Bible chrétienne Evang. - §342. La condamnation À mort : Mt 26,59-66; Mc 14,55-64; Lc 22,66-71

§ 343 : Voir au § 341*.

§ 341
p. 712

§ 344 : Voir aux § 339-340*.

§ 339 -340*

P. Benoît discerne ainsi le sens attribué par chaque Évangéliste à la scène des outrages : « Tandis que Le rend mieux la technique du jeu (voiler le visage pour faire deviner qui frappe), et que Me pense davantage au prophète outragé que fut le Serviteur (Is 50,6 ou 53,3 suivant lxx et Vg), Mt montre en Jésus le Christ Grand Prêtre et Prophète rejeté par son peuple ». C'est ce que marque en particulier le titre de « Christ », relevé par Mt, seul. Car il fait écho à la question de Caïphe au v. 63: « Si tu es le Christ... » La prophétie étant en effet un des dons reconnus au Messie-Grand Prêtre (Jn 11,51), c'est donc bien cette identité qui est ici tournée en dérision, sous cette appellation de « Christ » (Les outrages à Jésus prophète, dans « Exégèse et Théologie » II 1P 264-266).



§ 345. Jésus mené À Pilate : Mt 27,1-2; Mc 15,1 ; Lc (22,66) et 23,1; Jn 18,28


(Mt 27,1-2 Mc 15,1 Lc 22,66 Lc 23,1 Jn 18,28)

— Phrase de transition, laissant pressentir l'importance de ce qui va s'ensuivre. Dans les Synoptiques en effet, une simple proposition subordonnée mentionne la nouvelle séance du Sanhédrin « au matin », juridiquement nécessaire pour entériner le jugement décisif du § 342 (cf. § 339 -340*) ; mais la proposition principale est que Jésus, lié, va être livré* à Pilate, représentant de l'Imperium Romanum, donc au Pouvoir abhorré des païens, comme Jésus l'avait annoncé à ses Apôtres § 253 . Ce qui, indirectement, venge le Christ des outrages antécédents : Oui ! il est bien Prophète, et Christ!

Jean sous-entend tout le procès devant le Sanhédrin dans le seul rappel de « la demeure de Caïphe », d'où Jésus est emmené au Prétoire, jouxtant le lieu appelé plus loin « Lithostrotos, en hébreu Gabbatha » (Jn 19,13).

Nous n'avons pas à trancher dans la controverse sur l'endroit où se trouvait alors Pilate : Antonia ou Palais d'Hérode (à l'emplacement de ce qu'on appelle maintenant la Citadelle). L'Antonia (angle N.O. de l'esplanade du Temple), peut se recommander de la découverte archéologique d'un < Lithostrotos >, c'est-à-dire d'une cour dallée, plus évocatrice, ainsi que d'une tradition faisant partir de là le Chemin de Croix, mais ne remontant qu'au XVI° siècle. Au Palais d'Hérode, on n'a pas retrouvé trace d'un autre < Lithostrotos > ; mais ce n'est qu'un argument négatif, qui ne suffit pas à exclure l'hypothèse, puisque ce dallage peut avoir irrémédiablement disparu au cours des bouleversements séculaires. Par contre, la topographie comme la philologie sont davantage en faveur de l'actuelle citadelle. Notamment ce « Gabbatha », signifiant qu'on se trouve sur une hauteur. Voir dans R.b. 1952, p. 513-550, la controverse entre l.h. vincent et P. Benoît. Depuis lors, les fouilles n'ont pas apporté d'argument nouveau décisif.

Quoi qu'il en soit, l'important est ce que précise l’Évangile : 1) Jésus est mené au Prétoire, qui est le titre propre à la résidence du < Préteur > ou « Procurateur » romain. 2) « C'était le matin » : indication parallèle au « C'était la nuit » de Jn 13,30 § 317 *), avec sans doute aussi un sens symbolique en même temps qu’historique : « À l'aube du jour de la victoire, le < Monde > a conduit Jésus à son dernier procès décisif et à la réalisation du jugement qui devait s'accomplir en lui » (H. Schlier: Le temps de l'Eglise, p. 69). 3) Le formalisme religieux qui se soucie d'éviter l'impureté légale de pénétrer chez un païen, au moment de lui « livrer » en Jésus son Seigneur et Dieu !

// Lm 2,6-7 Lm 4,13 Is 1,11-13 Is 1,15 Is 59,3 — C'est précisément ce formalisme que dénonçaient les Prophètes, comme Jésus lui-même en Mt 23 § 288 -289*).

p. 713

§ 346. La mort de Judas: Mt 27,3-10


(Mt 27,3-10)

— Alors Judas comprit que Jésus était condamné: Même s'il ne faut pas donner une signification trop précise à ce mot-cheville d'« alors », la phrase suggère que Judas n'avait pas supposé que sa trahison entraînerait la perte du Maître. — Parce qu'il imaginait que ce serait l'occasion pour le Messie d'Israël de manifester sa Puissance ? J'ai péché : C'est une vraie « confession », avec restitution. Le malheur de Judas, c'est qu'au lieu de s'adresser à Celui qui souffrait tout cela — précisément afin d'avoir de quoi lui remettre son péché (= le prix de sa < Rédemption >) comme à Pierre § 340 — Lc 22,61*) — le traître s'adresse à de mauvais pasteurs...

« Que nous importe. A toi de voir » : Il y a une « communion des saints ». Entre ceux qui font le mal, il ne peut apparemment y avoir qu'une complicité limitée aux intérêts propres à chacun des égoïsmes. Mais en réalité, comme le dit Bernanos, jusqu'en leurs séparations, « dans la haine que les pécheurs se portent les uns aux autres, dans le mépris, ils s'unissent, ils s'embrassent, ils s'agrègent, ils se confondent », de sorte que même « l'immense marée de l'amour divin » n'a plus prise sur eux (Journal d'un curé... Pléiade, p. 1139).

Hilaire: Sur Mt, ch. 32 (PL 9,1071) : Judas, pris de remords, a rendu aux prêtres le prix du sang du Christ: c'est bien lui qui a vendu le sang du Juste, mais le propre aveu du vendeur accuse les < acheteurs >. Leur réponse téméraire et aveugle : « Que nous importe ? A toi de voir ! » voudrait attribuer la responsabilité au seul vendeur; mais le témoignage du vendeur affirme le crime des acheteurs.

// Gn 4,13 ; 2S 17,23 — Ce n'est pas seulement par l'insupportable remords que Caïn et Judas se rejoignent : tout crime répandant « le sang innocent » comme celui d'Abel, préfigure de Jésus, toute haine même fait de l'homme un autre Caïn (1Jn 3,11-15) ! Ahitophel se dépite qu'on n'ait pas suivi son avis, qui aurait été profitable à la conjuration d'Absalom; Judas s'affole au contraire que sa trahison ait été trop efficace. Mais les deux traîtres se rejoignent dans le désespoir : même verbe «se pendre» en Mt 27,5 et en 2S 17,23 (dans le grec de la lxx). Tob le note. Rupert aussi (PL 168,1565) : un rapprochement de plus entre la passion de David et celle du Christ (// 2S 15-16 aux § 338 , § 351 *-352).


Mt 27,5-8 // Ac 1,16 Ac 1,18-19 — Sous les différences, même aboutissement, et pour le traître et pour l'affectation de l'argent du crime.

Mt 27,9-10 // Za 11,13 Jr 32,8-26 — Citation composite. « Le champ du potier » renvoie en outre à Jr 18-19. Mais davantage que la matérialité de ces prophéties, c'est leur portée qui est remarquable. Car, d'après le contexte, Za 11,13 annonce une rupture d'Alliance avec de mauvais pasteurs; tandis que par contre, Jr 32,8-26 est une vivante parabole du Salut que Yahvé donnera, par-delà l'épreuve satisfactoire de la prise de Jérusalem et de l'Exil à Babylone. Cela pourrait bien être une allusion au thème du transfert de l'Alliance d'Israël aux païens, familier à Mt (cf. § 84 — Mt 8,11-12*; 12,39-41*).

