Catena Aurea 12852

vv. 52-56

12852 Jn 8,52-56

S. Grég. (hom. 18 sur les Evang). De même que les bons deviennent meilleurs par les outrages dont ils sont l'objet, ainsi les méchants deviennent pires par les bienfaits qu'ils reçoivent, c'est ainsi que les Juifs, en reconnaissance des enseignements du Sauveur, blasphèment de nouveau contre lui. Les Juifs lui dirent: Nous voyons maintenant qu'un démon est en vous. - Orig. Ceux qui croient aux saintes Écritures savent que ce que les hommes font de contraire à la droite raison, n'est point étranger à l'action du démon. Les Juifs pensaient donc que c'était sous l'inspiration du démon, que Jésus avait dit: «Si quelqu'un garde ma parole, il ne verra jamais la mort». Ils tombèrent dans cette erreur, parce qu'ils n'ont point considéré la puissance de Dieu. Le Sauveur veut parler ici de cette mort ennemie de la droite raison et qui frappe tous les pécheurs; les Juifs, au contraire, n'entendent que la mort ordinaire, et tournent en ridicule ses paroles, en lui rappelant qu'Abraham et les prophètes sont morts: «Abraham et les prophètes sont morts, vous dites: Si quelqu'un garde ma parole, il ne goûtera jamais la mort», etc. Il y a une différence entre «goûter la mort et voir la mort», cependant au lieu de: «Il ne verra pas la mort», ils disent: «Ils ne goûtera pas la mort», comme des auditeurs inattentifs qui confondent les paroles du Sauveur. De même, en effet, que le Seigneur, en tant qu'il est le pain vivant, peut être goûté, et qu'il est la beauté visible en tant qu'il est la sagesse de Dieu; de même, la mort qui est son ennemie, peut être goûtée et vue. Tout homme qui se tient dans un milieu spirituel ne goûtera point la mort s'il reste dans cet état, selon ces paroles: «Il en est de ceux qui se tiennent ici qui ne goûteront pas la mort», (Mt 16,28) mais pour celui qui reçoit et garde la parole de Jésus-Christ, il ne verra jamais la mort.

S. Chrys. (hom. 55). La vaine gloire les fait encore invoquer leur parenté avec Abraham: «Etes-vous plus grand que notre père Abraham, qui est mort ?» Ils auraient pu aussi bien lui dire: «Etes-vous plus grand que Dieu, qui n'a point sauvé de la mort ceux qui ont entendu sa parole ?» Mais ils ne le font pas, parce qu'ils le considèrent comme bien inférieur à Abraham. - Orig. Ils ne comprennent pas que celui qui est né de la Vierge est plus grand, non seulement qu'Abraham, mais que tous ceux qui sont nés des femmes. D'ailleurs, il est contraire à la vérité de dire comme ils le font, qu'Abraham est mort, car Abraham a entendu la parole du Christ et l'a gardée aussi bien que les prophètes, dont les Juifs ajoutent: «Et que les prophètes qui sont morts». Ils ont gardé, en effet, la parole de Dieu, lorsque cette parole s'est fait entendre par exemple à Osée ou à Jérémie; d'autres ont pu la garder, mais les prophètes l'ont gardée les premiers. Ils mentent donc à la vérité, et lorsqu'ils accusent Jésus-Christ d'être possédé du démon, et lorsqu'ils disent: «Abraham est mort aussi bien que les prophètes». - S. Grég. (hom. 18 sur les Ev). Ils étaient livrés à la mort éternelle, et ils n'apercevaient pas cette mort à laquelle ils s'étaient dévoués, au milieu des ténèbres qui les environnaient, ils ne voyaient que la mort du corps dans les discours de la vérité. Ils lui font ensuite cette question: «Qui êtes-vous ?» - Théophyl. C'est-à-dire, vous qui n'êtes digne d'aucune considération, fils d'un charpentier de la Galilée, vous voulez vous attribuer une gloire qui ne vous appartient pas. - Bède. «Que prétendez-vous être ?» c'est-à-dire, quel mérite, quelle dignité voulez-vous qu'on vous suppose? Abraham était mort de la mort du corps, mais son âme était vivante; or, la mort de l'âme qui doit vivre éternellement, est bien autrement importante que la mort du corps destiné à mourir un jour.

Orig. Cette question suppose un grand aveuglement dans les Juifs, car Jésus ne s'est pas fait ce qu'il est, mais il l'a reçu de son Père: «Jésus répondit: Si je me glorifie moi-même, ma gloire n'est rien». - S. Chrys. (hom. 55). Notre-Seigneur en parlant de la sorte, se conforme à leur manière de voir, comme dans ces autres paroles: «Si je rends témoignage de moi-même, mon témoignage n'est pas vrai» (Jn 5,31).

