,9), donc d'un amour divin, total, de pur don, pleinement communicatif de son être. ..

— 2) Aussi, comme = parce que. C'est ce que dit 1Jn 4,10-11 : La preuve de la force avec laquelle Dieu nous aime, c'est qu'il ait pris l'initiative — « Il nous a aimés le premier », 1Jn 4,19) — de nous envoyer son Fils en propitiation pour nos péchés (= § 78 ) — Jn 3,16*, où se trouve en // 1Jn 4,10). Jésus est la révélation même de l'Amour du Père. « Puisque Dieu nous a aimés à ce point, nous devons nous aussi nous aimer les uns les autres » (1Jn 4,11). L'amour du Père, reflété dans le très pur miroir que nous en donne le Christ, est un modèle qui doit nous entraîner à sa suite, comme le demande le Cantique (1,4, en // au § 326 .

— 3) Comme = de ce même amour. Quelle créature pourrait en effet aimer d'un tel amour, puisqu'il est divin, donc par définition < sur-naturel >, au-dessus de nos forces ? Dieu seul peut aimer ainsi. C'est même son Esprit-Saint. C'est Lui qui aime dans cet amour du Christ pour nous. C'est Lui aussi qui doit nous donner d'aimer le Christ et le Père. C'est exactement ce que demandera le dernier verset de la prière sacerdotale § 334 — Jn 17,26*). Et il n'est pas étonnant que ce soit dans ce même Discours sur le commandement nouveau de l'amour que le Christ ait annoncé à ses Apôtres le Saint-Esprit qui nous serait donné (14,16-21.25-26; 15,26; 16,7-15) :

Thérèse de Lisieux: Histoire d'une âme (Ms C, folio 12 v.) : Ah ! Seigneur, je sais que vous ne commandez rien d'impossible, vous connaissez mieux que moi ma faiblesse, mon imperfection, vous savez bien que jamais je ne pourrais aimer mes soeurs < comme vous les aimez >, si vous-même, ô mon Jésus, ne les aimiez encore en moi. C'est parce que vous vouliez m'accorder cette grâce que vous avez fait un commandement nouveau — Oh ! que je l'aime puisqu'il me donne l'assurance que votre volonté est d'aimer en moi tous ceux que vous me commandez d'aimer! Oui je le sens, lorsque je suis charitable, c'est Jésus seul qui agit en moi ; plus je suis unie à Lui, plus aussi j'aime toutes mes soeurs... (Il faudrait lire la suite pour voir les conclusions pratiques tirées par Thérèse de cet Évangile pour supporter avec amour les défauts de ses soeurs).

Cet amour divin, total, nous ne pouvons cependant le pratiquer sur cette terre que < modo humano >, donc seulement comme un but que l'on s'efforce d'atteindre, toujours plus complètement. C'est ce que marque la double conjonction de ce v. 34 : « Je vous ai donné un commandement nouveau afin que vous vous aimiez... comme je vous ai aimés afin que vous vous aimiez... » « Pour directe qu'elle soit, la relation (indiquée par le < comme >) reste en devenir. Elle est en effet introduite par un « afin que » qui lui donne le caractère d'un exemple à suivre et invite à sa réalisation dans l'obéissance au commandement de Jésus » (0. de dinechin : La similitude chez Jn, p. 208-213). Dans ce sens, Tob traduit : «Comme je vous ai aimés, vous devez vous aussi vous aimer... » Mais le « c'est que... qu'ainsi » dit au fond la même chose, sans appuyer sur ces conjonctions qui, en bas-latin, ont souvent un sens faible.

Jn 13,35 // 1Jn 3,11-12 — Comme l'amour, et l'Incarnation même du Christ, sont la révélation de l'Amour dont le Père nous aime, ainsi la charité mutuelle des chrétiens sera signe révélateur. Révélateur de quoi ?

D'abord, c'est le signe d'une appartenance effective au Christ, de notre intégration au Royaume où règne l'Amour. Il y a donc là premièrement un critère, un signe qui permet de reconnaître si oui ou non je suis un vrai « disciple » du Christ. En ce sens, toute paroisse, tout groupement, l'Église elle-même sont chrétiens si et dans la mesure où c'est effectivement la charité qui règne — ou du moins qui s'efforce de surmonter les facteurs de division, ressentiment etc. Que ce signe de la charité soit le meilleur attrait pour ceux qui ne croient pas encore, le Christ le répétera en finale (Jn 17,23). « Voyez comme ils s'aiment!... »: de nombreux convertis ont témoigné qu'à l'origine de leur retour à Dieu, il y avait cette rencontre émerveillée de la charité de quelques chrétiens...

Mais puisque cette charité et cette unité viennent de Dieu, et mieux encore, sont Dieu (Dieu est amour = Trinité dans l'unité), si des chrétiens peuvent vivre entre eux et rayonner cette charité et cette unité, c'est le signe que Dieu est présent : Comme le chante l'Église au < Lavement des pieds > du Jeudi-Saint, « Ubi caritas et amor, Deus ibi est. Prenons garde aux divisions ; que cessent contestations et disputes qui feraient le jeu du Malin, et qu'au milieu de nous règne le Christ ».

D. Barsotti : La révélation de l'amour, p. 398-99 : ...Dans le christianisme, l'amour fraternel n'est pas tant un exercice de vertu pour permettre à l'âme de réaliser une certaine perfection, qu'il ne démontre la possession d'une perfection déjà totale : la perfection de l'unité. Si l'homme aime vraiment Dieu, s'il est en communion avec Lui, il vit cette communion non pas au simple titre de créature, mais en qualité de fils puisqu'il est dans le Christ et qu'il a part au rapport ineffable d'amour qui unit éternellement le Fils unique au Père. Toutefois il n'aime pas Dieu s'il n'a pas déjà réalisé dans le Christ l'unité totale et parfaite avec ses frères. Tant qu'il reste replié sur lui-même dans son égoïsme... il ne vit pas dans le Christ et le Christ ne vit pas en lui. Être dans le Christ, demeurer dans le Christ, comme se plaît à l'écrire Saint-Jean (dans la suite de ce Discours après la Cène, en particulier), ce n'est pas seulement vivre dans un rapport personnel avec Jésus ; c'est s'insérer, s'établir en cette unité de tous les hommes et de toutes les choses que le Christ a réalisée par sa mort. Toute séparation d'avec ses frères, toute défense de son propre moi, écartent l'homme du Christ, car le Christ c'est l'unité... Par l'amour du prochain, la communauté chrétienne est une continuelle manifestation du Sauveur.

Si l'on joint à cette définition, qui concentre la vie chrétienne dans l'Agapè, l'exemple que Jésus lui-même en a donné au début de ce ch. 13, montrant qu'elle doit commencer par s'appliquer aux plus humbles services, on est bien dans la même perspective que la vision du Jugement, en Mt 25,31-46, où le Christ reconnaît pour siens ceux qui ont nourri, vêtu, etc... « l'un de ces petits qui sont mes frères ». Au soir de cette vie, nous serons jugés sur l'Amour... » (Sur le mystère de Y Agapè, dans son ensemble, cf. § 329 — Jn 15,9-17*).

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Bible chrétienne Evang. - § 319-324. Le discours après la cène de saint Luc : Lc 22,21-38