Bible chrétienne Evang. - § 325-328. Énoncé général du discours : Jn 14,1-31

§ 325-328. Énoncé général du discours : Jn 14,1-31


(Jn 14,1-31)

— Les thèmes du § 320 y trouvent donc un premier développement :

- Thème n° 2, < Départ et Retour > — qui est ici dominant : v. 1-6.18-23.28.

- Thème n° 1, Glorification mutuelle du Père et du Fils : v. 7-11.13.24.

- Thème n° 3, Communication aux disciples : v. 12-15.21. Il se conjugue avec :

— Thème n° 4, Annonce du Saint-Esprit, qui est cette communication même : v. 16-17.25-26.

- La conclusion reprend : à la fin du v. 27 et au v. 29 le v. 1 ; puis le thème n° 2 (v. 28) et n° 1 (v. 30-31); en y ajoutant le

- Thème n° 5, sur l'accomplissement des prédictions comme renforcement de la foi: 13,19*; 14,26*; 16,4. Thème n° 6, voir au § 327 — Jn 14,13-14*.

À la différence des ch. 15-16, ce ch. 14 est sous forme dialoguée, les interventions de Thomas (v. 5), puis Philippe (v. 8), et enfin de Jude (v. 22) donnant occasion au Christ d'expliciter son propos.



§ 325. Perspective générale du discours: Jn 14,1-3


(Jn 14,1-3)

— Que votre coeur ne se trouble pas: Revient au v. 27*, en une sorte d'inclusion développée, et d'autant plus marquée que l'exhortation à la foi (v. 1 b) se trouve elle aussi en finale, au v. 29. Ce début donne le ton, qui est celui de l'apaisement, non seulement de la conscience encore troublée par la question du § 317 : « Serait-ce moi le traître? » et par l'annonce du reniement de Pierre § 323 , mais plus généralement devant la perspective d'un à-venir où le Christ aura pris son départ. Pour nous rassurer : la foi (v. 1 b), et l'espérance (v. 2-3*).


Croyez en Dieu... et aussi en moi : L'équivalence n'est justifiable que si Jésus est lui-même Dieu, car en Dieu seul on peut et doit croire absolument. Sur l'engagement total que signifie < croire en >, cf. § 77 — Jn 2,23-25*.

Jn 14,2 // Gn 24,22-25 — Dans la maison de mon Père : Voici le but, déjà montré symboliquement par Jésus à Marie et Joseph quand Il est resté dans le Temple § 18 — Lc 2,49*). Mais à présent, Jésus annonce qu'il va communiquer son « chez-soi », sa maison de famille à tous ceux qui « croiront en Lui », devenus eux-mêmes « enfants de Dieu » (Jn 1,12*).


Dans tout l’A.T., la Maison de Dieu était le Temple, dont Il avait fait sa « demeure ». Là pouvait le rencontrer au moins le médiateur choisi par Lui : Moïse en Ex 33,7-11 Ex 40,34-35, ou le Grand-Prêtre pénétrant jusque dans le Saint des Saints une fois par an : Lv 16,2-4 // He 9,6-8, cette « tente de la Rencontre » puis le Temple de Jérusalem avaient été donnés « sur le modèle » de la Réalité céleste, divine (cf. BC I*, p. 256-261, notamment p. 258, D. Barsotti), où « pénètre le Christ » par son sacrifice, He 9,11-12).

Il y a beaucoup de demeures: Demeure ajoute à < maison > la permanence (demeurer à la même place, ou dans le même état, ou simplement continuer à être). Mais Jean aime aussi donner à ce mot un sens à'intériorisation et d'intimité, en particulier dans l'expression qui lui est propre, de « demeurer en quelqu'un » : Concordance N.T. < Demeurer > 4,2°; et plus généralement Vtb. Voir aussi § 1Jn 1,2* Guillerand: § 25Jn 1,38*; § 163Jn 6,56-67*. Sera encore développé au § 329Jn 15,4-7*. Ici, l'insistance est sur le nombre : beaucoup, au sens de < Polloï > = illimité : ce n'est pas un < concours >, avec Numerus clausus. Il y a non seulement de la place, mais « une place » pour chacun, votre place, personnelle, unique : « Comme l'a bien montré R.H. Gundry, ce verset ne décrit pas directement le ciel, la < maison > de Dieu composée de nombreuses < demeures >, mais < la famille > de Dieu, on pourrait presque dire < la communion avec Dieu > dans laquelle il faut distinguer différents degrés d'inhabitation spirituelle (cf. v. 23)... Il est intéressant de constater que plusieurs Pères, en citant ce verset de Jean, le modifient légèrement. Ils écrivent : « auprès du Père » au lieu de « dans la maison du Père », ayant parfaitement compris que ceci ne signifie rien d'autre que cela » (I. de la Potterie: La Vérité... II, p. 861).

Jn 14,3 // Dt 1,33 He 6,20 Ps 73,24-26 — C'est le thème n° 2: Départ et Retour, « aller... revenir », mais « en avant-coureur » (// He 6,20), pour nous y conduire tous, comme le préfigurait l'Exode (// Dt 1,33), comme y aspiraient les justes de l’A.T. (// Ps 73,24-26), comme cela reste une loi de la vie spirituelle et mystique § 18 — Lc 2,45*; § 43 — // Ct 5,6*, bernard de clairvaux; cf. Table des Termes, < chercher-trouver >, et A. Feuillet: Le mystère de l'Amour, p. 117-122). « Ces v. 2-3 semblent inspirés de Dt 1,29-33: ils appliquent typologiquement à Jésus cet événement important de l'Exode » (I. de la Potterie: La Vérité. I p 250). Tel est le premier réconfort que nous donne la foi (v. 1 b) : depuis son < élévation > — sur la Croix et par l'Ascension — Jésus travaille pour nous (He 7,25) ; dans le ciel, les saints ne sont pas inactifs, car < l'intendance > du Royaume leur est confiée § 233Lc 16,9 «qui vous reçoivent dans les demeures éternelles »; et 16,10-12*). Quand mon père est mort, un prêtre ami m'a dit : « Il vous avait donné un foyer sur terre ; il va vous en préparer un pour votre vie éternelle ». Non seulement le Christ nous fait entrer dans sa vie, sa Lumière et sa Joie, mais Il nous associe activement à la communion des saints, comme va l'expliquer la suite. Donc le thème du Départ et du Retour est un aspect, une condition préparatoire au thème n° 3, celui de la communication aux disciples de la Béatitude divine.

Avec Moi : là où Je suis, vous aussi : Rien n'empêche de prendre ce < je suis >* en son sens divin. Sous l'image localisée de « place, demeure, maison, ciel », la Réalité est une « participation à la Nature divine » (2P 1,4), qui nous rende capables de vivre l'intensité d'existence de cet être éternel qu'est Dieu.

Quand donc ce « Je reviendrai » ? — « Ce retour de Jésus en vue d'associer les siens à sa condition glorieuse se situe à la fin des temps (Mt 16,27 Mt 25,31 1Th 4,16-17 1Co 11,26 1Co 16,22 Ap 22,17 Ap 22,20 1Jn 2,28), mais il est anticipé dès le temps de l'Église (14,18.23.28; 15,26; 16,7.13.16-23). Tout l'entretien envisage conjointement les deux moments de la venue du Christ ressuscité (d'où le jeu assez étonnant des présents et des futurs) ». Note j de la Tob.

Le but ayant été ainsi défini, la suite indique comment y parvenir, en un sens, dès à présent : cf. surtout § 327Jn 14,18-23*.

p. 657

§ 326. Unité du Christ et de son père : Jn 14,4-12


(Jn 14,4-12)

— La Voie, c'est le moyen, le comment qui mène au but. Rien d'étonnant que les Apôtres ne comprennent encore ni le but ni la Voie (v. 5), puisqu'ils sont d'un seul tenant, comme le révèle ce paragraphe. Le lien des deux § 325 -326 est souligné par les mots-agrafes (faisant image, localisante, de < l'itinéraire > spirituel proposé): une place (v. 2 et 3), où va le Christ (v. 3.4.5), nous traçant la Voie (v. 4.5.6).

Thomas : Le même qui exigera de vérifier par lui-même, tangiblement, la Résurrection § 368 *).

Jn 14,6 — Jésus répète, d'abord sous forme positive et imagée : « Je suis la Voie... », ce qu'il affirme ensuite sous forme directe, négative et en un sens exclusif: « Nul ne vient au Père sinon par moi », par ma médiation. « Dans cette structure en < chiasme >, « la Vérité et la Vie » n'ont pas de correspondant dans le membre négatif parallèle, ce qui montre bien qu'ils sont simplement le commentaire de « la Voie ». Ils servent à indiquer — explicitement et sans image — le sens de la métaphore employée par Jésus. « Le verset ne signifie donc pas que Jésus est un chemin vers la Vérité ; le sens doit être que Jésus est le chemin vers le Père précisément en tant qu'il est la Vérité et la Vie » (I. de la Potterie : La Vérité. I p 253).