Augustin : S. Domini in monte Pl 34,1266) : Entre le péché de Judas et celui de saint Pierre, il y a la différence du repentir. Le péché de Judas est d'une telle profondeur, qu'il ne peut pas se soumettre à l'humiliation de demander pardon, même si son péché l'oblige, par la conscience qu'il en a, à l'avouer, à le déclarer. Judas déclare : « J'ai péché, j'ai livré le sang juste » ; mais il lui est plus facile de courir se pendre que de venir humblement demander pardon.

hugues de Saint-Victor, Miscellanea \,74 (PL 177,509): Tu as raison de t'émouvoir en considérant ton imperfection. Cette douleur est juste, à condition de ne pas aller trop loin. Car nous faisons injure à la Miséricorde, si, en quelque misère que ce soit, nous désespérons de la Miséricorde. Quand tu pèches, tu te frustres toi-même de ton bien ; mais quand tu crains que Dieu ne te pardonne pas, c'est Lui que tu frustres de son bien. Et cette iniquité est plus grande que la première. Tu ne feras qu'aggraver ton cas, si en considérant ton iniquité tu mésestimes sa bonté. Rendons-nous à nous-mêmes ce qui nous est dû, c'est-à-dire l'humiliation, en confessant nos péchés — mais rendons-lui gloire, à Lui, de sa miséricorde, en ne doutant pas un instant de sa miséricorde. Si nos oeuvres nous suffisaient, que viendrait donc faire la grâce ? Si la grâce est nécessaire, en effet, c'est bien parce que l'homme, dans ses oeuvres, n est pas purifié devant Dieu. Ne gémissons donc pas de notre imperfection au point de moins respirer ou espérer dans la bonté divine.

p. 714

§ 347-350. Le procès devant Pilate :


Les Synoptiques nous en ont conservé des traits qui ne sont pas sans importance ; mais il se trouve développé surtout dans Saint-Jean, suivant une structure concentrique bien rythmée par les allées et venues de Pilate: des Juifs restés dehors (v. 28), sur le Lithostrotos, à Jésus qui se trouve à l'intérieur du Prétoire, dans Y auditorium ou secretarium où se faisait normalement l'instruction des procès (cf. mommsen, cité par P. Benoît, R.b. 1952, p. 535):

- a.Pilate sort : 1° affrontement avec les Juifs (18,29-32)

— b.Pilate rentre : 1° entretien avec Jésus (18,33-38)

- c.Pilate sort : 2° affrontement (Barabbas) (18,38-40)

Centre : Le Couronnement d'épines (19,1-3)

— c.Pilate sort, suivi de Jésus : « Ecce Homo » (19,4-7)

- b.Pilate rentre : 2° entretien avec Jésus (19,8-12)

— a. « Pilate fit amener Jésus » (dehors): 3° affrontement (19,13-16).

Flagellation et couronnement d'épines ont dû se passer à l'intérieur du prétoire, puisqu'ensuite on voit Pilate sortir, amenant Jésus (19,4) — avec triple répétition, pour bien souligner que la scène se passe « dehors »). Si Jn évite cependant de préciser le lieu où se passe le < couronnement > ne serait-ce pas pour mieux souligner que nous sommes au centre, où se réunissent en quelque sorte le dedans et le dehors (voir § 349 — Jn 19,1-3*).

Mais I. de la Potterie (Passion-Jean, p. 86-90) ajoute qu'à travers cette structure concentrique, passe un dynamisme qui porte le drame à son intensité maximale dans les derniers versets (19,13-15*). Alors, « les princes des prêtres » ont gagné (v. 15 b); Pilate abandonne (v. 16).




§ 347. L'interrogatoire de Pilate: Mt 27,11-14; Mc 15,2-5; Lc 23,2-5; Jn 18,29-38


(Mt 27,11-14 Mc 15,2-5 Lc 23,2-5 Jn 18,29-38)


— Regroupe les 2 premières scènes (a. et b.) de Saint-Jean.

D'abord le premier affrontement entre Pilate et les Juifs. L'histoire profane confirme qu'entre 26 et 36, donc à l'époque de la Passion, le Procurateur était bien Pilate, qui ne ménageait pas le nationalisme juif § 215 — Lc 13,1*). Mais en irritant ici l'orgueil de ses chefs, qu'il force à reconnaître son Pouvoir (Jn 18,31), Pilate provoque imprudemment l'épreuve de force dont il sortira vaincu. Jn nous détourne pourtant de ces considérations psychologiques en tirant de cette escarmouche la conclusion théologique (v. 32) : « Il fallait »* que la condamnation passe par l'Imperium Romanum pour que le Christ meure crucifié. Car si les princes des prêtres avaient cherché seulement une mort par lapidation, il ne semble pas qu'elle leur eût été interdite (comme dans le cas de la femme adultère de Jn 8,1-11, et bientôt dans le martyre d'Etienne, en Ac 7,57-58). Mais en le faisant mettre en croix, ils accompliraient, sans l'avoir voulu, ce que le Christ lui-même et son Père avaient pour dessein de Salut : que son supplice dresse une image symbolique touchante de « l'élévation », de la « glorification », de l'attirance universelle provoquées par sa mort rédemptrice (cf. § 78 , § 260 , § 309 -Jn 3,14*; 8,28*; 12,32-33*).

// Ps 7,2-13 Ps 9,5 Ps 9,20 Ps 11,5-6 — Triple fragment sur le thème le plus fréquent du psautier : l'espérance du Juste persécuté. Sans être < prophétique > au sens propre, comme l'est le < Serviteur > d'Isaïe, ce < Juste > prend valeur typologique* ; et par conséquent, sa prière peut évoquer ce que Jésus éprouve alors en son Coeur, complétant ainsi les Evangiles, plus soucieux de mettre en valeur la portée théologique de la Passion que les retentissements qu'elle a pu avoir dans la psychologie de Jésus.

Mt 27,11-14; Mc 15,2-5 ; Lc 23,2-5; Jn 18,33-38) — Les Synoptiques n'ont retenu que cette seconde scène (b.); mais ici encore, le IV° Évangile développe davantage le dialogue préalable. En tous cas, il est clair que le chef d'accusation a changé: ce qui est en question, ce n'est plus l'enseignement de Jésus § 339 -340*), ni son assurance d'être le Christ, Fils de l'homme et Fils de Dieu § 342 *), mais sa < Royauté >. Le terme va revenir jusqu'à 12 fois chez Saint-Jean. C'est là-dessus que Jésus se verra officiellement repoussé par son peuple. C'est là-dessus que ses disciples de tous les temps auront à consentir. C'est là-dessus que roulent ces § 347 -349. Il est d'autant plus nécessaire de préciser de quelle royauté il est question :

Pour le peuple juif d'alors, c'était le triomphe de ce messianisme temporel que Jésus avait fui après la multiplication des pains § 151 — Jn 6,15). C'est pourquoi aussi Il avait jusque-là évité autant que possible de se faire reconnaître pour le Christ (voir : < Secret messianique >*). À présent le change n'étant plus possible avec cette royauté d'apparence, Jésus n'a plus la même raison de refuser son titre de < Roi >.

Pour Pilate aussi, pourtant, ce mot évoque une prétention également temporelle, qui ne peut lui apparaître que comme rivale du Pouvoir de Rome qu'il représente. Les chefs des Juifs joueront de cet argument pour obtenir ce qu'ils veulent § 349 — Jn 19,12). Toute la réponse de Jésus à Pilate vise donc à hausser la perspective à la réalité unique de cette royauté.

// Da 2,27 Da 2,37 Da 2,40 Da 2,44-45 — Déjà, Daniel annonçait un Royaume transcendant, d'un autre ordre que les Empires temporels, donc successifs (v. 37-43) : celui-là sera non seulement durable, éternel, mais venant d'ailleurs, de plus haut que des ambitions impériales de quelque conquérant. C'est ce qu'indiqué surtout le rêve de Nabuchodonosor, qui fait parabole (v. 45) : « La pierre » en effet réfère à Dieu, Roc d'Israël, surtout quand il est souligné qu'elle se détache d'une montagne (lxx et Vg), et « sans l'intervention d'aucune main » (humaine), comme il advint dans l'Incarnation et la naissance virginale.

// Pr 8,15-16 Is 24,21 Is 24,23 Za 14,9 Ps 20,7-10 — Ce Règne de Yahvé, soit directement soit par le Christ, était annoncé pour les temps messianiques, et l'on sait que Jésus avait fait de l'avènement du « Royaume de Dieu » le point capital de sa proclamation de l'Évangile (= du < Kérygme >* — cf. § 28 , Mt 4,17*). Le // Ps 20,8 précise que cette Royauté ne s'imposerait pas par la force des armes, mais par le recours à Dieu.

