Bible chrétienne Pentat. 1430

1430

3. LE RETOUR DE JACOB

Gn 31-35)

À quel point les patriarches se sont engagés définitivement dans l'Alliance, on le voit en ce paradoxe que Jacob demeure étranger dans le pays et la famille de ses origines, et que sa vraie patrie est désormais cette Terre encore seulement ’promise' en signe «d'une patrie meilleure, c'est-à-dire céleste» (He 11,16).

Mais en cela, il inaugure cette démarche fondamentale — traduite en grec par métanoia, en latin par conversio ou, pire, poenitentia — qui est en réalité retour: retour au pays, retour au Père: « Retourne au pays de tes pères, là où tu es né, et Je serai avec toi » (v. 3 ; cf. 26,3-5 *, et l'annonce prophétique de 28,15).

Gn 31,1-7 Gn 31,14-16 — Rupert de deutz: De Trinitate vu, 41 (PL 167,484-85): Les réflexions hostiles des fils de Laban coïncident avec l'appel de Dieu: « Retourne au pays de tes pères, et je serai avec toi ». La vraie et bienheureuse destinée de Jacob était d'obéir à la voix du Seigneur, d'imiter cette obéissance inlassable qui avait été celle d'Abraham et d'Isaac — et l'on sait quel prix ceux-ci attachaient à l'implantation dans la terre sacrée: « Surtout, ne ramène pas mon fils là-bas », avait dit Abraham. Et voilà que les circonstances adverses aident l'obéissance, car les épouses elles-mêmes quittent volontiers un père si peu aimable: « Quel intérêt avons-nous dans la maison de notre père? Il nous a vendues, et il a mangé le prix de notre vente. C'est Dieu même qui a pris les brebis de notre père pour les donner à nous et à nos fils. Fais comme le Seigneur t'a ordonné! »

La nécessité coopéra donc au bien de Lia et de Rachel, leur donna part aux promesses des patriarches ; elles devinrent même l'un de ces exemples que l'Écriture propose aux âmes spirituelles: «Écoute, ma fille ... Oublie ton peuple et la maison de ton père... » Il arrive souvent que les adversités de ce monde viennent au secours d'une âme aimée de Dieu, et l'invitent à tendre vers lui plus ardemment. Et Dieu lui dit par le prophète: «J'entourerai ta voie d'épines... ». Avant la menace des fils de Laban, Jacob était prêt à s'attarder en Mésopotamie; mais puisqu'on l'attaquait, il se leva, dit l'Ecriture, chargea ses enfants et ses femmes sur ses chameaux, et partit pour la terre de Canaan. Dans ce cas comme dans tous les autres, la sentence de l'Apôtre est bien vraie: « Tout coopère au bien de ceux qui aiment Dieu ».

// Jn 16,27 Jn 14,3 Jn 17,6 Jn 17,11 Jn 17,14-17 Si la vie de Jacob préfigure quelque chose de celle du Christ, alors son Retour nous rappelle celui que Jésus annonce, et auquel il nous invite, dans le Discours après la Cène. Le // Jr 30,10 répond à Gn 31,3, comme l'Exil et le Retour du peuple d'Israël correspondent à l'exil et au retour du patriarche. Sur le sens du ’Repos', cf. Ex 33,12-17* (aelred de riévaux).

Jn 17,11 — ...ce pour quoi tu me les adonnés: l'expression est assez obscure en grec, et les traductions s'en ressentent. En recherchant l'araméen sous-jacent, on est amené à interpréter comme nous le traduisons. Le Père donne sa nature divine, donc sa vie trinitaire, au Verbe. Et ce à quoi le Verbe veut nous appeler, c'est précisément de partager la vie du Père et du Fils. Ce qui suit immédiatement confirme cette interprétation : « garde-les pour (cette vie trinitaire), pour qu'ils soient un comme nous ».

Au verset 15: ... que tu les gardes (même verbe qu'au verset M) du mauvais: car en Saint-Jean, le mal est personne : Satan, le Diable.

Gn 31,17-21 — Rupert de Deutz: De Trinitate vu, 42 (PL 167,486): Même si Jacob ne l'avait appris d'ailleurs, il pouvait parfaitement se rendre compte que les dispositions de Laban à son égard avaient changé, puisque Laban était allé sans lui tondre ses moutons. Tondre les moutons ! c'était chez les anciens une festivité exubérante, où l'on invitait tous les amis — et voilà que Laban s'y rendait sans même convier le pasteur de ses troupeaux, ni ses propres filles, ni leurs enfants. Jacob en profita donc pour fuir; et Rachel déroba les idoles (les ‘térapim’) de son père. Pour la première fois, l'Écriture mentionne ici les idoles et leur culte; et l'on peut constater que Rachel n'était pas encore d'une foi parfaite. Mais avant qu'elle ne trépassât, Jacob fit le nécessaire en disant à tous les siens: «Jetez les dieux étrangers que vous avez avec vous! » Ils les lui donnèrent, et il les enterra sous un térébinthe (Gn 35,2-4). C'est peu après que le texte sacré mentionne: « Rachel mourut et fut enterrée sur le chemin d'Éphrata, à Bethléem ». Quel grand bienfait ce fut pour elle, d'avoir épousé, puis suivi, l'homme fidèle dont la foi la sauva! Comme le dit l'Apôtre: Une femme païenne est sanctifiée par son mari qui a la foi (1Co 7,14).

