Catena Aurea 13331

vv. 31-32

13331 Jn 13,31-32

Orig. (Traité 32 sur S. Jean). Après les glorieux témoignages qu'avaient rendus au Sauveur les prodiges qu'il avait opérés, et le miracle de la transfiguration, la glorification du Fils de l'homme commença lorsque Judas, avec Satan, qui était entré en lui, sortirent du lieu où se trouvait Jésus. «Lorsqu'il fut sorti, Jésus dit: Maintenant le Fils de l'homme a été glorifié». Il ne s'agit pas ici de la gloire du Fils unique et immortel, du Verbe de Dieu, mais de la gloire de l'homme qui est né de la race de David. En effet, si dans la mort de Jésus-Christ, qui a glorifié Dieu, nous voyons s'accomplir ces paroles: «Il a dépouillé les puissances et les principautés, il les a menées hautement on triomphe à la face de tout le monde par le bois de sa croix» (Col 2,15) et ces autres: «Il a pacifié, par le sang qu'il a répandu sur la croix, tant ce qui est sur la terre, que ce qui est dans le ciel» (Col 1,20); la gloire qui en est résultée pour le Fils de l'homme, est inséparable de la gloire du Père, qui a été glorifié en lui; car, on ne peut glorifier Jésus-Christ sans glorifier en même temps le Père. Mais comme celui qui est glorifié l'est nécessairement par quelqu'un, si vous demandez par qui le Fils de l'homme a été glorifié, il vous répond lui-même: «Si Dieu a été glorifié en lui, Dieu aussi le glorifiera en lui-même» (Jn 13,32). - S. Chrys. C'est-à-dire par lui-même et non par un autre. «Et c'est bientôt qu'il le glorifiera» (Jn 13,32). Comme il disait: Ce ne sera pas après un long espace de temps, car la croix fera bientôt éclater ces glorieux témoignages; en effet, le soleil s'éclipsa, les rochers furent brisés, et un grand nombre de ceux qui étaient morts ressuscitèrent. C'est ainsi qu'il relève l'esprit abattu de ses disciples, et qu'il les excite non seulement à bannir la tristesse, mais à se livrer à la joie.

S. Aug. (Traité 63 sur S. Jean). Ou bien encore: Le disciple impur étant sorti, tous ceux qui étaient purs demeurèrent avec celui qui les avait purifiés. Il arrivera quelque chose de semblable lorsque l'ivraie, étant séparée du froment, les justes brilleront comme le soleil dans le royaume de leur Père (Mt 13,43). C'est dans la prévision de cette séparation future que Notre-Seigneur, lorsque Judas fut sorti, c'est-à-dire lorsque l'ivraie fut séparée et qu'il ne resta plus que le bon grain, c'est-à-dire les saints Apôtres, dit: «Maintenant, le Fils de l'homme est glorifié» (Jn 13,31). Il semble dire: Voilà ce qui aura lieu dans ma glorification; ou n'y verra aucun méchant; aucun des bons qui s'y trouveront ne périra. Remarquez que Notre-Seigneur ne dit pas: C'est maintenant qu'est figurée la glorification du Fils de l'homme, mais: «C'est maintenant que le Fils de l'homme est glorifié» (Jn 13,31); de même que l'Apôtre ne dit pas: La pierre signifiait le Christ; mais: «La pierre était le Christ» (1Co 10). Car les écrivains sacrés ont coutume de donner aux figures le nom des choses figurées. Or, la glorification du Fils de l'homme a pour but que Dieu soit glorifié en lui, comme Notre-Seigneur l'ajoute: «Et Dieu est glorifié en lui» (Jn 13,31). Il donne ensuite l'explication de ces paroles: «Si Dieu a été glorifié en lui (parce qu'il n'est point venu faire sa volonté, mais la volonté de celui qui l'a envoyé), Dieu aussi le glorifiera en lui-même» (Jn 13,32), en donnant l'immortalité à la nature humaine, à laquelle le Verbe s'est uni. «Et bientôt il le glorifiera» (Jn 13,32), paroles qui sont une prédiction de sa résurrection, qui ne sera point retardée, comme la nôtre, à la fin du monde, mais qui suivra presque immédiatement sa mort. Ou peut aussi entendre, de cette résurrection prochaine, ce qu'il a dit plus haut: «Maintenant, le Fils de l'homme est glorifié» (Jn 13,31); et l'expression: «Maintenant», s'appliquerait non point à sa passion, qui était proche, mais à sa résurrection, qui devait suivre, et qui regardait comme déjà faite parce qu'elle devait arriver bientôt.