Jn 18,36) — Ma royauté (ou : mon Règne, ou : mon Royaume — cf. § 19 , Mt 3,2*, J. carmignac) ri est pas de ce monde : C'est conforme à ce que Jésus disait de ses Apôtres, en précisant que pour autant cela ne les empêcherait pas d'avoir à remplir leur mission dans le monde § 334 — Jn 17,11-16*). De même le Royaume ou l'Eglise (contre certaines déviations gnostiques : cf. I. de la Potterie, Passion-Jean, p. 98-99).

Mes gardes auraient lutté : Confirme et explique la décision de non-violence à Gethsémani § 338 — Mt 26,51-54).

Jn 18,37) — Provoqué à un aveu par le : « donc, tu es roi ? » Jésus pourrait sembler éluder le piège en rejetant la balle : « C'est toi qui dis que je suis roi ». Mais la suite même du verset montre que, comme dans sa réponse parallèle au Grand Prêtre § 342 — Mt 26,64*), Jésus veut tout à la fois éviter de prendre à son compte l'idée temporelle de sa royauté que pouvaient s'en faire Pilate ou ses accusateurs, sans pour autant nier qu'effectivement il soit bien « le Christ-Roi ». On déplacerait donc la pointe de l'affirmation en l'accentuant d'un « c'est toi qui dis... » Il est vrai que le « je suis roi » semble venir en discours indirect, comme simple complément de « tu dis que »... Cependant, la conjonction grecque < oti > a une valeur si floue qu'on peut la remplacer, soit par une simple juxtaposition rétablissant le discours direct : « tu (le) dis : je suis roi », soit même la tenir pour un renchérissement, comme il en allait précisément en Mt 26,64 : « tu l'as dit ! Et c'est si vrai que... » Ici : « je suis roi encore bien mieux que tu ne l'imagines ». La preuve en effet que l'accent ne porte pas sur « c'est toi qui », mais bien sur l’affirmation : «je suis roi », c'est la suite même de ce verset 37, dont tout le monde accorde qu'il explicite comment règne ce roi. C'est pour marquer cette valeur affirmative du «je suis roi » que nous traduisons : « Oui, je suis roi ». Je suis né, je suis venu dans le monde pour... : La redondance avertit de la solennité de la déclaration : le Christ affirme ici le but de son Incarnation, I. de la Potterie ajoute cette précision : les deux verbes, en grec, ne sont pas à l'aoriste mais au parfait; et il montre que dans Saint-Jean ce « Je suis venu », au parfait, signifie qu'il ne s'agit pas seulement du but final de sa mission, accompli seulement à « l'Heure »* de sa Passion, mais « de l'activité actuelle de Jésus tout au long de son existence, c'est-à-dire du sens même de sa présence parmi nous, du sens même de l'Incarnation... comme d'une présence révélatrice » (La Vérité 1P 101-102).

rendre témoignage à la vérité: Dès le Prologue, le IV° Evangile définissait la mission de Jean-Baptiste en disant qu'« il vint pour rendre témoignage* à la Lumière » (1,7*) ; et il réitérait en 5,33* : « il a rendu témoignage à la vérité ». Mais si le Précurseur est dans la même ligne révélatrice que Celui qu'il annonce, le Messie lui-même témoignera de la vérité avec la transcendance qui lui vient de son être même de Verbe incarné. Pour Jean-Baptiste, c'était une mission de prédication, ordonnée à un événement déterminé : annoncer et désigner en Jésus la Lumière du monde et l'Agneau de Dieu, Sauveur. Tandis que Jésus est, de par son Incarnation même, en Personne et par conséquent de façon permanente, Parole de Dieu, Lumière, Révélation, Vérité (Ibid., p. 104) — Sur le < témoignage > chez Saint-Jean, cf. § 356 *).

Il ne faut pas en effet que la formule « rendre témoignage à la vérité » nous induise en erreur. Quand il s'agit de Jésus, la Vérité c'est lui-même § 326 — Jn 14,6*). « Rendre témoignage à la vérité », pour le Christ, c'est donc mieux que simplement prêcher ou enseigner : c'est révéler le mystère de son être, divin (et humain), trinitaire; c'est donc manifester son origine de Fils, d'Envoyé, de Parole, de pleine expression de F Amour du Père (Jn 3,16 1Jn4, Jn 9-10). C'est en cela que toute sa vie et surtout sa mort témoignent de l'unique Vérité : Dieu est Père : Il aime !

Quiconque est de la vérité: Le sens de l'expression s'éclaire par son rapprochement avec les formules parallèles, fréquentes dans les écrits johanniques: « Être né de Dieu » (Jn 1,12-13 cf. 1Jn, passim), « être de Dieu » (Jn 7,17et surtout 8,47; 1Jn 3,9-10 1Jn 4,1 1Jn 4,2 1Jn 4,3 1Jn 4,7 1Jn 5,19 3Jn 11); ou à l'inverse: « Être du diable » (Jn 8,44 1Jn 3,8 1Jn 3,12), et « être de la terre » ou « du monde » (Jn 3,31 1Jn 4,5). C'est donc un signe distinctif entre croyants ou non. D'un long examen (La Vérité n, p. 593-635), I. de la Potterie tire les conclusions suivantes : « Être de Dieu », c'est « vivre pleinement en fils de Dieu, être habituellement sous dépendance de Dieu ». Et pareillement : « être de la vérité », c'est être habité par cette vérité (au sens précisé plus haut de la révélation faite en Jésus de l'Amour du Père), c'est avoir au coeur cette révélation qui conditionne de l'intérieur la manière d'être du chrétien. C'est cette exigence intime, principe de la vie morale du fidèle, par quoi s'explique son action. Et ceci doit nous éviter d'y voir une < prédestination > fatale, qui répartirait d'avance les hommes entre « de Dieu » ou « du diable », indépendamment ou préalablement à leur propre choix. Car ce n'est pas du domaine de l'être, mais de l'agir. Et si être « né de Dieu », ou pénétré de la révélation du Christ, entraîne une sorte de < nécessité > de répondre à cet Amour, celle-ci est assez intérieure pour être personnelle et libre.

écoute ma voix (Quiconque est de la vérité...) : L'effet se trouve donc précisé ici ; et c'est le même que pour qui « est de Dieu » (Jn 8,47), c'est-à-dire encore le même que pour « les brebis du Bon Pasteur » (10,3-5). C'est dire qu'il faut prendre « écouter » au sens le plus fort, qui est d'adhérer à la Vérité du Christ par la foi, et d'une foi qui engage; donc d'être des disciples, qui suivent leur maître en croyant et obéissant à sa voix. Ainsi règne le Christ-Vérité : en ce que, librement, ceux qui sont « de Lui » marchent, dans sa Lumière, à sa suite.

// Dt 7,9 Ps 89,2-3 — La Vérité, au sens biblique (plus général qu'en Saint-Jean), va de pair avec la Fidélité de Dieu (c'est le même mot en hébreu) et sa Miséricorde, qui est une fidélité inlassable, quelles que soient nos innombrables trahisons. Nous en est garant le Christ — qu'annonce le Ps 89, messianique dès son exorde — puisqu'il est la Vérité, la Fidélité, la Miséricorde divines, incarnées...

Jn 18,38) — Et ce disant, il sortit : montre assez que la désinvolture de la question de Pilate est en réalité fin de non-recevoir.

Mt 27,12-14; Mc 15,3-5 // Is 49,7 — Le silence du Christ est noté par Jn aussi, mais plus loin (19,10). Luc le signalera également, mais à propos d'Hérode : « Jésus ne lui répondit rien » § 348 — Lc 23,9). C'était annoncé dans le 4° poème du Serviteur, Is 53,7, que l'on trouvera en // à Jn 19,10, au § 349 (avec Is 53,1-6, en tête de ce même paragraphe). Ici, nous donnons la fin du 3° poème du Serviteur, révélant la grandeur intérieure de ce silence, qui s'en remet au Père, plutôt que de chercher à se justifier, comme le tente si généralement Adam (Gn 3,12). B. Gerhardsson montre que ce mutisme est encore plus rigoureux et impressionnant dans les Passions selon Me ou Mt (r.b. 1969, p. 218-219) :

Ephrem: Hymne des Azymes XIII (Lamy, IV, p. 595):

Il se taisait au milieu du peuple,

Celui dont la voix terrifiait le peuple

sur la Montagne du Sinaï.