Gn 31,22-23Ses frères avec lui (cf. aussi v. 46) : Ce ne sont pas tant ses frères, au sens strict, que les membres mâles de la famille patriarcale, donc aussi les cousins et neveux (pour lesquels ni l'hébreu ni l'araméen n'ont de mot propre). Cf. 14,14, où Abraham vole au secours de son « frère » Lot — dont on sait qu'il est son neveu. D'où la méprise de tous ceux qui prennent prétexte de la mention des « frères de Jésus » pour nier que Marie demeure La Vierge. D'ailleurs, sur les 4 ‘frères’ ainsi nommés : Jacques, José, Jude et Simon (Mc 6,3), le même Évangéliste nous apprend que Jacques et José sont fils de « l'autre Marie », mariée à Clopas et la soeur de « la mère de Jésus » (Jn 19,25). Jacques et José sont donc bien les cousins du Christ, tout comme Jude qui se dit lui-même frère de Jacques (Jud 1,1), et comme Simon en qui Hégésippe désignera aussi « le fils de Marie, femme de Clopas ».

Il le poursuivit: Le thème du juste persécuté (persequi: littéralement, poursuivi) est fréquent, notamment dans les Psaumes (// Ps 7).

Gn 31,24-40 // Mt 27,19 Ps 105,12-15 — Le Juste persécuté par excellence, c'est le Christ qui, dans sa Passion s'est rendu solidaire de tous les persécutés. Or il est notable que l'Évangile de saint Matthieu mentionne l'avertissement donné à Pilate par le songe de sa femme comme ici à Laban.

Rupert de Deutz: De Trinitate vil, 43-44 (PL 167,487-88): Laban vit en songe le Seigneur qui lui dit: «garde-toi de rien faire à Jacob ». Dieu ne l'appelle pas par son nom, comme il fait avec Jacob — car Laban ne le méritait pas: il vit seulement que Dieu était irrité et le menaçait. Et ce n'est pas dans son propre intérêt que ce songe le visita, mais en faveur d'un autre: il saurait ainsi quel soin Dieu prenait de Jacob, puisqu'il daignait en sa faveur apparaître à un indigne et être vu par un indigne... Laban affirma donc à Jacob: « Volontiers je t'aurais accompagné avec un cortège de fête, des chants, des tambourins et des cithares ». Ce disant, il prenait ses sûretés contre les menaces divines ; mais il ajoutait à sa précaution l'enflure d'un mensonge.

On ne sait jamais tout. Isaac et Jacob avaient beau être prophètes, l'un ne savait pas à qui il donnait sa bénédiction, l'autre ignorait que Rachel eût dérobé les idoles. En tout cas, la sentence de Jacob n'est pas injuste: « Celui sur qui on trouvera tes dieux, qu’il soit mis à mort devant nos frères! » (v. 32).

Si certains Juifs tombèrent dans la bataille parce qu'ils avaient des idoles sous leur tunique (2M 12,40), à plus forte raison quelqu'un qui avait volé des idoles méritait la mort. Mais Dieu eut pitié de Jacob, et de l'auteur du larcin (puisque Laban ne trouve pas les idoles cachées sous le bât du chameau sur lequel Rachel demeure assise, v. 33-35).

Gn 31,42 et 53 — Le Dieu qu'adore Isaac: peut aussi s'interpréter: « le parent d'Isaac ».

Gn 31,43-54 — Traité à la fois familial, pour garantir le sort des filles de Laban — surtout, évidemment Léa, la moins aimée — et territorial (v. 51 -52) :

Rupert de Deutz: De Trinitate vu, 46-47 (PL 167,490): «Si tu affliges mes filles ... » C'est surtout pour Léa que Laban était inquiet. Frauduleusement, il avait encombré Jacob d'une femme qui n'était ni désirée, ni belle, ni richement dotée. Jacob n'aurait pas fait une injustice s'il l'avait répudiée comme une simple concubine, car il ne lui avait pas donné sa foi. Or, non seulement Jacob ne la répudiait pas, mais il la dotait.

Quand Laban se fut calmé, Jacob sut que son voeu avait été agréé de Dieu — ce voeu qu'il avait fait à Béthel: « Si le Seigneur est avec moi, s'il me donne du pain, un vêtement... s'il me ramène heureusement dans la maison de mon père... » (Gn 28,20). C est pourquoi il prit une pierre et l’érigea en mémorial, là aussi. Dans les deux occasions, c'est le même mystère: ici encore la pierre érigée en mémorial et appelée Maison de Dieu signifie le Christ, lequel est la tête du Corps de l'Église qui est la maison de Dieu. Et cette pierre qui est la première du « Monceau du Témoignage » représente aussi le même Christ comme « Prince des martyrs », c'est-à-dire des témoins de Dieu.

Gn 31,49 — chrysostome: Hom. 57 sur , Peu à peu, Laban est amené à la connaissance de Dieu. Lui qui tout à l'heure se plaignait qu'on lui eût dérobé ses idoles, et inspectait si soigneusement les bagages, il dit maintenant : «Nous n'avons pas d'autre témoin de notre pacte : que Dieu soit témoin entre toi et moi ». Car il est là, Celui qui voit tout, à qui rien ne reste caché, qui connaît l'esprit de chaque homme. Et il appela ce lieu: colline du témoignage ... Laban reprit: « Que le Dieu d'Abraham et le Dieu de Nahor juge entre nous ». Remarque qu'au nom d'Abraham Laban ajoute celui de son aïeul, qui fut le frère du patriarche. Et Jacob jura par le Dieu de son père Isaac.

Gn 31,48-49 — Yegar-Sahaduta (en araméen) ou Galéed = ‘monceau du témoignage'; Miçpa = ‘Lieu du guet'.

