Bible chrétienne Pentat. 1422

1422

Le songe de jacob

Gn 28,10-22)


 — Le Livre de la Sagesse nous indique le sens de la double rencontre de Jacob avec son Dieu (ici et au ch. 32,23-33, la lutte avec l'Ange): « La Sagesse lui montra le Royaume de Dieu et lui donna la science des choses saintes... lui décerna le prix dans un dur combat, pour qu'il sache que la piété est plus forte que tout » (Sg 10,10 Sg 10,12 Eq).

Car la rencontre de Jacob avec Dieu est double: au départ et au retour de l'exil. À Béthel, seul, dénué de tout, il voit une échelle qui assure l'incessante communication de la terre au ciel et vice versa. Il s'entend confirmer la Promesse et la Bénédiction d'Abraham — pour laquelle justement il est persécuté par la jalousie d'Esau: « Partout, lui dit Dieu, je serai avec toi ». Au gué du Yabboq, par contre, juste au moment de rentrer en Terre Promise avec famille et troupeaux, il doit s'affronter durement avec Dieu. C'est là une alternative classique dans la vie spirituelle: la première rencontre avec Dieu et la conversion qui s'en suit est d'ordinaire facile, lumineuse et joyeuse; viennent plus tard, avant l'épanouissement final, les luttes obscures et décourageantes. Il en va de même jusque dans les sacrements de l'Église, où la réconciliation ne renouvelle la grâce si gratuitement donnée au baptême qu'au prix cette fois d'une réelle « pénitence ».

C'est qu'au départ, tout ne peut venir que de Dieu. Il nous aime le premier. De nous-mêmes nous n'avons rien: par conséquent, dans notre pauvreté initiale, tout doit nous être d'abord donné. Et comme Jacob, nous entendons cette promesse: « Dominus vobiscum, le Seigneur est avec vous ! » Avec le Ps 46, nous pouvons chanter: « Avec nous le Seigneur Sabaoth ! Le Dieu de Jacob nous prend dans son Alliance ». Tel est le « Royaume de Dieu montré à Jacob » (Sg 10), réalisé pour nous en Jésus-Christ: ce que saint Paul nomme « le Mystère » : « Le Christ en vous, espérance de Gloire ! »

D. barsotti: Il Dio di Abramo (p. 296 ss): Le point culminant de toute l'histoire de Jacob est l'apparition divine à Béthel. L'apparition confirme le caractère sacré de cette terre, et confirme aussi, avec la promesse du retour de Jacob, la bénédiction d'Abraham.

On retrouve dans cette page les symboles de la religion primitive: la pierre sacrée, la maison de Dieu, le centre de l'univers, l'échelle qui unit la terre au ciel; et un sentiment de la présence de Dieu tellement concret et vivant qu'il est comme localisé, lié à une demeure particulière.

L'apparition à Béthel confirme la bénédiction reçue naguère d'Isaac. La terre de Canaan est le nouvel Éden, le centre du monde où est possible une communion entre la terre et le ciel, la demeure même de Dieu. Jacob fugitif sait que la bénédiction reçue implique la possession de la terre qu'il est en train de quitter. Et au moment même où il l’abandonne, il connaît sa sacralité, et Dieu lie le destin de Jacob à la terre de Canaan.

« Yahvé est en ce lieu, et je ne le savais pas ! » La stupeur de Jacob montre qu'il n'est pas comme Abraham accoutumé aux manifestations divines. Abraham est comme un nouvel Adam pour qui tout redevient véhicule de la grâcemais Jacob est plutôt l'homme que tout contact avec Dieu bouleverse parce qu'il ne connaît pas Dieu, parce qu'une certaine cécité le sépare de lui. Il découvre tout à coup que la terre sur laquelle il vit est sacrée... L'apparition de Béthel est comme une nouvelle naissance de Jacob : Jacob naît, passe à une vie nouvelle, dont l'apparition de Yahvé est comme l'initiation sacrée, exactement au moment où il doit s'enfuir de la terre de Canaan. Éloigné de cette terre, il vivra dans la nostalgie du retour. Depuis Abraham jusqu'au Christ et jusqu'à nous, l'expérience mystique d'Israël sera toujours liée à cette terre, symbole de t'Éden.

L’Epiphanie de Béthel ne révèle pas entre Dieu et Jacob une intimité qui puisse se comparer à celle qui existait entre Dieu et Abraham; mais elle reste une des théophanies les plus importantes de l'Ancien Testament. On a reconnu que l'épisode de Béthel a un rapport antithétique, peut-être voulu par l'auteur, avec l'histoire de la tour de Babel; là, l'homme voulait escalader le ciel par ses propres moyens — dans notre texte au contraire, c'est Dieu lui-même qui jette une échelle entre le ciel et la terre... jusqu'à ce que la bienveillance de Dieu se repose sur le Fils de l'homme: « Vous verrez les cieux ouverts, et les anges de Dieu montant et descendant sur le Fils de l'homme » (Jn 1,51); en lui s'accomplit vraiment l'Alliance de Dieu avec l'homme, l'unité du ciel et de la terre.

