Catena Aurea 12647

vv. 47-51

12647 Jn 6,47-51

S. Aug. (Traité 26 sur S. Jean). Notre-Seigneur en vient enfin à révéler aux Juifs ce qu'il était: «En vérité, en vérité, je vous le dis, celui qui croit en moi a la vie éternelle»; c'est-à-dire, celui qui croit en moi, me possède. Qu'est-ce que me posséder? c'est posséder la vie éternelle; car la vie éternelle, c'est le Verbe qui était au-commencement avec Dieu, et cette vie était la lumière des hommes. La vie s'est revêtue de la mort, afin que la mort fût détruite par la vie.

Théophyl. Comme ce peuple insistait pour obtenir la nourriture corporelle, et rappelait à ce dessein le souvenir de la manne qui avait été donnée à leurs pères, le Sauveur veut leur montrer que tous les faits de la loi ancienne étaient une figure de la vérité qu'ils avaient présente sous leurs yeux, et les élève à la pensée d'une nourriture toute spirituelle, en leur disant: «Je suis le pain de vie» (Jn 6,48). - S. Chrys. (hom. 46). Il se donne le nom de pain de vie, parce qu'il contient le principe de notre vie, de cette vie présente et de la vie future.

S. Aug. (Traité 26). Mais pour réprimer l'orgueil des Juifs qui étaient fiers de la manne qui avait été donnée à leurs pères, Jésus ajoute: «Vos pères ont mangé la manne dans le désert, et sont morts» (Jn 6,49). Ce sont véritablement vos pères, et vous leur êtes semblables, ils sont les pères murmurateurs d'enfants imitateurs de leurs murmures, car le plus grand crime que Dieu ait relevé contre ce peuple, ce sont ses murmures contre Dieu. Or, ils sont morts, parce qu'ils ne croyaient que ce qu'ils voyaient, et qu'ils ne croyaient ni ne comprenaient ce qui était invisible à leurs yeux. - S. Chrys. (hom. 46). Ce n'est pas sans dessein que le Sauveur ajoute cette circonstance: «Dans le désert», il veut leur rappeler indirectement le peu de temps pendant lequel la manne a été donnée à leurs pères, et qu'elle ne les a pas suivis dans la terre promise. Mais les Juifs estimaient encore le miracle de la multiplication des pains comme de beaucoup inférieur au miracle de la manne, parce que la manne semblait descendre du ciel, et que le miracle de la multiplication des pains avait lieu sur la terre; c'est pourquoi Notre-Seigneur ajoute: «Voici le pain descendu du ciel». - S. Aug. (Traité 26). Ce pain a été figuré par la manne, il a été figuré par l'autel de Dieu. De part et d'autre c'étaient des symboles figuratifs; les signes extérieurs sont différents, l'objet figuré est le même. Entendez l'Apôtre qui vous dit: «Ils ont tous mangé la même nourriture spirituelle» (1Co 10,3).

S. Chrys. (hom. 46). Notre-Seigneur relève ensuite une circonstance qui devait faire sur eux une vive impression, c'est qu'ils ont été bien plus favorisés que leurs pères, que la manne n'a pas empêchés de mourir: «Voici le pain qui descend du ciel, pour que celui qui en mange ne meure point» (Jn 6,50). Il fait ressortir la différence des deux nourritures par la différence des résultats. Le pain dont il parle ici, ce sont les vérités du salut, et la foi que nous devons avoir en lui, ou bien son corps, car toutes ces choses conservent la vie de l'âme.