/ Ml 2,10.13-16 — Où l'on voit que sont étroitement mêlées ’l'alliance conjugale' à « l'épouse de ta jeunesse » (v. 14-16 a-b) et l'Alliance à Dieu (v. 10 d. 16 c). Ep 5,23-32 donnera la clef de l'énigme: c'est un seul mystère que celui du mariage chrétien et de l'union du Christ à l'Église, pour l'homme et la femme tous deux créés par Dieu (v. 10), en un couple à son image (Gn 5,1).

Ml 2,15 est spécialement difficile. Le verset 14 visait les désordres conjugaux, encouragés par l'exemple des païens. Mais pour Israël et a fortiori pour les chrétiens, le mariage doit tenir compte des leçons primordiales de la Genèse, en Adam et Ève (ch. 2-3) comme en Abraham (ch. 16).

Adam avait été formé non seulement « de la poussière du sol », mais « du souffle de vie » de Dieu même (Gn 2,7). C'est dire qu'il avait reçu de son Esprit divin, et avait à vivre selon lui. Tout particulièrement dans cet acte « à la ressemblance de Dieu » de la génération, par où Adam engendrerait « un fils à sa ressemblance, comme son image » (Gn 5,1-3), l'Homme devait se conduire selon l'Esprit de Dieu, de même que plus tard Abraham devrait attendre « le fils de la Promesse » de Dieu et pas seulement de ses propres oeuvres. Et comme Sara, désespérant d'avoir un enfant, en voulut un au moins de la servante Agar (Gn 16), ainsi Adam eut le tort de vouloir « saisir le fruit » que lui tendait Eve (Gn 3,6*). D'où naquit une postérité sans lendemain, puisque Caïn tourna mal et tua Abel (Gn 4). C'est avec Seth seulement, comme plus tard avec Isaac et non Ismaël, que nait « la Descendance selon Dieu » (Gn 5).

En relation avec ces exemples primordiaux, Ml 2,14-15 s'éclaire. Le croyant apparaît lié à sa compagne comme Adam et Eve, par une alliance comme Abraham à son Dieu. Celle-ci fonde entre l'homme et la femme une relation d'unité (Gn 2,24) « à l'image et comme à la ressemblance » de la Tri-Unité divine. Par conséquent, nul « qui eût encore seulement un reste de l'esprit divin insufflé en Adam (Gn 2,7) ne saurait faire cela » (), c'est-à-dire « trahir l'épouse de ton alliance ». De cette Fidélité (à la femme, donc à l'alliance, donc à Dieu et à son Esprit d'amour fidèle) qu'est-ce qui naîtrai — Une postérité d'Élohim, une Descendance qui soit selon Dieu, comme Seth ou Isaac. Voilà ce qu'attend de l'Homme son Créateur (l'Unique, comme doit être unique la femme compagne de l'homme ou l'homme compagnon de la femme). Le verset 16 peut alors conclure: « Prenez garde à ce que vous faites de votre esprit et ne trahissez pas ».

Gn 31,54 // Mt 15,29-36 // Ex 24,9 — Constance du Repas concluant une alliance — mais aussi de la montagne et de la nuit. Il est vrai que cette dernière ne se trouve pas en Ex 24,9; mais les ch. 19 et 20 avaient au contraire suffisamment insisté sur « la nuée obscure » (19,16), et « la ténèbre où était Dieu » (20,21).

la lutte de jacob avec l'ange (ch. 32) — Gn 32,1-3 et // — Prélude, qui nous introduit déjà dans le mystère, et nous rappelle le songe de Béthel, puisque nous y retrouvons les anges. Promesse également de la protection divine concrétisée en ces ’anges gardiens' que non seulement le Ps 34, mais l'Évangile même assure à chacun des petits enfants eux-mêmes (Mt 18,10). Aux moments cruciaux, plusieurs visions confirmeront la réalité de l'aide angélique (même si, bien entendu, de ces purs esprits toute vision proprement dite ne peut donner qu'une image). Aux/ 2M 5,2-4 et 10,29-30, on pourrait ajouter la vision de Josué avant la prise de Jéricho (Jos 5,13-15), ou celle d'Elisée dans la guerre contre les Araméens (2R 6,15-17). Le Christ, lui, dont la naissance est saluée par l'armée céleste (Lc 2,13), renoncera volontairement au secours des « légions d'anges » (// Mt 26-53), comme Jacob sera seul dans sa lutte, cette fois avec l'ange (cf. 25-26 * ). Mahanayim : ‘double camp’.

Rupert de Deutz: De Trinitate vm, 2 (PL 167,491): « Des anges vinrent au devant de Jacob. À cette vue, il dit: C'est ici le camp de l'armée de Dieu ».

Une telle rencontre est glorieuse pour Jacob, et il faut nous garder d'en minimiser la portée; car l'Ecriture ne dit pas qu'un ange lui apparut, ou que des anges lui apparurent — c'était arrivé à bien d'autres — mais que « des anges vinrent au-devant de lui », ce qui rend le son de la victoire et du triomphe: un cortège céleste vient au-devant de Jacob pour lui faire une joyeuse entrée. Et ce n'est pas seulement quelques anges, qu'il vit, mais « un camp », donc une multitude; d'ailleurs, les prophètes usent du terme « Dieu des armées ». Un tel accueil convenait bien à celui qui avait milité sous l'obéissance, combattu dans la foi, vaincu par l'espérance, à celui qui d'un coeur dilaté rendait grâces pour les bienfaits divins: « Dieu de mon père Abraham, je ne suis pas digne de tous tes bienfaits ... ! »

Gn 32,4-9 // Lc 15,27-32 — Il ne faudrait pas exagérer ce parallèle. Toutefois, on y retrouve cette expérience générale qu'il est plus difficile de se réconcilier avec son prochain qu'avec Dieu. Car celui-ci est acquis à Jacob, comme le Père à son enfant prodigue dès qu'il revient (cf. ch. 31, Introd.*). Mais il n'en va pas de même avec le frère aîné, ici et là pour raison d''héritage, et de l'incompréhensible faveur faite par Dieu au cadet, même prodigue, comme aux ouvriers de la onzième heure. Voir autre aspect du // en Gn 33,1-4*.