C"'est Moi qui suis : Toujours le < je suis >* d'où découle aussi le « Je suis le Pain de Vie, la vraie Vigne, le Bon Pasteur, etc... Il est la Voie comme Il est la Porte, étroite mais seule à ouvrir sur la Vérité et la Vie § 72 — Mt 7,13-14*; voir à ce même paragraphe la justification de ce terme de < Voie >, qui est un des mots de base du vocabulaire religieux inter-confessionnel (dr, p. 1776-77), aussi bien d'ailleurs que du christianisme naissant (Ac 9,2 Ac 18,25 Ac 24,22) :

la Voie : L'image se trouve dès l'origine, dans la voie barrée du Retour en paradis (On 3,24), puis dans les pérégrinations d'Abraham (Gn 12,4 // He 11,8-10 / Bf; et He 11,13-16/C<7), le passage de la Mer au sortir de l'Egypte (Ps 77,20), et l'Exode à travers le désert (// Dt 1,33 cf. Dt 8,2-6) : c'est que tout cela est la condition terrestre de l'homme, non seulement < homo viator > mais « pèlerin comme tous ses pères » (Ps 39,13), en route vers la Cité céleste (He 11), guidé qu'il est par Dieu (// Dt 1,33). Même une fois établi en Terre Promise, le Peuple élu se verra rappeler sa condition pérégrinante par la Pâque, et les < montées > annuelles à Jérusalem (Ps 120 à 134), la conduite de Dieu restant manifeste dans la Justice (= la < droiture > et la < justesse >) de sa Loi (Dt 32,4 Ps 25,10 Ps 128,1), qui, intériorisée, prendrait dans les Livres dits < sapientiaux >, le nom de la sagesse.

// Jb 28,12-23 (cf. aussi Ba 3,29-38, en // au § 1Jn 1,14a); Ct 1,4 Ct 1,7-8 Sg 10,17-18 Sg 9,1-18 Ps 119,105) — Cette Sagesse, d'origine divine (Sg 7,25-26, en // aux v. 9-10), est pour autant inaccessible (Jb 28 et Ba 3). < Il fallait >* qu'elle se donne, « soit vue sur la terre » et vienne vivre parmi les hommes (Ba 3,38), ce que réalisera l'Incarnation. Capable d'« envahir tous les esprits », et de faire « des âmes saintes les amies de Dieu » (Sg 7,23 et 27, en // au § 327 , la Sagesse peut les guider de l'intérieur. Elle l'avait fait visiblement durant l'Exode, sous la forme de la Nuée (Sg 10,17-18); elle continue de le faire pour tous ceux qu'entraîné son amour (Ct 1,4) sur les traces des brebis saintes qui les ont précédés en cette même Voie (Ct 1,8).

Mais cette Sagesse s'avère d'autant mieux l'une des figures principales du Christ durant l’A.T. qu'elle conjugue avec l'image de Voie celle d'une Lumière (// Ps 119,105), qui < donne à connaître >, et apporte donc Révélation et Vérité. Enfin, elle est Vie aussi, et Pain de Vie dont nul n'est jamais saturé (Si 24,21) : « Qui me trouve, trouve la Vie » (Pr 8,35). Vérité et Vie vont d'ailleurs de pair, puisqu'il faut entendre la < connaissance > que donne la Sagesse, dans le sens plein, vital, biblique, où elle est le fruit de l'amour qui fait < co-naître > à l'Aimé § 110 — Mt 11,27*; et § 188 — Lc 10,22*). En somme, ce que déclare ici Jésus, c'est que « cette Sagesse incarnée, c'est Moi ». A. Feuillet a montré que les Évangiles multiplient les rapprochements entre le Christ et la Sagesse (voir notamment : Le mystère de l'Amour, p. 112-132).

la Vérité et la Vie: Comme l'indique la structure du verset (indiquée plus haut), Vérité et Vie ne seraient pas seulement coordonnées à Voie (« et... et... »), mais en rapport mutuel: « L'ensemble pourrait être paraphrasé comme suit: Jésus est la Voie vers le Père, Il nous conduit au Père parce qu'il est la Vérité et qu'ainsi il nous fait participer à la Vie du Père (I. de la Potterie: La Vérité. 1P 265-266).

En quoi Jésus est-il la Vérité ? — Dès le Prologue, Jean nous a dit comment le Verbe fait chair est « plein de grâce et de vérité » : en ce qu'il « fait sortir Dieu de l'inconnaissable » (1,14 et 18) — autrement dit : en ce qu'il nous révèle Dieu. Et comment l'inconnaissable peut-il nous devenir connu ! En ce que nous avons vu sa gloire de Fils unique, comme « se référant tout entier au sein du Père » (1,18). Car c'est là que prend source sa vie trinitaire, dans l'éternel < Face à Face > (1,1-2 a). De même, Jésus proclamera que c'est en sa qualité de Fils qu'il est cette Vérité qui nous libère § 261 — le rapprochement entre Jn 8,36 et 8,32 fait ressortir l'identification entre « la Vérité » et « le Fils » dans l'oeuvre de notre libération). De tout cela on peut tirer cette conclusion: La Vérité, la Révélation qu'est Jésus en Lui-même, Il l'est du fait que se dévoile en Lui, Verbe incarné, l'inconnaissable de la Vie trinitaire, cette intimité, cet amour unifiant entre le Père et le Fils. La Vérité de Jésus n'est même pas seulement qu'il soit Dieu, et homme ; mais l'une et l'autre nature unie en la seule Personne divine du Fils, elle-même unie à celle du Père en l'unique divinité (on reconnaît la formulation du Mystère de la Trinité et de l'Incarnation par les Conciles de Nicée-Constantinople, qui sont donc bien une traduction et une explicitation de ce qu'impliqué directement l'Évangile: « Si le verset de Jn 14,6 — conclut de son étude I. de la Potterie (La Vérité. 1P 241-277 — replacé organiquement dans son contexte immédiat et dans l'ensemble de la théologie johannique, est d'une si grande richesse sur le plan doctrinal, c'est tout d'abord parce qu'il nous fait découvrir, non pas directement la nature divine de Jésus, mais les relations qui unissent entre elles les personnes divines du Fils et du Père et qui nous font ainsi découvrir en Jésus la vie trinitaire ; mais c'est en même temps parce qu'il nous introduit dans le mystère central de la pensée johannique, le mystère de l'Incarnation du Verbe ». Jn 14,7-11 confirmera cet approfondissement du sens de ce v. 6. Sur le Christ-Vie, cf. Prologue : Jn 1,4-5*, notamment au v. 4b* L. Bouyer; § 149 -150) — Jn 5,26.40*; § 163 — Jn 6,48-51 ; § 334 - Jn 17,2-3*.

Bien qu'il attribue de façon trop tranchée « la Voie » au Christ en tant qu'homme, « la Vérité et la Vie » au Christ en tant que Dieu, le commentaire de saint Thomas d’Aquin, s'appuyant lui-même sur saint Augustin, reste à lire et à méditer (comme l'indique son insertion récente dans les Lectures de l'Office, au 9° samedi du Temps ordinaire, dans lj, p. 830-31 ; Augustin : 75° Tr. sur Jn, n° 4, dans Vives 9, p. 383) : « Le terme de la Voie, c'est la Fin que recherche le désir humain. Or, l'homme désire principalement deux choses : d'abord la connaissance de la vérité, ce qui lui est propre ; ensuite la continuation de son existence, ce qui est commun à tous les êtres. Or, le Christ est la Voie pour parvenir à la connaissance de la Vérité, alors pourtant qu'il est lui-même la Vérité : « Conduis-moi, Seigneur, dans ta Vérité, et j'entrerai dans ta Voie ». Et le Christ est la Voie pour parvenir à la Vie, alors pourtant qu'il est lui-même la Vie: « Tu m'as fait connaître les voies de la Vie ». C'est pourquoi Il a désigné le terme de cette Voie par « la Vérité et la Vie ». L'une et l'autre, plus haut, ont été attribuées au Christ. D'abord Il est lui-même la Vie: « En Lui était la Vie » ; ensuite Il est la Vérité, puisque « la Lumière était la Lumière des hommes » ; or la Lumière, c'est la Vérité. »

Si donc tu cherches par où passer, prends le Christ, puisque Lui-même est la Voie. Et Augustin commente : « Si vous cherchez la Vérité, suivez la Voie, car la Voie est en même temps la Vérité... C'est par Jésus-Christ que vous arrivez à Jésus-Christ. Par Jésus-Christ-homme, vous parvenez à Jésus-Christ-Dieu ; par le Verbe fait chair, vous parvenez au Verbe qui au commencement était Dieu en Dieu... »

Jn 14,7-11) — C'est le développement de ce qu'impliquait le v. 6 : Jésus et son Père sont d'un seul tenant: le marque d'abord la multiplication des pronoms personnels «Je.. Me... Moi... » (12 fois en 5 versets) en relation avec « le Père » (9 fois + 2 fois « Le »). Mais le vocabulaire montre en même temps qu'il ne s'agit plus de Jésus comme Voie (image plus en rapport avec les versets précédents et la question qu'ils posaient du Départ et du < comment > Le rejoindre, v. 3-5) : aux v. 7-9 par contre, il est question de connaître, de montrer et de voir le Père. Y répond évidemment Jésus dans sa Vérité de Fils, nous révélant le Père puisque son Être et son action sont « tout entiers tournés vers Lui ».

