Catena Aurea 4353

vv. 53-58



4353 Mt 13,53-58

S. Jér. Après ces paraboles que Notre-Seigneur avait proposées au peuple et que les apôtres seuls avaient comprises, il vint dans sa patrie pour y enseigner plus ouvertement. C'est ce que l'Évangéliste rapporte en ces termes: «Lorsque Jésus eut achevé ces paraboles», etc. - S. Aug. (de l'accord des Evang., 2, 45). Saint Matthieu passe de ces discours en paraboles à un autre sujet sans indiquer qu'il suit un ordre rigoureux d'autant plus que saint Marc (Mc 4) et saint Luc (Lc 8), en cela différents de saint Matthieu, paraissent avoir disposé leur narration d'une manière plus conforme à l'ordre chronologique des faits, en plaçant après ces paraboles les deux miracles du sommeil de Jésus dans la barque pendant la tempête et des démons chassés, miracles que saint Matthieu a entremêlés précédemment dans son récit.

S. Chrys. (hom. 49). L'Évangéliste appelle ici Nazareth sa patrie; il n'y fit pas beaucoup de miracles, ainsi qu'il le dit plus bas, mais il les multiplia dans Capharnaüm, où il développa en même temps sa doctrine qui ne devait pas moins les frapper d'admiration que ses miracles. - Remi. Il enseignait dans les synagogues où les Juifs se rassemblaient en foule, parce qu'il était descendu du ciel sur la terre pour le salut d'un grand nombre. - «De sorte qu'étant saisis d'étonnement, ils disaient: D'où lui est venue cette sagesse et cette puissance ?» La sagesse se rapporte à sa doctrine, la puissance aux miracles qu'il opérait.

S. Jér. Aveuglement inconcevable des Nazaréens, ils s'étonnent que la sagesse possède la sagesse, et que la puissance fasse éclater la puissance (cf. 1Co 1,24). La cause de leur erreur est évidente; ils ne voient dans Jésus que le fils d'un charpentier. - S. Chrys. (hom. 49). Leur aveuglement et leur folie s'étendent à tout, ils cherchent à le rabaisser par celui qu'ils regardent comme son père; cependant l'histoire des temps anciens leur offrait un grand nombre d'exemples d'enfants illustres nés de parents sans distinction: David était fils de Jessé, simple laboureur; Amos était fils de bergers et berger lui-même. C'était au contraire une raison de lui témoigner plus d'honneur, puisque, malgré sa naissance si humble, il prêchait une doctrine si relevée, car il était évident qu’elle n'était pas le résultat d'une éducation tout humaine, mais un effet de la grâce divine. - S. Aug. (Serm. pour la Nativ. de Notre-Seign.) Le Père du Christ est en effet ce divin charpentier qui a fait l'univers avec tout ce qu'il renferme, qui a donné le plan de l'arche de Noé et fait connaître à Moïse l'ordonnance du tabernacle, établi l'arche d'alliance; divin charpentier, dis-je qui aplanit les intelligences raboteuses et retranche toutes les pensées orgueilleuses. - S. Hil. (can. 14). Il était aussi le Fils de cet ouvrier qui dompte le fer par le feu, qui dissout toute la puissance du monde dans les ardeurs de son jugement, qui plie la matière aux usages de l'homme et qui donne à nos corps leur forme pour que les membres puissent remplir leurs divers offices et concourir aux oeuvres de la vie éternelle.

S. Jér. Après s'être trompés sur le père de Jésus, il n'est point surprenant qu'ils se trompent également sur ses frères: «Est-ce que sa mère ne s'appelle pas Marie et ses frères Jacques et Joseph ?» - S. Jér. (contre Helvid). Ceux qu'ils appellent les frères du Seigneur sont les enfants de sa tante, Marie de Cléophas, femme d'Alphée et mère de Jacques et de Joseph: Cette Marie était aussi la mère de Jacques le Mineur. - S. Aug. (Quest. évang., quest. 17 sur S. Matth). Il n'est pas étonnant qu'on ait appelé frères du Seigneur tous ses parents du côté maternel, puisque les Juifs, qui pensaient que Joseph était son père, appellent également ses frères tous ceux qui étaient parents de Joseph. - S. Hil. Le Seigneur se voit donc méprisé à cause de ses parents, et quoique la sagesse de son enseignement et l'éclat de ses miracles dussent exciter leur admiration, ils ne peuvent croire que c'est Dieu qui agit ici dans l'homme, parce qu'ils cherchent à l'outrager en lui rappelant le métier de son père. Au milieu donc de tant de merveilles qu'il opérait sous leurs yeux, son humanité seule fait impression sur eux, et ils disent: «D'où lui viennent toutes ces choses ?»

«Et il leur était un sujet de scandale». - S. Jér. Cette erreur des Juifs est la cause de notre salut et en même temps la condamnation des hérétiques; ils s'obstinaient tellement à ne voir qu'un homme en Jésus-Christ, qu'ils le regardaient comme le fils d'un charpentier. - S. Chrys. (hom. 49). Mais admirez ici la douceur de Jésus-Christ: il ne leur dit aucune injure, mais leur répond avec la plus grande modération: «Et Jésus leur dit: Un prophète n'est sans honneur que dans son pays et dans sa maison». - Remi. Il se donne le nom de prophète et c'est le nom que Moïse lui avait donné, lorsqu'il disait: «Dieu vous suscitera un prophète du milieu de vos frères» (Dt 18,15 Dt 18,18). Remarquons ici que ce n'est pas seulement Jésus-Christ, le chef de tous les prophètes, mais encore Jérémie et Daniel, et les autres prophètes qui ont reçu plus d'honneur et de gloire parmi les étrangers qu'au milieu de leurs concitoyens. - S. Jér. En effet, il est presque dans la nature que les habitants d'un même pays se jalousent mutuellement; ils ne considèrent pas les oeuvres actuelles de l'homme fait, ils ne se rappellent que les faiblesses de son enfance, comme s'ils n'avaient point eux-mêmes passé par les mêmes degrés pour arriver à la maturité de l'âge.