Gn 32,8En deux camps : sur le modèle de Mahanayim (v. 3)?

Gn 32,10-13 — À l'exemple d'Abraham: plus la situation est angoissante, plus il faut espérer contre toute raison de désespérer, en s'appuyant sur la fidélité de Dieu à ses Promesses. Mais en outre, comme il a déjà été dit, l'âme de Jacob s'exprime en cette prière: l'humilité et la gratitude (v. 11 // Am 7), amour de la mère (Rachel) et de tous /« fils (Introd. au ch. 30*).

Gn 32,14-22 // Lc 6,27-35 Pr 18,16 et Pr 21,14 — Politique des cadeaux. Mais quelle différence entre la simple sagesse humaine et le précepte évangélique de charité et générosité envers les ennemis! ...

Gn 32,21Peut-être relèvera-t-il mon visage: « Relever la tête de quelqu'un », est un geste de bienveillance, mentionné de la part du Pharaon pour son échanson, ou de la part du roi de Babylone pour le dernier roi de Juda. Ainsi Esaü, après le septuple prosternement de Jacob (33,3); ses gestes sont au surplus tout naturellement ceux du Père, au retour du Prodigue (/ Lc 15,20 / Er). Mais il y a là bien davantage qu'un simple geste physique: c'est surtout un relèvement moral, qui libère Jacob de ses torts passés envers Esau, en lui permettant de « redresser la tête » (comparer avec Caïn, 4,7*), pour le regarder face à face et bien en face, sans être désormais gêné par les vieilles querelles. D'où aussi, une fois la réconciliation acquise, un si vif soulagement qu'il s'exprime de façon hyperbolique (33, 10*).

Gn 32,23-32La lutte de Jacob avec l’Ange est une des figures majeures dans l'histoire du Peuple Élu tout entière, donc de la vie spirituelle chrétienne. Ce passage de l'Écriture a donc suscité et continue de susciter beaucoup de commentaires. Voici d'abord une synthèse, en partie inspirée du livre du Père Molinié sur Le combat de Jacob (Cerf 1967, repris dans « Foi vivante » n° 155 — cité au v. 27 a*).

Ce qui avait commencé à Béthel doit être maintenant gagné. Comme Abraham dut répondre à la vocation et à la promesse de Dieu par une longue attente, couronnée par l'affreux débat intérieur du sacrifice d'Isaac (ch. 22), Jacob doit encore passer au gué du Yabboq pour entrer dans la Terre Promise.

Chaque mot, ici, est lourd de sens parce que, comme dit saint Augustin à propos de la rencontre de la Samaritaine avec Jésus au puits de Jacob: « ici commencent les Mystères »...

Donc les anges ont accompagné le patriarche, depuis Béthel jusqu'au retour (32,1-3*). Ayant fait passer famille et richesses en avant, et devançant ainsi le double précepte évangélique de dégagement des biens et de la parenté, Jacob reste seul, toute la nuit donc aussi de nuit, ce qui rappelle la nuit obscure des mystiques

Il lutte avec un personnage encore non reconnu, car Dieu est alors méconnaissable. Ce n'est plus le don et la facilité de Béthel ! Du moins, Jacob ne se défile pas comme il avait fait avec Laban (ch. 31), comme nous risquons de le faire quand Dieu nous attaque et nous presse...

Il faut accepter la confrontation avec Dieu, comme Job, dût-on le prendre à bras-le-corps, pour en même temps être pris par Lui. Craindrait-on qu'il nous domine! Mais s'il le voulait, croit-on que nous pourrions jamais lui échapper? N'est-il pas, par définition, le Tout-Puissant, le Dominus! — que nous faisons bien de traduire par ‘Le Seigneur’ et non ‘le Dominateur’.

Le premier émerveillement c'est que, dans cette lutte, Celui qui revendique le titre de ‘Maître et Seigneur' (Jn 13,13) n'arrive pas à maîtriser Jacob (Gn 32,26). Évidemment qu'il le pourrait ! Donc c'est qu’il ne le veut pas : Il respectera notre liberté, quoi qu'il puisse Lui en coûter. Le combat de Jacob en est une nouvelle preuve.

De son côté, que cherche Jacob? Il ne veut pas lâcher, il se cramponne de toutes ses forces. Comme si l'on gagnait Dieu à force ! Ce Jacob si malin pour ses intérêts, devenu si riche, si considérable qu'il en a imposé jusqu'à son beau-père (ch. 31), il faut que Dieu le blesse délicatement, le rende boiteux comme ces invités de l'Évangile, qui rempliront la salle des Noces (Lc 14,21). Alors seulement Jacob comprend quel est Celui qu'il prétendait tenir à bras-le-corps. Il passe de la lutte — qui est sans fin, y compris dans la rencontre avec Dieu de la prière — à l'humble demande. Et du premier coup il obtient tout avec la Bénédiction — tant il est vrai que, suivant la conclusion inspirée du livre de la Sagesse: « La piété est plus forte que tout » (10,12 / Eq).

