Catena Aurea 9736

vv. 36-50

9736 Lc 7,36-50

Bède. L'Évangéliste venait de dire: «Et tout le peuple qui l'écoutait, reconnut la justice de Dieu, s'étant fait baptiser du baptême de Jean»; il établit maintenant par des faits la même vérité, c'est-à-dire que la sagesse a été justifiée par les justes et par les pêcheurs repentants. «Or, un des pharisiens le pria de manger avec lui», etc. - S. Grég. de Nysse. (sur la femme pécher). Ce récit renferme une leçon des plus utiles. En effet, la plupart de ceux qui se croient justes, enflés par la présomption et la vanité de leurs pensées, se séparent eux-mêmes comme des agneaux qui se séparent des boucs, avant que le jugement véritable vienne faire ce discernement; ils refusent de manger avec la foule, et ils ont en abomination tous ceux qui fuient les extrêmes, et gardent le juste milieu dans la conduite de la vie. Or, saint Luc, médecin des âmes bien plus que des corps, nous montre Dieu lui-même et notre Sauveur visitant avec bonté tous les hommes: «Il entra dans la maison du pharisien et se mit à table», non pour prendre quelque chose de sa vie coupable, mais pour le rendre participant de sa propre justice.

S. Cyr. Cependant une femme de mauvaise vie, mais conduite par un sentiment d'amour divin, vient trouver Jésus-Christ, comme celui qui peut la délivrer de toutes ses fautes, et lui accorder le pardon de ses crimes: «Et voilà qu'une femme, connue dans la ville pour pécheresse, apporta un vase de parfums», etc. - Bède. L'albâtre est une espèce de marbre nuancé de diverses couleurs, on en fait des vases destinés à contenir des parfums, qu'ils conservent, dit-on, sans altération. - S. Grég. (hom. 32 sur les Evang). Cette femme a considéré les souillures dont l'a couverte sa vie infâme, elle accourt donc pour se purifier à la source même de la miséricorde, elle ne rougit point de paraître au milieu des convives; car elle éprouve intérieurement une si grande honte d'elle-même, qu'elle compte pour rien celle qui lui vient du dehors. Voyez quelle douleur consume cette femme qui ne rougit point de verser des larmes au milieu des joies d'un festin. - S. Grég. de Nysse. Profondément convaincue de son indignité, elle se tient derrière Jésus, les yeux baissés et les cheveux épars, elle embrasse ses pieds et les inonde de larmes, elle manifeste ainsi par ses actes la tristesse de son âme, et implore son pardon: «Et se tenant derrière lui, elle commença à arroser ses pieds de ses larmes», etc. - S. Grég. Ses yeux avaient convoité toutes les jouissances de la terre, mais maintenant par la pénitence, elle en éteint le feu dans un déluge de larmes; elle avait fait servir ses cheveux à rehausser la beauté de son visage, elle s'en sert pour essuyer ses larmes: «Et elle essuyait les pieds du Sauveur avec ses cheveux». Sa bouche s'était ouverte à des paroles inspirées par l'orgueil; elle baise les pieds du Sauveur, et imprime ses lèvres sur les pieds du Rédempteur: «Et elle baisait ses pieds». Elle avait employé les parfums pour donner à son corps une agréable odeur, et ce qu'elle avait honteusement prodigué pour elle-même, elle en fait à Dieu un admirable sacrifice: «Et elle les oignait de parfum». Ainsi, autant elle a trouvé de jouissances en elle-même, autant elle offre maintenant d'holocaustes; elle égale le nombre de ses vertus au nombre même de ses crimes; elle veut que tout ce qui en elle a été un instrument pour outrager Dieu, devienne un instrument de pénitence pour lui plaire. - S. Chrys. (hom. 6 sur S. Matth). Ainsi cette femme de mauvaise vie devient plus vertueuse que les vierges; car à cette pénitence si pleine de ferveur, succède un amour plus ardent pour Jésus-Christ. Et nous ne parlons ici que de ce qui se passait à l'extérieur; car quelle ferveur bien plus grande dans les sentiments qui agitaient son âme, et dont Dieu seul était témoin !

S. Grég. (hom. 33 sur les Evang). En voyant ce spectacle, le pharisien n'a que du mépris pour cette femme, et il fait tomber ses reproches non seulement sur elle, qui ose venir trouver Jésus, mais sur le Seigneur qui l'accueille avec bonté: «Ce que voyant le pharisien qui l'avait invité, il dit en lui-même: Si cet homme était prophète, il saurait qui est celle qui le touche, et que c'est une pécheresse». Voilà ce pharisien avec son orgueil trop véritable et sa fausse justice, qui fait un crime au malade de son infirmité, et au médecin des soins qu'il lui prodigue. Sans doute, si cette femme se fût jetée à ses pieds, il l'aurait repoussée violemment avec dédain; il se fût imaginé que ce contact allait souiller son âme, parce qu'il n'était pas rempli de la véritable justice. C'est ainsi que quelques-uns de ceux qui exercent le ministère pastoral, dès qu'ils pratiquent quelques oeuvres médiocres de justice, regardent avec mépris ceux qui leur sont soumis, et affectent du dédain pour tous les pécheurs qu'ils rencontrent. Nous devons, au contraire, lorsque nous considérons l'état malheureux des pécheurs, déplorer dans leur calamité notre propre malheur, à la pensée que nous sommes déjà tombés, ou que nous pouvons tomber dans les mêmes fautes. Il faut d'ailleurs faire usage d'un grand discernement, nous devons être sévères pour les vices, pleins de compassion pour les personnes; si le pécheur doit être puni, le prochain a droit à notre charité. Je vais plus loin, et je dis que dès que le pécheur châtie lui-même par la pénitence le mal qu'il a fait, il cesse d'être pécheur, puisqu'il punit en lui-même ce que la justice divine condamne. Notre-Seigneur se trouvait donc entre deux malades, mais l'un, jusque dans sa fièvre, conservait l'usage de la raison, tandis que l'autre avait perdu l'esprit; la femme pécheresse pleurait les fautes qu'elle avait commises; le pharisien, au contraire, fier de sa fausse justice, exagérait la force de sa santé.