// Ex 33,18-22 Sg 7,25-26 Col 1,15 — Si « la Gloire de Dieu » ne peut être, sur cette terre, contemplée, même de Moïse, « en face », mais seulement « par derrière » (cf. BC I*, p. 268-271), par contre le Christ-Sagesse et Vérité est miroir assez pur pour que quiconque le voit ait vu le Père du même coup. Et cela « dès maintenant » (v. 7), dès qu'il nous a été donné « d'être avec Lui » (v. 9) — c'est, on s'en souvient, la condition du < disciple >*). Il est donc bien clair que le Christ ne parle pas ici seulement de la Révélation ultime, eschatologique, du Mystère trinitaire, dans la Vision béatifique : c'est possible à présent, à cette Heure où le Christ est glorifié de par sa solidarité totale avec le Père (thème n°1).

Au cri de Philippe (v. 8), témoignant de l'aspiration universelle des hommes à « voir Dieu », Jésus répond par conséquent que c'est possible dès cette terre, dans la foi et la vie chrétiennes (v. 10 ss). Car bien entendu, pour avoir cette < Révélation >, entrer dans cette < Vérité > et cette < Vie >, il faut que ce < voir > soit celui d'un croyant (v. 10 a. 11 a. 12 a), capable de discerner dans les Paroles et les Oeuvres de Jésus, le Verbe et l'Envoyé du Père, en qui se parfait et s'accomplit enfin totalement le Dessein de l'Amour divin (v. 10 b-11). C'est la foi qui nous découvre la réciprocité jusqu'à identification de F être et de Finha-bitation mutuelle du Fils et du Père (v. 10 a : « Je suis dans le Père et le Père est en moi »), de leur action (v. 10 b), de leur manifestation et révélation (« qui m'a vu a vu le Père... mes Paroles sont les siennes »). Cf. déjà, sur l'unité d'action, § 149 — Jn 5,19-29*; et pour l'unité de doctrine :§ 256) — Jn 7,16*; cf. 8,26 et 12,49-50.

// Ex 4,15 Ex 8,15 Ex 9,27 — Porteur de la Parole et de la Puissance libératrice de Dieu, on comprend que Moïse, qui sentait les limites de son humanité (Ex 4,10), ait dû recevoir de Dieu son assurance. Mais par là, il préfigurait aussi le Nouveau Moïse qui, Lui, étant « né de Dieu », peut parler et agir naturellement en Verbe et Fils de Dieu.

les paroles que je vous dis... le Père... accomplit ses oeuvres (v. 10): Il y a glissement suggestif des paroles aux oeuvres, comme du Fils au Père. En Dieu, dire et faire, être Verbe ou être Père, cela ne fait qu'Un. Le Christ est le Verbe créateur, ses paroles comme ses actes sont des oeuvres, grâce auxquelles s'accomplit le Dessein éternel du Père.

En tous ces versets 4 à 10, on peut remarquer le parallélisme antithétique avec ce que Jésus disait aux pharisiens :



Ch. 8 = À SES CONTRADICTEURS

À SES APÔTRES:

Chl4

v. 14 « Vous ne savez d'où je
viens ni où je vais.

Vous savez la VoieJe suis la Voie.

v. 4v. 6

v. 19 Vous ne connaissez ni moi
ni mon Père.

Dès maintenant vous connaissezle Père : qui m'a vu a vu le Père

v. 7v. 9

v. 28 Je ne fais rien de
moi-même mais je parle comme
le Père m'a enseigné ».Les paroles, Je ne lesdis pas de moi-même : le Pèreaccomplit les oeuvres ».v. 10



Ce qui fait la différence des uns et des autres, c'est de refuser ou d'accepter de CROIRE (V. 10.11.12).

Jn 14,12) — Verset de transition, reliant les § 326 -327, pour mieux exprimer la communication de la Vie trinitaire (que ce § 326 vient de révéler) aux disciples (= thème n° 3), comme va le développer toute la suite. C'est donc l'objet principal de ce Discours, et c'est en quoi il est un véritable < Testament >, en lien d'ailleurs avec la < Cène > et l'institution eucharistique proprement dite, qui était le même Testament (< Mémorial >) sous sa forme sacramentelle.

Soulignent cette importance des v. 12 et suivants : 1°) L'exorde solennel : « Amen, amen, je vous le dis »', 2°) la récapitulation des 2 autres thèmes: n° 2, « Je vais au Père », et n° 1, « afin que le Père soit glorifié dans le Fils ».

À peu près tout le reste du Discours roulera sur ce thème n° 3. Il y aura donc relation constante entre le « Testament Nouveau, le Commandement Nouveau, la Loi Nouvelle, la Voie, la Vérité, la Vie » que le Christ lègue à ses disciples, et le modèle en même temps que la source qu'en est la Sainte Trinité, sa Vie, sa Vérité, sa parfaite et réciproque circulation dans l'Amour, qui est mieux encore que sa Loi, son être, et son Principe même (cf. v. 20*). Que cette Communication soit le but de tout le Dessein créateur et rédempteur du Père, si bien qu'il mette là sa Gloire, saint Irénée le disait dans sa célèbre maxime : « car la Gloire de Dieu c'est la Vie de l'homme et la Vie de l'homme c'est la vision de Dieu » (Adv. Hoer. IV, 20,7) — SC 100, p. 648). Vision qui fera notre joie éternelle (Jn 17,3*), mais qui nous est donnée « dès maintenant », autant que faire se peut sur cette terre.

L'eschatologie, le Règne de Dieu commencent à présent — c'est le premier article du < Kérygme >* — et tout le Discours après la Cène vise à montrer comment : par une intériorisation de la présence et de la vie trinitaire en nous : « intra vos est » § 242 — Lc 17,21* : même en ces sommets, il y a correspondance entre Saint-Jean et les Synoptiques). De ces versets « il se dégage qu'il faut comprendre le retour du Christ au sens où : a) le Christ continuera ses oeuvres dans ses disciples (14,12) ; b) le Paraclet habitera en eux (14,15-17) ; c) ils vivront par le Christ vivant (14,19); d) ils demeureront dans un perpétuel échange d'agapè avec Lui (14,21) » : C.H. Dodd: L'interprétation du IV° Év. ; p. 499 ss.

C'est précisément dans cette communication de sa relation filiale avec le Père que Jésus < accomplit >* tout; et tout s'explique par là, la création elle-même non moins que l'Incarnation rédemptrice : « Jésus a vécu sa vie fraternelle sur la terre dans la communion intime avec le Père. Cette totale union avec le Père est son identité. En aucun moment de sa vie sur la terre il ne s'est constitué indépendant du Père (cf. Év. de Jean). Il est devenu un homme parce que, en accord avec le Père, il n'a pas considéré son union avec le Père comme un privilège exclusif, il a voulu le partager avec tous les humains. Chacun doit savoir qu'il est un enfant de Dieu. Jésus est ainsi la réponse en même temps, à la question < qu'est-ce qu'un homme ? > et à la question < qu'est-ce que Dieu? >. Dieu est le Père des hommes et les hommes sont les enfants de Dieu... Dieu est le Père qui veut avoir et aimer des enfants. Cette réponse est simple et claire, la seule qui corresponde au sentiment vital des êtres et qui n'engendre pas de nouvelles questions » (W. Vischer: L'Écriture et la Parole, p. 184-186).

Qui croit en moI* (Au sens fort, cf. I. de la Potterie: L'emploi de < Eis >..., p. 375-76)... fera mes oeuvres :Le < Testament > part des < oeuvres >, en jonction avec < les oeuvres que je fais > (v. 11-12); mais la communication remontera bientôt à la source de ces oeuvres qui est l'Esprit Saint, fruit personnalisé de l'Amour divin § 327 .

et même de plus grandes: // Sg 10,16; 2R 2,8-14 — En Moïse comme en Elisée, il y a héritage, transmission de la Sagesse et de l'Esprit, comme il arrivera aux Apôtres, dès après la Pâque et la Pentecôte. Et ils en feront littéralement plus que le Christ — mais bien par Lui et son Esprit — puisqu'ils ont commencé de convertir le monde, là où, de son vivant, le Christ avait si peu converti de monde. < L'imitation de Jésus-Christ > par les Apôtres est parfaitement marquée dans les Actes: comparer la guérison de l'impotent, en Ac 3, à celle de l'aveugle-né, Jn 9 ; ou la mort rédemptrice d'Etienne, protomartyr, en Ac 7,55 à 8,1, et celle du Christ; et les // aux § 33 -37.