Bède. Le Sauveur fait ainsi voir le néant de la gloire de ce monde. - S. Aug. (Traité 42). C'est la réponse à la question qu'ils lui ont faite: «Que prétendez-vous être ?» Il rapporte toute sa gloire à Dieu son Père de qui il vient. Il ajoute: «C'est mon Père qui m'a glorifié». Les Ariens accusent ici notre foi et disent: Le Père est donc plus grand que le Fils, puisqu'il le glorifie? Hérétiques que vous êtes, vous n'avez donc pas entendu le Fils vous dire qu'il glorifie lui-même son Père? - Alcuin. Quant au Père, il a glorifié son Fils lors de son baptême (Mt 3), sur la montagne du Thabor (Mt 17), aux approches de sa passion, lorsqu'une voix du ciel se fit entendre devant le peuple (Jn 12), et après sa passion, lorsque Dieu l'a ressuscité et placé à la droite de sa majesté (Ep 1 He 1). Il ajoute: «Lui que vous dites être votre Dieu». - S. Chrys. Il voulait leur prouver que non seulement ils ne le connaissaient pas, mais qu'ils ne connaissaient même pas Dieu. - Théophyl. En effet, s'ils connaissaient véritablement le Père, ils honoreraient son Fils. Mais ils méprisent Dieu lui-même qui a défendu l'homicide dans la loi, lorsqu'ils demandent à grands cris la mort du Sauveur: Aussi, ajoute-t-il encore: «Et vous ne le connaissez pas». - Alcuin. C'est-à-dire, vous l'appelez votre Dieu dans un sens tout charnel, vous ne le servez que pour un obtenir les biens de la terre, et vous ne le connaissez pas comme il doit être connu, vous ne lui rendez pas un culte spirituel.

S. Aug. (Traité 45 sur S. Jean). Il est des hérétiques qui prétendent que le Dieu annoncé dans l'Ancien Testament n'est point le Père de Jésus-Christ, mais je ne sais quel prince des mauvais anges. Notre-Seigneur combat cette erreur, en appelant son Père celui qu'ils disaient être leur Dieu sans le connaître, car s'ils l'avaient connu, ils auraient reçu son Fils: «Quant à moi, ajoute le Sauveur, je le connais». Cette assertion put paraître téméraire et présomptueuse à ceux qui ne le jugeaient que selon les yeux de la chair, mais s'il faut fuir la présomption, ce ne doit jamais être aux dépens de la vérité, c'est pour cela qu'il ajoute: «Et si je disais que je ne le connais point, je serais menteur comme vous». - S. Chrys. (hom. 55). C'est-à-dire, de même que vous mentez en disant que vous le connaissez, je mentirais moi-même, si je disais que je ne le connais point. Mais la plus grande preuve que Jésus est envoyé de Dieu, c'est ce qu'il ajoute: «Pour moi je le connais, et je garde sa parole». - Théophyl. Je le connais d'une connaissance naturelle et parfaite, car je suis absolument égal à mon Père, donc je le connais, puisque je me connais moi-même. Et la preuve qu'il le connaît, c'est, ajoute-t-il, «que je garde sa parole», c'est-à-dire ses commandements. Il en est qui l'entendent en ce sens: «Je garde la raison d'être», parce qu'en effet, le Fils a la même raison d'être que le Père. C'est pour cela que je connais mon Père, la particule mais doit être prise ici dans le sens de parce que: «Je connais mon Père, parce que je garde sa parole ou sa raison d'être». - S. Aug. (Traité 45). Comme Fils du Père, il faisait entendre sa parole, et il était lui-même le Verbe de Dieu qui parlait aux hommes.