S. Aug. (Traité 26) Mais est-ce que nous qui mangeons le pain descendu du ciel, nous ne mourrons pas aussi? Ceux qui ont mangé la manne sont morts comme nous mourrons nous-mêmes un jour de la mort du corps. Mais quant à la mort spirituelle dont leurs pères sont morts, Moïse et un grand nombre d'autres qui ont mangé la manne et qui ont été agréables à Dieu, n'y ont pas été soumis, parce qu'ils ont reçu cette nourriture visible avec des dispositions toutes spirituelles, ils l'ont désirée dans l'esprit, goûtée dans l'esprit, ils en ont été rassasiés dans l'esprit. Encore aujourd'hui nous recevons une nourriture visible, mais autre chose est le sacrement, autre chose est la vertu du sacrement. Combien qui reçoivent ce pain de l'autel, et qui meurent en le recevant ! comme le dit l'Apôtre: «Il mange et boit son jugement» (1Co 11,29). Mangez donc spirituellement ce pain céleste, apportez l'innocence au saint autel. Tous les jours vous péchez, mais que vos péchés ne soient point de ceux qui donnent la mort à l'âme. Avant d'approcher de l'autel, pesez bien ce que vous dites: Remettez-nous nos dettes, comme nous les remettons à nos débiteurs (Mt 6,12). Si vous les remettez véritablement, on vous remettra les vôtres. Approchez donc avec confiance, c'est du pain et non du poison qu'on vous présente: «Si quelqu'un mange de ce pain, il ne mourra point». Mais il s'agit ici de la vertu du sacrement, et non de ce qui est visible dans le sacrement; de celui qui se nourrit intérieurement de ce pain, et non de celui qui se contente de le manger extérieurement. - Alcuin. Celui qui mange ce pain ne meurt pas «parce que je suis le pain vivant qui suis descendu du ciel» (Jn 6,51). - Théophyl. Il est descendu du ciel par son incarnation, il n'a donc point commencé par être homme avant de s'unir à la divinité comme le rêve Nestorius. - S. Aug. (Traité 26). La manne est aussi descendue du ciel, mais la manne n'était que figurative, et nous avons ici la vérité. Or, ma vie, dit le Sauveur, est pour les hommes une source de vie: «Si quelqu'un mange de ce pain, il vivra non seulement dans cette vie par la foi et la justice, mais il vivra éternellement. Et le pain que je donnerai, est ma chair qui sera livrée pour la vie du monde» (Jn 6,51). - La Glose. Le Seigneur explique ici dans quel sens il est un véritable pain, ce n'est pas seulement par sa divinité qui donne la nourriture à tout ce qui existe, mais par son humanité qui a été unie au Verbe de Dieu, et c'est pour cela qu'il ajoute: «Et le pain que je donnerai, c'est ma chair pour la vie du monde». - Bède. Le Seigneur a donné ce pain lorsqu'il a livré à ses disciples le mystère de son corps et de son sang, et quand il s'est offert lui-même à Dieu son Père sur l'autel de la croix. La vie du monde dont il parle ici ne doit point s'entendre des éléments matériels qui composent le monde, mais de tous ceux que l'on comprend sous le nom de monde. - Théophyl. En disant: «Que je donnerai», il fait ressortir sa puissance et prouve que s'il a été crucifié, ce n'est pas comme étant inférieur à son Père, mais de sa pleine volonté. Car bien que nous disions qu'il a été livré par son Père, cependant il s'est véritablement livré lui-même. Considérez encore que le pain que nous mangeons dans les saints mystères n'est pas seulement la figure de la chair de Jésus-Christ, mais qu'il est lui-même la vraie chair de Jésus-Christ. Car il ne dit pas: Le pain que je donnerai est la figure de ma chair, mais: «c'est ma chair». En vertu de paroles ineffables, ce pain est changé au corps de Jésus-Christ par une bénédiction mystérieuse et par l'habitation de l'Esprit saint dans la chair de Jésus-Christ. Mais pourquoi ne voyons-nous pas cette chair? Parce que la vue de cette chair nous inspirerait une vive horreur lorsque nous voudrions nous en nourrir. C'est donc pour condescendre à notre faiblesse que cette nourriture spirituelle nous est donnée d'une manière conforme à nos habitudes. Jésus donne sa chair pour la vie du monde, parce que c'est en mourant qu'il a détruit l'empire de la mort. Cette vie du monde, je puis l'entendre de la résurrection, car la mort du Seigneur a été pour tout le genre humain un principe de résurrection. Peut-être aussi peut-on entendre cette vie qui est le fruit de la justification et de la sanctification par l'Esprit; car bien que tous n'aient pas reçu la vie qui consiste dans la sanctification et dans la participation de l'Esprit saint, cependant le Seigneur s'est livré pour le monde et il a fait ce qui dépendait de lui, pour que le monde tout entier fût sanctifié.

S. Aug. (Traité 26). Mais comment la chair pourrait-elle comprendre que Notre-Seigneur ait donné le nom de pain à sa propre chair? Les fidèles connaissent le corps de Jésus-Christ, si toutefois ils ne négligent pas de devenir eux-mêmes le corps de Jésus-Christ. Oui, qu'ils fassent partie du corps de Jésus-Christ, s'ils veulent vivre de l'esprit de Jésus-Christ. Est-ce que mon corps peut recevoir le mouvement et la vie de votre esprit? C'est ce pain dont parle l'Apôtre, lorsqu'il dit: «Nous ne faisons tous qu'un même corps, nous qui mangeons d'un même pain» (1Co 10,17). O sacrement de la piété ! O symbole de l'unité ! O lien de la charité! Celui qui veut vivre, possède ici une source de vie, qu'il approche, qu'il croie, et qu'il s'incorpore à Jésus-Christ pour recevoir la vie.



vv. 52-54

12652 Jn 6,52-54

S. Aug. (Traité 26 sur S. Jean). Les Juifs ne comprenaient pas quel était ce pain d'union, et c'est la raison de leurs disputes: «Les Juifs donc se disputaient entre eux, disant: Comment celui-ci peut-il nous donner sa chair à manger ?» Pour ceux au contraire qui se nourrissent de ce pain, ils n'ont point de dispute entre eux, car c'est par la vertu de ce pain que Dieu fait habiter ensemble ceux qui n'ont qu'un même esprit (Ps 67,7).

Bède. Les Juifs s'imaginaient que le Seigneur leur partagerait sa chair par morceaux, et la leur donnerait ainsi à manger, ils disputaient donc entre eux, parce qu'ils ne comprenaient point. - S. Chrys. (hom. 46). Ils prétendaient qu'il était impossible qu'il leur donnât ainsi sa chair, et il leur montre que loin d'être impossible, c'est une chose absolument nécessaire: «Et Jésus leur dit: En vérité, en vérité, je vous le dis, si vous ne mangez la chair du Fils de l'homme», etc., c'est-à-dire vous ignorez comment ce pain peut vous être donné, et de quelle manière vous devez le manger, et cependant, je vous le déclare, si vous ne mangez ce pain, vous n'aurez point la vie en vous, etc.