Car moi, je vais au Père : Il y a relation effective entre le Départ (thème n° 2) et la communication (thème n° 3), comme le dira expressément Jn 16,7.

p. 661

§ 327. L’union des hommes À Dieu : Jn 14,13-26


(Jn 14,13-26)

— Le lien avec le § 326 a été indiqué dès le v. 12*. L'importance centrale de ce nouveau paragraphe est marquée par l'insistance des multiples répétitions : comparer v. 13 et 14; 15-17 et 21-23, comme entre 21 et 23, ou entre 23 et 24; enfin, v. 16-17 et 26.

L'objet de ce § 327 étant la communication de la Vie trinitaire aux disciples, les 3 conditions en sont : la prière (v. 13-14), la charité (v. 15 et 21), l'Esprit (v. 16-17 et v. 26). Mais ces conditions se tiennent, en un seul < tissu >, que les répétitions du < texte > tricotent.

Jn 14,13-14) — La prière, ici, de demande. Le Christ y tient tellement qu'il y reviendra en 15,7*.16*, et en 16,23-26. Bien plus : Il s'y implique lui-même (v. 15*, et tout le ch. 17). C'est le thème n° 6 de ce Discours.

Je le ferai, ou « Le Père vous le donnera » (Jn 15,16 et 16,23) : C'est une promesse. Le Christ s'y est engagé dès le Sermon sur la Montagne, dont Il reprend d'ailleurs le contrat d’assurance : « Demandez et vous recevrez » — qui est une des applications du couple < chercher-trouver >* définissant notre vie spirituelle (cf. § 70 — Mt 7,7-8* et Jn 16,24). Jésus ayant donné sa Parole, il faut le croire, et donc espérer ferme. Mais nous devons y croire, précisément parce que ce n'est ni évident ni tangible. Il faut donc renoncer à ce que ce soit < du garanti vérifiable >. Non ! l'évidence est au contraire que bien souvent nos demandes ne changent visiblement rien. Inutile de le nier : l'Évangile ne nous demande pas de nous crever les yeux. Essayons plutôt de tenir compte de ce que dit Jésus, textuellement :

Le v. 14 redouble le v. 13 en ajoutant seulement un « Si... » Il y a donc une triple condition, sine qua non: 1) qu'on ait demandé; 2) « en mon Nom»; 3) l'objet de la demande. 1) va de soi. Mais que signifient 2) et 3) ?

en mon Nom: Demander « au nom de quelqu'un », cela suppose d'abord évidemment que notre demande corresponde à ce que cherche Celui dont on se recommande: autrement, ce serait une escroquerie. C'est bien ainsi que Jean lui-même l'a compris : « Nous avons auprès de Lui [le Fils de Dieu] cette assurance que si nous demandons quelque chose selon sa volonté, Il nous écoute » (1Jn 5,14-15, en // au § 180 .

Mais en outre, si l'on se rappelle que « le Nom c'est l’être... il ne peut nous être communiqué que dans la mesure où nous entrons dans l'Amour trinitaire qui est l'être et la vie même de Dieu », disions-nous dans BC I*, p. 50 et 210. C'est bien en ce sens intériorisé que doit être pris le « en mon Nom », comme le montre le texte // de 15,7 : « Si vous demeurez en moi et si mes paroles demeurent en vous, demandez ce que vous voulez et cela se fera pour vous ». Donc la condition est celle-ci : Vivre en communion avec Jésus-Vie, à la Lumière des Paroles de Jésus-Vérité. Dans notre coeur, enflammé d'amour, notre désir sera « que Ta Volonté soit faite, Père, sur la terre comme au ciel ». C'est le « Aime et fais ce que veut ton Amour » (donc : ce que veut ton Aimé). C'est l'Amour qui, à la fois, attisera ton désir, donc ta demande, et la dirigera dans le sens de Dieu.

L'objet de la demande s'en trouve donc déterminé. Aux v. 13 et 14, il n'était pas précisé : « tout ce que... quelque chose ». Mais rappelons-nous, dans les Synoptiques, l'explicitation du « demandez, il vous sera donné ». Là où Mt promettait de façon générale : « votre Père donnera ses biens à ceux qui le prient », Lc dit nommément : « votre Père donne l'Esprit Saint à ceux qui le prient » § 70 in fine). Qu'est-ce que Dieu pourrait d'ailleurs donner d’autre ? Il est tout, tout Don, et ce Don est le Saint-Esprit, en Personne. Aussi trouvons-nous en Saint-Jean le même aboutissement (nouvelle < Concordantia discordantium >*) : «Si vous demandez quelque chose en mon Nom », ce sera ce qui est l'objet de ma propre prière, indiqué aux v. 15-17 : le Don du Saint-Esprit, en qui se trouve bien « tout ce que » vous pouvez demander « selon ma volonté ».

Mais comment nous identifier au Christ, suffisamment pour demander « en son Nom », et désirer ce que, dans son Amour, Il désire nous donner comme le Bien qui nous comble ? — C'est ce qu'expliqué la suite :

Jn 14,15-17) — Il y a parallélisme entre ces 3 versets et les v. 21-24 a : ici et là, même rapport entre « aimer » et « garder mes commandements » ; avec, pour conséquence, l'inhabitation ici de l'Esprit de Vérité, là du Père et du Fils; et ce parallélisme même tend à équiparer le Saint-Esprit avec le Père et le Fils, en une même Trinité (A. Feuillet: Le mystère de l'Amour, p. 66). Entre les deux tercets, les v. 18-20 expliquent quelle est cette inhabitation, autant du Fils et de son Père que de l'Esprit. C'est donc parfaitement composé.

Mais en outre, au départ, la similitude des constructions entre v. 15 et 14 doit être notée : « Si vous demandez... je ferai » // « Si vous gardez mes commandements (= si vous faites), je prierai ». Cette même mise en relation « si vous... je... », mais avec chassé-croisé entre « demander et faire » ou « faire et prier » est significative de la convergence entre prière et action, dans la réciprocité entre nous et le Christ.

Jn 14,15 (et v. 21 a.23 a) // Dt 7,11-13 Sg 6,18-19 2Jn 6 — Il y a rapport, comme de cause à effet, entre « Aimer » et « garder mes commandements (v. 15.21) ou ma parole » (v. 23). Mais rapport réciproque : au v. 15 : aimer-» garder; au v. 21 : garder — » aimer; au v. 23 : aimer — » garder. Autrement dit : cela va de pair. Et cela répond par avance à toutes les revendications incompréhensives de ce que sont les < commandements > de Dieu, comme s'ils brimaient notre liberté. D'abord, l'expérience devrait suffire à nous faire honnêtement constater que l'impiété envers les parents comme envers Dieu, la violence, les convoitises et jalousies, le vol et le mensonge, bref: les manquements au Décalogue deviennent, en se multipliant, destructeurs de l'homme et de la société.

Preuve par l'absurde que les commandements, élémentaires mais nullement méprisables, vont dans le sens de l'homme. Et en outre, leur observance accomplit l'Alliance (// Dt 7,11-13). À plus forte raison quand tous ces commandements sont commandés par l'Agapè* § 320 — Jn 13,34-35), comme dans la Nouvelle Alliance. Alors, ils coulent de source (Jn 14,15 Jn 14,23), si bien que les pratiquer soit l'effet et la preuve de l'Amour (v. 21).

Vous garderez mes commandements (ou : ma parole, v. 23) : Nous avons déjà rencontré au § 261 — Jn 8,31* l'expression voisine de « demeurer dans ma parole » — d'autant plus proche que la < demeure > est le but annoncé d'entrée de jeu en ce Discours § 325 — Jn 14,2*). Les présents versets 17-23, et plus encore 15,4-10*, vont expliquer cette < demeure >. Mais le verbe « garder », s'il indique aussi la permanence, comme demeurer, a un sens moins intériorisant que volontaire.

D'abord, suivant le mot de Bernanos dans les Dialogues des Carmélites : « Ce n'est pas la Règle qui nous garde, c'est nous qui gardons la Règle », laquelle n'est donc pas une prison, ni même un garde-fou, mais au contraire l'oeuvre à laquelle se consacre notre liberté. Mais par conséquent aussi, c'est dire la responsabilité que nous avons de bien « garder » entier, vivace et fécond ce qui est Enseignement de Dieu, Vérité de Dieu, Don de Dieu, Voie, Vérité, Vie — autrement dit : garder intégralement et mettre en pratique la Parole venue de Jésus-Christ, Verbe de Dieu. Une telle fidélité est si capitale en même temps que sur-humaine, qu'elle est confiée à la garde du Saint-Esprit lui-même (v. 26*) ; lequel est précisément annoncé en ce v. 16 : tout se tient, le « quelque chose » à demander c'est l'Amour, qui est de garder le commandement de l'Amour, qui nous est obtenu à la demande du Christ, en l'Esprit Saint, qui va « demeurer » en nous (v. 17).