Gn 28,12 // Jn 1,50-51Il vit une échelle dressée: Cette échelle dressée de la terre où dort le patriarche, jusqu'au ciel où Dieu se communique aux hommes, évoque à notre imagination tous ces arbres de Jessé où la descendance promise monte jusqu'à Marie, et au Christ: annonce de l'Incarnation, comme Jésus le confirmera lui-même, en revendiquant d'accomplir pour nous la vision de Jacob (// Jn 1,51).

C'est du même coup annoncer que l'Incarnation a définitivement fondé l'Alliance ’au-dessus' du Fils de l'Homme, ou mieux: sur Lui. On a ici la même reprise d'une image de l'Ancien Testament, avec substitution du Christ aux préfigurations premières, que dans la Cène reproduisant le repas de la Pâque d'Egypte, mais avec cette fois l'Agneau de Dieu donné en nourriture... En outre, Jésus promet (car c'est encore au futur) que « nous verrons le ciel ’ouvert' » par sa Rédemption. Etienne en témoigne (Ac 7,56), et saint Jean, plus tard, dans son ’Apocalypse' (// 4,1 ; 19,11), dont le titre à lui seul rappelle que ce Livre est tout entier ’la révélation des choses saintes' que la vision de Béthel avait commencé de faire connaître à Jacob, toujours d'après Sg 10,10.

Rupert de Deutz: De Trinitate vu, 22 (PL 167,467): Voyons ce que signifient cette échelle montant jusqu'aux cieux, et le Seigneur qui s'appuie sur elle dans la porte ouverte. Devant ce fugitif, ce banni, les entrailles de miséricorde du Seigneur s'émurent: il ne put s'empêcher de lui montrer quel refuge très sûr il préparait pour lui et pour sa descendance, dans les hauteurs du ciel. Qu'est-ce en effet que cette haute échelle, sinon la lignée que nous connaissons tous d'après le Livre de la Généalogie de Jésus-Christ, Fils de Dieu? Son degré supérieur, sur lequel le Seigneur s'appuyait, n'est autre que Joseph, le dernier de cette généalogie, « époux de Marie de qui est né Jésus, qui est appelé Christ » (Mt 1,1-16). Le Seigneur ne s'appuya-t-il pas à cette échelle, quand le Dieu fait Homme eut besoin d'une aide paternelle, et qu'il dût fuir, porté dans ces bras aimants, alors qu'Hérode le poursuivait, et qu'il était orphelin en ce monde, c'est-à-dire né sans père charnel? Jacob vit donc une échelle sur le sommet de laquelle s'appuyait le Seigneur: l'échelle touchait le ciel, et en ouvrait la porte. Sous cette figure, il vit d'avance que le Seigneur s'appuierait sur lui: il vit sa propre descendance, qui prendrait chair de lui; il vit que par elle il atteindrait les cieux et franchirait cette porte du ciel jusque là fermée aux hommes. Et ce songe était parfaitement adapté au temps et à l'objet, selon la personne et le but du voyant. Car Jacob, avec la bénédiction de Dieu et sur l'ordre de son père, s'en allait chercher une épouse avec foi et espérance en cette promesse qui avait été faite à son propre aïeul.

Après le sens messianique de la vision, voici comment elle s'applique aussi à nos vies spirituelles :