Bède. Et pour étendre à tous l'obligation de ce précepte il le généralise en disant: «Celui qui mange ma chair et qui boit mon sang», etc. Or, dans la crainte de voir appliquer à la vie présente les effets de la communion à sa chair, il ajoute: «Il a la vie éternelle». Celui donc, qui ne mange pas sa chair et ne boit pas son sang, demeure privé de cette vie. On peut jouir de la vie présente sans manger ce pain, mais pour la vie éternelle, cela est impossible. Il n'en est pas ainsi de la nourriture que nous prenons pour soutenir la vie du corps, elle est absolument nécessaire à la conservation de cette vie, et cependant elle ne peut la conserver indéfiniment, car il arrive tous les jours qu'un grand nombre de ceux qui l'ont prise meurent par suite de maladie, de vieillesse ou de quelque autre accident. Mais les effets de cette nourriture et de ce breuvage, c'est-à-dire du corps et du sang de Jésus-Christ, sont bien différents; celui qui ne les reçoit point ne peut avoir la vie, et celui qui les reçoit a nécessairement la vie et la vie éternelle. - Théophyl. Car ce n'est pas seulement la chair d'un homme, c'est la chair d'un Dieu, chair qui a la puissance de rendre l'homme tout divin, en l'enivrant de sa divinité.

S. Aug. (de la Cité de Dieu, 21, 19). Il en est qui s'appuient sur ces paroles pour promettre à ceux qui ont reçu le baptême du Christ, et qui participent à la réception de son corps, qu'ils seront délivrés des supplices éternels, quelle qu'ait été d'ailleurs leur vie. C'est une erreur que l'apôtre saint Paul condamne lorsqu'il dit: «Il est aisé de connaître les oeuvres de la chair qui sont la fornication, l'impureté, l'impudicité, la dissolution, etc., dont je vous déclare, comme je vous l'ai déjà dit que ceux qui commettent ces crimes, ne seront point héritiers du royaume de Dieu (Ga 5,19 Ga 5,21). Nous devons donc examiner avec soin dans quel sens il faut entendre les paroles du Sauveur. Celui qui fait partie de l'unité de son corps, c'est-à-dire de cette union étroite des chrétiens membres de ce corps dont les fidèles reçoivent le sacrement dans la sainte communion, mange véritablement le corps et boit le sang de Jésus-Christ. Par conséquent, les hérétiques et les schismatiques qui sont séparés de l'unité de son corps, peuvent bien recevoir le même sacrement, mais sans aucune utilité pour eux; je dirai plus, il leur est nuisible et il devient pour eux la cause d'un jugement rigoureux, plutôt qu'un principe de délivrance. Ceux dont les moeurs sont évidemment mauvaises et condamnables et qui par leurs impuretés ou par d'autres actions semblables, c'est-à-dire par l'iniquité de leur vie se séparent de la justice de la vie qui est Jésus-Christ, ne mangent pas véritablement le corps de Jésus-Christ, parce qu'ils ne font point partie de ses membres. Pour ne pas en dire davantage, ils ne peuvent être en même temps les membres de Jésus-Christ et les membres d'une prostituée (1Co 6,15).

S. Aug. (Traité 26). Notre-Seigneur veut donc que dans cette nourriture et dans ce breuvage, nous voyions la société de son corps et de ses membres, c'est-à-dire l'Eglise, composée de saints que Dieu a prédestinés, appelés, justifiés et glorifiés, et de ses fidèles. Le symbole de cette vérité, c'est-à-dire, l'unité du corps et du sang de Jésus-Christ, nous est présenté tous les jours dans certains lieux, à des jours marqués dans d'autres endroits, sur la table du Seigneur, et c'est sur cette table que les fidèles prennent ce sacrement, les uns pour leur vie, les autres pour leur mort. Mais la vérité qui est elle-même figurée par ce sacrement est un principe de vie pour tous, et n'est une cause de mort pour aucun de ceux qui ont le bonheur d'y participer. Comme les Juifs auraient pu croire que la promesse de la vie éternelle faite à ceux qui prendraient cette nourriture et ce breuvage, entraînait l'affranchissement de la mort du corps, Notre-Seigneur prévient cette pensée en ajoutant: «Et je le ressusciterai au dernier jour», c'est-à-dire, que son âme jouira d'abord de la vie éternelle dans le repos que Dieu a préparé aux âmes des saints, et que son corps lui-même ne sera point privé de cette vie éternelle, dont il entrera en possession au dernier jour de la résurrection des morts.


vv. 55-59

12655 Jn 6,55-59

Bède. Le Sauveur venait de dire précédemment: «Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle»; il montre maintenant quelle distance sépare la nourriture et le breuvage matériel du mystère spirituel de son corps et de son sang: «Car ma chair est vraiment une nourriture, et mon sang est vraiment un breuvage». - S. Chrys. (hom. 46 sur S. Jean). Notre-Seigneur tient ce langage pour fortifier la foi aux enseignements qui précèdent, et bien persuader ceux qui l'écoutent que ce n'est point ici une parabole et une figure, mais qu'il faut absolument manger le corps du Christ; ou bien son intention est de nous apprendre que la nourriture véritable est celle qui donne le salut à notre âme.

S. Aug. (Traité 26). Ou bien encore, ce que les hommes cherchent dans la nourriture et la boisson, c'est d'apaiser leur faim et leur soif, or cet effet ne peut être complètement atteint qu'au moyen de cette nourriture et de ce breuvage, qui communiquent à ceux qui les prennent l'immortalité et l'incorruptibilité, et les fait entrer dans la société des saints dans laquelle ils jouiront d'une paix absolue et de l'unité la plus parfaite. C'est pour cela que Notre-Seigneur nous a donné son corps et son sang sous des symboles qui nous offrent une parfaite image de cette unité. C'est ainsi que le pain résulte de l'assemblage d'un grand nombre de grains de blé, et que le vin est le produit d'un grand nombre de grains de raisin. Le Sauveur explique ensuite ce que c'est que manger sa chair et boire son sang, en ajoutant: «Celui qui mange ma chair et boit mon sang, demeure en moi et moi en lui». Manger cette nourriture et boire ce breuvage, c'est donc demeurer en Jésus-Christ, et avoir Jésus-Christ demeurant en soi; par conséquent, celui qui ne demeure pas en Jésus-Christ, et en qui Jésus-Christ ne demeure pas, ne mange pas sa chair et ne boit point son sang; mais au contraire il ne mange et ne boit cet auguste mystère que pour son jugement et sa condamnation.