Hérode l'interrogea et le méprisa :

Il se tut, Celui qui donne aux langues

la parole.

Lc 23,4.14.22; Jn 18,38 b; 19,4.6 // Is 49,7 — L'innocence du Christ est donc publiquement reconnue, par trois fois, de ce juge officiel. En contradiction avec son scepticisme affecté — « Qu'est-ce que la vérité? » — Pilate reconnaît fort bien la vérité des faits, même s'il n'atteint évidemment pas à < la Vérité >, à cette Révélation vivante qui se tient là, devant lui, en Jésus. Même imparfaitement, son hommage accomplit la prophétie du // Is 49,7 Is 49,

p. 717

§ 348. Jésus devant Hérode : Lc 23,6-12


(Lc 23,6-12)

— Il s'agit d'Hérode Antipas, tétrarque de Galilée § 19 — Lc 3,1*), entraîné par Hérodiade au meurtre de Jean-Baptiste § 147 *) et depuis longtemps intrigué par le Christ § 146 et 221*). Aussi est-il dépité de n'en rien tirer. La dérision dont Hérode couvre le Christ retombe en fait sur lui, fantoche sanglant, incapable de discerner la sainteté de cette Heure*. S'est-il seulement soucié du jugement, que pourtant lui réclame la meute des accusateurs, acharnés à leur proie ? — Peut-être :

Il jeta sur les épaules (de l'accusé) un manteau d'une blancheur éclatante : Dans Rech. sr 1936, p. 80-85, P. Jouôn a montré en effet: 1) qu'il s'agit d'un vêtement flottant; 2) que sa couleur est d'un blanc brillant, au sens de < candidus > plutôt que d'albus; 3) qu'il n'est pas la suite de la dérision, mais se rattache grammaticalement au renvoi à Pilate. D'où l'hypothèse : au lieu d'être une ultime moquerie, ne serait-ce pas un signe de connivence à Pilate, pour témoigner que lui aussi, Hérode, tenait Jésus pour innocent ? Du même coup, il aurait affiché aussi son opposition à ces Juifs qui s'acharnaient à le noircir.

Lc 23,12 // Ps 2,2-6 Ac 4,24 — Le Ps 2, tenu pour messianique tant par les Juifs que par les chrétiens, annonce la filiation divine du Christ au v. 7 (aussi le trouvera-t-on en // à Mt 3,17§ 24 . L'application des v. 2-6 à cette réconciliation d'Hérode avec Pilate a été faite par les Apôtres, dès les premiers temps (// Ac 4,24-28). Comme la citation de Joël ou des Ps 16 et 110 dans le Sermon de Pierre, le matin même de la Pentecôte (Ac 2,16-36), cette mise en parallèle témoigne que l'Esprit Saint, désormais, ouvre l'Église à l'Intelligence* des Écritures, pour qu'elles soient lues suivant la méthode laissée par Jésus à ses disciples § 364 -365) — Lc 24,25-27*.44-46*) — et mise en oeuvre en cette Bible.

« Ce qu'il y a de plus extraordinaire dans tout cet événement, c'est Vunanimité des ennemis de Jésus, antithèse diabolique du royaume de Dieu et de sa paix » : non seulement d'Hérode et de Pilate, mais des Sadducéens et des Pharisiens, entre eux et avec le pouvoir romain, ou du peuple et de ses dirigeants (R. Guardini: Le Seigneur n, p. 106-107). Chesterton fait plaisamment remarquer qu'entre les hérésies ou les oppositions au Christ les plus contradictoires, le seul point commun est qu'elles se retournent toutes contre son Église, la Vérité étant seul centre de convergence où s'annulent toutes les erreurs...

p. 718

§ 349. La démission de Pilate : Mt 27,15-26; Mc 15,6-15; Lc 23,13-25; Jn 18,39 à 19,16


(Mt 27,15-26 Mc 15,6-15 Lc 23,13-25 Jn 18,39-19,16

— Le sommet du drame: s'y décide ce qui s'effectuera au Calvaire.

// Is 53,1-6 (et v. 7 en // à Jn 19,9-10) — Nulle part ne se trouve révélé plus expressément qu'en ces v. 4 à 6, le mystère de notre Rédemption.

Nous avons déjà vu que l'Incarnation en était la condition, pour instaurer du Christ à nous cette communauté de nature (humaine) et sur-naturelle (de Tête à membres, de Cep à sarments) : § 255 — Lc 22,27 b*. De ce fait, à l'image de la Vie trinitaire, entre Lui et nous c'est comme entre < vases communicants >: « Tout ce qui est à toi est à moi, tout ce qui est à moi est à toi » (Lc 15,31 — voir au § 321 , Introduction). Le Christ est solidaire de nos péchés comme nous bénéficions de sa grâce. Quand il < paie > pour nous le prix de notre rachat ou rançon § 255 afin que nous soyons libérés de notre dette par sa réparation du mal (objectif) causé par nos péchés (eux-mêmes effets de notre mauvaise volonté), ce n'est donc pas injuste. Car s'il est, Lui, parfait et innocent comme en témoigne Pilate § 347 in fine) — en quoi Il est bien « l'agneau » d'Is 53,7) — le Christ est lié à nous, s'étant porté responsable : de nos péchés Il va donc < répondre >, jusqu'à la mort et la mort de la Croix, comme « l'Agneau de Dieu qui, en portant le péché du monde, l'enlève » § 24 — Jn 1,29*). Sur ce réalisme de juste Rédemption, pour laquelle Jésus, maintenant, se sacrifie, cf. § 337 , Introduction; cf. § 352 in fine.

C'est à la lumière de ce 4° poème du Serviteur que les Apôtres ont discerné le sens rédempteur des événements — autrement déconcertants et scandaleux — de ce Vendredi Saint. Et les Évangiles ont été rédigés de façon que s'y révèle à nous ce mystère de Rédemption : « Le récit de la Passion (selon Mt, mais non moins suivant les 3 autres Évangiles), reste constamment en contact avec Is 53 », même s'il ne développe pas expressément sa théologie de la Rédemption, écrit B. Gerhardsson (Jésus livré et abandonné, dans R.b. 1969, p. 209).

C'est là ce que nous avons à y adorer, car c'est un mystère proprement divin que celui de l'Amour du Père donnant son Fils pour le salut de ses créatures pécheresses (Rm 5,7-10).

// Jb 9,28 Jb 10,6-7 — Job est ici figure du Christ en ceci que, « tout en sachant qu'il n'est pas coupable » Jésus se tient pour solidaire de nos fautes, et ne peut donc « être tenu par la juste Justice divine, pour innocent » en ses membres, ni par conséquent libéré de la peine que nos péchés entraînent.

Mt 27,15-21; Mc 15, 6-11; Lc 23,13-19; Jn 18,38-40 // Lv 16,5-10 Jésus ou barabbas. C'est une « coutume » que cette amnistie à l'occasion de la Pâque (Mt 27,15 Mc 15,6 Mc 15,8 — et Lc 23,17, qui est une addition de la Vg d'où la parenthèse, va dans le même sens). Cela explique pourquoi les princes des prêtres qui ont amené Jésus au prétoire sont rejoints par la foule, qui vient réclamer la libération « d'un prisonnier, celui qu'ils voulaient ». En Lc 23,13, quelques mss. Remplacent « et le peuple » par : « et les chefs du peuple », qui permettrait de ne faire porter la faute du rejet du Christ que sur ces dirigeants. Et il est vrai que Lc atténue la responsabilité du peuple, témoin passif (23,35) ou même compatissant (23,27), pour la faire retomber sur « nos princes des prêtres et nos magistrats », comme diront les disciples d'Emmaüs § 364 — Lc 24,20). Mais il n'en reste pas moins que d'après les Evangiles, le peuple était présent, et se laissa entraîner par ses chefs à choisir Barabbas : « ils persuadèrent aux foules » (Mt 27,20); « ils excitèrent la foule » (Mc 15,11).

Barabbas était un brigand, dit Saint-Jean, accentuant ainsi la honte qu'il ait été préféré à Jésus. Mais le mot, en grec, peut avoir un sens politique; et c'est bien en ce sens que Mc et Lc nous orientent, en désignant Barabbas comme un émeutier, coupable de meurtres. Ainsi va être libéré le véritable séditieux, tandis que sera condamné Celui que ses juges ont lavé de cette accusation (Lc 23,14-15 Jn 18,38-39)...