S. Hil. (can. 14). Il déclare qu'un prophète est sans honneur dans sa patrie, parce qu'il ne devait recevoir que des mépris dans la Judée jusqu'au jour où il devait être condamné à la mort de la croix, et que ce n'est qu'au milieu des fidèles qu'il a été reconnu comme la vertu de Dieu. Il ne voulut point faire de miracles par suite de leur incrédulité, comme le remarque l'Évangéliste: «Et il ne fit pas là beaucoup de miracles, à cause de leur incrédulité». - S. Jér. Ce n'est pas que leur incrédulité rendît ces miracles impossibles, mais il ne voulait pas que ces nombreux miracles fussent une cause de condamnation pour ses concitoyens. - S. Chrys. (hom. 49). Mais puisqu'ils ne pouvaient s'empêcher d'admirer les prodiges qu'il opérait, pourquoi ne pas les multiplier parmi eux? C'est que le Sauveur n'agissait point par ostentation et ne recherchait que l'utilité des autres; or, il ne voyait pas ici cette utilité, il néglige donc ce qui lui est personnel pour ne pas augmenter leur culpabilité et leur châtiment. Mais pourquoi donc en fit-il quelques-uns? Afin de leur ôter tout prétexte de dire: «Si vous aviez fait des miracles, nous aurions cru». - S. Jér. On peut encore entendre ces paroles dans un autre sens, c'est-à-dire que Jésus a été méprisé dans sa maison et dans sa patrie (par le peuple juif), et qu'il n'y a fait que peu de miracles, afin qu'ils ne fussent pas entièrement inexcusables. Tous les jours, au contraire, il opère par ses Apôtres de plus grands prodiges au milieu des nations, moins pour la guérison des corps que pour le salut des âmes.


CHAPITRE XIV


vv. 1-5

4401 Mt 14,1-5

La Glose. L'Évangéliste, après nous avoir raconté l'interprétation calomnieuse que les pharisiens donnaient des miracles de Jésus-Christ et comment ses concitoyens, tout en les admirant, n'avaient cependant que du mépris pour lui, rapporte l'opinion qu'Hérode avait conçue du Christ au récit des prodiges qu'il opérait: «En ce temps-là, Hérode apprit», etc. - S. Chrys. (hom. 49). Ce n'est pas sans raison que l'Évangéliste désigne ici le temps d'une manière précise; il veut vous apprendre tout à la fois l'orgueil du tyran et son indifférence. En effet, ce n'est point tout d'abord et un des premiers, mais beaucoup plus tard, qu'il apprend les prodiges opérés par le Christ; c'est ainsi que la plupart des puissants du monde, séduits par le faste qui les environne, négligent de s'instruire des vérités du salut, parce qu'ils n'y attachent pas grande importance.

S. Aug. (de l'accord des Evang., 2, 43). Saint Matthieu dit: «En ce temps-là», et non pas: «Dans ce jour-là», ou «A cette heure»; c'est qu'en effet saint Marc, qui raconte le même fait de la même manière (Mc 6), ne suit pas le même ordre. Il le place après que Notre-Seigneur a envoyé ses disciples prêcher l'Évangile et sans faire supposer qu'il y ait une liaison rigoureuse entre ces deux faits. Saint Luc (Lc 9) suit le même ordre que saint Marc, mais sans nous forcer d'admettre que c'est l'ordre dans lequel les faits se sont passés.

S. Chrys. (hom. 49). Voyez quelle est la puissance de la vertu: Hérode redoute Jean-Baptiste, bien qu'il soit mort, et s'entretient de sa résurrection: «Et il dit à ses courtisans: C'est Jean-Baptiste». - Rab. Nous pouvons juger ici combien grande était la jalousie des Juifs. Hérode, qui n'est qu'un étranger, déclare que Jean-Baptiste est peut-être ressuscité d'entre les morts, et cela sans que personne le lui ait attesté, et les Juifs ont mieux aimé croire que le Christ, dont les prophètes avaient annoncé la résurrection, avait été enlevé frauduleusement de son tombeau, plutôt que d'admettre sa résurrection, preuve que les Gentils étaient bien mieux disposés à embrasser la foi que les Juifs. - S. Jér. Un interprète ecclésiastique demande ici comment Hérode a pu soupçonner que Jean était ressuscité d'entre les morts. Ce n'est point à nous de rendre raison d'une erreur qui nous est étrangère, et l'hérésie de la métempsycose ne peut s'appuyer sur ce passage pour soutenir qu'après bien des années révolues les âmes viennent animer des corps différents, puisque Notre-Seigneur avait trente ans lorsque Jean fut décapité.

Rab. Tous ceux qui croient à la résurrection des morts ont admis en même temps avec raison que les saints jouiront alors d'une puissance plus grande que celle qu'ils avaient lorsqu'ils étaient appesantis par l'infirmité de la chair. C'est pour cela qu'Hérode dit: «Et il se fait des miracles par lui». - S. Aug. (de l'accord des Evang). Dans saint Luc, au contraire, nous lisons: «Et Hérode dit: J'ai fait mourir Jean; quel est donc celui-ci dont j'apprends de telles choses ?» Puisque saint Luc nous représente Hérode étant encore dans le doute, il faut admettre que ce doute fit place à la conviction dans son esprit sur ce qu'on lui avait rapporté, lors qu'il dit à ses courtisans, d'après saint Matthieu: «Celui-ci est Jean-Baptiste»; ou bien il faut voir dans ces paroles l'expression d'un esprit qui doute encore, car elles sont susceptibles de ces deux sens et peuvent signifier ou bien qu'Hérode était convaincu par le rapport des autres, ou qu'il doutait encore, comme saint Luc paraît l'indiquer. - Remi. Peut-être nous demandera-t-on ici pourquoi saint Matthieu s'exprime de la sorte: «En ce temps-là Hérode apprit», etc., tandis qu'il raconte bien auparavant que ce n'est qu'après la mort d'Hérode que le Sauveur revint d'Egypte, Cette difficulté n'existe plus dès qu'on admet qu'il y eut deux Hérode. Le premier Hérode étant mort, eut pour successeur Archélaüs, son fils, qui dix ans après fut exilé à Vienne, dans les Gaules. César-Auguste divisa alors ce royaume en quatre principautés ou tétrarchies, et en donna trois parties aux enfants d'Hérode. Cet Hérode qui fit décapiter Jean-Baptiste est donc le fils du grand Hérode sous le règne duquel naquit Notre-Seigneur, et c'est pour bien marquer cette différence que l'Évangéliste lui donne le nom de tétrarque.