Tite de Bost. Cependant Notre-Seigneur qui, sans entendre les paroles du pharisien, voyait les pensées de son âme, lui prouve qu'il est le Seigneur des prophètes: «Et Jésus lui répondant, lui dit: Simon, j'ai quelque chose à vous dire». - La Glose. Il répond ici à la pensée du pharisien, que cette parole rend plus attentif: «Il répondit Maître, dites». - S. Grég. (hom. 33 sur les Evang). Le Sauveur établit une comparaison entre deux débiteurs, dont l'un doit plus, et l'autre moins: «Un créancier avait deux débiteurs», etc. - Tite. Comme s'il disait: Vous-même vous n'êtes pas sans quelque dette. Or, si vous êtes tenu par une dette quelconque, pourquoi vous enorgueillir, puisque vous avez vous-même besoin de pardon? C'est à ce pardon que Jésus fait allusion en ajoutant: «Comme ils n'avaient pas de quoi payer leur dette, il la leur remit à tous deux». La Glose. Car nul ne peut par lui-même être délivré de la dette du péché, si la grâce de Dieu ne lui octroie son pardon. - S. Grég. (hom. 33 sur les Evang). Chacun des deux débiteurs ayant obtenu la remise de sa dette, Notre-Seigneur demande au pharisien lequel des deux devra plus aimer son bienfaiteur: «Lequel l'aimera davantage? Le pharisien répond aussitôt: Celui, je pense, auquel il a le plus remis».

Remarquez que le pharisien est ici condamné par son propre aveu, et que, comme un insensé atteint de frénésie, il porte la corde qui doit servir à l'enchaîner: «Jésus lui dit: Vous avez bien jugé». Il énumère alors tous les actes de vertu de cette pécheresse, et toutes les actions répréhensibles de ce faux juste: «Et se tournant vers la femme, il dit à Simon: Voyez-vous cette femme? Je suis entré dans votre maison, vous ne m'avez point donné d'eau pour me laver les pieds; elle, au contraire, a arrosé mes pieds de ses larmes». - Tite de Bost. C'est-à-dire: Rien de plus facile que de présenter de l'eau, mais il n'est pas aussi facile de verser des larmes; vous ne m'avez pas donné ce qui vous était si facile, elle, au contraire, a versé sur mes pieds des larmes plus difficiles à répandre. Or, en lavant mes pieds avec ses larmes, elle a lavé ses propres souillures; elle les a essuyés avec ses cheveux, pour s'appliquer mes divines sueurs, et tout ce qui lui a servi à séduire, à entraîner la jeunesse dans le péché, elle l'a employé à poursuivre et à rechercher la sainteté.

S. Chrys. (hom. 6 sur S. Matth). Lorsque la pluie est tombée avec abondance, le ciel reprend sa sérénité; ainsi après une abondante effusion de larmes, le calme renaît, le nuage de nos crimes se dissipe, et nous sommes purifiés de nouveau par les larmes et la confession, comme nous avons été autrefois régénérés par l'eau et par l'esprit: «C'est pourquoi, je vous le dis: Beaucoup de péchés lui sont remis, parce qu'elle a beaucoup aimé». En effet, ceux qui se sont jetés à corps perdu dans le mal, se livrent avec autant d'énergie à la pratique du bien, au souvenir des dettes qu'ils ont contractées. - S. Grég. (hom. 33 sur les Evang). Plus donc le coeur du pécheur brûle du feu de la charité, plus aussi ce feu consume la rouille et les souillures du péché. - Tite de Bost. Il arrive souvent, en effet, qu'un grand pécheur obtient par la confession le pardon de ses fautes, tandis que celui qui n'est coupable que de fautes légères, refuse, par orgueil, de recourir au remède de la confession, comme l'indiquent les paroles suivantes: «Celui à qui on remet moins, aime moins». - S. Chrys. (hom. 68 sur S. Matth). Ayons donc une âme pleine de ferveur; car rien ne s'oppose à ce que nous parvenions à la perfection la plus éminente; que personne parmi les pécheurs ne désespère de son salut; que personne parmi les justes ne se laisse aller au relâchement; que le juste se garde d'une confiance présomptueuse (car souvent une femme de mauvaise vie le précédera dans le royaume des cieux); que le pécheur ne se décourage point; car il peut s'élever au-dessus même des plus parfaits: «Puis il dit à cette femme: Vos péchés vous sont remis».