Dom Ildefons Herwegen : Sinn und Geist der Benediktinerregel, p. 121 : Benoît met sous les yeux de ses moines la vision nocturne de Jacob (Gn 28,12). une image familière à l'Église antique, mais dont le rapport avec l'humilité nous échappe à première vue. Ce n'est que par le contexte scripturaire que le sens profond de ce rapprochement s'ouvre à nous. Jacob est poursuivi par son frère Ésau, et exilé de la maison paternelle. Il a trompé son frère, irrité son père; sa mère s'est faite sa complice. Il est un pauvre fugitif sur la terre, abandonné, rejeté de tous, l'avenir est sombre. La douleur d'avoir quitté la maison paternelle torture son âme. Tout ce qui est de la terre est perdu pour lui. Un complet abattement est tombé sur lui. Il a dans cet instant atteint le comble de l'humiliation (« culmen humilitatis »). Mais dans cette catastrophe, Jacob a gardé une seule chose: la capacité de porter comme il doit être porté le malheur qui a éclaté sur lui. Il a saisi le sens de la catastrophe: abandon complet à la conduite de Dieu. À quel point Jacob était abattu, cette pierre le prouve, sur laquelle il dut reposer sa tête. Mais à quelle hauteur cette humiliation ïéleva devant Dieu, la même pierre en témoigne: au matin il la consacre par une onction d'huile pour en faire un mémorial sacré, et qui portera le nom de « domus Dei », saint habitacle de Dieu. La solitude du désert est devenue pour lui, dans son abandon total, le théâtre de la manifestatin divine. Il a vu pendant son sommeil une échelle, qui était dressée sur la terre et dont le sommet touchait le ciel; des anges de Dieu montaient et descendaient. Au milieu de son abandon, il a reçu la promesse qui embrasse le temps et le monde: En toi seront bénis tous les peuples de la terre! Dans le ravissement profond que lui apportait cette révélation merveilleuse, Jacob a dit: « Vraiment, le Seigneur est en ce lieu, et je ne le savais pas. C'est ici la Maison de Dieu et la porte du ciel! » Le point de rapprochement, le tertium comparationis entre l'échelle du ciel et l'humilité, est donc en ceci, que l'homme profondément humilié est aussi près que possible de Dieu, et sera visité par sa grâce. C'est seulement pour le coeur humilié que Dieu dresse l'échelle du ciel. Celui qui s'exalte descend en réalité parce qu'il s'éloigne de Dieu, de même que les anges qui s'approchent de la terre s'éloignent de l immédiate proximité de Dieu. L'humilité emporte vers Dieu, avec les anges qui vont vers le ciel. Il n'y a pas de point du globe si désolé qu'il ne puisse devenir une porte du ciel. Nulle âme d'homme ne peut être si abandonnée qu'une échelle céleste ne s'offre partout à elle. Plus on est humilié, plus donc on est près de Dieu. Mais l'homme tout entier, corps et âme, doit être transpercé par l'humilité ... Le corps doit transformer en acte la disposition de l'âme. Humilité de l'âme, discipline du corps, sont le programme du traité qui va suivre. L'appel de Dieu a préparé les degrés de notre ascension, de sorte que si nous accomplissons la doctrine de saint Benoît c'est une pensée divine qui se réalise en nous, c'est à une vocation divine que nous répondons. Ici se manifeste à nouveau le caractère pneumatique du monachisme: en dernier ressort, c'est l'Esprit de Dieu qui nous emporte, par les abîmes de l'humilité, ('summae humilitatis culmen,), jusqu'au ciel (ad exaltationem cselestem).

Ce prologue contient la description de ce qui est l'essence même de l'humilité; et il la présente sous une forme qui, pour la réalisation de cette attitude fondamentale dans la vie, est du plus haut intérêt. L'image lumineuse de l'échelle du ciel, brillant dans la nuit tranquille du désert, domine, pleine de mystère, le plus long chapitre de la Régula, et révèle encore aujourd'hui au disciple de saint Benoît la « vie semblable à celle des anges ». Quand le moine a quitté tout ce qui est terrestre, dans l'humilité et l'entier abandon à Dieu, sa vie se maintient, toujours et partout, à la porte du ciel.

Gn 28,13-15 — Toujours la double Promesse de la Terre et de la Descendance, faite premièrement à Abram.

Rupert de Deutz: De Trinitate vu, 22 (PL 167,468): « Cette terre sur laquelle tu dors, dit le Seigneur, je te la donnerai... Tu grandiras vers l'Orient et l'Occident, le Nord et le Midi... En toi et en ta semence seront bénies toutes les nations de la terre... » Toutes ces promesses de Dieu furent accomplies : en le Christ, le monde entier a été béni; et cette semence qui est le Christ a grandi jusqu'aux quatre coins de l'univers.

Gn 28,16-17 — Ce lieu prend valeur sacrée d'église, du fait non seulement de la manifestation de Dieu, mais de la communication avec Lui qui en a été montrée comme ouverte: ce qui est la définition même de l'Église dont les églises ne sont que le signe et le symbole:

Rupert de Deutz: De Trinitate, vu, 23 (PL 167,468): Le coeur agrandi par l'esprit de prophétie, Jacob comprit le sens du songe. Et voyant de loin l'Église, dont ce lieu était la figure, il trembla — comme trembla le prophète Habacuc lorsqu animé par le même esprit ils'écria: Seigneur, j'ai entendu ton message, et j'ai craint. Seigneur, ton oeuvre ...! Au milieu des années, donne-lui la vie! Au milieu des années, fais-la connaître. » Cette oeuvre se résume, nous l'avons dit, en ceci: que par l'humanité du Christ la porte du ciel s'est ouverte, et le ciel a rejoint la terre.

