Bernard sur Cant. 37

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SERMON XXXVII.

Il y a deux connaissances et deux ignorances: Maux ou détriments qu'elles nous causent

1. Je crois qu'il n'est pas besoin aujourd'hui de vous exhorter à ne point dormir, car la petite correction que nous vous fîmes hier est sans doute encore présente à vos esprits; et j'espère que ne l'ayant faite que par un mouvement de charité, vous en profiterez. Vous voussouvenez donc bien que vous m'avez accordé que personne n'est sauvé sans la connaissance de soi-même; parce que de cette connaissance naissent l'humilité, qui est la mère du salut, et la crainte de Dieu, qui est aussi le commencement du salut, de même que de la sagesse. Je dis que nui n'est sauvé sans cette connaissance, à moins qu'il ne soit pas encore en âge de se connaître ou qu'il ne le puisse pas. Ce que je dis pour les petits enfants ou pour les fous, dont il n'est pas question maintenant. Mais si vous ignorez Dieu, pourra-t-on espérer quelque chose de, votre salut avec cette ignorance? Non, sans doute. Caron ne saurait aimer celui qu'on ne tonnait point, ou posséder celui qu'on n'a point aimé. Connaissez-vous donc vous-mêmes, afin de l'aimer. L'un est le commencement de la sagesse, et l'antre en est la perfection; car la crainte du Seigneur est le commencement de la sagesse, (Ps 100,9) et l'amour est la plénitude de la lui. (Rm 13,10) On duit donc se garder de l'une et de l'autre ignorance, par la raison qu'il est impossible de se sauver sans la crainte et sans l'amour de Dieu. Le reste est indifférent, et on n'est pas sauvé pour le connaître, ni damné pour ne le connaître pas.

2. Je ne dis pas pourtant qu'il faille mépriser ou négliger la science des belles-lettres, puisqu'elle orne l'âme, l'instruit, et la rend capable d'instruire les autres. Mais il faut que ces deux choses, en quoi nous avons dit que consiste le salut, précèdent cette connaissance. N'est-ce pas ce que le Prophète avait en vue, lorsqu'il disait: «Semez dans la justice, et recueillez l'espérance de la vie: après cela, recherchez la lumière de la science ()?» Il nomme la science la dernière, comme une peinture qui ne peut subsister sur le vide, et il place en première ligne les deux choses qui sont comme la toile et le fond solide de cette peinture. Je m'appliquerai en toute sécurité à la science, lorsque j'aurai reçu l'assurance de la vie par le moyen de l'espérance. Vous avez donc semé pour la justice si vous avez appris par la véritable connaissance de vous-même à craindre Dieu, si vous vous êtes humilié, si vous avez répandu des larmes, si vous avez fait de nombreuses aumônes, et autres oeuvres de piété, si vous avez maté votre corps par les jeûnes et par les veilles, meurtri votre poitrine de coups, lassé les cieux par vos cris. Voilà ce que c'est que semer pour la justice. Les semences sont les bonnes oeuvres, les exercices pieux, les larmes. «Ils marchaient, dit le Prophète, et pleuraient en jetant leurs semences (Ps 126,7).» Mais quoi, pleureront-ils toujours? A Dieu ne plaise. Mais «ils reviendront avec joie tous chargés de leurs gerbes.» Certes, ils auront bien sujet d'être dans la joie, quand ils remporteront les fruits de la gloire comme des gerbes de froment. Mais, direz-vous, cela n'arrivera qu'au temps de la résurrection et au dernier jour: il y a bien loin jusque-là. Ne vous abattez point, ne vous découragez point. Les prémices de l'Esprit-Saint nous fournissent dès maintenant de quoi moissonner avec joie. «Semez, dit-il, dans la justice, et cueillez l'espérance de la vie.» Il ne nous renvoie plus au dernier jour, où nous posséderons réellement ce qui n'est encore que l'objet de notre espérance, mais il parle du temps présent. Notre joie, sans doute, et nos ravissements seront extraordinaires lorsque nous jouirons de la véritable vie.

3. Mais l'espérance d'une si grande joie sera-t-elle sans joie? «Réjouissez-vous, dit l'Apôtre, en espérance (Rm 12,12).» Et David ne dit, pas qu'il se réjouirait, mais qu'il se réjouissait de ce qu'il espérait entrer dans la maison du Seigneur. (Ps 122,1) Il ne possédait pas encore la vie, mais il avait recueilli l'espérance de la vie, et il éprouvait en lui-même la vérité de ce que dit l'Écriture, que non-seulementla récompense, mais même l'attente des justes est pleine de joie (Pr 10,28). Cette joie est produite dans l'âme de celui qui a semé pour la justice, par là conviction qu'il a que ses péchés sont pardonnés, si néanmoins l'efficacité de la grâce qu'il a reçue pour mieux vivre à l'avenir lui donne la certitude de ce pardon. Quiconque de vous sent que cela passe en lui, entend les paroles de l'Esprit-Saint, dont la voix et l'opération ne se démentent jamais. Il entend ce qu'on dit au dehors, attendu que ce qu'on dit au dehors, il le sent au dedans de soi. Car celui qui parle en nous opère en nous, parce que c'est le même esprit qui distribue ses dons à chacun selon qu'il lui plait (1Co 12,11), donne aux uns la grâce de dire, et aux autres de faire ce qui est bon.