Mais il ne s'agit plus de justice terrestre. Pour celle-ci, Jésus n'aurait même pas eu à être amnistié. En réalité, la proposition de Pilate est une reculade, puisqu'il renonce à faire de l'acquittement de Jésus la simple et immédiate conséquence de son jugement. Cependant, par la lâcheté du Procurateur, ce nouveau stratagème, venant après celui du renvoi à Hérode, prend une signification hautement symbolique : c'est Jésus qui se substitue au vrai coupable, que ce soit Barabbas ou chacun de nous. En cela sa mort va réaliser ce que signifiait le rite des deux boucs dont le sort décidait celui qui serait sacrifié « pour le péché » (// Lv 6 — cf. BC I*, p. 295-297) :

Rupert de Deutz : Sur Mt XI (PL 168, 1577 et 1580) : « Le prêtre présentera deux boucs devant le Seigneur, à l'entrée du Tabernacle du Témoignage ; il mettra un sort sur chacun d'eux: l'un pour le Seigneur, l'autre pour le bouc émissaire ». Ainsi fut fait. Obéissant à la volonté du Père, le vrai Prêtre, le Seigneur Jésus-Christ, s'offrit lui-même, et pria pour lui et pour sa Maison qui est l'Eglise... Quand on l'eut saisi et livré à Pilate, « Lequel voulez-vous que je vous libère ? » dit celui-ci. C'était jeter le sort sur les deux boucs. On envoya au peuple celui qu'il avait demandé, donc Barabbas ; et Pilate livra Jésus pour être crucifié : et cela, c'était offrir pour le péché le bouc attribué au Seigneur.

Mt 27,18; Mc 15,10) — Pilate savait que c'était par envie qu'on l'avait livré : tel est donc le mobile attribué par l'Évangile aux princes des prêtres, cette jalousie qui s'avoue si rarement...

Mt 27,19 // Gn 31,24 — « Notons que souvent Dieu envoie en songe des révélations à des païens. Pilate et sa femme confessent que le Seigneur est un juste : c'est le témoignage des païens... Et en disant « Qu'a-t-il fait de mal ? » Pilate absout Jésus » (Jérôme: Sur Mt IV,26) — Pl 26,206).

Mt 27,20-23; Mc 15,11-14; Lc 23,18-23; Jn 18,40 // Ac 3,13-15 — Au témoignage de Pierre (// Ac 3), c'est donc alors qu'a lieu le véritable reniement de Jésus par son peuple. Trois fois aussi : à présent, par le cri répété: « Qu'on l'enlève! Qu'il soit crucifié» (Mt 27,22-23 Mc 18 Mc 22 Jn 18,40); et encore au Calvaire § 352 — Jn 19,21*). Mais pourquoi faudrait-il tenir ce triple reniement pour plus impardonnable que celui de Pierre ? (Mt 27,25*).

Jn 19,1-3) — flagellation et couronne d'épines: Mt et Mc mentionnent la flagellation seulement d'une incise, en finale (v. 26 et 15), ce qui retarde aussi jusque-là cette nouvelle scène d'outrages § 350 . Mais il est peu probable que les soldats aient eu le temps de leur jeu cruel après que Pilate ait « livré » le Christ à ses accusateurs. Comme Lc (v. 16 et 23, mais sans parler expressément de < flagellation >), Jean situe plus naturellement l'épisode sitôt après celui de Barabbas.

C'est en effet un nouvel effort de Pilate pour libérer Jésus : « je le châtierai puis le relâcherai ». Or d'une part, c'est à la fois trop, pour un accusé qu'il vient de reconnaître innocent (Jn 18,38 ou Lc 23,13-15), et trop peu, s'il était coupable ; d'autre part, c'est continuer à perdre du terrain, en remplaçant un jugement équitable en bonne et due forme par de la psychologie, bien mauvaise au surplus : comme si, en consentant à demi, il contenterait cette foule !

La flagellation romaine, avec le < flagrum >, fouet aux lanières garnies d'osselets ou de balles de plomb, était déjà sanglante : « Le Suaire relève plus de 100 traces de coups... sur la poitrine et toute la partie dorsale du corps, des épaules aux mollets, qui ont dû entraîner non seulement une importante perte sanguine, mais aussi une contusion thoracique et même blesser les côtes » (R. Gilly, p. 92-94). Mais en outre, les nombreuses coulées de sang à la tête, relevées sur ce même précieux témoin qu'est le Saint-Suaire, confirment aussi les plaies imposées par la couronne d'épines.

Mais celle-ci fait partie de tout un cérémonial : vêtement de pourpre ou < chlamyde > (manteau de soldat romain) le simulant, roseau en guise de sceptre dérisoire, génuflexions. Ce n'était pas un jeu innocent et nous savons que normalement l'issue en était mortelle pour ce roi d'un jour ou d'une heure (Lagrange : Sur Mc, p. 393-395). Mais ce que soulignent plutôt les Évangiles, c'est la correspondance des outrages avec le nouveau chef d'accusation porté contre le Christ, devant Pilate. Les gardes du Sanhédrin s'étaient moqués du < Prophète > § 341 *); à présent les soldats romains ridiculisent « le roi des juifs ». Et dans leurs coups, ils n'y vont pas de main morte: « L'empreinte du linceul révèle sur la face (de Jésus) de nombreuses ecchymoses et des excoriations ; toute la moitié droite du visage est déformée depuis l'oeil jusqu'à l'angle de la mâchoire, et présente de nombreuses écorchures... L'arête du nez est abrasée et le cartilage fracturé » (R. Gilly, p. 96-97). Cf. // Mi 4,14)

// Gn 3,17-19 Nb 33,55 Mi 7,1-4 Ez 28,24 — L’A.T. donnait de surcroît aux épines valeur symbolique très générale, de tout ce que le péché (// Gn 3) ou même simplement les tentations (// Nb 33) ajoutent de souffrances à la vie humaine et, bien pire, de ce qu'ils peuvent faire de l'homme lui-même « une ronce » pour les autres (// Mi 7). Sans doute, les soldats du Procurateur ne voyaient pas si loin. Mais Jésus, lui, savait sa Bible, et sous la douleur physique des pointes d'épines il était déchiré de toutes les souffrances que nous nous infligeons mutuellement. Même dans la communauté monastique, saint Benoît prévoit qu'il faille soigner ces multiples échardes, matin et soir (Règle, ch. 13). L'annonce prophétique de la disparition de toute épine (// Ez 28,24) doit donc être tenue pour eschatologique, sans rêver que la venue du Christ nous en débarrasse entièrement; mais du moins, quand elles nous blessent, pouvons-nous maintenant les supporter en compagnie du Christ.

Car si l'Évangile, ici encore, ne nous dit rien de ce que Jésus a souffert intérieurement, dans le silence de sa Passion, c'est que, comme le dit J. Guillet, Il est tout entier accaparé par la souffrance, non seulement la sienne propre — qui suffirait à écraser tout homme — mais la nôtre, puisqu'il la porte et la rachète comme la Tête vit en jonction avec ses membres. Nous avions déjà dit cette quadruple dimension, psychologique, mystique, messianique, eschatologique, de cette < Passion >, qui accable le Christ à Gethsémani § 337 — Mt 26,37-38*). Si maintenant, le sacrifice ayant été alors accepté, Jésus est mieux armé pour supporter la souffrance et la mort que quand Il les appréhendait (ainsi qu'il arrive aussi souvent pour nous), ce n'est pas qu'il vive moins intensément son union rédemptrice avec chacun de nous et de nos péchés. Nul peut-être n'a pénétré ce mystère comme Léon bloy. Par exemple il écrit à sa fiancée, le 7 décembre 1889 :

« Sais-tu, mon amour, ce qu il y a de plus dur pour l’âme, c’est de souffrir, je ne dis pas pour les autres, mais dans les autres. Ce fut la plus terrible agonie du Sauveur. Par-dessous l'effroyable Passion visible du Christ, au-delà de cette procession de tortures et d'ignominies dont nous avons déjà tant de peine à nous 721 former une vague idée, il y avait sa Compassion, qu'il nous faudra l'éternité pour comprendre — compassion déchirante, absolument ineffable qui éteignit le soleil et fit chanceler les constellations, qui lui fit suer le sang avant son supplice, qui lui fit crier la soif et demander grâce à son Père pendant son supplice. S'il n'y avait pas eu cette compassion épouvantable, la Passion physique n eût été peut-être pour Notre-Seigneur qu'une longue ivresse de volupté, quoiqu'elle ait été si affreuse que nous ne pourrions en supporter la vision parfaite sans mourir d'effroi.