Ne le savons-nous pas, nous qui refusons à nos enfants jusqu'à ce qu'ils demandent poliment? Mieux encore, rappelons-nous saint Paul « cherchant à saisir le Christ comme il en a d'abord été saisi », lui aussi blessé par cette « écharde en sa chair », pour apprendre en sa faiblesse même à recevoir l'aide et la force de Dieu (// Ph 3,12 et 2Co 12,7-10) songeons surtout au combat du Christ à Gethsémani, couvert de nos péchés comme Jacob des peaux de chevreaux, seul, de nuit, luttant pour nous ouvrir le ciel, et triomphant dans sa faiblesse et dans sa mort volontaires (/ Jn 19,11), pour nous restituer l'Alliance de « Dieu avec nous » — qu'il est Lui-même, l'Emmanuel... Tu ne le savais pas : mais dans ton combat, c'est Dieu qui est avec toi !

Gn 32,23Il fit passer le torrent à tout ce qui était avec lui: D. Barsotti: Il Dio di Abramo, p. 29: Dans l'ancêtre qui traverse le Yabboq pour entrer dans la terre de Canaan, il y a déjà en germe le «passage » de tout le peuple qui naîtra de lui... Au thème du «passage » est toujours étroitement lié le thème d'une lutte et d'une victoire.

C'est donc une préfiguration de la Pâque, au moment, pour Israël, de passer d'Egypte vers la Terre promise, cette fois à travers la Mer.

Gn 32,23-25 // Mt 14,22-23, En cette nuit... Jacob resta seul: Pour la rencontre avec Dieu, d'abord la solitude, dans la nuit de la foi — même pour le Christ : cf. // Mt 26,37-42 Mt 26,

Mt 26,42 — S'il est possible que ce calice passe: comme l'ange exterminateur passe les maisons des Israélites lors de la première ’Pâque' (Ex 12,13*). Mais non ! il faut bien plutôt affronter l'Ange, comme Jacob, comme Jésus en son agonie.

Sur les autres // à tout ce passage (Gn 32,23-32), voir après Gn 32,32 *.

Gn 32,25Et quelqu'un lutta contre lui: Littéralement, « Un homme ». Mais le // Os 12,5 précise « un ange », comme le retiendra toute la

tradition chrétienne. Or on voit bien qu'il ne s'agit pas tant ici des anges (comme au v. 2), mais de’l'Ange du Seigneur', autrement dit, d'une apparition de Dieu même (cf. Gn 16,7*), Jacob ne s'y trompe pas (v. 31 : « J'ai vu Dieu face à face ! »).

D. BARSOTTi: Il Dio di Abramo, p. 29: Dans celui qui combat contre Jacob, faut-il voir comme certains exégètes « l'Adversaire »? En ce cas, l'acte par lequel il touche l'articulation de la cuisse de Jacob pourrait avoir un rapport avec la parole de Dieu en Gn 3,15: « Tu l'atteindras au talon ». Cependant il faut se rappeler que c'est Dieu même qui accompagne et bénit la fuite de Jacob, et Dieu encore qui le rappelle après vingt ans. Dieu n'a donc pas changé ses desseins. Il me semble que l'épreuve de Jacob est proprement une tentation contre la foi. Précisément puisque Dieu est en quelque sorte localisé à Béthel, un doute vient à Jacob: en désertant la Terre Sainte, n'a-t-il pas déserté Dieu ? La promesse de Dieu tient-elle encore ? Il se sent seul, la désolation l'envahit; il s'accroche désespérément à la parole de Yahvê, et par la foi il est vainqueur. Ce n'est pas seulement avec les hommes, que Jacob doit lutter, mais avec Dieu. « Tu t'appelleras Israël, parce que tu as lutté avec les hommes et avec Dieu, et tu as vaincu ». Dans la victoire, Jacob a la perception vive, lumineuse, d'un Dieu qui renouvelle sa bénédiction et l'encourage à poursuivre sa route: Dieu ne lui était pas hostile, mais voulait mettre sa foi à l'épreuve. La foi de Jacob a été plus grande que tous les obstacles, que toutes les craintes — rien ne l'a vaincue. La Terre de Canaan est la récompense de cette foi victorieuse.

Gn 32,26 — Dieu est le Tout-Puissant, mais il respecte notre liberté (cf. Introd. à ce chapitre).

Gn 32,27a — Laisse-moi aller: Même conclusion qu'à la rencontre de Marie-Madeleine et du Christ ressuscité: « Noli me tangere, car je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu » (Jn 20,17). Jésus lui-même l'avait expliqué, au soir de la Cène: « Il vaut mieux pour vous que je parte... Sous peu le monde ne me verra plus, mais vous vous me verrez,parce que je vis et que vous vivrez » (Jn 16,7 et 14,19). Ce passage de l'extériorité (de l'affrontement et du face à face de Jacob) à l'intériorisation, sera figuré, dans l'histoire des patriarches, par la vocation de Joseph (cf. Introduction aux ch. 37-50).

Car voici l'aurore: m.d molinié: Le combat de Jacob (Cerf 1967, p. 125 et 179): Il est vrai que cela se passe pendant la nuit, et que cet homme demande à partir « car voici l'aurore », comme s'il ne voulait ou même ne pouvait pas laisser voir son visage en plein jour. Tout cela n'est pas dit mais suggéré, dans une sorte de pudeur brûlante, sauvage et silencieuse : l'intensité des échanges est tellement redoutable et secrètement tendre qu'aucun lyrisme ne serait supportable pour le décrire. C'est un combat d'amour, et le mot n'est jamais prononcé. Il s'agit de Dieu et on ne le dit pas, si ce n'est quand tout est fini...