S. Hil. (de la Trin., 11) Ces paroles: «Dieu a été glorifié en lui» Jn 13,31), se rapportent à la gloire du corps de Jésus-Christ, qui a fait ressortir la gloire de Dieu par celle qu'il empruntait lui-même de son union avec la nature divine. Dieu, en retour de cette gloire que son Fils lui donnait, l'a glorifié en lui-même, en augmentant la gloire que le Fils donnait en lui à Dieu, de telle sorte que celui qui règne dans la gloire (qui est la gloire de Dieu), fût comme transformé dans la gloire de Dieu, en demeurant tout entier Dieu par l'union de son humanité avec la divinité. Il ne veut pas laisser ignorer le temps de cette glorification: «Et bientôt il le glorifiera» (Jn 13,32), c'est-à-dire, qu'au moment où Judas sort pour le trahir, Jésus prédit la gloire que doit lui procurer bientôt sa résurrection après sa passion, et réserve pour un temps plus éloigné la gloire par laquelle Dieu devait le glorifier en lui-même, en faisant éclater aux yeux de tous la puissance de sa résurrection, tandis que lui-même devait rester en Dieu en vertu de cette mystérieuse disposition qui le soumet à son Père.

S. Hil. (de la Trin., 9) La première signification de ces paroles: «Maintenant le Fils de l'homme a été glorifié» (Jn 13,31), ne peut être douteuse à mon avis, car ce n'est point le Verbe, mais la chair qu'il s'était unie qui était susceptible d'une nouvelle gloire. Mais je me demande ce que signifient les paroles qui suivent: «Et Dieu a été glorifié en lui» Jn 13,31-32); en effet, le Fils de l'homme n'est point autre que le Fils de Dieu (puisque c'est le Verbe qui s'est fait chair); je cherche donc comment Dieu a été glorifié dans ce Fils de l'homme qui est en même temps le Fils de Dieu. Examinons encore le sens de ces autres paroles: «Si Dieu a été glorifié en lui, Dieu le glorifiera en lui-même Jn 13,32)». L'homme ne peut être glorifié par lui-même, et d'autre part le Dieu qui est glorifié dans l'homme (bien qu'il reçoive de la gloire), ne peut être autre chose que Dieu; il faut donc ou que ce soit le Christ qui est glorifié dans la chair, ou le Père qui est glorifié dans le Christ. Si c'est le Christ, il est certain que le Christ qui est glorifié dans la chair, est Dieu; si c'est le Père (qui est Dieu), le Père est glorifié dans le Fils en vertu du mystère de l'unité. Mais de ce que Dieu glorifie en lui-même, le Dieu qui a été glorifié dans le Fils, comment peut-on encore tirer cette conclusion impie, que le Christ ne soit point vrai Dieu, et n'ait point une même nature avec Dieu le Père? Est-ce que celui qu'il glorifie en lui-même serait en dehors de lui? Celui que le Père, glorifie en lui-même partage nécessairement la même gloire, et celui qui doit être glorifié de la gloire du Père, entre nécessairement en participation de toutes les perfections du Père.