Jn 14,16) — Et moi je prierai le Père: Au futur, donc une fois retourné « auprès du Père », où le Christ intercède en notre faveur (He 7,25) pour obtenir la Pentecôte permanente de l'Église (Jn 16,7*).

hugues de saint-victor: Miscellanea I, 73 (PL 177,508): Le Fils prie le Père pour que l'Esprit Saint soit envoyé aux disciples. Celui qui prie est Dieu, celui que l'on prie est Dieu, celui pour qui l'on prie est Dieu : Dieu prie pour Dieu. Merveille !

Le Bien est Un, et il s'insinue en nous pour que nous apprenions à le chercher. Car il veut être désiré ; et il s'adapte à nous, pour nous provoquer à chercher l'amour. Dieu prie, pour nous enseigner par son exemple ; il se laisse prier, pour nous apprendre combien désirable est le don ; il promet, pour nous consoler. Si Dieu ne priait pas, nous ne sentirions pas notre état d'indigence ; si Dieu n'était pas prié, nous ne comprendrions pas la haute dignité du don ; si Dieu ne promettait pas, nous serions sans force contre notre propre lâcheté.

Dieu, pour l'homme, s'incline et prie. La suprême charité vient au secours de l'immense indigence par le suprême Don. Charité souveraine, qui aime l'impie à ce point — immense indigence, qui dilate le coeur de l'impie mais ne le sauve pas — Don sans pareil, qui fait revenir le pécheur banni.


« Moi, je prierai le Père... » Pourquoi prie-t-il, lui qui possède de quoi donner ? Il conduit ta pensée : sache quel est ton Dieu, et où tu dois le chercher.

Le Père vous donnera (ou : vous enverra en mon Nom, v. 26). Ou : Je vous enverrai d'auprès du Père (15,26 et 16,7) : C'est le Don du Père et du Fils, conjointement, pour une Mission confiée par le Père conjointement à celle du Fils (14,26 et 16,15*).

un autre Consolateur < Paraclet > : Nous suivrons ici surtout I. de la Potterie : La Vérité..., 1, p. 329-466. Bibliographie p. 330.

Ce mot revient 6 fois dans le Discours après la Cène : Jn 14,16.26; 15,26; 16,7-8.13) — en liaison avec «l'Esprit de Vérité » : Jn 14,16-17.26; 15,26; 16,13. En dehors du Discours, on ne le trouve ni dans l'A.T. ni dans le N.T., sauf en 1Jn 2,1. Le sens le plus obvie de < Paraclet > est juridique ; mais < avocat > le traduit imparfaitement, puisque la fonction que ce terme désigne peut être non seulement la défense (1Jn 2,1), mais le rôle du témoin (Jn 15,26), et même l'accusation (Jn 16,8*); et encore, l'enseignement (14,26; 16,13-15*). « Le rôle fondamental attribué par le IV° Evangile au Paraclet, écrit A. Feuillet, est d'ordre intellectuel : Il est non pas précisément l'intercesseur, mais Celui qui vient au secours des disciples en se faisant leur Maître intérieur » (Mystère de l'Amour, p. 59; dans le même sens, e. franck: Révélation Taught, Lund 1985). Reste que le sens < juridique > est toujours au moins en arrière-plan, parce qu'il s'inscrit dans la perspective générale de Saint-Jean, axée sur le double procès, fait par les pharisiens à Jésus et, réciproquement, par Jésus, le Père et l'Esprit, « à tous ceux qui ne l'ont pas reçu » (Prologue).

La Tradition et la piété chrétienne, jouant de la parenté entre ce nom de « Paraclet » et le verbe signifiant : Supplier, exhorter, réconforter (Concordance N.T. < Exhorter >), se plaît à voir de surcroît, en ce titre, l'accomplissement des promesses d'Isaïe (// Is 51,12 Is 66,13), et l'annonce du < Consolateur > que sera l'Esprit Saint, non seulement pour < remplacer > le Christ, mais parce que c'est en cet Esprit que le Christ, en réalité, reviendra, à la joie de ses disciples. C'est ce que l'on peut conclure du rapprochement entre Jn 16,7* et 22-23 ; mais aussi, dès à présent, de Jn 14,16-21 (et c'est pourquoi nous avons préféré traduire ici < Consolateur >, réservant < Paraclet > pour le v. 26 etc.).

un autre Paraclet, dit Jésus: C'est qu'il est Lui-même le premier < Paraclet >. L'expression veut souligner à quel point « l'Oeuvre » du Verbe incarné et du Saint-Esprit est parallèle, complémentaire, unique en somme. On peut le mettre en tableau :

Jésus l'Esprit


Origine : viennent du Père
donnés pour le Salut du monde
sont « avec les disciples »,
mais c'est près de finir
ou : « éternellement »
Enseignent :
Témoignent :
Convainquent du péché :
Parlent (en un sens révélateur >) :
ou: annoncent la plénitude de la Vérité




13,3; 16,27-28
3,16-17
1,39 etc... 15,27
13,33 ; 14,30; 16,4-5
6,59; 7,14-17; 8,20
8,13-14.18
3,19-20; 7,7; 8,24

8,12 § 260 )
4,25; cf. Lc 7,22
1,14; cf. 14,6

14,16.26
14,16
14,16 (« restera avec vous »)
14,16
14,26
15,26
16,8

16,13
16,13-15
14,26; 16,13


« La tâche confiée par le Père à « cet autre Paraclet » qu'est l'Esprit Saint, témoin de la vérité, fait suite à l'oeuvre d'un premier Paraclet, Jésus, le Saint de Dieu, qui se définit lui-même comme la Vérité. Les disciples reconnaissent le Paraclet à la condition qu'ils aient au préalable reconnu Jésus, sont instruits par le Paraclet après avoir été instruits par Jésus, sont habités à la fois par le Christ glorifié et par le Paraclet. Tout comme Jésus, le Paraclet ne parle pas de lui-même, rend témoignage, annonce vavenir, est rejeté du monde » (A. Feuillet : Le Mystère de l'Amour..., p. 63).

Isaac de l’Etoile : 3° Sermon pour la Pentecôte (PL 194,1843) : « Dieu enverra son Verbe », dit le prophète David (Ps 147,18), et la glace fondra; Il enverra son Esprit, et les eaux, délivrées par le Verbe, jailliront en vie éternelle, ne trouvant plus d'obstacle. Par l'Esprit Saint, la grâce est donnée après la justification, et l'homme qui avait été remis en liberté par le Christ devient ami par l'Esprit. Aujourd'hui, ayant reçu réparation de la faute, le Maître embrasse son serviteur, ou plutôt l'ami donne un baiser à son ami. Car nous savons que le Fils est la bouche du Père, et que l'Esprit est le baiser de la bouche. Le baiser est le sceau de la charité, et la charité a été répandue dans nos coeurs par l'Esprit Saint qui nous a été donné (Rm 5,5).

[En nous donnant l'Esprit Saint], Dieu nous a donné, par le Christ, sa propre charité et son propre Amour qui intercèdent pour nous ... En quelque manière, le Christ est Médiateur pour la justification, l'Esprit Saint est Médiateur pour sceller l'amitié. Cependant, le Christ et l'Esprit opèrent toutes choses indivisiblement. Le Christ, pour ainsi dire, dénoue l'inimitié, et l'Esprit Saint noue l'amitié. Le Christ intercède comme Paraclet pour réconcilier la faiblesse et apaiser la Majesté ; l'Esprit intervient lui aussi comme Paraclet, qui adoucit par son onction. Comme l'air que nous respirons est pour ainsi dire un bain qui pour les vivants tempère par sa douceur la chaleur insupportable de l'élément supérieur, ainsi l'Esprit Saint plane sur les eaux spirituelles, il les protège, les réchauffe, les féconde.

Pour qu'il reste avec vous : sera précisé au v. 17*. Éternellement : Pas seulement au sens vague d'indéfiniment, par opposition au « encore peu de temps » du Christ, mais parce que le Saint-Esprit nous fait accéder à la Vie éternelle qui nous est offerte par le Christ Pain de Vie (Jn 6). C'est la même < divinisation >.