S. Chrys. (hom. 55) Etes-vous plus grand que notre père Abraham, lui avaient demandé les Juifs? Notre-Seigneur en leur répondant ne leur dit rien de sa mort, et voici comme il leur montre qu'il est plus grand qu'Abraham: «Abraham, votre père, a tressailli du désir de voir mon jour, il l'a vu, et a été rempli de joie», pour tout le bien qu'il a reçu de moi comme lui étant supérieur. - Théophyl. C'est-à-dire, mon jour a été l'objet de ses désirs les plus ardents, et de sa joie la plus vive, et il ne l'a pas considéré comme quelque chose de fortuit et de peu d'importance. - S. Aug. (Traité 45). Abraham ne craignit pas de voir ce jour, mais il tressaillit du désir de le voir, sa foi le fit aussi tressaillir d'espérance de voir et de comprendre mon jour. On ne peut dire d'une manière certaine si le Sauveur a voulu parler du jour de sa vie mortelle, ou de ce jour qui n'a ni lever ni coucher. Mais pour moi, je ne doute pas qu'Abraham n'ait connu l'un et l'autre de ces deux jours, car lorsqu'il envoie son serviteur demander une épouse pour son fils Isaac, il lui dit: «Mets ta main sous ma cuisse et jure-moi par le Dieu du ciel» (Gn 24,2). Or, que signifiait ce serment? que c'était de la race d'Abraham que le Dieu du ciel viendrait un jour dans une chair mortelle. - S. Grég. (hom. 18 sur les Evang). Abraham vit encore le jour du Seigneur, lorsqu'il donna l'hospitalité à trois anges qui étaient la figure de la sainte Trinité (Gn 8). Ou bien encore, ce jour, c'est le jour de sa croix, dont Abraham vit la figure dans l'immolation du bélier et d'Isaac (Gn 22). Il leur prouvait ainsi que ce n'était point malgré lui qu'il allait endurer les souffrances de sa passion, et en même temps qu'ils étaient de véritables étrangers pour Abraham, puisqu'ils trouvaient un sujet de douleur dans ce qui l'avait fait tressaillir d'allégresse. - S. Aug. (Traité 45). Quelle joie dut inonder le coeur de celui qui vit le Verbe immuable, brillant d'un éclat resplendissant aux regards de la piété, Dieu restant toujours avec son Père, et qui ne devait point quitter le sein de Dieu, lorsqu'il viendrait sur la terre revêtu d'une chair mortelle ?


vv. 57-59

12857 Jn 8,57-59

S. Grég. (hom. 48 sur les Evang). L'esprit charnel des Juifs en entendant ces paroles de Jésus-Christ n'élève pas les yeux au-dessus de la terre, et ne songe qu'à l'âge de la vie mortelle du Sauveur: «Mais les Juifs lui répliquèrent: Vous n'avez pas encore cinquante ans, et vous avez vu Abraham ?» c'est-à-dire, il y a bien des siècles qu'Abraham est mort, et comment a-t-il pu voir votre jour? Ils entendaient ces paroles dans un sens tout charnel. - Théophyl. Jésus-Christ n'avait alors que trente-trois ans, pourquoi donc ne lui disent-ils pas: Vous n'avez pas encore quarante ans, mais: «Vous n'avez pas encore cinquante ans ?» Question tout à fait inutile. Les Juifs dirent tout simplement ce qui se présenta à leur esprit. Il en est cependant qui pensent qu'ils ont choisi le nombre cinquante par respect pour l'année du jubilé, dans laquelle ils rendaient la liberté aux esclaves et où chacun rentrait dans les biens qu'il avait possédés. (Lv 25,26) - S. Grég. (hom. 18). Notre Sauveur les détourné avec douceur de ces pensées qui n'avaient pour objet que sa chair, et cherche à les élever jusqu'à la contemplation de sa divinité: «Jésus leur répondit: En vérité, en vérité, je vous le dis, avant qu'Abraham fût fait, moi je suis», paroles qui ne peuvent convenir qu'à sa divinité; car le mot avant embrasse tout le temps passé, et le mot je suis, le présent, or comme la divinité ne connaît ni passé ni futur, mais qu'elle est continuellement au présent, Notre-Seigneur ne dit pas: Avant Abraham j'étais, mais: «Avant Abraham je suis», selon ces paroles de Dieu à Moïse: «Je suis celui qui suis» (Ex 3). Celui donc qui s'est rapproché de nous en nous manifestant sa présence, et qui s'en est séparé en suivant le cours ordinaire de la vie, a existé avant comme après Abraham. - S. Aug. Remarquez encore que comme Abraham est une créature, le Sauveur ne dit pas: Avant qu'Abraham existât, mais: «Avant qu'Abraham fût fait», et il ne dit pas non plus: J'ai été fait, car le Verbe était au commencement.