Pourquoi la nuit? Parce que le face à face de Jacob n'est pas celui du ciel: la nuit le protégeait de la gloire intolérable de Dieu, comme la main de Dieu protégeait Moïse durant son passage. Et c'est aussi pourquoi ce combat est bien l'image de toute notre vie, longue nuit pendant laquelle se lève peu à peu l'aurore de la vie éternelle...

Apparemment il y a deux forces qui se heurtent, alors que secrètement elles sont complices, et que chacune fait des voeux pour la victoire de l'autre. Notre prière fait violence au Royaume mais ne rencontre de résistance que dans la mesure où elle n'est pas assez pure; en essayant de réduire cette résistance, c'est elle qui s'y use et y perd ses forces, jusqu'au jour où elle devient assez douce pour entrer en résonance avec la douceur de Dieu: alors il n'y a plus de combat: chacun est vainqueur parce que chacun est vaincu, mais de façon différente. Dieu était vaincu d'avance, puisque d'avance il voulait tout donner — rencontrant seulement l'obstacle de notre orgueil, qui en cherchant une autre victoire nous rendait incapable de recueillir celle qu'il nous offrait sans combat.

Dieu combat donc pour être vaincu et de notre côté nous combattons aussi, stupidement, pour perdre le bénéfice de notre victoire... Aussi est-ce en nous infligeant une défaite sur le plan insensé où nous essayons de vaincre qu'il nous permet d'entrer en possession de la couronne offerte dès le début... La splendeur et la misère du combat de Jacob, c'est de mener malgré soi le combat du péché tout en gémissant d'une manière de plus en plus inénarrable vers la défaite de l'orgueil et la victoire de l'amour. Il est donc bien vrai de dire que dans ce combat chacun désire être vaincu, parce que chacun désire aimer, le seul obstacle étant l'orgueil dont Dieu ne cherche à triompher que pour pouvoir se dire vaincu par notre faiblesse — orgueil que de notre côté nous envoyons à l'assaut avec le désir secret de le voir se dissoudre et mourir. Ainsi Jacob et Dieu saluent-ils avec la même joie la blessure qui les réconcilie pour toujours, la douceur nouvelle qui permet à Jacob d'obtenir tout ce qu'il veut.

Gn 32,27 — Rupert de Deutz: De Trinitate, vin, 6 (PL 167,496): Un homme a donc pu lutter contre Dieu et le « tenir », jusqu'à ce que le vainqueur soit béni par le vaincu: «Je ne te lâcherai pas que tu ne m'aies béni! » Après quoi, Israël commença à boiter, ce qui présageait toute l'histoire qui s'est déroulée depuis la sortie d'Egypte jusqu'à l'Incarnation et la Passion du Christ.

Dieu fait des efforts pour partir, et Jacob lutte pour retenir Dieu qui voudrait s'en aller. Jacob vainqueur extorque la bénédiction, il l'arrache à Dieu, comme malgré Dieu: Dieu ne veut pas la donner, il dit: « Laisse-moi ! »

C'est ce qui arriva plus tard, quand Dieu menaça d'abandonner ce peuple rebelle et incrédule. Moïse se leva: il lutta contre Dieu et le retint comme de force. « Laisse-moi! disait Dieu, que ma fureur se déchaîne contre ce peuple à la nuque raide, et que je les détruise! » Moïse vit la grandeur du péril: il prit Dieu, si j'ose dire, à bras le corps; et le serrant, comme font les athlètes: « Seigneur, souviens-toi d'Abraham, d'Isaac et de Jacob, tes fidèles serviteurs à qui tu as juré ...» Cela dura depuis le jour du veau d'or. Et toutes les fois que les fils d'Israël péchèrent en servant des dieux étrangers, le Seigneur s'irrita, luttant comme pour secouer ses liens et qu'on le laissât aller. Mais toujours « la force de Jacob » persévéra. En aucun temps ce peuple ne manqua d'âmes fidèles dont Jacob était le père, selon la foi autant que selon la chair. Quand Élie se croyait désespérément seul, disant à Dieu: «Seigneur, ils ont détruit tes autels, ils ont tué tes prophètes par le glaive, et moi je reste seul, et ils en veulent à ma vie! », Dieu lui répondit: «Je me suis gardé en Israël sept-mille hommes qui n'ont pas fléchi le genou devant Baal (1R 19). Quelle longue et âpre lutte, où Jacob sut « tenir Dieu », et ne jamais le laisser partir ! tant qu'enfin le Tout-Puissant le bénit, et mit le sceau à ses bénédictions en accordant cette bénédiction suprême dans laquelle seraient bénis tous les peuples de la terre: le Christ, né de la race de Jacob, qui effaça la malédiction antique et répandit par sa Passion la grâce de l'Esprit Saint.

Gn 32,28-29Quel est ton nom ?... Il ne sera plus Jacob, mais Israël : Sur le nom nouveau, cf. 17,5*.

Rupert de Deutz: De Trinitate vin, 5 (PL 167,495): Cela veut dire: ton nom ne sera plus « supplanteur » mais «prince avec Dieu » — car tel est le sens du mot Israël. De même que je suis Prince, tu seras appelé prince, toi qui as pu lutter avec moi; et si tu as pu me tenir en échec, moi qui suis Dieu ou un ange de Dieu, à combien plus forte raison tu pourras combattre les hommes, c'est-à-dire Esau! Ne le crains donc pas.