Orig. Disons encore que le mot gloire n'a pas ici le sens que lui donnent quelques païens qui définissent la gloire, la réunion des louanges qui sont données par un grand nombre, car il est évident que ce n'est pas là le sens du mot gloire dans l'Exode, où il est dit: «Que le tabernacle fut rempli de la gloire de Dieu» (Ex 40,32), et encore que la figure de Moïse fut resplendissante de gloire (Ex 34,35). Dans le sens premier et littéral, on doit entendre qu'il y eut comme une apparition plus spéciale de la gloire divine dans le tabernacle aussi bien que sur le visage de Moïse, qui venait de s'entretenir avec Dieu. Mais dans le sens figuré, la gloire de Dieu apparut, parce que l'intelligence déifiée et s'élevant au-dessus de toutes les choses matérielles pour scruter la vision de Dieu, participe à l'éclat de la divinité qu'elle contemple, c'est dans ce sens que le visage de Moïse resplendit de gloire, parce que son intelligence fut comme déifiée; or, on ne peut établir aucune comparaison entre la prééminence divine de Jésus-Christ et l'éclat qui rejaillissait de l'intelligence de Moïse sur son visage, car le Fils est la splendeur de toute la gloire, divine au témoignage de saint Paul: «Et comme il est la splendeur de sa gloire et l'image de sa substance» (He 1,3). Bien plus, de ce foyer complet de gloire et de lumière partent des rayons éclatants qui se répandent sur la créature raisonnable, car je ne pense pas qu'aucune créature puisse comprendre toute la splendeur de la gloire divine, le Fils seul en est capable. Le Fils n'était donc, pas glorifié dans le monde, alors qu'il n'en était pas connu, mais lorsque le Père eut donné la connaissance de Jésus à quelques-uns de ceux qui existaient dans le monde, le Fils de l'homme fut glorifié dans ceux dont il était connu. Cette connaissance fut une cause de gloire pour ceux qui la possédaient, car ceux qui contemplent à visage découvert la gloire du Seigneur sont transformés en sa ressemblance (2Co 3,13) par la gloire de celui qui est glorifié qui rejaillit sur ceux qui le glorifient. Lors donc qu'il vit s'approcher l'accomplissement de ce mystère qui devait le faire connaître au monde et lui mériter cette gloire qui devait se répondre sur ceux qui le glorifieraient, il dit: «C'est maintenant que le Fils de l'homme est glorifié». Et comme nul n'a connu le Père, si ce n'est le Fils, et celui à qui le Fils l'a révélé, et qu'il entrait dans le plan de l'incarnation divine que le Fils fit connaître le Père, Dieu fut par cela même glorifié en lui. Pour bien comprendre ces paroles: «Dieu a été glorifié en lui», vous les rapprocherez de ces autres: «Celui qui me voit, voit aussi mon Père» (Jn 14). On voit, en effet, le Père, parce que le Verbe est Dieu, et l'image invisible de Dieu le Père qui l'a engendré. On peut encore donner de ce passage une explication plus développée et plus claire. De même que le nom de Dieu est blasphémé par quelques-uns parmi les nations (Rm 2,24), ainsi ce nom divin du Père est glorifié par les saints, dont les oeuvres parfaites brillent aux yeux des autres hommes. Mais par qui Dieu a-t-il été plus glorifié que par Jésus, qui n'a commis aucun péché, et dans la bouche de qui le mensonge ne s'est point trouvé? (Rm 1). C'est donc ainsi que le Fils a été glorifié, et que Dieu a été glorifié en lui; mais si Dieu a été glorifié en lui, il lui rend une gloire bien supérieure à celle que le Fils lui a donnée, car la gloire que le Père donne au Fils de l'homme, lorsqu'il le glorifie, est incomparablement plus grande que celle qu'il rend lui-même à Dieu le Père qui est glorifié en lui. Il était convenable, en effet, que celui qui était le plus puissant, rendît aussi une gloire plus grande, et comme cette gloire que le Père devait accorder au Fils de l'homme ne devait point tarder, Jésus ajoute: «Et bientôt il le glorifiera».


vv. 33-35

13333 Jn 13,33-35

S. Aug. (Traité 64 sur S. Jean). Ce que Notre-Seigneur venait de dire: «Et bientôt il le glorifiera», pouvait laisser croire aux disciples qu'après que Dieu l'aurait glorifié, il cesserait de leur être uni et de vivre avec eux sur la terre, c'est pour cela qu'il ajoute: «Mes petits enfants, je ne suis plus avec vous que pour un peu de temps»; c'est-à-dire, je serai immédiatement glorifié par ma résurrection, mais je ne remonterai pas aussitôt dans les deux, car comme il est écrit dans les Actes des Apôtres: «Il demeura quarante jours avec eux après sa résurrection» (Ac 1), et c'est à ces quarante jours qu'il fait allusion, lorsqu'il dit: «Je ne suis plus avec vous que pour un peu de temps».

Orig. (Traité 32 sur S. Jean). Ce nom de petits enfants qu'il leur donne, prouve que leur âme, était encore soumise aux faiblesses de l'enfance, mais ceux qu'il appelle maintenant des petits enfants deviennent ses frères après sa résurrection, de même qu'ils avaient été des serviteurs avant de devenir des petits enfants. - S. Aug. On peut entendre ces paroles dans ce sens: Je suis encore comme vous dans l'infirmité de la chair, c'est-à-dire, jusqu'au temps de ma mort et de ma résurrection. Après sa résurrection, il fut encore présent au milieu d'eux d'une présence corporelle, mais il cessa de partager les faiblesses de la nature humaine. Nous voyons, en effet, dans un autre évangéliste, qu'il tient ce langage à ses Apôtres: «C'est là ce que je vous ai dit, étant encore avec vous» (Lc 24), c'est-à-dire, alors que j'étais dans cette chair mortelle qui nous est commune. Après sa résurrection, il était encore avec eux dans la même chair, mais il n'était plus comme eux soumis aux conditions de la mortalité. Il est encore une autre présence divine inaccessible aux sens, et dont le Sauveur veut parler quand il dit: «Voici que, je suis avec vous jusqu'à la consommation des siècles» (Mt 28). Il ne dit pas ici: «Je ne suis avec vous que pour un peu de temps», car le temps qui doit s'écouler jusqu'à la consommation des siècles n'est pas de courte durée, ou s'il est de courte durée, parce que mille ans sont aux yeux de Dieu comme un seul jour (Ps 89), ce n'est pas cependant cette vérité que le Sauveur a voulu exprimer, puisqu'il ajoute: «Vous me chercherez, et comme j'ai dit aux Juifs: Où je vais vous ne pouvez venir». Est-ce qu'à la fin du monde il y aurait encore impossibilité d'aller où il allait lui-même, pour ceux à qui il devait bientôt dire: «Mon Père, je veux que là où je suis, ils soient eux-mêmes avec moi» (Jn 18).