4. Quiconque parmi vous, après les commencements amers de sa conversion, a le bonheur de se voir un peu soulagé par l'espérance des biens qu'il attend, et de s'élever comme avec les ailes de la grâce dans l'air serein d'une consolation toute céleste, a moissonné dès maintenant le fruit de ses larmes; il a vu Dieu et il l'a entendu dire: «Donnez-lui des fruits de ses oeuvres (Pr 32,31).» Car comment celui qui a goûté et vu combien le Seigneur est doux n'aurait-il pas vu Dieu? Que celui-là, Seigneur Jésus, vous a trouvé plein de douceurs et de charmes, qui n'a pas seulement reçu de vous le pardon de ses péchés, mais encore le don . de sainteté, et, pour comble de biens, la promesse de la vie éternelle! Heureux celui qui a déjà moissonné, qui jouit dès à présent des fruits d'une vie sainte, et jouira à la fin de la vie éternelle. C'est avec raison que celui qui, en se voyant lui-même, a versé des larmes, et a été ravi de joie, lorsqu'il a vu le Seigneur, puisque la vue de sa souveraine bonté est cause qu'il a déjà enlevé tant de gerbes, je veux parler de la rémission de ses péchés; de sa sanctification et de l'espérance de la vie. Oh! que cette parole du Prophète est vraie: «Ceux qui sèment dans les larmes recueillent dans la joie, (Ps 126,6)!» Il comprend par ces deux mots l'une et l'autre connaissance; celle de nous-mêmes, qui sème dans les larmes, et celle de Dieu, qui recueille dans la joie.

5. Si donc nous commençons par cette double connaissance, la science que nous pouvons ajouter ensuite n'enfle point, parce qu'elle ne peut apporter aucun avantage, ni aucun honneur terrestre, qui ne soit beaucoup au dessous de l'espérance que nous avons conçue, et de la joie que cette espérance nous donne, et qui est déjà profondément enracinée dans l'âme. Or l'espérance ne confond point, parce que l'amour de Dieu est répandu dans nos coeurs, par le Saint-Esprit qui nous a été donné. Et elle ne confond point, parce que cet amour nous remplit de confiance et de certitude. Car c'est par l'amour que le Saint-Esprit nous rend témoignage que nous sommes enfants de Dieu. Que peut-il donc nous revenir de notre science, si grande qu'elle soit, qui ne se trouve beaucoup moindre que la gloire d'être mis au nombre des enfants de Dieu? Mais c'est trop peu dire. La terre même, et tout ce qu'elle contient, quand on en voudrait donner la possession à chacun de nous, ne mériterait pas d'être regardée en comparaison d'un si grand bien. Mais si nous ne connaissons pas Dieu, comment espérer en celui que nous ignorons? Et si nous ne nous connaissons pas nous-mêmes, comment serons-nous humbles, puisque n'étant rien, nous croirons être quelque chose? Or, nous savons que ni les superbes, ni ceux qui n'espèrent point en Dieu, n'auront point de part ni de société dans le bonheur des saints.

6. Considérez donc maintenant avec moi, combien nous devons avoir sein de bannir de nous ces deux sortes d'ignorances, dont l'une produit le commencement, et l'autre la consommation de tout péché; comme au contraire des deux connaissances opposées, l'une engendre le commencement, et l'autre la perfection de la sagesse, l'une la crainte de Dieu, et l'autre son amour. Mais nous avons fait voir que tel est le fruit de ces deux connaissances, faisons voir maintenant quel est celui de ces deux ignorances. Car comme la crainte du Seigneur est le commencement de la sagesse, ainsi l'orgueil est le commencement de tout péché.

Et comme l'amour de Dieu est la source de la sagesse (Si 10,15), ainsi le désespoir est l'origine et là consommation de toute malice. De même si la connaissance de nous-mêmes produit en nous l'amour de nous sommes meilleurs que nous ne sommes en effet. Car ce en quoi consiste l'orgueil, se trouve le commencement de tout péché, c'est Dieu, et la connaissance de Dieu, l'amour de lui-même, au contraire, l'ignorance de nous-mêmes produit l'orgueil, et l'ignorance de bien, le désespoir. Or l'ignorance de nous-mêmes engendre l'orgueil en nous, lorsque notre esprit trompé, et trompeur en même temps, nous fait croire que nous sommes plus grands à nos yeux, que nous ne sommes devant Dieu, et dans la vérité: aussi l'Écriture, en parlant de celui qui a commis le premier ce grand crime, c'est-à-dire du diable, dit-elle: «qu'il n'est point demeuré dans la vérité, mais qu'il a été menteur, dès le commencement (Jn 8,44);» En effet, il n'était pas dans la vérité ce qu'il était dans sa pensée. Mais il s'était éloigné de la vérité en se voyant moindre et plus imparfait qu'il n'était effectivement, sans doute que son ignorance lui aurait servi d'excuse, on ne l'aurait point estimé superbe, et bien loin d'irriter Dieu par son crime, il aurait attiré sa grâce sur lui par son humilité. Car si nous connaissions clairement l'état où chacun de nous est devant Dieu, nous ne devrions avoir de nous-mêmes une estime ni trop haute ni trop basse, mais acquiescer en toute chose à la vérité. Mais puisqu'il nous a voulu cacher ce secret, et que personne ne sait s'il est digne d'amour ou de haine (Qo 9,1), il est plus juste sans doute et plus sûr, selon le conseil de la Vérité même, de choisir toujours la dernière place, d'où on nous tire ensuite pour nous faire monter plus haut avec honneur (Lc 14,10), au lieu de prendre la première pour être obligé d'en descendre avec honte.