Gn 32,30Révèle ton Nom : S'il ne l'a pas fait connaître à Abraham, Isaac ou Jacob (Ex 6,3), Dieu le révélera plus tard à Moïse (Ex 3,14-15*).

Tout doit nous venir, mais à l'Heure décidée par Dieu comme la plus opportune, comme Jésus le dit à « ses frères » (cf. 31,22-23 * ) incrédules, ou même à sa mère, pressée par sa charité pour les gens de Cana (Jn 7,2-8 et 2,3-5).

CHRYSOSTOME: Hom. 58 sur Gn (pg 54,509-510): Alors le juste, dans la stupeur, dit: Quel est ton nom? L'ange lui répondit: Pourquoi demandes-tu mon nom? Et il le bénit. Reste dans tes limites, ne dépasse pas la mesure qui est tienne. Tu veux ma bénédiction? Je te la donne. Jacob appela ce lieu « Splendeur de Dieu ». « J'ai vu Dieu face à face, et j'ai eu la vie sauve, » dit-il. Quelle assurance cette vision lui donne! Quand la vision de Dieu disparut, le soleil se leva.

Ne t'étonne pas d'une si grande bienveillance, mais pense au patriarche Abraham à qui le Seigneur, sous la figure d'un homme, vint demander l'hospitalité avec ses anges: par là, il nous signifiait longtemps d'avance qu'il prendrait un jour la nature humaine...

Parce que c'était le commencement de l'Histoire sacrée, Dieu se montrait à chacun des patriarches, comme il l'a dit lui-même: «J'ai multiplié les visions » (Os 12,11). Mais quand le Seigneur daigna prendre la nature humaine, ce n'est plus en figure qu'il la revêtit: il prit une vraie chair, non une apparence, et il voulut passer par nos faiblesses: naître d'une femme, être enveloppé de langes et nourri de lait, afin que la vérité de la dispensation soit plus crédible pour la foi. C'est encore pour la même raison qu'il dort dans le navire, qu'il est fatigué du chemin. Il comparaît devant le tribunal, il est crucifié, il affronte la mort la plus ignominieuse et il est déposé dans le sépulcre, afin que son Incarnation soit manifeste en tout.

Augustin : Sermo 5,6 (PL 38,57) : Que le Seigneur nous donne d'expliquer un si grand mystère ! Jacob lutte, il est vainqueur, et il veut être béni par celui qu'il a vaincu. Il lutte, il tient l'ange ... Qu'est-ce que cela veut dire? « Le Royaume des cieux souffre violence, et bienheureux ceux qui le prennent de force! » (Mt 11,12). Plus haut, nous disions: Lutte pour tenir le Christ, pour aimer ton ennemi — car si tu aimes ton ennemi, tu tiens le Christ! Et que fait le Seigneur, c'est-à-dire l'ange au nom du Seigneur, quand Jacob prévaut et le tient? Il touche le nerf de sa cuisse, qui se dessèche; et désormais Jacob boîte. L'ange dit: « Laisse-moi aller, car voici l'aurore ». Et Jacob: «Je ne te laisserai pas aller que tu ne m'aies béni. Et il le bénit » — Comment? En changeant son nom: « Tu ne t'appelleras plus Jacob mais Israël: puisque tu as prévalu contre Dieu, tu prévaudras aussi contre les hommes ». La bénédiction, c'est cela: Voyez cette rencontre en un seul homme: il est blessé et devient infirme, mais il est béni. Le même homme est blessé et boîte, mais il est béni et plus fort que jamais.

Gn 32,31J'ai vu Dieu face à face: Penu-El =‘face à Dieu'.

hilaire : Sur le Ps 147,7 (PL 9,878) : Il y a ici pour Jacob et Israël une bienveillance particulière de Dieu: non pas pour ce Jacob ou cet Israël qui donne son nom à une race pour la consolation de celle-ci — mais bienveillance envers ce Jacob qui par l'espérance a conquis le droit d'aînesse, et qui s'appelle Israël parce qu'il voit Dieu. C'est lui-même qui est Jérusalem, la Vision de Paix ; il est édifié sur la pierre de la foi, ses portes sont solidement assurées, et il se rendra maître des portes de ses ennemis. C'est le Jacob que la parole de Dieu rassemble: ... «À tous ceux qui l'ont reçu, il a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu ».

Augustin : Cité de Dieu, xvi, 39 (PL 41,518) : Le nom d'Israël fut imposé à Jacob par l'Ange qui luttait contre lui quand il revint de Mésopotamie. Cet Ange était évidemment une figure du Christ. Jacob prévalut contre luiparce que l'Ange y consentait — ; il figurait ainsi le mystère de la Passion du Christ, où les Juifs semblèrent prévaloir contre le Christ. Jacob demanda cependant la bénédiction de l'ange qu'il avait vaincu: et l'imposition même du nom d'Israël fut cette bénédiction. Israël s'interprète « Celui qui voit Dieu », et telle sera, à la fin, la récompense de tous les saints.