S. Grég. (hom. 33 sur les Evang). Cette femme donc qui était venue malade trouver le médecin, obtient sa guérison, mais cette guérison même devient pour ceux qui en sont témoins une cause de maladie: «Et ceux qui étaient à table avec lui, dirent en eux-mêmes: Qui est celui-ci qui remet même les péchés ?» Mais le céleste médecin n'a point d'égard pour ces malades dont l'état ne fait qu'empirer par l'effet même des remèdes qui devaient les sauver, tandis qu'il fortifie par une parole de miséricorde celle qu'il venait de guérir: Mais Jésus dit encore à cette femme: Votre foi vous a sauvée», parce qu'en effet, elle n'a point hésité de croire qu'elle obtiendrait ce qu'elle demandait. - Théophyl. Notre-Seigneur ne se contente pas de lui accorder la rémission de ses péchés, il ajoute la grâce de faire le bien: «Allez en paix» (c'est-à-dire dans la justice); car la justice est la paix de l'homme avec Dieu, comme le péché est la guerre entre Dieu et l'homme; ce qui revient à dire: Faites tout ce qui peut vous conduire à la paix de Dieu,

S. Ambr. Il en est beaucoup pour qui ce fait évangélique est une source d'embarras, et qui se demandent si les Évangélistes ne sont point ici en contradiction. - Sévère. (Ch. des Pèr. gr). Comme les quatre Évangélistes racontent qu'une femme a répandu des parfums sur Jésus-Christ, je crois, eu égard à la condition des personnes, à leur manière d'agir, à la différence des temps, que ce sont trois personnes différentes. Ainsi saint Jean raconte de Marie, soeur de Lazare, que six jours avant la fête de Pâques, elle oignit les pieds de Jésus dans sa propre maison. Saint Matthieu, après ces paroles du Seigneur: «Vous savez que la pâque se fera dans deux jours», (Mt 26,2) ajoute, qu'à Béthanie, dans la maison de Simon le lépreux, une femme répandit des parfums sur la tête du Seigneur, et non sur ses pieds, comme Marie. Le récit de saint Marc est conforme à celui de saint Matthieu. Saint Luc enfin place ce fait, non aux approches de la fête de Pâques, mais au milieu de son Évangile. Saint Chrysostome prétend qu'il y a ici deux femmes différentes: l'une dont parle saint Jean, la seconde dont il est question dans les trois autres Évangélistes. - S. Ambr. Saint Matthieu nous rapporte que cette femme répandait ses parfums sur la tête de Jésus-Christ, aussi ne lui donne-t-il pas le nom de pécheresse; car d'après saint Luc, cette femme pécheresse répandit ces parfums sur les pieds de Jésus-Christ. On peut donc admettre que ce sont deux personnes différentes, pour justifier les Évangélistes du reproche de contradiction. On peut aussi résoudre différemment cette question, en tenant compte de la différence de mérite et de temps, c'est-à-dire que la même personne, d'abord pécheresse, était depuis entrée dans les voies de la perfection. - S. Aug. (de l'acc. des Evang., 2, 39). On peut aussi admettre que la même personne, appelée Marie, a répété la même action, une première fois, lorsque, comme le raconte saint Luc, elle s'approcha dans l'humiliation et dans les larmes, et obtint la rémission de ses péchés. Voilà pourquoi saint Jean avant de raconter la résurrection de Lazare, et lorsque Jésus n'était pas encore venu en Béthanie, s'exprime de la sorte: «Or, Marie était celle qui avait répandu des parfums sur le Seigneur, et lui avait essuyé les pieds avec ses cheveux, et Lazare, qui était malade, était son frère (Jn 11,2):» donc Marie avait déjà fait cette même action; elle la répète à Béthanie, sans que saint Luc en parle, parce qu'elle n'entrait point dans l'ordre de son récit, mais elle est racontée par les trois autres Évangélistes.

S. Grég. (hom. 33 sur les Evang). Dans le sens mystique, le pharisien qui présume de sa fausse justice, c'est le peuple juif; cette femme pécheresse qui se jette aux pieds du Seigneur, et les arrose de ses larmes, c'est la Gentilité convertie au vrai Dieu. - S. Ambr. Ou bien encore, le lépreux, c'est le prince du monde, et la maison de Simon le lépreux, c'est toute la terre. Or, le Seigneur est descendu des hauteurs des cieux sur la terre, parce que cette femme qui est la figure de l'âme et de l'Église, ne pouvait obtenir sa guérison, si le Christ n'était venu sur la terre. Elle nous apparaît sous la forme d'une pécheresse, parce que Jésus-Christ lui-même a pris la forme d'un pécheur. Supposez donc une âme qui s'approche sincèrement de Dieu, qui loin d'être esclave de ces crimes honteux, et qui blessent ouvertement la pudeur, obéit à la parole de Dieu avec amour et dans la confiance d'une chasteté inviolable; elle s'élève jusqu'à la tête de Jésus-Christ, et la tête de Jésus-Christ, c'est Dieu. (1Co 11). Mais que celui qui ne peut arriver jusqu'à la tête de Jésus-Christ, se tienne humblement à ses pieds, le pécheur à ses pieds, le juste près de sa tête; mais cependant l'âme qui a péché, a aussi son parfum.