Il fut pénétré de crainte: C'est grand dommage que l'on ait pratiquement banni du vocabulaire chrétien cette crainte de Dieu qui est tenue par l'Ecriture pour un don précieux de l'Esprit Saint, mettant l'homme au diapason du Dieu, Redoutable de par sa Transcendance et sa Sainteté. Il y a peu de points sur lesquels les Livres Sapientiaux en particulier insistent davantage que sur cette crainte de Dieu. Mais elle n'est absente ni du Nouveau Testament, ni même de l'Apocalypse, où le Royaume des cieux est promis en récompense « à ceux qui craignent ton Nom » (11,18).

Le vtb. (article ‘craindre’) conclut même qu'au total « la crainte de Dieu peut être comprise en un sens assez large et assez profond pour s'identifier à la religion tout court ». C'est, dit le P. Behler, « l'exercice même de toutes les vertus théologales, foi, espérance et charité » (cité dans PC m, p. 50 — Voir au Vocabulaire de PC III, p. 462 ’crainte').

Il est vrai qu'au dire de saint Jean, « le parfait amour bannit la crainte » (1 Jn 1Jn 4,18). Mais l'Apôtre vise soit la crainte servile, soit la peur du Mal, « tandis que la crainte filiale croît à mesure que grandit la charité, comme l'effet augmente avec la cause (crescente causa): plus on aime quelqu'un, plus on craint de l'offenser... À parfait amour, parfaite admiration et révérence. Même dans la patrie céleste, elle ne disparaîtra pas entièrement... » (thomas d'aquin: Somme Théologique ii-ii, q. 19, art. 10-11). Sur cette «crainte joyeuse, qui demeure dans les siècles des siècles», cf. Gn 1,4 —

GRÉGOIRE-LE-GRAND.

// Ps 76,8-12 Ps 111,9 — Le « Redoutable » est un des noms éternels de Dieu. Et c'est pourquoi une précédente confirmation de l'Alliance s'ouvrait par le ’Ne crains pas', nécessaire et rassurant (26,24; cf. 15,1*). Sur l'ambivalence de l'expérience du sacré comme celle du tremendum et du fascinosum, sans parler d'Otto, renvoyons à s. grun, Gn 18,2-3*.

Gn 28,18En mémorial : au sens plein, défini à propos de Gn 9,15*.

Il versa de l'huile sur la pierre: Les // Ac 2,36; Ps 45,8 soulignent cette affirmation constante de la Tradition chrétienne que, comme le Christ est prêtre et victime du sacrifice de réconciliation, il est aussi le véritable autel. Non seulement au titre de pierre (en référence à la surprenante allégation de 1Co 10,4, « Petra erat Christus »: cf. Ex Ex 17, 6*), mais aussi par l'onction consacrant cette pierre (comme le prescrira Ex 30, 28-29, donné ici en // ). Car c'est dans son être même que l'humanité de Jésus reçoit l'onction de la divinité, de par son union au Fils de Dieu et son imprégnation par le Saint-Esprit, devenant ainsi par excellence le ‘lieu’ de la rencontre entre Dieu et l'homme (// Ac 2,36 cf. Rm Rm 1,4). Donnons deux exemples de cette Tradition :

Augustin: Cité de Dieu, xvi, 38 (PL 41,517): Ce n'est pas à la manière des idolâtres que Jacob oignit cette pierre. Il n'adora pas la pierre, et ne lui offrit pas de sacrifice. Mais parce que le nom de Christ signifie « Oint », cette onction préfigurait le mystère du Christ. Et le Sauveur lui-même fait allusion dans l'Evangile à l'échelle que vit Jacob en ce lieu de Béthel. Après avoir dit de Nathanaël « Voici le vrai Israélite », il annonce: «Amen, Amen je vous le dis, vous verrez le ciel ouvert et les anges de Dieu montant et descendant au-dessus du Fils de l'homme » (Jn 1,47-51).

Rupert de Deutz: De Trinitate vu, 24 (PL 167,469): Le motif ou la raison pour laquelle Jacob érigea la pierre en mémorial, est celle qui existe pour tout homme et en tout lieu d'édifier un temple au nom du Seigneur. Et ces paroles: « Vraiment le Seigneur est en ce lieu ...» l'Église de Dieu les a prises de la bouche de Jacob; et en tout lieu où est invoqué le nom du Seigneur elle les proclame: « Que ce lieu est redoutable ! C'est la Maison de Dieu et la porte du ciel. » La pierre de l'autel, ointe solennellement d'huile de bénédiction, représente le Christ lui-même que Dieu a oint de l'huile de joie (Ps 45). Quant aux pierres, une par une, qui forment les murs, ce sont, dans l'édifice spirituel, les hommes un par un. Donc toutes les hymnes que nous chantons chaque année sur le fondement qui est le Christ, et sur les pierres vivantes qui sont les élus, ne sont que la juste action de grâces pour l'onction royale qui est celle du Christ et pour la régénération de tous les fidèles.