Considère que Jésus souffrait dans son coeur avec toute la science d'un Dieu, et que dans son coeur il y avait tous les coeurs humains avec toutes leurs douleurs, depuis Adam jusqu'à la consommation des siècles.

Ah ! oui, souffrir pour les autres, cela peut être une grande joie quand on a l'âme généreuse, mais souffrir dans les autres, voilà ce qui s'appelle vraiment souffrir » (p. 86-87).

Ce ne sont pas là de pieuses imaginations : non seulement elles concordent avec ce que nous pouvons savoir de la conscience du Christ*, mais de L’A.T. nous pouvons tirer des textes prophétiques éclairants. Aux grands psaumes messianiques de la Passion et à Is 53, déjà évoqués, il faut ajouter les Lamentations, que l'Eglise relit pour cette raison durant les veillées des Jours Saints :

// Lm 3,1-4 — Ces versets nous révèlent ce qu'à Gethsémani nous avons appelé la < solitude mystique > du Christ. Le // Jn 1,29 rappelle sa < solitude messianique >, mais on pourrait y ajouter Is 63, en // au § 253 (c'est-à-dire à la 3° annonce de la Passion, témoignant que Jésus allait à sa mort en connaissance de cause). Les plaintes de Jérémie (en // au § 144 expriment davantage ce que le Sauveur a souffert en son humanité. Mais aussi, les // Is 33,17 Is 33,24 So 3,15 annoncent les fruits de cette Rédemption, et « le péché enlevé » par ce que le Christ a souffert « pour nous et en nous ». C'est justement du fait qu'il est « au milieu de nous » que « nous sommes délivrés du malheur ». Voir les // Du § 350 *.

Qu'on ne dise pas non plus qu'une si haute conception de la valeur rédemptrice et communionnelle de la souffrance était impensable alors. Non seulement un tel a priori n'aurait rien de scientifique, mais on sait que la tradition rabbinique avait elle-même discerné ce mystère. Et si elle ne supposait pas qu'Is 53 dût s'appliquer au Messie, comment Jésus, qui se tenait pour « Le Serviteur » et annonçait sa Passion, n'en aurait-il pas su la fécondité — sans même parler de son omniscience divine ! (cf. § 309 — Jn 12,24* et 27-28*). Ce n'est pas pour rien que Jn a mis ce couronnement d'épines au centre du Procès devant Pilate, lui-même au centre de son récit de la Passion (cf. § 347 , Introduction, et plus généralement I. de la Potterie: Passion-Jean, p. 39-44).

Jn 19,4-5 // Is 33,17 Is 33, So 3,15 (à l'inverse des apparences), homo: Pilate n'avait apparemment pas donné ordre de bafouer le flagellé, mais il en tire prétexte pour tenter d'apitoyer la foule, en présentant Jésus tel que l'ont arrangé les soldats.

Voici l’Homme : VoicI* deux fois répété, comme d'un événement marquant — qui est même, en un sens ignoré de Pilate, divin. « Dehors » se trouve 4 fois en ces deux versets ; et de fait, sans le savoir, c'est au monde et à tous les temps que le Procurateur présente « l'Homme », en un mot qui dépasse largement ce que son auteur pouvait y mettre. Car le Christ est précisément présenté par Saint-Jean comme ce Dieu fait homme, Fils de l'homme (Roi et Juge d'après Da 7,13-14 Da 7,21-22 Da 7, en // aux § 342 et § 206 , et Chef de l'humanité, afin de souffrir notre Rédemption — ce que Dieu même n'aurait pu ! Mais l'Évangile ne fait pas de commentaire : « Le récit sacré est d'une vérité sacrée... Voilà pourquoi il a tant de crédibilité et en même temps, dirait-on, si peu d'apparence. Chacune de ces phrases est gonflée d'un sens infini, mais elles ne livrent que ce que la profondeur de notre amour est capable d'y puiser » (R. Guardini: Le Seigneur II, p. 105-106). La piété populaire en a tiré les Christs de pitié, et le chemin de croix.

Jn 19,6 // Ps 64,3-5 — Les princes des prêtres, commente Augustin, avaient prétexté du fait que la condamnation à la croix était réservée au Procurateur pour décliner la responsabilité de ce meurtre légal. « Mais s'il est coupable celui qui l'a laissé faire, malgré lui, ceux-là seraient innocents qui lui ont forcé la main ?

— Pas du tout ! Vous aussi êtes ses meurtriers. — Et comment l’avez-vous tué ?

— En faisant de votre langue « un glaive acéré ». Vous l'avez transpercé quand vous crIIez : < Crucifie, crucifie-le > » (Sur le Ps 64).

Jn 19,7) — C'est le seul faux-pas des accusateurs, qui se trahissent en sortant leur véritable chef d'accusation, qui est religieux, et se réfère à la Loi (ce qui, à tout prendre, serait plus honorable). Du coup, Pilate soupçonne le mystère, et reflue vers Jésus :

Jn 19,9-11) — En demandant « d'où es-tu ? », Pilate pose la vraie question,) qui est celle de l'origine. Le Christ l'avait laissé entendre dans ses premières réponses, en disant que sa royauté n'était pas « de ce monde », mais qu'elle ;< tenait à « la Vérité », dont Il était la révélation, de l'Amour du Père qui l'en- % voyait § 347 — Jn 18,37*). Pilate est donc moins sceptique qu'il ne joue à le : paraître (Jn 18,38) : sa « crainte » est religieuse, puisqu'elle vient de ce qu'il > pressent quelque chose de l'Incarnation (fût-ce à la façon d'une fable mythologique).

Il est d'autant plus remarquable que Jésus refuse de répondre, nous apprenant par là que même aux questions sur la foi, il ne convient d'apporter une réponse qu'à certaines conditions. Ne suffit pas que le questionneur craigne comme ici de commettre un impair : il faut chercher la Vérité pour elle-même. Car si l'on n'est pas « de la vérité », on n'entendra pas sa voix (Jn 18,37b* — comparer avec Mt 7,6*, au § 69 .

Les // Is 53,7 et Ps 39,2-11 ont été présentés dans l'Introduction à ce § 349 . Sur le silence du Christ, cf. plus haut, p. 720-721 et § 347 in fine.

Jn 19,10-12 // 2M 7,1 2M 7,15-16 Rm 13,1 — Hiérarchie des pouvoirs. Dieu est maître, mais assez totalement pour respecter l'autorité constituée, en laissant à qui détient une parcelle de pouvoir — fût-ce à l'homme sur lui-même — sa liberté. Mais aussi, par conséquent, sa responsabilité. Ici, Jésus ne précise que le rapport entre celles de Pilate et de Judas. Mais plus généralement, en « celui qui me livre à toi » on peut voir le Sanhédrin, puisque c'est lui qui, effectivement, a « livré »* Jésus à Pilate § 345 — Mt 27,2*). Quoi qu'ils en aient, les prêtres et les anciens du peuple qui ont acheté le traître sont au moins co-responsables § 346Hilaire). Posé dès le § 340 à propos de Anne, le fait de cette responsabilité sera repris sous forme encore plus dramatique par Mt 27,24-25* (voir ..." plus loin). Cf. les conclusions de J. blinzler à son examen juridique des responsabilités respectives dans Le procès de Jésus (p. 513-515).

Toutefois, cette responsabilité des hommes n'est donc jamais dernière, et il reste toujours le recours à Dieu (// 2M 7,16). S'il n'intervient pas durant la Passion de son Enfant, et si par conséquent Jésus non plus ne cherche même pas à tirer parti du désir qu'aurait Pilate de le délivrer (Jn 19,12), c'est qu'« il fallait »*, pour nous !

Tu n'es pas ami de César : C'est revenir habilement au chef d'accusation efficace, par une menace redoutable. Ce qui va entraîner Pilate à céder (v. 13a), c'est en définitive son intérêt personnel...