La Glose. L'Évangéliste ayant rapporté ce que pensait Hérode de la résurrection de Jean, sans rien dire de sa mort, revient sur ses pas pour raconter la manière dont mourut le saint précurseur. - S. Chrys. (hom. 49). Il n'a point donné à ce récit une très grande importance, car tout son dessein était de nous transmettre ce qui avait rapport à Jésus-Christ et rien autre chose, si ce n'est ce qui pouvait concourir au même but. Il le commence donc en ces termes: «Hérode ayant fait arrêter Jean, l'avait fait charger de chaînes». - S. Aug. (de l'accord des Evang., 2, 44). Saint Luc ne rapporte pas ce fait dans le même ordre, mais il le joint au récit qu'il fait du baptême de Notre-Seigneur. C'est donc la narration anticipée d'un événement qui n'arriva que longtemps après, puisqu'il le place immédiatement après les paroles de Jean-Baptiste qui nous montrent le Seigneur le van à la main. Or, d'après l'Évangéliste saint Jean, cet événement n'arriva pas aussitôt le baptême de Jésus, puisqu'il nous raconte qu'aussitôt son baptême, Jésus alla dans la Galilée, puis revint dans la Judée, y baptisa sur les bords du Jourdain, et tout cela avant que Jean fût mis en prison. Ni saint Matthieu, ni saint Marc n'ont raconté dans cet ordre la captivité de Jean-Baptiste, comme le prouvent leurs écrits, car ils rapportent que lorsque le saint précurseur fut arrêté, le Seigneur se trouvait dans la Galilée, et après avoir raconté les nombreux miracles qu'il y opéra, à l'occasion de la renommée du Christ qui parvint jusqu'aux oreilles d'Hérode, ils racontent tout ce qui a rapport à la prison et à la mort de Jean-Baptiste: Quant à la cause pour laquelle il fut jeté en prison, saint Matthieu nous la fait connaître, par ce qu'il ajoute: «A cause d'Hérodiade, épouse de son frère; car Jean lui disait: Il ne vous est pas permis d'avoir cette femme».


S. Jér. Une ancienne histoire nous apprend que Philippe, fils du premier Hérode, et frère de celui-ci, épousa Hérodiade, fille d'Aretas, roi d'Arabie. Plus tard son beau-père, par suite de certains débats qu'il eut avec son gendre, reprit sa fille, et pour punir son premier mari la donna pour femme à Hérode, ennemi de Philippe. Or, Jean-Baptiste qui était venu dans l'esprit et la vertu d'Elie, reprit Hérode et Hérodiade de cette union criminelle avec la même autorité dont Elie avait fait preuve à l'égard d'Achab et de Jézabel (1R 21,14-16 1R 21,19). Il lui déclara que du vivant de son frère, il ne pouvait épouser sa femme; et il aima mieux encourir la haine implacable du roi que de sacrifier par une basse flatterie les commandements de Dieu. - S. Chrys. (hom. 49). Cependant ce n'est pas à cette femme qu'il s'adresse, mais à celui qui l'a épousée, parce qu'il était le chef et le maître; d'ailleurs il professait probablement la loi judaïque, et c'est au nom de cette loi que Jean lui défend l'adultère.

«Et il voulait le faire mourir, mais il craignait le peuple». - S. Jér. Il craignait que la réputation de Jean qui avait baptisé un grand nombre de juifs n'excitât une sédition populaire; mais il était esclave de sa passion pour cette femme, et cette passion lui faisait perdre de vue les préceptes de la loi divine. - La Glose. La crainte de Dieu réforme la volonté coupable; la crainte des hommes l'arrête pour un instant, mais ne la change pas; elle rend plus ardents pour le crime ceux dont elle a enchaîné quelque temps les violents désirs.


vv. 6-12

4406 Mt 14,6-12

La Glose. Après avoir raconté l'emprisonnement de Jean-Baptiste, l'Évangéliste nous fait le récit de sa mort: «Or, le jour de la naissance d'Hérode», etc. - S. Jér. Nous ne voyons dans l'Écriture que Pharaon et Hérode qui aient célébré l'anniversaire de leur naissance; il était juste qu'ils fussent unis pour la célébration de cette fête comme ils l'étaient par leur impiété.

Remi. Il faut se rappeler que non seulement les femmes riches, mais encore les plus pauvres ont coutume d'élever leurs filles dans de si grands sentiments de pudeur, qu'elles demeurent presque invisibles pour les étrangers. Mais cette femme impudique apprit à sa fille à braver toute pudeur, et loin de lui donner des leçons de modestie, lui enseigna des danses lascives. Hérode ne fut pas moins coupable d'avoir oublié que sa maison était une maison royale et d'avoir permis à cette femme d'en faire une salle de spectacle. «Et elle plut à Hérode», etc.

S. Jér. Je ne puis excuser Hérode d'avoir commis cet homicide malgré lui et contre sa volonté, et par respect pour son serment; car peut-être ne l'avait-il fait que pour préparer les voies à ce meurtre affreux. Mais puisqu'il veut se justifier en alléguant son serment, l'aurait-il exécuté si on lui eût demandé la mort de son père ou de sa mère? Il n'aurait fait aucun cas de ce serment s'il se fût agi de personnes qui le touchassent de si près; ne devait-il pas le respecter davantage quand on lui demandait la tête d'un prophète? - Isid. Lorsque vos promesses sont mauvaises, gardez-vous de les mettre à exécution; la promesse qui ne peut s'accomplir que par un crime est une impiété, et on ne doit pas observer un serment par lequel on s'est imprudemment engagé à commettre le mal.