S. Grég. (hom. 33 sur les Evang). Que figure ce parfum, si ce n'est l'odeur d'une bonne renommée? Si donc nous faisons des bonnes oeuvres, dont la réputation se répande comme un parfum par toute l'Église, nous répandons dans un sens véritable des parfums sur le corps du Seigneur. Cette femme se tenait à côté des pieds du Seigneur; car nous nous tenions directement contre ses pieds, lorsque vivant au milieu de nos péchés, nous résistions en quelque sorte à ses voies; mais lorsqu'après nos péchés, nous revenons à lui dans les sentiments d'une véritable pénitence, alors nous nous tenons derrière lui, à ses pieds; parce que nous suivons alors ses traces auxquelles nous faisions alors profession de résister. - S. Ambr. Vous donc aussi qui avez péché, rentrez dans les voies de la pénitence, accourez partout où vous entendrez le nom de Jésus-Christ, hâtez-vous de vous rendre dans toute maison où vous apprenez que Jésus est entré; lorsque vous aurez trouvé la sagesse assise dans quelque demeure secrète, accourez vous jeter à ses pieds, c'est-à-dire cherchez d'abord le dernier degré de la sagesse, et confessez vos péchés dans les larmes. Peut-être Jésus-Christ ne lava point ses pieds dans cette circonstance, afin que nous les lavions nous-mêmes dans les larmes; heureuses larmes qui peuvent non seulement laver nos fautes, mais arroser les pieds du Verbe divin, pour que ses pas deviennent pour nous une source abondante de grâces ! Larmes précieuses qui sont non seulement la rédemption des pécheurs, mais la nourriture des justes; car c'est la voix d'un juste qui fait entendre ces paroles: «Mes larmes m'ont servi de pain le jour et la nuit». - S. Grég. (hom. 33 sur les Evang). Nous lavons les pieds du Seigneur de nos larmes, lorsque par un sentiment d'affectueuse compassion, nous nous abaissons jusqu'aux membres les plus humbles du Seigneur; nous essuyons ses pieds avec nos cheveux, lorsque la charité nous porte à secourir de notre superflu les saints serviteurs de Dieu. - S. Ambr. Déroulez aussi vos cheveux, jetez à ses pieds tout ce qui sert d'ornement à votre corps; les cheveux ne sont vraiment point méprisables, puisqu'ils sont jugés dignes d'essuyer les pieds de Jésus-Christ. - S. Grég. Cette femme baise les pieds du Sauveur après les avoir essuyés, c'est ce que nous faisons nous-mêmes, lorsque nous aimons tendrement ceux dont nous avons secouru la pauvreté par nos largesses. Par les pieds du Seigneur, on peut encore entendre le mystère de l'incarnation; nous baisons donc les pieds du Rédempteur, lorsque nous nous attachons de tout notre coeur au mystère de son incarnation, nous répandons des parfums sur ses pieds, lorsque nous annonçons la puissance de son humanité par la bonne renommée de la parole sainte. Ce spectacle remplit le pharisien de jalousie ; en effet, lorsque le peuple juif voit les Gentils devenir les prédicateurs du vrai Dieu, il sèche d'envie dans sa noire méchanceté. Les reproches qui lui sont faits, retombent sur ce peuple perfide et infidèle, qui ne consentit jamais à sacrifier pour le Seigneur, même ses biens extérieurs, tandis que les Gentils, après leur conversion, non seulement sacrifièrent leurs biens, mais répandirent leur sang. Voilà pourquoi Jésus dit au pharisien «Vous ne m'avez pas donné d'eau pour me laver les pieds, cette femme, au contraire, m'a arrosé les pieds de ses larmes»; l'eau, en effet, se trouve hors de nous, tandis que la source des larmes est en nous-mêmes. Ce peuple infidèle ne donna pas non plus le baiser à Dieu, parce qu'au lieu de l'aimer par un sentiment de charité, il aima mieux le servir sous l'impression de la crainte (car le baiser est le signe de l'amour). Au contraire, à peine la gentilité fut-elle appelée, qu'elle ne cessa de baiser les pieds du Rédempteur en soupirant continuellement après lui par un sentiment d'amour. - S. Ambr. Le Sauveur fait ressortir la vertu héroïque de cette femme, lorsqu'il dit: «Depuis qu'elle est entrée, elle n'a cessé de couvrir mes pieds de baisers», c'est-à-dire qu'elle ne veut plus savoir que le langage de la sagesse, que l'amour de la justice, que les embrassements de la chasteté, que les baisers de la pudeur. - S. Grég. (hom. 33 sur les Evang) Jésus reproche au pharisien de n'avoir pas répandu de parfum sur sa tête, c'est-à-dire que le peuple juif a refusé à la puissance divine à laquelle il se vantait de croire, le juste tribut de louanges qui lui était dû; cette femme, au contraire, a répandu des parfums sur les pieds du Sauveur, figure en cela de la gentilité qui, non contente de croire au mystère de l'incarnation, a relevé par les plus grands éloges les profondes humiliations de ce mystère.

S. Ambr. Heureux celui qui peut verser de l'huile sur les pieds de Jésus-Christ, mais plus heureux celui qui peut y répandre des parfums; car la réunion d'un grand nombre de fleurs forme un composé d'odeurs les plus suaves et les plus variées. Or, l'Église seule a le privilège de la composition de ce parfum, elle qui possède d'innombrables fleurs exhalant des odeurs si variées; aussi personne ne peut prétendre à un si grand amour que l'Église, qui aime par le coeur de tous ses enfants. Dans la maison du pharisien, c'est-à-dire dans la maison de la loi et des prophètes, ce n'est pas le pharisien, mais l'Église qui est justifiée; car le pharisien refuse de croire, tandis que l'Eglise embrassait la foi; la loi, d'ailleurs, n'a point ce mystère divin qui purifie les secrètes profondeurs de l'âme; mais ce que la loi ne peut donner, se trouve abondamment dans l'Évangile. Les deux débiteurs sont les deux peuples, tous deux obligés à l'égard du créancier du trésor céleste; ce n'est point une somme d'argent matériel que nous devons à ce divin créancier, mais l'or pur de nos mérites, l'argent de nos vertus, dont la valeur consiste dans le poids du caractère et la gravité des moeurs, dans l'empreinte de la justice, dans le son que fait entendre la confession. De quel prix est cette pièce de monnaie, où se trouve empreinte l'image de notre roi ! Malheur à moi, si je ne l'ai pas conservée telle que je l'ai reçue ! Ou bien, puisqu'il n'est personne qui puisse payer toute sa dette à ce céleste créancier, malheur à moi, si je ne le supplie de me remettre toute ma dette ! Mais quel est ce peuple qui doit plus? c'est nous-mêmes à qui Dieu a donné davantage. Aux Juifs, Dieu a confié ses oracles, à nous, il a donné le fruit de l'enfantement virginal, l'Emmanuel (c'est-à-dire Dieu avec nous), la croix du Sauveur, sa mort, sa résurrection. Il est donc hors de doute que celui qui a reçu davantage, doit aussi davantage. Selon notre manière d'agir, c'est quelquefois celui qui doit davantage, qui manque le plus d'égards. Mais la miséricorde de Dieu a changé cet ordre, c'est celui qui doit plus, qui aime aussi davantage, s'il est assez heureux pour obtenir la grâce. Puisque donc nous n'avons rien qui soit digne d'être offert à Dieu, malheur à moi, si je ne lui donne tout mon amour ! Payons donc nos dettes, en aimant Dieu de tout notre coeur; car celui qui a reçu plus de grâces, doit aussi donner plus d'amour.