Jn 14,17 // Sg 7,22-23 Gn 6,3 1R 22,21-22 Sg 9,16-17 — L'A.T. révélait déjà l'existence et le Don nécessaire de « l'Esprit de sainteté », l'Esprit Saint (Sg 9), sa Puissance de Vérité et son attirance pour les hommes, qui n'est autre que l'Amour de Dieu pour eux, également à l'origine de l'Incarnation et de la Pentecôte (Sg 7 cf. Tt 3,4-7, en // au § 249 . Mais l'histoire biblique montre aussi le drame du péché de l'homme, excluant l'Esprit de Dieu (Gn 6,3) — cf. Bc I*, p. 75), et faisant le jeu de l'esprit de mensonge (1R 22,22).

L'Esprit de Vérité : S'oppose à cet < esprit de mensonge et d'erreur > (Jn 8,44-45 1Jn 4,6) : deux esprits présidant aux « deux voies » § 78 - Jn 3,19-21* barnabe; cf. Vérité, p. 281-310). Le déterminatif « de vérité » caractérise ce sur quoi porte l'action de cet Esprit-Paraclet. Il est donc « l'Esprit qui, suscitant la foi, nous donne et nous communique la vérité de Jésus, l'Esprit qui a pour fonction de nous enseigner la Vérité du Christ et de la faire pénétrer en nous... Si < Jésus est la Vérité > (14,6), < l'Esprit est la Vérité >, également (1Jn 5,6). Entre la révélation de Jésus et celle de l'Esprit existe une connexion étroite et une parfaite continuité. Il faut prendre ensemble ces deux versets-définitions pour exprimer la Vérité, au sens complet où l'entendait Saint-Jean. C'est la révélation de Jésus, toujours à nouveau actualisée dans le coeur et la vie des croyants par l'Esprit » (Vérité, p. 468-71).

Cette insistance sur l'influence de l'Esprit dans notre foi est d'autant plus remarquable que le Commandement et le Testament du Christ sont l'Agapè*. Certes ! le Paraclet est bien aussi en Dieu l'Esprit d'Amour, source de la charité en nos coeurs (Jn 17,26*; Rm 5,5). Mais Il la suscite et la développe précisément en tant qu'Esprit de Vérité, « dévoilant aux croyants l'amour du Père, et leur donnant par la foi de laisser entrer cet amour dans leur vie et de pratiquer la charité envers leurs frères » (Vérité, p. 309). La charité découle de la foi, et l'Esprit Saint est à la source de celle-ci pour l'être aussi de celle-là.

Le monde : Évidemment ici au sens péjoratif du Prologue 1,10*, en opposition aux disciples. Ne peut recevoir : Tout don de Dieu est offert à notre liberté, à laquelle il appartient donc de Y accueillir activement ou non (par la foi). S'il n'y a pas cette foi, il n'est plus même possible de recevoir le Don — comme c'est, par définition, le cas du < monde > :


Car (voilà donc la cause de cette impossibilité) // Ne le contemple pas et ne le connaît pas : L'importance que Saint-Jean attache au < connaître > non moins qu'à l'amour se marque par la richesse et la précision de son vocabulaire en ce domaine. Nous avions déjà indiqué le sens des 4 verbes : voir, regarder attentivement, contempler (< Théaomaï >), connaître § 24 — Jn 1,29*). Nous traduisons ici également par « contempler » un 5° verbe, d'ailleurs voisin de < Théaomaï > : < Théôréô >, dont le P. de la Potterie, après examen de ses différents emplois dans le IV° Évangile, conclut: « Ces textes déploient tout l'éventail possible, de la simple < vue attentive > extérieure à la pleine vision de foi : en observant Jésus, ses signes ou ses oeuvres, les hommes découvrent progressivement en Lui le thaumaturge, le prophète, le Fils de l'homme, le Fils, le Père lui-même. Arrivée à ce sommet, la vue de Jésus devient une vision spirituelle de sa Gloire. Jamais pourtant cette vision transcendante n'est séparée de la vue sensible du Verbe fait chair » (Vérité, p. 348-350). Donc, « le monde ne contemple pas » l'Esprit, en ce qu'il a vu le Christ et ses oeuvres sans < contempler > par la foi sa Gloire et donc sans reconnaître l'Esprit qui agissait en Lui : ils ont même accusé Jésus d'agir « par Béelzéboul » § 117 — Mt 12,28*). Pas davantage n'ont-ils su connaître le Père et son amour en son Envoyé (Jn 8,19 Jn 8,29).

Par contre les Apôtres, eux, « connaissent le Père et Vont vu » en Jésus (Jn 14,7 Jn 14,9 — l'inversion est significative : d'abord la connaissance par la foi, permettant de voir l'Invisible, en son Image). Mais l'exclamation de Philippe (14,8) avait montré que les Apôtres n'étaient pas encore intimement conscients de cette connaissance à laquelle les menait leur foi-confiance dans le Christ. C'est cette prise de conscience que permettra le don de l'Esprit (v. 16) :

Vous, vous connaissez (l'Esprit) car Il demeure auprès de vous et Il sera en vous : Il y a parallélisme antithétique entre le monde et les Apôtres, mais avec un remarquable décalage entre les 3 verbes, ici et là. Pour le monde : 1) ne peut recevoir, 2) car ne Le contemple pas, 3) finalement ne Le connaît pas. Pour les Apôtres : 1) Le connaissent, 2) car Il demeure auprès de vous, 3) et Il sera en vous. Le monde est en deçà, et ne peut même pas Le recevoir, car il voit sans aller jusqu'à la foi et la connaissance de la foi. Les Apôtres sont au-delà du connaître ; si bien que le 2° et le 3° verbes ne sont plus de l'ordre du < voir > ni même du < contempler > : ils sont de l'ordre du < demeurer > et de l’être.

L'Esprit demeure auprès de vous et sera en vous'. Qu'est-ce à dire ? — La progression est double : « auprès de » implique la proximité, mais avec une certaine extériorité; « en vous » intériorise. D'autre part, « Demeure » est au présent. C'est le stade présent où le Paraclet-Jésus est « avec eux » : ou devant eux qui le suivent, ou à côté d'eux qui entendent ses paroles et Le voient agir. Visible parce qu'à distance suffisante : pas trop éloignée, mais pas si proche de l'oeil que manque le minimum de recul indispensable. Et dans le Paraclet-Jésus, leur foi leur a fait connaître l'Esprit de Dieu déjà à l'oeuvre. Ce que leur promet maintenant le Christ, c'est qu'ils vont passer (verbe au futur cette fois : sera) à un nouveau stade : du fait de son < Départ > Jésus-Paraclet ne sera plus visible, c'est-à-dire extérieur. Mais, loin d'y perdre, ils y gagneront, puisqu'il sera, par son Esprit, encore plus présent, parce que plus intimement « en eux ». Sur ce passage, normal et nécessaire non seulement pour les Apôtres mais pour les chrétiens, d'une connaissance familière encore assez extériorisée avec le Christ, à une intimité plus profonde que le sensible et donc plus obscure mais aussi plus < mystique >, cf. R. Voillaume: Conférence du 28 mai 1956, dans « Jésus-Caritas » n° 106, avril 1957). C'est ce progrès que soulignera Jn 16,4-7 et 19-22, mais qu'expliquent déjà les 3 versets intermédiaires suivants (cf. Introd. aux v. 15-17) :

Jn 14,18-20) — Nous sommes au centre du § 327 , lui-même central dans cette 1° partie du Discours (Jn 14,12*), pour la définition du thème central (n° 3) qu'est la Communication de la vie trinitaire aux disciples. Je ne vous laisserai pas 'orphelins, redonne le ton — de tendresse, de paternité, de < testament > — sensible dès l'appellation « mes petits enfants » § 320 — Jn 13,33). Je viens à vous: rappel du thème n° 2; le < comment > de ce Retour, défini aux v. 19-20, étant l'explication de la Présence de l'Esprit (v. 17 in fine), comme l'annonce des v. 21-23.

Jn 14,19) — Encore un peu... ne me voit plus'. Sera développé en 16,16-22.28. Mais alors, le Christ annoncera plus précisément son < Retour > manifesté en ses apparitions de Ressuscité. Tandis qu'ici, Il parle plus généralement de l'opposition entre < le monde > et les croyants de tous les temps. Peut-être est-ce pour cela que les verbes sont au présent ? Ou encore, parce que c'est déjà < l'Heure > Pascale, où se réalise le mystère de cette communication ?

Le monde ne me voit plus : au sens le plus sensible (v. 17*). Par contre, si les Apôtres peuvent encore « le voir », ce n'est plus comme de l'extérieur, par les yeux, mais par < vision spirituelle > et mieux encore, par communauté de vie : « Je vis et vous vivrez ». Cette vie, se poursuivant au-delà du « encore un peu », est évidemment celle du Ressuscité. C'est donc bien cette Vie ressuscitée, éternelle, qui sera communiquée aux Apôtres et à tous les chrétiens, par leur participation au Mystère pascal du Christ dans les sacrements, du baptême à l'eucharistie, comme par le don de l'Esprit Saint. La communication ne se fait plus seulement par les sens, donc entre deux êtres extérieurs l'un à l'autre; ni même par les paroles, entre deux esprits qui ont chacun leur vie à part, mais précisément par cette communion en la même Vie. Le v. 20 va indiquer jusqu’où.