S. Chrys. (hom. 47). On peut encore rattacher autrement ces paroles à ce qui précède: Notre-Seigneur avait promis la vie éternelle à ceux qui mangeraient ce pain, il confirme cette promesse par ces paroles: «Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi et moi en lui». - S. Aug. (serm. 2 sur les par. du Seig). Il en est un grand nombre qui mangent la chair du Sauveur et boivent son sang avec un coeur hypocrite, ou qui après s'en être nourris deviennent des apostats; peut-on dire d'eux qu'ils demeurent en Jésus-Christ, et que Jésus-Christ demeure en eux? Il y a donc une manière particulière de manger cette chair et de boire ce sang pour que nous demeurions en Jésus-Christ et que Jésus-Christ demeure en nous. - S. Aug. (de la Cité de Dieu, 12, 25). Il faut pour cela ne point participer seulement au sacrement extérieur, mais manger véritablement le corps et boire le sang de Jésus-Christ. - S. Chrys. (hom. 47). Comme je suis vivant, il est évident que celui qui mangera mon corps et boira mon sang, entrera en participation de cette vie, c'est ce que le Sauveur établit en ajoutant: «Comme mon Père qui est vivant m'a envoyé, et que je vis par mon Père, de même celui qui me mange vivra aussi par moi». - S. Aug. (serm. 2 sur les par. du Seig). C'est-à-dire, je vis comme mon Père; il ajoute, par mon Père, pour établir sa génération et prouver indirectement que le Père était le principe de son existence. La vie qu'il promet par ces paroles: «Celui qui me mange vivra par moi», n'est point cette vie ordinaire et commune même aux infidèles qui ne se nourrissent pas de la chair du Sauveur, mais cette vie spirituelle qui a seule quelque prix aux yeux de Dieu. La résurrection dont il parle n'est pas non plus la résurrection commune à tous les hommes, mais la résurrection glorieuse qui sera suivie des récompenses éternelles.

S. Aug. (Tr. 26 sur S. Jean). Notre-Seigneur ne dit point: Comme je me nourris de mon Père et que je vis par mon Père, ainsi celui qui me mange vivra par moi, parce qu'en effet, l'union étroite qui existe entre le Père et le Fils ne donne pas au Fils un degré supérieur de bonté, comme la participation que nous avons au Fils par l'union étroite avec son corps et avec son sang, nous rend évidemment meilleurs. Si donc Notre-Seigneur s'exprime de la sorte: «Je vis par mon Père», parce qu'il vient du Père, son égalité avec le Père n'en souffre en aucune manière. Et cependant en ajoutant: «Et celui qui me mange vivra par moi», il ne veut pas établir une parfaite égalité avec lui, mais simplement exprimer la grâce, bienfait du médiateur. Or si nous entendons ces paroles: «Je vis par mon Père», dans le sens de ces autres paroles: «Mon Père est plus grand que moi» (Jn 14,28), ces autres paroles: «Comme mon Père m'a envoyé», etc., reviennent à celles-ci: L'anéantissement qui a été la suite de mon incarnation, a eu pour fin de me faire vivre à cause de mon Père, c'est-à-dire, de lui rapporter toute ma vie comme à celui qui était plus grand que moi, et la participation à la nourriture que je donne fait que chacun vit à cause de moi.

S. Hil. (de la Trin., 8) Il ne reste donc aucun moyen de douter de la vérité de la chair et du sang de Jésus-Christ, la déclaration du Sauveur aussi bien que notre foi concourent à établir que c'est véritablement sa chair et véritablement son sang; et le principe de notre vie, c'est que nous possédons dans notre nature Jésus-Christ, qui demeure en nous par le moyen de sa chair, et qui nous donne la vie aux mêmes conditions qu'il vit lui-même par son Père. Si donc nous avons la vie par lui en vertu de sa chair, c'est-à-dire, en participant à la nature de sa chair, comment n'aurait-il pas naturellement en lui son Père selon l'esprit, puisqu'il ne vit que par son Père? Or, il vit par son Père, parce que sa naissance ne lui a pas donné une nature différente de celle de son Père.

S. Aug. (Traité 26). Or, ce pain est descendu du ciel afin que nous puissions recevoir la vie en le mangeant, nous qui de nous-mêmes ne pouvions prétendre à la vie éternelle: «C'est ici, dit Notre-Seigneur, le pain qui est descendu du ciel». - S. Hil. (de la Trin., 10) Il se donne ici le nom de pain, et il déclare que ce pain est sa chair, pour prévenir la pensée que la puissance et la nature du Verbe aient éprouvé quelque amoindrissement par leur union avec la chair, car par-là même que ce pain descend du ciel, il prouve clairement que son corps n'est point le produit d'une conception ordinaire, mais qu'il a une origine divine. Et comme il nous déclare que ce pain c'est lui-même, il prouve par-là que le Verbe s'est uni à un corps véritable. - Théophyl. Ce n'est pas Dieu seul que nous mangeons dans ce sacrement, puisqu'il est impalpable et incorporel; ce n'est pas non plus la chair d'un simple mortel qui ne nous servirait de rien. Mais comme Dieu s'est uni notre chair, sa chair est un principe de vie; ce n'est pas qu'elle ait été transformée et qu'elle soit devenue la nature de Dieu, mais de même que le fer embrasé conserve sa nature du fer, et possède en même temps la propriété du feu, ainsi la chair du Seigneur est devenue une chair vivifiante comme étant la chair du Verbe de Dieu.