7. Il n'y a donc point de danger que vous vous humiliiez au delà même de ce que vous devriez, et que vous vous estimiez beaucoup moindre que vous n'êtes, c'est-à-dire que la vérité ne vous estime. Mais il y a un grand mal et un horrible danger à vous élever le moins du monde au dessus de ce que vous êtes selon la vérité, à vous préférer en vous-même à un seul que peut-être la vérité juge vous être égal, ou même supérieur. Car, pour vous faire comprendre ceci par un exemple familier, de même que lorsque vous passez par une porte basse, quelque profondément que vous vous baissiez, vous n'avez rien à craindra, au lieu que, si peu que vous vous éleviez plus haut que la porte; quand ce ne serait que d'un doigt, vous en recevez un grand mal, et vous vous mettez en danger de vous blesser rudement la tête; ainsi, pour ce qui regarde l'âme, il ne faut jamais craindre de trop vous humilier, mais il faut appréhender extrêmement, et même redouter avec frayeur de vous élever tant soit peu plus qu'il ne faut. C'est pourquoi ne vous comparez jamais à de plus grands ni de moindres que vous, ni à quelques-uns, ni même à un seul. Car, que savez-vous, ô homme, si celui que peut-être vous estimez le plus vil et le plus misérable des hommes, dont vous abhorrez la vie infâme et souillée de crimes, que vous croyez, à cause de cela, devoir mépriser en comparaison de vous, qui pensez peut-être vivre déjà dans la tempérance, dans la justice et dans la piété, et que vous tenez en comparaison de tous les autres scélérats, comme le plus scélérat des hommes, que savez-vous, dis-je, si par un coup de la main du très-haut, il ne doit point. être un jour au regard des hommes meilleur que vous, et que ceux que vous lui préférez, où s'il ne l'est point déjà au regard de Dieu? Aussi, est-ce pour ce sujet qu'il n'a pas voulu que nous choisissions une place au milieu, non pas même à l'avant dernier rang ou parmi les derniers, et qu'il a dit: «Asseyez-vous à la dernière place (Lc 14,10),» c'est-à-dire placez-vous le dernier de tous, non-seulementne vous préférez à personne, mais ne présumez pas même de vous comparer à qui que ce soit. Vous voyez quel grand mal cause l'ignorance de nous-mêmes, puisqu'elle produit le péché du diable, et le commencement de tout péché, qui est l'orgueil. Nous verrons une autre fois ce que produit aussi l'ignorance de Dieu. Car, comme nous nous sommes réunis aujourd'hui un peu tard, le peu de temps qui nous reste ne nous permet pas d'entamer cette matière. Qu'il suffise à chacun de nous maintenant, d'être averti de ne pas se méconnaître soi-même, non-seulement par ce discours, mais aussi par la grâce et la bouté de l'époux de l'Église, Jésus-Christ Notre Seigneur, qui est Dieu par dessus toutes choses et béni dans tous les siècles. Ainsi soit-il.

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SERMON XXXVIII.

En quel sens l'Épouse est appelée la plus belle des femmes.

1. Que produit donc l'ignorance de Dieu?. Car c'est par où il faut que je commence, puisque, si vous vous en souvenez bien, nous en sommes demeurés là hier. Que produit-elle donc? Nous avons déjà dit que c'est le désespoir; mais voyons comment elle le produit. Un homme revenant à soi, et concevant un déplaisir sensible de tout le mal qu'il a commis, pensera peut-être à se convertir, et à sortir du mauvais chemin où il est, et des dérèglements d'une vie sensuelle. Mais, s'il ignore combien Dieu est bon, combien il est doux et favorable, combien il est enclin à pardonner, sa pensée charnelle ne le reprendra-t-elle pas aussitôt, et ne lui dira-t-elle pas: Que faites-vous? Voulez-vous perdre cette vie avec l'autre? Vos péchés sont trop grands et trop nombreux. Quand vous déchireriez tout votre corps, cela ne suffirait pas pour les expier. Votre complexion est délicate; vous avez toujours vécu jusqu'ici dans la mollesse; vous aurez bien de la, peine à surmonter une si longue habitude. Et cet infortuné, désespéré par ces pensées et autres semblables, retourne à ses premiers désordres, ne sachant pas avec combien de facilité. le Tout-Puissant, qui ne veut perdre personne, romprait tous ces obstacles. Puis il tombe dans l'impénitence, qui est le plus grand de tous les crimes, un blasphème irrémissible. Il se trouble, et il est accablé par une horrible tristesse, et par une mélancolie noire et profonde, dont il ne peut plus se retirer pour recevoir aucune consolation, suivant cette parole: «Lorsque l'impie est arrivé au comble des maux, il méprise tout (Pr 8,3).» Ou du moins s'aveuglent sur son mal, et se flattant de quelque raison plausible, il se jette de nouveau pour jamais dans le siècle, pour y jouir de toute sorte de délices, et ne garder plus ni règle ni mesure dans l'assouvissement de ses désirs. Mais, lorsqu'il croira être en paix et en assurance, il se trouvera surpris par une ruine aussi soudaine que les douleurs d'une femme grosse, et il ne pourra échapper. Voilà comment l'ignorance de Dieu produit la consommation de toute malice, qui est le désespoir.