Jn 19,13) — Il fit asseoir Jésus sur une estrade : On pourrait aussi traduire : « Pilate s'assit à son tribunal ». Mais dans un article de < Biblica > 1960, p. 217-247, I. de la Potterie a démontré que tout porte à préférer le sens transitif : la grammaire, le mouvement de la phrase — qui, relayé par « fit amener », aboutit à « fit siéger », avec unité d’objet : Jésus — enfin le style propre à Jn. Surtout, le symbolisme de ce geste inattendu est à la fois clair et sublime : Pilate fait mimer par le Christ ce qu'il déclare hautement : « Voici votre roi » — qui plus est : dans l'attitude fondamentale du Juge (qu'il est en vérité : // Mi 4,14).

une estrade : au sens général, d'un endroit surélevé, d'où Jésus domine la meute. Ce n'est pas dire que Pilate ait fait asseoir le Christ sur son propre siège curule, ce qui aurait déconsidéré son propre pouvoir judiciaire.

Il est d'ailleurs possible que le Procurateur ait mis dans cette mise en scène 723 de la dérision, redoublant celle de ses soldats (v. 1-3*) ; et l'on ne peut oublier la sévérité avec laquelle les psaumes, en particulier, maudissent les railleurs qui tournent en ridicule ce qui demanderait respect sacré, et même, ici, adoration (Ps 1,1 et passim — cf. rupert, cité dans PC II, p. 18 ; et PC II 1P 40-41). Ces sarcasmes impies auront accompagné toute la Passion, de chez Anne et Caïphe § 341 *) jusqu'au Golgotha § 352 — Mt 27,39-43*).

Toutefois, la dérision de Pilate se tourne davantage contre les accusateurs (qui l'ont vaincu); et elle prend valeur prophétique. Car c'est supérieurement vrai que Jésus est le roi, non seulement d'Israël mais de tout homme ; et ce qui se passe actuellement, c'est précisément le jugement du Peuple juif (en un sens que Mt 27,25* nous aidera à préciser). Les premiers siècles chrétiens ont été frappés de ce retournement paradoxal, qui rétablit le condamné en Juge de ses accusateurs; et l'un des plus grands sanctuaires de la Jérusalem du Ve siècle, que l'on disait élevé sur l'emplacement du Prétoire (de sorte qu'il est aussi appelé < église de Pilate >) était dédié à cette Sagesse incarnée, victime de ceux qui, tel Caïphe, avaient cru sage de La supprimer § 267 — Jn 11,49-50. Cf. le Mémoire inédit de Dom Bargil pixner, sur cette < Sophienkirche >).

// Mi 4,14;5,1) — Cet oracle annonçait donc cette conjonction surprenante du « Juge d'Israël » — Dieu même, à n'en pas douter — frappé de verge à la joue. Mais cette prophétie introduisait justement celle, plus célèbre encore, sur « Bethléem d'où sortirait Celui qui doit régner sur Israël ». On pourrait même relever que dans le // Lm 3,1, « la verge » est cette fois attribuée à Dieu, comme Jésus, solidaire de nos péchés, a pu le ressentir durement alors (cf. § 337 , p. 697-98). Quoi qu'il en soit, il n'est donc pas excessif de comparer à la Pseudo-vénération des soldats ou de Pilate, la véritable adoration des Mages, prémices de celle que la foi de tous les peuples rendrait à leur Sauveur.

Jn 19,13-14) — La notification solennelle du lieu, du jour et de l'heure confirme qu'aux yeux de Jn, la scène est capitale. Voir en Introduction au § 347 , la localisation et la signification du < Lithostrotos > et de < Gabbatha >. Quant à la date, propre à Saint-Jean, cf. § 313 *. L'heure aussi diffère de celle avancée par Mc, pour qui la crucifixion aurait eu lieu à la 3° heure, donc dès 9 heures du matin (ce qui rendrait impossible la chronologie traditionnelle où, de la Cène au Calvaire, tout doit se passer entre le soir du jeudi et le matin du vendredi). En tous cas, il ne faudrait pas prendre trop précisément cette « sixième heure » (= midi), qui est celle des ténèbres du Golgotha § 355 — Mt 27,45). Jn écrit en effet : « environ... »; et l'on peut supposer que, s'il tenait à nommer cette « sixième heure », c'était parce qu'elle était celle du commencement légal de la fête, et notamment des azymes (J. bonsirven : Hora talmudica, dans « Biblica » 1952, p. 511-515; cf. la critique, peut-être trop sévère, d'I. de la Potterie, art. cit., p. 244-245) : « La pâque qui commençait était celle où allait s'accomplir le salut du monde. Deux faits majeurs et complémentaires en marquaient le sens aux yeux de Jean : la proclamation de la royauté messianique de Jésus, et la condamnation du peuple juif. Nous sommes vraiment à un tournant de l'histoire du salut » ().

Jn 19,15 // 1S 8,5 1S 8,7 — Il n'y a pas que Pilate en effet, à être entraîné par la logique de sa démission : les princes des prêtres eux aussi sont amenés à ce choix terrible : pour repousser « leur roi », ils vont jusqu'à se rallier à César, exclusivement (alors qu'en réalité, ils le haïssent). C'est renier la vocation propre d'Israël : avoir pour roi Dieu lui-même (// 1S 8), qui se présentait à eux sous la figure du Christ, cet homme-Dieu.

Mt 27,24 // Dt 21,1 Dt 21,6-9 Da 13,45 — Pilate se lava les mains devant la foule, en disant : je suis innocent de ce sang : Le geste fait symbole de ce que les mots qui l'accompagnent explicitent. « S'en laver les mains » est devenu locution courante « par référence à l'attitude de Ponce Pilate au cours du procès du Christ », dit tlf (10,1041 A). Mais ce rite trouvait un écho profond dans la tradition juive elle-même : c'est de cette façon que la Loi prévoyait que l'on se dégage de la responsabilité d'un meurtre (// Dt 21), et les psaumes en font mention (26,6 ; 73,13) ; de même, sans le geste, c'est ainsi que Daniel enfant sauvera Suzanne d'une accusation calomnieuse (// Da 13). Notons que la mention du sang, symbole si naturel de la vie ou de la mort qu'il est universel, n'est pas moins biblique, depuis l'interdit jeté sur Caïn (Gn 4,10-11 — Cf. Vtb < Sang >).

A vous de voir: Fait écho à la réponse des membres du Sanhédrin aux remords de Judas: « A toi de voir » § 346 — Mt 27,4*). C'est la même désinvolture, qui croit rejeter sur l'autre la responsabilité, alors qu'en fait, de Judas aux princes des prêtres et aux anciens, à Pilate, à Hérode et à la foule, c'est une chaîne de complicités mutuelles.

Mt 27,25) — Verset propre à Mt (comme aussi le v. 24, auquel il répond). On l'a malheureusement souvent allégué pour justifier la persécution des Juifs. Pour en comprendre le sens authentique, cf. V. Mora: Le refus d'Israël, Cerf 1986).

Son sang (soit) sur nous : L'expression se trouve notamment en Lv 20,10-11 ; Jos 2,18-20; et dans les // 2S 3,28-29 1R 2,31-33 ou 2S 16,6-8 (en // au § 338 et 1R 2,36-44, le N.T. Ac 18,6 Ac 20,26, sens en est clair : « Parallèle à la formule < il mourra de mort >, la formule < son sang sur sa tête > signifie : < il supportera les conséquences de son acte > (Lv 20,10-11)... Ce qui est en cause, c'est la responsabilité, c'est-à-dire la prise en charge d'un acte et de ses conséquences. En aucun cas, ces formules ne doivent être interprétées comme des malédictions » (mora, p. 27-28).

sur nous et nos enfants: Expression encore plus courante, pour désigner la communauté familiale. On la retrouve au § 351 — Lc 23,28 (nombreux exemples dans mora, p. 32) : « Ceux qui s'engagent devant Pilate le font au nom de ce qu'ils ont de plus cher: leur propre vie et leurs enfants ». Il ne faut pas chercher plus loin, et entendre par ces « enfants », toutes les générations à venir (Ibid. p. 33). Cela correspond bien plutôt à < cette génération >* au sens où le Christ lui a prédit les malheurs de la ruine de Jérusalem § 288 — Mt 23,34-36*, où se retrouve l'avertissement que « retombera sur les Pharisiens tout le sang juste... »)•

Tout le peuple : Il semble que l'on ne puisse atténuer la portée de cette réponse, en n'y voyant que la foule échauffée, irresponsable, car c'est tout Israël qui est ici nommé par Mt. « Tel est en effet le sens du mot < peuple > en cet Évangile, et c'est le seul sens qui convienne au contexte dans lequel ce mot apparaît ». Non seulement « le mot peuple chez Mt n'est jamais synonyme de foule et — à une exception près — derrière ce mot se profile toujours le peuple d'Israël, mais c'est la seule fois que Mt emploie l'expression < tout le peuple > ». Au surplus, il a pris soin de souligner que la foule présente assume la responsabilité de la décision en connaissance de cause, et librement. Pilate leur demande explicitement « lequel voulez-vous... Barabbas ou Jésus » (v. 17) ; les princes des prêtres « persuadent la foule » (v. 20) ; enfin le lavement des mains est comme un ultime rappel de la possibilité, qui restait entière, de s'abstenir ou même de ratifier la conclusion impartiale du Procurateur, innocentant l'accusé (mora, p. 33-39).