«Celle-ci ayant été instruite auparavant par sa mère dit: Donnez-moi présentement dans un bassin la tête de Jean-Baptiste». - S. Jér. Hérodiade, craignant qu'Hérode ne vint à se repentir ou ne se réconciliât avec son frère Philippe, et que les liens criminels qui l'unissaient à Hérode ne fussent rompus par une répudiation, commande à sa fille de demander immédiatement et au milieu du repas la tête de Jean. Le sang était le digne prix des pas d'une infâme danseuse.

S. Chrys. (hom. 49). Cette fille est doublement coupable, par sa danse lascive, et pour avoir séduit Hérode à ce point qu'elle pût demander un meurtre pour récompense. Voyez quelle cruauté dans cette danseuse impudique, et quelle faiblesse dans Hérode: il se lie par un serment, et il la rend maîtresse de la demande qu'elle voudra lui faire. Lorsqu'il vit le crime qui allait résulter de cette demande, il s'attriste, dit l'Évangéliste: «Et le roi fut contristé». Car la vertu force les méchants eux-mêmes à lui payer le tribut de leur admiration et de leurs louanges. - S. hért. Ou bien dans un autre sens, c'est la coutume des Écritures que l'écrivain sacré rapporte comme la vérité l'opinion la plus commune parmi les contemporains. Ainsi, de même que Marie elle-même appelle Joseph le père de Jésus (Lc 2,48), ainsi l'Évangéliste nous dit qu'Hérode fut contristé, parce que telle fut l'opinion des convives. Car ce fourbe, habile à dissimuler les sentiments de son âme, cet artisan d'homicide affectait un air triste pendant que son coeur était dans la joie. «A cause du serment», etc. Il fait servir son serment d'excuse à son crime et devient impie en se couvrant du manteau de la religion. L'Évangéliste ajoute: «Et à cause de ceux qui étaient à table avec lui». C'est-à-dire qu'Hérode veut les rendre tous complices de son crime, et, dans un festin où préside l'impureté, leur servir des mets ensanglantés.

S. Chrys. (hom. 49). Mais s'il craignait d'avoir des témoins de son parjure, ne devait-il pas craindre beaucoup plus d'avoir tant de témoins de ce meurtre impie? - Remi. C'est ainsi qu'un premier crime l'a entraîné dans un crime plus grand encore, il n'a point étouffé un désir impudique, il est tombé dans la débauche, et pour n'avoir pas mis de frein à sa passion voluptueuse, il s'est précipité dans le crime affreux de l'homicide. «Et il envoya couper la tête à Jean», etc. - S. Jér. Nous lisons dans l'histoire romaine que Flaminius, général romain, ayant près de lui, dans un festin, une courtisane qui lui disait qu'elle n'avait jamais vu d'homme décapité, commanda qu'un criminel condamné à mort fût exécuté sous ses yeux, au milieu même du banquet. Les censeurs le chassèrent du sénat pour avoir osé associer l'horreur du sang répandu aux joies d'un festin, et donné comme un spectacle agréable la mort d'un homme, bien que coupable, joignant ainsi le libertinage à l'homicide. Mais combien plus grand fut le crime d'Hérode, d'Hérodiade et de cette jeune fille qui, comme prix d'une danse lascive, demande la tête d'un prophète, pour avoir en sa puissance cette langue qui avait condamné un commerce criminel.

«Et la tête de Jean fut donnée à cette fille» - S. Grég. (Moral. 3, 5). Ce n'est pas sans un étonnement profond que je considère cet homme, rempli de l'esprit de prophétie dès le sein de sa mère (Lc 1,41), et qui n'en eut point de plus grand que lui parmi ceux qui sont nés des femmes, jeté en prison par les méchants, décapité pour récompenser la danse lascive d'une jeune fille, et mourant, lui d'une sainteté si éminente, pour l'amusement de gens infâmes ! Pourrions-nous penser, en effet, que cette mort ignominieuse a été la peine de quelques fautes de sa vie? Non, Dieu n'abaisse et n'humilie ainsi ses élus sur la terre, que parce qu'il sait comment il les récompensera dans les cieux; concluons de là ce que souffriront un jour ceux qu'il réprouve, s'il tourmente ainsi ceux qu'il aime. - S. Grég. (Moral. 29, 16). Jean-Baptiste n'a pas été mis à mort pour avoir confessé le nom du Christ, mais comme victime de la vérité et de la justice. Or, comme le Christ est la vérité, c'est pour le Christ qu'il a combattu jusqu'à la mort.

«Ses disciples vinrent ensuite», etc. - S. Jér. Nous pouvons entendre ici les disciples de Jean aussi bien que ceux du Sauveur. - Rab. Josèphe raconte que Jean fut amené chargé de chaînes au château de Machéronte, et que ce fut là qu'il fut décapité. L'histoire nous apprend d'ailleurs qu'il fut enseveli dans Sébaste, ville de Palestine, appelée autrefois Samarie.

S. Chrys. (hom. 50). Remarquez comment les disciples de Jean sont entrés dans une plus grande intimité avec Jésus; ce sont eux qui viennent le trouver pour lui annoncer la mort du saint précurseur: «Et ils vinrent l'annoncer à Jésus». Ils abandonnent tous les autres pour se réfugier auprès de Jésus-Christ, après avoir été amenés à lui peu à peu, et par la réponse qu'il leur avait faite, et par le malheur qu'ils venaient d'éprouver.