2. L'Apôtredit que quelques-uns ignorent Dieu. Mais moi je dis que tous ceux qui ne veulent point se convertir à lui ignorent Dieu (1Co 15,34). Car ils ne refusent sans doute de le faire, que parce qu'ils se le représentent sévère et rigoureux, quand il est bon, et inexorable quand il est plein de miséricorde; cruel et terrible quand il est aimable; et l'iniquité se ment à elle-même en se formant une idole au lieu de ce qu'il est en effet. Gens de peu de foi, que craignez-vous? Qu'il ne veuille pas remettre vos péchés? Ne les a-t-il pas attachés à la croix avec ses mains? Vous êtes tendres et délicats, il est vrai, mais ne tonnait-il pas la faiblesse de notre nature? Vous avez de mauvaises habitudes, et vous êtes liés par l'habitude du péché, comme avec de fortes chaînes; mais le Seigneur n'a-t-il pas brisé les liens des captifs (Ps 146,8)? Vous appréhendez peut-être qu'étant irrité contre vous, de l'énormité et de la multitude de vos crimes, il ne tarde à vous tendre une main secourable. Mais sachez qu'ordinairement la grâce surabonde où le péché a abondé (Rm 5,20). Est-ce que vous êtes en peine pour le vêtement, la nourriture et les choses nécessaires au corps, et cela vous empêche-t-il d'abandonner vos biens? Mais ne sait-il pas que vous avez besoin de toutes ces choses (Mt 6,32)? Que voulez-vous donc davantage? Qu'est-ce qui, maintenant, fait obstacle à votre salut? C'est ce que je dis, vous ne connaissez pas Dieu, et vous ne voulez pas en croire notre parole. Je voudrais bien que vous crussiez au moins ceux qui ont l'expérience de ce qu'ils vous disent. Car, si vous ne croyez, vous n'aurez jamais la véritable intelligence. Mais la foi n'est pas donnée à tout le monde.

3. Dieu nous garde de penser que ce soit cette sorte d'ignorance que l'Épouse est avertie d'éviter, elle qui n'a pas seulement une grande connaissance de son Époux et de son Dieu, mais qui jouit encore de son amitié et de sa familiarité particulières, mérite qu'il l'honore souvent de ses chastes baisers et de la douceur de son entretien, et qui maintenant même lui demande si librement où il paît son troupeau et où il se repose à midi. En quoi elle ne désire pas de le connaître lui-même, mais de connaître le lieu où réside sa gloire, quoique, à vrai dire, le lieu où il réside et sa gloire ne soient pas une chose différente de lui-même. Mais il trouve à propos de la reprendre à cause de sa présomption, et de l'avertir de se connaître elle-même, ce qu'elle semble ne pas faire assez, puisqu'elle s'est jugée capable d'une si grande vision, soit parce que l'excès de son amour l'empêchait de considérer qu'elle était dans un corps mortel, ou parce qu'elle espérait, mais inutilement, pouvoir, dans ce corps même, approcher d'une lumière inaccessible. Elle est donc rappelée incontinent à elle-même; elle est convaincue d'ignorance; elle est punie de sa témérité. «Si vous ne vous connaissez pas, dit-il, sortez.» Cet Époux tonne contre sa bien-aimée, non comme Époux, mais comme Maître, non qu'il soit en colère, mais parce qu'il veut la purifier en l'effrayant, et la rendre capable, par ce moyen, de la vision après laquelle elle soupire. Car elle est réservée pour ceux qui ont le coeur pur.