Bède. Pour montrer la distance qui sépare l'ombre de la lumière, la figure de la vérité, il ajoute: «Ce n'est pas comme vos pères, qui ont mangé la manne et qui sont morts». - S. Aug. (Tr. 26). Cette mort doit être entendue de la mort éternelle, car ceux mêmes qui mangent le corps du Christ, ne sont pas exempts de la mort du corps, mais ils reçoivent en échange la vie éternelle, parce que Jésus-Christ est la vie éternelle. - S. Chrys. (hom. 47 sur S. Jean). Dieu a bien pu sans moisson, sans provision de blé et sans le secours d'autres aliments, leur conserver la vie pendant quarante ans, combien plus facilement pourrait-il le faire à l'aide de cette nourriture spirituelle dont la manne était la figure? Le Sauveur fait souvent des promesses de vie, parce que rien n'est plus agréable aux hommes; dans l'Ancien Testament, Dieu promettait une longue vie, maintenant Jésus-Christ nous promet une vie qui ne doit point avoir de fin. Il nous fait voir en même temps qu'il a révoqué la sentence qui nous livrait à la mort en punition de nos péchés, et qu'il l'a remplacée par la promesse de la vie éternelle. Jésus dit ces choses dans la synagogue, lorsqu'il enseignait à Capharnaüm, (Jn 6,60) où il avait opéré un grand nombre de miracles. Il enseignait dans la synagogue et dans le temple pour attirer le peuple à lui et lui prouver qu'il n'était pas en opposition avec Dieu le Père.

Bède. Dans le sens mystique, Capharnaüm dont le nom signifie très-belle campagne représente le monde, comme la synagogue est la figure du peuple juif, et le Sauveur nous apprend ici qu'en apparaissant au monde dans le mystère de son incarnation il a enseigné au peuple juif un grand nombre de vérités que ce peuple a comprises.


vv. 60-72

12660 Jn 6,60-72

S. Aug. (Traité 27 sur S. Jean). Les Juifs ne crurent pas que ces paroles de Jésus renfermaient de sublimes vérités, et recouvraient un grand mystère de grâce, ils les entendirent à leur manière, dans un sens tout naturel, et comme si Jésus devait leur partager et leur distribuer par morceaux la chair dont le Verbe s'était revêtu: «Plusieurs donc, non point de ses ennemis, mais de ses disciples, l'entendant, dirent: Ces paroles sont dures». - S. Chrys. (hom. 47). C'est-à-dire qu'elles étaient difficiles à comprendre, et dépassaient la portée de leur intelligence. Ils s'imaginaient que le Sauveur tenait un langage bien supérieur à sa puissance, et ils se disaient: «Qui peut l'écouter ?» cherchant par là à justifier leur conduite inexcusable. - S. Aug. (Traité 27). Mais si les disciples de Jésus trouvèrent ces paroles dures, que durent en penser ses ennemis? Et cependant il fallait leur enseigner cette vérité bien que tous ne dussent pas la comprendre; le secret de Dieu doit exciter l'attention et ne point soulever d'opposition. - Théophyl. Par ces disciples qui murmuraient, il ne faut point comprendre ceux qui étaient réellement et véritablement ses disciples, mais ceux qui paraissaient extérieurement prendre part à ses enseignements, car parmi ses véritables disciples, il se trouvait un certain nombre d'hommes qui passaient pour ses disciples, uniquement parce qu'on les voyait depuis longtemps avec eux. - S. Aug. (Traité 27). Ils faisaient cette réflexion entre eux, de manière à ne pas être entendus, mais Jésus qui connaissait les pensées les plus intimes de leur coeur les entendait en lui-même: «Or Jésus connaissant en lui-même que ses disciples murmuraient à ce sujet, leur dit: Cela vous scandalise ?» - Alcuin. C'est-à-dire ce que je viens de vous enseigner, la nécessité de manger ma chair et de boire mon sang.