Orig. Dans leur sens le plus simple, ces paroles n'offrent aucune difficulté, parce qu'en effet, le Sauveur ne devait pas rester longtemps avec ses disciples; mais si l'on veut leur donner une signification plus profonde et plus cachée, ou se demande s'il n'a pas cessé d'être avec eux après un peu de temps, non parce qu'il n'était plus présent corporellement au milieu d'eux, mais parce que peu de temps après s'accomplit cette prédiction qu'il avait faite: «Je vous serai un sujet de scandale cette nuit». Ainsi il n'était plus avec eux, parce qu'il ne reste qu'avec ceux qui en sont dignes. Mais bien qu'il ne fût pas avec eux, ils savaient cependant chercher Jésus, comme Pierre, qui en répandant tant de larmes, après avoir renié son divin Maître, cherchait évidemment Jésus. C'est pourquoi Notre-Seigneur ajoute: «Vous me chercherez, et comme j'ai dit aux Juifs: Où je vais, vous ne pouvez venir». Chercher Jésus, c'est chercher le Verbe, la sagesse, la justice, la vérité, la puissance divine, toutes choses qui se trouvent dans le Christ. Ils voulaient donc suivre Jésus, non pas corporellement, comme quelques ignorants le prétendent, mais dans le sens spirituel dont parle le Sauveur, quand il dit: «Celui qui ne porte point sa croix et ne me suit pas, ne peut être mon disciple» (Lc 14,27). Et Jésus leur dit: «Là où je vais, vous ne pouvez venir»; lors même qu'ils eussent voulu suivre le Verbe et le confesser publiquement, ils n'avaient pas la force nécessaire, car l'Esprit saint n'avait pas encore été donné, parce que Jésus n'était pas encore glorifié.

S. Aug. Ou bien, Notre-Seigneur leur parle de la sorte, parce qu'ils n'étaient pas encore capables de le suivre jusqu'à la mort pour la justice; car comment auraient-ils pu le suivre, n'étant pas encore mûrs pour la justice? Ou comment auraient-ils pu suivre le Seigneur jusqu'à l'immortalité de sa chair, eux qui ne devaient ressusciter qu'à la fin des siècles, quelle que fût l'époque de leur mort? Ou bien encore, comment auraient-ils pu suivre le Seigneur jusque dans le sein du Père, alors que la charité parfaite pouvait seule leur donner l'entrée de cette suprême félicité? Lorsque Jésus s'adressait aux Juifs, il n'ajoutait point: «Maintenant», car si ces disciples ne pouvaient le suivre actuellement, ils devaient le suivre plus tard, et c'est pour cela que le Sauveur ajoute: «Je vous le dis aussi maintenant». - Orig. Et je vous le dis, mais prenant soin de spécifier le temps par cette expression: «Maintenant», car pour les Juifs qu'il prévoyait devoir mourir dans leurs crimes, ils ne pouvaient suivre bientôt Jésus où il allait, tandis que les disciples, dans un temps fort court, devaient suivre le Verbe.

S. Chrys. Il appelle ses disciples: «Mes petits enfants», afin qu'ils ne s'appliquent point ces paroles qui semblaient les ranger avec les Juifs: «Ainsi que je l'ai dit aux Juifs», et il leur donne ce nom pour rendre plus vif l'amour qu'ils avaient pour lui. En effet, c'est lorsque nous voyons une personne qui nous est chère sur le point de nous quitter, que nous sentons notre affection pour elle redoubler, surtout lorsque nous la voyons partir pour des lieux où il nous est impossible de la suivre. Il nous apprend en même temps que sa mort n'est qu'un déplacement, une translation heureuse dans un lieu où les corps mortels ne peuvent avoir d'accès.