4. Or, ce n'est pas sans raison qu'au lieu de l'appeler simplement belle, il dit: «Belle parmi les femmes,» c'est-à-dire belle d'une certaine façon; c'est pour l'humilier encore davantage, et afin qu'elle sache ce qui lui manque. Car je crois qu'en ce lieu le nom de femmes signifie les âmes charnelles et mondaines, qui n'ont rien de mâle et ne font rien paraître de généreux et de constant dans leurs actions, mais dont toute la vie et les moeurs sont lâches, molles et efféminées. Mais, bien que l'âme spirituelle soit déjà belle, puisqu'elle ne marche pas selon la chair, mais selon l'esprit, cependant comme elle est encore dans un corps mortel, elle n'a pas atteint la perfection de la beauté, et ainsi elle n'est pas belle absolument; elle est belle parmi les femmes, c'est-à-dire parmi les âmes terrestres, qui ne sont pas spirituelles comme elle; non point parmi les Anges, les Vertus, les Puissances et les Dominations. C'est de la même manière qu'un des patriarches fut appelé autrefois juste dans sa race (Gn 6,9), c'est-à-dire plus juste que tous ceux de son temps et de sa race; que Thamar fut justifiée par Juda (Gn 38,6), c'est-à-dire plus juste que Juda, que l'Évangile a dit, que le Publicain descendit justifié du temple, mais justifié en comparaison du Pharisien (Lc 18,14), et que l'illustre Jean fut autrefois loué d'une manière singulière comme n'ayant personne au dessus de lui (Lc 7,28), mais seulement parmi les enfants des femmes, non pas entre les choeurs des esprits célestes. C'est ainsi que l'Épouse est appelée belle, elle ne l'est qu'en comparaison des femmes, non des bienheureux.

5. Qu'elle cesse donc tant qu'elle n'est encore que sur la terre, de rechercher avec trop de curiosité ce qui est dans le ciel, de peur que, voulant sonder la majesté de Dieu, elle ne soit accablée sous le poids de sa gloire. Qu'elle cesse dis-je, tant qu'elle est parmi les femmes, de s'enquérir des choses qui se passent parmi ces puissances sublimes, et quine sont connues que d'elles seules, parce qu'étant toutes célestes, il n'est permis de les voir qu'aux seuls esprits célestes. Cette vision dit-il, que vous demandez qu'on vous montre, ô mou épouse, est infiniment élevée au-dessus de vous, et vous n'êtes pas assez forte maintenant, pour soutenir l'éclat de la clarté où je fais ma demeure, et qui est égale à celle du soleil à son midi. Car vous avez dit: «Apprenez-moi où vous paissez votre troupeau, où vous reposez durant le midi.» Etre portée dans les nues, pénétrer la plénitude de la clarté, percer l'abîme des splendeurs, et habiter une lumière inaccessible, ce sont des choses qui ne sont pas possibles, tant que vous êtes dans ce corps mortel. Cette félicité vous est réservée pour la fin des temps, lorsque je vous ferai paraître devant moi, revêtue de gloire, sans tache ni ride, exempte de quelqu'autre défaut que ce puisse être. Ne savez-vous pas que tant que vous demeurez dans ce corps, vous êtes exilée de la lumière? Comment, n'étant pas encore toute belle, croyez-vous être capable de regarder la source de toute beauté? Comment enfin demandez-vous de me voir dans ma clarté, vous qui ne vous connaissez pas encore vous-même? Car ce corps de corruption ne peut lever les yeux, ni lés fixer sur cette lumière éclatante, que les anges désirent sans cesse contempler. Il viendra un temps, et ce sera lorsque je viendrai juger le monde, que vous serez tout à fait belle, comme je suis tout à fait beau, et alors étant complètement semblable à moi, vous me verrez tel que je suis. Alors vous entendrez ces paroles: «Vous êtes toute belle, ma bien-aimée, et il n'y a point de tache en vous (Ct 4,7).» Mais maintenant que vous n'êtes encore semblable à moi qu'en partie, faites en retour sur vous-même; n'aspirez point à des choses qui vous surpassent, et ne veuillez point pénétrer ce qui est au dessus de votre portée (Si 3,22). Autrement, si vous ne vous connaissez pas, ô la plus belle de toutes les femmes, car je vous appelle belle simplement, mais belle entre les femmes, c'est-à-dire en partie, mais lorsque ce qui est parfait sera arrivé, ce qui est encore imparfait s'évanouira. Si donc, vous ne vous connaissez pas. Mais nous avons dit ce qui suit, il n'est pas besoin de le répéter. Je vous avais promis de vous dire quelque chose d'utile sur la double ignorance: si vous trouvez que je ne l'ai pas fait, ne m'en veuillez pas, ce n'est pas manque de bonne volonté. J'en ai assez, Dieu merci, mais l'effet ne suit qu'autant que l'Époux de l'Église Jésus-Christ Notre-Seigneur, daigne m'en faire la grâce par sa bonté pour votre édification, lui qui est Dieu par dessus toutes choses et béni à jamais. Ainsi soit-il.

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SERMON XXXIX.

Des chariots de Pharaon, qui est le diable, et des princes de son armée qui sont la malice, l'intempérance et l'avarice.