CHAPITRE VIII


vv. 1-3

9801 Lc 8,1-3

Théophyl. Celui qui est descendu des cieux pour nous tracer la voie et nous donner l'exemple, nous enseigne à ne jamais négliger le devoir de l'instruction: «Et il arriva ensuite que Jésus parcourait les villes», etc. - S. Grég. de Naz. Il va de pays en pays, non seulement pour gagner à Dieu un plus grand nombre d'âmes, mais encore pour consacrer par sa présence un plus grand nombre d'endroits. Il dort et se fatigue pour sanctifier notre sommeil et nos travaux; il pleure pour donner du prix à nos larmes, il annonce les mystères du ciel pour élever et agrandir l'esprit de ceux qui l'écoutent. - Tite de Bostr. Celui qui est descendu du ciel sur la terre, annonce le royaume des cieux aux habitants de la terre, pour changer la terre et en faire un ciel anticipé. Mais qui peut annoncer dignement ce royaume, que le Fils de Dieu qui en est le souverain Maître? Bien des prophètes ont paru sur la terre, mais sans annoncer le royaume des cieux, car comment auraient-ils pu parler des choses qu'ils n'avaient pas vues? - S. Isid. (Liv. 23, lettre 206). Il en est qui pensent que ce royaume de Dieu est plus élevé et plus parfait que le royaume céleste; d'autres prétendent au contraire que c'est le même dans sa nature, mais auquel on donne des noms différents. On l'appelle royaume de Dieu, parce qu'il a Dieu pour souverain; et quelquefois le royaume des cieux, quand on considère ce royaume dans ses sujets, c'est-à-dire, dans les anges et les saints auxquels la sainte Écriture donne le nom de cieux.

Bède. Comme l'aigle qui excite ses petits à voler (Dt 32,11), le Seigneur élève successivement ses disciples vers les choses sublimes. Ainsi, il commence par enseigner dans les synagogues, et par faire des miracles, puis il choisit les douze auxquels il donne le nom d'Apôtres; ensuite il les prend seuls avec lui, lorsqu'il va prêcher dans les villes et dans les bourgades, comme le rapporte l'Évangéliste: «Et les douze étaient avec lui». - Théophyl. Ce n'est ni pour enseigner ni pour prêcher qu'il les prend avec lui, mais pour continuer de les instruire. Afin de montrer que les femmes n'étaient point exclues de la suite de Jésus-Christ, l'Évangéliste ajoute: «Il y avait aussi quelques femmes qu'il avait délivrées des esprits malins, et guéries de leurs infirmités: Marie-Magdeleine, de laquelle étaient sortis sept démons». - Bède. Marie-Magdeleine est celle dont saint Luc a raconté la pénitence dans le chapitre précédent. Admirons comment l'Évangéliste désigne cette femme sous son nom propre, lorsqu'il nous la montre à la suite du Sauveur, tandis qu'en racontant ses désordres et sa pénitence, il lui donne simplement le nom de femme, de peur que le scandale de ses premiers égarements ne flétrit un nom aussi connu que le sien. Sept démons étaient sortis d'elle, c'est-à-dire qu'elle avait été remplie de tous les vices. - S. Grég. Que signifient, en effet, ces sept démons, sinon tous les vices réunis. Comme la division des sept jours comprend l'universalité du temps, le nombre sept est le symbole de l'universalité, Marie-Magdeleine était donc possédée de sept démons, parce qu'elle avait en elle tous les vices.

«Et Jeanne, femme de Chusa, intendant de la maison d'Hérode, Suzanne, et plusieurs autres qui l'assistaient de leurs biens». - S. Jér. (sur S. Mt 27). Suivant une coutume des Juifs, et qui n'avait rien de répréhensible dans les moeurs anciennes de cette nation, les femmes se chargeaient de fournir à ceux qui les enseignaient la nourriture et le vêtement. Saint Paul nous apprend qu'il ne voulut point user de ce droit, pour ne pas scandaliser les Gentils (1Co 9,5). Ces femmes assistaient le Seigneur de leurs biens; il était juste, en effet, qu'il moissonnât leurs biens temporels, alors qu'elles recueillaient de lui les richesses spirituelles. Ce n'est pas sans doute que le souverain Maître des créatures eût besoin d'être nourri par elles, mais il voulait être le modèle de tous ceux qui enseignent, et leur apprendre à se contenter de la nourriture et du vêtement que leur donneraient leurs disciples. - Bède. Marie veut dire mère pleine d'amertumes, à cause des gémissements de sa pénitence; Magdeleine signifie tour, ou qui a la forme d'une tour, par allusion à cette tour dont parle le Roi-prophète: «Vous êtes devenu mon espérance, une forte tour contre l'ennemi (Ps 61,4)». Jeanne signifie grâce du Seigneur, ou le Seigneur miséricordieux, c'est-à-dire, que tout ce qui soutient notre vie, lui appartient. Or, si Marie purifiée de la souillure de ses vices, représente l'Église des nations, pourquoi Jeanne ne serait-elle pas aussi la figure de cette même Église, autrefois livrée au culte des idoles? Ajoutons que tout malin esprit qui travaille à l'extension du royaume du démon, est comme l'intendant de la maison d'Hérode. Suzanne signifie loi ou grâce, à cause de la blancheur odoriférante d'une vie céleste, et de la flamme d'or de la charité intérieure.