S. Grég. (hom. 18). Mais ces esprits incrédules ne peuvent supporter ces paroles d'éternité, et ils cherchent à écraser celui qu'ils ne peuvent comprendre: «Alors ils prirent des pierres pour les lui jeter». - S. Aug. A quoi ces coeurs si durs pouvaient-ils avoir recours qu'à ce qui leur ressemblait, c'est-à-dire à des pierres? - Théophyl. C'est après qu'il a terminé tous les enseignements qui avaient pour objet sa divine personne, qu'ils lui jettent des pierres, et Jésus les abandonne comme incapables de revenir à de meilleurs sentiments: «Mais Jésus se cacha et sortit du temple». Jésus ne se cache pas dans un coin du temple par un sentiment de crainte, il ne s'enfuit pas dans une maison écartée, il ne se dérobe pas à leurs regards derrière un mur ou une colonne, mais par un effet de son pouvoir divin, il se rend invisible aux yeux de ses ennemis, et passe au milieu d'eux. - S. Grég. S'il avait voulu faire un usage public de sa puissance divine, il eût pu les enchaîner dans leurs propres filets par un seul acte de sa volonté, ou les frapper du terrible châtiment d'une mort subite, mais il était venu pour souffrir, et ne voulait pas faire les fonctions de juge. - S. Aug. Il valait mieux d'ailleurs nous recommander la pratique de la patience que l'exercice de la puissance. - Alcuin. Il fuit encore, parce que l'heure de sa passion n'était pas encore venue, et qu'il n'avait pas choisi ce genre de mort. - S. Aug. Il fuit donc, comme le ferait un homme, les pierres qu'on veut lui jeter, mais malheur aux coeurs de pierre dont le Seigneur s'enfuit !

Bède. Dans le sens allégorique, autant de mauvaises pensées, autant de pierres lancées contre Jésus, et celui qui va plus loin jusqu'au délire de la passion, étouffe Jésus, autant qu'il le peut faire. - S. Grég. Mais quelle leçon le Sauveur veut-il nous donner en se cachant? c'est que la vérité se cache aux yeux de ceux qui négligent de suivre ses enseignements. La vérité s'enfuit de l'âme, en qui elle ne trouve point la vertu d'humilité. Que nous enseigne-t-il encore par cet exemple? c'est que lors même que nous avons le droit de résister, nous nous dérobions avec humilité à la colère des esprits orgueilleux.


CHAPITRE IX


vv. 1-7

12901 Jn 9,1-7

S. Chrys. (hom. 56 sur S. Jean). Comme les Juifs n'avaient pu comprendre la hauteur des enseignements de Jésus-Christ, en sortant du temple, il guérit un aveugle. Il veut en se dérobant à leurs regards apaiser leur fureur, et en même temps amollir leur dureté par le miracle qu'il va faire et confirmer la vérité de ses paroles: «Et comme Jésus passait, Jésus vit un homme qui était aveugle de naissance», etc. Remarquons qu'en sortant du temple, il a le dessein formel d'opérer une oeuvre qui fit connaître sa divinité, car c'est lui qui vit l'aveugle, ce ne fut point l'aveugle qui vint le trouver, et il le considéra avec tant d'intérêt, que ses disciples le remarquèrent et lui firent cette question: «Maître, est-ce cet homme qui a péché ou ses parents ?»
- S. Aug. (Traité 44 sur S. Jean). Rabbi veut dire maître, ils lui donnent le nom de maître, parce qu'ils voulaient apprendre de lui ce qu'ils ignoraient; et ils proposent cette question au Seigneur comme à leur maître. - Théophyl. Cette question paraît fautive de la part des Apôtres, qui n'admettaient pas cette opinion ridicule des Gentils, que l'âme avait péché dans un autre monde où elle avait vécu auparavant; mais en y réfléchissant de plus près, cette question n'est pas aussi simple qu'elle le parait. - S. Chrys. (hom. 56). Ils furent amenés en effet à lui faire cette question, parce qu'en guérissant le paralytique, Jésus lui avait dit: «Voilà que vous êtes guéri, ne péchez plus davantage». (Jn 5,14) Et dans la pensée que ses péchés avaient été la cause de sa paralysie, ils demandent si cet aveugle ne s'est pas rendu aussi coupable de péché, ce qu'on ne pouvait ni dire ni supposer, puisqu'il était aveugle de naissance; ou bien ses parents, ce qui n'était pas plus raisonnable, car le fils ne porte pas le péché du père.

«Jésus répondit: Ce n'est point qu'il ait péché, ni ses parents. - S. Aug. Est-ce donc qu'il était né sans la faute originelle ou qu'il n'y avait ajouté par la suite aucune faute volontaire? Non, sans doute, ses parents aussi bien que lui étaient coupables, mais ce n'est pas à cause du péché qu'ils avaient commis que cet homme était né aveugle. Notre-Seigneur en donne la véritable cause, lorsqu'il ajoute: «C'est afin, dit-il, que les oeuvres de Dieu soient manifestées en lui». - S. Chrys. (hom. 56). On ne peut conclure de ces paroles que les autres aveugles le sont devenus en punition des péchés de leurs parents, car il n'arrive pas qu'un homme soit puni pour le péché d'un autre. Ces paroles du Sauveur: «Afin que la gloire de Dieu soit manifestée», doivent s'entendre de sa propre gloire et non de celle du Père, dont la manifestation avait déjà eu lieu. Mais cet homme souffrait-il donc injustement? Non, et je réponds que la cécité fut pour lui un bienfait, car il lui dut de voir des yeux de l'âme. Il est évident que celui qui avait tiré cet homme du néant pour lui donner l'être, avait aussi le pouvoir de l'affranchir de toute infirmité. On peut dire du reste avec quelques-uns, que la particule ut n'exprime pas ici la cause, mais plutôt la conséquence. Comme dans cette autre phrase: «La loi est survenue, ut abundaret delictum, en sorte que le péché a abondé»; (Rm 5,20) de même ici, la conséquence de la guérison de cet aveugle et de toutes les autres maladies qui accablent l'infirmité humaine, a été la manifestation de sa puissance.