S. Hil. (can. 12). Dans le sens mystique, Jean est la figure de la loi, parce que c'est la loi qui a prédit le Christ, et c'est en prenant son point de départ dans la loi qu'il annonçait lui-même le Christ. Hérode est le roi du peuple, et en cette qualité, il représente seul la personne et la cause de tout le peuple qui lui est soumis. Jean-Baptiste rappelait à Hérode qu'il lui était défendu d'épouser la femme de son frère; car le peuple de la circoncision et les Gentils forment deux peuples distincts. Ces peuples sont frères et descendent de la souche commune du genre humain. Mais la loi défendait au peuple d'Israël de se mêler aux oeuvres des Gentils et d'imiter leur incrédulité, qui leur était étroitement unie comme par les liens intimes du mariage. Or, le jour de sa naissance, c'est-à-dire au milieu des joies profanes de la terre, la fille d'Hérodiade dansa; car la volupté qui est comme la fille de l'infidélité, se mêlait à toutes les joies d'Israël avec tous les mouvements désordonnés de ses charmes séducteurs, et le peuple lui était vendu comme par un serment. En effet, les Israélites vendirent honteusement les biens ineffables de la vie éternelle en se livrant aux péchés et aux voluptés du siècle. Cette volupté, sous l'inspiration de sa mère, c'est-à-dire de l'incrédulité, a demandé qu'on lui apportât la tête de Jean-Baptiste, c'est-à-dire la gloire de la loi; mais le peuple, convaincu du bien que renfermait la loi, ne consent pas aux exigences de la volupté sans ressentir une vive douleur du danger auquel il s'expose; il sait qu'il n'aurait pas dû sacrifier la gloire des commandements qui lui ont été donnés, mais enchaîné par ses péchés comme par un serment, dépravé et vaincu par la crainte et par l'exemple des princes qui l'entourent, il obéit avec tristesse aux séductions de la volupté. La tête de Jean est donc apportée dans un plat à la fin des joies dissolues de ce peuple impudique. C'est toujours au détriment de la loi qu'on voit se développer et s'accroître la volupté des sens et le luxe des mondains. Cette tête passe des mains de la mère dans celles de la fille; c'est ainsi que le peuple d'Israël, par un trait de honteuse lâcheté, livre la gloire de la loi à la débauche et à l'incrédulité. Les temps que devait durer la loi étant expirés et ensevelis avec Jean-Baptiste, ses disciples viennent annoncer au Sauveur ce qui vient d'avoir lieu, et passent ainsi de la loi à l'Évangile.

S. Jér. Ou bien encore, nous voyons jusqu'à ce jour dans cette tête de Jean-Baptiste, qui était prophète, les Juifs qui ont perdu Jésus-Christ, la tête et le chef des prophètes. - Rab. C'est parmi eux que le prophète a perdu la langue et la voix. - Remi. Ou bien la décollation de Jean-Baptiste signifie la diminution, l'amoindrissement que subit sa réputation dans l'opinion des Juifs, qui s'étaient imaginés qu'il était le Christ (Lc 3,15); de même que l'élévation du Seigneur sur la croix représente le progrès de la foi, et c'est dans ce sens que Jean avait dit (Jn 1): «Il faut qu'il croisse, et moi que je diminue».


vv. 13-14

4413 Mt 14,13-14

La Glose. Le Sauveur ayant appris la mort de celui qui l'avait baptisé, se retira dans la solitude: «Jésus l'ayant appris, il monta dans une barque et se retira dans un lieu désert». S. Aug. (de l'accord des Evang., 2, 45). L'Évangéliste place cette retraite du Sauveur immédiatement après le martyre de Jean-Baptiste: donc ce n'est qu'après la mort du précurseur qu'est arrivé ce fait qu'il a raconté d'abord: «Hérode, troublé de ce qu'on lui apprenait de Jésus, dit: C'est Jean-Baptiste !» Mt 14,2 On doit donc regarder comme arrivés postérieurement les faits racontés par saint Luc, que le bruit public porte jusqu'aux oreilles d'Hérode, et qui lui font demander avec inquiétude quel est celui dont il apprend de telles choses, après qu'il a fait lui-même mourir Jean-Baptiste. - S. Jér. S'il se retire dans un lieu désert, ce n'est point par crainte de la mort, comme se l'imaginent quelques-uns, mais pour épargner à ses ennemis d'ajouter un second homicide au premier. Peut-être aussi voulait-il différer sa mort jusqu'à la fête de Pâques, jour où l'agneau figuratif devait être immolé, et où les portes des croyants devaient être marquées de son sang. Peut-être encore se retira-t-il pour nous donner l'exemple de ne point nous exposer avec témérité à la persécution; car tous ne supportent pas les tourments avec la même constance qu'ils mettent à les affronter. C'est pour cela qu'il nous dit dans un autre endroit: «Lorsqu'ils vous persécuteront dans une ville, fuyez dans une autre» (Mt 10,23). L'expression dont se sert l'Évangéliste est d'ailleurs parfaitement choisie; car il ne dit pas: Il s'enfuit dans un lieu désert, mais: Il se retira, de manière qu'il se dérobe plutôt à ses persécuteurs qu'il ne les craint. Il a pu aussi, en apprenant la mort de Jean-Baptiste, se retirer dans le désert pour un autre motif, c'est-à-dire pour éprouver la foi de ceux qui croyaient en lui. - S. Chrys. (hom. 50). Ou bien encore, c'est qu'il voulait agir comme homme dans beaucoup de choses, le temps n'étant pas encore arrivé de dévoiler sa divinité; c'est pour cela qu'il défend ailleurs à ses disciples de dire à personne qu'il est le Christ, tandis qu'après sa résurrection il veut qu'on le publie hautement. C'est pour le même motif qu'il ne voulut pas se retirer avant qu'on lui eût appris ce qui venait d'arriver, bien qu'il le sût parfaitement de lui-même Mt 16, pour établir en toute circonstance la vérité de son incarnation, et la faire croire non seulement par le témoignage des yeux, mais par celui des oeuvres. Or, il se retire, non pas dans une ville, mais dans le désert, et en montant dans une barque, afin que personne ne pût le suivre. Mais le peuple ne l'abandonne pas, et ne laisse pas de le suivre, sans être effrayé de ce qui est arrivé à Jean-Baptiste. «Et le peuple l'ayant su, le suivit à pied», etc.