S. Aug. Notre-Seigneur leur enseigne du reste la voie qu'ils devront suivre pour arriver là où il les précédait: «Je vous donne un commandement nouveau, c'est de vous aimer les uns les autres». (Traité 65) Mais est-ce que ce commandement n'existait pas déjà dans l'ancienne loi, qui avait Dieu pour auteur, et où il est écrit: «Vous aimerez votre prochain comme vous-même ?» Pourquoi donc Notre-Seigneur l'appelle-t-il un commandement nouveau? Est-ce qu'il nous a dépouillé du vieil homme pour nous revêtir du nouveau? Celui, en effet, qui reçoit ce précepte, ou plutôt qui lui est fidèle, se trouve renouvelé, non point par toute espèce d'amour, mais par cet amour que le Sauveur distingue avec soin de l'affection purement naturelle, en ajoutant: «Comme je vous ai aimés, aimez-vous les uns les autres». Ne vous aimez pas comme s'aiment les hommes qui ne cherchent qu'à corrompre, ni comme ceux qui s'aiment, parce qu'ils ont une même nature, mais aimez-vous comme ceux qui s'aiment mutuellement, parce qu'ils sont dieux, et les fils du Très-Haut, pour devenir ainsi les frères du Fils unique de Dieu, en s'aimant mutuellement de cet amour qu'il a eu pour eux et qui le porte à les conduire à cette fin bienheureuse où il rassasiera leurs désirs dans l'abondance de tous les biens. - S. Chrys. Ou bien encore ces paroles: «Comme je vous ai aimés», signifient que l'amour que j'ai eu pour vous, n'a pas été fondé sur vos mérites antérieurs, c'est moi qui vous ai prévenus, ainsi devez-vous faire le bien, sans y être forcés par aucune obligation de reconnaissance.

S. Aug. Ne croyez pas que le Sauveur ait oublié ici le commandement qui nous oblige d'aimer le Seigneur notre Dieu; car, pour qui l'entend bien, chacun de ces deux commandements se retrouve dans l'autre. En effet, celui qui aime Dieu ne peut pas mépriser Dieu, qui lui recommande d'aimer le prochain; et celui qui aime le prochain d'un amour surnaturel et spirituel, qu'aime-t-il en lui, si ce n'est Dieu? C'est cet amour que Notre-Seigneur veut séparer de toute affection terrestre, lorsqu'il ajoute: «Comme je vous ai aimés». Qu'a-t-il aimé en nous, en effet, si ce n'est Dieu? Non pas Dieu que nous possédons, mais Dieu, qu'il désirait voir en nous. Aimons-nous donc ainsi les uns les autres, afin qu'autant que nous le pourrons, nous soyons attirés à la possession de Dieu seul par la force de cet amour mutuel.

S. Chrys. Notre-Seigneur laisse de côté les miracles que ses disciples devaient opérer, et veut qu'on ne les reconnaisse qu'à cet amour seul qu'ils auront les uns pour les autres: «C'est en cela que tous connaîtront que vous êtes mes disciples, si vous avez, de l'amour les uns pour les autres». C'est à ce signe qu'on reconnaît la véritable sainteté, comme c'est à ce signe que le Sauveur reconnaît ses disciples. - S. Aug. Ne semble-t-il pas dire: Ceux qui ne sont pas mis disciples partagent avec vous d'autres grâces, d'autres faveurs; non seulement ils ont une même nature, une même vie, une même intelligence, une même raison, et cet ensemble de biens qui sont communs aux hommes et aux animaux, mais encore le don des langues, le pouvoir d'administrer les sacrements, le don de prophétie, la science, la foi, la distribution de leurs biens aux pauvres, le sacrifice de leur corps au milieu des flammes; mais parce qu'ils n'ont point la charité, ce sont des cymbales retentissantes, ils ne sont rien, et tous ces dons ne leur servent de rien ?


vv. 36-38

13336 Jn 13,36-38

S. Chrys. (hom. 73 sur S. Jean). L'amour est quelque chose de grand, il est plus fort que le feu, et nul obstacle ne peut arrêter son élan. Aussi Pierre, sous l'impression de cet ardent amour, entendant le Sauveur lui dire: «Là où je vais, vous ne pouvez venir maintenant», lui fait cette question: «Seigneur, où allez-vous ?» - S. Aug. (Traité 66 sur S. Jean). C'est ainsi que le disciple parle à son Maître, disposé qu'il est à le suivre; c'est pourquoi le Seigneur, qui voit le fond de son âme, lui fait cette réponse: «Là où je vais, vous ne pouvez maintenant me suivre». Il retarde l'accomplissement de son désir, mais ne lui enlève pas toute espérance; au contraire il l'affermit, en lui disant: a Vous me suivrez un jour». Pourquoi donc cet empressement, Pierre? Celui qui est la pierre ne vous a pas encore donné l'appui inébranlable de son esprit; n'ayez donc point cette présomption orgueilleuse. «Vous ne le pouvez pas maintenant». Ne vous laissez point abattre par le désespoir: «Vous me suivrez plus tard».