S. Grég. (1 Moral. ou Préf. sur Job). Il y a des châtiments que Dieu inflige aux pécheurs sans qu'il y ait pour lui de retour possible; il en est d'autres qui le frappent afin de le rendre meilleur; il en est d'autres encore qui ont pour fin, non point de punir les fautes passées, mais de prévenir les fautes à venir; d'autres enfin qui n'ont pour but ni de punir les péchés passés, ni de prévenir ceux que l'on peut commettre dans l'avenir, mais de faire connaître d'une manière plus éclatante et aimer plus ardemment la puissance de celui qui sauve par le salut inespéré qui suit immédiatement le châtiment.

S. Chrys. (hom. 56). Notre-Seigneur vient de dire, en parlant de lui-même: «Afin que la gloire de Dieu soit manifestée», il ajoute: «Il faut, pendant qu'il est jour, que je fasse les oeuvres de celui qui m'a envoyé», c'est-à-dire, il faut que je me manifeste moi-même, et que je fasse les oeuvres propres à me manifester, les mêmes que celles que fait mon Père. - Bède. Lorsque le Fils affirme qu'il fait les oeuvres de son Père, il prouve ainsi que ses oeuvres sont les mêmes que celles de son Père, c'est-à-dire, guérir ce qui est infirme, fortifier ce qui est faible, éclairer tous les hommes. - S. Aug. En disant: «Les oeuvres de celui qui m'a envoyé», il renvoie toute la gloire à celui de qui il vient, car le Père a un Fils qui vient de lui, et il n'a pas lui-même de Père de qui il vienne.

S. Chrys. (hom. 56). Il ajoute: «Pendant qu'il est jour», c'est-à-dire, il me faut agir tandis qu'il est permis aux hommes de croire en moi, ou bien tant que dure cette vie, et les paroles qui suivent viennent à l'appui de cette explication: «La nuit vient, où personne ne peut agir». Cette nuit dont il a été dit: «Jetez-le dans les ténèbres extérieures» (Mt 22). La nuit sera donc le temps où personne ne peut plus travailler et où l'on recevra la récompense de son travail. Tandis que vous vivez, faites donc ce que vous devez faire, car au-delà de cette vie, ni la foi n'est possible, ni les travaux, ni le repentir.

S. Aug. Mais si nous prenons soin de travailler pendant cette vie, c'est vraiment le jour, c'est le Christ. Aussi Notre-Seigneur ajoute-t-il: «Tant que je suis dans le monde, je suis la lumière du monde». Il est donc lui-même le jour; ce jour qui se mesure sur la révolution du soleil compte un petit nombre d'heures, mais le jour de la présence de Jésus-Christ s'étend jusqu'à la consommation des siècles, comme il le déclare lui-même: «Voici que je suis avec vous jusqu'à la consommation des siècles».