Gn 32,32Il boitait de la hanche: Rupert de Deutz : De Trinitate vin, 9 (PL 167,498): Suivant le sens anagogique, «Jacob boîte » quand l'homme lutte avec Dieu sans se lasser, et remporte la victoire: il lutte avec Dieu quand il étudie les Écritures assidûment, et s'efforce de tenir la signification de la parole de Dieu qui lui échappe. Mais pourquoi le Verbe de Dieu prend-il tant de soin de fuir l'âme qu'il aime et dont il est aimé? Pour bien des raisons et notamment celle-ci: pour exciter de plus en plus l'avidité de l'esprit; pour que le désir de trouver Dieu réduise en servitude tous les obstacles que la chair mettrait sur la route. Alors, les bras tendus comme un athlète, cette âme dit: Mon bien-aimé, je veux te saisir et te conduire dans la maison de ma mère: là, tu m'enseigneras (Ct 8). Mais le Verbe de Dieu, comme pour l'écarter: « Détourne tes yeux, dit-il, car ils m'ont vaincu » (Nous adoptons la traduction de Sander et Trenel). Douce lutte, plus heureuse que toute paix! Enfin, Jacob sait qu'il est vainqueur; « J'ai trouvé celui qu'aime mon âme, je le tiens ! Je ne le laisserai pas aller, mais je l'introduirai dans la maison de ma mère » (Ct 3).

Cependant, la victoire de Jacob fut pour le plus grand bien de son esprit mais au détriment de sa chair: le vainqueur boîte, parce que le vaincu a touché le nerf de sa cuisse, qui s'est desséché. Et comment boîte-t-il? Un seul pied s'appuie vraiment sur la terre, l'autre est en suspens; autrement dit, Jacob n'abandonne pas tout à fait la vie active mais adhère de toutes ses forces à la vie contemplative — elle est si douce! Il saute, bondit comme le cerf: c'est à peine s'il touche terre, car sa vie est dans le ciel (Ph 3,20) — mais en partie seulement, jusqu'à ce que vienne l'achèvement.

Des // à Gn 32,23-32, Ct 3 a été cité par Rupert (texte précédent), et Mt 11,12, par Augustin (Sermon 5). Les autres, ou bien confirment que la vie spirituelle est bien lutte (Mt 11,12 Is 35,3-6), dans la nuit (Is 45,15), ou bien donnent d'autres exemples d'« agonie » — mot qui étymologiquement, signifie combat — comme celles du Christ à Gethsémani (Mt 26,37-42), des disciples d'Emmaus, pour retenir le Christ (// Lc 24,28-30) ou de Manoah, pour retenir l'Ange de Yahvé (// Jg 13,15-18), enfin de saint Paul, déjà cité dans l'Introduction (Ph 3,12 et 2Co 12,7-10).

// Mt 11,12 (/ Em) — Depuis les jours de Jean-Baptiste... : Ce n'est évidemment pas dire qu'il n'y aurait pas eu à lutter pour le Royaume des cieux auparavant: témoin la lutte de Jacob avec l'Ange. Mais sans doute, Jean Baptiste est le dernier prophète du Testament mosaïque, et le premier prophète du Testament Christique: Jean Baptiste a reçu la grâce « oecuménique » qui caractérise Jésus lui-même. Maintenant, tout homme en repentance peut être fils du Père Unique. Tout Juif en état d'orgueil est fils de Satan, et en condition pire que les païens. Donc: désormais, « plus de Goyim ». Publicains et prostituées en acte de repentir, entrent au ciel. C'est la doctrine centrale de saint Paul. Le mot « est violenté » (' Biazetaï") signifie: est contraint de... En effet, la Loi nouvelle apporte une révélation joyeuse: quelque pécheur qu'on soit, à quelque race qu'on appartienne, si le coeur est touché, si la métanoïa travaille le fond de l'être, le Royaume des cieux s'ouvre désormais.

C'est le message de Jonas redivivus, et combien ! Les deux mots grecs visent à traduire le caractère inouï et pourtant réel des temps messianiques. Tout être humain est fils de Dieu. Le ciel est pour tous. L'extrême indignité peut se transformer, en vertu de la métanoïa, en élection efficace. Cf. Enfant prodigue ; cf. Marie Madeleine ; cf. le bon Larron ; cf. les Goyim de saint Paul.

Ici l'image de Jacob s'impose : son passé le rendait indigne — mais il s'est converti, comme il convient même à un fils de la race d'Abraham.

/ Ph 3,12-14 /(Eq) — On traduit d'ordinaire: « Tâcher de le saisir, ayant été moi-même saisi par le Christ Jésus » (bj — Osty); ou bien: « Tâcher de le saisir parce que j’ai été saisi moi-même » (tob). C'est juste, en gros. Mais cela ne traduit pas le ’eph'ô' du grec. Pour comprendre, situons cette préposition dans le contexte. Tout le passage est polarisé, finalisé : « pour gagner le Christ (v. 9), pour connaître (ou obtenir) la puissance de sa résurrection, et pour connaître (ou avoir) la communion avec ses souffrances, ayant été configuré à sa mort avec l'espérance que je parviendrai à la résurrection... avec l'espérance que je saisirai ce pour quoi j'ai été saisi. .. » Conformément à ce qu'indiquent les dictionnaires, ’Epi' avec le datif a bien ici le sens de ’en vue de...' Et il répond à tous ces pour qui le précèdent: Le Christ Jésus l'a saisi pour cela: pour la connaissance, pour la communion, pour la résurrection, pour qu'il gagne ainsi le Christ.

/ Sg 10,10-12 tire la conclusion de l'expérience spirituelle de Jacob (cf. l'Introd. à Gn 28,10-22* et à 32,23-32). Is 44,21-23 revient au thème général du ‘Retour de Jacob’, dont la lutte avec l'Ange est la clef.


Bible chrétienne Pentat. 1430