// 2Co 1,21 1Jn 2,27 — Participation des fidèles à l'onction du Christ que rappelait Rupert, à la fin de la citation précédente.

Gn 28,19Bêt El, ’maison de Dieu' correspond à la révélation des v. 16-17. Maison de Dieu et porte du ciel: le Dieu créateur du ciel et de la terre ne saurait être circonscrit à certains lieux, fussent-ils sacrés (Ac 17,24): Il est à la fois l'Immanent et le Transcendant. Être en Alliance avec Dieu, et donc avoir Dieu ’avec soi' (v. 15), c'est être assuré que nous est ouverte la porte du ciel (// Ap 4,1), et dressée l'échelle « dont le sommet va jusqu'au ciel » (v. 12).

Gn 28,20-22 — Comme toujours, à l'Alliance proposée par Dieu, doit répondre l'adhésion de l'homme:

Rupert de Deutz: De Trinitate vu, 25 (PL 167,470): « Si le Seigneur est avec moi... S'il me donne du pain pour manger et un vêtement pour me couvrir ...» Jacob dit cela comme un pauvre, et vraiment comme le mendiant de Dieu. Nos pères nous donnent donc l'exemple, pour que nous nous présentions en mendiants à la porte de la grâce, même si nous sommes très riches: « Donne-nous aujourd'hui notre pain quotidien ».

Chrysostome: Hom. 54 sur Gn (pg 54,577): C'est déjà le style des Apôtres: « N'emportez pas deux tuniques » (Mt 10,9). Jacob ne demande rien de précieux, mais du pain et un vêtement; et de son côté il promet ce qui est de lui, sachant que Dieu ne se laisse pas vaincre en générosité, mais que ses récompenses dépassent nos désirs.

Rachel et Lea (Gn 29,1-30) — La rencontre avec Rachel rappelle celle d'Éliézer et de Rébecca (et plus tard celle de Moïse et Cippora : // Ex 2,15-22), à ceci près que cette fois, c'est l'Époux qui vient lui-même trouver l'Epouse. Les // déjà donnés pour Gn 24 (Mt 22,1-3 / Cr ; Jn 4,5-10 Ap 22,17 etc. ) conviendraient donc ici encore. Rupert rappelle admirablement le sens messianique de ce chapitre 29 :

Rupert de Deutz: De Trinitate vu, 26 (PL 167',47'1): La lettre du récit est simple, mais dans sa simplicité elle offre certainement de quoi méditer; car ce ne peut être que par dessein divin que le fils magnanime des grands patriarches servit comme pasteur de troupeaux pour prix de ses épouses, et que son salaire fut changé tant défais — alors que lui-même était sous la garde de Dieu qui lui avait dit: « Je serai ton gardien partout où tu iras » (Gn 28). Non, ce n'est pas si simple! Des yeux de la foi, il nous faut contempler en ce miroir l'image radieuse du Soleil d'en haut, c'est-à-dire la belle et vraie ressemblance du Fils de Dieu, et aussi la règle imitable, analogiquement, pour chacun de ses ministres.
Ésaù étant donc réprouvé, voici que Jacob, élu, et sacré par la bénédiction paternelle, part comme en pèlerinage pour prendre femme, sur l'ordre de son père: c'est la figure de l'« Élu » entre tous, le Dieu et homme Jésus-Christ, béni pour l'éternité, et qui part en envoyé de Dieu dans l'exil de ce monde, afin de s'unir l'Église.
Quelle fut la servitude que le Christ, Fils de Dieu, accepta ? Voici ce qu'en dit l'Apôtre:

Le Christ Jésus, puisqu'il était Dieu par nature,
ne considérait pas l'égalité avec Dieu
comme un butin à conquérir.
Au contraire, il s'en vida
prenant la forme d'esclave,
devenu semblable aux hommes,
et trouvé en tout comme un homme.
Il s'humilia lui-même, se fit obéissant
jusqu'à la mort, et la mort de la croix (Ph 2,6-8).

N'était-ce pas «servir», que de faire pénitence, d'être baptisé du baptême de pénitence pour les péchés du monde, afin de les jeter, comme dit le prophète, dans les profondeurs de la mer (Mi 7) et enfin de monter sur la croix en portant la charge des esclaves, c'est-à-dire les péchés du monde?

Gn 29,1-10 — Toujours le puits (cf. 24,11 et 62-63 * ; 26,20-22). Au v. 9, la pierre que Jacob fait rouler à l'arrivée de Rachel rappelle la pierre du tombeau que les saintes femmes trouveront aussi roulée au matin de Pâques (Mc 16,4 Lc 24,2 etc. ), afin que désormais les eaux vives, annoncées par Jésus pour après sa Résurrection, puissent nous abreuver (Jn 7,37-39).