S. Chrys. (hom. 56). C'est par des oeuvres que le Sauveur veut confirmer la vérité de ce qu'il vient de dire, l'Évangéliste ajoute donc: «Après avoir parlé ainsi, il cracha à terre, et ayant fait de la boue avec sa salive, il l'étendit sur les yeux de l'aveugle. Celui qui a tiré du néant et appelé à l'être des créatures beaucoup plus importantes, eût bien pu donner des yeux à cet aveugle, sans une matière préexistante; mais il a voulu nous enseigner qu'il était le Créateur, qui au commencement s'est servi de bouc pour créer l'homme. (hom. 57). Il ne se sert pas d'eau, mais de salive pour faire cette boue, pour vous empêcher d'attribuer rien à la vertu de la fontaine, et vous apprendre que c'est la vertu de sa bouche qui a fait et ouvert les yeux de cet aveugle, et il lui ordonne ensuite de les laver pour que la guérison ne soit point non plus rapportée à une vertu secrète de la terre: «Et il lui dit: Allez vous laver dans la piscine de Siloë (mot qui veut dire envoyé)», pour vous apprendre que je n'ai pas besoin de boue pour faire des yeux. La piscine de Siloë tirait toute sa vertu de Jésus-Christ qui opérait toutes les guérisons qui s'y faisaient, et c'est pour cela que l'Évangéliste donne la signification de ce nom en ajoutant: «Qui signifie envoyé», et il vous apprend par là que c'est Jésus-Christ qui a guéri cet aveugle. De même, en effet, que l'Apôtre nous dit: «La pierre c'était le Christ», ainsi la piscine de Siloë, alimentée par un cours d'eau qui coulait soudainement à certains intervalles, nous figurait secrètement que Jésus-Christ se manifeste souvent contre toute espérance. Mais pourquoi donc ne lui commande-t-il pas de se laver immédiatement sans aller à la piscine de Siloë? C'est pour mieux confondre l'impudence des Juifs. Il était bon, en effet, que tous le vissent se diriger vers cette piscine, ayant les yeux couverts de boue. Jésus voulait d'ailleurs montrer en l'envoyant à cette piscine, qu'il n'est opposé ni à la loi, ni à l'Ancien Testament. Il n'était point d'ailleurs à craindre qu'on attribuât la gloire de cette guérison à la piscine de Siloë, car beaucoup s'y lavaient les yeux sans obtenir une grâce aussi importante. Il voulait encore faire éclater la foi de cet aveugle, qui ne cherche pas à contredire le Sauveur, qui ne se dit pas en lui-même: La boue d'ordinaire est bien plus propre à faire perdre la vue qu'à la rendre, je me suis lavé plusieurs fois dans la piscine de Siloë, je n'en ai éprouvé aucun soulagement, si cette eau avait quelque efficacité, elle m'eût guéri sur-le-champ, il obéit avec simplicité: «Il y alla, se lava et revint voyant clair». (hom. 56). C'est donc ainsi qu'il manifesta sa gloire, car ce n'est pas une faible gloire que de passer pour le créateur de toutes choses; la foi que l'on donnait à cette grande vérité en faisait accepter d'autres moins importantes. L'homme, en effet est la première et la plus honorable de toutes les créatures; et de tous ses membres, l'oeil est le plus digne d'honneur, car c'est lui qui gouverne le corps, lui qui est le plus bel ornement du visage, ce qu'est le soleil dans l'univers, l'oeil l'est dans le corps de l'homme, c'est pour cela qu'il occupe la partie la plus élevée et qu'il y est placé comme sur son trône. - Théophylacte. Il en est qui pensent que cette boue ne fut pas lavée, mais qu'elle servit à former les yeux de cet aveugle.

Bède. Dans le sens allégorique, nous voyons ici que le Sauveur, chassé du coeur des Juifs, se dirige aussitôt vers les Gentils. Son passage, le chemin qu'il fait, c'est sa descente du ciel sur la terre. Il vit cet aveugle, lorsqu'il abaissa les regards de sa miséricorde sur le genre humain. - S. Aug. Cet aveugle, en effet, c'est le genre humain tout entier qui a été frappé de cécité par le péché du premier homme, dont nous tirons tous notre origine; il est donc aveugle de naissance. Le Seigneur laisse tomber à terre un peu de salive, et la mélangeant avec la poussière du chemin, il en fait de la boue, parce que le Verbe s'est fait chair, et il étend cette boue sur les yeux de l'aveugle. Lorsque ses yeux étaient ainsi couverts, il ne voyait pas encore, parce que le Seigneur ne fit de lui qu'un catéchumène, lorsqu'il lui couvrit ainsi les yeux. Il l'envoie à la piscine de Siloë, car c'est en Jésus-Christ qu'il a été baptisé, et c'est alors que le Sauveur lui donna l'usage de la vue. L'Évangéliste nous donne la signification du nom de cette piscine, qui veut dire envoyé, et, en effet, si le Fils de Dieu n'avait été envoyé sur la terre, personne d'entre nous n'eût été délivré de son iniquité. - S. Grég. (Moral., 8, 12 ou 18). Ou bien encore, la salive figure la saveur de la contemplation intime. Elle descend de la tête dans la bouche, parce qu'elle part des splendeurs de Dieu, qu'elle nous fait goûter par les douceurs de la révélation alors que nous sommes encore dans cette vie. Notre-Seigneur mêle sa salive à la terre, et donne ainsi à cet aveugle l'usage de la vue, parce que c'est en mêlant la contemplation de la vérité à nos pensées charnelles, que la grâce céleste répand sa lumière dans notre âme, et délivre notre intelligence de la cécité originelle dont elle a été frappée dans le premier homme.