S. Chrys. Malgré cette réponse, Pierre ne peut contenir la vivacité de son désir; il se laisse emporter à la douce espérance qui vient de lui être donnée, et comme il ne craint plus maintenant de trahir son Maître, il l'interroge avec sécurité au milieu du silence que gardent les autres apôtres. «Pierre lui dit: Pourquoi ne puis-je pas vous suivre à présent? Je donnerai ma vie pour vous». Que dites-vous, Pierre? Je viens de vous déclarer que vous ne pouvez pas, et vous insistez, en disant: Je le puis. Vous apprendrez donc par votre expérience que votre amour n'est rien sans la présence d'un secours surnaturel qui le dépouille de sa faiblesse. «Jésus lui répondit: Vous donnerez votre vie pour moi ?» - Bède. Cette proposition peut s'entendre de deux manières: premièrement, d'une manière affirmative, en ce sens: Vous donnerez votre vie pour moi, mais actuellement la crainte de la mort du corps vous fera tomber dans la mort de l'âme; secondement, dans un sens ironique - S. Aug. C'est-à-dire, vous ferez pour moi ce que je n'ai pas encore fait pour vous? Vous pouvez me précéder, vous qui n'êtes pas capable de me suivre? Pourquoi tant de présomption? Apprenez donc ce que vous êtes: «En vérité, en vérité, je vous le dis, le coq ne chantera pas que vous ne m'ayez renié trois fois», vous qui promettez de mourir pour moi? vous renierez trois fois celui qui est votre vie. Pierre voyait bien l'étendue du désir de son âme, mais il ne voyait pas sa faiblesse, malade qu'il était, il vantait bien haut l'ardeur de sa volonté, mais le Médecin connaissait son infirmité. Peut-on admettre, avec quelques-uns qui, par une condescendance coupable, veulent excuser Pierre, que cet apôtre n'a point précisément renié le Christ, parce qu'à la question que lui fit la servante, il répondit qu'il ne connaissait pas cet homme, comme les autres évangélistes le disent expressément? Comme si renier Jésus en tant qu'homme ne soit pas le renier comme Christ, et le renier dans ce qu'il a daigné se faire pour notre amour et pour nous sauver de la mort, nous ses créatures. Comment est-il devenu la tête de l'Eglise si ce n'est par son humanité? Comment donc peut-on faire partie du corps de Jésus-Christ, en reniant Jésus-Christ comme homme? Mais pourquoi nous arrêter davantage à cette difficulté? Notre-Seigneur ne dit point: Le coq ne chantera pas que vous n'ayez renié l'homme où le Fils de l'homme; mais: «Le coq ne chantera pas que vous ne m'ayez renié». Que veut dire ici l'expression moi, si ce n'est ce que Jésus-Christ était alors? donc tout ce que Pierre a renié dans le Christ, c'est Jésus-Christ lui-même qu'il a renié. En douter, ce serait un crime. Jésus-Christ l'a déclaré, il a prédit les deux choses; il est donc certain que Pierre a renié Jésus-Christ. N'allons pas accuser Jésus-Christ, en voulant défendre Pierre. Pierre a reconnu pleinement son péché, et l'abondance des larmes qu'il a versées a témoigné de la grandeur du crime qu'il a commis. Si nous parlons de la sorte, ce n'est point pour le plaisir d'accuser le chef des Apôtres, mais la considération de sa chute nous apprend combien l'homme doit se défier de ses propres forces. - Bède. Que chacun cependant profite de cet exemple pour ne point se laisser aller au désespoir lorsqu'il tombe dans quelque faute, et qu'il y puise l'espérance assurée d'obtenir son pardon. - S. Chrys. Nous devons aussi conclure de là que le Seigneur permit la chute de Pierre. Il aurait pu, sans doute, la prévenir tout d'abord; mais comme cet apôtre persévérait dans ses protestations opiniâtres, le Sauveur ne le poussa point à le renier, mais il l'abandonna à ses propres forces, pour lui faire comprendre sa propre faiblesse, le préserver pour l'avenir d'une si déplorable chute, lorsqu'il serait chargé du gouvernement du monde entier, et lui donner la connaissance de lui-même par le souvenir de sa faiblesse.