vv. 4-15

9804 Lc 8,4-15

Théophyl. Notre-Seigneur accomplit ici ce qu'avait prédit David, qui était la figure du Christ (cf. Mt 13,35): «J'ouvrirai ma bouche pour parler en paraboles» (Ps 77,2). «Or, comme le peuple s'assemblait en foule et se pressait de sortir des villes pour venir à lui, il leur dit en paraboles». Le Sauveur parle en paraboles, pour rendre ceux qui l'écoutent plus attentifs, car les hommes aiment à exercer leur intelligence sur les choses obscures, et dédaignent au contraire celles qui sont trop claires et trop faciles; secondement, afin que son langage demeurât inintelligible pour ceux qui étaient indignes de le comprendre. - Orig. (Ch. des Pèr. gr). Aussi est-ce avec une intention marquée que l'Évangéliste dit: «Comme le peuple s'assemblait en foule et se pressait de sortir des villes», etc. Car ce n'est point la multitude, mais le petit nombre qui marchent dans la voie étroite, et qui trouvent le chemin qui conduit à la vie, c'est pour cette raison que saint Matthieu fait remarquer qu'il enseignait au dehors en paraboles, et que, rentré dans la maison, il expliquait la parabole à ses disciples.

Eusèbe. Remarquez la convenance de cette première parabole que Jésus propose à la multitude, non seulement de ceux qui étaient présents, mais encore de tous ceux qui devaient venir après eux, et comme il excite vivement leur attention par ces premières paroles: «Celui qui sème sortit pour semer».

Bède. À nul autre ne convient mieux cette qualité de semeur qu'au Fils de Dieu, qui est sorti du sein de son Père (inaccessible à toute créature), pour venir en ce monde rendre témoignage à la vérité (Jn 19). - S. Chrys. (hom. 45 sur S. Matth). Celui qui remplit tout de son immensité est sorti, non point en allant d'un lieu dans un autre, mais en se revêtant de notre chair pour s'approcher de nous. Jésus-Christ donne avec raison à son avènement le nom de sortie, car nous étions exclus de la présence de Dieu; or lorsque des rebelles condamnés par leur roi sont bannis, celui qui veut les réconcilier sort pour venir les trouver, et converse en dehors avec eux jusqu'à ce qu'il les ait rendus dignes de paraître devant le roi, et qu'il les introduise en sa présence, c'est ce qu'a fait Jésus-Christ. - Théophyl. Il sort maintenant, non pour perdre les laboureurs ou pour réduire la terre en cendres, mais il sort pour semer, car souvent le laboureur qui sème, sort pour autre chose que pour semer. - Eusèbe. Un grand nombre de fidèles serviteurs de Dieu sont sortis de la céleste patrie et sont descendus au milieu des hommes; mais ce n'était point pour semer, car ils n'étaient point semeurs, mais des esprits que Dieu envoyait pour remplir un ministère (He 1,14). Moïse lui-même et les prophètes après lui n'ont point semé dans le coeur des hommes les mystères du royaume des cieux, mais en les arrachant à de coupables erreurs et au culte des idoles, ils cultivaient les âmes des hommes, et les défrichaient pour eu faire une terre bien préparée. Seul le Verbe de Dieu, créateur et auteur de toutes les semences, est sorti pour répandre par la prédication de nouvelles semences, c'est-à-dire, les mystères du royaume des cieux. - Théophyl. Or, le Fils de Dieu ne cesse pas de semer dans nos âmes, car ce n'est pas seulement comme maître et docteur, mais comme créateur qu'il répand dans nos âmes la bonne semence. - Tite de Bostr. «Il sortit pour semer sa semence», sa parole n'est point une parole d'emprunt, puisqu'il est par nature le Verbe du Dieu vivant. Ce n'était point leur propre semence que répandaient Paul ou Jean, mais celle qu'ils avaient reçue; Jésus-Christ, au contraire, sème sa propre semence, parce qu'il tire ses divins enseignements de sa propre nature; aussi les Juifs étonnés disaient-ils: «Comment connaît-il les Écritures, puisqu'il ne les a point apprises ?» (Jn 7,15).