vv. 8-17

12908 Jn 9,8-17

S. Chrys. (hom. 57). L'étrangeté de ce miracle le rendait plus difficile à croire, et c'est en effet ce qui arrive: «Les gens du voisinage, dit l'Évangéliste, et ceux qui l'avaient vu auparavant demander l'aumône, disaient: N'est-ce pas là celui qui était assis et mendiait ?» Admirable condescendance de la clémence de Dieu ! Le Sauveur guérissait avec une grande bonté les pauvres mendiants, et il ferme ainsi la bouche aux Juifs, en jugeant dignes de ses bienfaits les hommes obscurs et inconnus de préférence aux personnages illustres ou distingués par leurs talents ou leurs dignités, car il était venu pour le salut de tous les hommes: «Les uns disaient: C'est lui». Comme cet aveugle avait une longue route à parcourir et que leur attention était excitée par la singularité de ce miracle dont ils avaient été les témoins, ils ne pouvaient pas dire: Ce n'est point lui. «D'autres cependant, poursuit l'Évangéliste, disaient: Point du tout, mais il lui ressemble». - S. Aug. (Traité 44). En effet, ses yeux ouverts avaient changé sa physionomie: «Mais lui disait: C'est moi», c'est la voix de la reconnaissance qui veut se mettre à couvert du reproche d'ingratitude. - S. Chrys. (hom. 57). Il ne rougit pas de son premier état, il ne redoute point la colère du peuple, et il n'hésite pas à se montrer en public pour faire connaître son bienfaiteur: «Ils lui disaient donc: Comment vos yeux se sont-ils ouverts ?» De quelle manière fût-il guéri, nous ne le savons pas, il ne le savait pas lui-même, il savait seulement qu'il était guéri sans pouvoir comprendre comment cela s'était fait: «Il répondit: Cet homme qu'on appelle Jésus, a fait de la boue et l'a étendue sur mes yeux». Voyez comme il s'attache à ne dire que la vérité. Il ne dit pas comment Jésus a fait cette boue, parce qu'il ne le savait pas, qu'il avait craché à terre, tandis que le sens du toucher lui fit connaître qu'il avait étendu de la boue sur ses yeux: «Et il m'a dit: «Allez à la piscine de Siloë et vous y lavez». Il put encore certifier ce fait par le sens de l'ouïe, car il reconnut la voix de Jésus, dont il avait entendu la discussion avec ses disciples. Et comme il s'était préparé à une seule chose, c'est-à-dire, à faire avec docilité tout ce qui lui serait commandé, il ajoute: «J'y ai été, je me suis lavé et je vois».

S. Aug. (Traité 44). Le voici devenu prédicateur de la grâce, il évangélise et confesse Jésus-Christ. Mais tandis que cette aveugle confesse ainsi la vérité, le coeur des impies se resserrait, parce qu'ils n'avaient pas dans le coeur les yeux qui brillaient sur sa figure: «Et ils lui dirent: Où est cet homme ?» - S. Chrys. (hom. 57). Ils lui faisaient cette question dans le dessein qu'ils avaient formé de mettre Jésus à mort, car déjà ils avaient conspiré contre lui. Mais Jésus ne restait pas auprès de ceux qu'il avait guéris, parce qu'il ne cherchait ni la gloire ni l'ostentation, il se retirait aussitôt qu'il avait opéré un miracle de ce genre, pour éloigner tout soupçon de fraude on de concert, car comment ceux qui ne le connaissaient pas auraient-ils déclaré dans son intérêt, que leur guérison venait de lui? «Et il répondit: Je ne sais». En faisant cette réponse, il est semblable au catéchumène, qui n'a reçu que l'onction, et qui n'est pas encore éclairé, il prêche et il ne connaît pas encore ce qu'il annonce. - Bède. Il est donc en cela la figure des catéchumènes qui ont bien la foi eu Jésus-Christ, mais qui ne le connaissent pas encore parfaitement, parce qu'ils ne sont pas encore purifiés.