S. Aug. Ce fut donc l'âme de Pierre qui souffrit la mort qu'il offrait de souffrir dans son corps, mais dans un sens différent de celui qu'il pensait; car avant la mort et la résurrection du Seigneur, il mourut par son renoncement, et ressuscita par ses larmes. - S. Aug. (De l'Acc. des Evang., 2, 2). Le renoncement de Pierre, dont nous venons de parler, nous est raconté non seulement par saint Jean, mais par les trois autres évangélistes, bien que tous ne le placent pas dans les mêmes circonstances; car saint Matthieu et saint Marc le rattachent au discours qui suivit la sortie du Sauveur de la maison où il avait mangé la pâque; tandis que saint Luc et saint Jean le placent avant qu'il en fût sorti: mais il nous est facile de comprendre ou que les deux premiers évangélistes en ont parlé par récapitulation, ou les deux derniers par anticipation. On serait peut-être plus fondé à admettre, en voyant les discours variés et les affirmations différentes du Seigneur, rapportées par les Évangélistes, que sous l'impression de ces paroles, Pierre a fait le serment téméraire de mourir pour son Maître ou avec son Maître, et qu'ainsi il a renouvelé trois fois cet engagement en divers endroits du discours du Sauveur, de même que Jésus lui a répondu, à trois reprises différentes, qu'il le renierait trois fois avant le chant du coq.


CHAPITRE XIV


vv. 1-4

13401 Jn 14,1-4

S. Aug. (Traité 67 sur S. Jean). Le Sauveur voulant prévenir la crainte tout humaine que sa mort pouvait produire dans l'âme de ses disciples et le trouble qui devait s'en suivre, cherche à les consoler, en leur déclarant qu'il est Dieu lui-même: «Et il dit à ses disciples: Que votre coeur ne se trouble point, vous croyez en Dieu, croyez aussi en moi», c'est-à-dire, si vous croyez en Dieu, par une conséquence nécessaire, vous devez croire en moi, conséquence qui ne serait point légitime, si Jésus-Christ n'était pas Dieu. Vous craignez la mort pour la nature du serviteur, que votre coeur ne se trouble point, la nature divine la ressuscitera. - S. Chrys. (hom. 73 sur S. Jean). La foi que vous aurez en moi et dans mon Père qui m'a engendré, est plus puissante que tous les événements qui peuvent arriver, et aucune difficulté ne peut prévaloir contre elle. Il prouve encore ici sa divinité en dévoilant les pensées les plus intimes de leur âme, et en leur disant: «Que votre coeur ne se trouble point». S. Aug. Comme la prédiction que Jésus avait faite à Pierre, toujours plein de confiance et d'ardeur, qu'il le renierait trois fois avant le chant du coq (Jn 13,38), avait aussi rempli de crainte les autres disciples, Notre-Seigneur les rassure en leur disant: «Il y a beaucoup de demeures dans la maison de mon Père». C'est ainsi qu'il calme le trouble et l'agitation de leur âme, en leur donnant l'espérance assurée, qu'après les périls et les épreuves de cette vie, ils seraient pour toujours réunis à Dieu avec Jésus-Christ. Que l'un soit supérieur à un autre en force, en sagesse, en justice, en sainteté, aucun ne sera exclu de cette maison, où chacun sera placé suivant son mérite. Tous recevront également le denier que le père de famille ordonne de donner à ceux qui ont travaillé à sa vigne (Mt 20). Ce denier est le symbole de la vie éternelle, qui n'a pour personne une durée plus longue, parce qu'il ne peut y avoir de durée plus ou moins grande dans l'éternité. Le grand nombre de demeures signifie donc les différents degrés de mérites qui existent dans cette seule et même vie éternelle. - S. Grég. (hom. 16 sur Ezech). Ou bien ce grand nombre de demeures s'accorde avec l'unité de denier, parce que bien que l'un goûte une félicité plus grande que l'autre, tous cependant éprouvent un même sentiment de joie dans la claire vue de leur Créateur. - S. Aug. Ainsi Dieu sera tout en tous, car comme Dieu est charité par l'effet de cette charité, ce qui est à chacun sera le partage de tous. C'est ainsi que chacun possède les choses qu'il n'a pas en réalité, mais qu'il aime dans un autre. La différence de gloire n'excitera donc aucune envie, parce que l'unité de la charité régnera dans tous les coeurs. - S. Grég. (Moral., dern. liv., chap. 14 ou 24). D'ailleurs les bienheureux n'éprouveront aucun désavantage de cette disparité de gloire, parce que chacun recevra la mesure suffisante pour combler ses désirs.

S. Aug. Il faut rejeter comme opposé à la foi chrétienne le sentiment de ceux qui prétendent que cette multiplicité de demeures signifie qu'il y aura en dehors du royaume des cieux un lieu destiné aux âmes innocentes qui seront sorties de cette vie sans avoir reçu le baptême, condition nécessaire pour entrer dans le royaume des cieux. Puisque toute la maison des enfants de Dieu, qui sont appelés à régner, ne peut être que dans le royaume, loin de nous la pensée qu'il y ait une partie de cette maison royale qui ne soit point dans le royaume, car le Seigneur n'a pas dit: Dans la béatitude éternelle, mais: «Dans la maison de mon Père il y a un grand nombre de demeures».