Jn 14,20) — En ce Jour-là : Avec toute la force messianique et eschatologi-que de l'expression. Par-delà en effet le Jour et l'Heure de Pâques, elle vise le Jour de la Parousie, où cette communication atteindra enfin sa plénitude. Mais elle n'en est pas moins acquise durant l'Entre-deux : 1Jn 3,1-2. Vous saurez : annonce la définition du Mystère de communication.

Le Mystère de la Vie trinitaire a été révélé, dans sa réciprocité, dès les v. 10-11 : « Je suis dans le Père et le Père est en moi ». C'est ce que contracte la formulation de ce v. 20 : « Je suis en mon Père » = en le Père, qui est mien, ou : en moi. Or cette circulation « moi en Lui, Lui en moi », c'est elle qui se retrouve par la médiation du Christ : « vous en moi et moi en vous ». Même réciprocité : dans un sens ou dans l'autre, l'union est si totale qu'il n'y a pas de premier et de second, successivement, ni de contenant plus grand que le contenu, mais l'Unique Dieu, en 3 personnes, et l'Unique Vigne dont nous sommes les sarments, même si ce n'est que par greffe — comme le développeront Jn 15 et Rm 11,16-35. C'est l'égalité de l'amour... Que cette communauté de Vie entre le Christ et ses membres ne soit autre que la Vie trinitaire elle-même, cela ressortira encore plus indubitablement des formules voisines mais plus développées de Jn 17,22-26* — où culmine et trouve son accomplissement tout le Discours et la prière du Christ. Mais cette fois encore, la suite le confirme déjà (merveille de cette < composition >) :

Jn 14,21-23) — Comme déjà indiqué à propos des v. 15-17*, le parallélisme, frappant, équipare don et réception intériorisée de l'Esprit Saint avec la « venue » et l'inhabitation du Christ et de son Père. Mais en outre, il y a parallélisme non moins évident entre les v. 21 et 23, dont il faut aussi tenir compte.

Leur début reprend le v. 15*. Puis : « Si quelqu'un m'aime... mon Père l'aimera et moi je l'aimerai » : Bien entendu, ce n'est pas une condition préalable, dont dépendrait que le Père ou le Christ nous aiment, en conséquence et comme en un second temps seulement. La Révélation primordiale est « Dieu nous a aimés le premier » (1Jn 4,19), avant même que nous existions puisque c'est son Amour qui l'a porté à nous donner l'existence, et avec elle toutes nos qualités (Ep 1); et par conséquent, l'Amour de Dieu nous est assuré, en tout état de cause et pour toujours, indéfectiblement : c'est le fondement de notre espérance § 78 — Jn 3,16-17*; § 123 — Lc 7,47*). Notre amour de Dieu ne sera jamais qu'une réponse émerveillée à cette découverte de l'Amour premier de Dieu pour nous (et en cela, la charité naît de la foi, sows l'influence de « l'Esprit de Vérité », v. 17*). Mais cet Amour de Dieu a été assez grand et vrai non seulement pour nous donner notre Etre, mais pour nous communiquer jusqu'à son être divin = son Amour = son Esprit. Ainsi, à notre tour, nous devenons capables de prendre l'initiative, en L'aimant d'un amour personnel, libre, gratuit, décidé — même si c'est avec et grâce à son Esprit d'amour à Lui. Car cet Esprit est devenu nôtre, puisque c'est notre vie même qu'il sur-naturalisé et anime ou < inspire >, comme Il est « l'Esprit du Christ » : « Je vis et vous vivrez » :

« La merveille de l'amour divin, tel que le décrit saint Jean, c'est que, s'adressant à des hommes pécheurs et indignes, il tend à faire d'eux des êtres dignes d'amour, des amis de Dieu, capables de rendre à Dieu amour pour amour. Dieu lui-même daigne attacher la plus grande importance à cette réponse humaine » (A. Feuillet: Le Mystère de l'Amour... p. 89). Il y répond Lui-même par cette nouvelle preuve d'amour que nous révèlent les v. 21 et 23.

// Si 4,14 Pr 8,17 Sg 1,2 Sg 3,9 — « Quelques indices donnent le droit de mettre en rapports spéciaux le IV° Evangile et le Livre de la Sagesse [et notamment sur le thème: chercher-trouver*]. Dans les deux cas il s'accompagne de celui de la prévenance divine (comparer Sg 6,13-16 avec Jn 6,44-46 Jn 10,3 Jn 10,26-27 1Jn 4,19). Dans les deux cas le succès de la recherche dépend de l'amour, qui lui-même doit être prouvé par l'observation des commandements : cf. Sg 6,18 et Jn 14,15.21.23. Dans les deux cas enfin le thème chercher-trouver est associé à celui de la demeure (Sg 7,28 Sg 8,9 Sg 8,16 Sg 8,18 et // Sg 3,9... En deux textes d'une importance capitale au point de vue spirituel et mystique, le vocabulaire même de Jean fait invinciblement songer à celui de la Sagesse : Jn 14,21 et Sg 1,2 (< manifester >); Sg 14,23 et Sg 1,4 (dont le sens revient, en négatif, à ce qu'affirmé notre // Sg 3,9) ». A. Feuillet , Ibid., p. 2 49, résumant son étude des p. 112 à 132).

Jn 14,22) — Jude, nommé le 11° dans le Collège apostolique (Lc 6,16 Ac 1,13), appelé Thaddée par Mt 10,3 et Mc 3,18 (voir § 46 et § 49 . C'est ici le seul endroit où il apparaisse à titre plus personnel, mais peut-être est-il aussi l'auteur de l'Épître de Jude. Sa question montre que restait encore — à ce moment-là et même parmi les plus proches du Christ — la confusion de l'ère messianique véritable avec l'idée temporelle triomphale que s'en faisaient leurs contemporains. Un tel < Règne >, qui se serait imposé même à ses ennemis (Ps 110,1-2), n'aurait pu passer inaperçu.

Jn 14,23-24) — La « réponse » de Jésus reprend textuellement ce que disait déjà le v. 21. Il est vrai que la < manifestation > annoncée est bien offerte à n'importe qui (« quelqu'un » = quiconque); mais à une condition : « Si... » Cette condition étant d'aimer en pratiquant (cette parole ou ce commandement de la charité fraternelle), par hypothèse < le monde > y est fermé.

Mais en même temps deux discrètes modifications expliquent 1) qui se manifestera, 2) comment et à qui. D'abord, 1) au lieu du « Je me manifesterai », il y a cette fois « nous viendrons et nous ferons... » : un « nous » qui englobe le Père et le Fils ; mais en outre, étant donné le // Entre les v. 21-23 et 15-17*, cette « venue » se réalise par et dans celle de l'Esprit Saint, qui demeure et sera en les disciples comme le Père et le Fils « font en lui leur demeure ». En somme, ce qui est promis c'est donc l'inhabitation de la Sainte Trinité.

Quant à 2) et au comment de cette manifestation perceptible à ses seuls bénéficiaires, elle s'explique par le caractère tout intérieur de cette « demeure ». Intérieur et personnel: le passage du « vous », au pluriel, qui pouvait sembler collectif, au « lui » singulier, détourne d'y rêver une gloire ecclésiale, pour mieux révéler en cette inhabitation sainte la richesse mystique, intime et cachée du croyant. Cette intériorité se trouvait d'ailleurs impliquée dès le « Il sera en vous » du v. 17, comme dans le « Je vis et vous vivrez » du v. 19. Tout ce passage est admirablement homogène. Mais au surplus, « nous ferons en lui notre demeure » fait écho à ces nombreuses demeures » qu'il y a « dans la maison de mon Père » (14,2). Ici encore, c'est la réciprocité du < Dieu en nous, nous en Dieu >. L'inhabitation de la Trinité au coeur du disciple, « dès maintenant», ouvre sur notre « entrée » dans la maison, la joie et la gloire célestes. La manifestation intime nous mènera jusqu'à l'éclatante apothéose éternelle.


Dernière variation du v. 23 (au sens musical de ce mot) : « Gardera mes commandements » devient « gardera ma parole ». Cela prépare la coda finale (v. 25-26*). Dans le même sens, le v. 24, après avoir repris sous forme négative la triple assertion antécédente sur le lien : aimer-pratiquer, rappelle que la valeur unique de « mes paroles » tient à ce qu'elles sont la Parole — < o Logos >* -Verbe (envoyé et incarné) du Père (v. 24 b; cf. 7,16-17).