S. Chrys. (hom. 47). Une des preuves de sa divinité, c'était de révéler publiquement le secret des coeurs. Il ajoute: «Donc, quand vous verrez le Fils de l'homme monter où il était auparavant ?» Suppléez: Que direz-vous? C'est la réflexion qu'il avait déjà faite à Nathanaël: «Parce que je vous ai dit: Je vous ai vu sous le figuier, vous croyez; vous serez témoin de plus grandes choses». Notre-Seigneur n'ajoute pas ici difficultés sur difficultés, mais il veut les attirer par la grandeur et le nombre des vérités sublimes qu'il leur enseigne. S'il leur avait dit simplement tout d'abord qu'il était descendu du ciel, sans rien ajouter de plus, il aurait augmenté le scandale de ceux qui l'écoutaient; il suit donc u ne marche toute différente, il déclare que sa chair est la vie du monde, que de même qu'il a été envoyé par son Père vivant, il vit aussi par son Père, et c'est alors qu'il ajoute qu'il est descendu du ciel pour faire disparaître toute espèce de doute. Ce n'est donc point pour scandaliser ses disciples, c'est au contraire pour détruire le scandale que ses paroles avaient fait naître qu'il s'exprime de la sorte. Tant qu'ils ne voyaient en lui que le Fils de Joseph, ses paroles n'avaient pour eux aucune autorité; ceux au contraire qui croiraient qu'il était descendu du ciel, et qu'il devait y remonter, prêteraient une attention plus grande à ses enseignements. - S. Aug. (Traité 27). Ou bien encore, il résout la difficulté qui les troublait; ils s'imaginaient qu'il donnerait son corps par morceaux, et il leur dit qu'il remontera tout entier dans le ciel: «Que sera-ce donc lorsque vous verrez le Fils de l'homme monter où il était auparavant ?» Certes vous comprendrez alors qu'il ne donne pas son corps de la manière que vous pensez et qu'on ne peut consumer par la bouche le mystère de sa grâce. Le Christ n'a commencé à être le Fils de l'homme que sur la terre par sa naissance de la Vierge Marie, lorsqu'il se fut revêtu d'une chair mortelle; pourquoi donc s'exprime-t-il de la sorte: «Lorsque vous verrez le Fils de l'homme monter où il était auparavant ?» C'est qu'il voulait nous faire comprendre que le Christ Dieu et homme tout à la fois, ne forme qu'une seule personne et non pas deux, et que l'objet de notre Foi doit être non pas la quaternité, mais la Trinité. Le Fils de l'homme était donc dans le ciel, comme le Fils de Dieu était sur la terre. Il était sur la terre le Fils de Dieu dans la chair qu'il s'était unie, il était le Fils de l'homme dans le ciel par suite de l'unité de personne. - Théophyl. N'allez pas croire pour cela que le corps de Jésus-Christ soit descendu du ciel comme l'enseigne l'hérésie de Marcion et d'Apollinaire, le Fils de Dieu et le Fils de l'homme ne sont qu'une seule et même personne.

S. Chrys. (hom. 47). Notre-Seigneur donne encore une autre solution: «C'est l'esprit qui vivifie, la chair ne sert de rien». Voici le véritable sens de ces paroles: Il faut entendre spirituellement ce que je viens de dire de moi, si vous prenez mes paroles dans un sens charnel, vous n'en retirerez aucune utilité. Or entendre ces paroles dans un sens charnel, c'est ne voir que ce qui frappe les yeux sans aller Au-delà. Ce n'est pas ainsi qu'il en faut juger, il faut considérer les mystères avec les yeux intérieurs et les entendre toujours spirituellement. C'était au contraire les entendre dans un sens charnel, que de formuler ce doute. Comment pourra-t-il nous donner sa chair à manger? Quoi donc, est-ce qu'il ne nous donne pas sa véritable chair? Sans aucun doute, il nous la donne; si donc il déclare que la chair ne sert de rien, il ne veut point parler de sa chair, mais de ceux qui donnaient à ses paroles une interprétation toute charnelle. - S. Aug. (Traité 27). Ou bien encore, la chair ne sert de rien, dans le sens des Capharnaïtes qui s'imaginaient que cette chair serait comme la chair d'un cadavre qu'on démembre ou qu'on vend au marché, et ne comprenaient pas que cette chair était remplie de l'esprit de Dieu et de la vie de la grâce. Que l'esprit s'unisse à la chair, alors la chair est d'une grande utilité. Car si la chair ne servait de rien, le Verbe ne se serait pas fait chair pour habiter parmi nous. C'est donc à l'esprit qu'il faut rapporter ce qui a été opéré par la chair pour notre salut. - S. Aug. (de la Cité de Dieu, 10, 24). Ce n'est point évidemment par elle-même que la chair purifie notre âme, mais par le Verbe qui s'en est revêtu, et qui étant le principe de toutes choses, s'est uni à la fois à une âme et à un corps pour purifier l'âme et la chair de ceux qui croiraient en lui. C'est donc l'esprit qui vivifie, la chair ne sert de rien, de la manière qu'ils l'entendaient, ce n'est pas ainsi que je la donne à manger, et ce n'est pas dans ce sens tout charnel que nous devons goûter cette chair. Aussi Notre-Seigneur ajoute: «Les paroles que je vous ai dites sont esprit et vie». - S. Chrys. (hom. 47). C'est-à-dire elles sont toute spirituelles, elles n'ont rien de charnel, elles ne sont point soumises aux effets naturels, et sont en dehors de toute nécessité terrestre et de toutes les lois d'ici bas. - S. Aug. (Traité 27 sur S. Jean). Si vous entendez ces paroles spirituellement, elles sont esprit et vie pour vous, si vous les entendez dans un sens charnel, elles sont encore esprit et vie, mais non point pour vous. Nous avons dit précédemment que la fin que s'est proposée Notre-Seigneur en nous donnant sa chair à manger et son sang à boire c'est que nous demeurions en lui et qu'il demeure en nous; or, la charité seule peut produire cet effet, et la charité de Dieu a été répandue dans nos coeurs par l'Esprit saint qui nous a été donné (Rm 5). C'est donc l'esprit qui vivifie.