1. «Je vous ai comparé, mon amie, à mon armée environnée des chariots de Pharaon (Ct 1,5).» Avant toutes choses, nous reconnaissons volontiers dans ces paroles, que l'Église a été figurée dans les patriarches de l'ancienne loi, et que le mystère de la rédemption y a été montré par avance. Dans la sortie d'Israël hors d'Égypte, et dans le double miracle de la mer Rouge, qui donna passage au peuple de Dieu, et en même temps le vengea de ses ennemis, la grâce du baptême est clairement exprimée, parce que le baptême sauve-les hommes, et submerge les crimes. «Tous, dit l'Apôtre, ont été sous la nuée, et ont été baptisés sous la conduite de Moïse dans la nuée et dans la mer Rouge (1Co 1,2)». Mais il faut qu'à notre ordinaire, nous marquions la suite des paroles du Cantique, et montrions la liaison qu'elles ont avec ce qui précède; après cela nous tacherons d'en tirer quelque chose d'utile pour les moeurs. Ainsi, après avoir réprimé la présomption de l'Épouse d'un ton de voix dur et sévère, ne voulant pas la plonger dans la tristesse, il lui remet en mémoire quelques biens qu'elle avait déjà reçus, et lui en promet de nouveaux. Il l'appelle «belle» de nouveau, et la nomme son «amie:» si je vous ai parlé un peu rudement, mon amie, dit l'Époux, ne croyez pas que ce soit par aversion, ou par aigreur, les dons que je vous ai prodigués et dont je vous ai ornée sont des preuves évidentes de mon amour. Je n'ai pas dessein de vous les ôter, mais plutôt de vous en donner de plus grands. Ou bien ne vous fâchez point, mon amie, de ce que vous ne recevez pas présentement ce que vous demandez, puisque vous avez déjà reçu de moi de si grandes faveurs, et en recevrez encore de plus grandes, si vous accomplissez mes préceptes, et persévérez dans mon amour. Voilà pour la suite de la lettre.

2. Maintenant voyons les choses qu'il dit lui avoir données. Premièrement, il l'a rendue semblable à son armée environnée des chariots de Pharaon, en la délivrant du joug du péché, par la destruction de toutes les oeuvres de la chair, de même que le peuple juif fut délivré de la servitude de l'Égypte, quand les chariots de Pharaon furent renversés et submergés dans la mer Rouge (Ex 14,28). Cette grâce sans doute est bien grande; et je crois ne pas commettre une folie, en me glorifiant de l'avoir aussi reçue, puisque en cela je ne dirai rien qui ne soit véritable, je le confesse donc, et je le confesserai sans cesse, si le Seigneur ne m'eût assisté, il s'en eût peu fallu que mon âme ne tombât dans l'enfer (Ps 84,17). Je ne suis ni ingrat ni oublieux, je chanterai éternellement les miséricordes du Seigneur (Ps 94,1). Mais laissons là la ressemblance que j'ai avec l'Épouse. Après qu'elle a été ainsi délivrée par une bonté singulière de l'Époux, elle devient son amie et elle est revêtue d'une beauté incomparable comme Épouse du Seigneur; mais cette beauté n'est encore que sur les joues et sur le coeur. De plus, il lui promet des colliers pour la parer. et des pendants d'oreilles d'or, comme étant plus gracieux, et marquetés d'argent pour être plus beaux. Qui n'aimerait l'ordre même de ces dons? D'abord elle est délivrée, ensuite elle est aimée, puis elle est baignée et purifiée, et enfin on lui promet de riches et magnifiques parures.

3. Je ne doute point que quelques-uns de vous ne sentent déjà en eux-mêmes ce que je dis, et ne me préviennent par l'expérience qu'ils en ont. Mais je me souviens de ce mot du Prophète: «Vos paroles répandent la lumière, et donnent l'intelligence aux simples et aux petits (Ps 119,130).» Et c'est pour eux, je crois, qu'il est à propos d'expliquer ceci avec un peu plus d'étendue. Car l'esprit de sagesse est doux, et il aime un maître doux et diligent, qui, tout en s'efforçant de contenter ceux qui sont prompts à comprendre, ne dédaigne pas de condescendre à la faiblesse de ceux qui ont l'esprit plus lent. D'ailleurs la sagesse même a dit: «ceux qui me rendent claire, auront la vie éternelle (Si 24,31).» Je serais bien fâché d'être privé de cette récompense. Après tout, dans les choses qui me paraissent faciles, il y en a souvent de cachées, et telles, qu'il n'est pas superflu de les expliquer avec soin aux plus capables et aux plus pénétrants.

4. Mais considérez la comparaison de Pharaon et de son armée avec la cavalerie du Seigneur. On ne compare pas ces deux armées entre elles, mais on les compare toutes deux à une autre chose, car quel rapport y a-t-il entre la lumière et le ténèbres, et quel rapprochement entre le fidèle et l'infidèle? L'Époux compare sans doute l'âme sainte et spirituelle, à l'armée du Seigneur; Pharaon au diable, et les armées de l'un à celles de l'autre. Vous ne serez pas étonnés qu'une âme soit comparée à une armée entière, lorsque vous considérerez les armées de vertus qui se trouvent dans cette âme sainte, quel ordre règne dans ses mouvements, quelle discipline dans ses moeurs, quelle force dans ses prières, quelle vigueur dans ses actions, quelle ferveur dans son zèle; et enfin quels combats elle livre à ses ennemis, et combien elle remporte de victoires sur eux. Aussi lisons-nous dans la suite de ce Cantique, qu'elle «est terrible comme une armée rangée en bataille (Ct 6,3). Et encore, «que verrez-vous dans la Sunamite, sinon des ordres de bataille (Ct 8,1)?» O, si cette explication ne vous agrée pas, sachez qu'une âme pieuse n'est jamais sans une troupe d'anges qui la gardent, avec une jalousie toute divine, ayant soin de la conserver pour son Époux, et dé la rendre chaste et vierge à Jésus-Christ. Ne dites point en vous-mêmes; où ont-ils? qui les a vus? Le prophète Élisée les a vus, et a obtenu de plus, par la prière, que Giési les vit aussi (2R 6,17). Si vous ne les voyez pas, c'est que vous n'êtes ni Prophète, ni serviteur d'un Prophète. Le patriarche Jacob les vit, et dit: «C'est là l'armée de Dieu (Gn 32,2).» Le Docteur des nations les vit aussi, puisqu'il disait . «Tous les esprits bienheureux ne sont-ils pas les ministres de Dieu, envoyés pour servir ceux qui sont destinés à l'héritage du salut (He 14)?»