C'étaient aux pharisiens qu'il appartenait d'approuver ou de blâmer cette oeuvre. - S. Chrys. Les Juifs donc, en demandant où était Jésus, avaient le dessein de le conduire aux pharisiens, mais n'ayant pu le trouver, ils leur amènent l'aveugle: «Alors ils amenèrent aux pharisiens celui qui avait été aveugle, pour le presser par de nouvelles et plus vives questions». C'est pour cela que l'Évangéliste fait cette remarque: «Or, c'était le jour du sabbat que Jésus détrempa ainsi de la terre», etc. Il voulait ainsi nous faire connaître les mauvaises dispositions du leur âme, et la cause pour laquelle ils le cherchaient, c'est-à-dire, pour trouver l'occasion de la perdre, et détruire l'impression produite par ce miracle par la prétendue violation de la loi, ce qui ressort évidemment des questions qu'ils lui adressent: «Les pharisiens lui demandèrent donc aussi comment il avait recouvré la vue». Voyez comment l'aveugle répond sans se troubler; quand le peuple l'interrogeait, il n'avait aucun danger à craindre, il ne fallait pas un grand courage pour dire la vérité; mais ce qui est vraiment admirable, c'est que bien qu'ayant tout à craindre de la haine des pharisiens, il ne songe ni à nier le fait, ni à dire le contraire de ce qu'il a déclaré précédemment: «Il leur dit: Il m'a mis de la boue sur les yeux, je me suis lavé et je vois». Il abrège ici sa réponse, parce qu'il parle à des hommes qui connaissaient déjà le fait. Il ne leur dit pas le nom de celui qui lui a donné cet ordre, il ne rapporte pas les paroles que Jésus lui a adressées: «Allez, et lavez-vous»; il va tout de suite au fait: «Il m'a mis de la boue sur les yeux, je me suis lavé et je vois». Ils éprouvèrent donc le contraire de ce qu'ils espéraient, ils l'amenèrent dans l'intention de lui faire nier le fait de sa guérison, et ils en acquirent une certitude beaucoup plus grande.

«Sur cela, quelques-uns des pharisiens disaient», etc. - S. Aug. Ce n'étaient pas tous, mais quelques-uns seulement, car déjà il y en avait parmi eux qui recevaient l'onction. Ceux donc qui ne voyaient pas encore et qui n'avaient pas reçu la grâce de l'onction, disaient: «Cet homme n'est point de Dieu, puisqu'il n'observe point le sabbat». Au contraire, il en était le plus fidèle observateur, lui qui était sans péché, car l'observation spirituelle du sabbat, c'est de n'avoir aucun péché, et c'est l'avertissement que Dieu nous donne quand il nous recommande l'observation de la loi du sabbat: «Vous ne ferez aucune oeuvre servile». Qu'est-ce qu'un oeuvre servile? le Seigneur lui-même vous l'apprend: «Tout homme qui commet le péché est esclave du péché»; (Jn 7) or, les pharisiens tout en observant extérieurement la loi du sabbat, la violaient spirituellement.

S. Chrys. Ils passent malicieusement sous silence le fait de la guérison, et ne mettent en avant que la prétendue violation du sabbat. Ainsi, ils ne disent pas: Il guérit le jour du sabbat, mais: «Il transgresse la loi du sabbat». D'autres disaient: «Comment un pécheur peut-il faire de tels prodiges ?» Vous voyez qu'ils sont vivement impressionnés par ce miracle, mais leurs dispositions étaient imparfaites, car ils auraient dû plutôt chercher à prouver qu'il n'y avait point ici transgression de la loi du sabbat. Mais ils ne croyaient pas encore qu'il était Dieu, et ne pouvaient répondre que c'est le maître du sabbat qui avait opéré ce miracle. Nul d'entre eux n'osait déclarer ouvertement ce qu'il aurait voulu dire, ils tenaient un langage ambigu, les uns, parce qu'ils n'osaient parler librement, les autres par amour du pouvoir: «Et ils étaient divisés entre eux». Cette division avait lieu dans le peuple et avait gagné jusqu'aux chefs du peuple. - S. Aug. Jésus-Christ était le jour qui sépare la lumière des ténèbres.

S. Chrys. Ceux qui avaient osé dire: Un pécheur ne peut faire de tels prodiges, voulant fermer la bouche à leurs contradicteurs, fout avancer au milieu d'eux celui qui avait éprouvé les heureux effets de la puissance de Jésus-Christ, pour éviter tout reproche de flatterie: «Ils dirent donc de nouveau à l'aveugle: Et vous, que dites-vous de celui qui vous a ouvert les yeux ?» - Théophyl. Voyez comme leur question est pleine de bienveillance; ils ne lui demandent pas: Que dites-vous de celui qui n'observe pas la loi du sabbat? Ils ne rappellent que le miracle qu'il a opéré, mais: «Comment vous a-t-il ouvert les yeux ?» Ils semblent exciter le zèle de cet homme, et lui dire: Il est votre bienfaiteur, et c'est un devoir pour vous de proclamer ses bienfaits. - S. Aug. Ou bien peut-être ils cherchaient une occasion de calomnier cet homme et de le chasser de la synagogue, mais il continua de dire avec courage tout ce qu'il pensait: «Il répondit: C'est un prophète». Il avait déjà reçu l'onction du coeur, mais il ne reconnaît pas encore Jésus pour le Fils de Dieu. Cependant il ne ment pas, car Notre-Seigneur a dit, en parlant de lui-même: «Aucun prophète n'est sans honneur, si ce n'est dans sa patrie» (Lc 4).



Catena Aurea 12852