S. Chrys. (hom. 47). Après avoir signalé cette interprétation charnelle et grossière, Notre-Seigneur ajoute: «Mais il y en a parmi vous quelques-uns qui ne croient point». En disant: «Quelques-uns, il excepte ses disciples, en même temps qu'il prouve sa puissance divine en révélant le secret des coeurs. - S. Aug. (Traité 27 sur S. Jean). Il ne dit pas: Il en est parmi vous qui ne comprennent pas, mais il indique la cause de leur défaut d'intelligence, car le prophète a dit: «Si vous ne commencez par croire, vous ne comprendrez point». Comment celui qui résiste peut-il être vivifié? Il est l'ennemi du rayon de lumière qui veut le pénétrer, il en détourne les yeux, il lui ferme son âme. «Qu'ils croient donc et qu'ils ouvrent leur âme, et ils seront comblés de lumière. - S. Chrys. (hom. 47) Et remarquez que ce n'est point après leurs murmures et le scandale qu'ils ont pris des paroles du Sauveur, qu'il a connu les dispositions de leur coeur, car l'Évangéliste prend soin d'ajouter: «Jésus savait, dès le commencement, qui étaient ceux qui ne croyaient point». - Théophyl. Il nous apprend ainsi qu'avant même la création du monde, il connaissait toutes choses, ce qui était une preuve évidente de sa divinité.

S. Aug. (Traité 27) Après avoir fait la distinction de ceux qui croient d'avec les incrédules, Notre-Seigneur remonte à la cause pour laquelle ils ne croient point: «C'est pourquoi je vous ai dit que nul ne peut venir à moi, s'il ne lui est donné par mon Père». - S. Chrys. (hom. 47) C'est-à-dire je ne suis ni troublé ni surpris de ce que quelques-uns ne croient point, car je connais ceux à qui mon Père a fait cette grâce. Il s'exprime ainsi pour leur prouver qu'il ne cherchait en aucune façon la gloire qu'ils pouvaient lui donner, et pour les bien convaincre que son Père n'était pas Joseph, mais Dieu lui-même. - S. Aug. (Traité 27). La foi est donc un don de Dieu, et un don d'une grande importance. Or, si ce don est aussi grand et aussi précieux, réjouissez-vous d'avoir la foi, mais n'en concevez pas d'orgueil, «car qu'avez-vous que vous n'ayez reçu ?» (1Co 4) - S. Aug. (de la prédest. des saints, chap. 9) Que ce don de la foi soit accordé aux uns et refusé aux autres, c'est ce qu'on ne peut nier sans se mettre en opposition avec les témoignages les plus incontestables de la sainte Ecriture. Le chrétien ne doit pas s'étonner que ce don ne soit pas accordé à tous, dès lors qu'il croit que le péché d'un seul a été le juste sujet de la condamnation de tous les hommes, à ce point qu'on ne pourrait adresser à Dieu aucun juste reproche quand même un seul homme n'échapperait pas à cette sentence de mort. C'est donc par l'effet d'une grâce tout à fait extraordinaire qu'un grand nombre sont arrachés à la damnation. Mais pourquoi l'un est-il plutôt sauvé que l'autre? c'est là un effet des jugements incompréhensibles de Dieu et de ses voies impénétrables. (Rm 11,33).

«De ce moment, plusieurs de ses disciples se retirèrent et ne marchaient plus dans sa compagnie». - S. Chrys. (hom. 47). L'Évangéliste ne dit pas précisément qu'ils l'abandonnèrent, mais qu'ils marchèrent en arrière, c'est-à-dire, qu'ils cessèrent de suivre les enseignements du Sauveur avec de bonnes dispositions et qu'ils perdirent la foi qu'ils avaient pu avoir auparavant. - S. Aug. (Traité 27 sur S, Jean). Ils perdirent la vie en se séparant du corps, parce que peut-être ils n'en firent jamais partie, et ils doivent être rangés parmi les incrédules, bien qu'ils parussent être du nombre des disciples de Jésus. Ce fut en grand nombre qu'ils se retirèrent de Jésus-Christ pour marcher à la suite de Satan, comme l'Apôtre le dit de certaines femmes de son temps: «Déjà quelques-unes se sont égarées pour suivre Satan». Quant à Pierre, Notre-Seigneur ne le repousse point en le renvoyant à la suite de Satan, mais il lui commande seulement d'aller derrière lui.

S. Chrys. (hom. 46 sur S. Jean). On demandera peut-être quelle utilité pouvaient avoir ces discours, puisqu'ils étaient bien plutôt un sujet de scandale que d'édification. Nous répondons qu'ils avaient une immense utilité. Les Juifs recherchaient avec empressement la nourriture du corps, ils rappelaient le souvenir de la manne donnée à leurs pères, Notre-Seigneur leur apprend donc que ce n'étaient là que des figures, et il leur suggère l'idée de la nourriture spirituelle. Il n'y avait là aucune raison pour eux de se scandaliser, et ils devaient se contenter de l'interroger. La cause de leur scandale doit donc être tout entière attribuée à leurs mauvaises dispositions plutôt qu'à l'obscurité de la doctrine du Sauveur. - S. Aug. (Traité 27). Peut-être aussi Dieu permit-il ce scandale pour notre consolation; il arrive en effet quelquefois qu'un homme dit la vérité sans parvenir à se faire comprendre, ceux qui l'entendent se scandalisent et se retirent; cet homme regrette alors d'avoir fait connaître la vérité, et il se dit: Je n'aurais pas dû parler de la sorte. C'est ce qui arrive ici à notre Sauveur, il fait connaître la vérité, et il perd un grand nombre de disciples; cependant il ne s'en trouble point, parce qu'il savait dès le commencement qui étaient ceux qui ne croiraient point. Si donc nous sommes soumis à la même épreuve, n'en soyons point troublés, cherchons notre consolation en Notre-Seigneur, cependant que la prudence dirige toutes nos paroles.