Harân... Labanfils de Nahor: La patrie et la famille d'Abraham (Gn 11,31). Le même Laban, frère de Rébecca, qu'en 24,29 ss.

// Ex 2,15-22 — Ce parallélisme souligne à quel point Moïse sera le continuateur spirituel des Patriarches.

Gn 29,9-20 — La Bible, qui parle si crûment des débordements de l'impureté, est merveilleusement pudique lorsqu'il s'agit de l'amour naissant, que ce soit d'Isaac et Rébecca (24,62-67), plus tard de Ruth, et présentement de Jacob pour Rachel.

Dès la première rencontre, la seule petite incise « car elle était bergère » (v. 9), nous met d'emblée dans le ton du Cantique des Cantiques (cï. // ). Et 7 années de service « lui seront quelques jours, tant il l'aimait », parce qu'il l'aimait : une de ces phrases immortelles où la plus grande simplicité épouse la plus grande humanité. Que de difficultés familiales ou sociales seraient surmontées, si l'on aimait ! ...

Gn 29,14Mes os et ma chair: Souvenir de Gn 2,23, en reconnaissance d'une parenté, que la vocation surnaturelle d'Abraham n'a pas abolie.

Gn 29,16-17Or Laban avait deux filles: Rupert de Deutz: De Trinitate vu, 31 (PL 167,476): Il y a deux vies, l'active et la contemplative. Et que l'on puisse par la vie active parvenir à la contemplation, l'exemple de Jacob le montre. Jacob vint au puits, il vit la belle Rachel et l'aima aussitôt — c'est ce qui arrive quand un homme triomphe de ses vices, se consacre à l'étude de l'Écriture, y découvre la beauté et la délectation de la vie contemplative, et veut aussitôt l'embrasser. Il désire cette « meilleure part » qui ne sera pas ôtée (Lc 10,38-42), qui consiste à s'asseoir aux pieds du Seigneur et à écouter ses paroles sans en être jamais lassé, suivant le conseil de celui qui a dit : « Prenez le temps de voir que je suis Dieu » (Ps 46,11).

L'autre vie est la première dans le temps: elle s'occupe de beaucoup de choses, car elle s'exerce en six oeuvres de miséricorde que Matthieu énumère ainsi: «J'avais faim, et vous m'avez donné à manger; j'avais soif, et vous m'avez donné à boire; j'étais étranger et vous m'avez accueilli, nu et vous

m'avez couvert, malade et vous m'avez visité, en prison et vous êtes venus me voir. » (Mt 25). Le prophète atteste qu'en s exerçant à ces oeuvres de la vie active on peut arriver à la vie contemplative, et que tel est l'ordre habituel, car il dit: « Il est bon pour l'homme de porter le joug depuis sa jeunesse » (Lm 3). Ce qui signifie : Quand tu te seras enrichi par les gains de la vie active, tu pourras te reposer dans la retraite de la vie contemplative sans avoir peur d'être à court. Cette vie active est bien figurée par Lia : elle est féconde, mais elle ne voit pas loin: d'une part elle a souci de beaucoup de choses, d'autre part ses yeux infirmes ne peuvent contempler les choses spirituelles. Rachel au contraire, belle mais stérile, représente la vie contemplative qui, s'appliquant à l'unique nécessaire, voit plus loin mais n'enfante pas. Quand donc quelqu'un se hâte vers les sommets de la contemplation et prétend obtenir Rachel en brûlant les étapes, on fera bien, parfois, de l'engager dans les noces de Lia et qu'il soit tiraillé par les actions laborieuses d'un service absorbant. Et s'il n'en est pas content, l'Écriture lui dit: « Chez nous, ce n'est pas la coutume que la cadette soit donnée en mariage avant l'aînée. Accomplis sept jours de ces premières noces, et tu obtiendras aussi Rachel ».

Dieu lui-même a travaillé six jours, avant de se reposer le septième! Il faut donc t'exercer aux six oeuvres de miséricorde que nous avons dites, et après cela seulement tu auras le droit de te reposer dans la vie contemplative.