S. Chrys. On peut encore rattacher autrement ces paroles à ce qui précède. Le Seigneur avait dit à Pierre: «Là où je vais vous ne pouvez me suivre maintenant, mais vous me suivrez par la suite» (Jn 13,36). Or, les disciples auraient pu regarder cette promesse comme faite exclusivement à Pierre, c'est pour cela qu'il leur dit ici: «Il y a un grand nombre de demeures dans la maison de mon Père», c'est-à-dire, le palais que je destine à Pierre vous est également destiné, car il y a dans ce palais un grand nombre de demeures, et il n'y a point à objecter qu'elles ont besoin d'être préparées, car il s'empresse d'ajouter: «S'il en était autrement, je vous l'aurais dit, je vais vous préparer une place». S. Aug. Ces paroles prouvent suffisamment qu'il leur parle de la sorte, parce qu'il y a dans le ciel un grand nombre de demeures, et qu'il n'est pas besoin d'en préparer quelqu'une. - S. Chrys. Comme il avait dit à Pierre: «Vous ne pouvez pas me suivre maintenant» (Jn 13,36), et qu'ils pouvaient craindre d'être pour toujours séparés de lui, il ajoute: «Et lorsque je m'en serai allé, et vous aurai préparé une place, je reviendrai et vous prendrai avec moi, afin que là où je suis, vous soyez aussi». Quoi de plus propre que ce langage pour leur inspirer une vive confiance en lui? - Théophyl. Ne semble-t-il pas leur dire, en effet: Que les demeures soient préparées ou ne le soient point, vous ne devez point vous troubler, car en supposant qu'elles ne soient point préparées, je vais moi-même vous les préparer avec toute la sollicitude possible ?

S. Aug. Mais comment Notre-Seigneur peut-il aller nous préparer une place, puisque d'après lui, il y a déjà un grand nombre de demeures? C'est qu'elles ne sont pas encore comme elles doivent être préparées, car les demeures qu'il a préparées par la prédestination, il les prépare encore par son action divine. Elles existent donc déjà dans les décrets de sa prédestination, autrement il aurait dit: J'irai et je préparerai (c'est-à-dire je prédestinerai) une place; mais comme elles ne sont pas encore l'objet de l'action divine, il ajoute: «Et lorsque je m'en serai allé et que je vous aurai préparé une place». Or, il prépare maintenant ces demeures, en leur préparant ceux qui doivent les habiter. En effet, lorsque le Sauveur dit: «Il y a un grand nombre de demeures dans la maison de mon Père»; que devons-nous entendre par cette maison de Dieu, si ce n'est le temple de Dieu, temple dont l'Apôtre dit: «Le temple de Dieu est saint, et c'est vous qui êtes ce temple ?» (1Co 3,17). Or, cette maison est encore en voie de construction et de préparation. Mais pourquoi faut-il qu'il s'en aille pour cette préparation, puisque c'est lui-même qui nous prépare, ce qu'il ne peut faire, s'il se sépare de nous? Il veut nous enseigner par là, que pour préparer ces demeures, le juste doit vivre de la foi. Si vous jouissez de la claire vue, la foi n'est plus possible. Que le Seigneur s'en aille donc pour se dérober aux regards, qu'il se cache pour devenir l'objet de notre foi, car c'est la vie de la foi qui nous prépare la place. Que la foi nous fasse désirer le Sauveur, afin que les saints désirs nous en mettent en possession. D'ailleurs, si vous l'entendez bien, il ne quitte ni le lieu d'où il paraît s'éloigner, ni celui d'où il est venu jusqu'à nous. Il s'en va en se cachant à nos regards, il vient en manifestant sa présence. Mais s'il ne demeure avec nous pour nous diriger et nous faire avancer dans la voie de la sainteté, le lieu où nous demeurerons avec lui, en jouissant de sa présence, ne nous sera point préparé.

Alcuin. Voici donc le sens de ce qu'il leur dit: «Je m'en vais», (c'est-à-dire, je m'absente corporellement), mais: «Je reviendrai de nouveau», (par la présence de ma divinité), ou bien encore, je reviendrai juger les vivants et les morts. Et comme il prévoyait qu'ils lui demanderaient où il irait, et le chemin qu'il suivrait, il les prévient et leur dit: «Où je vais, vous le savez (c'est-à-dire, vers mon Père), et vous savez la voie» (c'est-à-dire, que j'y vais par moi-même). - S. Chrys. En leur parlant de la sorte, il fait connaître le désir qui était au fond de leur âme et leur offre l'occasion de l'interroger.




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