// Sg6, 16; 8,16; Ap 3,20 2Co6, Ap 16 Sg 7,27 Sg 8,1 — Cette <demeure> intime où Dieu vient familièrement frapper, pour y partager notre repas, répond à l'attente universelle, de la Genèse à l'Apocalypse. Abraham en est un premier exemple (Gn 18,1-2) ; mais l'Alliance du Sinaï se conclut elle aussi par un repas (Ex 24,9-11, en // au § 322 , et la < Tente de la Rencontre > en était le symbole (Ex 25,8, en // à Jn 1,14). Cette habitation de Dieu sur la terre, que Salomon dans toute sa gloire ose à peine demander (1R 8,27), que les prophètes ont promise pour la Nouvelle Alliance (Ez 37,27-28, en // à Jn 1,14 Za 2,14 et Is 12,6, en // à § 4 — Lc 1,28), la divine Sagesse y invite elle aussi, sous forme d'une maison et d'un repas (Pr 9,1-5, en // au § 163 — Jn 6,35).

À présent, cette Sagesse, incarnée, « demeure parmi nous » (Jn 1,14), en s'offrant elle-même à manger en cette Cène § 163 et 318) : ce qu'expliqué maintenant Jésus n'est point parole en l’air : Il vient de s'engager à le faire en chaque mémorial eucharistique, tout au long des âges à venir. L'omniprésence naturelle du Créateur en sa création s'accomplit dans la Présence réelle et sur-naturelle du Christ sous le signe du pain et du vin consacrés § 318 *), qui assure elle-même la Présence mystique (mais non moins réelle) de la Vie trinitaire en chacun des disciples. Triple mode de Présence, nous comblant de Dieu en une intimité comme redoublée. Nous sommes bien des « théophores », porteurs de Dieu (Ignace d'Antioche) : « le Temple de Dieu, où demeure le Saint-Esprit de Dieu, c'est vous ! » (1Co 3,16-17 et 6,19-20).

Jn 14,25-26) — Récapitulation de ce paragraphe 327. Au départ, le Verbe-Paraclet et sa < Révélation >, comme l'indique l'emploi du verbe < Lalô >* pour le premier «je vous ai dit ». Ce verbe est mis au parfait, signifiant que cette Révélation est désormais achevée et, en ce sens, < parfaite >. C'est d'ailleurs un véritable refrain, puisqu'il revient en 15,11; 16,1.4.6.25.33. Le second «je vous ai dit » sur lequel s'achève le v. 26, faisant donc inclusion*, cadre tout sur ce don de La Parole (dans le prolongement des v. 23 et surtout 24*). Tout cela « pendant que je demeurais parmi vous » = le 1° stade de la Communication, sensible, audible, comportant déjà une « demeure », mais en vis-à-vis.

Vient maintenant le second stade, où le Maître deviendra « l'autre Paraclet », envoyé par le Père (comme le 1° Paraclet), sur la prière du Fils (v. 16) et donc aussi « en mon Nom »*. Cela témoigne de la parfaite communion : à la fois du Père et du Fils, dans l'Envoi; et du Fils avec le Saint-Esprit, dans la Mission (cf. La Vérité, p. 364-367). Du « ce que je vous ai dit » à « l'enseignement de Celui-là », il y a bien progression (marquée en grec par le < dé > adversatif), mais dans la continuité du « Ce que je vous ai dit » — tout comme les paroles du Christ sont l'expression même, incarnée, du Verbe que le Père nous « envoie » (même verbe pour la mission du Fils et de l'Esprit Saint, aux v. 24 et 26).

L'Esprit Saint : Litt. « L'Esprit, le Saint » = l'Esprit, celui-là qui est le Saint = Dieu. Ce même nom divin se retrouve, sans le 2° article, en Jn 1,33 et 20,22; et avec le 2° article en Mc 3,29 et 13,11. Cela contribue à révéler que cet Esprit n'est pas seulement force divine impersonnelle (au neutre), mais Le (au masculin) Paraclet bien personnel, dont le rôle d'Enseignant, comme d'Avocat, de Témoin ou d'Accusateur, implique aussi la personnalité. L'Église interprète donc authentiquement l'Évangile en nommant cet Esprit Saint comme 3° Personne, dans l'unité de la vie trinitaire.

La construction du v. 26 b est remarquable (La Vérité, p. 367-372) :

celui-là et
vous vous ce qu'à vous
enseignera rappellera j'ai dit
tout tout moi


Le parallèle est strict entre les deux premières colonnes. Par conséquent, les deux verbes « enseigner » et « rappeler » sont à prendre ensemble, les deux « tout » étant parallèlement déterminés par la relative: ce que... Moi ». Cela revient à dire : le « tout » enseigné par l'Esprit n'est pas autre chose que le « tout » révélé par le Christ et rappelé par l'Esprit. Pas de Révélation nouvelle à attendre, fût-ce du Saint-Esprit. L'enseignement définitif, en même temps que < l'Enseigneur > (< Didaskalos >) par excellence, est Jésus (Jn 3,2) nous révélant ce que Lui-même a appris du Père (1,18; 8,26.28). Mais pour « demeurer dans cet Enseignement du Christ » (2Jn 9), il faut que l'Onction de l'Esprit nous en imprègne, en l'intériorisant. Tel est « l'enseignement de l'Esprit » : nous pénétrer de l'Évangile, pour qu'il ne soit plus seulement une lettre, mais « un esprit vivifiant » (Jn 6,63). Quant au « rappel », c'est tout le rôle de la Tradition ecclésiale, dont l'Esprit Saint est le garant :

// Dt 32,7 Dt 4,1 Dt 4,9 Dt 4,23 Dt 5,1 Dt 6,4 Dt 6,6 Dt 8,2 — Souviens-toi...: De même que Moïse, avant de mourir, se préoccupe de laisser en témoin le Livre de la Loi du Sinaï (Dt 31,9-29), pour que sa lecture périodique soit pour le Peuple élu, un < rappel > des bienfaits de Dieu et du péché d'Israël, de même le Christ laisse, mais cette fois à l'action vivante et vivifiante du Maître intérieur, la tâche de « rappeler » et de faire mieux comprendre le sens profond de sa révélation. Jean lui-même témoigne de cette action de l'Esprit de Pentecôte, à propos de la Parole du Christ se proclamant « le Nouveau Temple », comprise seulement « après sa Résurrection » § 77 — Jn 2,22*) ; ou encore sur le sens des prophéties du triomphe des Rameaux § 273 — Jn 12,16*); dans le même sens, Mt 16,12 et 26,75; Lc 24,6.8). Jésus lui-même fait appel à cette valeur probante et éclairante que ses prédictions prendront par la suite, quand ses disciples se les rappelleront : c'est le thème n° 5 du Discours, déjà rencontré au § 316 — Jn 13,19*; il va revenir dans les prochains versets (14,29), et surtout en 16,4 où ce « souvenir » devient même le but avoué de la prédiction. Le modèle de cet approfondissement de la Parole de Dieu par une méditation incessante, sous l'inspiration de l'Esprit, c'est la Vierge Marie « recueillant tous les dits et faits (Rhêma*) au sujet de son Fils, en les rapprochant dans son coeur » § 10 — Lc 2,19*).

Jean Paul II: Vicificantem n° 4 : « Il enseignera et Il rappellera », cela signifie non seulement qu'il continuera ... à inspirer la proclamation de l'Évangile du Salut, mais aussi qu'il aidera à comprendre le sens juste du contenu du message du Christ; qu'il en maintiendra la continuité et l'identité de sens alors que changent les conditions et les circonstances. L'Esprit Saint fera en sorte que dans l'Église demeure toujours la vérité même que les Apôtres ont entendue de leur Maître.

Viens, Esprit Saint, de ton trône d'en haut

pour consacrer les coeurs de tes fidèles,

toi que le Christ, la Sagesse incréé

promit d'envoyer d'auprès du Père.

Tu es le « Don » éternel et nouveau

que le Christ en Croix fit à son Église,

quand il l'épousa d'une éternelle Alliance,

ornée de pourpre par le sang du Roi.

À qui te reçoit, s'ouvrent les mystères;

dans l'intime, tu lui enseignes toutes choses.

Telles sont les arrhes que le Christ a voulu

dès ici-bas donner à son Épouse (d'après raban maur, Pl 107,211).

Esprit par qui j'ai connu Dieu,

toi qui es Dieu et me fais Dieu,

Force de Dieu, auteur des dons,

viens suggérer notre prière.

Toi qui inspiras les prophètes

et qui enseignes les Apôtres,

toi qui instruisis tous les saints

viens nous apprendre toutes choses.

Gloire au Père, au Fils, à l'Esprit,

un seul Dieu en ses trois Splendeurs,

qui vit et règne en tous les temps

au long des siècles éternels. (grégoire de nazianze, II, p. 214)

p. 670


Bible chrétienne Evang. - § 325-328. Énoncé général du discours : Jn 14,1-31