« Mais le Seigneur, voyant que Lia était méprisée, la rendit féconde tandis que sa soeur demeurait stérile » (Gn 29,31). Il est écrit, en effet, qu'ayant enfin obtenu l'union qu'il désirait, Jacob préféra la seconde épouse à la première. On ne peut l'en blâmer: car Rachel lui était due en droit, alors que Lia avait été introduite auprès de lui par fraude. Et remarquons bien que le Seigneur, voyant Lia méprisée, lui manifesta sa miséricorde non pas en la rendant jolie, mais en la rendant féconde tandis que sa soeur demeurait stérile. La vie active, en effet, ne verra jamais grand chose ; mais elle se sauvera par ses fils, dit l'Apôtre — c'est-à-dire par les oeuvres de miséricorde. C'est ce que proclamera le Roi quand il siégera sur son trône de majesté, au dernier jour: « Venez, les bénis de mon Père, recevez le Royaume qui vous est préparé depuis l'origine du monde: car j'ai eu faim et vous m'avez donné à manger; et tout ce que vous avez fait à l'un de mes petits, c'est à moi que vous l'avez fait » (Mt 25).

Gn 29,18 — chrysostome: Hom 55 sur , «Je te servirai sept ans, pour Rachel ta plus jeune fille » — car dès qu'il la vit à la fontaine, il l'aima. Et vois quelle magnanimité : il fixe lui-même son temps. « Jacob servit pour Rachel sept ans, qui lui parurent quelques jours, tant il l'aimait ». Car un homme blessé par l'amour ne voit pas les difficultés, mais porte légèrement la peine et les périls: saint Paul embrasé de l'amour de Dieu s'écriait: « Qui nous séparera de l'amour du Christ? la tribulation, l'angoisse, la persécution, la faim, la nudité, les périls, le glaive? » (Rm 8,35). Quel défi, quelle force dans cet amour violent !

Gn 29,27Achève la semaine avec Lia : Il est vrai que les noces duraient une semaine (cf. Jg Jg 14,12). Mais comme le parallèle de Rupert avec les six jours de la création et le Repos du 7° Jour (fin du texte précédent) est plus suggestif! ...

(Gn 29,15,20,25,27,30 et // Os 12,13Jacob servit : Ici, c'est Laban qu'il sert. Mais surtout, Jacob est la première figure de Celui qu'Isaïe appellera « le Serviteur de Yahvé »: « Écoute, Jacob, mon serviteur Israël que j'ai choisi. Souviens-toi de cela, Jacob, et toi, Israël, car tu es mon serviteur. Je t'ai modelé, tu es pour moi un serviteur » (Is 44,1-5 et 21-23; cf. 41,8-20 // Et 42,1-9; 43,1-7; Jr 30,10-11 et 46,27-28).

À chaque appel de ce serviteur, Dieu joint la promesse du retour de l'exil, du pardon des péchés (Is 44,22), le rassemblement, la restauration du Royaume, l'accès jusqu'à Lui: bref, le Salut. Et nous reconnaissons encore

plus clairement Jésus en cette prophétie, lorsqu'Isaïe annonce que c'est par les souffrances dont il sera transpercé que ce Serviteur de Dieu nous sauvera (Is 50,4-10 Is 53). Mais à chaque fois, ce Serviteur est aussi nommé: Jacob (ou Israël). Non pas tant le patriarche seul que le peuple issu de sa famille, et qui garde le nom (Cf. un peu plus bas : « Une étape nouvelle... »).

1423

les enfants de jacob

Gn 29,31-30,24)


 — Rupert de Deutz : De Trinitate vu, 34 (PL 167,479): Ces chapitres ont quelque chose de rebutant: toujours entendre parler de ces quatre femmes qui se disputent autour d'un homme! Mais elles le font pour avoir des enfants; nous devons transposer ce désir, et penser à la semence du Christ, à cet enfantement spirituel dont parle saint Paul: « Mes petits enfants, vous que j'enfante à nouveau dans la douleur pour que le Christ soit formé en vous! » (Ga 4,19).
C'est ainsi que la Sainte Église reçoit dans son sein des enfants venus de n'importe où, et leur confère la perfection de l'unique vraie foi, et l'héritage de l'unique Époux qui est le Christ.

Une étape nouvelle de l'Histoire du Salut commence en effet avec Jacob, par un premier élargissement, annonciateur de l'universalité « catholique » de la Nouvelle Alliance.

Il y avait eu Adam, Noé, Abraham, Isaac. À chaque fois, un seul descendant se trouvait élu: Seth, puis Sem; Isaac, mais pas Ismaël, fils de la servante; pas même Esau, enfant comme Jacob de Rébecca. Maintenant, ce sont les douze fils de Jacob — sans excepter Dan et Nephtali, Gad et Asher, nés de deux servantes — qui vont constituer le premier Israël, peuple de Dieu, auquel l'Ancien Testament gardera les titres de ’tribus de Jacob, Maison de Jacob, Vigne de Jacob, Assemblées de Jacob’.

Jusqu'au ciel, tout ira par 12 (Ap 21), comme il y a 12 mois de l'année, 12 fils de Jacob, et 12 Apôtres (cf. Gn 48, Introd. *).