5. Aussi l'Épouse sous la protection des anges, et environnée de ces troupes célestes, est semblable à l'armée du Seigneur, à cette armée qui autrefois, au milieu des chariots de Pharaon, triompha de ses ennemis par un miracle étonnant de l'assistance divine (Ex 14,18). Car si vous considérez attentivement toutes les choses que vous admirez dans un événement si prodigieux, vous en trouverez ici qui ne sont pas moins dignes d'admiration. Et même on peut dire que le triomphe ici est plus magnifique, puisque les merveilles qui se sont faites alors en des choses corporelles, s'accomplissent à présent d'une manière spirituelle. Ne vous semble-t-il pas, en effet, qu'il y a bien plus de gloire et de valeur, à terrasser le diable que Pharaon, et à dompter les puissances de l'air, qu'à renverser les chariots de ce prince? Là on combattait contre la chair et le sang, et ici on combat contre les puissances invisibles, contre les princes du monde et des ténèbres, contre les esprits malins qui volent dans l'air (Ep 11,12). Poursuivez avec moi les autres membres de cette comparaison. Là le peuple est tiré de l'Egypte; ici l'homme est tiré du siècle. Là Pharaon, ici le diable est terrassé. Là ce sont les chariots de Pharaon qui sont renversés; ici ce sont les désirs de la chair et du siècle, toujours en guerre avec l'âme, qui sont anéantis! Ceux-là sont submergés dans les flots, ceux-ci le sont dans les larmes; les uns dans le flot de la mer, les autres dans les larmes amères. Je crois que lorsqu'il arrive que les démons rencontrent une âme de telle sorte, ils crient comme les Egyptiens; «Fuyons Israël, car le Seigneur combat pour lui (Ex 14,15).» Voulez-vous encore que je vous marque quelques-uns des princes de la suite de ce Pharaon mystique par leurs noms propres, et que je vous décrive quelques-uns de ses chariots, sur lesquels vous vous pourrez régler pour trouver les autres de vous-mêmes? Un des grands princes du roi spirituel et invisible d'Egypte est la malice. «L'intempérance et l'avarice» en sont encore deux grands. Et ces princes ont chacun, sous leur roi, des empires renfermés dans les limites qui leur ont été prescrites. Car la malice étend sa domination dans la région des crimes et des forfaits. L'intempérance est à la tête de toutes les actions déshonnêtes. L'avarice étend son empire sur les rapines et sur les fraudes.

6. Écoute? aussi quels sont les chariots que ce Pharaon a préparés à ses princes pour poursuivre le peuple de Dieu. La Malice a un chariot à quatre roues, lesquelles sont la cruauté, l'impatience, l'audace et l'imprudence. Ce chariot est prompt à répandre le sang, qui n'est point arrêté par l'innocence, ni retardé par la patience, ni arrêté par la crainte, ni retenu par la pudeur. Il est attelé de deux chevaux d'une grande rapidité, et qui sont très-propres à causer toute sorte de maux et de dégâts, ce sont la puissance de la terre, et la pompe du siècle. Car le chariot de la malice s'avance avec une prodigieuse vitesse, lorsque, d'une part, il a la puissance pour accomplir ses desseins pernicieux, et de l'autre la pompe qui lui applaudit et le félicite, lorsqu'il a commis les plus grands crimes, en sorte que cette parole de l'Écriture s'accomplit: «Le pécheur est loué dans ses désirs, et le méchant reçoit des bénédictions.» (Ps 10,3) Et ailleurs C'est maintenant le temps de votre règne, et de la puissance des ténèbres.» (Lc 22,52) Ces deux chevaux sont conduits par deux cochers, l'Enflure et la Jalousie. L'enflure mène la pompe, et la Jalousie la puissance. Car le coeur enflé par la vanité, est emporté avec violence dans l'amour des pompes du diable; tandis que celui que la crainte retient à la même place, que la gravité rend modeste , l'humilité solide, la pureté sain et entier, ne saurait jamais être emporté par le vent de la vaine gloire. De même, l'autre cheval de la puissance de la terre est conduit par la Jalousie qui le presse des deux éperons de l'envie, je veux dire par la crainte de tomber et l'appréhension de succomber. Tels sont, en effet, les aiguillons, qui piquent sans cesse les flancs des puissances de la terre. Voilà pour ce qui est du chariot de la malice.