Il est vrai que Mt insiste plus que les autres Évangiles sur ce refus d'Israël, et sur la vocation des païens à devenir eux aussi du Peuple de Dieu : outre l'adoration des mages (dont nous avons dit qu'elle fait antithèse avec les simulacres de vénération au < Christ-Roi >), qu'il suffise de rappeler Mt 8,11-12*, où le Christ annonce que les peuples de l'univers prendront place au festin, tandis que « les fils du Royaume »* (= les Juifs) seront rejetés.

On a souvent attribué cette insistance à Mt, et à la situation pénible dans laquelle se trouvait la communauté judéo-chrétienne pour laquelle il écrivait son Évangile (Sur ce point, cf. la suite du livre de V. Mora). Concédons que ce v. 25 ne se trouve sous cette forme dans aucun des autres Évangiles. Mais si ce verset souligne la responsabilité du peuple d'Israël, il faut dire que Jn 19,11* n'est pas moins affirmatif, ni Lc 23,25 : « Pilate livra Jésus à leur volonté », ni même Mc, qui dit aussi: « il le livra », du même verbe accusateur. Au paragraphe suivant, Lc fera même confirmer la responsabilité d'Israël par Jésus lui-même, plaignant « les filles de Jérusalem et leurs enfants » (Lc 23,28-31*). La < concordantia discordantium > n'est pas moins remarquable ici que dans les autres endroits où nous l'avions signalée. Mt exprime seulement sur un mode plus direct et dramatique ce que les autres disent implicitement.

On ne saurait donc annuler la responsabilité encourue par Israël. Mais on doit bien plus encore se garder de l'exagérer en y voyant une < malédiction > inexpiable qui frapperait donc à jamais < le Juif errant > (la légende elle-même est significative). Encore moins est-ce un < déicide >, puisque le Christ a été repoussé au titre de < roi d'Israël >, et passible de mort non parce qu'il était Dieu, mais parce que tout au contraire on déniait qu'il fût Dieu, et qu'en condamnant < le blasphémateur > § 342 — Mt 26,65) on voulait venger l'honneur de Dieu. Sur ce point au moins, la disculpation des Juifs par Jules Isaac était justifiée.

N'empêche que c'est alors que se produisit ce que Saint-Jean nomme : « Le Jugement » (3,19; 5,24; et surtout 12,31), au sens où ce sont nos actes qui nous jugent réellement, c'est-à-dire devant Dieu qui n'est le Dieu du Jugement que parce qu'il est le Dieu de la Vérité, donc aussi de la réalité telle que nous l'avons faite, parfaite ou défaite. Si, par la suite, les Juifs eurent à souffrir de la destruction de Jérusalem et du Temple, puis de leur dispersion et de nombreuses persécutions, il serait monstrueux d'en accuser Dieu comme s'il avait voulu les punir pour se venger ! Ce qui s'est alors réalisé, c'est exactement ce que les Juifs eux-mêmes avaient appelé « sur eux et leurs enfants ». « La douleur dont il est responsable lui revient sur la tête, et sur sa nuque retombe sa violence », est-il écrit de l'impie au Ps 7,13. Quand les chrétiens y ont ajouté, ils devenaient pour autant, à leur tour, infidèles au Christ dont ils se prétendaient disciples : car Jésus, Lui, va prier pour ses bourreaux § 352 — Lc 23,34). Et en cela Il était fidèle à son Père, qui l'a envoyé pour nous sauver tous et non pour condamner § 78 — Jn 3,16-17*). Car en vérité, tous, nous sommes coupables de la mort du Christ pour nos péchés, et donc par eux ; tous, que nous soyons issus des Juifs ou des païens, et par nos propres péchés. L'attitude chrétienne envers Israël, nous en trouvons le modèle en saint Paul (car le N.T.est à prendre en son entier, sans en retenir seulement le verset qui est à notre gré, ce qui serait le propre de l'hérésie — du grec : < Aïrésis >, choix) : relisons Rm 9-11...

C'est bien ainsi d'ailleurs que prie l'Église du Christ, pour le peuple élu — et qui le reste puisque « les dons et l'appel de Dieu sont irrévocables » (Rm 11,29). Jules Isaac lui-même cite — en conclusion de bien des citations atroces d'auteurs chrétiens et non des moindres hélas ! — l'Acte de consécration du genre humain au Sacré-Coeur de Jésus, à lire en la fête du Christ-Roi qui terminait l'année liturgique : « Regardez enfin avec miséricorde les enfants de ce peuple qui fut jadis votre préféré ; que sur eux aussi descende, mais aujourd'hui en baptême de vie et de rédemption, le sang qu'autrefois ils appelaient sur leurs têtes ». Et dans la grande Prière universelle du Vendredi-Saint, l'oraison pour les Juifs (modifiée par Jean XXIII sur les remarques de J. Isaac) demande : « Conduis à la plénitude de la rédemption le premier peuple de l'Alliance, comme ton Église t'en supplie par Jésus-Christ notre Seigneur ». Amen !

Mt 27,26; Mc 15,15; Lc 23,25; Jn 19,16) — On ne saurait en moins de mots, condenser plus d’horreurs : Barabbas, flagellation, crucifixion; pour « satisfaire la foule » :

R. GUARDiNi : Le Seigneur II, p. 107-108 : La vérité est si évidente que tout le procès semble n'avoir qu'un but : Vobscurcir assez pour que la sentence prévue puisse être prononcée... Toute défense fait défaut. L'accusé lui-même ne se protège pas. Seule, la vérité se dresse... Pilate constate qu'il n'y a pas de délit, et cela à plusieurs reprises et jusqu'au bout, pour prononcer ensuite, en toute connaissance de cause, une sentence de mort et de telle mort, contrairement à toute justice... Dire que Pilate était un faible, cela ne suffit pas comme explication. Il faut dire que le juge est attiré si profondément dans l'erreur et la nuit par la « puissance de ténèbres », qu'il ne sent plus la folie horrible et ignominieuse qu'il commet.

C'est la dimension eschatologique de ce procès § 337 p. 698). Ce n'est pas parce que le Démon n'apparaît pas qu'il ne tire pas tout le parti possible de la situation, comme il l'avait fait avec Judas. Mais pour sa confusion, le drame qui se joue à travers les acteurs de chair et de sang est en réalité la reconquête, par Dieu incarné, du pouvoir sur Adam usurpé par Satan depuis le Péché originel, comme cela éclatera au Golgotha. Car tout se joue à travers des volontés humaines : celle du Christ qui se livre lui-même au Dessein de Salut du Père ; celles des Juifs et de nous-mêmes, à qui Jésus est livré (encore une fois, le maître-mot de la Passion): « Pilate Le livra à leur volonté » (Lc), J. Delorme a raison: ce n'est plus une question de jugement, et de savoir si l'accusé est coupable; c'est une affaire de vouloir (Rech. s.R. 1981, p. 141-142). Volonté de dominer, qui est en réalité dominée par le Malin, meneur de ce < jeu du roi >, mais rentrant lui-même, malgré lui, dans la sage providence de Dieu, meneur de notre Rédemption au plus creux de cette < Passion >.

p. 726


Bible chrétienne Evang. - §342. La condamnation À mort : Mt 26,59-66; Mc 14,55-64; Lc 22,66-71