Gn 29,31 // Is 62,4-5 et Ps 113,5-9 — Thème de la femme stérile qui enfante (cf. Sara, ou Rébecca), auquel se joint ici le thème de la dédaignée qui l'emporte, c'est-à-dire le retournement de situation chanté par Anne, mère de Samuel si longtemps stérile (1S 2,3-9 / Eb), puis par Marie (Lc 1,51-53), et par le Christ, dans ses Béatitudes. Ce n'est pas sans intérêt que celle dont le Magnificat reprendra les termes mêmes, soit la moindre — cette Zilpa, simple servante de Léa (Gn 30,12-13 // Lc 1,48-49 / Dz): « Cum essem parvula, placui Altissimo »...

Gn 29,32, « Étymologies populaires, parfois obscures : ra'a be'onyî ’li a vu ma détresse', Ruben; shama ’Il a entendu', Siméon; yillavé ’il s'attachera', Lévi; ôdé ’je rendrai gloire', Juda; danannî 'm'a rendu justice', Dan; niphtalî 'j'ai lutté', Nephtali\gad 'bonne fortune', Gad; osherî 'ma félicité', et ishsherunî ’me féliciteront', Asher; sakar ’pris à gages', et sakâr ’salaire', Issachar; yizbelénî ’il m'honorera', Zabulon; asaph ’enlevé' et yoseph ’ajoute', Joseph »(bj.).

Gn 30 — Douceur et patience de Jacob ! Ses femmes disposent de lui, bien plus que lui d'elles (Gn 30,14-16 et Gn 31,4-16). Qu'à travers tout cela, Jacob soit bon père de famille, on le voit bien dans sa prière avant la rencontre d'Ésau: « J'ai peur qu'il ne nous frappe, la mère avec les enfants ». Voilà ce qui lui tient à coeur.

Doux et patient, il ne le sera pas moins avec ses enfants. Lorsque Ruben le déshonore, la Genèse ajoute: « et Israël l'apprit », sans plus (35,22). Lorsque Siméon et Lévi vengent traîtreusement la petite soeur Dina, au risque de rendre toute la tribu odieuse dans le pays (ch. 34), lorsque la jalousie des autres frères fait disparaître Joseph (ch. 37), Jacob souffre, mais récrimine à peine. Tout au plus en tiendra-t-il compte sur son lit de mort (ch. 49). Dans sa prière même, il jouera de l'humilité et de la confiance: « Je suis trop petit pour toutes ses bontés... » (Gn 32,11 // Am 7 / Ek). Qui ne reconnaîtrait en tout cela une préfiguration de Jésus, doux et humble de coeur?

// Ga 4,19 1Co 4,15 Ph 1,15-18 — Il n'y a évidemment pas de lien direct entre la multiplication des épouses de Jacob et celle des ministres apostoliques, ni entre ces maternités et la paternité spirituelle réclamée par saint Paul. Seulement une certaine similitude, permettant de voir dans cette histoire de Jacob une image de la provenance diverse des enfants de l'Église, tous légitimés comme « engendrés non de la volonté de la chair mais de Dieu », par l'unique Époux (cf. Jn 1,12-13). Jusque par ces rivalités, le plan divin s'accomplit: les douze fils de Jacob, d'où sortiront les douze tribus d'Israël et, dans la Nouvelle Alliance, l'annonce universelle de l'Évangile, même si les chrétiens se sont divisés. Rupert suggérait déjà ce rapprochement (en citant aussi Ga 4,19 — voir page précédente).

Gn 30,14-18 // Ct 7,11 — Qu'il soit voulu ou non, le rapprochement entre le marchandage de Rachel et de Léa et la sublime invitation du Cantique, est bien fait pour nous inciter à ne pas en rester au seul sens historique, mais à entendre l'appel mystique dont celui-ci est porteur, si l'on n'oublie pas que, sous la figure des épouses de Jacob, se prépare la rencontre féconde de l'Époux et de l'Église, sa catholique Épouse (cf. encore Rupert, au même texte).

Gn 30,25-43 — Nous abrégeons l'histoire des enrichissements de Jacob, qui sont, si l'on veut, soit un souvenir des recherches rudimentaires sur les sélections dans l'élevage, soit plutôt de ces facéties comme dans nos fabliaux, où celui qui croyait prendre est victime de son propre piège: à malin, malin et demi...

/ 1Co 9,7-19 — Dans la ligne du parallélisme antécédent avec le ministère apostolique (Dy), c'est la question, parfois controversée, de la légitimité du salaire, reconnue par l'Évangile — même si saint Paul montre par son exemple qu'une gratuité plus grande est, dans la mesure du possible, encore plus apostolique.


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Bible chrétienne Pentat. 1422