7. Celui de l'intempérance roule aussi sur quatre vices, comme sur quatre roues, qui sont les appétits du ventre, la passion du sexe, la noblesse des habits et la langueur de la somnolence. Il est aussi attelé de deux chevaux, la prospérité et l'abondance; ceux qui les conduisent sont: l'engourdissement de la paresse, et la confiance téméraire; car l'abondance de toutes choses produit aisément la paresse, et, selon l'Écriture, la «prospérité des fous sera cause de leur perte (Pr 1,32),» sans doute parce qu'elle leur donne une confiance téméraire. Mais lorsqu'ils parleront le plus de paix et d'assurance, ils se trouveront accablés par une ruine soudaine (1Th 5,3). Ils n'ont besoin ni d'éperons, ni de fouet, ni d'antres choses semblables, mais, au lieu de cela, ils se servent d'un petit parasol pour faire de l'ombre, et d'un éventail pour faire du vent. Ce parasol, c'est la dissimulation, qui fait comme une espèce d'ombre dans l'âme, et la met à l'abri de l'ardeur dévorante des soucis. Car c'est le propre d'une âme molle et délicate, de ne vouloir pas prendre même les soins nécessaires, de peur d'en sentir la peine, et de se cacher comme sous le voile d'une dissimulation affectée. L'éventail, c'est la prodigalité qui produit le vent de la flatterie. Car les personnes débauchées sont prodigues et paient de leur bourse le vent qui sort de la bouche des flatteurs: mais en voilà assez sur ce sujet.

8. L'avarice est aussi traînée sur un chariot qui a quatre vices en guise de roues qui le portent, ce sont: la timidité, l'inhumanité, le mépris de Dieu, l'oubli de la mort. Les chevaux qui le traînent sont la mesquinerie et la rapacité. Il n'est qu'un cocher pour les conduire, c'est l'ardeur d'amasser. Car l'avarice se contente d'un seul serviteur, ne voulant pas faire la dépense d'en avoir plusieurs. Mais ce serviteur exécute ce qui lui est commandé avec une ardeur infatigable, ses deux fouets pour punir les chevaux sont la passion d'acquérir et la crainte de perdre.

9. Le roi d'Égypte a encore d'autres princes, qui ont aussi leurs chariots, pour servir leurs maîtres dans les combats. Tel est l'Orgueil, un des plus grands seigneurs de sa cour; telle est aussi l'Impiété, l'ennemie de la foi, qui tient un rang considérable dans la maison de Pharaon. Il y en a encore plusieurs autres d'un ordre inférieur, tant satrapes que chevaliers, dont le nombre est infini dans son armée, et je vous laisse à en chercher les noms et. les offices, ainsi que les armes et les appareils de guerre , pour vous exercer en ces choses. C'est ainsi que l'invincible Pharaon, plein de confiance en la force de ses princes et de ses chariots, court de fous côtés, et, comme un cruel tyran, exerce autant qu'il peut sa fureur et sa rage contre toute la famille du Seigneur, et poursuit même encore aujourd'hui Israël qui sort de l'Egypte. Mais ce peuple de Dieu, bien qu'il ne soit ni porté sur des chariots, ni couvert d'armes, ne laisse pas, fortifié par la main du Seigneur, de dire avec confiance: «Chantons un hymne de louanges au Seigneur, car il a fait ouïr avec magnificence l'éclat de sa gloire, il a renversé dans la mer le cheval et le cavalier (Ex 15,1). Et ceux qui nous attaquent mettent toute leur confiance dans leurs chariots et dans leurs chevaux; mais, pour nous, nous la mettons dans le nom du Seigneur notre Dieu que nous invoquons (Ps 29,8).» Voilà pour ce qui regarde la comparaison de l'armée du Seigneur et des chariots de Pharaon.

10. Après cela, l'Épouse est appelée «Amie.» Car pour l'Époux, il était ami avant même qu'il l'eût rachetée; autrement il n'eût jamais racheté une personne qu'il n'aurait pas aimée. Mais elle, elle est devenue son amie par le bienfait de la rédemption. Écoutez un apôtre qui en demeure d'accord: «Ce n'est pas que nous l'ayons aimé, mais c'est qu'il nous a aimés le premier (Jn 4,10).» Souvenez-vous de Moïse et de l'Éthiopienne, et reconnaissez que, dès lors était figuré le mariage spirituel du Verbe avec l'âme pécheresse, et discernez, si vous le pouvez, ce qui vous donne le plus de consolation et de plaisir en considérant un mystère si doux; est-ce la bonté incomparable du Verbe, la gloire inestimable de l'âme, ou la soudaine confiance du pécheur? Mais Moïse ne put changer la peau de l'Éthiopienne, au lieu que Jésus-Christ a fait ce changement. Car nous lisons ensuite; «Vos joues sont belles comme celles d'une tourterelle.» Mais réservons cela pour un autre discours, afin que, prenant toujours avec appétit les mets qui nous sont servis sur la table de l'Époux, nous exhalions les louanges, et célébrions la gloire de Jésus-Christ Notre-Seigneur, qui est Dieu par dessus tout, et béni à jamais. Ainsi soit-il.



Bernard sur Cant. 37