S. Jér. Le peuple suit le Sauveur non sur des chars ou sur des bêtes de somme, mais en se soumettant aux fatigues d'un long voyage à pied, pour montrer le désir qu'il avait de s'attacher à Jésus. - S. Chrys. (hom. 50). Cette sainte ardeur fut aussitôt récompensée. «Lorsqu'il sortait, dit l'Évangéliste, il vit une grande multitude et il en eut compassion, et il guérit leurs malades». L'affection de ce peuple, qui abandonnait ses demeures pour le chercher avec tant d'empressement, était bien grande; mais ce qu'il faisait en leur faveur était bien supérieur aux efforts de leur zèle: aussi l'Évangéliste donne-t-il comme cause de ces guérisons la miséricorde. Quelle plus grande miséricorde, en effet, que celle qui guérit tous les malades qu'on lui présente, sans exiger d'eux la foi !

S. Hil. (can. 14). Dans le sens mystique, le Verbe de Dieu, lorsque la loi a cessé d'exister, monte dans une barque pour se réunir à l'Église et se dirige vers le désert; il rompt tout commerce avec le peuple d'Israël et passe dans les coeurs qui étaient vides de la connaissance de Dieu. Le peuple, l'ayant appris, sort de la ville pour le suivre au désert, et quitte ainsi la synagogue pour entrer dans l'Église. A cette vue, le Sauveur a pitié d'eux et guérit toutes leurs langueurs et toutes leurs infirmités, c'est-à-dire qu'il purifie les âmes et les corps plongés dans la léthargie de l'incrédulité, pour les rendre capables de comprendre la doctrine de la loi nouvelle. - Rab. Remarquons encore que c'est après qu'il s'est retiré dans le désert que la foule le suit, car il n'était adoré que par un seul peuple avant qu'il se rendît dans la solitude des nations. - S. Jér. Ils abandonnent leurs villes, c'est-à-dire leurs anciennes habitudes et leurs diverses croyances. Jésus va à leur rencontre et nous apprend par là que si ce peuple avait la volonté de venir le trouver il n'en avait pas la force, et c'est pour cela qu'il sort lui-même et le prévient.


vv. 15-21

4415 Mt 14,15-21

S. Chrys. (hom. 50). Ce qui montre la foi de ce peuple, c'est que malgré la faim qu'il éprouve, il persévère avec le Sauveur jusqu'au soir. «Le soir étant venu, ses disciples s'approchèrent de lui et lui dirent: Ce lieu-ci est désert». Notre-Seigneur, qui a le dessein de donner à manger à cette multitude, attend cependant qu'il en soit prié. C'est ainsi que jamais Il ne s'empresse de faire des miracles, mais qu'il attend toujours qu'on lui en fasse la demande. Mais pourquoi donc n'en est-il pas un seul dans toute cette multitude pour s'approcher de lui? C'est par un profond sentiment de respect, et le désir ardent d'être toujours avec lui leur fait oublier le besoin de la faim. Les disciples eux-mêmes ne viennent pas lui dire: Donnez-leur à manger, car leurs dispositions étaient encore trop imparfaites; mais ils lui représentent que le lieu est désert. Ce que les Juifs avaient regardé comme un miracle impossible dans le désert, lorsqu'ils disaient: «Est-ce qu'il pourra nous dresser une table dans le désert ?» (Ps 77,19) c'est ce que Jésus se propose de faire. Il conduit ce peuple dans le désert, afin que ce miracle ne laisse aucune place au doute et que personne ne puisse penser que c'est un des bourgs voisins qui a fourni le pain qu'il distribue à ce peuple. Ce lieu est désert, il est vrai, mais celui qui nourrit tout ce qui respire le remplit de sa présence, et quoique l'heure soit passée, comme le font remarquer les Apôtres, celui qui parle ici n'est pas soumis aux heures dont se composent nos journées. Bien que pour préparer ses disciples à ce miracle il eût commencé par guérir un grand nombre de malades, ils étaient encore si imparfaits qu'ils ne pouvaient soupçonner le miracle qu'il devait opérer en multipliant les pains, et c'est pour cela qu'ils lui disent: «Renvoyez le peuple», etc. Remarquez la sagesse du divin Maître: il ne leur dit pas immédiatement: «Je les nourrirai», car ils ne l'auraient pas cru facilement, mais il leur répond: «Il n'est pas nécessaire qu'ils s'en aillent, donnez-leur vous-mêmes à manger». - S. Jér. Il les presse ainsi de distribuer du pain à la multitude, pour que la grandeur du miracle devînt plus éclatante par l'aveu qu'ils feraient eux-mêmes qu'ils n'avaient pas de pain à lui donner.

S. Aug. (De l'accord des Evang., 2, 46). On peut être embarrassé pour concilier la narration de saint Jean, d'après laquelle Notre-Seigneur, à la vue de toute cette multitude, demande à Philippe comment on pourrait donner à manger à tout ce peuple (Jn 6), avec ce que raconte ici saint Matthieu, que les disciples prièrent Notre-Seigneur de renvoyer le peuple pour qu'il pût acheter des aliments dans les villages voisins. Pour résoudre cette difficulté, il suffit de dire que c'est après ces paroles que le Seigneur, ayant vu cette grande multitude, adresse à Philippe les paroles que saint Jean rapporte et qu'ont omises saint Matthieu et les autres évangélistes. Et en général, disons qu'un évangéliste peut raconter ce qu'un autre a passé sous silence, sans qu'on doive se laisser arrêter par de semblables difficultés.