Eusèbe. Ceux qui reçoivent la divine semence se partagent donc en deux classes, la première se compose de ceux qui sont jugés dignes de la vocation céleste, mais qui perdent cette grâce par suite de leur négligence et de leur tiédeur; la seconde comprend ceux qui multiplient la semence en produisant de bons fruits. D'après saint Matthieu, le Sauveur établit trois degrés différents dans chaque classe; ceux; en effet, qui reçoivent inutilement la semence, ne la perdent pas de la même manière, et ceux qui la rendent féconde, ne produisent pas du fruit au même degré. Le Sauveur expose donc les différentes circonstances où on laisse perdre la semence. Les uns, sans même qu'ils aient péché, ont perdu la semence salutaire qui avait été jetée dans leurs âmes; les esprits mauvais, les démons qui volent dans l'air, ou les hommes fourbes et astucieux qu'il désigne sous le nom d'oiseaux, viennent enlever la semence de leur esprit et leur en font perdre le souvenir: «Et pendant qu'il semait, une partie de la semence tomba le long du chemin». - Théophyl. Il ne dit pas que celui qui sème a jeté sa semence le long du chemin, mais que la semence y est tombée, car celui qui sème enseigne une doctrine pure et irréprochable, mais cette doctrine tombe diversement dans l'esprit de ceux qui l'entendent, et quelques-uns d'entre eux sont représentés par ce chemin où elle fut foulée aux pieds et mangée par les oiseaux du ciel. - S. Cyr. Tout chemin est inculte et stérile, parce qu'il est sans cesse foulé aux pieds, et aucune semence ne peut y être enfouie. Ainsi les coeurs indociles sont impénétrables aux divins enseignements, et aucune vertu ne peut y germer, c'est un chemin qui n'est fréquenté que par les esprits impurs. D'autres portent légèrement la foi en eux-mêmes, en ne s'attachant qu'aux simples paroles; leur foi manque de racines, et c'est d'eux que le Sauveur ajoute: «Une autre partie tomba sur la pierre, et ayant levée elle sécha, parce qu'elle n'avait pas d'humidité. - Bède. La pierre est la figure des coeurs durs et indomptables, l'humidité est à la semence ce qu'est dans une autre parabole l'huile qui doit alimenter les lampes des vierges (Mt 25), et représente l'amour de la vertu et la persévérance dans le bien. - Eusèbe. Il en est d'autres qui laissent étouffer la semence qu'ils reçoivent par l'avarice, par le désir des voluptés, par les sollicitudes du monde, que Notre-Seigneur compare à des épines: «Et une autre partie tomba parmi les épines», etc. - S. Chrys. (hom. 45 sur S. Matth). Semblables, en effet, aux épines qui ne permettent pas à la semence de lever et de croître, mais l'étouffent par leur épaisseur, les sollicitudes de la vie présente ne permettent pas à la semence spirituelle de croître et de fructifier. Le laboureur qui sèmerait sur les épines matérielles, sur la pierre, sur le chemin, serait digne de blâme, car il est impossible que la pierre se change jamais en terre, que le chemin cesse d'être un chemin, que les épines ne soient plus des épines. Mais il n'en est pas de même dans les choses spirituelles, car la pierre peut devenir une terre fertile, le chemin peut n'être plus foulé aux pieds, et il est possible d'arracher les épines.

S. Cyr. La terre riche et fertile, ce sont les âmes bonnes et vertueuses qui reçoivent dans leur profondeur la semence de la parole, qui la retiennent et la fécondent, et c'est d'elles qu'il est dit: «Une autre partie tomba dans une bonne terre, et ayant levé, elle produisit du fruit au centuple». En effet, lorsque la parole divine tombe dans une âme libre de toute agitation, elle pousse de profondes racines, elle produit des épis et les fait arriver à une maturité parfaite. - Bède. Le fruit au centuple, c'est le fruit dans sa perfection, car le nombre dix exprime toujours la perfection, parce que l'accomplissement de la loi consiste dans l'observation des dix commandements; mais le nombre dix multiplié par lui-même, produit le nombre cent, qui est ainsi le symbole de la plus grande perfection possible.

S. Cyr. Écoutons l'explication de cette parabole de la bouche même de celui qui en est l'auteur: «En disant cela, il criait: Que celui qui a des oreilles pour entendre, entende». - S. Bas. (Ch. des Pèr. gr). Entendre, est un acte de l'intelligence, et par ces paroles, Notre-Seigneur invite ceux qui l'écoutent à prêter une grande attention à l'explication qu'il va donner. - Bède. Toutes les fois, en effet, que nous rencontrons cet avertissement, soit dans l'Évangile, soit dans l'Apocalypse de saint Jean, il s'agit d'une vérité mystérieuse dont on nous engage à pénétrer le sens avec une attention plus scrupuleuse. Aussi les disciples reconnaissant leur ignorance, interrogent le Sauveur: «Or, ses disciples lui demandaient quel était le sens de cette parabole». Cependant ce ne fut pas immédiatement après que Jésus eut achevé d'exposer cette parabole, que les disciples lui adressèrent cette question, mais comme le dit saint Marc: «Ils l'interrogèrent lorsqu'il se trouva seul (Mc 4,10) ». - Orig. La parabole est comme le récit d'un fait imaginaire mais possible et vraisemblable, c'est un récit symbolique et figuré de quelque vérité dont on obtient le sens par l'application de toutes les circonstances de la parabole. L'énigme est le récit d'un événement qui n'est ni réel ni possible, elle est l'enveloppe d'une vérité cachée, comme dans ce trait du livre des Juges, où nous lisons que les arbres s'assemblèrent pour se choisir un roi (Jg 9,8). Ce récit que l'Évangéliste raconte comme un fait historique: «Celui qui sème sortit pour semer», n'est point arrivé à la lettre, quoiqu'il soit dans les choses possibles.

Eusèbe. Or, le Seigneur fait connaître à ses disciples la raison pour laquelle il parlait au peuple en paraboles: «Il leur dit: A vous il a été donné de connaître le royaume de Dieu». - S. Grég. de Naz. En entendant ces paroles, n'allez pas croire qu'il existe des natures différentes, avec certains hérétiques, qui prétendent qu'il est des hommes dont la nature est de se perdre, d'autres dont la nature est de se sauver, d'autres, au contraire, qui doivent à leur propre volonté de devenir bons ou mauvais; mais à ces paroles du Sauveur: «Il vous a été donné», ajoutez: A vous qui le voulez, à vous qui en êtes dignes. - Théophyl. Mais pour ceux qui sont indignes de si grands mystères, un voile recouvre ces vérités: «Tandis qu'aux autres il est annoncé en paraboles, en sorte que voyant ils ne voient point, et qu'en entendant ils ne comprennent pas». Ils croient voir, mais ils ne voient point, ils entendent, mais ils ne comprennent pas. Or, Jésus-Christ leur cache ces vérités, pour leur faire éviter un plus grand crime, celui de mépriser les mystères du Christ, après les avoir connus, car celui qui n'a que du mépris pour les vérités dont l'intelligence lui a été révélée, sera puni plus sévèrement. - Bède. Ceux-là donc entendent en paraboles, qui ferment les sens et leur coeur pour ne point connaître la vérité et qui oublient cette recommandation du Seigneur: «Que celui-là entende, qui a des oreilles pour entendre».