Bède. Notre-Seigneur savait parfaitement si les autres disciples avaient l'intention de s'en aller; cependant il les interroge pour faire ressortir leur foi et la proposer comme modèle aux autres: «Jésus dit donc aux douze: Et vous, voulez-vous aussi vous en aller ?» - S. Chrys. (hom. 47). C'est en effet le moyen le plus convenable pour les attirer à lui. S'il leur avait prodigué les éloges, ils y eussent été par trop sensibles, et se seraient persuadés qu'en restant fidèles à Jésus-Christ, ils lui rendaient un grand service. Il se les attache donc bien plus fortement, en leur montrant qu'il n'a que faire de leur obéissance et de les voir marcher à sa suite. Toutefois il ne leur dit pas: Allez-vous en, (ce qui eût été les renvoyer,) mais il leur demande s'ils veulent s'en aller, il leur donne toute liberté, il ne veut pas qu'un certain sentiment de pudeur les retienne à sa suite, le suivre par nécessité est pour lui comme s'ils l'abandonnaient. Or, Pierre qui aimait ses frères et professait un ardent amour pour le Sauveur, répond pour tout le collège apostolique: «Mais Simon Pierre lui répondit: «Seigneur, à qui irions-nous ?» - S. Aug. (Traité 21) Il semble dire: Est-ce que vous nous renvoyez? Donnez-nous donc un autre à qui nous puissions aller, si nous venons à vous quitter. - S. Chrys. (hom. 47). Ces paroles montrent le grand amour des vrais disciples de Jésus pour leur divin Maître; ils le mettaient dans leur esprit et dans leur coeur bien au-dessus de leurs pères et de leurs mères. Et s'il parlait ainsi, ce n'est point dans la crainte que personne ne voulût les recevoir, après qu'ils auraient quitté Jésus, c'est pourquoi il ajoute: «Vous avez les paroles de la vie éternelle». Il montre ainsi qu'il se rappelle les paroles du Seigneur: «Je le ressusciterai au dernier jour;» et encore: «Il aura la vie éternelle». Les Juifs disaient: «C'est le fils de Joseph», Pierre, au contraire, s'écrie: «Nous avons cru et nous avons connu que vous êtes le Christ, Fils du Dieu vivant. - S. Aug. (Traité 27). Nous avons cru pour connaître, car si nous avions voulu connaître avant de croire, nous n'aurions été capables ni de connaître, ni de croire. Nous avons cru et nous avons connu que vous êtes le Christ, Fils du Dieu vivant, c'est-à-dire, que vous êtes la vie éternelle, et que c'est vous-même que vous nous donnez dans votre chair et dans votre sang.

S. Chrys. (hom. 47). Pierre venait de dire: «Et nous avons cru». Notre-Seigneur excepte Judas du nombre des croyants: «Jésus leur répondit: Ne vous ai-je pas choisis tous les douze? Et cependant parmi vous il y a un démon», c'est-à-dire, ne croyez point, parce que vous vous êtes rangés à ma suite, que je m'abstienne de reprendre ceux qui sont mauvais. Mais pourquoi les disciples restent-ils ici dans le silence, eux qui plus tard diront en tremblant: «Est-ce moi, Seigneur ?» Jésus n'avait pas encore dit à Pierre: «Retire-toi de moi, Satan» (Mt 16). Ces paroles ne lui inspirent donc aucune crainte. D'ailleurs Notre-Seigneur ne dit pas: Un de vous me trahira, mais: «Un de vous est un démon». Ils ne comprenaient donc pas la portée de cette expression et n'y voyaient qu'une parole de blâme tombant sur les mauvaises dispositions de l'un d'eux. Les incrédules font ici à Jésus-Christ un reproche insensé, car le choix qu'il fait d'un homme ne lui impose aucune violence, aucune nécessité, et notre salut comme notre perte sont subordonnés à notre volonté.

Bède. On peut dire encore que le Sauveur s'est proposé des fins différentes dans la vocation de Judas et dans celle des onze autres Apôtres. Il a choisi les onze pour les faire persévérer dans la dignité d'Apôtres; il a choisi Judas pour que sa trahison fût l'occasion du salut du genre humain. - S. Aug. (Traité 27). Judas a été choisi pour devenir l'instrument d'un grand bien qu'il ne voulait pas et qu'il ne connaissait même pas; car de même que les impies font servir au mal les oeuvres bonnes de Dieu, Dieu au contraire sait faire servir au bien les actions coupables des hommes. Quoi de pire que Judas? et cependant le Seigneur a su tirer le bien du crime qu'il a commis, et il a souffert d'être trahi par lui pour nous racheter. On peut encore entendre autrement ces paroles: «Je Vous ai choisis au nombre de douze», dans ce sens que c'est le nombre consacré de ceux qui devaient annoncer aux quatre points du monde le mystère de la Trinité; or, ce nombre n'a perdu ni sa gloire ni son caractère sacré, parce que l'un d'entre eux s'est perdu, puisqu'un autre lui a succédé.

S. Grég. (Moral., 13, 12). Lorsque Notre-Seigneur dit d'un de ses disciples livré au mal: «L'un de vous est un démon», il donne le nom du chef à un de ses membres, comme l'Évangéliste l'explique en ajoutant: «Il parlait de Judas Iscariote, fils de Simon, car c'était lui qui devait le trahir, quoiqu'il fût un des douze». - S. Chrys. (hom. 47). Admirez la sagesse de Jésus-Christ, il ne fait point connaître ce disciple infidèle, de peur que perdant toute retenue, il ne lui fît une guerre ouverte; il ne veut point non plus que ses dispositions restent entièrement cachées, ce qui, en l'affranchissant de toute crainte, l'aurait rendu plus audacieux dans l'exécution de son crime.


Catena Aurea 12647