S. Chrys. (hom. 50). Cette réponse du Sauveur ne suffit pas pour donner aux disciples de plus hautes idées; ils continuent de lui parler comme s'il n'était qu'un homme: «Et ils lui répondirent: Nous n'avons ici que cinq pains», etc. Cependant les disciples nous donnent ici une preuve de leur sagesse dans le peu de souci qu'ils prennent de la nourriture. Ils étaient douze et n'avaient que cinq pains et deux poissons. Ils méprisaient les besoins du corps, et ils étaient tout entiers aux choses spirituelles. Mais comme leurs pensées se tramaient encore sur la terre, le Sauveur les amène insensiblement au miracle qu'il veut opérer: «Et il leur dit: Apportez-moi ces pains». Pourquoi donc n'a-t-il pas tiré du néant ces pains avec lesquels il doit nourrir la foule? C'est pour fermer la bouche à Marcion et aux Manichéens, qui soutiennent que les créatures sont complètement étrangères à Dieu, et pour montrer par ses oeuvres que toutes les choses visibles sont sorties de sa main et ont été créées par lui. C'est ainsi qu'il prouve quel est celui qui produisit les fruits et qui a dit au commencement: «Que la terre produise les plantes verdoyantes» (Gn 1,11). Le miracle qu'il va faire n'est pas moins grand, car il ne faut pas une moindre puissance pour nourrir une grande multitude avec cinq pains et quelques poissons que pour faire sortir les fruits de la terre, et du sein des eaux les reptiles et les animaux qui ont la vie et le mouvement, double création qui le proclame le Seigneur de la terre et de la mer. L'exemple des disciples nous apprend que le peu même que nous possédons nous devons aimer à le verser dans le sein des pauvres. En effet, aussitôt que le Seigneur leur ordonne d'apporter leurs cinq pains, ils obéissent sans songer à répondre: «Comment pourrons-nous apaiser notre faim ?» «Et après avoir commandé au peuple de s'asseoir sur l'herbe, il prit les cinq pains et, levant les yeux au ciel, il les bénit», etc. Pourquoi lever les yeux au ciel et bénir ces pains? C'était pour déclarer qu'il venait du Père et qu'il était son égal. Il prouvait qu'il était égal à son Père en agissant en tout avec puissance, et il montrait qu'il venait du Père en lui rapportant tout ce qu'il faisait et en l'invoquant avant toutes ses oeuvres. C'est comme preuve de cette double vérité que tantôt il opérait ses miracles avec puissance, tantôt il priait avant de les faire. Il faut de plus remarquer que pour les miracles moins importants il lève les yeux vers le ciel, et que pour les plus éclatants, il agit avec une puissance absolue. Ainsi, lorsqu'il ressuscite les morts, quand il met un frein à la fureur des flots, quand il juge les pensées secrètes des coeurs, quand il ouvre les yeux de l'aveugle-né, oeuvres qui ne peuvent avoir que Dieu pour auteur, nous ne le voyons pas recourir à la prière; mais lorsqu'il multiplie les pains (miracle inférieur à ceux qui précèdent), il lève les yeux au ciel pour vous apprendre que même dans les prodiges moins importants il n'agit point par une puissance différente de celle de son Père. Il nous apprend en même temps à ne jamais prendre nos repas avant d'avoir rendu grâces à Celui qui nous donne la nourriture. Notre-Seigneur veut en outre opérer un miracle avec ces cinq pains pour amener ses disciples à croire en lui, car ils étaient encore bien faibles dans la foi. C'est pourquoi il lève les yeux vers le ciel. Car s'ils avaient déjà été témoins d'un grand nombre de miracles, ils n'en avaient pas encore vu de semblable.

S. Jér. Le Sauveur rompt le pain, et le pain se multiplie. Si ces pains étaient restés entiers et qu'ils n'eussent pas été partagés par morceaux, ni multipliés en si grande quantité, jamais ils n'auraient pu rassasier une si grande multitude. Or, remarquons que c'est par l'intermédiaire des Apôtres que le peuple reçoit du Seigneur cette nourriture. «Et il les donne à ses disciples». - S. Chrys. (hom. 50). Il veut en cela non seulement leur faire honneur, mais rendre impossible et l'incrédulité, et l'oubli à l'égard d'un miracle auquel leurs mains elles-mêmes rendaient témoignage. Il permet que la multitude éprouve d'abord le besoin de la faim, que les disciples s'approchent de lui, l'interrogent et lui remettent les pains entre les mains pour multiplier les preuves de ce miracle et les circonstances qui devaient en conserver le souvenir. En ne donnant aux peuples que des pains et des poissons, et en les leur distribuant d'une manière égale, il leur enseigne l'humilité, la tempérance et la charité qui devait leur faire regarder toutes les choses comme communes entre eux. Le lieu même où il les nourrit, l'herbe sur laquelle il les fait asseoir, contiennent un enseignement, car il ne veut pas seulement apaiser leur faim, mais aussi nourrir leur âme. Or, les pains et les poissons se multipliaient entre les mains des disciples, comme l'indique la suite du récit: «Et tous en mangèrent», etc. Le miracle ne s'arrêta pas là et la multiplication s'étendit au-delà du nécessaire, de manière qu'après avoir multiplié les pains entiers, il permit qu'il restât une grande quantité de morceaux. Le Seigneur veut prouver ainsi que ce sont vraiment les restes des pains qu'il a multipliés, convaincre les absents de la vérité du miracle et montrer à tous que ce n'est pas un prodige imaginaire: «Et ils emportèrent douze paniers pleins des morceaux qui étaient restés». - S. Jér. Chacun des apôtres remplit son panier avec les restes des pains multipliés miraculeusement par le Sauveur, et ces restes prouvent que ce sont de vrais pains qu'il a multipliés. - S. Chrys. (hom. 50). Il voulut qu'il restât douze corbeilles pleines, afin que Judas pût aussi porter la sienne. Il fait aussi emporter ces restes par ses disciples, et non par la foule, dont les dispositions étaient moins parfaites. - S. Jér. Le nombre de ceux qui furent rassasiés était de cinq mille et correspondait aux cinq pains qui furent distribués: «Or, le nombre de ceux qui mangèrent était de cinq mille hommes». - S. Chrys. (hom. 50). Un trait à la louange de ce peuple, c'est que les femmes comme les hommes suivaient Jésus-Christ quand le miracle fut opéré. - S. Hil. Les pains ne se multiplient pas en d'autres pains entiers, mais aux premiers morceaux en succèdent d'autres, et le pain se multiplie soit dans l'endroit qui sert de table, soit dans les mains de ceux qui s'en nourrissent.