S. Grég. (Hom. 45 sur les Evang). Cependant le Seigneur consent à expliquer à ses disciples cette parabole, pour nous apprendre à chercher le sens caché des choses qu'il n'a point voulu nous expliquer: «Voici donc le sens de cette parabole, la semence c'est la parole de Dieu». - Eusèbe. Or, il y a pour la semence qui est jetée dans nos âmes, trois causes de destruction, Les uns détruisent cette semence en prêtant une oreille trop légère aux discours des hommes qui ne veulent que les tromper: «Ce qui tombe le long du chemin, ce sont ceux qui écoutent, le diable vient ensuite, et enlève la parole de leur coeur». - Bède. Ce sont ceux qui écoutent la parole de Dieu sans aucune foi, sans aucune intelligence, sans aucun désir de la mettre en pratique. - Eusèbe. D'autres ne reçoivent cette parole qu'à la surface de leur âme, et la laissent se dessécher et périr aux premières atteintes de l'adversité. C'est d'eux que Notre-Seigneur ajoute: «Ce qui tombe sur la pierre, ce sont ceux qui, ayant écouté la parole, la reçoivent avec joie, mais ceux-ci n'ont pas de racine, ils croient pour un temps, et au temps de la tentation ils se retirent». - S. Cyr. Lorsqu'ils entrent dans l'Église, ils écoutent avec joie la prédication des divins mystères, mais avec une volonté bien faible; et à peine sortis de l'Église, ils oublient les enseignements sacrés. Si la foi chrétienne n'est l'objet d'aucune attaque, ils demeurent fidèles, mais si la persécution vient à se déclarer, ils se dérobent par la fuite au danger, parce que leur foi n'a point de racine. - S. Grég. (hom. 15 sur les Evang). Il en est beaucoup qui se proposent de commencer à faire le bien, mais bientôt fatigués par l'adversité ou par les tentations, ils abandonnent leur entreprise. Cette terre pierreuse n'avait donc point l'humidité nécessaire, puisqu'elle n'a pu conduire à la maturité parfaite la semence qu'elle avait fait germer. - Eusèbe. D'autres enfin étouffent la semence qu'ils ont reçue dans les préoccupations des richesses et des plaisirs, qui sont comme autant d'épines qui étouffent la semence: «Ce qui tombe parmi les épines, ce sont ceux qui écoutent la parole, mais les sollicitudes des richesses et des plaisirs l'étouffent peu à peu, et ils ne portent point de fruit. - S. Grég. (hom. 15 sur les Evang). Comment donc Notre-Seigneur a-t-il pu comparer les richesses aux épines, alors que les épines piquent et déchirent, tandis que les richesses sont pleines de charmes. Et cependant ce sont des épines, parce qu'elles déchirent l'âme par les pointes acérées de leurs préoccupations, et lorsqu'elles entraînent jusqu'au péché, elles font des blessures sanglantes. Le Sauveur joint deux choses aux richesses: les sollicitudes et les plaisirs parce qu'elles accablent de soucis et énervent l'âme par leur abondance même. Toutes ces choses étouffent la semence, parce qu'elles étranglent pour ainsi dire l'âme par leurs pensées importunes, et en fermant ainsi l'accès du coeur à tout bon désir, elles étouffent la respiration et tuent la vie.

Eusèbe. C'est en vertu de sa prescience divine que Notre-Seigneur prédit ces choses, et les faits se chargent de vérifier ces prédictions, car on ne s'éloigne ries prescriptions de la divine parole que d'une de ces trois manières. - S. Chrys. (hom. 45 sur S. Matth). Pour résumer en peu de mots cette doctrine, on quitte la voie du bien, les uns par leur négligence à écouter la parole de Dieu, les autres par immortification ou par faiblesse, d'autres enfin, parce qu'ils se rendent esclaves de la volupté et des biens de ce monde. Remarquez encore dans quel ordre naturel se présentent d'abord le chemin, puis le terrain pierreux et les épines; il faut donc d'abord de la mémoire et de la vigilance, puis du courage, et enfin le mépris pour les choses présentes. Notre-Seigneur oppose ensuite les qualités de la bonne terre aux qualités défectueuses du chemin, du terrain pierreux et des épines: «Mais ce qui tombe dans la bonne terre, ce sont ceux qui, écoutant la parole, la conservent dans un coeur bon et excellent, et portent du fruit par la patience». Ceux qui sont représentés par le chemin, ne retiennent point la parole et laissent enlever la semence par le démon; ceux qui ressemblent au terrain pierreux ne soutiennent pas les assauts de la tentation trop forte pour leur faiblesse; enfin, ceux qui sont figurés par les épines ne portent aucun fruit, mais étouffent la parole dans son germe. - S. Grég. (hom. 45 sur les Ev). Or, la bonne terre produit du fruit par la patience, parce que le bien que nous faisons est nul, si nous ne supportons en même temps avec patience le mal qui nous est fait. Ainsi ceux qui sont représentés par cette bonne terre, produisent du fruit par la patience, car après avoir supporté en toute humilité et en toute patience les épreuves qui leur sont envoyées, ils entrent dans le repos et dans la joie de l'éternité.



Catena Aurea 9736