Rab. Saint Jean, avant de raconter ce miracle (Jn 6), nous fait observer que la Pâque était proche. Saint Matthieu et saint Marc le placent immédiatement après le martyre de Jean-Baptiste, d'où nous devons conclure que le saint Précurseur fut décapité aux approches de la fête de Pâques et que c'est l'année suivante, au retour de la même fête, que s'accomplit le mystère de la passion du Sauveur.

S. Jér. Toutes les circonstances de ce miracle sont pleines de mystères. Notre-Seigneur l'opère non le matin, ni au milieu de la journée, mais le soir, lorsque le soleil de justice est couché. - Remi. Le soir signifie la mort du Sauveur, car c'est lorsque le soleil de vérité se coucha sur l'autel de la croix qu'il rassasia ceux qui étaient tourmentés par la faim. Ou bien le soir est la figure du dernier âge du monde, cet âge où le Fils de Dieu vint nourrir la multitude de ceux qui croyaient en lui. - Rab. Les disciples prient le Sauveur de renvoyer le peuple pour qu'il achète de quoi manger dans les villages voisins; c'est le dégoût que les Juifs ont pour les Gentils, qu'ils regardent comme plus propres à chercher leur nourriture dans les écoles de philosophes que dans les divins pâturages des livres sacrés.

S. Hil. (can. 14). Mais le Seigneur répond: «Il n'est point nécessaire qu'ils y aillent»; il nous apprend ainsi que ceux qu'il a guéris n'ont pas besoin de se nourrir d'une doctrine vénale et qu'il n'est pas nécessaire de retourner dans la Judée pour s'y procurer des aliments. Il commande donc à ses disciples de leur donner eux-mêmes à manger. Est-ce donc qu'il ignorait qu'ils n'avaient rien à leur donner? Mais toutes les circonstances de ce miracle demandent à être expliquées dans un sens figuré. Les Apôtres n'avaient pas encore reçu le pouvoir de consacrer et de distribuer le pain du ciel qui devait être la nourriture de la vie éternelle. Leur réponse doit être entendue dans le sens spirituel; ils étaient réduits à n'avoir que cinq pains, c'est-à-dire les cinq livres de la loi, et deux poissons, c'est-à-dire qu'ils n'avaient d'autre nourriture que la prédication de Jean-Baptiste et des prophètes. - Rab. Ou bien par ces deux poissons il faut entendre les psaumes et les prophéties; car l'Ancien Testament comprend ces trois choses la loi, les prophètes et les psaumes.

S. Hil. (can. 14). Les Apôtres ne purent d'abord donner au peuple que ces trois choses qui étaient en leur possession; mais la prédication de l'Évangile, en venant s'y ajouter, y puisa le principe de cette force divine dont les développements vont toujours croissants. Le Sauveur fait ensuite asseoir le peuple sur le gazon, ce n'est plus sur la terre qu'il se repose, mais sur le lit que lui présente la loi, et comme l'herbe repose sur la terre, chacun s'assied et se repose sur les fruits de ses oeuvres. - S. Jér. Ou bien il les fait asseoir sur le gazon, et d'après un autre Évangéliste (Mc 6), par groupes de cinquante et de cent, afin qu'après avoir foulé aux pieds les inclinations de la chair, et placé au-dessous d'eux les voluptés du siècle comme un gazon desséché, ils s'élèvent par la pénitence, représentée par le nombre cinquante, à la perfection du nombre cent. Il lève les yeux vers le ciel, pour leur apprendre à diriger leurs regards de ce côté; il leur rompt le pain de la loi avec celui des prophètes, et leur en expose les mystères, afin que ce qui ne pouvait servir de nourriture en demeurant dans son entier, pût rassasier la multitude des nations, lorsqu'il serait divisé en plusieurs parties.

S. Hil. (can. 14). Les pains sont remis entre les mains des Apôtres, car c'était par eux que les dons de la grâce divine devaient être distribués. Le nombre de ceux qui mangèrent fut le même que le nombre de ceux qui devaient embrasser la foi; car nous lisons dans le livre des Actes (Ac 4,4), que sur la multitude presque innombrable du peuple juif, cinq mille se convertirent à la foi. - S. Jér. Parmi ceux qui mangèrent de ces pains, il y eut cinq mille hommes parvenus à la plénitude de l'âge; les femmes et les enfants, (c'est-à-dire la faiblesse du sexe et celle de l'âge), ne sont pas dignes d'être compris dans ce nombre. Aussi dans le livre des Nombres (Nb 1), les esclaves, les femmes, les enfants et le bas peuple ne sont pas compris dans le dénombrement. - Rab. Pour nourrir cette multitude affamée, le Sauveur ne créé pas de nouveaux aliments, mais il prend ceux qui étaient entre les mains de ses disciples, et il les bénit; il nous apprenait ainsi qu'en venant dans une chair mortelle, il n'annonçait pas d'autres vérités que celles qui avaient été prédites, et il montrait que la loi et les prophètes renfermaient dans leur sein les plus grands mystères. Les disciples emportent les morceaux qui restent; ce sont les mystères les plus secrets, qui ne peuvent être compris des esprits grossiers; ils ne doivent pas être reçus avec négligence, mais devenir l'objet de l'étude la plus sérieuse de la part des douze Apôtres et de leurs successeurs, figurés ici par les douze paniers. Les paniers ou corbeilles servent à des usages communs, et Dieu a choisi ce qui est vil et bas aux yeux du monde, pour confondre ce qui est fort (1Co 1). On peut voir dans ces cinq mille hommes les cinq sens du corps humain, et une figure de ceux qui, sous la livrée du monde, font un bon usage des choses extérieures.



Catena Aurea 4353